ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

24 avril 2008 (*)

«Manquement d’État – Article 28 CE – Immatriculation des véhicules d’occasion précédemment immatriculés dans d’autres États membres – Exigence d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant – Dispense de produire des factures ou d’autres documents attestant des cessions de propriété antérieures»

Dans l’affaire C‑286/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 13 juin 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. C. Schiltz, en qualité d’agent, assisté de Me P. Kinsch, avocat,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. U. Lõhmus, J. Klučka, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2008,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en exigeant, aux fins de l’immatriculation au Luxembourg des véhicules précédemment immatriculés dans d’autres États membres, la présentation d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant, alors qu’un tel extrait n’est pas requis pour les véhicules précédemment immatriculés au Luxembourg, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

 La réglementation nationale

2        Aux termes de l’article 2 du règlement grand-ducal du 27 janvier 2001 fixant les modalités de fonctionnement d’un système de contrôle technique des véhicules routiers (Mémorial A 2001, p. 632), la Société Nationale de Contrôle Technique (ci-après la «SNCT») est «désignée comme organisme chargé du contrôle technique».

3        La SNCT effectue également, pour le compte de l’État luxembourgeois, l’immatriculation des véhicules.

4        Les articles 92 à 96 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques (Mémorial A 1955, p. 1413-1), tel que modifié par le règlement grand-ducal du 20 septembre 1994 (Mémorial A 1994, p. 1618, ci-après le «code de la route»), ont trait à la procédure d’immatriculation des véhicules.

5        L’article 95, paragraphe 3, point D, du code de la route régit les modalités de vérification des droits de propriété concernant les véhicules à immatriculer. Cette disposition prévoit:

«[…]

Les droits de propriété ou de détention légitime d’une personne sur un véhicule à immatriculer à son nom sont vérifiés et constatés au moyen de la facture ou du document en tenant lieu, […]

[…]

Lorsque le véhicule a fait l’objet d’une ou de plusieurs cessions de propriété entre la vente par le constructeur ou son mandataire officiel, dans le cas d’un véhicule neuf, ou par la personne qui en était le propriétaire au moment de la dernière immatriculation précédente, dans le cas d’un véhicule d’occasion, et l’acquisition par la personne au nom de laquelle l’immatriculation est demandée, toutes les factures ou documents en tenant lieu relatifs à ces cessions de propriété doivent être produits.

Toutefois, lorsque parmi les propriétaires précédents n’ayant pas procédé à une immatriculation, il y a une personne autorisée à faire le commerce de véhicules routiers dans un État membre des Communautés européennes ou dans un pays tiers dont les autorisations de commerce dans le secteur automobile peuvent être reconnues sur [la] base d’un accord bilatéral ou multilatéral conclu par les autorités des Communautés européennes ou du Grand-Duché de Luxembourg, les documents relatifs à d’éventuelles cessions antérieures ne sont pas exigés. Il en est de même lorsque le véhicule a été acquis lors d’une vente publique.»

 La pratique litigieuse

6        Il ressort du dossier que, dans l’hypothèse décrite à l’article 95, paragraphe 3, point D, dernier alinéa, première phrase, du code de la route, à savoir lorsque, parmi les propriétaires précédents n’ayant pas procédé à une immatriculation, il y a une personne autorisée à faire le commerce de véhicules routiers dans un État membre, ce qui implique que les documents relatifs à d’éventuelles cessions antérieures ne sont pas exigés, la SNCT requiert, à titre de preuve, un extrait du registre du commerce ou un document équivalent attestant l’inscription de cette personne en tant que commerçant, daté de moins d’un mois.

7        Tout commerçant, établi au Luxembourg ou dans un autre État membre, pour lequel cet extrait ou ce document équivalent a déjà été présenté à la SNCT, est inscrit par celle-ci dans un registre spécial. Cette inscription a pour effet, s’agissant des commerçants qui y figurent, de dispenser les personnes désireuses de faire immatriculer au Luxembourg un véhicule de produire ledit extrait ou ledit document équivalent pendant une période de cinq ans suivant ladite inscription.

 La procédure précontentieuse

8        À la suite de la plainte d’un particulier qui, lors de l’immatriculation au Luxembourg de son véhicule d’occasion, précédemment immatriculé dans un autre État membre et acheté auprès d’un commerçant établi dans ce même État membre, s’est vu demander par la SNCT la production de l’extrait du registre du commerce ou du document équivalent attestant l’inscription du vendeur de ce véhicule en qualité de commerçant, la Commission a adressé au Grand-Duché de Luxembourg, le 18 octobre 2005, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle considérait que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en ce qu’il exigeait, aux fins de l’immatriculation au Luxembourg des véhicules précédemment immatriculés dans d’autres États membres, la présentation de l’extrait ou du document équivalent susmentionnés, alors qu’un tel extrait ou un tel document n’était pas requis pour les véhicules précédemment immatriculés au Luxembourg.

9        Par lettre du 8 décembre 2005, le Grand-Duché de Luxembourg a répondu à ladite lettre de mise en demeure en contestant l’existence du manquement reproché.

10      N’ayant pas été convaincue par la réponse dudit État membre, la Commission a émis, le 4 juillet 2006, un avis motivé réitérant le grief exposé dans la lettre de mise en demeure du 18 octobre 2005 et invitant le Grand-Duché de Luxembourg à se conformer à ses obligations résultant de l’article 28 CE dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

11      Dans sa réponse audit avis, datée du 31 août 2006, cet État membre a indiqué que la procédure d’immatriculation au Luxembourg des véhicules routiers prenait en compte diverses considérations relatives au droit des biens et au régime de la responsabilité civile au Luxembourg et que, partant, elle était justifiée par des raisons d’ordre public, car «motivée par les principes généraux du droit civil».

12      Le Grand-Duché de Luxembourg ne s’étant pas conformé à l’avis motivé, et ses observations n’ayant pas conduit la Commission à reconsidérer sa position, celle-ci a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

13      La Commission fait valoir que la pratique litigieuse constitue une mesure d’effet équivalent incompatible avec l’article 28 CE. Elle rendrait moins attrayante l’importation au Luxembourg des véhicules précédemment immatriculés dans d’autres États membres, du fait des démarches administratives à entreprendre afin de fournir les documents requis, et entraverait donc la libre circulation de ces véhicules. Cette pratique serait de nature à dissuader les personnes désireuses d’acquérir un véhicule d’occasion, afin de l’immatriculer au Luxembourg, de procéder à cette acquisition dans un autre État membre.

14      Elle ajoute que la pratique litigieuse est bien de nature étatique, la SNCT étant chargée des procédures de contrôle technique et d’immatriculation des véhicules par le règlement grand-ducal du 27 janvier 2001.

15      La Commission relève, en outre, que, même si la pratique litigieuse est probablement non discriminatoire dans sa conception, il n’en reste pas moins qu’elle a comme conséquence un traitement différencié selon la provenance du véhicule. Du fait de leur nombre limité, les vendeurs professionnels de véhicules d’occasion établis au Luxembourg seraient, dans leur grande majorité, inscrits dans le registre de la SNCT, puisque chacun d’entre eux aurait vendu à tout le moins un véhicule d’occasion, immatriculé ensuite dans cet État membre. Cependant, tel ne serait pas le cas des vendeurs professionnels de véhicules d’occasion établis dans les autres États membres, leur nombre étant infiniment supérieur au nombre desdits vendeurs établis au Luxembourg.

16      Il en résulterait que l’extrait du registre du commerce ou le document équivalent attestant l’inscription de l’ancien propriétaire du véhicule en qualité de commerçant est souvent requis pour les vendeurs professionnels de véhicules d’occasion établis dans les États membres autres que le Grand-Duché de Luxembourg, mais qu’il n’est plus requis pour lesdits vendeurs établis au Luxembourg. La charge de présenter cet extrait ou ce document équivalent pèserait donc sur les personnes désireuses d’acquérir un véhicule d’occasion dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg, mais non sur celles souhaitant faire cette acquisition au Luxembourg.

17      S’agissant des éventuelles justifications de la pratique litigieuse, la Commission fait observer, en se référant aux justifications invoquées par le Grand-Duché de Luxembourg, qu’elles reposent sur une confusion entre les raisons d’ordre public prévues à l’article 30 CE et les dispositions, pratiques ou situations de l’ordre juridique interne, dont les États membres ne peuvent exciper pour justifier le non-respect des obligations découlant du droit communautaire. En effet, en invoquant l’ordre public, le Grand-Duché de Luxembourg se réfèrerait, en réalité, à l’ensemble des règles du code civil que cet État membre s’est lui-même fixé.

18      La Commission fait valoir, par ailleurs, que l’exigence de présentation d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant va au-delà de ce qui peut être raisonnablement exigé.

19      Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que la procédure d’immatriculation en place et, en particulier, la vérification des droits de propriété sur les véhicules à immatriculer sont justifiées par des préoccupations d’ordre public. Cela découlerait du fait que le droit civil luxembourgeois a fortement conditionné la rédaction du code de la route en protégeant l’acheteur d’un véhicule volé contre les prétentions du véritable propriétaire si le véhicule a été acquis dans le cadre d’une vente publique ou auprès d’un marchand d’automobiles. En outre, des préoccupations relatives à la lutte contre les transactions frauduleuses de véhicules auraient été prises en compte.

20      Le Grand-Duché de Luxembourg relève, à cet égard, que, si le certificat d’immatriculation ne constitue pas un titre de propriété, il constitue néanmoins, en vertu de la jurisprudence luxembourgeoise, un indice suffisamment fort à cet effet. Dans cet État membre, le possesseur d’un bien meuble est présumé en être le propriétaire et cette présomption constituerait une tradition commune partagée par l’ensemble des États membres connaissant la tradition du Code Napoléon.

21      Par conséquent, tant pour lutter contre les transactions frauduleuses de véhicules d’occasion que pour se protéger contre d’éventuelles actions en indemnisation intentées par l’acheteur d’un véhicule dont le vendeur n’était pas le véritable propriétaire et qui a été immatriculé par négligence par la SNCT, celle-ci procéderait à un contrôle du transfert des droits de propriété sur les véhicules d’occasion, sauf en ce qui concerne les ventes publiques ou les ventes effectuées par un vendeur professionnel, dans le cas desquelles sa responsabilité ne pourrait pas être engagée en vertu du droit civil luxembourgeois.

22      Le Grand-Duché de Luxembourg soutient encore que les modalités de vérification des droits de propriété sur les véhicules d’occasion sont nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de limiter le nombre de documents à produire aux fins de l’immatriculation au Luxembourg de ces véhicules. Le recours à la coopération administrative, préconisé par la Commission pour vérifier la propriété des véhicules, ne contribuerait pas à alléger la tâche de l’administration. Selon cet État membre, lesdites modalités ne sont pas disproportionnées parce qu’elles sont assorties de la dispense de produire l’extrait du registre du commerce ou le document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant en ce qui concerne les commerçants inscrits dans le registre de la SNCT, dispense qui jouerait pour tous les commerçants à partir du deuxième véhicule présenté à l’immatriculation.

23      En outre, afin de contester le bien-fondé des allégations de la Commission, le Grand-Duché de Luxembourg indique qu’il pourrait, le cas échéant, appliquer la même procédure d’immatriculation à l’ensemble des véhicules d’occasion, à savoir ne plus tenir compte du registre de la SNCT et demander l’extrait du registre du commerce ou le document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant pour chaque immatriculation, sans exception.

 Appréciation de la Cour

24      Le recours de la Commission porte sur la pratique suivie par la SNCT dans le cas où le véhicule dont l’immatriculation est demandée a non seulement fait l’objet d’une ou de plusieurs cessions de propriété entre sa dernière immatriculation et l’immatriculation demandée mais a également été, dans le cadre de ces cessions, la propriété d’un commerçant professionnel de véhicules (ci-après l’«hypothèse en cause»). Il ne s’étend pas à la réglementation nationale, contenue à l’article 95, paragraphe 3, point D, du code de la route, qui comporte l’obligation pour les personnes désireuses de faire immatriculer au Luxembourg un véhicule de présenter toutes les factures ou autres documents témoignant de cette ou de ces cessions à moins que, parmi les propriétaires précédents ayant procédé auxdites cessions, figure une personne autorisée à faire le commerce de véhicules routiers. Selon la pratique litigieuse, afin de vérifier la qualité de vendeur professionnel de cette personne, la SNCT demande que lui soit fourni un extrait du registre du commerce ou un document équivalent attestant l’inscription de ladite personne en qualité de commerçant, daté de moins d’un mois, sauf si la SNCT possède déjà un tel justificatif et que la production de celui-ci date de moins de cinq ans.

25      Or, il ressort du dossier que, dans le cadre d’une immatriculation au Luxembourg d’un véhicule relevant de l’hypothèse en cause, cette dernière exigence constitue seulement une condition pour pouvoir bénéficier de la dispense d’apporter la preuve de la détention légitime du véhicule au moyen de factures ou d’autres documents prévue à l’article 95, paragraphe 3, point D, dernier alinéa, première phrase, du code de la route. En effet, ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg l’a précisé lors de l’audience, sans être contredit sur ce point par la Commission, il est toujours possible pour un intéressé de ne pas opter pour cette procédure de dispense, mais d’apporter la preuve de la détention légitime dudit véhicule au moyen de factures ou d’autres documents témoignant de la ou des cessions de propriété précédentes.

26      La Commission reproche donc, en substance, au Grand-Duché de Luxembourg d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en imposant, dans l’hypothèse en cause, la fourniture d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant, afin que la personne demandant l’immatriculation au Luxembourg d’un véhicule relevant de cette hypothèse puisse être dispensée d’apporter la preuve de la détention légitime de ce véhicule au moyen de factures ou d’autres documents témoignant de la ou des cessions antérieures à l’acquisition dudit véhicule par le vendeur ayant la qualité de commerçant.

27      Selon une jurisprudence constante, l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation édictée à l’article 28 CE vise toute mesure des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2000, Commission/Belgique, C‑217/99, Rec. p. I‑10251, point 16; du 26 octobre 2006, Commission/Grèce, C‑65/05, Rec. p. I‑10341, point 27, et du 15 mars 2007, Commission/Finlande, C‑54/05, Rec. p. I‑2473, point 30). Ainsi, le seul fait d’être dissuadé d’introduire ou de commercialiser les produits en question dans l’État membre concerné constitue pour l’importateur une entrave à la libre circulation des marchandises (arrêt du 20 septembre 2007, Commission/Pays-Bas, C‑297/05, non encore publié au Recueil, point 53 et jurisprudence citée).

28      À cet égard, il convient de relever que, même s’il est permis, à première vue, de considérer que la procédure résultant de la pratique litigieuse s’applique sans distinction fondée sur la provenance du véhicule à immatriculer, il n’en reste pas moins que cette procédure affecte de manière différente les véhicules relevant de l’hypothèse en cause selon que le commerçant de véhicules d’occasion, ancien propriétaire, est établi au Luxembourg ou dans un autre État membre.

29      En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, les commerçants établis au Luxembourg ou dans les régions frontalières vendent régulièrement des véhicules d’occasion destinés à être immatriculés dans cet État membre et, de ce fait, les renseignements concernant ces commerçants sont inscrits dans le registre de la SNCT. Partant, s’agissant de ces commerçants, l’extrait du registre du commerce ou un document équivalent attestant leur inscription en qualité de commerçants n’est, en principe, requis par la SNCT qu’une fois tous les cinq ans. Il en résulte que la dispense prévue à l’article 95, paragraphe 3, point D, dernier alinéa, première phrase, du code de la route est applicable quasiment dans tous les cas d’immatriculation de véhicules relevant de l’hypothèse en cause que lesdits commerçants ont précédemment acquis. Partant, une personne désireuse d’acquérir un véhicule d’occasion pour le faire immatriculer au Luxembourg, dans le cas où elle opte pour un véhicule relevant de l’hypothèse en cause, aura de grandes chances de bénéficier de ladite dispense sans devoir présenter l’extrait du registre du commerce ou un document équivalent, si elle achète ce véhicule au Luxembourg.

30      Cependant, ainsi que l’a souligné la Commission, le nombre de commerçants établis dans les États membres autres que le Grand-Duché de Luxembourg est considérablement plus grand que celui des commerçants établis dans ce dernier État membre et les premiers ne vendent qu’occasionnellement, voire pas du tout, des véhicules d’occasion destinés à être immatriculés au Luxembourg. Dès lors, pour une personne désireuse d’acquérir un véhicule d’occasion pour le faire immatriculer au Luxembourg, dans le cas où elle opte pour un véhicule relevant de l’hypothèse en cause, les chances de pouvoir bénéficier de la dispense prévue à l’article 95, paragraphe 3, point D), dernier alinéa, première phrase, du code de la route, sans devoir présenter un extrait du registre du commerce ou un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant, sont plus réduites si elle achète ce véhicule dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg que si elle l’achète au Luxembourg.

31      Or, l’exigence de se procurer un extrait du registre du commerce ou un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant impose des contraintes aux potentiels acheteurs d’un véhicule dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg. En effet, ceux-ci doivent entreprendre des démarches souvent coûteuses auprès des administrations compétentes des différents États membres afin de se procurer cet extrait ou ce document équivalent. Cette circonstance est aggravée par le fait que la SNCT exige que ledit extrait date de moins d’un mois avant la date de la demande d’immatriculation. De surcroît, ainsi qu’il ressort du dossier, il pourrait s’avérer, dans certains cas, excessivement difficile, voire impossible, pour un particulier d’obtenir un tel extrait ou document.

32      Dès lors, la pratique litigieuse est susceptible de dissuader les acheteurs potentiels d’importer au Luxembourg des véhicules d’occasion achetés dans un autre État membre.

33      Il convient de mentionner, à cet égard, que le Grand-Duché de Luxembourg a fait valoir lors de l’audience que la procédure de vérification de l’identité des véhicules en cause était une simple formalité et n’imposait pas de contrôles supplémentaires. Or, la Cour aurait jugé dans son arrêt Commission/Pays-Bas, précité, que de telles procédures ne sont pas susceptibles d’avoir un quelconque effet dissuasif sur l’importation de véhicules.

34      Cependant, le Grand-Duché du Luxembourg ne saurait, à cet égard, invoquer utilement ledit arrêt. En effet, à la différence de la pratique litigieuse, la procédure de vérification de l’identité des véhicules en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Pays-Bas, précité, n’engendrait pas pour les intéressés la nécessité de procéder à des démarches coûteuses et de longue durée.

35      Dans ces conditions, la pratique litigieuse constitue une restriction à la libre circulation des marchandises, au sens de l’article 28 CE.

36      Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une réglementation ou pratique nationale qui constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives ne peut être justifiée que par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par des exigences impératives (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2004, Commission/Italie, C‑270/02, Rec. p. I‑1559, point 21, et Commission/Pays-Bas, précité, point 75). Dans l’un et l’autre cas, la mesure nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2002, Radiosistemi, C‑388/00 et C‑429/00, Rec. p. I‑5845, points 40 à 42; du 8 mai 2003, ATRAL, C‑14/02, Rec. p. I‑4431, point 64, ainsi que Commission/Finlande, précité, point 38).

37      À cet égard, il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer, d’une part, que leur mesure est nécessaire pour réaliser un ou plusieurs objectifs mentionnés à l’article 30 CE ou des exigences impératives et, d’autre part, que ladite mesure est conforme au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts précités ATRAL, point 67; Commission/Finlande, point 39, et Commission/Pays-Bas, point 76).

38      En ce qui concerne l’argument avancé par le Grand-Duché de Luxembourg selon lequel la pratique litigieuse vise à lutter contre les transactions frauduleuses de véhicules volés dans le cadre de la procédure d’immatriculation des véhicules, il convient de constater que cette justification a trait à la lutte contre la criminalité, laquelle peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à la libre circulation des marchandises (arrêt du 10 avril 2008, Commission/Portugal, C‑265/06, non encore publié au Recueil, point 38).

39      Toutefois, le Grand-Duché de Luxembourg ne démontre pas que la pratique litigieuse est effectivement de nature à réaliser l’objectif de lutte contre la criminalité, d’autant plus qu’il n’est pas établi que les commerçants de véhicules d’occasion procèdent à un contrôle visant à vérifier que les véhicules qu’ils vendent n’ont pas été volés.

40      En effet, pour justifier la pratique litigieuse, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, en substance, qu’en vertu du droit national, dans l’hypothèse de l’achat d’un véhicule volé qui a fait l’objet, par négligence, d’une immatriculation de la part de la SNCT, la responsabilité civile de cette dernière, qui est une personne morale de droit privé, pourrait être engagée par l’acheteur qui s’est vu contraint de restituer ledit véhicule à son véritable propriétaire. Toujours selon le droit national, une personne qui a acheté son véhicule auprès d’un commerçant de véhicules ne serait pas soumise à l’obligation de le restituer à son véritable propriétaire sans être indemnisée et n’aurait donc pas intérêt à se retourner contre la SNCT. Ce serait donc pour s’assurer que sa propre responsabilité ne puisse pas être engagée que la SNCT recourt à la pratique litigieuse.

41      Il est donc évident que la pratique litigieuse est inspirée par des considérations d’ordre interne et a essentiellement pour effet de protéger l’intérêt de la SNCT. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, étant donné que le régime de responsabilité de la SNCT résulte des dispositions du droit national, il est toujours possible pour le Grand-Duché de Luxembourg de limiter cette responsabilité sans recourir à des mesures qui entravent le commerce intracommunautaire.

42      De surcroît, il suffit de rappeler, à cet égard, qu’il est de jurisprudence constante qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire (voir arrêts du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑503/04, Rec. p. I‑6153, point 38 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 janvier 2008, Commission/Portugal, C‑70/06, non encore publié au Recueil, point 22).

43      En tout état de cause, quand bien même la pratique litigieuse serait-elle considérée comme adaptée à l’objectif de lutte contre la criminalité, il n’est pas démontré qu’elle est proportionnée par rapport à cet objectif.

44      Aux fins de l’identification fiable des véhicules, les États membres disposent, en vertu de l’article 9 de la directive 1999/37/CE du Conseil, du 29 avril 1999, relative aux documents d’immatriculation des véhicules (JO L 138, p. 57), de la possibilité d’échanger des informations sur un plan bilatéral ou multilatéral afin, notamment, de vérifier, avant toute immatriculation d’un véhicule, la situation légale de celui-ci, le cas échéant dans l’État membre où il était immatriculé précédemment. Aux termes de cette disposition, cette vérification peut comporter, en particulier, le recours à des moyens électroniques interconnectés.

45      Il convient de rappeler, à cet égard, que, en vertu de l’article 102 bis de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1160/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005 (JO L 191, p. 18), en vue de vérifier si les véhicules qui leur sont présentés afin d’être immatriculés ont été volés, détournés ou égarés, les services chargés, dans les États membres, de délivrer les certificats d’immatriculation visés par la directive 1999/37 disposent d’un droit d’accès aux données relatives aux véhicules à moteur d’une cylindrée supérieure à 50 cm3, à certaines remorques ainsi qu’aux certificats d’immatriculation et plaques d’immatriculation qui ont été volés, détournés, égarés ou invalidés, intégrées dans le système d’information Schengen, créé conformément aux dispositions du titre IV de ladite convention.

46      Enfin, le Grand-Duché de Luxembourg a fait valoir lors de l’audience que la pratique litigieuse était inspirée également par le besoin d’assurer la protection des consommateurs, que sont les acquéreurs de véhicules, contre d’éventuelles actions en restitution dans l’hypothèse de l’achat d’un véhicule volé. Cependant, ainsi qu’il ressort des points 40 et 41 du présent arrêt, il convient de constater que la pratique litigieuse a principalement pour but de protéger la SNCT.

47      En tout état de cause, s’il est vrai que la protection des consommateurs peut justifier dans certains cas une entrave au commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon», 120/78, Rec. p. 649, point 8, et du 12 octobre 2000, Ruwet, C‑3/99, Rec. p. I‑8749, point 50), le Grand-Duché de Luxembourg ne démontre pas pourquoi la pratique litigieuse serait nécessaire pour atteindre cet objectif ni en quoi elle serait proportionnée à cet égard.

48      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que, en exigeant, par la pratique litigieuse, aux fins de l’immatriculation au Luxembourg des véhicules, la présentation d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant, abstraction faite des commerçants qui figurent dans le registre de la SNCT, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

 Sur les dépens

49      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En exigeant, par la pratique litigieuse, aux fins de l’immatriculation au Luxembourg des véhicules, la présentation d’un extrait du registre du commerce ou d’un document équivalent attestant l’inscription du vendeur du véhicule en qualité de commerçant, abstraction faite des commerçants qui figurent dans le registre de la Société Nationale de Contrôle Technique, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

2)      Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.