ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 novembre 2008 ( *1 )

«Libre circulation des personnes — Étudiant ressortissant d’un État membre venu dans un autre État membre pour y suivre une formation — Bourse d’entretien aux étudiants — Citoyenneté de l’Union — Article 12 CE — Sécurité juridique»

Dans l’affaire C-158/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas), par décision du 16 mars 2007, parvenue à la Cour le 22 mars 2007, dans la procédure

Jacqueline Förster

contre

Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et T. von Danwitz, présidents de chambre, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, A. Arabadjiev, Mme C. Toader et M. J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2008,

considérant les observations présentées:

pour Mme Förster, par Me A. Noordhuis, advocaat,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. de Mol, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

pour le gouvernement danois, par Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

pour le gouvernement finlandais, par Mme J. Himmanen, en qualité d’agent,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk et S. Johannesson, en qualité d’agents,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme T. Harris, en qualité d’agent, assistée par Mme S. Lee, barrister,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Rozet et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2008,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12 CE, 18 CE, 7 du règlement (CEE) no 1251/70 de la Commission, du 29 juin 1970, relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un État membre après y avoir occupé un emploi (JO L 142, p. 24), ainsi que 3 de la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Förster à l’hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep (ci-après l’«IB-Groep») au sujet de l’annulation partielle d’une bourse d’entretien dont elle avait bénéficié au titre de la loi de 2000 relative aux bourses d’études (Wet studiefinanciering 2000, ci-après la «WSF 2000»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

L’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), tel que modifié par le règlement (CEE) no 2434/92 du Conseil, du 27 juillet 1992 (JO L 245, p. 1, ci-après le «règlement no 1612/68»), dispose que le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie sur le territoire des autres États membres «des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux».

4

L’article 2 du règlement no 1251/70 prévoit notamment:

«1.   A le droit de demeurer à titre permanent sur le territoire d’un État membre:

a)

le travailleur qui, au moment où il cesse son activité, a atteint l’âge prévu par la législation de cet État pour faire valoir des droits à une pension de vieillesse et qui y a occupé un emploi pendant les 12 derniers mois au moins et y a résidé d’une façon continue depuis plus de 3 ans;

b)

le travailleur qui, résidant d’une façon continue sur le territoire de cet État depuis plus de 2 ans, cesse d’y occuper un emploi salarié à la suite d’une incapacité permanente de travail;

[…]

c)

le travailleur qui, après 3 ans d’emploi et de résidence continus sur le territoire de cet État, occupe un emploi de salarié sur le territoire d’un autre État membre, tout en gardant sa résidence sur le territoire du premier État où il retourne, en principe, chaque jour ou au moins une fois par semaine.

[…]»

5

Aux termes de l’article 7 du règlement no 1251/70:

«Le droit à l’égalité de traitement, reconnu par le règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, est maintenu en faveur des bénéficiaires du présent règlement.»

6

La directive 93/96 prévoit à son article 1er:

«Afin de préciser les conditions destinées à faciliter l’exercice du droit de séjour et en vue de garantir l’accès à la formation professionnelle, de manière non discriminatoire, au bénéfice d’un ressortissant d’un État membre qui a été admis à suivre une formation professionnelle dans un autre État membre, les États membres reconnaissent le droit de séjour à tout étudiant ressortissant d’un État membre qui ne dispose pas de ce droit sur la base d’une autre disposition du droit communautaire, ainsi qu’à son conjoint et à leurs enfants à charge et qui, par déclaration ou, au choix de l’étudiant, par tout autre moyen au moins équivalent, assure à l’autorité nationale concernée disposer de ressources afin d’éviter qu’ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l’assistance sociale de l’État membre d’accueil, à condition qu’il soit inscrit dans un établissement agréé pour y suivre, à titre principal, une formation professionnelle et qu’il dispose d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques dans l’État membre d’accueil.»

7

L’article 3 de la directive 93/96 énonce:

«La présente directive ne constitue pas le fondement d’un droit au paiement, par l’État membre d’accueil, de bourses d’entretien aux étudiants bénéficiant du droit de séjour.»

8

La directive 93/96 a été abrogée, avec effet au 30 avril 2006, par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 (JO L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35), laquelle devait, en vertu de son article 40, être transposée par les États membres avant le 30 avril 2006.

La réglementation nationale

9

Du 1er septembre 2000 au 21 novembre 2003, l’article 2.2 de la WSF 2000 était libellé comme suit:

«1.   Peut bénéficier d’une bourse d’études l’étudiant qui:

a.

possède la nationalité néerlandaise;

b.

ne possède pas la nationalité néerlandaise mais réside aux Pays-Bas et est assimilé à un ressortissant néerlandais en matière de bourses d’études en vertu d’un traité ou d’une décision d’une organisation internationale, ou

c.

ne possède pas la nationalité néerlandaise mais réside aux Pays-Bas et appartient à un groupe de personnes assimilées aux ressortissants néerlandais en matière de bourses d’études visé par une mesure générale d’administration.»

10

À compter du 21 novembre 2003, un second paragraphe a été ajouté à l’article 2.2 de la WSF 2000. Il s’énonce comme suit:

«Par dérogation au paragraphe 1, sous b), la condition exigeant que l’étudiant réside aux Pays-Bas ne vaut pas pour un étudiant auquel cette condition ne peut être imposée en vertu d’un traité ou d’une décision d’une organisation internationale. Des règles peuvent être adoptées par ou en vertu d’une mesure générale d’administration en vue d’assurer la bonne exécution du présent paragraphe.»

11

Le 4 mars 2005, l’IB-Groep a adopté la ligne directrice concernant la politique de contrôle des travailleurs migrants (Beleidsregel controlebeleid migrerend werknemerschap, AG/OCW/MT 05.11). Cette ligne directrice est entrée en vigueur le 23 mars 2005 et concerne le contrôle des périodes pour lesquelles des bourses d’entretien sont accordées à partir de l’année civile 2003. Il y est prévu que tout étudiant qui, durant la période soumise au contrôle, a travaillé 32 heures ou plus en moyenne par mois acquiert automatiquement le statut de travailleur communautaire. Si un étudiant ne satisfait pas audit critère des 32 heures de travail, l’IB-Groep effectue alors une enquête plus approfondie sur la situation personnelle de cet étudiant.

12

À la suite de l’arrêt du 15 mars 2005, Bidar (C-209/03, Rec. p. I-2119), l’IB-Groep a adopté, le 9 mai 2005, la ligne directrice concernant l’adaptation des demandes de bourses d’études pour les étudiants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et de la Suisse (Beleidsregel aanpassing aanvraag studiefinanciering voor studenten uit EU, EER en Zwitserland, ci-après la «ligne directrice du 9 mai 2005»), qui a été publiée le 18 mai 2005.

13

L’article 2, paragraphe 1, de cette ligne directrice dispose:

«Un étudiant ayant la nationalité de l’un des États membres de l’Union européenne […] peut, à sa demande, bénéficier d’une bourse d’études au titre de la WSF 2000 […], si, antérieurement à sa demande, il a séjourné légalement aux Pays-Bas pendant une période ininterrompue d’au moins cinq ans. Les autres dispositions de la WSF 2000 […] sont intégralement applicables.»

14

L’article 5 de la ligne directrice du 9 mai 2005 est libellé comme suit:

«La présente ligne directrice entre en vigueur dès le moment de sa publication et rétroagit au 15 mars 2005.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

Le 5 mars 2000, à l’âge de 20 ans, Mme Förster, ressortissante allemande, s’est établie aux Pays-Bas, où elle s’est inscrite à une formation d’institutrice et, à partir du 1er septembre 2001, à un baccalauréat en pédagogie à la Hogeschool van Amsterdam.

16

Pendant ses études, Mme Förster a exercé plusieurs activités salariées.

17

Du mois d’octobre 2002 à celui de juin 2003, Mme Förster a effectué un stage rémunéré dans une école néerlandaise d’enseignement spécial dispensant une formation continue à des élèves ayant des problèmes de comportement et/ou souffrant de troubles psychiatriques.

18

Après ce stage, Mme Förster a interrompu toute activité salariée.

19

Ayant réussi, au milieu de l’année 2004, l’examen final du baccalauréat en pédagogie, Mme Förster a accepté, le 15 juin de cette année, un emploi de travailleur social dans une institution accueillant des personnes souffrant de troubles psychiatriques.

20

À partir du mois de septembre 2000, l’IB-Groep a accordé à Mme Förster une bourse d’entretien. Cette bourse a été périodiquement prolongée par l’IB-Groep. Celui-ci estimait que Mme Förster devait être considérée comme un «travailleur» au sens de l’article 39 CE et, partant, devait être assimilée, en matière de bourses d’entretien et en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, à un étudiant de nationalité néerlandaise.

21

Lors d’un contrôle, l’IB-Groep a constaté que, entre le mois de juillet 2003 et le mois de décembre de la même année, Mme Förster n’avait pas effectué de travail rémunéré. Il a alors, par décision du 3 mars 2005, estimé qu’elle ne pouvait plus être considérée comme un travailleur. En conséquence, la décision concernant la bourse d’entretien accordée pour la période allant du mois de juillet 2003 à celui de décembre 2003 a été annulée et Mme Förster a été invitée à rembourser les sommes indues.

22

Par jugement du 12 septembre 2005, le recours formé par Mme Förster devant le Rechtbank Alkmaar a été déclaré non fondé pour deux motifs. D’une part, ce tribunal a considéré que Mme Förster, n’ayant pas effectué un travail réel et effectif au cours du second semestre de l’année 2003, ne pouvait plus être considérée comme un travailleur communautaire durant cette période. D’autre part, ce même tribunal a estimé que Mme Förster ne pouvait prétendre au bénéfice d’une bourse d’entretien au titre de l’arrêt Bidar, précité, parce que, avant sa formation de bachelier en pédagogie, elle n’était nullement intégrée dans la société néerlandaise.

23

Mme Förster a interjeté appel de ce jugement devant le Centrale Raad van Beroep, en soutenant, à titre principal, que, durant la période en cause, elle était déjà suffisamment intégrée dans la société néerlandaise pour pouvoir, en vertu du droit communautaire, prétendre à une bourse d’entretien pour le second semestre de l’année 2003. À titre subsidiaire, Mme Förster a fait valoir qu’elle devait être considérée comme un travailleur communautaire durant toute l’année 2003.

24

Dans ces conditions, le Centrale Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 7 du règlement (CEE) no 1251/70 vise-t-il aussi l’étudiant qui est venu aux Pays-Bas principalement pour y accomplir des études et qui a initialement exercé des activités de portée limitée en parallèle avec ses études mais a entre-temps interrompu ces activités?

2)

La directive 93/96/CEE fait-elle obstacle à ce que l’étudiant visé par la première question invoque fructueusement l’article 12 CE en vue d’obtenir une bourse d’[entretien]?

3)

a)

La règle selon laquelle un citoyen de l’Union économiquement non actif peut invoquer l’article 12 CE dès lors seulement qu’il a séjourné légalement dans le pays d’accueil pendant une certaine période ou qu’il dispose d’un titre de séjour s’applique-t-elle aussi à l’aide accordée aux étudiants en vue de couvrir leurs frais d’entretien?

b)

Dans l’affirmative, est-il légitime que, durant cette période, une condition de durée de séjour soit opposée exclusivement aux ressortissants d’États membres autres que le pays d’accueil?

c)

Dans l’affirmative, l’application d’une condition exigeant un séjour d’une durée de cinq ans est-elle conforme à l’article 12 CE?

d)

Dans la négative, quelle condition de durée de séjour est légitime?

4)

Y a-t-il lieu de retenir une période de séjour légal plus brève dans des cas individuels si d’autres facteurs que la durée du séjour révèlent l’existence d’un degré élevé d’intégration dans la société du pays d’accueil?

5)

Si, en vertu d’un arrêt de la Cour de justice, les intéressés peuvent puiser avec effet rétroactif dans l’article 12 CE des droits plus importants que ceux admis auparavant, peut-on leur opposer des conditions légitimes liées à ces droits concernant des périodes passées si ces conditions ont fait l’objet d’une publication peu de temps après que cet arrêt a été rendu?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

25

Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si un étudiant se trouvant dans la situation de la requérante au principal peut se fonder sur l’article 7 du règlement no 1251/70 afin d’obtenir une bourse d’entretien.

26

Le règlement no 1251/70 assure au travailleur ayant cessé son activité professionnelle le droit de demeurer à titre permanent sur le territoire d’un État membre après y avoir été occupé en tant que travailleur salarié et celui de continuer à y bénéficier du droit à l’égalité de traitement par rapport aux nationaux reconnu par le règlement no 1612/68. Ces droits sont étendus aux membres de la famille du travailleur qui résident avec lui sur le territoire de ce même État membre.

27

Les conditions d’ouverture du droit pour le travailleur de demeurer dans l’État membre d’accueil sont limitativement énoncées à l’article 2 du règlement no 1251/70 (voir arrêt du 9 janvier 2003, Givane e.a., C-257/00, Rec. p. I-345, point 29).

28

Outre le respect de conditions liées à la durée tant de l’activité salariée exercée que de la résidence, le travailleur qui a occupé un emploi dans un État membre d’accueil a le droit d’y demeurer dans trois hypothèses. Premièrement, si ce travailleur, au moment où il cesse son activité, a atteint l’âge prévu dans cet État membre pour prétendre à une pension de vieillesse. Deuxièmement, si la cessation de l’emploi est due à une incapacité permanente de travail. Troisièmement, si ce travailleur occupe un emploi salarié dans un autre État membre, tout en gardant sa résidence sur le territoire du premier État où il retourne, en principe, chaque jour ou à tout le moins une fois par semaine.

29

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la situation de la requérante au principal ne relève d’aucune des hypothèses prévues à l’article 2 du règlement no 1251/70.

30

Il convient d’ajouter que Mme Förster a interrompu toute activité professionnelle durant la période litigieuse afin de poursuivre ses études, sans pour autant avoir mis un terme à son projet de vie professionnelle aux Pays-Bas, où elle a gardé sa résidence.

31

Dans ces conditions, Mme Förster ne peut être considérée comme une «[ressortissante] d’un État membre qui [a] été [occupée] en tant que [travailleur salarié] sur le territoire d’un autre État membre», au sens de l’article 1er du règlement no 1251/70.

32

Le règlement no 1251/70 n’est donc pas applicable en l’espèce.

33

Dès lors, il convient de répondre à la première question qu’un étudiant se trouvant dans la situation de la requérante au principal ne peut pas se fonder sur l’article 7 du règlement no 1251/70 afin d’obtenir une bourse d’entretien.

Sur les deuxième à quatrième questions

34

Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si, et sous quelles conditions, un étudiant ressortissant d’un État membre qui s’est rendu dans un autre État membre pour y accomplir ses études peut invoquer l’article 12, premier alinéa, CE en vue d’obtenir une bourse d’entretien. La juridiction de renvoi demande également si l’application à l’égard des ressortissants d’autres États membres d’une condition de résidence préalable de cinq ans peut être considérée comme compatible avec ledit article 12, premier alinéa, et, dans l’affirmative, s’il y a lieu, dans des cas particuliers, de retenir d’autres critères révélant l’existence d’un degré élevé d’intégration dans l’État membre d’accueil.

35

L’article 12, premier alinéa, CE interdit, dans le domaine d’application du traité CE et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, toute discrimination en raison de la nationalité.

36

Selon une jurisprudence constante, un citoyen de l’Union qui réside légalement sur le territoire de l’État membre d’accueil peut se prévaloir de l’article 12 CE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire (arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala, C-85/96, Rec. p. I-2691, point 63, et Bidar, précité, point 32).

37

Ces situations comprennent, notamment, celles relevant de l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité et celles relevant de l’exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 18 CE (voir arrêts du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, Rec. p. I-11613, point 24, et du 12 juillet 2005, Schempp, C-403/03, Rec. p. I-6421, point 18).

38

À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’un ressortissant d’un État membre qui se rend dans un autre État membre où il suit des études secondaires fait usage de la liberté de circuler garantie par l’article 18 CE (voir arrêts du 11 juillet 2002, D’Hoop, C-224/98, Rec. p. I-6191, points 29 à 34, et Bidar, précité, point 35).

39

En ce qui concerne les prestations d’assistance sociale, la Cour a jugé qu’un citoyen de l’Union économiquement non actif peut invoquer l’article 12, premier alinéa, CE dès lors qu’il a séjourné légalement dans l’État membre d’accueil pendant une certaine période (arrêt Bidar, précité, point 37).

40

Un étudiant qui se rend dans un autre État membre pour y entamer ou y poursuivre ses études peut bénéficier d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 18 CE et de la directive 93/96 lorsqu’il remplit les conditions prévues à l’article 1er de celle-ci quant à la disponibilité de ressources suffisantes et d’une assurance maladie et quant à l’inscription dans un établissement agréé pour y suivre, à titre principal, une formation professionnelle.

41

La situation d’un étudiant qui séjourne légalement dans un autre État membre entre ainsi dans le champ d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE en vue de l’obtention d’une bourse d’entretien (voir arrêt Bidar, précité, point 42).

42

Il est vrai que, selon l’article 3 de la directive 93/96, celle-ci ne constitue pas le fondement d’un droit au paiement, par l’État membre d’accueil, de bourses d’entretien aux étudiants bénéficiant du droit de séjour.

43

Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce qu’un ressortissant d’un État membre qui, en vertu de l’article 18 CE et des dispositions adoptées pour mettre en œuvre cet article, séjourne légalement sur le territoire d’un autre État membre où il envisage d’entamer ou de poursuivre ses études invoque, pendant ce séjour, le principe fondamental d’égalité de traitement consacré à l’article 12, premier alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt Bidar, précité, point 46).

44

À cet effet, la circonstance que Mme Förster soit venue aux Pays-Bas principalement pour y accomplir ses études est sans incidence.

45

En outre, selon la ligne directrice du 9 mai 2005, un étudiant ayant la nationalité d’un État membre de l’Union peut bénéficier d’une bourse d’entretien si, antérieurement à sa demande, il a séjourné légalement aux Pays-Bas pendant une période ininterrompue d’au moins cinq ans. Cette condition relative à la durée du séjour n’étant pas opposable aux étudiants de nationalité néerlandaise, se pose la question de savoir à quelles limites peut être soumis le droit des étudiants ressortissants des autres États membres à une bourse d’entretien afin que le traitement différencié de ces derniers étudiants par rapport aux étudiants nationaux qui peut en découler ne puisse pas être considéré comme discriminatoire et, partant, interdit par l’article 12, premier alinéa, CE.

46

Cette question a été appréciée par la Cour dans l’arrêt Bidar, précité.

47

À la différence de la présente affaire, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bidar, précité, concernait une réglementation nationale qui, outre le respect d’une condition de résidence, imposait aux étudiants provenant d’autres États membres prétendant à une aide visant à couvrir leurs frais d’entretien qu’ils soient établis dans l’État membre d’accueil. Dans la mesure où la réglementation en cause au principal, dans ledit arrêt, excluait toute possibilité pour un ressortissant d’un autre État membre d’obtenir, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie, cette réglementation plaçait un tel ressortissant, quel que soit son degré d’intégration réelle dans la société de l’État membre d’accueil, dans l’impossibilité de remplir ladite condition et, par conséquent, de bénéficier du droit à l’aide couvrant ses frais d’entretien.

48

Dans l’arrêt Bidar, précité, la Cour a relevé que, bien que les États membres soient appelés à faire preuve, dans l’organisation et l’application de leur système d’assistance sociale, d’une certaine solidarité financière avec les ressortissants d’autres États membres, il est loisible à tout État membre de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (voir arrêt Bidar, précité, point 56).

49

La Cour a également souligné qu’il est légitime pour un État membre de n’octroyer une aide couvrant les frais d’entretien des étudiants qu’à ceux qui ont démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État (arrêt Bidar, précité, point 57).

50

Sur la base de ces considérations, la Cour a conclu que l’existence d’un certain degré d’intégration peut être considérée comme établie par la constatation selon laquelle l’étudiant en cause a, pendant une certaine période, séjourné dans l’État membre d’accueil (arrêt Bidar, précité, point 59).

51

S’agissant plus particulièrement de la compatibilité avec le droit communautaire d’une condition de résidence ininterrompue d’une durée de cinq ans, telle que celle requise par la réglementation nationale en cause au principal, il convient d’examiner si une telle condition peut être justifiée par le but, pour l’État membre d’accueil, de s’assurer de l’existence d’un certain degré d’intégration sur son territoire des étudiants ressortissants des autres États membres.

52

En l’occurrence, une telle condition de résidence ininterrompue d’une durée de cinq ans est apte à garantir que le demandeur de la bourse d’entretien en cause est intégré dans l’État membre d’accueil.

53

Sa justification au regard du droit communautaire exige encore qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. Elle ne saurait aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

54

Une condition de résidence ininterrompue d’une durée de cinq ans ne peut pas être considérée comme excessive compte tenu, notamment, des exigences invoquées à l’égard du degré d’intégration des non-nationaux dans l’État membre d’accueil.

55

À cet égard, il convient de rappeler que, bien que la directive 2004/38 ne soit pas applicable aux faits au principal, elle dispose, à son article 24, paragraphe 2, s’agissant de personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes conservant ce statut ou les membres de leur famille, qu’un État membre d’accueil n’est pas tenu d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, aux étudiants n’ayant pas acquis un droit de séjour permanent, tout en prévoyant, à son article 16, paragraphe 1, que les citoyens de l’Union acquièrent un droit de séjour permanent sur le territoire d’un État membre d’accueil où ils ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans.

56

La Cour a également précisé que, pour être proportionnée, une condition de résidence doit être appliquée par les autorités nationales sur la base de critères clairs et connus à l’avance (voir arrêt du 23 mars 2004, Collins, C-138/02, Rec. p. I-2703, point 72).

57

En permettant aux intéressés de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations, la condition de résidence établie par la ligne directrice du 9 mai 2005 est, par son existence même, de nature à garantir un niveau élevé de sécurité juridique et de transparence dans le cadre de l’octroi de bourses d’entretien aux étudiants.

58

Il importe ainsi de constater que la condition de résidence d’une durée de cinq ans, telle que celle prévue dans la réglementation nationale en cause au principal, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à assurer un certain degré d’intégration dans l’État membre d’accueil des étudiants provenant d’autres États membres.

59

Cette constatation n’affecte pas la faculté des États membres d’octroyer, s’ils le souhaitent, des bourses d’entretien aux étudiants provenant d’autres États membres qui ne remplissent pas la condition de résidence d’une durée de cinq ans.

60

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions qu’un étudiant ressortissant d’un État membre qui s’est rendu dans un autre État membre pour y accomplir ses études peut invoquer l’article 12, premier alinéa, CE en vue d’obtenir une bourse d’entretien dès lors qu’il a séjourné pendant une certaine période dans l’État membre d’accueil. L’article 12, premier alinéa, CE ne s’oppose pas à l’application, à l’égard des ressortissants d’autres États membres, d’une condition de résidence préalable de cinq ans.

Sur la cinquième question

61

Par cette question, le Centrale Raad van Beroep demande en substance si le droit communautaire, en particulier le principe de sécurité juridique, s’oppose à l’application rétroactive d’une condition de résidence qui, à l’époque des faits au principal, ne pouvait pas être connue par l’intéressée.

62

À cet égard, il convient de rappeler que la ligne directrice du 9 mai 2005 est entrée en vigueur au moment de sa publication, avec effet rétroactif à compter du 15 mars 2005, c’est-à-dire à une date postérieure à celle des faits au principal.

63

La juridiction de renvoi estime néanmoins que la ligne directrice du 9 mai 2005 est pertinente pour résoudre le litige au principal, étant donné qu’elle reflète la manière dont l’IB-Groep a décidé de mettre en œuvre l’arrêt Bidar, précité, et que les effets de cet arrêt n’ont pas été limités dans le temps.

64

La juridiction de renvoi expose que son doute sur ce point provient de la solution dégagée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Collins, précité, en ce que la Cour a estimé, dans cet arrêt, qu’une condition de résidence ne saurait être opposée à un demandeur d’une aide sociale que si ce dernier pouvait déjà être informé de l’existence de cette condition au cours de la période de référence.

65

En effet, ainsi que cela ressort du point 56 du présent arrêt, dans l’arrêt Collins, précité, la Cour a dit pour droit que, pour être proportionnée, une condition de résidence doit être appliquée par les autorités nationales sur la base de critères clairs et connus à l’avance.

66

En vue de répondre à la question, il y a lieu de rappeler que les effets de l’arrêt Bidar, précité, n’ayant pas été limités dans le temps, l’interprétation de l’article 12 CE, telle qu’elle résulte de cet arrêt, peut et doit être appliquée par les juridictions nationales à des rapports juridiques nés et constitués avant ledit arrêt, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite disposition se trouvent réunies (voir, en ce sens, arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 16, et Bidar, précité, point 66).

67

Selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten, C-143/93, Rec. p. I-431, point 27, et du 17 juillet 2008, ASM Brescia, C-347/06, Rec. p. I-5641, point 69).

68

Il résulte du dossier que la condition de résidence prévue par la ligne directrice du 9 mai 2005 a été introduite pour assurer la transition entre l’arrêt Bidar, précité, et la transposition de la directive 2004/38. Une telle option aurait été retenue afin de satisfaire aux exigences des articles 24, paragraphe 2, et 16 de cette directive.

69

Il apparaît ainsi que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la soumission du droit des étudiants provenant d’autres États membres à une bourse d’entretien à une condition de résidence en tant qu’élément constitutif de ce droit ne comporte pas de conséquences négatives pour les intéressés.

70

De même, étant donné que la ligne directrice du 9 mai 2005 implique pour les intéressés des droits plus importants que ceux qu’ils tiraient du régime national antérieur, l’exigence établie dans l’arrêt Collins, précité, ne trouve pas à s’appliquer dans le cas d’espèce.

71

Il convient, dès lors, de répondre à la question posée que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le droit communautaire, en particulier le principe de sécurité juridique, ne s’oppose pas à l’application d’une condition de résidence qui soumet le droit des étudiants provenant d’autres États membres à une bourse d’entretien à l’accomplissement de périodes de résidence qui sont antérieures à l’introduction de cette condition.

Sur les dépens

72

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

Un étudiant se trouvant dans la situation de la requérante au principal ne peut pas se fonder sur l’article 7 du règlement (CEE) no 1251/70 de la Commission, du 29 juin 1970, relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un État membre après y avoir occupé un emploi, afin d’obtenir une bourse d’entretien.

 

2)

Un étudiant ressortissant d’un État membre qui s’est rendu dans un autre État membre pour y accomplir ses études peut invoquer l’article 12, premier alinéa, CE en vue d’obtenir une bourse d’entretien dès lors qu’il a séjourné pendant une certaine période dans l’État membre d’accueil. L’article 12, premier alinéa, CE ne s’oppose pas à l’application, à l’égard des ressortissants d’autres États membres, d’une condition de résidence préalable de cinq ans.

 

3)

Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le droit communautaire, en particulier le principe de sécurité juridique, ne s’oppose pas à l’application d’une condition de résidence qui soumet le droit des étudiants provenant d’autres États membres à une bourse d’entretien à l’accomplissement de périodes de résidence qui sont antérieures à l’introduction de cette condition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.