Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif
Dans l’affaire C‑124/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 9 février 2007, parvenue à la Cour le 2 mars 2007, dans la procédure
J.C.M. Beheer BV
contre
Staatssecretaris van Financiën,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,
avocat général: M me E. Sharpston,
greffier: M me M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 janvier 2008,
considérant les observations présentées:
– pour le gouvernement néerlandais, par M mes C. Wissels et M. de Mol, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M me Z. Bryanston-Cross et M. P. Harris, en qualité d’agents,
– pour Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal, A. Weimar et W. Roels, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant J.C.M. Beheer BV, société de droit néerlandais, au Staatssecretaris van Financiën au sujet d’un redressement de taxe sur le chiffre d’affaires dont elle a fait l’objet, pour la période du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 1998, d’un montant de 55 561 NLG (25 244 euros).
Le cadre juridique
La sixième directive
3. En vertu de l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.
4. L’article 13 de la sixième directive, intitulé «Exonérations à l’intérieur du pays», prévoit:
«[…]
B. Autres exonérations
Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
a) les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance;
[...]»
La législation nationale
5. L’article 1 er de la loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting 1968, ci-après la «Wet OB 1968»), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit:
«Une taxe dénommée ‘taxe sur le chiffre d’affaires’ est perçue sur:
a. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées aux Pays-Bas par des opérateurs dans le cadre de leur entreprise;
[…]»
6. Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, sous k), de la Wet OB 1968, qui transpose l’article 13, B, sous a), de la sixième directive dans l’ordre juridique néerlandais:
«1. Sous réserve de conditions qui doivent être fixées par arrêté, sont exonérés de la taxe:
[…]
k. les assurances et les services fournis par les intermédiaires d’assurance;
[…]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
7. La requérante au principal agit en tant que sous-agent de VDL Polisassuradeuren BV (ci-après «VDL»), qui est une société de droit néerlandais exerçant elle-même les fonctions de courtier et intermédiaire d’assurance.
8. VDL intervient, d’une part, en tant qu’intermédiaire lors de la conclusion de contrats d’assurance et, d’autre part, en tant qu’«agent mandaté» pour certaines compagnies d’assurances. À ce titre, VDL conclut des contrats d’assurance de manière autonome au nom de ces dernières.
9. Les activités qu’effectue la requérante au principal au nom et pour le compte de VDL concernent la conclusion de contrats d’assurance, le traitement de transferts de polices d’assurance, l’émission de telles polices, le règlement de commissions, la fourniture d’informations à la compagnie d’assurances et aux titulaires de polices d’assurance. En outre, elle propose et conclut, de sa propre initiative et de manière indépendante, de nouvelles assurances.
10. Au terme de la convention liant VDL et la requérante au principal, cette dernière perçoit de VDL, pour les prestations qu’elle lui fournit, une rémunération égale à 80 % de la commission versée à cette dernière société pour la conclusion d’un contrat d’assurance. En cas de résiliation de celui-ci, elle est tenue de rembourser la partie de la rémunération qui lui a été versée au prorata de la période restant à courir jusqu’à l’échéance du contrat.
11. Pour la période allant du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 1998, la requérante au principal s’est vu imposer un redressement de taxe sur le chiffre d’affaires d’un montant de 55 561 NLG (25 244 euros).
12. À la suite d’une réclamation infructueuse et du rejet de l’appel qu’elle avait interjeté devant le Gerechtshof te ‘s-Hertogenbosch, au motif qu’elle ne pouvait invoquer l’exonération prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous k), de la Wet OB 1968, la requérante au principal s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi.
13. Estimant que la solution du litige dont il est saisi nécessite une interprétation du droit communautaire, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«La disposition de l’article 13, B, phrase introductive et sous a), de la sixième directive s’applique-t-elle aux activités d’une personne (morale) qui exerce des activités caractéristiques et essentielles d’un courtier ou d’un intermédiaire d’assurance, dans le cadre desquelles elle intervient au nom d’un autre courtier ou intermédiaire d’assurance en vue de la conclusion de contrats d’assurance?»
Sur la question préjudicielle
14. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (arrêts du 20 novembre 2003, Taksatorringen, C‑8/01, Rec. p. I‑13711, point 36; du 3 mars 2005, Arthur Andersen, C‑472/03, Rec. p. I‑1719, point 24, et du 21 juin 2007, Ludwig, C‑453/05, Rec. p. I‑5083, point 21).
15. Il est également de jurisprudence constante que lesdites exonérations constituent des notions autonomes du droit communautaire qui ont pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre et qui doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA (arrêts du 8 mars 2001, Skandia, C‑240/99, Rec. p. I‑1951, point 23; Arthur Andersen, précité, point 25, et Ludwig, précité, point 22).
16. Pour répondre utilement à la question préjudicielle, il y a lieu de déterminer si, nonobstant le fait que la requérante au principal n’entretient qu’un rapport indirect avec l’une des parties à un contrat d’assurance à la conclusion duquel elle contribue, par l’entremise d’un autre assujetti lui-même en relation directe avec cette partie et auquel ladite requérante est liée contractuellement, les prestations qu’elle fournit à cette fin relèvent néanmoins des prestations de services afférentes aux opérations d’assurance et de réassurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.
17. En premier lieu, il convient de rappeler qu’il a déjà été jugé que la reconnaissance de la qualité de courtier ou d’intermédiaire d’assurance dépend du contenu des activités en cause (voir, en ce sens, arrêt Arthur Andersen, précité, point 32).
18. À cet égard, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi la nature des activités exercées par la requérante au principal, telles que décrites au point 9 du présent arrêt, est incontestablement caractéristique des activités d’un courtier ou d’un intermédiaire d’assurance.
19. En second lieu, concernant le rapport entre le courtier ou l’intermédiaire d’assurance avec les parties à un contrat d’assurance à la conclusion duquel il a contribué, force est de constater que ni la sixième directive ni la directive 77/92/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, relative à des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services pour les activités d’agent et de courtier d’assurance (ex groupe 630 CITI) et comportant notamment des mesures transitoires pour ces activités (JO 1977, L 26, p. 14), ne contiennent une indication à cet égard.
20. La Cour a toutefois jugé, au point 44 de l’arrêt Taksatorringen, précité, auquel la juridiction nationale se réfère dans la décision de renvoi, que l’expression «prestations de services afférentes aux opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance», contenue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, vise uniquement les prestations effectuées par des professionnels qui sont en rapport à la fois avec l’assureur et l’assuré.
21. À cet égard, le gouvernement néerlandais souligne que la requérante au principal n’entretient aucun rapport avec les assureurs et agit pour le compte et au nom de VDL, qui est le courtier et l’intermédiaire d’assurance véritable. Ce gouvernement en déduit qu’elle ne saurait prétendre au bénéfice de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive pour les prestations qu’elle fournit en tant que courtier et intermédiaire d’assurance. C’est ce qui ressortirait plus particulièrement des points 44 et 33 respectivement des arrêts précités Taksatorringen et Arthur Andersen.
22. Cependant, la thèse du gouvernement néerlandais concernant le rapport que doit entretenir le sous-agent ainsi que le courtier et l’intermédiaire d’assurance avec les parties au contrat d’assurance ne saurait être accueillie.
23. En effet, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que, si la requérante au principal n’est pas liée formellement aux assureurs pour le compte desquels VDL intervient, elle entretient néanmoins un rapport indirect avec ces derniers. Ainsi, au moyen de la convention qui la lie à VDL, laquelle est elle-même impliquée dans une relation contractuelle avec les assureurs, la requérante au principal, agissant au nom et pour le compte de VDL, est indirectement liée à ceux-ci.
24. Or, il importe de souligner que la Cour, dans la jurisprudence sur laquelle le gouvernement néerlandais fonde son interprétation, n’a pas indiqué la nature du rapport qui lie l’intermédiaire ou le courtier d’assurance avec les parties au contrat d’assurance et, dès lors, elle n’a pas limité la nature de ce rapport à une forme spécifique.
25. Ainsi, si la Cour a considéré que l’activité des assujettis en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Taksatorringen et Arthur Andersen, de par sa nature, ne relevait pas des activités afférentes aux opérations d’assurance effectuées par un courtier ou un intermédiaire d’assurance, au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, néanmoins, elle ne s’est pas attachée à analyser le rapport entretenu par ces assujettis avec les assureurs et les assurés (voir, en ce sens, arrêts précités Taksatorringen, points 44 à 46, et Arthur Andersen, point 36).
26. Par conséquent, la requérante au principal ne saurait se voir refuser le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive pour la seule raison qu’elle n’entretient pas un rapport direct avec les assureurs, pour le compte desquels elle agit indirectement auprès des preneurs d’assurance, en tant que sous-agent de VDL.
27. D’autre part, le libellé de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive n’exclut pas, en principe, que l’activité de courtier et d’intermédiaire d’assurance se décompose en divers services distincts susceptibles de relever en tant que tels de la notion de «prestations de services afférentes [aux opérations d’assurance et de réassurance] effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance» [voir en ce sens, en ce qui concerne l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive, arrêt du 5 juin 1997, SDC, C‑2/95, Rec. p. I‑3017, point 64; en ce qui concerne l’article 13 B, sous d), point 6, de cette directive, arrêt du 4 mai 2006, Abbey National, C‑169/04, Rec. p. I‑4027, point 67, et, en ce qui concerne l’article 13, B, sous d), point 1, de cette même directive, arrêt Ludwig, précité, point 34].
28. Dans ces conditions, il résulte du principe de neutralité fiscale que les opérateurs doivent pouvoir choisir le modèle d’organisation qui, du point de vue strictement économique, leur convient le mieux, sans courir le risque de voir leurs opérations exclues de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive [voir en ce sens, en ce qui concerne l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive, arrêt Abbey National, précité, point 68, et, en ce qui concerne l’article 13, B, sous d), point 1, de cette même directive, arrêt Ludwig, précité, point 35].
29. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 13, B, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un courtier ou un intermédiaire d’assurance entretient non pas un rapport direct avec les parties au contrat d’assurance ou de réassurance à la conclusion duquel il contribue, mais seulement un rapport indirect avec ces dernières par l’entremise d’un autre assujetti, qui est lui-même en relation directe avec l’une de ces parties et auquel ce courtier ou cet intermédiaire d’assurance est lié contractuellement, ne s’oppose pas à ce que la prestation fournie par ce dernier soit exonérée de la TVA au titre de ladite disposition.
Sur les dépens
30. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d ’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
L’article 13, B, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un courtier ou un intermédiaire d’assurance entretient non pas un rapport direct avec les parties au contrat d’assurance ou de réassurance à la conclusion duquel il contribue, mais seulement un rapport indirect avec ces dernières par l’entremise d’un autre assujetti, qui est lui-même en relation directe avec l’une de ces parties et auquel ce courtier ou cet intermédiaire d’assurance est lié contractuellement, ne s’oppose pas à ce que la prestation fournie par ce dernier soit exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de ladite disposition.