CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentées le 16 décembre 2008 ( 1 )

Affaire C-300/07

Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik

contre

AOK Rheinland / Hamburg

«Directive 2004/18/CE — Marchés publics de fournitures et de services — Caisses publiques d’assurance maladie — Organismes de droit public — Pouvoirs adjudicateurs — Appel d’offres — Confection et fourniture de chaussures orthopédiques adaptées individuellement aux besoins des patients — Conseils détaillés prodigués aux patients»

1. 

Dans la présente demande de décision préjudicielle, la chambre d’appel en matière de passation des marchés publics de l’Obelandesgericht Düsseldorf (Allemagne) demande à la Cour d’interpréter la directive 2004/18/CE  ( 2 ) en ce qui concerne les caisses publiques allemandes d’assurance maladie. La juridiction de renvoi demande, en substance, si ces caisses sont des organismes de droit public et, par conséquent, des pouvoirs adjudicateurs, et comment il conviendrait de qualifier le marché en cause.

I — Cadre juridique

A — Droit communautaire

2.

L’article 1 er , paragraphe 9, de la directive 2004/18 dispose:

« Sont considérés comme ‘ pouvoirs adjudicateurs ’ : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.

Par ‘ organisme de droit public ’ , on entend tout organisme:

a)

créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial;

b)

doté de la personnalité juridique, et

c)

dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

Les listes, non exhaustives, des organismes et des catégories d’organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa, points a), b) et c), figurent à l’annexe III. Les États membres notifient périodiquement à la Commission les modifications intervenues dans leurs listes. »

3.

L’annexe III, partie III, de la directive mentionne notamment pour l’Allemagne sous la catégorie 1.1: « Sozialversicherungen (Krankenkassen, Unfall- und Rentenversicherungsträger) [assurances sociales (caisses de maladie, organismes d’assurance contre les accidents et d’assurance pension)] » .

4.

L’article 79 de la directive, intitulé « Modifications » , prévoit que « [l]a Commission peut modifier, conformément à la procédure visée à l’article 77, paragraphe 2 […] d) les listes des organismes et des catégories d’organismes de droit public visées à l’annexe III, lorsque, sur la base des notifications des États membres, celles-ci s’avèrent nécessaires » .

5.

L’article 1 er de la directive, intitulé « Définitions » , est libellé comme suit:

a)

Les ‘ marchés publics ’ sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive.

[…]

c)

Les ‘ marchés publics de fournitures ’ sont des marchés publics autres que ceux visés au point b) ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la location-vente, avec ou sans option d’achat, de produits.

[…]

d)

Les ‘ marchés publics de services ’ sont des marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l’annexe II.

Un marché public ayant pour objet à la fois des produits et des services visés à l’annexe II est considéré comme un ‘ marché public de services ’ lorsque la valeur des services en question dépasse celle des produits incorporés dans le marché.

[…]

4.    La ‘ concession de services ’ est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix.

5.    Un ‘ accord-cadre ’ est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées.

[…] »

6.

L’article 32, paragraphe 2, de la directive stipule que, « [a]ux fins de la conclusion d’un accord-cadre, les pouvoirs adjudicateurs suivent les règles de procédure visées par la présente directive […] » .

7.

Aux termes de l’article 21 de la directive, « [l]a passation des marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II B est soumise seulement à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4 » .

8.

La catégorie n o  25 de l’annexe II B a pour objet les « services sociaux et sanitaires » .

9.

L’article 22 de la directive établit que « [l]es marchés qui ont pour objet à la fois des services figurant à l’annexe II A et des services figurant à l’annexe II B sont passés conformément aux articles 23 à 55 lorsque la valeur des services figurant à l’annexe II A dépasse celle des services figurant à l’annexe II B. Dans les autres cas, le marché est passé conformément à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4 » .

10.

Enfin, l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 1999/44/CE  ( 3 ) prévoit que, « [a]ux fins de la présente directive, sont également réputés être des contrats de vente les contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer ou à produire » .

B — Droit national

11.

Le système public allemand de santé ainsi que l’organisation et le financement des fonds d’assurance maladie dans ce pays sont régis par les livres IV et V du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch, ci-après le « SGB » ). L’article 1 er , paragraphe 1, du SGB dispose que, en tant que communauté fondée sur le principe de solidarité, ces caisses ont pour tâche de sauvegarder, de rétablir et d’améliorer la santé des assurés.

12.

Les caisses publiques d’assurance maladie sont des organismes de droit public qui sont dotés de la personnalité juridique et d’un droit d’autogestion. Si les personnes assurées au titre du système obligatoire peuvent choisir une caisse publique de maladie, elles ne peuvent choisir entre une caisse publique et une caisse privée de maladie. Les caisses publiques sont financées au moyen 1) de cotisations des affiliés à titre obligatoire; 2) de versements directs de l’État fédéral et 3) de paiements compensatoires provenant, d’une part, du système financier de compensation, composé des différentes caisses publiques d’assurance maladie et, d’autre part, du mécanisme de compensation du risque structurel.

13.

Le montant des cotisations est uniquement fonction du revenu de l’assuré, à concurrence du plafond de calcul des cotisations. Les autres caractéristiques de l’assuré, telles que l’âge, les maladies antérieures, le nombre des personnes coassurées, ne jouent aucun rôle. En pratique, la part de l’assuré dans la cotisation est déduite de son salaire par son employeur, et la contribution — ainsi que la partie de la contribution à la charge de l’employeur — est alors payée à la caisse de maladie. Le paiement et le prélèvement des cotisations sont obligatoires en vertu des dispositions de droit public.

14.

Le taux de cotisation n’est pas fixé par l’État, mais par les caisses publiques d’assurance maladie. Celles-ci doivent calculer les taux de manière à ce que les cotisations, additionnées aux autres ressources, couvrent les dépenses prescrites par la loi et garantissent que les moyens d’exploitation et les réserves publiques soient disponibles. La fixation du taux de cotisation nécessite l’autorisation de l’autorité étatique de tutelle de chacune des caisses de maladie et le montant des cotisations est dans une certaine mesure imposé par la loi. Il doit être fixé de telle manière que les recettes qui en résultent ne soient ni inférieures ni supérieures aux dépenses. Les prestations à fournir étant, dans leur grande majorité, déterminées par la loi, la caisse de maladie concernée ne peut aucunement influer directement sur le montant de ces dépenses.

15.

Les différences de dépenses dues aux différences de structure des risques inhérents aux assurés sont largement atténuées par la péréquation des risques. Il existe également une certaine « obligation de solidarité » entre les caisses de maladie. De cette manière, l’État garantit indirectement l’exécution des obligations des diverses caisses de maladie. Celles-ci bénéficient d’un droit à l’autogestion et sont soumises au contrôle de l’État. Dans le secteur allemand de la santé, la tutelle ne se limite pas à un simple contrôle.

16.

Certaines mesures nécessitent l’autorisation des autorités de tutelle, telles la modification des statuts des caisses de maladie, la fixation du taux de cotisation, les opérations de construction et l’acquisition de terrains ou les développements informatiques. Les autorités de tutelle doivent vérifier la gestion commerciale, comptable et opérationnelle des caisses de maladie. L’autorité étatique de tutelle peut exiger la production de documents et la divulgation d’informations. Le budget prévisionnel de chaque caisse de maladie doit être soumis en temps utile à l’autorité étatique de tutelle.

17.

Étant donné que, dans le cadre du système en cause, l’assuré dispose, à travers la caisse de maladie, d’un droit, non pas au remboursement des frais, mais à l’accès gratuit aux services correspondants, selon un principe des « prestations en nature » , les caisses de maladie sont encouragées à conclure des accords de prise en charge multisectorielle ou interdisciplinaire avec différents prestataires. Ces « accords de prise en charge intégrale » sont conclus entre les caisses et divers prestataires susceptibles de fournir un traitement aux assurés. Ils définissent la contrepartie financière correspondant à différentes formules au titre de la prise en charge intégrale, qui sont censées rémunérer l’ensemble des prestations auxquelles les assurés peuvent recourir dans le cadre de la prise en charge. C’est la caisse de maladie qui est partie à l’accord de prise en charge intégrale et qui doit verser la rétribution due au prestataire. La participation des assurés aux différentes formules du système est optionnelle, mais, dès lors qu’un assuré a opté pour une telle formule, il est tenu de recourir aux services du prestataire avec lequel la caisse de maladie concernée a conclu un accord.

II — Faits et questions soumises à la Cour

18.

La défenderesse au principal, l’AOK Rheinland, une caisse publique de maladie qui a fusionné avec l’AOK Hamburg (ci-après l’ « AOK » ), a invité les cordonniers orthopédistes, par une annonce publiée en juin 2006 dans la revue Orthopädie-Schuhtechnik, à soumettre des offres en vue de la confection et de la fourniture de chaussures adaptées au syndrome du pied diabétique dans le cadre de la prise en charge intégrale au sens des articles 140 a et suivants du SGB V, pour la période du 1 er  septembre au 31 décembre 2006 . Les prestations à fournir étaient classées selon leur importance en différentes catégories tarifaires, pour lesquelles le soumissionnaire devait indiquer ses prix. Il était prévu, selon les « clauses contractuelles particulières » , que le patient muni d’une carte de l’assurance maladie et d’une ordonnance du médecin à cet effet s’adresserait directement au maître cordonnier orthopédiste qualifié, une déclaration de prise en charge de l’AOK étant superflue. La tâche du cocontractant consistait à fabriquer et à contrôler une chaussure orthopédique adaptée individuellement, des conseils détaillés devant être prodigués tant avant la prise des mesures qu’à la livraison et lors des contrôles obligatoires. Le paiement, à l’exception des suppléments dus par les patients, devait être effectué par l’AOK.

19.

Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik (ci-après « Oymanns » ), un établissement de cordonnerie orthopédique, a soumis une offre, à la suite de laquelle il a formé un recours pour infraction au droit de la passation des marchés. Ses griefs ont été rejetés par l’AOK au motif que les dispositions du droit des marchés publics n’étaient pas applicables. Oymanns a alors introduit un recours contre la passation d’un marché public et la chambre de recours saisie a rejeté le recours. Oymanns a alors interjeté appel de cette décision auprès de la juridiction de renvoi.

20.

L’Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

« 1)

a)

La condition du ‘ financement par l’État ’ figurant à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première branche de l’alternative, de la directive doit-elle être interprétée en ce sens que l’État ordonne l’affiliation, à une assurance maladie, ainsi que l’obligation d’acquitter les cotisations — dont le montant est fonction du revenu — à la caisse de maladie concernée, la caisse de maladie fixant le taux de cotisation, mais que les caisses de maladie sont liées entre elles par un système de financement solidaire exposé plus en détail dans les motifs, et que l’exécution des obligations de chaque caisse de maladie est garantie?

b)

La condition figurant à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), deuxième branche de l’alternative, de la directive, selon laquelle la ‘ gestion ’ de l’organisme ‘ est soumise à un contrôle par ces derniers ’ , doit-elle être interprétée en ce sens qu’une tutelle étatique, visant également les opérations encore en cours et à venir — à laquelle s’ajoutent éventuellement d’autres possibilités d’intervention de l’État exposées dans les motifs —, suffit pour que cette condition soit remplie?

2)

Dans l’hypothèse où la première question — sous a) ou sous b) — appelle une réponse affirmative, l’article 1 er , paragraphe 2, sous c) et d), de la directive doit-il être interprété en ce sens que la mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement quant à leur forme en fonction des exigences de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, doit être considérée comme ‘ marché de fournitures ’ , ou comme ‘ marché de services ’ ? Convient-il de ne tenir compte à cet égard que de la valeur des différentes prestations?

3)

Dans l’hypothèse où la mise à disposition mentionnée sous la deuxième question doit ou pourrait être considérée comme une ‘ prestation de services ’ , l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive doit-il être interprété — par opposition à un accord-cadre au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive — en ce sens qu’il y a lieu de considérer également comme une ‘ concession de services ’ une passation de marché telle que:

la décision sur le point de savoir si, et dans quels cas, des marchés spécifiques sont attribués à l’adjudicataire est prise, non par l’adjudicateur, mais par des tiers,

le paiement de l’adjudicataire est effectué par l’adjudicateur, car ce dernier est légalement le seul débiteur de la rétribution et est tenu envers les tiers à l’exécution de la prestation de services, et

l’adjudicataire n’est tenu de fournir ou d’offrir aucune prestation que ce soit jusqu’à ce que le tiers fasse appel à lui? »

21.

Oymanns, l’AOK et la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites. Les parties ont été entendues à l’audience du 19 juin 2008 .

III — Analyse

A — Première question

22.

Par sa première question, l’Oberlandesgericht Düsseldorf cherche à savoir, en substance, si les caisses d’assurance maladie sont des organismes de droit public au sens de la directive, puisque le débat porte, en Allemagne, sur la question de savoir si, bien qu’elles soient mentionnées à l’annexe III de la directive, les caisses publiques d’assurance maladie doivent réellement être considérées comme des organismes de droit public.

1. Principaux arguments des parties

23.

Oymanns, la demanderesse au principal, fait valoir que la circonstance que les caisses allemandes d’assurance maladie sont mentionnées à l’annexe III de la directive crée une présomption irréfragable, selon laquelle le législateur communautaire a estimé que ces caisses étaient des organismes de droit public. Oymanns fait essentiellement valoir que les caisses d’assurance maladie sont financées majoritairement par l’État et que celui-ci en contrôle la gestion.

24.

L’ AOK, défenderesse au principal, fait valoir que la liste de l’annexe III de la directive n’a qu’un caractère indicatif. Le financement par l’État doit, quant à lui, provenir directement de ressources publiques. Enfin, l’AOK soutient en substance que les autorités publiques n’exercent qu’un simple contrôle juridique.

25.

La Commission relève que les caisses d’assurance maladie sont expressément mentionnées à l’annexe III de la directive et elle estime, par conséquent, qu’elles devraient être qualifiées d’organismes de droit public. De plus, la Commission considère, en substance, que les caisses en question satisfont aux conditions qui président à cette qualification.

2. Appréciation

26.

En vertu de l’article 1 er , paragraphe 9, de la directive, afin d’établir que les caisses d’assurance maladie en cause dans la procédure au principal constituent des pouvoirs adjudicateurs, elles doivent remplir les conditions leur permettant d’être qualifiées d’organismes de droit public.

27.

À cet égard, comme l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer l’a fait observer dans l’affaire Bayerischer Rundfunk e.a.  ( 4 ) , « la jurisprudence constante de la Cour requiert que la notion communautaire autonome de ‘ pouvoir adjudicateur ’ soit interprétée de manière fonctionnelle[  ( 5 ) ] et large[  ( 6 )] , compte tenu de l’objectif d’éviter le risque qu’une préférence soit donnée aux soumissionnaires ou aux candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs et de la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’État se laisse guider par des considérations autres qu’économiques » ( 7 ) .

28.

Tout d’abord, les caisses allemandes publiques d’assurance maladie sont expressément mentionnées à l’annexe III de la directive. L’annexe en question contient une liste non exhaustive d’organismes de droit public des États membres, qui « satisfont aux critères visés à [l’article 1 er , paragraphe 9,] » de la directive.

29.

Il convient de noter que les États membres ne peuvent pas modifier unilatéralement l’annexe III de la directive. L’article 1 er , paragraphe 9, de la directive stipule que les États membres doivent notifier à la Commission les modifications intervenues dans leurs listes d’organismes de droit public. Il découle de l’article 79 de la directive  ( 8 ) que seule la Commission est investie du pouvoir de modifier « les listes des organismes et des catégories d’organismes de droit public visées à l’annexe III, lorsque, sur la base des notifications des États membres, celles-ci s’avèrent nécessaires » . Lorsqu’elle le fait, la Commission est tenue de suivre la procédure de comitologie. Il ressort du dossier soumis à la Cour que, jusqu’à présent, la procédure de comitologie  ( 9 ) n’a pas été mise en œuvre concernant les caisses allemandes d’assurance maladie.

30.

Au vu de ce qui précède, j’estime que le fait que les caisses allemandes d’assurance maladie soient mentionnées à l’annexe III de la directive fait naître une présomption, selon laquelle celles-ci devraient être considérées comme des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive  ( 10 ) . Si la liste figurant à l’annexe III n’est, par nature, pas exhaustive, le législateur communautaire a, en l’adoptant, mentionné certains organismes qu’il a estimé devoir être considérés comme des organismes de droit public  ( 11 ) . De plus, la liste de l’annexe III ne peut être modifiée que suivant la procédure de comitologie citée ci-dessus  ( 12 ) .

31.

À cet égard, je relève que la position du législateur communautaire est reprise dans un jugement du Bundesverfassungsgericht du 31 janvier 2008 ( 13 ) , dans lequel celui-ci a considéré que les caisses locales d’assurance maladie sont des organismes de droit public.

32.

J’entends cependant démontrer que les caisses allemandes d’assurance maladie devraient, en tout état de cause, être qualifiées de pouvoirs adjudicateurs.

33.

La définition d’un « pouvoir adjudicateur » figurant à l’article 1 er , paragraphe 9, de la directive 2004/18 reprend le libellé des précédentes directives relatives aux marchés publics. En effet, la directive constitue, dans une large mesure, une refonte ou une consolidation des dispositions de toutes les directives précédentes en matière de passation de marchés publics  ( 14 ) .

34.

La Cour a jugé que, conformément à la jurisprudence, les conditions énoncées à l’article 1 er , paragraphe 9, de la directive, à savoir que l’organisme (1) soit créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial; qu’il (2) soit doté de la personnalité juridique, et (3) que son activité soit financée majoritairement par l’État, ont un caractère cumulatif  ( 15 ) . En ce qui concerne, toutefois, la troisième condition, relative à la « dépendance étroite d’un organisme vis-à-vis de l’État » , la Cour a estimé que ses différentes composantes ont un caractère alternatif  ( 16 ) .

35.

Le dossier présenté à la Cour montre qu’il n’est pas contesté que les deux premières des trois conditions mentionnées ci-dessus sont remplies en l’espèce.

36.

Compte tenu de cela, je me concentrerai donc sur le troisième élément, relatif à la proximité suffisante avec l’État. Concernant cette condition, il y a notamment lieu de déterminer si les caisses d’assurance maladie 1) sont financées par l’État et/ou 2) sont soumises à un contrôle de leur gestion par celui-ci.

37.

Tout d’abord, quant à la première branche de l’alternative, c’est-à-dire le financement par l’État, il découle de l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a.  ( 17 ) que le financement direct par l’État suffit pour répondre à la définition, mais qu’il en va de même du financement indirect. Dans le contexte particulier de la radiodiffusion, la Cour a jugé que l’expression « financé majoritairement par l’État » doit être entendue comme signifiant qu’il y a financement de ce type (1) lorsqu’on est en présence d’activités d’organismes de radiodiffusion publics, investis d’une mission d’intérêt public, indépendants des pouvoirs étatiques, autogérés et organisés de telle façon qu’une influence des pouvoirs publics soit exclue et (2) que ces activités sont financées majoritairement par une redevance mise à la charge des détenteurs d’un poste récepteur, qui est imposée, calculée et perçue suivant les règles des traités d’État conclus à ces fins et qui ne résulte pas d’une transaction contractuelle conclue entre ces organismes et les consommateurs.

38.

La présente affaire est comparable en ce que les caisses d’assurance maladie sont financées au moyen de cotisations obligatoires fixées par la loi. À cet égard, j’estime qu’il importe peu de savoir si un organisme reçoit les fonds directement de l’État, par l’impôt, ou indirectement  ( 18 ) , au moyen de cotisations obligatoires fixées par la loi.

39.

Il découle du dossier soumis à la Cour que cet argument est conforté par le fait qu’il ait été question, dans le cadre de projets de réformes en Allemagne (dans un but de simplification de la perception des cotisations et du mécanisme de compensation du risque structurel), de confier la perception des cotisations à un organisme centralisé à l’échelle fédérale (le fonds de la santé), qui transférerait ensuite aux caisses d’assurance maladie les cotisations (fondées sur le risque par client).

40.

Il convient de noter que la très grande majorité de la population allemande (environ 90 %) est assurée, comme la loi l’exige, auprès d’une telle caisse, et que le financement de ces caisses est assuré par l’affiliation obligatoire et par les cotisations. La Commission renvoie aux informations communiquées par le ministère fédéral de la Santé, selon lesquelles les cotisations représentent 95 % des revenus des caisses.

41.

De plus, le montant des cotisations est uniquement fonction du revenu de l’assuré, à concurrence du plafond de calcul des cotisations. En outre, leur financement étant garanti par l’État, les caisses bénéficient d’une situation particulière par rapport à leurs concurrents (à savoir les caisses privées d’assurance maladie). L’obligation de fournir la prestation ne dépend pas du paiement effectif des cotisations d’assurance. À cet égard, les services fournis par les caisses d’assurance maladie ne constituent pas de « contre-prestation spécifique » pour les prestations de santé fournies, au sens de la jurisprudence de la Cour  ( 19 ) .

42.

La juridiction de renvoi établit une distinction entre la présente affaire et la situation dans l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a.  ( 20 ) en ce que le taux de cotisation est fixé, en l’espèce, non pas par l’État, mais par la caisse publique de maladie.

43.

À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la décision de renvoi que la fixation du taux de cotisation nécessite une autorisation des autorités étatiques de tutelle. De plus, la loi établit précisément de quelle façon ces taux doivent être calculés et elle prévoit que les recettes qui en résultent ne peuvent être ni inférieures ni supérieures aux dépenses. Les prestations à fournir étant dans leur grande majorité déterminées par la loi, la caisse de maladie concernée ne peut pas, dans une large mesure, influer directement sur le montant des dépenses et, par voie de conséquence, sur la fixation du taux de cotisation.

44.

Au vu des considérations exposées ci-dessus, j’estime donc que les caisses d’assurance maladie répondent à la troisième condition (première branche de l’alternative), car elles sont financées majoritairement par l’État.

45.

Pour en revenir à la deuxième branche de l’alternative, c’est-à-dire la proximité avec l’État par le contrôle, la Cour a jugé que, dans l’arrêt Adolf Truley, au regard de la jurisprudence, « le critère du contrôle de la gestion [n’]est [pas] satisfait dans l’hypothèse d’un simple contrôle a posteriori puisque, par définition, un tel contrôle ne permet pas aux pouvoirs publics d’influencer les décisions de l’organisme concerné en matière de marchés publics » ( 21 ) . Toutefois, le contrôle de la gestion que connaît le système public allemand d’assurance maladie n’est pas limité à un « contrôle a posteriori » au sens de cette jurisprudence, comme le montrent les arguments développés aux points 17 à 19 des présentes conclusions, et comme le soutient la juridiction de renvoi.

46.

La Cour a confirmé dans l’arrêt Adolf Truley   ( 22 ) que « répond en revanche […] [au critère de contrôle de la gestion] une situation dans laquelle, d’une part, les pouvoirs publics contrôlent non seulement les comptes annuels de l’organisme concerné, mais également sa gestion en cours sous l’angle de l’exactitude des chiffres cités, de la régularité, de la recherche d’économies, de la rentabilité et de la rationalité » , ce qui semble être le cas dans le cas d’espèce. La Commission a souligné à juste titre que le respect du critère du contrôle de la gestion est nécessairement assuré du fait du caractère extrêmement détaillé du cadre juridique applicable, notamment le SGB V. Cette réglementation définit également les relations juridiques entre les caisses et les différents prestataires de services, tels que les docteurs, les dentistes, les pharmaciens, etc. La loi détermine les tâches que les caisses de maladie doivent entreprendre, comment elles sont tenues de le faire et la façon dont elles doivent se financer. Enfin, les autorités de tutelle ont le pouvoir d’intervenir directement dans l’organisation des caisses.

47.

Contrairement à la thèse de l’AOK, selon laquelle il ne peut y avoir aucun contrôle effectif de la gestion puisque les autorités publiques n’ont pas le pouvoir d’annuler les décisions des caisses en matière de marchés publics, j’estime que la question décisive est en l’espèce celle du lien général de dépendance par rapport à une autorité adjudicatrice plutôt que de la possibilité d’influer sur des contrats spécifiques. Par conséquent, il ne devrait pas être nécessaire de démontrer que le contrôle de la gestion existant porte sur la procédure de passation des marchés  ( 23 ) .

48.

Je tracerai plusieurs parallèles avec l’affaire Commission/France  ( 24 ) . Premièrement, comme dans ladite affaire, nous sommes, en l’espèce, saisis d’une situation dans laquelle l’activité des caisses d’assurance maladie « est très étroitement encadrée » . Deuxièmement, comme la Cour l’a également admis dans l’affaire citée, il est manifeste, ici aussi, que: « dès lors que les règles de gestion sont très détaillées, la simple surveillance de leur respect peut, à elle seule, aboutir à conférer une emprise importante aux pouvoirs publics » . Troisièmement, comme en l’espèce, l’autorité de tutelle détient le pouvoir de « prononcer la dissolution d’une [caisse] et de […] suspendre les organes dirigeants, [de se saisir elle-même de la gestion] ou de nommer un administrateur provisoire » . Quatrièmement, dans l’arrêt en question, la Cour a considéré que, si l’exercice des pouvoirs conférés à l’autorité compétente, tels qu’énoncés ci-dessus, « demeure effectivement exceptionnel, il implique néanmoins un contrôle permanent qui seul permet la découverte de carences [de gestion] » .

49.

Enfin, le respect, en l’espèce, du critère de contrôle de la gestion est également confirmé par un arrêt du Bundesverfassungsgericht  ( 25 ) cité par la juridiction de renvoi, dans lequel le Bundesverfassungsgericht a jugé que les caisses d’assurance maladie « ne se voient reconnaître une autonomie de gestion, dans le sens d’une latitude pour adopter des comportements dont elles supportent la responsabilité, que dans une mesure extrêmement modeste » et qu’elles « se voient largement refuser le droit de définir, sous leur propre responsabilité, leurs statuts, leur organisation, les cotisations, ainsi que les prestations » .

50.

Il résulte de ce qui précède que les caisses d’assurance maladie en question répondent également à la troisième condition (deuxième branche de l’alternative), puisque l’État en contrôle la gestion.

51.

Il s’ensuit par conséquent que les caisses allemandes d’assurance maladie en cause au principal sont des organismes de droit public, car elles sont mentionnées à cette fin à l’annexe III de la directive et elles répondent, en tout état de cause, à toutes les conditions prévues dans la jurisprudence de la Cour pour être considérées comme telles.

B — Deuxième question

52.

La première question appelant une réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande en substance, par sa deuxième question, si le marché litigieux est un « marché de fournitures » ou un « marché de services » . Ce point est déterminant, car la qualification en tant que « marché de fournitures » entraînerait l’application de l’intégralité des dispositions de la directive.

1. Principaux arguments des parties

53.

Oymanns fait valoir, en substance, que la fourniture de biens produits individuellement devrait être considérée dans son ensemble comme étant un marché de fournitures.

54.

L’ AOK soutient, en substance, que la question pertinente est de déterminer la valeur de l’élément « fourniture » et de l’élément « services » , qui forment ensemble un contrat mixte. Dans un cas comme celui-ci, indépendamment de l’élément « valeur » , il convient de déterminer laquelle des prestations est « caractéristique du contenu du marché » .

55.

La Commission déclare, en substance, que la distinction entre marché public de fournitures et marché public de services est régie par l’article 1 er , paragraphe 2, sous d), deuxième alinéa, de la directive, qui établit le critère quantitatif de la valeur.

2. Appréciation

56.

Tout d’abord, contrairement à la juridiction de renvoi, j’estime que l’arrêt Auroux e.a.  ( 26 ) , selon lequel la distinction entre un marché public de services et un marché public de travaux devrait être établie sur la base de l’ objet principal du contrat (critère qualitatif), n’est pas applicable pour distinguer les marchés de fournitures des marchés de services.

57.

Au contraire, à cet égard, l’article 1 er , paragraphe 2, sous d), de la directive établit qu’ « un marché public ayant pour objet à la fois des produits et des services […] est considéré comme un « marché public de services » lorsque la valeur des services en question [(critère quantitatif)] dépasse celle des produits incorporés dans le marché » (c’est nous qui soulignons)  ( 27 ) . L’interprétation selon laquelle la valeur est le seul critère permettant de déterminer si le marché porte sur des produits ou sur des services est également confirmée par le libellé de l’article 22 de la directive.

58.

La question de la valeur relevant d’une appréciation de fait, elle doit être traitée par la juridiction de renvoi. Cependant, la règle générale veut que l’on est en présence d’un marché de fournitures lorsque la valeur de la contrepartie due en échange des biens est égale ou supérieure à celle qui est due en échange des services. Dans le cas contraire, il s’agit d’un marché public de services  ( 28 ) .

59.

Par conséquent, il sera nécessaire de déterminer comment qualifier la fabrication de la chaussure adaptée individuellement dans le cadre de l’ensemble de la prestation (comprenant, notamment, la fabrication des chaussures et les services associés).

60.

Néanmoins, il me semble a priori que la confection individuelle de chaussures devrait être considérée comme une partie de la prestation. À cet égard, la juridiction de renvoi estime, à ce stade, que la valeur du produit fourni serait supérieure, en dépit des multiples obligations de conseil, à la valeur des services. De plus, elle souligne, à juste titre, que l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 1999/44 assimile les contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer à des contrats de vente, et cela indépendamment du fait qu’il s’agisse de biens standardisés ou adaptés individuellement à la procédure de marché considérée (selon les termes usités dans le pays, des biens « non substituables » ). Cela confirme qu’il convient de se fonder sur le rapport entre la valeur de la chaussure fabriquée et celle du conseil prodigué.

61.

De plus, la Commission relève, à juste titre, que le règlement (CE) n o  2195/2002, relatif au vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV)  ( 29 ) , dans lequel les chaussures orthopédiques sont citées à diffé rentes reprises, fait naître la présomption que ces chaussures constituent des « produits » , bien qu’elles requièrent que des conseils soient prodigués  ( 30 ) . Enfin, conformément à l’article 1 er , paragraphe 2, sous d), deuxième alinéa, il est même possible d’affirmer que le marché en question dans la procédure au principal est un marché public de fournitures (fourniture de produits, en l’occurrence, des chaussures) couvrant de surcroît subsidiairement une forme très particulière d’ « opérations de mise en place » (fourniture de services, en l’occurrence, des conseils détaillés sur l’utilisation du produit). À titre d’exemples, on pourrait également citer un marché pour un système de traitement de données comprenant, en général, l’équipement (les biens) et un développement de logiciel à façon, ou un marché ayant pour objet à la fois la fourniture de produits (par exemple, des voitures) et leur entretien  ( 31 ) .

62.

Par conséquent, il conviendrait de répondre à la deuxième question en ce sens que, pour déterminer si la mise à disposition de marchandises fabriquées et adaptées individuellement quant à leur forme en fonction des exigences de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, doit être considérée comme un « marché de fournitures » ou un « marché de services » , il y a lieu de tenir compte de la valeur des services en cause, sachant qu’il s’agit là d’une question de fait qui doit être tranchée par la juridiction de renvoi.

C — Troisième question

63.

Dans l’hypothèse où la mise à disposition mentionnée dans la deuxième question serait considérée comme une « prestation de services » , la juridiction de renvoi demande en substance, par sa troisième question, s’il est possible de qualifier les circonstances en cause dans la procédure au principal de « concession de services » , par opposition à un « accord-cadre » . La juridiction de renvoi note qu’une qualification en tant que « contrat de services » sur la base du droit national entraîne l’application de certaines dispositions du droit de la passation des marchés publics, de sorte que Oymanns obtiendrait au moins en partie gain de cause, alors que sa demande serait rejetée d’emblée si le marché devait être qualifié de « concession de services » .

1. Principaux arguments des parties

64.

Oymanns soutient que l’accord de prise en charge intégrale constitue un accord-cadre, puisqu’il se borne à définir les condi tions, notamment financières, applicables à des contrats particuliers qui seront conclus ultérieurement.

65.

L’ AOK soutient, en substance, que la mise à disposition envisagée dans le cadre de la prise en charge intégrale constitue une concession de services; l’accord-cadre n’est pas applicable, puisque la caisse d’assurance maladie perd le contrôle du reste de la procédure en raison du contrat qu’elle a conclu avec le fournisseur.

66.

La Commission fait valoir, en substance, que le contrat conclu entre la caisse d’assurance maladie et un fournisseur constitue un accord-cadre.

2. Appréciation

67.

D’une part, la directive définit la « concession de services » comme un « contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix » .

68.

D’autre part, un « accord-cadre » est défini comme étant un « accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées » .

69.

Tout d’abord, je conviens avec Oymanns que l’accord en question ne peut pas être une concession de services, puisque, mises à part certaines cotisations d’ordre mineur, ce n’est pas le patient, mais la caisse d’assurance maladie qui est responsable de la rétribution. Il convient, à cet égard, de se référer à l’arrêt Parking Brixen  ( 32 ) . L’accord de prise en charge intégrale ne peut pas être considéré comme une concession de services, parce que celle-ci implique un transfert du droit d’exploiter un service particulier, et que le concessionnaire supporte l’intégralité ou la majeure partie du risque économique lié à l’exploitation. En l’espèce, le prestataire n’est pas tenu de fournir le moindre service avant de conclure un contrat particulier avec un assuré. Il ne bénéficie donc pas, à titre de contrepartie, d’un droit préalable à l’exploitation d’un service  ( 33 ) . Le prestataire est tenu de former ses services à la demande de l’assuré, sans toutefois pouvoir négocier les prix ou sa propre rétribution qui, elle, est convenue avec la caisse de maladie qui est chargée de la lui verser. Par conséquent, le prestataire ne supporte aucun risque économique au sens de la jurisprudence de la Cour indiquée ci-dessus.

70.

J’estime que la Commission est fondée à considérer que le contrat conclu entre une caisse d’assurance maladie et un prestataire est un exemple presque classique d’accord-cadre, car il stipule les conditions de la prestation de services et du conseil y relatif, qui seront fournis sur une période déterminée. Ce n’est qu’en vertu des contrats particuliers ultérieurs que le prestataire est tenu de fournir les chaussures et la caisse de maladie de verser la rétribution. Conformément à l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive, le fait que le prestataire ne sache pas à l’avance si et dans quelle mesure les assurés feront appel à ses services constitue précisément l’une des caractéristiques d’un accord-cadre. J’ajouterai ici que, même si la juridiction de renvoi qualifiait la mise à disposition en cause de « contrat de services » , j’estime que celle-ci constituerait néanmoins un accord-cadre, et non pas une concession de services.

71.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que, dans l’hypothèse où la mise à disposition de marchandises mentionnée dans la deuxième question doit être considérée comme une « prestation de services » , l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive doit être interprété — par opposition à un « accord-cadre » au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive — en ce sens qu’une mise à disposition de marchandises telle que celle en cause dans la procédure au principal ne doit pas être considérée comme une « concession de services » .

IV — Conclusion

72.

Je propose donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles soumises par l’Oberlandesgericht Düsseldorf de la manière suivante:

« 1)

Les caisses allemandes d’assurance maladie en cause au principal sont des organismes de droit public, car elles sont mentionnées à cette fin à l’annexe III de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 , relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, et elles répondent, en tout état de cause, à l’ensemble des conditions prévues par la jurisprudence de la Cour pour être considérées comme telles.

2)

Pour déterminer si la mise à disposition de marchandises fabriquées et adaptées individuellement quant à leur forme en fonction des exigences de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, doit être considérée comme ‘ marchés de fournitures ’ ou comme ‘ marchés de services ’ , il y a lieu de tenir compte de la valeur des services en cause, sachant qu’il s’agit là d’une question de fait qui doit être tranchée par la juridiction de renvoi.

3)

Dans l’hypothèse où la mise à disposition de marchandises mentionnée dans la deuxième question est considérée comme une ‘ prestation de services ’ , l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que la mise à disposition de marchandises telle que celle en cause au principal ne doit pas être considérée comme une ‘ concession de services ’ . »


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 , relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( JO L 134, p. 114 , ci-après la « directive » ).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999 , sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation ( JO L 171, p. 12 ).

( 4 ) Point 66 de l’arrêt du 13 décembre 2007 ( C-337/06, Rec. p. I-11173 ).

( 5 ) Voir arrêt du 10 avril 2008 , Ing. Aigner ( C-393/06, Rec. p. I-2339 , point 37), qui fait référence à l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité, points 36 et 37, et jurisprudence citée. L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer fait ici référence, entre autres, aux arrêts du , Adolf Truley ( C-373/00, Rec. p. I-1931 , point 41), et du , Commission/Espagne ( C-283/00, Rec. p. I-11697 , point 73).

( 6 ) Dans l’arrêt Adolf Truley, précité, point 43, la Cour a jugé que, « au regard de ce double objectif d’ouverture à la concurrence et de transparence, la notion d’organisme de droit public doit être comprise dans un sens large » . L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer fait ici référence à Wollenschläger, F., « Der Begriff des ‘ öffentlichen Auftraggebers ’ im Lichte der neuesten Rechtsprechung des Europäischen Gerichtshofes » , EWS, n o  8/2005, p. 345.

( 7 ) L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer fait ici référence aux arrêts du 3 octobre 2000 , University of Cambridge ( C-380/98, Rec. p. I-8035 , point 17); du , Universale-Bau e.a. ( C-470/99, Rec. p. I-11617 , point 52), et Adolf Truley, précité (note 5), point 42.

( 8 ) Intitulé « Modifications » .

( 9 ) L’article 79 de la directive fait référence à la procédure visée à l’article 77, intitulé « Comité consultatif » , et aux termes duquel les articles 3 et 7 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999 , fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission ( JO L 184, p. 23 ), s’appliquent, dans le respect des dispositions de l’article 8 de celle-ci.

( 10 ) De manière générale, une autorité devrait avoir la possibilité de présenter des arguments pour démontrer pourquoi elle ne doit pas (ou plus) être considérée comme un organisme de droit public au sens de la directive, mais cela n’a pas été établi en l’espèce.

( 11 ) Cette lecture semble se situer dans la ligne de l’arrêt Adolf Truley précité (note 5), dans lequel la Cour a jugé au point 44 que, « si un organisme donné ne figure pas dans la liste contenue à l’annexe I de la directive 93/37, il y a lieu de vérifier, dans chaque cas d’espèce, la situation juridique et factuelle de cet organisme afin d’examiner s’il satisfait ou non un besoin d’intérêt général » . Voir aussi Trepte, P., Public Procurement in the EU: A Practitioner’s guide, 2 e édition, Oxford University Press, 2007, p. 102, point 2.21: « il a manifestement été jugé nécessaire de dresser une liste de ceux des organismes de tous les États membres qui, à ce moment-là , étaient réputés être concernés par ce concept. Cela donnerait à penser que les listes […] indiquent ceux des organismes qui doivent être considérés, à tout le moins [italique ajouté], comme des personnes juridiques de droit public » . Trepte note également que la Cour a mentionné, à titre d’exemples des types d’organismes concernés, les organismes indiqués dans les listes figurant dans l’annexe, et il cite les arrêts du 10 novembre 1998 , BFI Holding ( C-360/96, Rec. p. I-6821 , point 51), et du , Agorà et Excelsior ( C-223/99 et C-260/99, Rec. p. I-3605 , point 37).

( 12 ) Voir point 20 des conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire University of Cambridge, précitée (note 7). Chiti, M. P., fournit une interprétation comparable dans « The EC Notion of Public Administration: The Case of the Bodies Governed by Public Law » , European Public Law, vol. 8, 4 e édition, 2002, p. 489. Voir également arrêt Adolf Truley, précité (note 5), point 39, où la Cour a considéré que « le degré de précision [de ladite liste] varia[i]t considérablement d’un État membre à l’autre » .

( 13 ) 1 BvR 2156/02.

( 14 ) Voir arrêt Ing. Aigner, précité (note 5), point 51, qui renvoie en ce sens au point 30 de l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité (note 4).

( 15 ) Voir arrêt Ing. Aigner, précité (note 5), point 36, qui fait référence à l’arrêt du 1 er  février 2001 , Commission/France ( C-237/99, Rec. p. I-939 , point 40), et à la jurisprudence citée. Voir, également, arrêt Adolf Truley, précité (note 5), point 34 et jurisprudence citée.

( 16 ) Voir arrêt Adolf Truley, précité (note 5), point 68, qui fait référence, notamment, au point 20 de l’arrêt University of Cambridge, précité (note 7), et point 44 de l’arrêt Commission/France, précité (note 15).

( 17 ) Précité (note 4).

( 18 ) Voir, à ce sujet, arrêt du 17 décembre 1998 , Connemara Machine Turf ( C-306/97, Rec. p. I-8761 , point 34). Voir également, par exemple, Brown, A., « Les organismes publics allemands de radiodiffusion sont-ils majoritairement financés par l’État, de sorte qu’ils tombent dans le champ d’application des directives UE relatives aux marchés publics?: Bayerischer Rundfunk (C-337/06) » , Public Procurement Law Review, n o  4/2008, p. NA127.

( 19 ) Arrêt University of Cambridge, précité (note 7), point 21.

( 20 ) Précité (note 4).

( 21 ) Précité (note 5), point 70.

( 22 ) Ibidem, point 74.

( 23 ) Voir Arrowsmith, S., The Law of Public and Utilities Procurement, Thomson, Sweet & Maxwell, Londres, 2005, p. 260, point 5.7. À cet égard, au point 37 de ses conclusions dans l’affaire University of Cambridge, précitée (note 7), l’avocat général Alber a considéré que « la Cour avait certes dit pour droit dans les arrêts Connemara Machine Turf […] et Commission/Irlande […] que pour qu’une entité puisse être qualifiée de pouvoir adjudicateur en Irlande, il fallait qu’elle exerce un contrôle sur la passation des marchés publics (il a été considéré comme suffisant à cet égard que le contrôle soit exercé de manière indirecte, c’est-à-dire sans disposition le prévoyant explicitement) » .

( 24 ) Arrêt précité (note 15), points 50, 52, 54 et 56.

( 25 ) Arrêt du 9 juin 2004 , DVBl. 2004, p. 1161, spécialement p. 1163.

( 26 ) Arrêt du 18 janvier 2007 ( C-220/05, Rec. p. I-385 , points 37 et 46).

( 27 ) À titre d’exemple d’une affaire relative à la fois à des produits et à des services, voir arrêt du 18 novembre 1999 , Teckal ( C-107/98, Rec. p. I-8121 ).

( 28 ) Voir Arrowsmith, S., précité (note 23), p. 332, point 6.73, et Trepte, P., précité (note 11), p. 235, point 4.107.

( 29 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 5 novembre 2002 ( JO L 340, p. 1 ).

( 30 ) De plus, la loi allemande prévoit que les chaussures de ce type constituent des « accessoires » , indépendamment du fait qu’elles soient ou non produites en série ou à façon (article 128 du SGB V, catégorie 31 « chaussures » ).

( 31 ) Voir Arrowsmith, S., précité (note 23), p. 331 et 332, point 6.73.

( 32 ) Arrêt du 13 octobre 2005 ( C-458/03, Rec. p. I-8585 , points 39 et 40).

( 33 ) Dans l’arrêt du 7 décembre 2000 , Telaustria et Telefonadress ( C-324/98, Rec. p. I-10745 , point 30) (relatif à la directive antérieure 93/38/CEE du Conseil, du , portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, JO L 199, p. 84 ), la Cour a défini le droit d’exploitation d’un service comme un « droit d’exploiter, en vue de sa rétribution, sa propre prestation » . En l’espèce, le contractant n’est pas tenu de mettre en place et d’entretenir des infrastructures coûteuses (locaux, personnel, équipement), qui devraient être amorties moyennant rétribution provenant de contrats particuliers.