Mots clés
Sommaire

Mots clés

1. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Utilisation de la documentation interne d'une entreprise ayant participé à l'infraction comme élément de preuve — Admissibilité

(Art. 81 CE et 82 CE)

2. Concurrence — Position dominante — Abus — Contrats d'approvisionnement exclusif — Contrat conclu entre une entreprise et une centrale d'achat

(Art. 82 CE)

3. Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Notion objective visant les comportements de nature à influencer la structure du marché et ayant pour effet de faire obstacle au maintien ou au développement de la concurrence — Obligations incombant à l'entreprise dominante — Exercice de la concurrence par les seuls mérites

(Art. 82 CE)

4. Concurrence — Position dominante — Abus — Contrats d'approvisionnement exclusif — Rabais de fidélité

(Art. 82 CE)

5. Concurrence — Position dominante — Abus — Rabais ayant un effet de forclusion sur le marché — Rabais de fidélité — Qualification de pratique abusive

(Art. 82 CE)

6. Concurrence — Position dominante — Abus — Rabais de quantité — Admissibilité — Conditions — Caractère abusif du système de rabais — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

7. Concurrence — Procédure administrative — Décision constatant une infraction — Obligation de motivation — Portée

(Art. 82 CE et 253 CE)

8. Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Verrouillage d'une partie substantielle du marché par une entreprise dominante

(Art. 82 CE)

9. Concurrence — Position dominante — Abus — Rabais rétroactifs — Caractère abusif — Critères d'appréciation

(Art. 82 CE)

10. Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Comportements ayant soit pour effet soit pour objet de faire obstacle au maintien ou au développement de la concurrence

(Art. 82 CE)

11. Concurrence — Position dominante — Abus — Contrats d'approvisionnement exclusif — Engagements sur les quantités individualisées constituant une exploitation abusive

(Art. 82 CE)

12. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Éléments d'appréciation — Élévation du niveau général des amendes — Admissibilité — Conditions

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

13. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Prise en considération du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires pertinent de l'entreprise concernée — Limites

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2, et nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

Sommaire

1. La documentation interne d'une entreprise peut constituer un élément de preuve de la violation des règles de concurrence par cette entreprise. Une telle documentation peut, en effet, indiquer si une exclusion de la concurrence était envisagée ou, au contraire, suggérer une explication différente des pratiques examinées. Elle peut, par exemple, permettre à la Commission de situer ces pratiques dans leur contexte et de corroborer son évaluation de ces mêmes pratiques.

Lorsqu'elle exploite cette documentation pour motiver sa décision, il est tout à fait normal que la Commission, tout en n'occultant pas l'existence de documents donnant un éclairage différent, fasse prioritairement état du comportement anticoncurrentiel de l'entreprise et non de ses actions licites mentionnées par certains documents internes, dès lors que c’est précisément ce comportement qu’il lui incombe d’établir.

(cf. points 35-36)

2. Il n’est pas nécessaire que les pratiques d’une entreprise en position dominante lient les acheteurs par une obligation formelle d'exclusivité pour établir qu’elles constituent une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE. Il suffit que ces pratiques comportent une incitation, vis-à-vis des clients, à ne pas passer par des fournisseurs concurrents et à s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise, de sorte qu'il n'est point nécessaire d'analyser le caractère exclusif de contrats litigieux sur la base de la législation nationale applicable.

S'agissant d'accords conclus entre une entreprise et des centrales d'achat, revêtant un caractère contraignant pour les parties, la question de savoir s’ils influent aussi sur le comportement d’acheteur de leurs membres ne dépend pas d’une analyse formelle. En effet, lorsque les conditions négociées dépendent de l’achat de quantités cibles par la centrale dans son ensemble, il est inhérent à la négociation d’un contrat de ce type que celui-ci incitera les membres de la centrale à effectuer des achats en vue d’atteindre l’objectif fixé.

(cf. points 59, 61-62)

3. La notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence. Il s'ensuit que l'article 82 CE interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. L'interdiction édictée à cette disposition se justifie également par le souci de ne pas causer de préjudice aux consommateurs.

Par conséquent, si la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun. De même, si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu’ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser.

(cf. points 38, 206-207)

4. Le fait, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle d'exclusivité, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante.

En effet, les engagements d’approvisionnement exclusif de cette nature, avec ou sans la contrepartie de rabais ou l’octroi de rabais de fidélité en vue d’inciter l’acheteur à s’approvisionner exclusivement auprès de l’entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès du marché aux producteurs.

(cf. points 208-209, 295-296)

5. Un rabais de fidélité qui est octroyé en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise en position dominante est contraire à l'article 82 CE en raison de l'effet de forclusion qu'il entraîne. Un tel rabais tend, en effet, à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents.

(cf. points 210-211)

6. Les systèmes de rabais quantitatifs appliqués par une entreprise en position dominante, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès de celle-ci, sont généralement considérés ne pas avoir un effet de forclusion sur le marché interdit par l'article 82 CE. Si l'augmentation de la quantité fournie par ladite entreprise se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est, en effet, en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d'un tarif plus favorable. Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d'efficience et des économies d'échelle réalisées par l'entreprise en position dominante.

Il s'ensuit qu'un système de rabais quantitatifs dont le taux de la remise augmente en fonction du volume acheté auprès de l'entreprise en position dominante ne violera pas l'article 82 CE, sauf si les critères et les modalités d'octroi du rabais font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée mais tend, à l'instar d'un rabais de fidélité et d'objectif, à empêcher l'approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents.

Pour déterminer l'éventuel caractère abusif d'un système de rabais quantitatifs, il y a donc lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d'octroi des rabais, et d'examiner si les rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre à son égard, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée.

(cf. points 212-214)

7. La motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à l’acte en cause et faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits ainsi qu'au juge d’exercer son contrôle. S’agissant d’une décision adoptée en application de l’article 82 CE, ce principe exige que la décision contestée fasse mention des faits dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui ont amené à prendre la décision.

(cf. point 227)

8. Le verrouillage d’une partie substantielle du marché par une entreprise dominante ne peut être justifié par la démonstration que la partie du marché susceptible d’être conquise est encore suffisante pour faire place à un nombre limité de concurrents. En effet, d’une part, les clients qui se trouvent dans la partie verrouillée du marché devraient avoir la possibilité de profiter de tout degré de concurrence qui est possible sur le marché et les concurrents devraient pouvoir se livrer concurrence par les mérites pour l’ensemble du marché et pas seulement pour une partie de celui-ci. D’autre part, le rôle de l’entreprise dominante n’est pas de déterminer combien de concurrents viables sont autorisés à la concurrencer pour la portion de la demande encore susceptible d’être conquise.

C'est à partir d'une analyse des circonstances de l’espèce qu'il est possible d’établir si les pratiques d’une entreprise en position dominante sont susceptibles d’exclure la concurrence et il serait artificiel d’établir a priori quelle est la portion du marché liée au-delà de laquelle les pratiques d’une entreprise en position dominante peuvent avoir un effet d’exclusion des concurrents.

(cf. points 241-242)

9. Le mécanisme d’exclusion que constituent les rabais rétroactifs n’exige pas que l’entreprise dominante sacrifie des profits, car le coût du rabais se trouve réparti sur un grand nombre d’unités. Par l’octroi rétroactif du rabais, le prix moyen obtenu par l’entreprise dominante peut très bien être largement supérieur aux coûts et procurer une marge bénéficiaire moyenne élevée. Toutefois, le système de rabais rétroactifs fait que, pour le client, le prix effectif des dernières unités est très bas en raison de l’effet d’aspiration.

(cf. point 267)

10. Aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il n’est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés. Il suffit, à cet égard, de démontrer qu'il tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, qu'il est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet.

(cf. point 289)

11. Même en admettant qu’ils ne lient pas l’acheteur par une obligation formelle d'exclusivité, les engagements sur les quantités individualisés, dont il est établi, après une analyse non pas seulement formelle du point de vue juridique, mais prenant également en compte le contexte économique spécifique dans lequel ils s'inscrivent, qu'ils lient de facto et/ou incitent l’acheteur à s’approvisionner exclusivement ou pour une part considérable de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante et qui ne reposent pas sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès du marché aux producteurs, constituent une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE.

(cf. points 297-298)

12. Ni l'obligation de respecter le principe d'égalité de traitement ni le fait qu'elle ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne sauraient priver la Commission de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence.

La gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. Or, les données pertinentes, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés diffèrent selon chaque affaire. Il s’ensuit que la Commission ne saurait être obligée d’imposer à des entreprises des amendes dont le montant correspond à des pourcentages identiques de leurs chiffres d’affaires respectifs dans les affaires comparables sur le plan de la gravité des infractions.

Les amendes constituant un instrument de la politique de concurrence de la Commission, celle-ci doit pouvoir disposer d’une marge d’appréciation dans la fixation de leur montant afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence.

(cf. points 310-313)

13. En ce qui concerne la détermination du montant de l'amende venant sanctionner la violation des règles communautaires de concurrence, sous réserve du respect de la limite supérieure que prévoit l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, et qui se réfère au chiffre d’affaires global de l'entreprise concernée, il est loisible pour la Commission de tenir compte du chiffre d’affaires de l'entreprise en cause afin d’apprécier la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende, sans toutefois qu’elle puisse y attacher une importance disproportionnée par rapport à d’autres éléments d’appréciation.

La méthode de calcul définie dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA prévoit la prise en compte d’un grand nombre d’éléments lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende, parmi lesquels figurent notamment la nature propre de l’infraction, l’impact concret de ce lle-ci lorsqu’il est mesurable, l’étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l’amende. Bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent.

Il en découle que, s’il ne saurait être nié que le chiffre d’affaires afférent aux produits en cause peut constituer un fondement approprié pour évaluer les atteintes à la concurrence sur le marché desdits produits au sein de l'Espace économique européen, il n’en demeure pas moins que cet élément ne constitue pas l’unique critère selon lequel la Commission doit apprécier la gravité de l’infraction.

(cf. points 316-318)