ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
9 juillet 2009 ( *1 )
«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché de l’acide citrique — Fixation du montant de l’amende — Rôle de meneur — Droits de la défense — Éléments de preuve issus d’une procédure menée dans un État tiers — Définition du marché pertinent — Circonstances atténuantes»
Dans l’affaire C-511/06 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 11 décembre 2006,
Archer Daniels Midland Co., établie à Decatur (États-Unis), représentée par Me C. O. Lenz, Rechtsanwalt, Mme L. Martin Alegi, M. E. Batchelor et Mme M. Garcia, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et X. Lewis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, faisant fonction de président de la première chambre, MM. M. Ilešič, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mai 2008,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 novembre 2008,
rend le présent
Arrêt
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Par son pourvoi, Archer Daniels Midland Co. (ci-après «ADM») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission (T-59/02, Rec. p. II-3627, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement rejeté son recours tendant à l’annulation partielle de la décision 2002/742/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.604 — Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18, ci-après la «décision litigieuse»), en tant que celle-ci la concerne. |
Le cadre juridique
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L’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), prévoyait: «La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
[…] Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.» |
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La communication de la Commission du 14 janvier 1998 intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement no 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), énonce notamment: «Les principes posés par les […] lignes directrices devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence. La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.» |
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Aux termes du point 1, A, des lignes directrices: «L’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les infractions seront ainsi classées en trois catégories permettant de distinguer les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves. […] Il sera en outre nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif. […] Dans le cas d’infractions impliquant plusieurs entreprises (type ‘cartel’), il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature. […]» |
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Le point 2 des lignes directrices, intitulé «Circonstances aggravantes», énonce: «Augmentation du montant de base pour les circonstances aggravantes telles que […]: […]
[…]» |
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Le point 3 des lignes directrices, intitulé «Circonstances atténuantes», est libellé comme suit: «Diminution du montant de base pour les circonstances atténuantes particulières telles que […]: […]
[…]» |
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Aux termes du titre B de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), intitulé «Non-imposition d’amende ou réduction très importante de son montant»: «L’entreprise qui
bénéficie d’une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, réduction pouvant aller jusqu’à la non-imposition totale d’amende.» |
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Le titre D de cette communication, intitulé «Réduction significative du montant de l’amende», prévoit:
[…]» |
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Le titre E, paragraphe 2, de ladite communication est rédigé comme suit: «Ce n’est qu’au moment où la Commission adoptera sa décision qu’elle appréciera si les conditions énoncées aux titres B, C ou D sont remplies, et donc s’il y a lieu de réduire le montant de l’amende, voire de ne pas infliger d’amende. Il ne serait pas approprié que la Commission accorde de telles mesures avant la fin de la procédure administrative, puisque lesdites conditions s’appliquent tout au long de cette procédure.» |
Les faits à l’origine du litige
L’entente
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La Commission a adressé la décision litigieuse à cinq entreprises productrices d’acide citrique, à savoir ADM, Cerestar Bioproducts BV (ci-après «Cerestar»), F. Hoffmann-La Roche AG (ci-après «HLR»), Haarmann & Reimer Corporation (ci-après «H & R») et Jungbunzlauer AG (ci-après «JBL»). |
11 |
L’acide citrique est un agent acidifiant et conservateur utilisé dans les produits alimentaires et les boissons, dans les détergents et les nettoyants ménagers, dans les produits pharmaceutiques et cosmétiques ainsi que dans différents processus industriels. |
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En août 1995, la Commission a été informée de l’ouverture d’une enquête par le ministère de la Justice des États-Unis concernant le marché de l’acide citrique aux États-Unis. Les entreprises ADM, Cerestar, HLR, H & R et JBL, ayant reconnu avoir participé à une entente, ont payé des amendes par suite d’accords conclus avec ledit ministère. En outre, certaines personnes se sont vu infliger des amendes à titre personnel. |
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Le 6 août 1997, la Commission a adressé, en vertu de l’article 11 du règlement no 17, des demandes de renseignements aux quatre principaux producteurs d’acide citrique dans la Communauté européenne. |
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Faisant suite à une demande ultérieure, adressée dans le courant du mois de juillet 1998, Cerestar a informé la Commission de son intention de coopérer. Lors d’une réunion avec des représentants de la Commission tenue le 29 octobre 1998, les représentants de Cerestar ont décrit de mémoire les activités de l’entente à laquelle avaient participé les cinq entreprises mentionnées au point 10 du présent arrêt (ci-après l’«entente») ainsi que certains mécanismes du fonctionnement de celle-ci. En outre, cette entreprise a souligné le rôle joué par ADM au cours de certaines réunions multilatérales desdites entreprises. Cerestar a confirmé ce témoignage dans une déclaration écrite du 25 mars 1999 (ci-après la «déclaration de Cerestar»). |
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Le 11 décembre 1998, les représentants d’ADM ont exposé, au cours d’une réunion avec des représentants de la Commission, les activités anticoncurrentielles auxquelles cette société avait participé dans le cadre de l’entente. Ladite société a confirmé ces dires par lettre du 15 janvier 1999 (ci-après la «déclaration d’ADM»). |
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Sur la base des informations communiquées par les cinq entreprises incriminées en réponse à des demandes de renseignements complémentaires de la Commission, celle-ci leur a adressé une communication des griefs en date du 29 mars 2000 (ci-après la «communication des griefs»), dans laquelle elle leur reprochait d’avoir violé l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), de mars 1991 à mai 1995 pour quatre d’entre elles, dont ADM, et de mai 1992 à mai 1995 en ce qui concerne Cerestar, en participant à une entente secrète sur le marché de l’acide citrique. La Commission leur faisait grief, en particulier, de s’être attribué des quotas de vente précis pour chacune d’entre elles et de les avoir respectés, d’avoir fixé des prix cibles et/ou plancher, supprimé des remises et échangé des informations spécifiques sur les clients. Aucune de ces entreprises n’a demandé la tenue d’une audition ni contesté la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs. Elles se sont bornées à répondre par écrit aux reproches y formulés. |
La communication des griefs
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Dans la section C de la partie I de la communication des griefs, la Commission a exposé les faits visés par ses griefs. Au point 50 de cette communication, elle a énuméré les cinq principaux documents de preuve sur lesquels elle fondait ses constatations factuelles, qui étaient annexés à ladite communication avec six autres documents, parmi lesquels un compte-rendu des déclarations faites par un représentant d’ADM lors de la réunion tenue le 11 décembre 1998 avec des représentants de la Commission, à savoir la déclaration d’ADM, le compte-rendu des déclarations faites par un ancien représentant d’ADM devant des représentants du ministère de la Justice des États-Unis et des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) au cours de la procédure antitrust diligentée par les autorités des États-Unis, daté du 5 novembre 1996 (ci-après le «rapport du FBI»), ainsi que la déclaration de Cerestar. |
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De plus, il était indiqué aux points 161 et 162 de la communication des griefs que, pour apprécier la gravité de l’infraction, la Commission tiendrait compte des faits tels que décrits et appréciés dans ladite section C et que, pour déterminer l’amende à infliger à chaque entreprise, elle tiendrait compte, entre autres, du rôle joué par chacune dans les accords collusoires tels que décrits dans la partie I de cette communication. |
19 |
Enfin, les points 57 et 58 de ladite communication mentionnaient les réunions bilatérales qui s’étaient tenues en janvier 1991 entre ADM et, respectivement, JBL, HLR ainsi que H & R en vue de la mise en œuvre de l’entente. |
La déclaration d’ADM
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La déclaration d’ADM contient une description détaillée et chiffrée des mécanismes de l’entente, et plus particulièrement des décisions adoptées par les entreprises incriminées lors des réunions tenues par celles-ci de mars 1991 à mai 1995. |
Le rapport du FBI
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Le rapport du FBI contient la description donnée par un ancien représentant d’ADM des mécanismes de l’entente et, en particulier, des informations sur les réunions ayant eu lieu entre les entreprises incriminées. Ce rapport mentionne, entre autres, que des réunions regroupant des représentants de chaque entreprise participant à l’entente étaient organisées, parmi lesquelles les réunions dites «masters», qui regroupaient les plus hauts de ces représentants, concernaient les orientations et les mécanismes de l’entente, tandis que les réunions dites «sherpa» regroupaient des représentants chargés de la mise en œuvre pratique de ces mécanismes. Selon ce même rapport, il semblait à la personne interrogée qu’un autre ancien représentant d’ADM, appelé «le Sage», qui participait aux deux sortes de réunions susmentionnées, avait eu l’idée du mécanisme de l’entente dit «G-4/5 arrangement» et avait eu un rôle assez actif dans la mise en œuvre de ce mécanisme. |
La déclaration de Cerestar
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La déclaration de Cerestar contient une description sommaire des réunions multilatérales entre les représentants des entreprises incriminées ainsi que des décisions qui y avaient été adoptées. Il est précisé dans cette déclaration qu’il semblait au représentant de Cerestar que le représentant d’ADM jouait dans ces réunions un rôle moteur. |
La décision litigieuse
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Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, les cinq entreprises destinataires de celle-ci «ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, du traité […] en participant à un accord et/ou une pratique concertée continus dans le secteur de l’acide citrique». |
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L’article 1er, paragraphe 2, de cette décision dispose que l’infraction a duré du mois de mars 1991 au mois de mai 1995 dans le cas d’ADM, de HLR, de H & R ainsi que de JBL et du mois de mai 1992 au mois de mai 1995 dans le cas de Cerestar. |
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L’article 3 de ladite décision est rédigé comme suit: «Les amendes suivantes sont infligées […] en raison de l’infraction constatée [à l’article 1er]:
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Aux fins de la fixation, dans la décision litigieuse, du montant des amendes, la Commission a fait application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices ainsi que de la communication sur la coopération. |
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En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base de l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction. |
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En ce qui concerne la gravité de l’infraction, tout d’abord, elle a, au considérant 230 de la décision litigieuse, qualifié l’infraction commise de très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de l’acide citrique dans l’Espace économique européen et à l’étendue du marché géographique concerné. |
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Ensuite, la Commission a estimé, au considérant 233 de ladite décision, qu’il fallait tenir compte de la capacité économique réelle à porter un préjudice à la concurrence et fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant. Par conséquent, en se fondant sur le chiffre d’affaires mondial réalisé par les entreprises concernées par la vente d’acide citrique au cours de l’année 1995, dernière année de la période infractionnelle, la Commission a réparti celles-ci en trois catégories. Dans la première, elle a classé H & R, détenant une part de 22 % du marché mondial, dans la deuxième, ADM et JBL, avec des parts de marché de [confidentiel] ainsi que HLR, détenant une part de marché de 9 %, et, dans la troisième, Cerestar, détenant une part de 2,5 % du marché mondial. Sur cette base, la Commission a fixé des montants de départ, respectivement, de 35 millions d’euros pour l’entreprise classée dans la première catégorie, de 21 millions d’euros pour celles classées dans la deuxième catégorie et de 3,5 millions d’euros pour celle classée dans la troisième catégorie. |
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En outre, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission a procédé à un ajustement de ces montants de base. À cet effet, tenant compte de la taille et des ressources globales des entreprises concernées, exprimées par leur chiffre d’affaires mondial global, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 aux montants de départ déterminés pour ADM et HLR, et de 2,5 au montant de départ déterminé pour H & R. |
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Par ailleurs, il résulte des considérants 249 et 250 de la décision litigieuse que, afin de tenir compte de la durée de l’infraction commise par chaque entreprise, les montants ainsi déterminés ont été majorés de 10 % par année de participation à l’entente, soit une majoration de 40 % en ce qui concerne ADM, HLR, H & R et JBL, et de 30 % en ce qui concerne Cerestar. |
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Ainsi, au considérant 254 de la décision litigieuse, la Commission a fixé le montant de base des amendes à 58,8 millions d’euros en ce qui concerne ADM et, s’agissant de Cerestar, de HLR, de H & R et de JBL, à, respectivement, 4,55, 58,8, 122,5 et 29,4 millions d’euros. |
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En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort du considérant 273 de la décision litigieuse, les montants de base des amendes à infliger à ADM et à HLR ont été majorés de 35 % en raison de circonstances aggravantes, au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente. |
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En particulier, la Commission a retenu, aux considérants 263 et 264 de cette décision, les réunions bilatérales entre ADM et trois autres entreprises participant à l’entente comme indice de ce qu’ADM avait eu un rôle d’instigateur de l’entente, ajoutant que d’autres éléments contribuaient à démontrer le rôle de meneur de l’entente de cette dernière. |
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À cet égard, aux considérants 265 et 266 de la décision litigieuse, la Commission s’est référée à certains faits tirés du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar. |
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En troisième lieu, la Commission a examiné et rejeté les demandes de certaines entreprises de bénéficier de circonstances atténuantes aux considérants 274 à 291 de cette décision. |
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En quatrième lieu, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, la Commission a, au considérant 293 de la décision litigieuse, adapté les montants ainsi calculés pour Cerestar ainsi que H & R afin qu’ils n’excèdent pas la limite de 10 % du chiffre d’affaires annuel total de ces entreprises. |
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Enfin, en cinquième lieu, en application de la communication sur la coopération, la Commission a consenti aux entreprises incriminées une réduction du montant de leurs amendes respectives. |
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Ainsi, il résulte des considérants 305 et 310 de la décision litigieuse que Cerestar a bénéficié, en application du titre B de cette communication, d’une réduction «très importante», à savoir de 90 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, au motif qu’elle a été la première entreprise à fournir à la Commission les éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. |
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Corrélativement, la Commission a rejeté, au considérant 306 de la décision litigieuse, les arguments d’ADM tendant à démontrer que cette dernière devait être considérée comme l’entreprise ayant en premier fourni ces éléments et ne lui a accordé, en application du titre D de la communication sur la coopération, qu’une réduction «significative», à savoir de 50 %, du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. |
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Par ailleurs, JBL, H & R et HLR ont bénéficié d’une réduction de, respectivement, 40 %, 30 % et 20 % du montant des amendes qui leur auraient été infligées en l’absence de coopération. |
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
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Le 28 février 2002, ADM a introduit un recours devant le Tribunal contre la décision litigieuse. |
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Dans le cadre de ce recours, ADM a conclu à l’annulation de l’article 1er de la décision litigieuse en ce qu’il y est constaté qu’elle a participé à la restriction des capacités du marché de l’acide citrique et à la désignation d’un producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national dudit marché, à l’annulation de l’article 3 de cette décision en ce qu’il la vise et, subsidiairement, à la réduction de l’amende qui lui a été infligée. |
44 |
Au soutien de son recours, ADM a présenté différents moyens visant le montant de l’amende qui lui a été infligée et dirigés, entre autres, contre l’appréciation de la gravité de l’infraction, la qualification de meneur de l’entente dont elle fait l’objet, l’appréciation de circonstances atténuantes et de la coopération dont elle a fait preuve au cours de la procédure administrative. |
45 |
En premier lieu, en ce qui concerne la gravité de l’infraction, ADM faisait valoir que, dans le cadre de l’appréciation de l’impact concret de l’entente, la Commission a commis des erreurs dans la définition du marché pertinent, en ce qu’elle n’aurait pas préalablement défini un tel marché et aurait, partant, omis de prendre en compte, dans cette définition, les produits de substitution de l’acide citrique. |
46 |
Après avoir constaté, au point 201 de l’arrêt attaqué, qu’ADM n’avait pas démontré que l’impact de l’entente relative à l’acide citrique sur le marché plus large auquel elle se référait aurait été inexistant ou, à tout le moins, négligeable, le Tribunal a rejeté ce moyen. |
47 |
En deuxième lieu, en ce qui concerne la qualification de meneur de l’entente, ADM reprochait à la Commission d’avoir commis des erreurs dans l’appréciation des éléments retenus pour procéder à une telle qualification. D’une part, la requérante faisait valoir que la Commission avait fait usage d’un document établi par des autorités d’un État tiers, à savoir le rapport du FBI, en violation de ses garanties procédurales, dans la mesure, notamment, où elle n’avait pas eu l’occasion de prendre position sur la validité dudit document. D’autre part, elle soutenait que la Commission n’avait pas respecté ses droits de la défense du fait que cette dernière n’avait mentionné dans la communication des griefs ni la qualification de meneur de l’entente en ce qui concerne ADM ni les éléments tirés du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar pour prouver ce rôle de meneur. |
48 |
Le Tribunal a rappelé au point 215 de l’arrêt attaqué que la Commission s’était fondée, pour procéder à une telle qualification, sur trois éléments, à savoir les réunions bilatérales, le rapport du FBI et la déclaration de Cerestar. |
49 |
Concernant les réunions bilatérales, le Tribunal a estimé, au point 226 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’il s’agit d’un indice supplémentaire par rapport aux deux autres éléments que sont le rapport du FBI et la déclaration de Cerestar prouvant qu’ADM avait joué un rôle de meneur au sein de l’entente. |
50 |
Concernant le rapport du FBI, le Tribunal a considéré, au point 268 de l’arrêt attaqué, que, en annexant ce rapport à la communication des griefs, la Commission avait permis à ADM de prendre position sur la validité dudit rapport, en particulier, quant à d’éventuelles irrégularités procédurales qui découleraient de la prise en considération de celui-ci. Après avoir constaté qu’ADM n’avait remis en cause ce rapport à aucun stade de la procédure administrative, le Tribunal a jugé au point 270 de cet arrêt que la Commission n’avait pas violé les droits procéduraux de la requérante. |
51 |
Concernant la déclaration de Cerestar, le Tribunal a constaté, au point 290 de l’arrêt attaqué, que son contenu coïncide avec celui du rapport du FBI, de sorte que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en lui accordant une valeur probante supérieure à celle d’autres éléments que la requérante avait mis en avant pour tenter de démontrer qu’elle n’avait pas endossé le rôle de meneur de l’entente. |
52 |
Au demeurant, le Tribunal a jugé, aux points 436 à 439 de l’arrêt attaqué, que la communication des griefs adressée aux entreprises incriminées comportait les principaux éléments de fait et de droit susceptibles de fonder l’amende que la Commission envisageait de leur infliger. En effet, d’une part, il n’incombait pas à celle-ci, à ce stade de la procédure, d’informer ADM de ce qu’elle serait qualifiée de meneur de l’entente. D’autre part, étant constant que le rapport du FBI et la déclaration de Cerestar avaient été annexés à cette communication, le Tribunal a jugé qu’ADM ne pouvait alléguer une violation des droits de la défense, quand bien même la Commission n’avait pas expressément indiqué, dans la partie de ladite communication relative à l’exposé des faits, qu’elle pourrait considérer ADM comme meneur de l’entente ni indiqué les éléments qu’elle retiendrait pour conclure à un tel rôle. |
53 |
Par conséquent, le Tribunal a rejeté le moyen d’ADM relatif à la qualification de meneur de l’entente. |
54 |
En troisième lieu, ADM faisait valoir que la Commission ne l’avait pas fait bénéficier, à tort, de la circonstance atténuante prévue au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, alors même qu’elle avait cessé de participer à l’entente dès les premières interventions des autorités de concurrence des États-Unis. |
55 |
Après s’être livré, aux points 335 et 336 de l’arrêt attaqué, à une interprétation du point 3, troisième tiret, des lignes directrices, le Tribunal a conclu, au point 338 de cet arrêt, que le bénéfice de cette circonstance atténuante ne saurait être accordé d’office, mais qu’il dépend des circonstances particulières du cas d’espèce. Or, selon le Tribunal, le caractère secret de l’entente en cause démontre que les entreprises concernées ont commis l’infraction qui leur a été reprochée de manière délibérée, de sorte que, conformément à sa jurisprudence, la cessation d’une telle infraction ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu’elle a été déterminée par l’intervention de la Commission. Partant, le Tribunal a rejeté le moyen d’ADM relatif à l’absence de prise en considération de cet élément à titre de circonstance atténuante. |
56 |
En quatrième lieu, ADM reprochait à la Commission de ne pas lui avoir accordé une réduction «très importante», au sens du titre B de la communication sur la coopération, du montant de l’amende qui aurait dû lui être infligée en l’absence de coopération, alors même qu’elle avait été la première entreprise à fournir à la Commission les éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. |
57 |
Le Tribunal a également rejeté ce moyen, jugeant aux points 377 et 378 de l’arrêt attaqué que c’est à bon droit que la Commission avait écarté le bénéfice d’une réduction «très importante» du montant de l’amende eu égard au rôle de meneur d’ADM au sein de l’entente. |
58 |
Enfin, le Tribunal a, pour le surplus, fait droit au moyen présenté par ADM quant à l’irrégularité de la prise en considération, au considérant 158 de la décision litigieuse, de certains éléments qui n’avaient pas été mentionnés dans la communication des griefs. Partant, il a annulé l’article 1er de cette décision en ce que, lu en combinaison avec ledit considérant, il constate qu’ADM a, d’une part, gelé, restreint et fermé des capacités de production d’acide citrique, et, d’autre part, désigné le producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause. Toutefois, considérant que ces éléments étaient surabondants par rapport aux caractéristiques essentielles de l’entente, le Tribunal a estimé qu’il n’y avait pas lieu de modifier le montant de l’amende tel que fixé par la Commission en ce qui concerne ADM. Enfin, il a condamné celle-ci à supporter l’ensemble des dépens sous réserve d’un dixième de ses propres dépens mis à charge de la Commission. |
Les conclusions des parties
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ADM demande à la Cour:
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La Commission demande à la Cour:
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Sur le pourvoi
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La requérante invoque neuf moyens à l’appui de son pourvoi, tirés, respectivement:
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Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit quant à l’appréciation du respect des droits de la défense d’ADM en ce qui concerne la qualification de meneur
Argumentation des parties
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Par ce moyen, qui se subdivise en deux branches, ADM allègue une violation par le Tribunal de ses droits de la défense. |
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Dans la première branche, la requérante reproche au Tribunal d’avoir constaté, aux points 437 et 438 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait indiqué dans la communication des griefs les principaux éléments de fait caractérisant la gravité de son comportement, alors même qu’il n’y était pas fait mention de la circonstance qu’elle était susceptible d’être considérée comme meneur de l’entente. Or, le rôle de meneur serait un des principaux éléments devant ressortir de la communication des griefs sous peine de violer les droits de la défense de l’entreprise concernée. |
64 |
Dans la seconde branche, ADM fait valoir que la Commission ne l’a pas avertie, dans la communication des griefs, des faits retenus dans la décision litigieuse pour conclure à son rôle de meneur. La seule présence, en annexe à cette communication, des documents desquels ces faits résultent n’aurait pas été suffisante pour assurer le respect des droits de la défense de la requérante. |
65 |
La Commission considère que ce moyen n’est pas fondé. S’agissant de la première branche, par la mention, au point 158 de la communication des griefs, de ce qu’elle tiendrait compte du rôle joué individuellement par chaque entreprise ayant participé à l’infraction lorsqu’elle apprécierait la gravité de celle-ci, elle aurait répondu aux exigences jurisprudentielles rappelées par la requérante elle-même, ainsi que le Tribunal l’a jugé. |
66 |
La seconde branche serait inopérante, le Tribunal ayant jugé par ailleurs qu’il n’incombait pas à la Commission d’exposer, dans la communication des griefs, les faits qui la conduiraient à qualifier la requérante de meneur de l’entente. En tout état de cause, ladite branche serait non fondée, puisque ces faits auraient été connus de cette dernière, dès lors qu’ils résultaient des documents annexés à cette communication. En outre, différents points de ladite communication auraient explicitement visé la requérante. Par conséquent, celle-ci aurait été mise en mesure de faire valoir ses objections quant aux documents utilisés pour prouver son rôle de meneur au stade de la procédure administrative, de sorte que ses droits de la défense n’auraient pas été violés. |
Appréciation de la Cour
— Sur la première branche du premier moyen
67 |
Il résulte des constatations contenues au point 437 de l’arrêt attaqué que, dans la communication des griefs adressée à ADM, la Commission a qualifié l’infraction reprochée aux entreprises incriminées de très grave et a déclaré l’intention de fixer le montant des amendes à un niveau suffisamment dissuasif. Dans ce contexte, il ressort également des considérants 158, 161 et 162 de ladite communication que la Commission tiendrait compte du rôle joué individuellement par chaque entreprise ayant participé à l’infraction. |
68 |
Il y a lieu de souligner que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal au point 434 de l’arrêt attaqué, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction alléguée ainsi que la circonstance que celle-ci a été commise «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises incriminées d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 428, ainsi que du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande/Commission, C-101/07 P et C-110/07 P, point 49). |
69 |
Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence qu’obliger la Commission à faire part aux entreprises incriminées, au stade de la communication des griefs, des indications concrètes concernant le niveau des amendes envisagées reviendrait à lui imposer d’anticiper de façon inappropriée sa décision finale (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21). |
70 |
À ce titre, il y a lieu de souligner que la qualification de meneur d’une entente emporte d’importantes conséquences quant au montant de l’amende à infliger à une entreprise qualifiée comme tel. Ainsi, il s’agit, conformément au point 2 des lignes directrices, d’une circonstance aggravante qui entraîne une augmentation non négligeable du montant de base de l’amende. De même, aux termes du titre B, sous e), de la communication sur la coopération, une telle qualification exclut d’emblée le bénéfice d’une réduction très importante de l’amende, alors même que l’entreprise qualifiée de meneur remplirait toutes les conditions y énoncées pour pouvoir obtenir une telle réduction. |
71 |
Dès lors, il appartient à la Commission de mettre en avant, dans la communication des griefs, les éléments qu’elle estime pertinents pour permettre à l’entreprise incriminée susceptible d’être qualifiée de meneur de l’entente de répondre à un tel grief. Toutefois, eu égard au fait qu’une telle communication demeure une étape dans l’adoption de la décision finale et qu’elle ne constitue dès lors pas la position définitive de la Commission, il ne peut être exigé que cette dernière procède déjà à ce stade à une qualification juridique des éléments sur lesquels elle se fondera dans sa décision finale pour qualifier une entreprise de meneur de l’entente. |
72 |
Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ayant jugé que la Commission pouvait ne pas indiquer dans la communication des griefs qu’elle était susceptible de retenir la qualification de meneur en ce qui concerne ADM. |
73 |
Par conséquent, la première branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée. |
— Sur la seconde branche du premier moyen
74 |
Dans cette branche, ADM soutient que, en jugeant au point 439 de l’arrêt attaqué qu’elle avait été mise en mesure de faire valoir son point de vue sur certains faits retenus pour la qualifier de meneur au sein de l’entente dès lors que ces faits ressortaient de documents annexés à la communication des griefs, le Tribunal a violé ses droits de la défense. |
75 |
Pour qualifier ADM de meneur de l’entente, la Commission s’est appuyée, aux considérants 265 et 266 de la décision litigieuse, sur des faits qu’elle a tirés du rapport du FBI ainsi que de la déclaration de Cerestar. |
76 |
Ainsi, d’une part, ledit considérant 265, citant le rapport du FBI, indique que «la mécanique de l’arrangement G-4/5 semblait être l’idée [du représentant d’ADM] et qu’à la réunion du 6 mars 1991 à Bâle, où l’arrangement [relatif à l’acide citrique] a été formulé, [ce représentant] a joué un rôle assez actif», et encore que ledit représentant «était considéré comme ‘le Sage’, et était même surnommé ‘le prédicateur’». |
77 |
D’autre part, ledit considérant 266 contient un extrait de la déclaration de Cerestar aux termes duquel, «bien que [les représentants de HLR et de JBL présidassent] normalement la réunion ‘masters’, [Cerestar] avait la nette impression que [le représentant d’ADM] jouait un rôle moteur. [Ce dernier] présidait les réunions ‘sherpa’ et préparait généralement les dossiers et les propositions pour les barèmes à convenir». |
78 |
À titre liminaire, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal n’a pas affirmé le principe selon lequel celle-ci n’était pas tenue d’indiquer, dans la communication des griefs, les éléments de fait qui l’ont conduite à qualifier ADM de meneur. En effet, celui-ci s’est exprimé comme suit dans l’arrêt attaqué:
|
79 |
Partant, le Tribunal a jugé que la Commission avait respecté les droits de la défense d’ADM dans la mesure où elle avait annexé à la communication des griefs les éléments de preuve dont résultent les faits sur lesquels elle s’est fondée, dans la décision litigieuse, pour qualifier ADM de meneur de l’entente. |
80 |
Cela étant précisé, et bien qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé, au point 438 de l’arrêt attaqué, qu’il n’incombait pas à la Commission d’indiquer dans la communication des griefs la manière dont elle se servirait des éléments de fait pour déterminer le niveau de l’amende ni, en particulier, si elle entendait, sur la base de ces faits, qualifier une entreprise de meneur de l’entente, il incombait néanmoins à la Commission, à tout le moins, d’indiquer ces éléments de fait. |
81 |
Toutefois, force est de constater que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, les faits sur lesquels elle s’est fondée aux considérants 265 et 266 de la décision litigieuse, tirés du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar, n’ont pas été mentionnés dans la communication des griefs. |
82 |
En effet, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, le Tribunal n’a pas considéré, au point 439 de l’arrêt attaqué, que les faits déterminants avaient été exposés dans la communication des griefs, mais il a constaté que, par la simple circonstance que la Commission avait annexé à ladite communication les documents dont résultent ces faits, la requérante avait été mise en mesure de s’exprimer sur l’utilisation de ces documents à titre de preuve, mais aussi sur les faits qui y étaient décrits. |
83 |
Il y a dès lors lieu de vérifier si le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que la Commission avait respecté les droits de la défense de la requérante en procédant ainsi. |
84 |
Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire qui doit être observé même s’il s’agit d’une procédure de caractère administratif (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C-328/05 P, Rec. p. I-3921, point 70). |
85 |
Le respect des droits de la défense exige, notamment, que l’entreprise qui fait l’objet d’une enquête soit en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (voir arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 10; du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407/04 P, Rec. p. I-829, point 44, ainsi que SGL Carbon/Commission, précité, point 71). |
86 |
C’est, entre autres, la communication des griefs qui permet aux entreprises faisant l’objet d’une enquête de prendre connaissance des éléments de preuve dont dispose la Commission et de conférer aux droits de la défense leur pleine effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, points 315 et 316, ainsi que du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, points 66 et 67). |
87 |
À cet égard, cette communication doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 14). |
88 |
Le respect des droits de la défense exige ainsi que l’entreprise concernée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction (voir arrêt Dalmine/Commission, précité, point 44). |
89 |
Or, force est de constater que, dans les circonstances de l’espèce, le simple fait d’avoir annexé à la communication des griefs les documents dont sont tirés les faits sur la base desquels ADM a été qualifiée de meneur de l’entente ne suffit pas à répondre aux exigences susmentionnées, dans la mesure où, par ladite communication, il ne lui a pas été permis de contester ces faits et, par conséquent, de faire valoir utilement ses droits. |
90 |
En effet, il y a lieu de constater que les éléments de preuve dont sont tirés les faits qui ont fondé la qualification d’ADM de meneur de l’entente dans la décision litigieuse revêtent nécessairement, par leur nature, un aspect subjectif, puisqu’ils consistent dans des témoignages de personnes mises en cause dans la procédure d’infraction initiée par la Commission ou d’autres autorités nationales de concurrence. |
91 |
Ainsi, d’une part, le rapport du FBI est le fruit de l’interrogatoire d’un ancien représentant d’ADM qui a bénéficié d’une immunité dans le cadre de la procédure diligentée par les autorités de concurrence des États-Unis. |
92 |
D’autre part, le second élément de preuve consiste dans une déclaration spontanée de Cerestar, entreprise concurrente d’ADM sur le marché de l’acide citrique et qui a elle-même participé à l’entente incriminée. |
93 |
Or, la simple circonstance que ces documents aient été annexés à la communication des griefs n’a pas permis à la requérante d’apprécier la crédibilité qu’accordait la Commission à chacun des éléments mis en avant dans lesdits documents. |
94 |
Partant, dans les circonstances de l’espèce, il ne saurait être considéré que, en se limitant à annexer à la communication des griefs les documents et éléments de preuve dont résultent les faits sur lesquels elle s’est fondée dans la décision litigieuse pour qualifier la requérante de meneur au sein de l’entente, sans que ces faits aient été mentionnés expressément dans le texte même de ladite communication, la Commission a mis ADM en mesure de faire valoir ses droits. |
95 |
Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission n’avait pas violé les droits de la défense de la requérante en qualifiant celle-ci de meneur de l’entente sur le fondement des éléments qu’elle avait avancés à cette fin, mais qui n’avaient pas été mentionnés dans la communication des griefs adressée à la requérante. |
96 |
Dès lors, il convient d’accueillir la seconde branche du premier moyen. |
Sur les deuxième à cinquième moyens, tirés d’erreurs de droit ou de dénaturation des moyens de preuve en ce qui concerne la qualification d’ADM de meneur de l’entente
97 |
Eu égard à la réponse apportée au premier moyen présenté par ADM, il n’y a pas lieu d’examiner les deuxième à cinquième moyens du pourvoi, qui concernent également la qualification d’ADM de meneur de l’entente sur le fondement des éléments tirés du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar. |
Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur de droit quant à l’appréciation du Tribunal relative à la non-prise en compte de circonstances atténuantes
Argumentation des parties
98 |
ADM soutient que, en considérant, au point 346 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas l’obligation d’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes prévues par les lignes directrices en cas de cessation de l’infraction, le Tribunal a procédé à une interprétation erronée de ces dernières. En effet, contrairement à ce qu’il a jugé aux points 335 à 340, l’octroi de circonstances atténuantes ne saurait être une simple faculté ouverte à la Commission, qui pourrait prendre en compte le caractère secret de l’entente en vue d’en accorder le bénéfice ou non. |
99 |
La Commission considère que c’est à juste titre que le Tribunal a jugé qu’une cessation de l’infraction n’entraîne pas mécaniquement un droit à une réduction de l’amende. Elle disposerait à cet égard d’une marge d’appréciation au regard, notamment, du comportement de l’entreprise en cause. En l’espèce, ADM n’aurait pas contribué de manière décisive à la procédure administrative, de sorte qu’elle n’aurait pas pu bénéficier de circonstances atténuantes. |
Appréciation de la Cour
100 |
Il convient de rappeler que, conformément au point 3 des lignes directrices, le montant de base de l’amende fixé par la Commission est diminué, notamment, lorsque l’entreprise incriminée cesse l’infraction dès les premières interventions de la Commission. |
101 |
À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 338 de l’arrêt attaqué, qu’il faut interpréter cette disposition en ce sens que seules les circonstances particulières du cas d’espèce dans lesquelles l’hypothèse de la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission trouve à se concrétiser pourraient justifier la prise en compte de cette cessation comme circonstance atténuante. |
102 |
Partant, le Tribunal a rejeté la thèse de la requérante selon laquelle la cessation de l’entente devait entraîner automatiquement l’application d’une diminution du montant de base de l’amende par application du point 3 des lignes directrices, soulignant, au point 337 de l’arrêt attaqué, que l’interprétation de cette disposition prônée par ADM porterait atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE. |
103 |
Ce faisant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit. |
104 |
En effet, force est de constater que l’octroi d’une telle diminution du montant de base de l’amende est nécessairement lié aux circonstances de l’espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas l’accorder à une entreprise partie à un accord illicite. |
105 |
Ainsi, reconnaître le bénéfice d’une circonstance atténuante dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu’il constituait une infraction, pourrait inciter les entreprises à poursuivre un accord secret aussi longtemps que possible, dans l’espoir que leur comportement ne serait jamais découvert, tout en sachant que, s’il venait à être découvert, elles pourraient voir l’amende réduite en interrompant alors l’infraction. Une telle reconnaissance ôterait tout effet dissuasif à l’amende infligée et porterait atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C-510/06 P, Rec. p. I-1843, point 149). |
106 |
Dès lors, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que, dans les circonstances qu’il a constatées, la requérante ne saurait faire valoir que la Commission était obligée de lui accorder le bénéfice d’une diminution du montant de base de l’amende au motif qu’elle a mis fin à son comportement illégal dès les premières interventions des autorités de concurrence des États-Unis. |
107 |
Par conséquent, il convient de rejeter le sixième moyen comme non fondé. |
Sur le septième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’application du titre B de la communication sur la coopération
Argumentation des parties
108 |
Considérant que la qualification de meneur a été retenue erronément à son égard, ADM reproche au Tribunal de ne pas avoir accueilli son moyen relatif au bénéfice de l’application du titre B de la communication sur la coopération. |
109 |
Selon la Commission, ce moyen constitue une répétition du premier moyen du pourvoi, de sorte qu’il doit être déclaré irrecevable. |
Appréciation de la Cour
110 |
Ainsi qu’il a été jugé au point 95 du présent arrêt, le Tribunal a considéré à tort que la Commission avait pu utiliser les faits tels qu’ils résultent du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar pour qualifier ADM de meneur de l’entente, alors que ces faits n’avaient pas été mentionnés dans la communication des griefs, sans violer les droits de la défense de cette dernière. |
111 |
Or, le Tribunal ayant considéré, aux points 225 et 226 de l’arrêt attaqué, que, mis à part les éléments de preuve précités, l’existence des réunions bilatérales ne constituait qu’un indice et ne permettait pas, à elle seule, de conclure au rôle de meneur de la requérante, il en découle que c’est à tort que le Tribunal a confirmé la qualification de meneur de l’entente en ce qui concerne ADM. |
112 |
Partant, dans la mesure où la requérante n’a pas été légalement qualifiée de meneur de l’entente, le Tribunal ne pouvait pas, sans commettre une erreur de droit, écarter le bénéfice de l’application du titre B de la communication sur la coopération aux motifs qu’elle avait eu un rôle de meneur de l’entente. |
113 |
Dès lors, il convient d’accueillir le présent moyen. |
Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime
Arguments des parties
114 |
Selon ADM, les constatations opérées par le Tribunal aux points 386 à 391 de l’arrêt attaqué auraient dû le conduire à conclure que la Commission avait fait naître des attentes légitimes dans son chef en ce qui concerne l’application d’une réduction du montant de l’amende conformément au titre B de la communication sur la coopération. À cet égard, la requérante soutient que le stade de la procédure auquel a lieu la coopération ne serait pas pertinent quant à la naissance de telles attentes, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 394 de l’arrêt attaqué. Elle se réfère à cet égard à l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C-182/03 et C-217/03, Rec. p. I-5479, points 147 à 167). |
115 |
La Commission considère que, dès lors qu’elle n’est pas objectivement en mesure de définir précisément le rôle de chaque participant à une entente avant l’aboutissement de la procédure administrative, ADM n’a pas pu nourrir des espérances quant à l’application éventuelle d’une réduction «très importante», au sens du titre B de la communication sur la coopération, du montant de l’amende qui lui serait infligée. |
Appréciation de la Cour
116 |
D’une part, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 208 de ses conclusions, il faut constater que, par le présent moyen, ADM cherche à obtenir, au stade du pourvoi, un réexamen des faits appréciés par le Tribunal, pour lequel la Cour n’est pas compétente hormis les cas de dénaturation des éléments de preuve. |
117 |
Or, en l’occurrence, sur la base des éléments examinés par le Tribunal aux points 386 à 391 de l’arrêt attaqué, celui-ci a pu raisonnablement déduire que la Commission a entendu inciter la requérante à coopérer sans pour autant lui fournir d’assurance précise quant au bénéfice d’une réduction, par application du titre B de la communication sur la coopération, du montant de l’amende qui lui serait infligée. |
118 |
D’autre part, conformément au titre E de cette communication, ce n’est qu’au moment où la Commission adopte la décision finale qu’elle apprécie si les conditions énoncées aux titres B, C ou D de ladite communication sont remplies. Dès lors, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission ne pouvait fournir aucune assurance précise à la requérante quant au bénéfice d’une quelconque réduction d’amende dans la phase de la procédure antérieure à l’adoption de la décision finale. |
119 |
Par conséquent, le huitième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé. |
Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation du principe selon lequel la Commission doit respecter les règles qu’elle s’est imposées
Argumentation des parties
120 |
ADM reproche au Tribunal de ne pas avoir constaté que la Commission n’avait, à tort, pas défini le marché pertinent pour évaluer l’impact de l’entente, alors même qu’il s’agit d’un préalable indispensable pour constater une atteinte portée au marché par cette entente. Or, si la Commission avait défini ledit marché, elle aurait dû tenir compte des produits de substitution de l’acide citrique et conclure, au regard des éléments de preuve avancés par la requérante, à une absence d’impact de l’entente sur les prix pratiqués dans le secteur de l’acide citrique. |
121 |
Selon la Commission, d’une part, ce moyen est irrecevable, dès lors que la requérante demande, en fait, à la Cour d’examiner l’appréciation des éléments de preuve qu’elle a apportés. D’autre part, l’approche d’ADM reposerait sur une mauvaise compréhension de l’objectif poursuivi par la définition du marché en cause. En l’occurrence, il conviendrait de distinguer l’appréciation de l’existence d’une infraction à l’article 81 CE, qui nécessite la définition du marché pertinent, de l’appréciation de la gravité de l’infraction. |
Appréciation de la Cour
122 |
À titre liminaire, il convient de rappeler que les lignes directrices prévoient que l’impact concret de l’infraction sur le marché est un élément à prendre en considération pour apprécier la gravité de l’infraction commise dans le cadre de la fixation du montant de l’amende. |
123 |
Le Tribunal a indiqué, au point 198 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’est limitée au marché de l’acide citrique pour déterminer l’impact concret de l’entente. Ce faisant, elle n’a pas tenu compte du marché plus vaste que la requérante préconisait de prendre en considération, englobant les produits de substitution de l’acide citrique que cette dernière a identifiés. |
124 |
Ainsi, le Tribunal s’est référé, aux points 152 à 156 et 180 à 193 de l’arrêt attaqué, à l’analyse à laquelle s’était livrée la Commission dans la décision litigieuse, qui l’a amenée à constater une évolution des prix de l’acide citrique parallèlement à la mise en place de l’entente, constatation qui n’a pas été contestée par ADM. |
125 |
À cet égard, d’une part, si l’impact concret de l’infraction sur le marché est un élément à prendre en considération pour évaluer la gravité de ladite infraction, il s’agit d’un critère parmi d’autres, à savoir la nature propre de l’infraction et l’étendue du marché géographique. De même, les lignes directrices précisent que cet impact concret sur le marché est à prendre en considération uniquement lorsqu’il est mesurable. |
126 |
D’autre part, ainsi qu’il a été mis en avant par M. l’avocat général aux points 200 et 201 de ses conclusions, la requérante n’a pas contesté que, à tout le moins sur une partie du marché, l’entente avait eu des effets sur les prix de l’acide citrique. |
127 |
Dans ces conditions, le Tribunal a considéré à juste titre, aux points 200 et 201 de l’arrêt attaqué, que l’argumentation de la requérante ne saurait prospérer dans la mesure où cette dernière n’avait pas démontré que la Commission aurait dû constater une absence d’impact de l’entente si elle avait défini le marché pertinent comme la requérante le préconise. |
128 |
Ce faisant, contrairement à ce que cette dernière soutient, le Tribunal s’est borné à considérer que les preuves avancées par celle-ci ne permettaient pas de réfuter l’analyse de la Commission, sans pour autant renverser la charge de la preuve. |
129 |
Dès lors, il y a lieu de rejeter le neuvième moyen comme étant non fondé. |
130 |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il écarte les moyens invoqués par la requérante à l’appui de son recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse en ce que cette décision la qualifie de meneur de l’entente et, pour ce motif, d’une part, procède à une majoration du montant de base de l’amende à lui infliger et, d’autre part, écarte l’application du titre B de la communication sur la coopération au bénéfice de la requérante. |
Sur le recours devant le Tribunal
131 |
Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice, cette dernière peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce. |
Sur le moyen tiré d’une qualification erronée de meneur de l’entente
132 |
Le moyen présenté à l’appui du recours contre la décision litigieuse sur lequel le Tribunal a statué erronément s’inscrit dans la contestation, par la requérante, de la qualification de meneur de l’entente et de l’application, pour ce motif, d’une augmentation de 35 % du montant de base de l’amende. |
133 |
Dès lors qu’il résulte du point 94 du présent arrêt que la Commission n’a pas mis ADM en mesure de faire valoir ses droits en ce qui concerne les éléments résultant du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar qu’elle a retenus dans la décision litigieuse pour la qualifier de meneur de l’entente, il convient de vérifier si cette institution a, en dehors de ces faits, présenté des éléments de preuve permettant de retenir une telle qualification. |
134 |
À ce titre, il ressort des considérants 263 et 264 de la décision litigieuse ainsi que des points 56 à 58 de la communication des griefs que la Commission a avancé, additionnellement, l’existence d’un cycle de réunions bilatérales entre ADM et, respectivement, HLR, H & R et JBL durant le mois de janvier 1991 en vue d’initier, voire d’élaborer, l’entente. |
135 |
Cependant, au considérant 264 de la décision litigieuse, la Commission a ajouté que «l’existence d’un cycle de réunions bilatérales entre ADM et ses concurrents peu avant la première réunion multilatérale de l’entente ne suffit pas pour conclure qu’ADM était l’instigateur de l’entente, mais en constitue une forte indication». Ensuite, la Commission s’est référée, aux considérants 265 et 266 de cette décision, à des éléments précis tirés du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar. |
136 |
Or, ainsi qu’il résulte des points 94 et 95 du présent arrêt, la Commission ne pouvait se fonder sur les éléments déterminants retenus aux considérants 265 et 266 de la décision litigieuse pour qualifier ADM de meneur de l’entente, alors que ces éléments n’avaient pas été mentionnés dans la communication des griefs, sans violer les droits de la défense de celle-ci. |
137 |
Par conséquent, l’existence du cycle de réunions bilatérales visée aux considérants 263 et 264 de cette décision n’étant pas, à elle seule, suffisante pour qualifier ADM de meneur de l’entente, la Commission est restée en défaut de prouver le bien-fondé de cette qualification, de sorte qu’elle ne pouvait appliquer au montant de base de l’amende infligée à la requérante une majoration de 35 % à titre de circonstance aggravante liée à ladite qualification. |
138 |
Il convient dès lors d’accueillir ce moyen. |
Sur le moyen tiré d’une application erronée des dispositions du titre B, sous b), de la communication sur la coopération
La décision litigieuse
139 |
Sur la base des constatations opérées au considérant 305 de la décision litigieuse, la Commission a, en application du titre B de la communication sur la coopération, consenti à Cerestar une «réduction très importante», à savoir de 90 %, du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. La Commission a en effet estimé dans ce considérant que cette entreprise avait été la première à fournir les éléments déterminants permettant de prouver l’existence de l’entente lors d’une réunion tenue avec les services de la Commission le 29 octobre 1998. Elle a ajouté, au considérant suivant, que les «renseignements fournis par [Cerestar] à la réunion du 29 octobre 1998, qui correspondent à ceux qui ont figuré ultérieurement dans sa déclaration écrite du 25 mars 1999, ont suffi pour établir l’existence de l’entente et ont été communiqués à la Commission avant qu’ADM ne les lui fournisse». Partant, la Commission a rejeté, au considérant 308 de ladite décision, la thèse d’ADM selon laquelle cette dernière remplissait les conditions prévues audit titre B pour bénéficier d’une «réduction très importante» du montant de l’amende. |
Argumentation des parties
140 |
À l’appui de son recours devant le Tribunal, ADM a soutenu que la Commission avait fait une application erronée du titre B, sous b), de la communication sur la coopération. Elle aurait en effet été «la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente», au sens de cette disposition, lors de la réunion du 11 décembre 1998, les éléments fournis par Cerestar lors de la réunion intervenue le 29 octobre 1998 n’ayant pas été «déterminants» au sens de ladite disposition. |
141 |
En effet, premièrement, aucune information n’aurait été fournie par Cerestar au sujet de l’entente pour la période antérieure au 12 mai 1992, date à laquelle celle-ci a commencé à y être impliquée. La connaissance que la Commission a eue de l’entente pour cette période n’aurait dès lors résulté que des informations fournies en premier lieu par ADM. |
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Deuxièmement, la déclaration de Cerestar, qui correspond aux informations communiquées oralement lors de la réunion du 29 octobre 1998, n’aurait été ni concluante ni précise quant aux dates des réunions et aux participants à l’entente. Cerestar aurait ainsi identifié 32 réunions, qui se seraient tenues à différentes dates se situant entre le 14 novembre 1991, soit avant sa participation à l’entente, et le 17 juillet 1996, c’est-à-dire bien après la dissolution de l’entente. Elle aurait déclaré que neuf d’entre elles étaient des réunions de l’entente qui avaient certainement eu lieu, huit étaient des réunions «possibles», tandis que pour les quinze autres, il ne s’agissait pas de réunions de l’entente ou «il [aurait été] de moins en moins probable qu’elles l’aient été». L’identité des participants aurait été fournie pour trois des 17 réunions qui s’étaient révélées être des réunions «certaines» ou «possibles» de l’entente. Six des réunions ainsi identifiées n’auraient en réalité nullement eu lieu, selon le témoignage des autres entreprises concernées et les constatations de la Commission. |
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Troisièmement, Cerestar aurait reconnu ultérieurement, dans une lettre adressée à la Commission le 7 mai 1999, qu’un certain nombre de réunions ainsi identifiées n’avaient en réalité pas eu lieu. |
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Quatrièmement, la déclaration de Cerestar serait vague et peu concluante quant à l’objet des réunions. Aucune donnée précise n’aurait été fournie concernant les prix et les quotas, en dehors de ceux fixés pour Cerestar elle-même. |
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Cinquièmement, il n’apparaîtrait pas clairement si, à l’instar d’ADM, Cerestar a fourni à la Commission une preuve sous la forme d’un témoignage direct. Au demeurant, Cerestar aurait ultérieurement estimé nécessaire de développer et de clarifier sa déclaration orale du 29 octobre 1998. |
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Sixièmement, Cerestar elle-même aurait fait l’objet d’une demande d’informations plus détaillées de la part de la Commission, datée du 3 mars 1999 et fondée sur les déclarations d’ADM. Cerestar aurait ainsi eu l’occasion d’examiner cette demande d’informations, qui se serait référée à des dates ainsi qu’à des lieux déterminés de réunions et aurait été basée sur les éléments fournis par ADM, avant de communiquer à la Commission sa déclaration finale du 25 mars 1999. |
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La requérante soutient que les preuves apportées par elle-même ont été, en revanche, concluantes. En effet, lors de la réunion du 11 décembre 1998, elle aurait fourni à la Commission un témoignage direct, une preuve documentaire contemporaine de l’époque des faits ainsi que des documents probants établissant le cadre et la mise en œuvre de l’accord organisant l’entente. Les éléments de preuve produits par ADM auraient livré de nombreux détails précis concernant les réunions, les participants, les mécanismes de compensation et de contrôle, les prix et les quotas de l’entente. |
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La Commission fait valoir qu’il n’est pas pertinent, s’agissant de l’appréciation du caractère «déterminant» d’éléments fournis, au sens du titre B, sous b), de la communication sur la coopération, que ces éléments émanent d’une entreprise n’ayant pas participé à l’entente incriminée pendant toute la durée de celle-ci. En effet, ces éléments devraient se rapporter à l’existence de l’entente, et non à sa durée. |
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De même, le caractère incomplet d’informations communiquées à la Commission ne ferait pas obstacle au fait qu’elles puissent être considérées comme déterminantes. |
Appréciation de la Cour
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À titre liminaire, il convient de souligner, ainsi que l’a fait M. l’avocat général aux points 221 et 222 de ses conclusions, que le texte même du titre B, sous b), de la communication sur la coopération ne requiert pas que la «première» entreprise ait fourni l’ensemble des éléments prouvant tous les détails du fonctionnement de l’entente. Conformément à cette disposition, pour pouvoir être considérée comme telle, il suffit à une entreprise d’apporter «des» éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. Ce texte n’exige pas non plus que les éléments fournis soient, à eux seuls, suffisants pour l’élaboration d’une communication des griefs, voire pour l’adoption d’une décision finale constatant l’existence d’une infraction. Toutefois, si les éléments visés audit titre B, sous b), ne doivent pas nécessairement être, en eux-mêmes, suffisants pour prouver l’existence de l’entente, ils doivent néanmoins être déterminants à cette fin. Il doit donc s’agir non pas simplement d’une source permettant d’orienter les investigations à mener par la Commission, mais d’éléments susceptibles d’être utilisés directement comme base probatoire principale pour une décision de constatation d’infraction. |
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Il y a lieu de souligner également que, dans le cadre dudit titre B, sous b), le fait que des éléments déterminants aient été fournis oralement est sans importance. |
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Enfin, la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation pour évaluer si la coopération d’une entreprise a été «déterminante», au sens de cette disposition, pour la constatation de l’existence d’une infraction et la cessation de cette dernière, de sorte que seul un usage excessif manifeste de cette marge d’appréciation est susceptible d’être censuré. |
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C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant que Cerestar avait été la première entreprise à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. |
154 |
La Commission a exposé aux considérants 305 et 306 de la décision litigieuse que Cerestar avait été la première à lui fournir les éléments déterminants permettant de prouver l’existence de l’entente au cours d’une réunion tenue le 29 octobre 1998, les déclarations de cette entreprise ayant été confirmées par écrit le 25 mars 1999. |
155 |
Il y a lieu de relever, premièrement, qu’ADM ne saurait contester le caractère déterminant des informations fournies par Cerestar au seul motif que cette dernière n’a participé à l’entente qu’un an après sa mise en œuvre. |
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En effet, d’une part, ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission, le titre B, sous b), de la communication sur la coopération requiert que les éléments déterminants fournis se rapportent à l’existence même de l’entente, et non à sa durée. |
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D’autre part, la déclaration de Cerestar contient des indications concernant des réunions multilatérales qui se sont déroulées avant sa participation à l’entente, qui ont été corroborées par les déclarations d’ADM lors de la réunion tenue entre des représentants respectifs de celle-ci et de la Commission. |
158 |
Deuxièmement, s’agissant du contenu même de la déclaration de Cerestar, il importe de souligner, d’une part, qu’y sont décrits les mécanismes de l’entente, à savoir le système de fixation des prix, l’attribution de parts de marché, le système d’échange d’informations et les arrangements de compensation. D’autre part, cette déclaration contient une liste des différentes réunions ayant eu lieu entre les entreprises participant à l’entente. |
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S’il est vrai que les informations contenues dans la déclaration de Cerestar sont, pour certaines, approximatives et ne contiennent pas systématiquement des données chiffrées concernant les décisions prises au cours des réunions de l’entente, il n’en demeure pas moins que la Commission a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que ces éléments étaient déterminants pour prouver l’existence de l’entente. |
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En effet, les informations fournies par Cerestar lors de la réunion du 29 octobre 1998 ont permis à la Commission de prendre connaissance de l’existence de l’entente sur le marché de l’acide citrique européen, d’en connaître approximativement la durée, les mécanismes et le déroulement. |
161 |
Dès lors, sans pour autant constituer des preuves en elles-mêmes suffisantes de l’ensemble des aspects de l’infraction, les éléments fournis par Cerestar sont plus qu’une source permettant d’orienter les investigations à mener par la Commission, étant susceptibles d’être utilisés directement par cette dernière pour prouver l’existence de l’entente. |
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À cet égard, le fait que ces informations ne résultent pas d’un témoignage direct ou qu’elles aient été complétées ou précisées par la suite n’est pas pertinent pour apprécier leur caractère déterminant. |
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Par conséquent, il convient de rejeter le moyen de la requérante tiré de l’application erronée par la Commission du titre B, sous b), de la communication sur la coopération. |
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Il résulte de l’ensemble de ces considérations que, en vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, il y a lieu d’annuler l’article 3 de la décision litigieuse en tant que celui-ci fixe le montant de l’amende due par ADM à 39,69 millions d’euros compte tenu de la majoration de 35 % du montant de base de l’amende à infliger à celle-ci en raison de sa qualité de meneur de l’entente et, partant, de réduire cette amende à 29,4 millions d’euros. |
Sur les dépens
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En vertu de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce dernier, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 69, paragraphe 3, dudit règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens. |
166 |
Les deux parties ayant partiellement succombé en leurs moyens dans le cadre de la procédure de pourvoi, il convient de condamner la Commission à supporter la moitié des dépens de la requérante, cette dernière supportant les dépens de la Commission ainsi que la moitié de ses propres dépens. |
167 |
S’agissant de la procédure devant le Tribunal, l’arrêt attaqué ayant été partiellement annulé et les conclusions de la requérante en première instance partiellement accueillies, il y a lieu de mettre à charge de la Commission un quart des dépens de première instance de la requérante, cette dernière supportant les dépens de la Commission ainsi que les trois quarts de ses propres dépens. |
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.