ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
15 mai 2008 (*)
«Manquement d’État – Directive 79/409/CEE – Conservation des oiseaux sauvages – Dérogations au régime de protection des oiseaux sauvages – Région de Ligurie»
Dans l’affaire C‑503/06,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 13 décembre 2006,
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme D. Recchia, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. Fiengo, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Makarczyk et J.-C. Bonichot (rapporteur), juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, du fait de l’adoption et de l’application, par la région de Ligurie, d’une réglementation autorisant des dérogations au régime de protection des oiseaux sauvages qui ne respecte pas les conditions fixées à l’article 9 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la «directive»), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Le cadre juridique
2 La directive a pour objet de garantir la protection, la gestion et la régulation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité CE est d’application.
3 L’article 5 de la directive dispose ce qui suit:
«Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction:
a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée;
b) de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids;
c) de ramasser les œufs dans la nature et de les détenir, même vides;
d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive;
e) de détenir les oiseaux des espèces dont la chasse et la capture ne sont pas permises.»
4 L’article 7 de la directive prévoit:
«1. En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l’annexe II peuvent être l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution.
2. Les espèces énumérées à l’annexe II partie 1 peuvent être chassées dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.
3. Les espèces énumérées à l’annexe II partie 2 peuvent être chassées seulement dans les États membres pour lesquels elles sont mentionnées.
[...]»
5 L’article 9 de la directive autorise cependant certaines dérogations dans les conditions suivantes:
«1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5, 6, 7 et 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après:
a) − dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,
– dans l’intérêt de la sécurité aérienne,
– pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,
– pour la protection de la flore et de la faune;
b) pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions;
c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.
2. Les dérogations doivent mentionner:
– les espèces qui font l’objet des dérogations,
– les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés,
– les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises,
– l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes,
– les contrôles qui seront opérés.
[...]»
6 Le pinson des arbres (Fringilla cœlebs ombriosa) est mentionné à l’annexe I de la directive, qui recense les espèces faisant l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. La partie 2 de l’annexe II de la directive, qui énumère les espèces pouvant être chassées dans certains États membres, ne mentionne pas l’étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) parmi les espèces pouvant être chassées en Italie. La chasse éventuelle de ces espèces dans cet État membre, par dérogation aux interdictions imposées aux articles 5 à 8 de la directive, doit donc remplir les conditions prévues à l’article 9 de celle-ci.
7 Pour la région de Ligurie, la loi régionale n° 34, portant mise en œuvre de l’article 9 de la directive communautaire 79/409 du 2 avril 1979 concernant la protection des oiseaux sauvages (legge regionale n. 34, attuazione dell’articolo 9 della direttiva comunitaria 79/409 del 2 aprile 1979 sulla conservazione degli uccelli selvatici), du 5 octobre 2001 (BUR Liguria n° 10, du 10 octobre 2001), telle que modifiée par la loi régionale n° 31, du 13 août 2002 (BUR Liguria n° 12, du 28 août 2002, ci-après la «loi régionale n° 34/2001»), indique, à son annexe I, les espèces qui peuvent faire l’objet de la dérogation visée à l’article 9 de la directive. Selon cette annexe, l’étourneau sansonnet et le pinson des arbres peuvent être chassés, à raison d’un prélèvement saisonnier maximal de 150 unités par chasseur en ce qui concerne l’étourneau sansonnet et de 100 unités par chasseur en ce qui concerne le pinson des arbres.
La procédure précontentieuse
8 Par lettre de mise en demeure adressée à la République italienne en date du 10 avril 2006, la Commission a invité cet État membre à lui faire part de ses observations à propos de la législation régionale mentionnée au point précédent dans un délai de deux mois à compter de la réception de cette lettre. La République italienne a demandé une prorogation de deux mois de ce délai, qui a été refusée par la Commission en raison de l’imminence de l’ouverture de la saison de chasse.
9 La République italienne n’ayant pas contesté les griefs formulés dans cette lettre de mise en demeure ni remédié à la situation dénoncée par celle-ci, la Commission lui a envoyé, le 4 juillet 2006, un avis motivé par lequel elle l’invitait à se conformer aux dispositions de la directive dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.
10 Par communication du 31 août 2006, les autorités italiennes ont informé la Commission que l’adoption du décret-loi n° 251, contenant des dispositions urgentes pour assurer l’adaptation de l’ordre juridique national à la directive 79/409/CEE en matière de conservation de la faune sauvage (decreto-legge n. 251, disposizioni urgenti per assicurare l’adeguamento dell’ordinamento nazionale alla direttiva 79/409/CEE in materia di conservazione della fauna selvatica), du 16 août 2006 (GURI n° 191, du 18 août 2006, p. 4), avait permis de remédier aux infractions constatées dans l’avis motivé. Toutefois, ce décret-loi est par la suite devenu caduc ex tunc, faute d’avoir été converti en loi dans un délai de 60 jours à compter de sa publication (GURI n° 243, du 18 octobre 2006, p. 58).
11 Le 7 novembre 2006, la Commission a été informée que la région de Ligurie avait adopté la loi régionale n° 35, portant mise en œuvre de l’article 9 de la directive communautaire 79/409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages – Mesures de sauvegarde pour les zones de protection spéciale (legge regionale n. 35, attuazione dell’articolo 9 della direttiva comunitaria 79/409 del 2 aprile 1979 sulla conservazione degli uccelli selvatici. Misure di salvaguardia per le zone di protezione speciale), du 31 octobre 2006 (BUR Liguria n° 16, du 2 novembre 2006, ci-après la «loi régionale n° 35/2006»), loi par laquelle cette région entendait se conformer à l’article 9 de la directive. Cependant, ladite région a, ce même jour, adopté la loi régionale n° 36, portant activation pour la saison de chasse 2006/2007 de la dérogation au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), troisième alinéa, de la directive 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages (legge regionale n. 36, attivazione della deroga per la stagione venatoria 2006/2007 ai sensi dell’articolo 9, comma 1, lettera A, terzo alinea della Direttiva 79/409/CEE sulla conservazione degli uccelli selvatici), du 31 octobre 2006 (BUR Liguria n° 16, du 2 novembre 2006, ci-après la «loi régionale n° 36/2006»), qui maintient un régime de dérogations prévues à l’article 9 de la directive d’une manière que la Commission estime non conforme à cette disposition.
12 C’est dans ces conditions que la Commission a introduit le présent recours.
La procédure devant la Cour
13 Par ordonnance du 19 décembre 2006, Commission/Italie (C‑503/06 R), le président de la Cour a ordonné qu’il soit sursis à l’application de la loi régionale n° 36/2006 jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettra fin à la procédure de référé introduite par la requête contenant demande de sursis à exécution et de mesures provisoires au titre des articles 242 CE et 243 CE, déposée par la Commission le 13 décembre 2006.
14 Une ordonnance du président de la Cour du 27 février 2007, Commission/Italie (C‑503/06 R), a constaté qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le maintien du sursis à l’application de la loi régionale n° 36/2006.
15 Par ordonnance du 19 juin 2007, le président de la Cour a rejeté comme irrecevable la demande d’intervention de la Regione Liguria dans la présente affaire, formée par requête déposée au greffe de la Cour le 22 mai 2007.
Sur le recours
16 La Commission fait valoir, en premier lieu, que la loi régionale n° 34/2001, qui constitue le cadre normatif de l’exercice des dérogations prévues à l’article 9 de la directive, identifie les espèces pouvant être chassées de manière générale et abstraite, sans limite de temps, et que l’annexe de cette loi répertoriant lesdites espèces n’est pas soumise à une révision annuelle obligatoire. Selon la Commission, ce cadre normatif ne répond pas à l’objectif de la dérogation encadrée par l’article 9 de la directive, dans la mesure où il autorise la pratique régulière de la chasse des espèces d’oiseaux protégées en vertu de la directive.
17 En deuxième lieu, la Commission considère comme contraire à l’article 9 de la directive la possibilité, découlant de ladite loi régionale, d’adopter une dérogation en vertu de cet article sur la base d’une référence générale à tous les cas visés par ce même article, sans exiger l’indication précise de la raison de cette dérogation par référence à l’une des hypothèses visées audit article 9, paragraphe 1, et, par ailleurs, sans en préciser les motifs concrets.
18 En troisième lieu, la Commission soutient que la loi régionale n° 34/2001 ne prévoit le respect ni de la condition relative à l’absence d’autres solutions satisfaisantes ni de l’indication des autorités habilitées à déclarer que les conditions exigées sont réunies et à décider des moyens, des installations ou des méthodes à utiliser, des personnes pouvant les utiliser ainsi que des limites de cette utilisation.
19 La Commission relève en outre que la loi régionale n° 34/2001 est à l’origine de mesures d’application non conformes à la directive, telles que les décisions du Conseil régional de Ligurie no 1085, portant modalités de mise en œuvre du régime de dérogation au sens de l’article 9 de la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages pour la saison 2005/2006, du 23 septembre 2005 (BUR Liguria, partie II, n° 41, du 12 octobre 2005), et no 1195, portant modalités de mise en œuvre, pour l’espèce étourneau, du régime de dérogation au sens de l’article 9 de la directive communautaire 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages pour la saison 2005/2006, du 14 octobre 2005 (BUR Liguria, partie II, n° 45, du 9 novembre 2005).
20 La Commission met également en cause la loi régionale n° 14, portant activation du régime de dérogation au sens de l’article 9 de la directive communautaire 79/409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages pour la saison 2005/2006, du 9 novembre 2005 (BUR Liguria n° 11, du 9 novembre 2005), soutenant que cette loi ne comporte pas d’examen des éventuelles autres solutions satisfaisantes et ne mentionne ni la raison théorique et les motifs concrets de la dérogation accordée, ni l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies et à décider des moyens, des installations et des méthodes à utiliser, des personnes pouvant les utiliser ainsi que des limites de cette utilisation, ni les contrôles à opérer.
21 Enfin, si la Commission reconnaît que la loi régionale n° 35/2006, qui abroge et remplace la loi régionale n° 34/2001 à compter du 1er novembre 2006, instaure un cadre général pour l’octroi de dérogations en vertu de l’article 9 de la directive qui paraît conforme à la réglementation communautaire, elle relève que la loi régionale n° 36/2006, adoptée le même jour, autorise les dérogations visées à l’article 9 de manière non conforme à la directive pour la saison de chasse 2006/2007 en ce qui concerne l’étourneau sansonnet.
22 La République italienne, dans le mémoire qu’elle a présenté à la Cour, se borne à lui transmettre les arguments de la région de Ligurie en les reproduisant textuellement, mais sans les reprendre à son compte. La République italienne ne présente en outre pas de conclusions tendant au rejet du recours de la Commission ni même à la condamnation de cette dernière aux dépens. De plus, la République italienne a fait savoir à la Cour, dans le cadre de la procédure de référé, qu’elle partageait l’analyse de la Commission et qu’elle a introduit, devant la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle), un recours contestant la constitutionnalité de la loi régionale n° 34/2001 sur les mêmes fondements que le présent recours en manquement.
23 Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer comme fondé le recours introduit par la Commission, sans toutefois que la Cour examine la conformité avec la directive de la loi régionale n° 36/2006, qui a été promulguée postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé.
24 Par conséquent, il convient de constater que, du fait de l’adoption et de l’application, par la région de Ligurie, d’une réglementation autorisant des dérogations au régime de protection des oiseaux sauvages qui ne respecte pas les conditions fixées à l’article 9 de la directive, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu celle-ci.
Sur les dépens
25 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux liés à la procédure de référé.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:
1) Du fait de l’adoption et de l’application, par la région de Ligurie, d’une réglementation autorisant des dérogations au régime de protection des oiseaux sauvages qui ne respecte pas les conditions fixées à l’article 9 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu celle-ci.
2) La République italienne est condamnée aux dépens, y compris ceux liés à la procédure de référé.
Signatures
* Langue de procédure: l'italien.