ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 novembre 2008 (*)

«Manquement d’État – Directive 85/337/CEE – Évaluation des incidences de projets sur l’environnement – Autorisations accordées sans évaluation»

Dans l’affaire C‑66/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 6 février 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme F. Simonetti et M. X. Lewis, en qualité d’agents, assistés de Me F. Louis, avocat, et de M. C. O’Daly, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, et par MM. J. Connolly, SC, et G. Simons, BL, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par:

République de Pologne, représentée par Mme E. Ośniecka-Tamecka, en qualité d’agent,

partie intervenante,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. K. Schiemann, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. J. Makarczyk (rapporteur), P. Kūris, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mai 2008,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris, conformément aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 2 à 4, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175, p. 40), telle que modifiée par la directive 97/11/CE du Conseil, du 3 mars 1997 (JO L 73, p. 5, ci-après la «directive 85/337»), toutes les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi d’une autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et relevant des catégories de projets de l’annexe II, point 1, sous a) à c) et f), de cette directive soient soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/337, il y a lieu d’entendre par:

«[…]

projet:

–        la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages,

–        d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol;

[…]

autorisation:

la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet;

[…] »

3        Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 et 3, de la directive 85/337:

«1.      Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Ces projets sont définis à l’article 4.

[…]

3.      Sans préjudice de l’article 7, les États membres peuvent, dans des cas exceptionnels, exempter, en totalité ou en partie, un projet spécifique des dispositions prévues par la présente directive.

[...]»

4        L’article 4 de cette directive dispose:

«1.      Sous réserve de l’article 2 paragraphe 3, les projets énumérés à l’annexe I sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10.

2.      Sous réserve de l’article 2 paragraphe 3, les États membres déterminent, pour les projets énumérés à l’annexe II:

a)      sur la base d’un examen cas par cas,

ou

b)      sur la base des seuils ou critères fixés par l’État membre,

si le projet doit être soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10.

Les États membres peuvent décider d’appliquer les deux procédures visées aux points a) et b).

3.      Pour l’examen cas par cas ou la fixation des seuils ou critères fixés en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l’annexe III.

4.      Les États membres s’assurent que les décisions prises par les autorités compétentes en vertu du paragraphe 2 sont mises à la disposition du public.»

5        L’annexe II de cette même directive énumère les projets visés à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci.

6        Le point 1 de cette annexe est ainsi rédigé:

«Agriculture, sylviculture et aquaculture

a)      Projets de remembrement rural.

b)      Projets d’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-naturelles à l’exploitation agricole intensive.

c)      Projets d’hydraulique agricole, y compris projets d’irrigation et de drainage de terres.

d)      Premier boisement et déboisement en vue de la reconversion des sols.

e)      Installations d’élevage intensif (projets non visés à l’annexe I).

f)      Pisciculture intensive.

g)      Récupération de territoires sur la mer.»

7        L’annexe III de ladite directive, qui énumère les critères de sélection visés à l’article 4, paragraphe 3, de celle-ci, est libellée comme suit:

«1.      Caractéristiques des projets

Les caractéristiques des projets doivent être considérées notamment par rapport:

–        à la dimension du projet,

–        au cumul avec d’autres projets,

–        à l’utilisation des ressources naturelles,

–        à la production de déchets,

–        à la pollution et aux nuisances,

–        au risque d’accidents, eu égard notamment aux substances ou aux technologies mises en œuvre.

2.      Localisation des projets

La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d’être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte:

–        l’occupation des sols existants;

–        la richesse relative, la qualité et la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone;

–        la capacité de charge de l’environnement naturel, en accordant une attention particulière aux zones suivantes:

         […]

3.      Caractéristiques de l’impact potentiel

Les incidences notables qu’un projet pourrait avoir doivent être considérées en fonction des critères énumérés aux points 1 et 2, notamment par rapport à:

–        l’étendue de l’impact (zone géographique et importance de la population affectée),

         […]»

 La réglementation nationale

8        Les dispositions de la directive 85/337 ont été transposées en droit irlandais notamment par la loi sur l’aménagement du territoire et le développement de 2000 (Planning and Development Act 2000, ci-après le «PDA»), et les règlements sur l’aménagement du territoire et le développement de 2001 (Planning and Development Regulations 2001, S. I. n° 600/2001, ci-après les «PDR»), tels que modifiés.

9        En vertu du PDA, l’exécution d’un projet de développement suppose en principe une autorisation d’aménagement du territoire.

10      Une dispense de l’obligation d’obtenir une autorisation d’aménagement du territoire est prévue à l’article 6 des PDR, pour les projets appartenant à certaines catégories mentionnées en particulier à l’annexe 2, partie 3, du même texte. Cette dispense est cependant soumise à la condition que le projet concerné ne soit pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, en application des dispositions de l’article 9 des PDR.

11      Cet article énumère ainsi un certain nombre de cas dans lesquels ladite dispense ne peut trouver à s’appliquer en raison de l’application de clauses de sauvegarde.

12      Aux termes dudit article 9, paragraphe 1, sous a), tel est notamment le cas si l’exécution du projet considéré:

«[...]

(vi) doit porter atteinte au caractère d’un paysage, d’une vue ou d’une perspective ayant une valeur d’agrément particulière ou présentant un intérêt particulier, dont la préservation constitue l’objectif d’un plan de développement de la zone dans laquelle le développement est envisagé ou, dans l’attente de la modification d’un plan de développement ou de l’adoption d’un nouveau plan de développement, dans le projet de modification du plan de développement ou le projet de plan de développement;

(vii) consiste dans ou comporte l’excavation, l’altération ou la démolition (à des fins autres que l’extraction de tourbe) de lieux, de grottes, de sites, d’éléments ou d’autres objets présentant un intérêt archéologique, géologique, historique, scientifique ou écologique, dont la préservation constitue l’objectif d’un plan de développement de la zone dans laquelle le développement est envisagé ou, dans l’attente de la modification d’un plan de développement ou de l’adoption d’un nouveau plan de développement, dans le projet de modification du plan de développement ou le projet de plan de développement, sous réserve des excavations effectuées en vertu de et conformément à une autorisation accordée en vertu de l’article 26 de la loi de 1930 sur les monuments nationaux [(National Monuments Act 1930)];

[...]

(x) consiste dans l’implantation d’une palissade ou d’une clôture autour d’un terrain habituellement ouvert au public ou utilisé par le public au cours des dix années qui précèdent à des fins de loisirs ou comme moyen d’accès à un littoral, à une montagne, au rivage d’un lac, aux berges d’une rivière ou à un autre endroit caractérisé par sa beauté naturelle ou son utilité à des fins de loisirs;

(xi) fait obstacle à un droit de passage public;

(xii) conformément aux dispositions de l’article 82 [du PDA], consiste dans ou comporte l’exécution de travaux concernant l’extérieur d’une structure, lorsque la structure en question est située dans un secteur sauvegardé ou une zone indiquée comme telle dans un plan de développement du secteur ou, en attendant la modification d’un plan de développement ou l’adoption d’un nouveau plan de développement, dans le projet de modification du plan de développement ou le projet de plan de développement et que le développement porte matériellement atteinte au caractère du secteur».

13      Par ailleurs, il résulte des dispositions combinées de l’article 176 du PDA ainsi que de l’article 93 et de l’annexe 5, partie 2, point 1, des PDR que l’Irlande a fait le choix, pour les projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de la directive 85/337, de fixer, pour chaque catégorie de projet, un seuil exclusivement fondé sur la dimension des projets en deçà duquel une évaluation des incidences sur l’environnement n’est pas obligatoire.

14      L’article 103 des PDR confère à l’autorité compétente en matière d’aménagement du territoire le pouvoir d’exiger la présentation d’une déclaration relative à l’impact environnemental d’un projet lorsque la demande d’aménagement du territoire n’a pas été accompagnée d’une telle déclaration. Ceci vaut en particulier pour les projets de développement ne dépassant pas certains seuils fixés par le droit national, mais que ladite autorité considère comme susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

15      Pour déterminer si un projet est ou non susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, l’autorité compétente en matière d’aménagement du territoire tient compte des critères fixés à l’annexe 7 des PDR, qui correspond à l’annexe III de la directive 85/337.

16      Il résulte par ailleurs des articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 2, sous c), du PDA que toute autorité compétente en matière d’aménagement du territoire doit inclure dans les plans de développement qu’elle est tenue d’élaborer tous les six ans des objectifs tenant à la conservation et à la protection de l’environnement.

 La procédure précontentieuse

17      Après lui avoir transmis une demande de renseignements en date du 13 septembre 2001, la Commission a adressé à l’Irlande, le 23 octobre 2001, une lettre de mise en demeure relative à une installation de salmoniculture expérimentale dans l’estuaire du Kenmare (comté de Kerry). L’Irlande a répondu à ladite lettre le 21 mai 2002.

18      Les 18 octobre et 19 décembre 2002, la Commission a adressé à l’Irlande de nouvelles lettres de mise en demeure.

19      La première de celles-ci faisait état de la position de la Commission selon laquelle la transposition par l’Irlande de la directive 85/337 présentait des lacunes en ce qui concerne les catégories de projets mentionnées à l’annexe II, point 1, sous a) à c), de ladite directive. La seconde de ces lettres mentionnait les lacunes de cette même transposition s’agissant des projets relevant de ladite annexe II, point 1, sous f). L’Irlande a répondu auxdites lettres par lettres des 9 avril et 26 mai 2003.

20      La Commission a adressé, le 11 juillet 2003, un avis motivé à cet État membre dans lequel elle l’invitait à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

21      La Commission, ayant estimé insatisfaisante la position arrêtée par l’Irlande dans une lettre du 7 novembre 2003 en réponse audit avis, a introduit le présent recours, en vertu de l’article 226, second alinéa, CE.

22      Par ordonnance du président de la Cour du 11 mai 2007, la République de Pologne a été admise à intervenir dans la présente affaire à l’appui des conclusions de l’Irlande.

 Sur le recours

23      Le recours de la Commission repose sur deux griefs. Selon le premier grief, la législation irlandaise de transposition de la directive 85/337 serait lacunaire, dans la mesure où elle ne prévoit pas, pour les catégories de projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de cette directive, de mesures efficaces pour atteindre les résultats voulus par les articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 2 et 3, de ladite directive. Par le second grief, la Commission soutient que les autorités irlandaises compétentes ne sont pas expressément tenues de prendre en compte les critères de sélection mentionnés à l’annexe III de la directive 85/337 en ce qui concerne les installations de pisciculture intensive relevant de l’annexe II, point 1, sous f), de ladite directive, ce qui méconnaîtrait les exigences communautaires.

24      Avant d’examiner le bien-fondé de ces griefs, il convient de statuer sur l’exception d’irrecevabilité du présent recours soulevée par l’Irlande.

 Sur la recevabilité du recours

 Argumentation des parties

25      L’Irlande considère que le présent recours n’est pas recevable, dans la mesure notamment où il ne serait pas correctement argumenté, la Commission ayant en particulier omis d’indiquer de manière précise les dispositions de la législation nationale contre laquelle elle dirige ce recours, alors que la transposition de la directive 85/337 a été opérée en droit irlandais par différents instruments juridiques.

26      En outre, l’Irlande soutient que la Commission n’a pas suffisamment précisé ses griefs, s’étant au surplus fondée sur des avis motivés distincts. Il en résulterait une grande confusion ne permettant pas à cet État membre de préparer convenablement sa défense, faute d’avoir été mis à même de connaître les raisons précises pour lesquelles il aurait manqué aux obligations que lui impose la directive 85/337.

27      Par ailleurs, selon l’Irlande, la Commission n’apporte pas à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence du manquement reproché. La Commission aurait ainsi omis de fournir des preuves quant à la réalité de projets de développement dont elle prétend qu’ils appartiennent à une catégorie de projets soumis à l’exigence d’évaluation des incidences sur l’environnement en tant qu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur celui-ci.

28      En effet, dès lors que les projets visés par le recours seraient uniquement susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement du fait de leurs caractéristiques particulières, l’absence d’indication de projets de développement concrets par la Commission serait rédhibitoire et ne permettrait pas à l’Irlande de se défendre efficacement.

29      En réponse à cette exception d’irrecevabilité, la Commission fait valoir que la présente procédure repose sur un avis motivé unique et que celui-ci et la requête introductive d’instance définissent clairement les griefs qui constituent l’objet du recours. Elle ajoute que la requête expose la législation nationale applicable et précise les types d’aménagement en cause.

 Appréciation de la Cour

30      Il résulte de l’article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence y relative que toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens, et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir, notamment, arrêts du 26 avril 2007, Commission/Finlande, C‑195/04, Rec. p. I‑3351, point 22, et du 21 février 2008, C‑412/04, Commission/Italie, non encore publié au Recueil, point 103).

31      La Cour a également jugé que, dans le cadre d’un recours formé en application de l’article 226 CE, l’avis motivé et le recours doivent présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit communautaire reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué (voir, notamment, arrêt du 4 mai 2006, Commission/Royaume‑Uni, C‑98/04, Rec. p. I‑4003, point 18).

32      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de la procédure précontentieuse, dès la demande de renseignements du 13 septembre 2001 adressée à l’Irlande, la Commission a indiqué que la législation irlandaise de transposition de la directive 85/337 qu’elle prenait en considération dans ladite procédure était constituée à titre principal par le PDA et par les PDR.

33      Par ailleurs, les lettres de mise en demeure des 18 octobre et 19 décembre 2002, dans la mesure où elles renvoyaient expressément à certaines des plaintes citées dans ladite lettre du 13 septembre 2001, ne laissaient pas plus de doute quant à la législation irlandaise visée par la Commission.

34      En outre, l’unique avis motivé, émis le 11 juillet 2003 au terme de la procédure précontentieuse, ne présente pas davantage d’ambiguïté tandis que la requête introductive d’instance cite expressément la législation irlandaise de transposition de la directive 85/337, soit le PDA et les PDR, de laquelle il résulterait que l’Irlande n’a pas pris toutes les dispositions nécessaires pour que certains projets soient soumis à l’évaluation des incidences sur l’environnement instaurée par ladite directive.

35      Enfin, les projets pour lesquels, selon la Commission, les exigences communautaires ne sont pas respectées sont parfaitement identifiables au regard des catégories de projets énoncées à l’annexe II de la directive 85/337.

36      Il résulte de ce qui précède que les allégations émises par la Commission dans le cadre des procédures précontentieuse et contentieuse ont été suffisamment claires pour permettre à l’Irlande d’assurer sa défense.

37      Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par cet État membre.

 Sur le fond

 Sur le premier grief

–       Argumentation des parties

38      La Commission soutient que la législation irlandaise de transposition de la directive 85/337 est lacunaire, en ce qu’elle ne prévoit pas, pour les catégories de projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de ladite directive, de mesures efficaces pour atteindre les objectifs énoncés aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 2 et 3, du même texte.

39      À cet égard, la Commission indique que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 85/337 autorise les États membres, pour les projets énumérés à l’annexe II de celle-ci, à déterminer, sur la base d’un examen au cas par cas et/ou sur la base de seuils ou de critères fixés par chaque État membre, si un projet donné doit être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement conformément aux articles 5 à 10 de cette directive.

40      Or, selon la Commission, les seuils fondés sur la dimension des projets adoptés par l’Irlande ne tiennent pas compte des zones sensibles, telles que les sites archéologiques. Ils seraient en outre fixés arbitrairement et sans rapport avec la superficie réelle des exploitations agricoles irlandaises. Enfin, ils ne permettraient pas de prendre en compte le cumul avec d’autres projets.

41      La législation irlandaise ne respecterait donc pas les modalités de détermination des projets relevant de l’annexe II de la directive 85/337 qui doivent être soumis à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement, modalités qui doivent tenir compte des critères de sélection fixés à l’annexe III de ladite directive.

42      Au soutien de sa thèse, la Commission présente un certain nombre d’exemples desquels il résulte, selon elle, que le recours à des seuils uniformes est de nature à faire échapper à toute étude de leurs incidences sur l’environnement des projets cependant susceptibles d’avoir à cet égard des incidences notables.

43      Ainsi, elle fait valoir que certains projets de remembrement rural qui conduisent à la suppression de haies, notamment aux fins de l’agriculture, ne font pas l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement, alors que cette suppression est de nature à avoir des effets négatifs sur la biodiversité dans les zones rurales et des effets notables sur le milieu naturel.

44      Il en serait de même de projets de remembrement rural impliquant la démolition de murs de pierre délimitant les champs dans certaines régions, alors que leur disparition pourrait conduire à des pertes importantes sur le plan archéologique.

45      La Commission émet enfin la même critique à l’encontre des projets d’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-naturelles à l’exploitation agricole intensive et des projets d’hydraulique agricole, y compris les projets d’irrigation et de drainage de terres.

46      Pour sa part, l’Irlande fait d’abord valoir que la Commission n’a pas correctement interprété la portée de la législation irlandaise, visant en particulier certaines dispositions des PDR.

47      Elle ajoute que l’interprétation de l’article 4 de la directive 85/337 prônée par la Commission, en ce qu’elle reviendrait à rendre impossible le recours à des seuils, ne saurait être conciliée avec les termes mêmes de cet article.

48      Ladite directive prévoirait ainsi, à titre d’alternative à un examen au cas par cas des projets relevant de son annexe II, qu’un État membre fixe des seuils pour déterminer si l’évaluation des incidences sur l’environnement est nécessaire.

49      L’Irlande indique qu’elle a retenu cette dernière solution et a fixé plusieurs seuils, au demeurant à des niveaux assez bas, en particulier pour le remembrement rural, ce système de seuils étant complété par les dispositions des articles 103 et 109 des PDR.

50      Pour déterminer si un projet est ou non susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, l’autorité compétente tiendrait compte des critères fixés à l’annexe 7 du PDR, qui correspond à l’annexe III de la directive 85/337.

51      L’Irlande précise qu’une circulaire détaillée adressée aux autorités locales compétentes porte sur la vérification préliminaire des projets de développement dont les dimensions sont inférieures aux seuils fixés par la réglementation applicable et rappelle que ces autorités peuvent exiger la présentation d’une déclaration relative à l’impact environnemental, en application de l’article 103 des PDR.

52      L’Irlande fait par ailleurs valoir que les catégories de projets d’aménagement en cause ne peuvent pas être considérées en elles-mêmes comme susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement, de sorte que ce ne serait qu’au regard des caractéristiques propres à un projet donné que la possibilité de tels effets pourrait être appréciée.

53      L’Irlande ajoute que, si certaines classes de projets, correspondant à des projets de moindre envergure, font en principe l’objet d’une dispense d’autorisation, celle-ci est cependant limitée, ne pouvant jouer, en application de l’article 9 des PDR, dès lors qu’un projet de développement est susceptible d’avoir un impact significatif sur l’environnement. Ledit article 9 énumèrerait ainsi six cas dans lesquels le bénéfice de cette dispense ne peut trouver à s’appliquer.

54      La République de Pologne fait valoir que la fixation de seuils uniformes pour le critère concernant la dimension des projets mentionné à l’annexe III de la directive 85/337 ne préjuge en rien d’une transposition erronée des dispositions de ladite directive.

55      Elle souligne que les États membres ont le droit, aux fins de déterminer les projets dont les incidences sur l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation, de fixer des seuils, sans devoir introduire une obligation d’examen au cas par cas. À cet égard, elle ajoute qu’il est nécessaire que l’adoption de seuils chiffrés en ce qui concerne ledit critère tienne compte des autres aspects des projets, en particulier de leur nature et de leur localisation.

56      La République de Pologne conclut que seule peut constituer une violation de la directive 85/337 la fixation d’un seuil à partir duquel on ne peut plus assurer que les objectifs de cette directive sont réalisés, un seuil unique pouvant, en conséquence, être fixé, sous réserve qu’il garantisse que tous les projets se trouvant en dessous de la valeur ainsi arrêtée sont dénués d’incidences notables sur l’environnement.

57      Enfin, l’ensemble des critères de sélection énumérés à l’annexe III de la directive 85/337 doit, selon la République de Pologne, être pris en considération dans le processus de fixation de la valeur des seuils.

–       Appréciation de la Cour

58      Il convient, à titre liminaire, de relever que, par le présent grief, la Commission critique certaines dispositions de la législation irlandaise de transposition de la directive 85/337 et qu’elle ne prétend pas obtenir la constatation de manquements de l’Irlande à ses obligations au titre de ladite directive concernant des situations factuelles particulières.

59      En conséquence, l’argumentation de l’Irlande selon laquelle la Commission n’établirait pas suffisamment le fondement factuel de son recours ne peut qu’être écartée. En effet, dans la mesure où c’est la manière dont la directive 85/337 est transposée qui fait l’objet du recours en manquement, et non le résultat concret de l’application de la législation de transposition, il convient de vérifier si ladite législation porte en elle-même le caractère insuffisant ou défectueux de la transposition de cette directive que la Commission allègue, sans qu’il soit nécessaire d’établir les effets réels de la législation nationale de transposition au regard de projets précis (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Commission/Irlande, C‑392/96, Rec. p. I‑5901, points 59 et 60).

60      À cet égard, il y a lieu de constater, en premier lieu, que les catégories de projets visées par le présent recours relèvent de l’annexe II de la directive 85/337. Il s’agit donc de projets pour lesquels les États membres, en application de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, déterminent, soit sur la base d’un examen au cas par cas, soit sur la base de seuils ou de critères, si lesdits projets doivent être soumis à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement. Selon cette même disposition, les États membres peuvent aussi décider d’appliquer ces deux procédures.

61      Il résulte d’une jurisprudence constante que, lorsque les États membres ont décidé de recourir à la fixation de seuils et/ou de critères, la marge d’appréciation qui leur est ainsi conférée trouve ses limites dans l’obligation, énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337, de soumettre, avant l’octroi d’une autorisation, à une étude d’incidences les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation (voir en ce sens, notamment, arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C‑72/95, Rec. p. I‑5403, point 50, ainsi que du 28 février 2008, Abraham e.a., C‑2/07, non encore publié au Recueil, point 37).

62      Au surplus, en application de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 85/337, les États membres ont l’obligation de tenir compte, pour la fixation desdits seuils ou critères, des critères de sélection pertinents énoncés à l’annexe III de celle-ci.

63      Parmi ces derniers critères, ladite annexe distingue, premièrement, les caractéristiques des projets, qui doivent être considérées notamment par rapport à leur dimension, au cumul avec d’autres projets, à l’utilisation des ressources naturelles, à la production de déchets, à la pollution et aux nuisances ainsi qu’au risque d’accidents, deuxièmement, la localisation des projets, de sorte que soit considérée la sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d’être affectées par ceux-ci en prenant en compte, en particulier, l’occupation des sols existants et la capacité de charge de l’environnement naturel ainsi que, troisièmement, les caractéristiques de l’impact potentiel, notamment au regard de la zone géographique et de l’importance de la population.

64      Il en résulte qu’un État membre qui, sur la base de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 85/337, fixerait des seuils et/ou des critères ne tenant compte que des dimensions des projets, sans prendre en considération les critères rappelés au point 63 du présent arrêt, outrepasserait la marge d’appréciation dont il dispose en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 65).

65      En outre, un État membre qui fixerait lesdits seuils et/ou critères à un niveau tel que, en pratique, la totalité des projets d’un certain type serait d’avance soustraite à l’obligation d’étude d’incidences outrepasserait de même ladite marge d’appréciation, sauf si la totalité des projets exclus pouvait être considérée, sur la base d’une appréciation globale, comme n’étant pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (voir arrêt Commission/Irlande, précité, point 75 et jurisprudence citée).

66      À cet égard, il résulte des dispositions combinées de l’article 176 du PDA ainsi que de l’article 93 et de l’annexe 5, partie 2, point 1, des PDR que l’Irlande a fait le choix, pour les projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de la directive 85/337, de fixer, pour chaque catégorie de projet, un seuil exclusivement fondé sur la dimension des projets en deçà duquel une évaluation des incidences sur l’environnement n’est pas obligatoire.

67      En application de l’annexe 5, partie 2, point 1, sous a) et b), des PDR, ledit seuil est de 100 ha pour les projets de remembrement rural et les projets d’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-naturelles à l’exploitation agricole intensive et, en application dudit point 1, sous c), de 1 000 ha de zone de captage ou de 20 ha de zones humides touchées pour les projets d’hydraulique agricole.

68      Dans le cadre de la démonstration de l’existence d’un manquement fondé sur le présent grief, la Commission a présenté certaines des caractéristiques des zones rurales irlandaises desquelles il résulte que des projets de dimension inférieure aux seuils ainsi fixés par la législation irlandaise sont cependant susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement en raison de leur nature ou de leur localisation, dans la mesure où ils risquent d’affecter de façon substantielle, voire irréversible, des facteurs environnementaux tels que la faune et la flore, le sol ou le patrimoine culturel.

69      Ainsi, la Commission a établi que les projets de remembrement rural et les projets d’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-naturelles à l’exploitation agricole intensive, indépendamment de leurs dimensions, peuvent conduire à la suppression des lisières de champs, et donc de haies bocagères, suppression qui est susceptible, dans certaines zones rurales irlandaises, d’avoir des incidences notables sur la diversité biologique. Au surplus, il n’est pas sérieusement contesté par l’Irlande que les projets d’hydraulique agricole sont de nature à comporter des incidences notables sur l’environnement, dans la mesure où ils peuvent entraîner une perte au niveau de cette même diversité.

70      Il convient de relever à cet égard que, selon les informations fournies par la Commission et confirmées par des études, en Irlande, la superficie moyenne d’un champ est de l’ordre de 2,4 ha. Ainsi que l’a démontré la Commission, en particulier lors de l’audience, il résulte de la fixation, notamment pour le remembrement rural, d’un seuil de 100 ha qu’un projet portant sur le regroupement d’une quarantaine de champs, qui impliquerait la destruction de nombreuses clôtures et haies, pourrait être autorisé sans avoir été soumis à une évaluation de ses incidences sur l’environnement, alors même qu’il est de nature à avoir des incidences notables sur la biodiversité.

71      De même, il est constant que, dans certaines régions, les murs de pierre prédominent et peuvent revêtir une importance archéologique certaine, ainsi que l’atteste notamment une étude de cas concernant la péninsule de Dingle, dans le comté de Kerry (Aalen, F. H. A., Whelan, K., et Stout, M., Atlas of the Irish Rural Landscape, Cork University Press, 1997). D’autres études établissent le risque de destruction accélérée de vestiges archéologiques en liaison directe avec des projets de remembrement rural et des projets de drainage de terres, alors que l’annexe III, point 2, troisième tiret, sous h), de la directive 85/337 mentionne parmi les critères de sélection visés à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive la prise en compte de la sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d’être affectées par un projet donné au regard de la capacité de charge de l’environnement naturel, en accordant une attention particulière aux paysages importants du point de vue historique, culturel et archéologique.

72      Il est également constant que, en pratique, les projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de ladite directive sont étroitement liés, le drainage des zones humides impliquant ainsi souvent la conversion d’étendues semi-naturelles à l’exploitation agricole intensive.

73      Si, comme l’affirme l’Irlande, pour des projets relevant de ladite annexe II, point 1, sous a) à c), dont les dimensions n’atteignent pas les seuils fixés par l’annexe 5 des PDR, les autorités compétentes en matière d’aménagement du territoire peuvent faire application des dispositions combinées de l’article 103 et de l’annexe 7 des PDR, et ainsi exiger la présentation d’une déclaration relative à l’impact environnemental, une telle possibilité ne saurait être considérée comme équivalant à un examen au cas par cas conforme aux exigences communautaires.

74      À cet égard, il convient de relever que ces dispositions de la réglementation irlandaise ne pourront trouver à s’appliquer que si lesdites autorités ont eu connaissance du projet avant sa réalisation, en particulier si elles ont été saisies aux fins de l’obtention d’une autorisation.

75      Il n’est, en conséquence, pas garanti que l’autorité compétente sera nécessairement en mesure d’exiger qu’il soit procédé, avant la décision ouvrant au maître d’ouvrage le droit de réaliser le projet, à une évaluation des incidences sur l’environnement telle que prévue par ladite directive dans l’hypothèse où ces projets sont susceptibles d’avoir sur celui-ci des incidences notables.

76      Par ailleurs, ainsi que le reconnaît l’Irlande, il résulte de la lecture combinée des dispositions de l’article 6 des PDR et de la partie 3 de son annexe 2 que certains projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de la directive 85/337 sont exemptés de toute autorisation préalable, ce qui exclut en principe que, en ce qui les concerne, la procédure de demande d’autorisation et d’évaluation de leurs incidences sur l’environnement instaurée par l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337 puisse être respectée.

77      L’Irlande soutient toutefois que de telles exemptions, qui font donc en particulier échapper les projets concernés à une demande d’autorisation d’aménagement du territoire, ne trouvent pas à s’appliquer dès lors que l’une des clauses de sauvegarde contenues à l’article 9 des PDR est d’application pour l’exécution du projet envisagé, seuls les projets n’étant pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement pouvant, du fait de l’application de ces clauses, bénéficier desdites exemptions.

78      Il convient ici de rappeler que, si, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir en ce sens, notamment, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, Rec. p. I‑3331, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 avril 2006, Commission/Allemagne, C‑441/02, Rec. p. I‑3449, point 48), les États membres sont tenus, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission (voir, notamment, arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, précité, point 42). Il s’ensuit notamment que, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître certains faits situés sur le territoire de l’État membre défendeur, il incombe à celui-ci de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, précité, point 44).

79      S’agissant de l’application des clauses de sauvegarde contenues à l’article 9 des PDR, l’Irlande n’a pas démontré que lesdites clauses étaient de nature à assurer le respect des exigences imposées par la directive 85/337, ayant en outre reconnu, au cours de la procédure, que le recours à une stratégie de rechange pour la mise en œuvre des dispositions pertinentes de cette directive serait lourde de conséquences pour l’agriculture irlandaise et également précisé que l’un des objectifs du gouvernement irlandais est de minimiser la charge réglementaire dans tous les secteurs de l’économie, notamment dans le secteur de l’agriculture.

80      L’application de ces clauses est en effet soumise à la réalisation d’un certain nombre de conditions qui la rendent trop aléatoire pour qu’elle puisse être considérée comme limitant le jeu des exemptions de telle sorte que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient systématiquement soumis, avant l’octroi de l’autorisation, à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement.

81      À cet égard, il convient de relever que, pour la plupart d’entre elles, lesdites clauses ne sont opérantes que si elles s’inscrivent dans des plans de développement établis par les autorités compétentes en matière d’aménagement du territoire spécifiant que la protection des éléments d’intérêt archéologique, géologique, historique ou écologique constitue un de leurs objectifs.

82      L’étude des incidences sur l’environnement d’un projet donné dépend dès lors de l’inscription de ces objectifs dans lesdits plans, et non des seules incidences que ce projet peut avoir à cet égard. Au surplus, il convient de relever que l’Irlande n’a fourni aucune information quant aux objectifs de préservation de l’environnement qu’auraient pu contenir les plans de développement à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.

83      Ces éléments suffisent à établir que la mise en œuvre des clauses de sauvegarde contenues à l’article 9 des PDR ne garantit pas que les exigences de la directive 85/337 sont respectées pour les projets relevant de l’annexe II, point 1, sous a) à c), de ladite directive, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et en particulier que ceux-ci seront soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive, alors pourtant que la procédure d’évaluation est un instrument fondamental de la politique de l’environnement, ainsi que le rappelle le premier considérant de la directive 97/11.

84      Le premier grief est donc fondé.

85      Il s’ensuit que, en fixant des seuils qui ne tiennent compte que des dimensions des projets, à l’exclusion des autres critères énoncés à l’annexe III de la directive 85/337, pour des catégories de projets visées à l’annexe II, point 1, sous a) à c), de cette directive et en ne prévoyant pas, pour ces catégories de projets, un examen au cas par cas assurant que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement n’échappent pas à l’évaluation de leurs incidences à cet égard, l’Irlande a outrepassé la marge d’appréciation dont elle dispose en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de ladite directive et n’a en conséquence pas pris toutes les dispositions nécessaires pour que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences sur celui-ci conformément aux articles 5 à 10 de cette même directive.

 Sur le second grief

–       Argumentation des parties

86      La Commission fait valoir que, s’agissant des installations de pisciculture intensive, les règlements relatifs à l’aquaculture (demande d’autorisation) de 1998 [Aquaculture (Licence Application) Regulations 1998, S. I. n° 236/1998, qui ont transposé en matière d’aquaculture, la directive 85/337, permettent la réalisation d’une étude des incidences sur l’environnement d’une telle installation, dès lors que le ministre compétent estime que l’installation envisagée est susceptible d’avoir des incidences à cet égard.

87      Cette réglementation ne contenant toutefois aucun renvoi aux critères énumérés à l’annexe III de cette directive, ce ministre ne serait pas soumis à l’obligation expresse de tenir compte de ceux-ci dans le cadre de son appréciation.

88      À titre d’exemple, la Commission cite une installation de salmoniculture expérimentale située dans la baie de Kenmare, dans le comté de Kerry.

89      L’Irlande reconnaît que, dans un premier temps, la législation irlandaise ne prévoyait pas expressément que, lorsqu’il examinait si l’installation d’aquaculture envisagée était susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, le ministre compétent devait tenir compte des critères de sélection énoncés à l’annexe III de la directive 85/337.

90      Toutefois, cet État membre précise que, depuis l’entrée en vigueur de l’amendement à la réglementation relative à l’aquaculture [Aquaculture (Licence Application) (Amendment) Regulations, 2006, S. I. n° 197/2006], les dispositions applicables mentionnent désormais expressément que le ministre doit tenir compte desdits critères.

–       Appréciation de la Cour

91      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les modifications introduites dans la législation nationale sont sans pertinence pour statuer sur l’objet d’un recours en manquement, dès lors qu’elles n’ont pas été mises en œuvre avant l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 1999, Commission/Irlande, précité, point 86). Il n’y a donc pas lieu de prendre en compte, pour apprécier le bien-fondé du présent grief, les modifications de la réglementation irlandaise introduites en 2006.

92      Pour le surplus, si le texte visé au point 86 du présent arrêt prévoit que le ministre compétent peut exiger la présentation d’une déclaration relative à l’impact environnemental dans le contexte visé par ledit grief, il n’est pas contesté par l’Irlande que le pouvoir décisionnel de ce ministre n’est nullement encadré par ce texte.

93      En particulier, il ne résulte pas de la réglementation elle-même que, lorsqu’il examine au cas par cas des demandes d’autorisation relatives à des installations de pisciculture intensive, projets qui relèvent de l’annexe II, point 1, sous f), de la directive 85/337, ledit ministre doive tenir compte des critères de sélection fixés à l’annexe III de cette dernière.

94      En conséquence, le second grief est également fondé.

95      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en n’ayant pas pris, conformément aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 2 à 4, de la directive 85/337, toutes les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi d’une autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et relevant des catégories de projets visées à l’annexe II, point 1, sous a) à c) et f), de cette directive soient soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences à cet égard, conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.

 Sur les dépens

96      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la partie intervenante à la présente procédure supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, conformément aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 2 à 4, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 97/11/CE du Conseil, du 3 mars 1997, toutes les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi d’une autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et relevant des catégories de projets visées à l’annexe II, point 1, sous a) à c) et f), de cette directive soient soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences à cet égard, conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens de la Commission des Communautés européennes.

3)      La République de Pologne supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.