Affaire C-3/06 P

Groupe Danone

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi — Concurrence — Entente — Amendes — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Communication sur la coopération»

Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 16 novembre 2006 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 8 février 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction

(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

2.     Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Pouvoir d'appréciation de la Commission

(Règlement du Conseil nº 17; communication de la Commission 98/C 9/03)

3.     Pourvoi — Moyens — Motivation insuffisante ou contradictoire — Recevabilité

4.     Concurrence — Amendes — Montant — Pouvoir d'appréciation de la Commission — Contrôle juridictionnel — Compétence de pleine juridiction

(Art. 229 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 17)

5.     Pourvoi — Compétence de la Cour

(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03)

6.     Droit communautaire — Principes — Protection de la confiance légitime

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

1.     La gravité d'une infraction aux règles communautaires de concurrence, qui doit être prise en compte pour fixer le montant des amendes à infliger, est déterminée par référence à de nombreux facteurs, pour lesquels la Commission dispose d'une marge d'appréciation. Le fait de prendre en compte des circonstances aggravantes, lors de la fixation de l'amende, est conforme à la mission de la Commission d'assurer la conformité du comportement des entreprises aux règles de la concurrence.

Une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l'analyse de la gravité de l'infraction en cause.

Dans ces conditions, la thèse selon laquelle, avant l'entrée en vigueur des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, la pratique de la Commission dans la matière concernée était dépourvue de clarté et de prévisibilité méconnaît le rapport juridique existant entre, d'une part, l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 qui constitue la base juridique de la décision litigieuse et, d'autre part, les lignes directrices.

En effet, les lignes directrices ne constituent pas la base légale pour la fixation du montant de l'amende, mais ne font que préciser l'application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Dans ce contexte, même en l'absence des lignes directrices, les entreprises ont toujours été en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs comportements.

Partant, la Commission, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, est fondée à considérer l'élément lié à la récidive comme se rapportant à la gravité de l'infraction commise et peut qualifier cette récidive de circonstance aggravante sans violer le principe nulla poena sine lege.

(cf. points 25-30)

2.     Si ni le règlement nº 17, ni les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA ne prévoient de délai maximal pour le constat d'une récidive, celui-ci ne saurait être exclu en vertu du principe de sécurité juridique.

En effet, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, le contexte de celle-ci et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'il soit nécessaire de se rapporter à une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.

Le constat et l'appréciation des caractéristiques spécifiques d'une récidive, telle la répétition d'un comportement infractionnel avec un laps de temps relativement bref séparant chacune des infractions, font partie dudit pouvoir de la Commission et cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat.

En effet, la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s'affranchir des règles de la concurrence, à modifier leur comportement. La Commission peut, dès lors, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une telle propension, y compris, par exemple, le temps qui s'est écoulé entre les infractions en cause.

(cf. points 36-40)

3.     La question de savoir si la motivation d'un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d'un pourvoi.

Pour remplir son obligation de motivation, le Tribunal n'est pas tenu d'effectuer, dans son arrêt, un exposé qui suivrait de manière exhaustive et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu'elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle.

À cet égard, dans le cadre de la prise en compte des circonstances aggravantes, la récidive est non seulement un élément pertinent, mais également un élément d'importance particulière et un indice très significatif de la gravité d'une infraction en vue de l'appréciation du montant de l'amende dans l'optique d'une dissuasion effective. La récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée à l'encontre de la requérante n'avait pas produit d'effets suffisamment dissuasifs.

Afin d'apprécier la gravité de l'infraction, le Tribunal peut donc recourir à la notion de récidive sans entacher son arrêt d'une motivation contradictoire.

(cf. points 43, 45-48)

4.     Conformément à l'article 229 CE, les règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, en vertu des dispositions du traité, peuvent attribuer à la Cour une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements.

Une telle compétence a été conférée au juge communautaire par l'article 17 du règlement nº 17. Ledit juge est dès lors habilité, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée.

Il en résulte que le juge communautaire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction, lorsque la question du montant de l'amende est soumise à son appréciation, et que cette compétence peut être exercée tant pour réduire ce montant que pour l'augmenter.

(cf. points 60-62)

5.     Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire qui a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour.

Dans le cadre d'un pourvoi dirigé contre un arrêt du Tribunal ayant fixé le montant de l'amende infligée à une entreprise ayant violé les règles communautaires de concurrence, le contrôle de la Cour a pour objet, d'une part, d'examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d'une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d'un comportement déterminé à la lumière des articles 81 CE et 82 CE ainsi que de l'article 15 du règlement nº 17 et, d'autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l'ensemble des arguments invoqués par la partie requérante, tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende.

Dès lors que, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal s'est exclusivement fondé sur les dispositions des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA sans retenir d'autres éléments, circonstances ou critères, dont l'entreprise en cause n'aurait pu prévoir la prise en compte, ladite entreprise ne saurait tirer grief d'une violation des droits de la défense.

(cf. points 68-69, 82-83)

6.     Le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux de droit dont le juge communautaire assure le respect.

En particulier, l'article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui consacre notamment le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), peut s'opposer à l'application rétroactive d'une nouvelle interprétation d'une norme établissant une infraction.

Tel est notamment le cas lorsqu'il s'agit d'une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n'était pas raisonnablement prévisible au moment où l'infraction a été commise, au vu notamment de l'interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.

Toutefois, le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à différents types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence. Au contraire, l'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

Les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient donc acquérir une confiance légitime dans une méthode de calcul des amendes appliquée dans le passé.

(cf. points 87-91)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 février 2007 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Entente – Amendes – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Communication sur la coopération»

Dans l’affaire C-3/06 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 3 janvier 2006,

Groupe Danone, société anonyme établie à Paris (France), représenté par Mes A. Winckler et S. Sorinas Jimeno, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et W. Wils, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. J. Klučka, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. J. Makarczyk et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 septembre 2006,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 novembre 2006,

rend le présent

Arrêt

1       Par son pourvoi, le Groupe Danone demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission (T-38/02, Rec. p. II-4407, ci-après l’«arrêt attaqué»), en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté partiellement son recours tendant à l’annulation de la décision 2003/569/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire IV/37.614/F3PO/Interbrew et Alken Maes) (JO 2003, L 200, p. 1, ci‑après la «décision litigieuse»), ainsi que la réduction de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2 de cette décision.

 Le cadre juridique

2       L’article 15 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), prévoit:

«1.      La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes d’un montant de cent à cinq mille unités de compte lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

[…]

b)      elles fournissent un renseignement inexact en réponse à une demande faite en application de l’article 11, paragraphe 3 ou 5 […].

2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, ou de l’article [82] du traité, […]

[…]

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

3       L’article 17 du règlement nº 17 dispose:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.»

4       La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), énonce dans son préambule:

«Les principes posés par les […] lignes directrices devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.»

5       Aux termes du point 1 des lignes directrices, «[ce] montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17». En vertu du point 2 de celles-ci, le montant de base peut être augmenté en cas de circonstances aggravantes telles que, par exemple, la récidive de la même entreprise ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type. Selon le point 3 des lignes directrices, ledit montant peut être diminué en cas de circonstances atténuantes particulières.

6       La communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération») définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d’amendes ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter.

7       Le point D de la communication sur la coopération est ainsi libellé:

«D.      Réduction significative du montant de l’amende

1.      Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2.      Tel peut notamment être le cas si:

–       avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–       après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

 Les faits à l’origine du litige

8       Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé le cadre factuel à l’origine du litige introduit devant lui dans les termes suivants:

«[…]

5      À l’époque des faits, Interbrew NV (ci-après ‘Interbrew’) et Brouwerijen Alken-Maes NV (ci-après ‘Alken-Maes’) étaient respectivement numéro un et numéro deux sur le marché belge de la bière. Alken-Maes était une filiale du Groupe Danone [...], qui opérait également sur le marché français de la bière via une autre filiale, Brasseries Kronenbourg SA (ci-après ‘Kronenbourg’). En 2000, [le Groupe Danone] a cessé ses activités dans le domaine de la bière.

6      En 1999, la Commission a ouvert, sous le numéro d’affaire IV/37.614/F3, une enquête visant d’éventuelles infractions aux règles communautaires de concurrence dans le secteur brassicole belge.

7      Le 29 septembre 2000, dans le cadre de ladite enquête, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs à l’encontre [du Groupe Danone] ainsi que des entreprises Interbrew, Alken-Maes, NV Brouwerij Haacht (ci-après ‘Haacht’) et NV Brouwerij Martens (ci-après ‘Martens’). La procédure ouverte à l’encontre [du Groupe Danone] et la communication des griefs qui lui a été adressée visaient uniquement son implication présumée dans l’entente dite ‘Interbrew/Alken-Maes’ concernant le marché belge de la bière.

8      Le 5 décembre 2001, la Commission a adopté la [décision litigieuse], visant [le Groupe Danone] ainsi que les entreprises Interbrew, Alken-Maes, Haacht et Martens [...].

9      La [décision litigieuse] constate deux infractions distinctes aux règles de concurrence, à savoir, d’une part, un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées dans le domaine de la bière vendue en Belgique (ci-après l’‘entente Interbrew/Alken-Maes’) et, d’autre part, des pratiques concertées dans le domaine de la bière vendue sous marque de distributeur. La [décision litigieuse] constate que [le Groupe Danone], Interbrew et Alken-Maes ont participé à la première infraction, alors qu’Interbrew, Alken-Maes, Haacht et Martens ont participé à la seconde.

10      Bien que [le Groupe Danone] fût, à l’époque des faits, la société mère d’Alken-Maes, la [décision litigieuse] ne constate qu’une infraction dans son chef. En effet, compte tenu de son rôle actif dans l’entente Interbrew/Alken-Maes, [le Groupe Danone] a été [tenu] responsable tant de sa propre participation que de la participation d’Alken-Maes à ladite entente. En revanche, la Commission a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’attribuer [au Groupe Danone] la responsabilité de la participation de sa filiale à la pratique concertée dans le domaine de la bière vendue sous marque de distributeur, étant donné qu’[il] n’avait pas été [lui-même impliqué] dans cette entente.

11      L’infraction reprochée [au Groupe Danone] consiste en sa participation, directement ainsi que par l’entremise de sa filiale Alken-Maes, à un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées portant sur un pacte général de non-agression, les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur ‘hôtels, restaurants, cafés’ (ci-après l’‘horeca’), y compris les clients dits ‘nationaux’, la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca, une nouvelle structure tarifaire applicable au secteur horeca et au commerce de détail et l’échange d’informations sur les ventes dans le secteur horeca et dans le commerce de détail.

12      La [décision litigieuse] constate que l’infraction précitée s’est étalée sur une période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998.

13      Estimant qu’un ensemble d’éléments lui permettait de conclure que l’infraction avait cessé, la Commission n’a pas jugé nécessaire d’obliger les entreprises concernées à mettre fin à l’infraction en vertu de l’article 3 du règlement nº 17.

14      En revanche, la Commission a estimé qu’il convenait d’infliger, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, une amende à Interbrew et [au Groupe Danone] pour leur participation à l’entente Interbrew/Alken-Maes.

15      À cet égard, la Commission a relevé, dans la [décision litigieuse], que tous les participants à l’entente Interbrew/Alken-Maes avaient commis l’infraction de propos délibéré.

16      Aux fins du calcul du montant des amendes à infliger, la Commission a suivi, dans la [décision litigieuse], la méthodologie définie dans les lignes directrices ainsi que la communication sur la coopération.

17      Le dispositif de la [décision litigieuse] est libellé comme suit:

Article premier      

[Interbrew], [Alken-Maes] et [le Groupe Danone] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE], en participant à un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées, portant sur un pacte général de non-agression, les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur horeca (comprenant l’horeca ‘classique’ et les clients nationaux), la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca, une nouvelle structure tarifaire applicable au secteur horeca et au commerce de détail et l’échange d’informations sur les ventes dans le secteur horeca et le commerce de détail, et cela pendant la période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées […], en raison des infractions constatées à l’article 1er:

[…]

b)      [au Groupe Danone]: une amende de 44,043 millions d’euros.

[…]”»

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2002, le Groupe Danone a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision litigieuse. À titre subsidiaire, il a demandé au Tribunal de réduire l’amende qui lui a été infligée à l’article 2 de ladite décision.

10     Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté tous les moyens formulés par le Groupe Danone à l’exception du cinquième. Dans le cadre de son appréciation dudit moyen, le Tribunal a retenu, aux points 284 à 290 de l’arrêt attaqué, qu’une menace avait été proférée par le Groupe Danone et, aux points 291 à 294 de cet arrêt, que la coopération avait été étendue, en précisant, aux points 295 à 310 dudit arrêt, que la menace en question n’avait pas été la cause déterminante de l’extension de l’entente. Par conséquent, le Tribunal a considéré, au point 311 de l’arrêt attaqué, que la circonstance aggravante établie à cet égard dans la décision litigieuse ne saurait être retenue. Ainsi, le Tribunal a, aux points 313 et 519 de l’arrêt attaqué, réduit l’augmentation de l’amende pour circonstances aggravantes de 50 à 40 %.

11     S’agissant du calcul du montant final de l’amende, le Tribunal a relevé, au point 520 de l’arrêt attaqué, que, en procédant au calcul de l’amende infligée au Groupe Danone, la Commission s’était écartée de la méthodologie indiquée dans les lignes directrices. Le Tribunal a dès lors considéré qu’il convenait d'appliquer, en vertu de son pouvoir de pleine juridiction, l’augmentation de 40 %, retenue au titre de la circonstance aggravante liée à la récidive, au montant de base de l’amende infligée à la requérante.

12     Le Tribunal a donc calculé, au point 525 de l’arrêt attaqué, le montant de l’amende infligée à la requérante comme suit:

«[A]u montant de base de l’amende (36,25 millions d’euros) sont d’abord ajoutés 40 % de ce montant de base (14,5 millions d’euros) et soustraits 10 % dudit montant (3,625 millions d’euros), ce qui aboutit à un montant de 47,125 millions d’euros. Ensuite, ce montant est réduit de 10 % au titre de la coopération, ce qui aboutit à un montant final d’amende de 42,4125 millions d’euros.»

13     Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a déclaré et arrêté:

«1)      Le montant de l’amende infligée [au Groupe Danone] est fixé à 42,4125 millions d’euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      [Le Groupe Danone] supportera ses propres dépens et les trois quarts de ceux de la Commission. La Commission supportera un quart de ses propres dépens.»

 Les conclusions présentées par les parties dans le cadre du pourvoi

14     Le Groupe Danone conclut à ce que la Cour:

–       annule partiellement l’arrêt attaqué, dans la mesure où il rejette le moyen tiré de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante liée à la récidive à son égard et où il réforme le mode de calcul de l’amende utilisé par la Commission;

–       fasse droit à ses conclusions présentées en première instance, à l’appui desquelles était invoqué le moyen tiré de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante liée à la récidive, et réduise par conséquent l’amende infligée par la Commission;

–       réduise le montant de l’amende au prorata de la diminution de la réduction pour circonstances atténuantes décidée par le Tribunal, et

–       condamne la Commission aux dépens.

15     Le Groupe Danone demande à la Cour de statuer définitivement sur le litige, en faisant usage de son pouvoir de pleine juridiction en matière d’amende, afin de diminuer de 1,3025 million d’euros le montant final de l’amende fixé par le Tribunal.

16     La Commission conclut à ce que la Cour:

–       rejette le pourvoi, et

–       condamne la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

17     À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation partielle de l’arrêt attaqué, le Groupe Danone avance quatre moyens, à titre principal, et un cinquième, à titre subsidiaire. Ces moyens portent, pour l’essentiel, sur l’interprétation, par le Tribunal, de la notion de récidive et sur l’application, par ce dernier, de la méthode de calcul du montant de l’amende.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe de légalité résultant de ce que la récidive a été retenue comme circonstance aggravante (principe nulla poena sine lege).

 Argumentation des parties

18     Le Groupe Danone fait valoir qu’un système de récidive, sans base légale, ne saurait être appliqué dans le cadre des articles 81 CE et 82 CE. Par conséquent, l’appréciation portée par le Tribunal sur la légalité de l’application de la circonstance aggravante liée à la récidive serait contraire aux principes de légalité et de non-rétroactivité des lois pénales.

19     Le Groupe Danone soutient que la possibilité pour la Commission d’augmenter le montant d’une amende en cas de récidive n’est pas expressément prévue par le règlement nº 17 et ne résulte que des lignes directrices. Or, ce dernier texte ne constituerait qu’une méthodologie indicative, sans valeur juridique suffisante pour introduire une telle cause d’aggravation.

20     Le Groupe Danone relève que, même si la Cour devait considérer qu’une norme de valeur législative n’était pas nécessaire afin que la récidive puisse être prise en considération en droit de la concurrence, lorsque la dernière infraction a été commise, les lignes directrices n’avaient pas encore été adoptées, si bien que la circonstance aggravante liée à la récidive n’avait aucun fondement en droit communautaire.

21     La Commission rappelle que l’article 15 du règlement nº 17 prévoit que les amendes sont fixées en tenant compte de la gravité et de la durée de l’infraction, ce qui implique que le rôle et l’importance de chacune des entreprises ainsi que les diverses circonstances aggravantes et atténuantes peuvent être pris en compte sans qu’une base légale spécifique relative auxdites circonstances ne soit nécessaire.

22     La Commission souligne que la possibilité de retenir la récidive comme circonstance aggravante s’inscrit dans son pouvoir d’appréciation relative à la fixation du montant de l’amende.

 Appréciation de la Cour

23     Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, s’il est vrai que la Cour a jugé que les lignes directrices ne constituent pas le fondement juridique des décisions prises par la Commission dans la matière concernée (voir arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 209, et du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, non encore publié au Recueil, point 207), la Cour a également relevé que les lignes directrices assurent la sécurité juridique des entreprises étant donné qu’elles déterminent la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes (voir arrêts précités Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 213, et JCB Service/Commission, point 209).

24     C’est en effet l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 qui constitue la base juridique pertinente en vertu de laquelle la Commission peut infliger des amendes à l’encontre d’entreprises et d’associations d’entreprises pour des infractions aux articles 81 CE et 82 CE. En vertu de cette disposition, pour déterminer le montant de l’amende, la durée et la gravité de l’infraction dont il s’agit doivent être prises en considération.

25     S’agissant du dernier élément énoncé ci‑dessus, la Cour a jugé que, tandis que le montant de base de l’amende est fixé en fonction de l’infraction, la gravité de celle-ci est déterminée par référence à de nombreux autres facteurs, pour lesquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation. Selon la Cour, le fait de prendre en compte des circonstances aggravantes, lors de la fixation de l’amende, est conforme à la mission de la Commission d’assurer la conformité aux règles de la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, non encore publié au Recueil, point 71).

26     Il convient d’ajouter que, dans l’arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C-204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I-123, point 91), la Cour a précisé qu’une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l’analyse de la gravité de l’infraction en cause.

27     Dans ces conditions, l’argumentation du Groupe Danone selon laquelle, avant l’entrée en vigueur des lignes directrices, la pratique de la Commission dans la matière concernée était dépourvue de clarté et de prévisibilité méconnaît le rapport juridique existant entre, d’une part, l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 qui constitue la base juridique de la décision litigieuse et, d’autre part, les lignes directrices.

28     En effet, les lignes directrices ne constituent pas la base légale pour la fixation du montant de l’amende, mais ne font que préciser l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 (voir, également, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 211, 213 et 214). Dans ce contexte, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 24 de ses conclusions, même en l’absence des lignes directrices, la requérante a toujours été en mesure de prévoir les conséquences juridiques de ses comportements.

29     Partant, la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, était fondée à considérer l’élément lié à la récidive comme se rapportant à la gravité de l’infraction commise par le Groupe Danone.

30     Il en résulte que, en entérinant, au point 351 de l’arrêt attaqué, le constat par la Commission de l’existence d’une récidive du Groupe Danone et la qualification de cette récidive de circonstance aggravante, le Tribunal n’a pas violé le principe nulla poena sine lege.

31     Le premier moyen soulevé par le Groupe Danone doit dès lors être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

 Argumentation des parties

32     Le Groupe Danone soutient que, même en l’absence de dispositions spécifiques prévoyant un délai de prescription, la circonstance aggravante liée à la récidive, résultant de deux comportements précédents, viole le principe de sécurité juridique, étant donné que les décisions antérieures de la Commission avaient été prononcées dans des contextes différents.

33     Le Groupe Danone fait valoir qu’une menace «perpétuelle» de retenir la récidive comme circonstance aggravante est contraire aux principes généraux communs aux droits des États membres.

34     La Commission fait valoir que ce moyen est en partie fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, car le Tribunal a retenu la récidive comme suffisamment établie sur la base d’un constat de faits datant de 1984, c’est-à-dire de moins de dix ans avant le début de l’infraction en cause, commise en 1993. Par ailleurs, l’absence de prescription légale en ce qui concerne la prise en compte d’une situation de récidive n’impliquerait pas que la Commission retiendrait sans aucune limite la circonstance aggravante liée à une telle situation.

35     Elle ajoute que, en l’espèce, une application tout à fait modérée a été faite de la circonstance aggravante liée à la récidive.

 Appréciation de la Cour

36     Il y a lieu d’observer que le Tribunal, au point 353 de l’arrêt attaqué, a écarté toute violation du principe de sécurité juridique tirée du fait que ni le règlement n° 17 ni les lignes directrices ne prévoient de délai maximal pour le constat d’une récidive.

37     Cette appréciation du Tribunal est conforme au droit. En effet, conformément à une jurisprudence constante, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, le contexte de celle-ci et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’il soit nécessaire de se rapporter à une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir, notamment, ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54, et arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 33).

38     Il convient de souligner que le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie dudit pouvoir de la Commission et que cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat.

39     En effet, et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence, à modifier leur comportement. La Commission peut, dès lors, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une telle propension, y compris, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause.

40     À cet égard, le Tribunal a établi, aux points 354 et 355 de l’arrêt attaqué, l’historique des infractions aux règles de la concurrence constatées à l’encontre du Groupe Danone en précisant que, à chaque reprise, un laps de temps relativement bref, à savoir moins de dix ans, avait séparé chacune de ces infractions. Dans ces conditions, le Tribunal a pu conclure à bon droit que la répétition, par le Groupe Danone, d’un comportement infractionnel témoigne d’une propension de ce dernier à ne pas tirer les conséquences appropriées d’un constat à son encontre d’une infraction auxdites règles.

41     En outre, s’agissant des caractéristiques des comportements antérieurs, le Tribunal a noté à bon droit, au point 363 de l’arrêt attaqué, que la notion de récidive n’implique pas nécessairement le constat d’une sanction pécuniaire préalable, mais seulement celui d’une infraction au droit communautaire de la concurrence.

42     Le deuxième moyen avancé par le Groupe Danone ne saurait donc être retenu.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

 Argumentation des parties

43     Le Groupe Danone soutient que, pour répondre à son moyen tiré d’une violation du règlement nº 17, le Tribunal a lié la notion de dissuasion à celle de récidive. Le Tribunal aurait justifié le bien-fondé du recours à la notion récidive par la nécessité d’assurer un effet dissuasif. Étant donné que, selon le Tribunal, afin d’apprécier la gravité de l’infraction, la notion de dissuasion devait être distinguée de celle de récidive, l’arrêt serait entaché d’une motivation contradictoire.

44     La Commission estime que, par ce moyen, le Groupe Danone confond les différents stades de l’évaluation de la gravité de l’infraction. En effet, tant les éléments applicables à toutes les entreprises ayant participé à l’entente que les éléments individuels de cette évaluation feraient partie de cette dernière. La fixation des amendes en fonction de la gravité de l’infraction commise aurait toujours pour objectif d’atteindre une dissuasion effective.

 Appréciation de la Cour

45     Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que la question de savoir si la motivation d’un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d’un pourvoi (voir arrêts du 7 mai 1998, Somaco/Commission, C‑401/96 P, Rec. p. I‑2587, point 53, et du 13 décembre 2001, Cubero Vermurie/Commission, C‑446/00 P, Rec. p. I‑10315, point 20).

46     Quant à l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal, il ressort d’une jurisprudence constante que ce dernier n’est pas tenu d’effectuer un exposé qui suivrait de manière exhaustive et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105/04 P, non encore publié au Recueil, point 72).

47     Quant au contenu de la motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne l’évaluation des circonstances aggravantes, le Tribunal a jugé à bon droit, aux points 348 à 350 de cet arrêt, que, dans le cadre de la prise en compte desdites circonstances, la récidive était non seulement un élément pertinent, mais également un élément d’importance particulière et un indice très significatif de la gravité de l’infraction en vue de l’appréciation du montant de l’amende dans l’optique d’une dissuasion effective. Le Tribunal a souligné à cet égard que la récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée à l’encontre de la requérante n’avait pas produit d’effets suffisamment dissuasifs.

48     Il en résulte que l’arrêt du Tribunal n’est pas entaché d’une motivation contradictoire.

49     Le troisième moyen invoqué par le Groupe Danone doit, par conséquent, être écarté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un excès de pouvoirs juridictionnels

Sur la première branche du moyen, tirée de la méconnaissance par le Tribunal des limites de sa compétence

 Argumentation des parties

50     Le Groupe Danone fait valoir que, en réformant la décision litigieuse, le Tribunal a outrepassé ses compétences. En effet, en tirant les conséquences de l’illégalité de ladite décision, en l’occurrence de la méthode de calcul de l’amende, au titre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal aurait agi ultra vires.

51     Le Groupe Danone soutient que le Tribunal, après avoir constaté que la Commission s’était écartée des lignes directrices, a entrepris de déterminer le montant de l’amende en substituant sa propre méthode de calcul à celle de la Commission.

52     La Commission relève que le Groupe Danone ne remet pas en cause le bien-fondé de la méthode de calcul utilisée par le Tribunal, mais se limite à formuler un grief d’ordre procédural. En revanche, son pourvoi viserait à ce que la Cour substitue son appréciation et son calcul de l’amende à l’analyse effectuée par le Tribunal.

 Appréciation de la Cour

53     Il y a lieu d’observer que, en fixant le nouveau montant de l’amende, le Tribunal a agi non pas dans le cadre de l’article 230 CE, mais dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction au titre de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17.

54     Par conséquent, l’argumentation du Groupe Danone selon laquelle, en réformant le mode de calcul de l’amende, le Tribunal aurait méconnu les limites de la compétence qu’il tiendrait de l’article 230 CE est inopérante.

55     La première branche du quatrième moyen ne saurait dès lors être accueillie.

Sur la seconde branche du moyen, tirée d’une modification, par le Tribunal, des modalités d’application du coefficient pour circonstances atténuantes en l’absence de toute conclusion à ce sujet

 Argumentation des parties

56     Le Groupe Danone estime que le Tribunal n’est pas habilité à statuer ultra petita, quel que soit le contentieux dont il est saisi. Il s’agirait d’un principe juridictionnel fondamental assurant aux parties la maîtrise du litige qui les oppose. Il en serait de même dans le cadre de l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction.

57     Le Groupe Danone soutient que la légalité de l’application du coefficient correcteur au montant de l’amende résultant de la prise en compte de circonstances atténuantes n’avait pas été soulevée en première instance. En modifiant les modalités de cette application et en augmentant le montant de l’amende, afin qu’il soit calculé sur la base de la méthodologie utilisée par la Commission, le Tribunal aurait statué ultra petita.

58     La Commission fait valoir que ce n’est pas par une annulation partielle de la décision litigieuse que le Tribunal a adopté sa méthode de calcul. Au contraire, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal aurait, à juste titre, fondé son appréciation de la circonstance atténuante retenue sur des constatations de fait.

59     La Commission rappelle que, dans l’exercice de ladite compétence, le Tribunal jouit d’un large pouvoir d’appréciation, lui permettant d’évaluer si l’amende est appropriée, c’est-à-dire, même en l’absence d’annulation de la décision prise, de la majorer, de la réduire ou de la confirmer, éventuellement en tenant compte d’éléments supplémentaires.

 Appréciation de la Cour

60     Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 229 CE, les règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, en vertu des dispositions du traité, peuvent attribuer à la Cour une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements.

61     Une telle compétence a été conférée au juge communautaire par l’article 17 du règlement nº 17. Ledit juge est dès lors habilité, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 692).

62     Il en résulte que le juge communautaire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction, lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation, et que cette compétence peut être exercée tant pour réduire ce montant que pour l’augmenter.

63     L’exercice de ladite compétence par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, était dès lors conforme au droit.

64     La seconde branche du quatrième moyen n’est donc pas fondée.

 Sur le cinquième moyen, présenté à titre subsidiaire et tiré d’une violation des droits de la défense ainsi que du principe de non-rétroactivité des dispositions répressives plus sévères

Sur la première branche du moyen, tirée de la violation des droits de la défense

 Argumentation des parties

65     Le Groupe Danone soutient que, à supposer même que le Tribunal ait pu réformer la méthode de calcul de l’amende et diminuer le montant de la réduction pour circonstances atténuantes, le Tribunal aurait dû soumettre son intention de procéder à un tel ajustement à un débat contradictoire. En le privant de la possibilité de faire valoir son point de vue sur la réformation envisagée, le Tribunal aurait violé les droits de la défense.

66     La Commission rappelle que le Tribunal n’a pas majoré l’amende, mais l’a réduite, et que, dans son appréciation du caractère approprié du montant l’amende, le Tribunal a appliqué sa méthode de calcul relative à la réduction pour circonstances atténuantes.

67     Par ailleurs, de l’avis de la Commission, en soumettant sa demande en annulation et réduction de l’amende à l’appréciation du Tribunal, le Groupe Danone aurait saisi le Tribunal non seulement de l’examen de la légalité de la décision, mais également de l’appréciation du caractère approprié du montant de l’amende. Il aurait donc consciemment pris le risque de voir le Tribunal majorer le montant de l’amende infligée.

 Appréciation de la Cour

68     Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire qui a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, Rec. p. I-10821, point 30).

69     Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 81 CE et 82 CE ainsi que de l’article 15 du règlement nº 17 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par la partie requérante, tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 128).

70     Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le juge communautaire, avant qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, était tenu d’inviter le Groupe Danone à présenter ses observations sur une éventuelle réformation de la méthode de calcul, il convient de constater que le Groupe Danone a pu faire valoir utilement son point de vue en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende.

71     Ceci ressort, en premier lieu, de l’argumentation invoquée par le Groupe Danone devant le Tribunal, en deuxième lieu, du déroulement des débats devant ce dernier et, en troisième lieu, des considérations figurant dans l’arrêt attaqué.

72     En premier lieu, il importe de constater que six des huit moyens formulés par le Groupe Danone devant le Tribunal tendaient à la réduction du montant de l’amende infligée. Ainsi qu’il ressort du point 25 de l’arrêt attaqué, ces moyens se rapportaient, notamment, au respect du principe de proportionnalité ainsi qu’aux appréciations portées par la Commission sur les circonstances aggravantes et atténuantes.

73     Dans le cadre desdits moyens, la requérante avait notamment saisi le Tribunal de la question de savoir si la Commission avait fait une application correcte de la méthodologie préconisée dans les lignes directrices (voir, notamment, points 46 à 49 de l’arrêt attaqué) et, par conséquent, de celle du caractère approprié du montant de l’amende.

74     En deuxième lieu, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 74 du mémoire en réponse de la Commission, qui n’a pas été contredit par le Groupe Danone, lors de l’audience, le Tribunal avait posé à la Commission une question portant sur la prise en compte, dans la méthode de calcul de l’amende, des circonstances atténuantes.

75     En réponse à cette question, la Commission avait précisé que la méthode appliquée dans la décision litigieuse n’était pas conforme aux lignes directrices, mais que cette circonstance avait donné lieu à un résultat financier plus favorable au Groupe Danone.

76     Dans ces conditions, il était loisible à ce dernier de prendre position sur cette question afin de faire connaître utilement son point de vue.

77     En troisième lieu, dans l’arrêt attaqué, et en tenant compte de l’ensemble des arguments échangés devant lui, le Tribunal a examiné, de façon détaillée, les éléments pertinents relatifs à la fixation de l’amende.

78     Ainsi, le Tribunal a d’abord affirmé, au point 521 dudit arrêt, que, conformément au libellé des lignes directrices, les pourcentages correspondant aux augmentations et réductions retenues au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes devaient être appliqués au montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, et non au résultat de la mise en œuvre d’une première majoration ou réduction au titre d’une circonstance aggravante ou atténuante.

79     Le Tribunal a constaté ensuite, au point 522 de l’arrêt attaqué, que, alors que la Commission avait ajusté le montant de l’amende eu égard, d’une part, à deux circonstances aggravantes et, d’autre part, à une circonstance atténuante, il ressortait du montant final de l’amende infligée que la Commission avait appliqué l’un de ces deux ajustements au montant qui résultait de la mise en œuvre d’une première majoration ou réduction. Le Tribunal a donc noté que cette méthode de calcul avait pour conséquence de modifier le montant final de l’amende par rapport à celui qui résulterait de l’application de la méthode indiquée dans les lignes directrices.

80     Le Tribunal a dès lors conclu, au point 523 de cet arrêt, que la Commission, sans fournir aucune justification, s’était écartée des lignes directrices en ce qui concerne la méthode de calcul du montant final de l’amende.

81     En conséquence et ainsi qu’il ressort du point 524 dudit arrêt, le Tribunal a appliqué, au titre de sa compétence de pleine juridiction, l’augmentation de 40 %, retenue au titre de la circonstance aggravante liée à la récidive, au montant de base de l’amende infligée au Groupe Danone.

82     Ainsi, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal s’est exclusivement fondé sur les dispositions des lignes directrices sans retenir d’autres éléments, circonstances ou critères, dont le Groupe Danone n’aurait pu prévoir la prise en compte.

83     Il en résulte que le grief tiré d’une violation des droits de la défense par le Tribunal n’est pas fondé.

84     La première branche du cinquième moyen ne saurait dès lors être retenue.

Sur la seconde branche du moyen, tirée de la violation du principe de non-rétroactivité des dispositions répressives plus sévères

 Argumentation des parties

85     Le Groupe Danone soutient que, en réformant la méthode de calcul de l’amende infligée à la requérante, le Tribunal a fondé son raisonnement sur une clarification des lignes directrices qu’il a lui-même effectuées dans des arrêts rendus postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse.

86     La Commission conteste le fait que le Groupe Danone ait pu avoir un doute sur les modalités de prise en compte des circonstances atténuantes susceptibles d’être appliquées pour le calcul du montant de l’amende. En effet, ainsi que le Tribunal l’aurait jugé, il ressortirait des lignes directrices que la réduction pour circonstances atténuantes est calculée à partir du montant de base. Sans être lié par les lignes directrices, le Tribunal aurait choisi cette méthode, dans sa propre appréciation du caractère approprié du montant de l’amende.

 Appréciation de la Cour

87     Il y a lieu de rappeler d’abord que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux de droit dont le juge communautaire assure le respect (voir arrêt du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, Rec. p. 2689, point 22).

88     En particulier, l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui consacre notamment le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), peut s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 217).

89     Tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 218).

90     Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à différents types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 227).

91     Les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient donc acquérir une confiance légitime dans une méthode de calcul des amendes (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 228).

92     Il s’ensuit qu’une méthode de calcul des amendes, telle que celle retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, était raisonnablement prévisible pour une entreprise telle que le Groupe Danone à l’époque où les infractions concernées ont été commises (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 231).

93     Partant, le Tribunal n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

94     La seconde branche du cinquième moyen n’est donc pas fondée.

95     Il découle des considérations qui précèdent que le pourvoi du Groupe Danone doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

96     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Groupe Danone et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Le Groupe Danone est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.