CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES Bot
présentées le 26 janvier 2010 (1)
Affaire C‑409/06
Winner Wetten GmbH
contre
Bürgermeisterin der Stadt Bergheim
[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Köln (Allemagne)]
«Jeux d’argent – Paris sportifs – Restriction non justifiée à la libre prestation des services – Conflit entre une règle de droit interne et une norme communautaire directement applicable – Office du juge national – Obligation d’assurer l’application du droit communautaire en laissant inappliquée la règle de droit interne – Dérogation»
1. Une réglementation d’un État membre soumettant les paris sportifs à un régime de droit exclusif en vue de protéger les consommateurs contre le risque de dépendance au jeu mais qui ne permet pas d’atteindre cet objectif, de sorte qu’elle est contraire à la libre prestation des services, peut-elle être maintenue en vigueur pendant une période transitoire et, le cas échéant, à quelles conditions et pour combien de temps?
2. Par ces questions, le Verwaltungsgericht Köln (Allemagne) demande ainsi à la Cour si, et éventuellement à quelles conditions, il peut être dérogé à l’obligation énoncée dans l’arrêt Simmenthal (2) et confirmée par une jurisprudence constante, selon laquelle le juge national, lorsqu’il se trouve confronté à un conflit entre une disposition de droit interne et une norme communautaire directement applicable, doit, conformément au principe de primauté, assurer l’application de cette norme en laissant inappliqué son droit interne.
3. Dans les présentes conclusions, nous proposerons, tout d’abord, à la Cour de fournir à la juridiction de renvoi quelques indications qui devraient lui permettre de vérifier le bien-fondé de sa prémisse selon laquelle la réglementation en cause est contraire à la libre prestation des services.
4. Ensuite, en admettant que cette prémisse soit bien fondée, nous exposerons les obstacles qui s’opposent, par principe, à l’application et au maintien en vigueur, fût-ce pendant une période transitoire, d’une règle de droit interne contraire à une norme communautaire directement applicable. Nous indiquerons, enfin, les motifs pour lesquels, à supposer qu’il soit possible de déroger à l’obligation résultant de la jurisprudence Simmenthal, précitée, une telle possibilité devrait être exclue en ce qui concerne la réglementation en cause.
I – Le cadre juridique
5. L’article 12, paragraphe 1, de la loi fondamentale (Grundgesetz) dispose:
«Tous les Allemands ont le droit de choisir librement leur profession, leur lieu de travail et leur lieu de formation. L’exercice de la profession peut être réglé par la loi ou sur le fondement d’une loi.»
6. L’article 31 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgerichtsgesetz) prévoit:
«(1) Les décisions du Bundesverfassungsgericht lient les pouvoirs constitutionnels de la fédération et des Länder, ainsi que toutes les juridictions et autorités.
(2) […] la décision du Bundesverfassungsgericht a force de loi […] lorsque le Bundesverfassungsgericht déclare qu’une loi est compatible ou incompatible avec la constitution ou nulle […] le dispositif de la décision doit être publié au Bundesgesetzblatt […]»
7. L’article 284, paragraphe 1, du code pénal (Strafgesetzbuch) énonce:
«Toute personne qui, sans autorisation administrative, organise des jeux de hasard ouverts au public ou met à disposition les installations nécessaires à cet effet est sanctionnée d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou d’une amende.»
8. Par le traité relatif aux loteries en Allemagne (Staatsvertrag zum Lotteriewesen in Deutschland), entré en vigueur le 1er juillet 2004, les Länder ont créé un cadre uniforme pour l’organisation et le placement de jeux de hasard. Il ressort de l’article 5 de ce traité que les Länder sont tenus d’assurer une offre suffisante en matière de jeux de hasard, tâche dont ils peuvent s’acquitter par l’intermédiaire d’une personne morale de droit public ou de sociétés de droit privé avec une participation publique déterminante. La même disposition prévoit que, sauf accord d’un autre Land, l’activité de chaque Land est limitée à son propre territoire.
9. L’article 1er, paragraphe 1, de la loi sur les paris sportifs du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Sportwettengesetz Nordrhein-Westfalen), du 3 mai 1955, prévoit:
«Le gouvernement du Land peut autoriser des sociétés de paris pour des compétitions sportives. Lesdites sociétés de paris doivent impérativement être une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé dont la majorité des parts appartient à des personnes morales de droit public […]»
10. Selon les indications fournies par la Commission européenne dans ses observations écrites, à l’époque des faits du litige au principal, seule la Westdeutsche Lotterie GmbH & Co. OHG (3) avait obtenu une autorisation pour organiser des paris sportifs dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (4).
11. Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la loi applicable aux autorités de police du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Ordnungsbehördengesetz für das Land Nordrhein-Westfalen):
«Les autorités de police peuvent prendre les mesures nécessaires pour prévenir, dans des cas particuliers, un danger menaçant la sécurité publique ou l’ordre public.»
II – Le litige au principal et la décision de renvoi préjudiciel
12. Winner Wetten GmbH (5), établie en Allemagne, dispose depuis le 1er juin 2005 d’un local commercial à Bergheim, dans le Land de NRW, dans lequel elle effectue notamment le placement de paris sportifs dits «Oddset» (paris à la cote) pour le compte de la société Tipico Co. Ltd (6). Tipico est établie et immatriculée à Malte, et y dispose d’une concession nationale pour l’organisation de paris sportifs.
13. Par arrêté du 28 juin 2005, la Bürgermeisterin der Stadt Bergheim (bourgmestre de la ville de Bergheim) a interdit à WW de poursuivre l’exploitation de paris sportifs dont l’organisateur n’est pas titulaire d’un agrément délivré par le Land de NRW et a averti cette société que le non-respect de cette interdiction pourrait entraîner la fermeture de son local commercial.
14. WW a formé une réclamation à l’encontre de cet arrêté, qui a été rejetée le 22 septembre 2005 par le Landrat des Rhein-Erft-Kreises (chef des services administratifs du Rhein-Erft-Kreis). Elle a alors formé un recours contre ledit arrêté et la décision portant rejet de sa réclamation devant le Verwaltungsgericht Köln.
15. Dans le cadre de ce recours, WW a fait valoir que le monopole en matière de paris sportifs en vigueur dans le Land de NRW était contraire à la libre prestation des services prévue à l’article 49 CE, telle qu’elle a été interprétée dans l’arrêt du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. (7). Dans cet arrêt, la Cour aurait affirmé qu’un opérateur établi sur le territoire national proposant des paris en qualité d’intermédiaire d’un prestataire de paris établi dans un autre État membre pouvait se prévaloir de la libre prestation des services. Elle aurait également dit pour droit qu’un monopole d’État sur les paris ne serait conforme au droit communautaire que s’il limite cette activité de manière cohérente et systématique. Or, tel ne serait pas le cas en Allemagne en raison de la publicité effectuée par les organisateurs nationaux de paris sportifs.
16. Dans sa décision de renvoi, le Verwaltungsgericht Köln expose, en premier lieu, que WW a effectivement enfreint la réglementation du Land de NRW en proposant des paris sportifs en qualité d’intermédiaire de Tipico alors que ces deux sociétés ne disposent pas et ne pouvaient pas obtenir un agrément à cet effet.
17. Il fait valoir, en second lieu, que, au vu des exigences exposées par la Cour dans l’arrêt Gambelli e.a., précité, le monopole en matière de paris sportifs dans le Land de NRW viole les dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.
18. Le Verwaltungsgericht Köln se réfère, à cet égard, à l’arrêt du 28 mars 2006 et à l’ordonnance du 2 août 2006 rendus par le Bundesverfassungsgericht, à propos, respectivement, de la réglementation du Land de Bavière et de celle du Land de NRW. Dans ces décisions, le Bundesverfassungsgericht a estimé que les monopoles en matière de paris sportifs dans ces deux Länder portent une atteinte disproportionnée à la liberté professionnelle garantie par l’article 12, paragraphe 1, de la loi fondamentale parce qu’ils ne garantissent pas une lutte efficace contre la dépendance vis-à-vis du jeu. Il a indiqué également que les prescriptions ainsi que les objectifs de la loi fondamentale convergent avec ceux du droit communautaire, tels qu’ils ont été exposés dans l’arrêt Gambelli e.a., précité.
19. La juridiction de renvoi souligne, ensuite, que le Bundesverfassungsgericht a maintenu la situation juridique existante jusqu’au 31 décembre 2007, à la condition que, au cours de cette période transitoire, le droit applicable en matière de paris sportifs soit réorganisé dans le respect de la loi fondamentale. La juridiction constitutionnelle a prévu ainsi que l’entité chargée de l’organisation des paris sportifs devait instaurer sans tarder un minimum de cohérence entre l’exercice effectif de son monopole et les objectifs de lutte contre la passion pour le jeu ainsi que la dépendance.
20. La juridiction de renvoi expose, cependant, que la réorganisation des conditions matérielles d’exercice du monopole national sur les paris sportifs en fonction des exigences du Bundesverfassungsgericht ne suffit pas à faire disparaître la non-conformité avec le droit communautaire. L’élimination de cette infraction rendrait nécessaire, selon ladite juridiction, une modification des conditions juridiques d’exercice de ce monopole. Elle rappelle, en outre, que la primauté d’une disposition de droit communautaire directement applicable oblige à écarter le droit national contraire.
21. La juridiction de renvoi indique, toutefois, que l’Oberverwaltungsgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif régional supérieur du Land de NRW), dans une ordonnance du 28 juin 2006, a décidé le maintien de la réglementation sur les paris sportifs dans ce Land dans les mêmes conditions temporelles et matérielles que celles prévues par le Bundesverfassungsgericht en ce qui concerne la loi bavaroise, afin de ne pas créer une «lacune légale inacceptable».
22. Au vu de ces considérations, le Verwaltungsgericht Köln, par ordonnance du 21 septembre 2006, a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Les articles 43 [CE] et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens que des réglementations nationales relatives à un monopole d’État sur les paris sportifs qui comportent des restrictions illicites à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services garanties par les articles 43 [CE] et 49 CE en ce qu’elles ne contribuent pas à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique conformément à la jurisprudence de la Cour [arrêt Gambelli e.a., précité] peuvent continuer à s’appliquer exceptionnellement pendant une période transitoire en dépit de la primauté de principe du droit communautaire directement applicable?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, à quelles conditions peut-on admettre une exception au principe de primauté et comment la période transitoire doit-elle être calculée?»
III – Les correspondances échangées avec la juridiction de renvoi
23. La juridiction de renvoi a adressé spontanément à la Cour une lettre en date du 11 mai 2007, dans laquelle elle a exposé que, «selon une jurisprudence constante […] l’élément déterminant pour l’appréciation du recours ayant donné lieu à la demande de décision préjudicielle est la situation de droit et de fait existant au moment de la décision statuant sur la contestation (en l’espèce, le 22 septembre 2005)». Elle a indiqué que, «[à] supposer que des modifications fussent intervenues ultérieurement dans la pratique des paris sportifs – par exemple à la suite des décisions du Bundesverfassungsgericht du 28 mars 2006 et du 2 août 2006 –[,] elles n’auraient aucune incidence sur l’appréciation du litige au principal».
24. Au mois de juillet 2008, la Cour a adressé à la juridiction de renvoi une demande d’éclaircissements, sur le fondement de l’article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure, dans laquelle elle a invité celle-ci à indiquer si les questions préjudicielles demeuraient nécessaires pour la solution du litige, compte tenu de l’arrêt rendu par le Bundesverfassungsgericht le 22 novembre 2007.
25. Dans cet arrêt, le Bundesverfassungsgericht a décidé que les mesures transitoires prévues dans son arrêt du 28 mars 2006, permettant le maintien sous condition de la réglementation des paris sportifs applicable dans le Land de Bavière, ne sauraient faire disparaître l’illégalité des décisions administratives d’interdiction rendues avant ledit arrêt, de sorte que de telles décisions doivent être annulées.
26. Dans sa lettre en date du 8 août 2008, la juridiction de renvoi a indiqué qu’une réponse à ses questions préjudicielles demeurait nécessaire pour la solution du litige. Elle a exposé que l’Oberverwaltungsgericht Nordrhein-Westfalen, dans une ordonnance du 18 avril 2007, a estimé que la légalité de décisions d’interdiction de proposer des paris sportifs devait s’apprécier à la date de la décision juridictionnelle à intervenir. La juridiction de renvoi a expliqué également que, dans la mesure où la situation juridique en vigueur à compter du 1er janvier 2008 était très différente de la situation antérieure, elle se placerait à la date du 31 décembre 2007 pour apprécier la légalité de l’arrêté du 28 juin 2005 et de la décision du 22 septembre 2005 faisant l’objet du recours au principal, soit à un moment pendant lequel l’ancienne législation, contraire au droit communautaire, devait continuer à s’appliquer.
IV – Analyse
27. Préalablement à l’examen des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, il paraît nécessaire de faire les remarques suivantes en ce qui concerne, d’une part, la recevabilité de ces questions et, d’autre part, la prémisse sur laquelle elles sont fondées.
A – La recevabilité des questions préjudicielles
28. La recevabilité des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi pouvait être mise en doute au vu de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht rendu le 22 novembre 2007. Elle a également été contestée par le gouvernement norvégien, qui soutient que ces questions sont hypothétiques parce que la non-conformité de la réglementation du Land de NRW avec le droit communautaire ne serait pas démontrée.
29. Sur le premier point, il était permis de s’interroger sur la question de savoir si, en vertu de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht, précité, les actes attaqués dans le recours au principal devaient être annulés, de sorte que la présente décision de renvoi préjudiciel serait devenue sans objet.
30. Il convient toutefois de constater que, dans sa réponse en date du 8 août 2008, la juridiction de renvoi a indiqué que ses questions préjudicielles demeuraient pertinentes pour la solution du litige. Elle a expliqué qu’elle devait se placer à la date du 31 décembre 2007 pour statuer sur le recours au principal, c’est-à-dire à un moment où, en vertu des mesures transitoires décidées par le Bundesverfassungsgericht et l’Oberverwaltungsgericht Nordrhein-Westfalen, la réglementation interdisant à WW de proposer des paris sportifs pour le compte de Tipico demeurait applicable.
31. La question de savoir à quelle date le Verwaltungsgericht Köln doit se placer pour statuer sur le recours en annulation dont il est saisi ainsi que la détermination des conséquences à tirer de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 22 novembre 2007 en ce qui concerne les actes faisant l’objet du recours au principal dépendent de règles matérielles et procédurales de droit interne et relèvent donc du pouvoir d’appréciation de la juridiction de renvoi.
32. En application de la répartition des tâches entre la juridiction nationale et la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle et de l’esprit de coopération qui régit cette procédure, il convient de prendre acte du fait que le Verwaltungsgericht Köln s’estime toujours saisi du litige au principal et qu’il maintient ses questions.
33. Lesdites questions portant sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour, à notre avis, se trouve tenue de statuer, puisque, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (8).
34. Sur le second point, concernant l’objection du gouvernement norvégien, il est vrai que, comme la Commission ainsi que le gouvernement allemand l’ont souligné, les questions soumises à la Cour par la juridiction de renvoi ne se posent que si la réglementation du Land de NRW sur les paris sportifs est véritablement contraire au droit communautaire. Nous sommes également d’avis, comme ces parties intervenantes, que, en l’état des explications fournies par la juridiction de renvoi, le bien-fondé de son appréciation sur ce point peut être mis en doute.
35. Cette circonstance justifie, à notre avis, que, conformément à l’esprit de coopération qui gouverne la procédure préjudicielle et afin de fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments relatifs à l’interprétation du droit communautaire pouvant lui être utiles pour la solution du litige, la Cour donne à cette juridiction des indications lui permettant d’examiner à nouveau le bien-fondé de sa prémisse.
36. Pour autant, l’éventualité que la juridiction de renvoi, au vu de ces indications, revienne sur cette prémisse ne doit pas conduire la Cour à déclarer les questions préjudicielles de cette juridiction irrecevables et à refuser d’y répondre. En effet, si, en l’état du dossier, ladite prémisse est sujette à discussion, elle peut également être confirmée par le juge national, puisque la question de savoir si la réglementation du Land de NRW a été conçue et est mise en œuvre concrètement de manière à atteindre ses objectifs de protection de manière cohérente et systématique procède, au final, d’une appréciation qui relève de sa compétence (9).
37. Or, conformément à une jurisprudence constante, la Cour ne peut refuser de répondre à une question préjudicielle portant sur l’interprétation du droit communautaire que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que celle-ci n’est pas pertinente pour la solution du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit suffisants pour donner à la juridiction de renvoi une réponse utile à la solution de ce litige (10).
38. Ces motifs de rejet ne trouvent pas à s’appliquer dans la présente affaire.
39. En effet, la juridiction de renvoi, qui estime que la réglementation en matière de paris sportifs sur le fondement de laquelle les actes attaqués devant elle ont été pris est contraire à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, cherche à savoir si, et le cas échéant à quelles conditions, il peut être dérogé à l’obligation, imposée par le principe de primauté du droit communautaire, de laisser inappliquée cette réglementation et d’annuler ces actes. Elle soumet à la Cour cette interrogation parce que sa Cour constitutionnelle fédérale puis sa juridiction d’appel ont estimé que ladite réglementation, bien qu’elle fût contraire à la loi fondamentale, devait être maintenue.
40. La Cour, à notre avis, dispose des éléments suffisants de fait et de droit pour répondre à ladite interrogation. En outre, la circonstance que la prémisse sur laquelle l’interrogation est fondée procède de l’appréciation du juge national et puisse être confirmée par celui-ci démontre que cette interrogation n’est pas posée dans le cadre d’un problème purement hypothétique, ni qu’elle serait manifestement sans aucun intérêt pour la solution du litige au principal.
41. Nous sommes donc d’avis que les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi sont recevables.
B – La prémisse de la juridiction de renvoi selon laquelle la réglementation du Land de NRW est contraire au droit communautaire
42. La juridiction de renvoi estime que la réglementation du Land de NRW en matière de paris sportifs est contraire à la libre prestation des services telle que cette liberté a été interprétée dans l’arrêt Gambelli e.a., précité, au motif que la participation à de tels paris serait encouragée par les organismes nationaux autorisés, de sorte que cette réglementation ne garantirait pas une lutte efficace contre la dépendance vis-à-vis du jeu. Elle a exposé, ensuite, que les modifications apportées par WestLotto à l’exercice de ses activités en application des instructions du Bundesverfassungsgericht ne font pas disparaître cette non-conformité au droit communautaire parce que l’élimination de celle-ci nécessite également des modifications des conditions juridiques d’exercice du monopole.
43. Les étapes du raisonnement juridique au terme duquel la juridiction de renvoi conclut à la non-conformité de la réglementation en cause ne paraissent pas contestables.
44. En effet, il se déduit de l’arrêt Gambelli e.a., précité, que WW, qui propose des paris sportifs en tant qu’intermédiaire d’une société établie à Malte, peut se prévaloir des dispositions de l’article 49 CE (11). En outre, nous partageons l’analyse de la Commission selon laquelle WW ne peut se prévaloir que des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et non de celles relatives à la liberté d’établissement, puisqu’il s’agit d’une société constituée selon le droit allemand qui exerce ses activités en Allemagne.
45. Par ailleurs, il est constant qu’une législation nationale telle que la réglementation du Land de NRW, qui interdit de proposer dans celui-ci les paris sportifs organisés par une société établie dans un autre État membre, constitue une restriction à la libre prestation des services.
46. Ensuite, si une telle restriction peut être justifiée par la défense de l’ordre public ou une raison impérieuse d’intérêt général telle que la protection des consommateurs contre une incitation à des dépenses excessives liées au jeu, encore faut-il qu’elle soit proportionnée à cet objectif, ce qui implique que celui-ci soit poursuivi de manière cohérente et systématique (12). Dans l’arrêt Gambelli e.a., précité, la Cour a dit que cette condition n’est pas satisfaite lorsqu’un État membre a instauré une réglementation restrictive en matière de jeux d’argent dans le seul but de protéger les consommateurs contre les risques de dépenses excessives alors que, en réalité, il mène une politique d’incitation forte de ces mêmes consommateurs à participer à ces jeux (13).
47. Enfin, ainsi que nous l’avons déjà rappelé, c’est au juge national qu’il revient d’apprécier si la réglementation en cause est mise en œuvre concrètement en conformité avec les objectifs poursuivis.
48. En revanche, la conclusion à laquelle la juridiction de renvoi a abouti peut être mise en cause au regard des deux considérations suivantes.
49. En premier lieu, comme le gouvernement norvégien l’a fait valoir, il ne saurait être exclu que les conditions requises par la loi fondamentale soient plus strictes que celles exigées par le droit communautaire, du moins au vu des précisions apportées par la jurisprudence postérieurement à l’arrêt Gambelli e.a., précité.
50. Ainsi, dans l’arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a. (14), la Cour a dit pour droit que, si la réglementation d’un État membre en matière de jeux d’argent a pour objet de canaliser cette activité dans des circuits contrôlables afin de prévenir son exploitation à des fins criminelles, les opérateurs autorisés doivent constituer une alternative fiable, mais en même temps attrayante, à une activité interdite, ce qui peut en soi impliquer l’offre d’une gamme de jeux étendue, une publicité d’une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution (15).
51. Actuellement, dans les affaires pendantes Sporting Exchange (C‑203/08) et Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International (C‑258/08), la Cour se trouve confrontée à une réglementation d’un État membre qui soumet les jeux d’argent à un régime de monopole dans le but à la fois de protéger les consommateurs contre l’assuétude au jeu et de combattre la criminalité.
52. Nous avons proposé à la Cour de dire que le fait que les titulaires des droits exclusifs d’exploiter des jeux d’argent dans cet État membre sont autorisés à rendre leur offre attrayante en créant de nouveaux jeux et en recourant à la publicité n’est pas, en tant que tel, incohérent avec les objectifs poursuivis par cet État pris dans leur ensemble. Ce qui importe, dans ce cas de figure, c’est que la création de nouveaux jeux et la publicité soient étroitement contrôlées par l’État membre et limitées afin d’être également compatibles avec la poursuite de l’objectif de protection des consommateurs contre l’assuétude au jeu.
53. Dans la mesure où le point d’équilibre entre ces deux objectifs est difficile à trouver concrètement, nous avons aussi proposé à la Cour de reconnaître une grande marge d’appréciation aux États membres. Ensuite, le point de savoir si la réglementation en cause, dans ses modalités concrètes d’application par les autorités compétentes et le ou les titulaires du droit exclusif de proposer des jeux d’argent, poursuit de tels objectifs de manière cohérente et systématique doit résulter d’une analyse par le juge national des effets concrets de cette réglementation.
54. En d’autres termes, le fait que le ou les titulaires du droit de proposer des jeux d’argent font une publicité dans un État membre ayant restreint l’exercice de cette activité afin de protéger les consommateurs contre une incitation à des dépenses excessives et le risque de dépendance ne démontre pas nécessairement une méconnaissance de la condition selon laquelle les objectifs doivent être poursuivis de manière cohérente et systématique ni, partant, que cette réglementation est contraire au droit communautaire. Il incombe au juge national de prendre en considération l’ensemble des objectifs de la réglementation en cause et d’apprécier les effets concrets de celle-ci auprès des consommateurs en tenant compte de la grande marge d’appréciation des États membres dans cette matière.
55. En second lieu, la juridiction de renvoi n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles les conditions juridiques qui encadrent l’activité du titulaire du droit de proposer des paris sportifs seraient contraires au droit communautaire, de sorte que, selon ladite juridiction, les modifications apportées par WestLotto à l’exercice de ses activités en application des instructions du Bundesverfassungsgericht ne pourraient pas faire disparaître cette non-conformité.
56. Enfin, il importe de souligner que la Cour se trouve saisie actuellement de plusieurs questions préjudicielles pendantes, dans les affaires jointes Stoß e.a. (16), qui ont précisément pour objet de permettre d’apprécier la conformité avec le droit communautaire de la réglementation en matière de paris sportifs applicable dans les Länder de Baden-Württemberg et de Hesse, laquelle présente de grandes similarités avec la réglementation en vigueur dans le Land de NRW.
57. La juridiction de renvoi pourrait donc être amenée également à revoir sa prémisse à la suite des arrêts à intervenir dans ces affaires, qui sont traitées par la Cour en parallèle avec la présente procédure.
58. Par conséquent, nous sommes d’avis qu’il serait utile, préalablement à l’analyse des questions préjudicielles, de fournir à la juridiction de renvoi les indications suivantes quant à la prémisse sur laquelle ces questions sont fondées:
– Une réglementation d’un État membre qui restreint la fourniture de paris sportifs dans le but de défendre des intérêts visés par le traité ou considérés comme légitimes par la jurisprudence doit, pour être conforme au droit communautaire, poursuivre ses objectifs de manière cohérente et systématique.
– Il incombe au juge national de vérifier si cette condition est satisfaite en prenant en considération l’ensemble des objectifs de la réglementation en cause et en appréciant les effets concrets de celle-ci auprès des consommateurs en tenant compte de la grande marge d’appréciation des États membres dans cette matière.
– La juridiction de renvoi pourra également, le cas échéant, prendre en compte les indications fournies dans les arrêts à intervenir dans les affaires jointes Stoß e.a., précitées.
C – L’examen au fond
59. Dans le cadre de l’examen des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, il convient de partir de la prémisse selon laquelle la réglementation en cause constitue une restriction non justifiée à la libre prestation des services au motif qu’elle ne contribue pas à limiter les activités de paris de manière cohérente et systématique.
60. Ladite juridiction estime à bon droit que, en raison de ce conflit entre sa réglementation nationale et une disposition de droit communautaire directement applicable (17), elle se trouve tenue de laisser cette réglementation inappliquée.
61. En effet, conformément à la position adoptée par la Cour dans l’arrêt Simmenthal, précité, et confirmée ensuite par une jurisprudence constante, en cas de conflit entre une disposition de droit interne et une norme de droit communautaire directement applicable, le juge national a l’obligation d’assurer le plein effet de cette norme en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, ladite disposition même si elle est postérieure, et sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (18).
62. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il peut être dérogé à cette obligation.
63. Elle demande ainsi, en substance, si une juridiction d’un État membre peut continuer d’appliquer à titre exceptionnel et transitoire sa réglementation nationale en matière de paris sportifs alors que cette réglementation constitue une restriction non justifiée à la libre prestation des services en ce qu’elle ne contribue pas à limiter les activités de paris de manière cohérente et systématique.
64. La juridiction de renvoi indique soumettre cette question à la Cour au motif que, dans son ordonnance du 28 juin 2006, l’Oberverwaltungsgericht Nordrhein-Westfalen a provisoirement exclu la primauté du droit communautaire afin de ne pas faire naître une «lacune légale inacceptable». En vertu de cette ordonnance, les dispositions litigieuses de la loi sur les paris sportifs resteraient donc provisoirement applicables, en dépit de la violation de l’article 49 CE, dans les mêmes conditions temporelles et matérielles que celles retenues par le Bundesverfassungsgericht concernant la réglementation bavaroise au regard du droit à la liberté professionnelle prévu à l’article 12 de la loi fondamentale.
65. Il ressort également de ses explications que le Bundesverfassungsgericht, dans l’ordonnance du 2 août 2006, a pris les mêmes mesures transitoires à l’égard de la réglementation du Land de NRW.
66. Ces indications peuvent être comprises en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il peut être dérogé à l’obligation imposée par la jurisprudence Simmenthal, précitée, pour deux motifs distincts, à savoir, d’une part, la décision du Bundesverfassungsgericht de maintenir la réglementation litigieuse jusqu’au 31 décembre 2007 et, d’autre part, la nécessité d’éviter un vide juridique qui pourrait être préjudiciable aux consommateurs du Land de NRW.
67. La réponse à la question préjudicielle examinée, en ce qui concerne l’incidence des décisions rendues par la Cour constitutionnelle fédérale, peut être déduite très clairement de l’arrêt Filipiak, précité.
68. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour s’est trouvée confrontée à une situation dans laquelle une législation d’un État membre en matière d’impôts sur le revenu, qui s’avérait contraire à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, avait été déclarée non conforme à la Constitution de cet État membre par sa Cour constitutionnelle. Cependant, celle-ci avait reporté la date à laquelle cette législation perdrait sa force obligatoire.
69. Le juge national, saisi d’un litige entre l’administration fiscale et un contribuable ayant exercé l’une de ces libertés de circulation, demandait à la Cour si le principe de primauté lui imposait d’écarter l’application de ladite législation malgré la prolongation des effets de celle-ci par sa Cour constitutionnelle.
70. La Cour a rappelé comment un conflit entre une disposition de droit interne et une norme communautaire directement applicable doit être résolu par le juge national. Conformément à la jurisprudence Simmenthal, précitée, ce conflit se résout, pour une juridiction nationale, par l’application du droit communautaire en laissant inappliquée la disposition nationale contraire, et non par le constat de la nullité de cette disposition qui relève de la compétence des organes et des juridictions de l’État membre concerné (19).
71. Elle a indiqué que le report, par la Cour constitutionnelle, de la date à laquelle les dispositions nationales litigieuses perdront leur force obligatoire ne saurait faire obstacle à ce que le juge national, conformément au principe de primauté du droit communautaire, écarte ces dispositions dans le litige dont il est saisi (20).
72. En d’autres termes, le contrôle de constitutionnalité et celui de la conformité au droit communautaire doivent pouvoir produire leurs effets sans entrer en opposition l’un avec l’autre. Ainsi, de même que l’office du juge national en vertu de la jurisprudence Simmenthal, précitée, se limite aux situations de conflit entre une norme communautaire et une disposition de droit interne, une décision de la Cour constitutionnelle reportant dans le temps les conséquences à tirer de la non-conformité de la loi nationale avec la Constitution ne saurait interférer sur le devoir du juge national d’assurer la primauté du droit communautaire chaque fois qu’il se trouve confronté à un tel conflit.
73. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, la circonstance que la réglementation litigieuse soit également contraire à la loi fondamentale et que le Bundesverfassungsgericht ait décidé de maintenir cette réglementation en vigueur pendant une période transitoire ne saurait diminuer en rien l’obligation de la juridiction de renvoi d’en écarter l’application dans le litige dont elle est saisie, dès lors qu’elle estime ladite réglementation contraire à l’article 49 CE.
74. Conformément à la jurisprudence Simmenthal, précitée, la juridiction de renvoi doit donc écarter la réglementation litigieuse en tant qu’elle est opposée à un prestataire de services tel que WW, qui peut se prévaloir de l’article 49 CE. En revanche, cette jurisprudence ne fait en rien obstacle à ce que ladite réglementation continue de recevoir application à des prestataires de paris sportifs établis dans des États tiers, qui ne sont pas fondés à se prévaloir de la libre prestation des services ou de la liberté d’établissement.
75. L’étude de la question examinée au regard du second motif invoqué par la juridiction de renvoi nous amène à présent à apprécier si la réglementation litigieuse peut être maintenue en vigueur, bien qu’elle soit contraire à la libre prestation des services, le temps nécessaire pour que les autorités compétentes adoptent une nouvelle réglementation conforme au droit communautaire.
76. Ce maintien en vigueur aurait pour objet d’éviter que, pendant ce délai, il existe un vide juridique qui permettrait à tous les prestataires de paris sportifs établis dans d’autres États membres de proposer leurs paris aux consommateurs établis dans le Land de NRW, sans autres mesures de régulation que celles en vigueur dans leur État d’origine.
77. Le maintien de la réglementation litigieuse aurait donc pour conséquence non seulement de permettre au juge national de l’appliquer dans le cadre du litige dont il est saisi, mais encore de permettre à toutes les autorités nationales, y compris les autorités judiciaires, de continuer d’en faire application pendant toute la période transitoire qui serait ainsi définie.
78. Afin de bien mesurer l’enjeu de la problématique examinée, il convient également de rappeler que, selon la prémisse de la juridiction de renvoi, la réglementation en cause ne permet pas de lutter efficacement contre la dépendance au jeu. En d’autres termes, selon cette prémisse, cette réglementation a pour effet d’interdire à des prestataires établis dans d’autres États membres de proposer des paris sportifs aux consommateurs résidant dans le Land de NRW mais elle est inapte à protéger ces derniers contre une incitation excessive à la pratique de tels paris de la part de l’opérateur agréé.
79. Plusieurs États membres qui sont intervenus dans la présente procédure ont soutenu que la réglementation litigieuse du Land de NRW devait pouvoir continuer de recevoir application jusqu’à l’adoption d’une législation conforme au droit communautaire. Ils ont fondé cette position sur plusieurs arguments qui peuvent être résumés brièvement de la manière suivante.
80. D’une part, un acte communautaire déclaré illégal dans le cadre soit d’un renvoi préjudiciel en contrôle de validité, soit d’un recours en annulation peut, sur le fondement de l’article 231, second alinéa, CE, voir ses effets maintenus en vigueur afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter un vide dans la législation portant atteinte aux objectifs poursuivis dans cet acte.
81. D’autre part, l’exclusion de toute possibilité de période transitoire irait à l’encontre du pouvoir d’appréciation reconnu aux États membres en ce qui concerne la protection de l’ordre social et de leurs citoyens contre les risques liés aux jeux d’argent.
82. Enfin, l’admissibilité d’une période transitoire résulterait aussi des dispositions de l’article 228, paragraphe 2, CE, selon lequel un État membre ayant omis d’exécuter un arrêt de la Cour constatant qu’il a failli à ses obligations doit se voir notifier un avis motivé avant l’introduction d’une nouvelle procédure en manquement, ce qui aurait pour effet de lui accorder encore un ultime délai.
83. Contrairement à ces États membres, nous sommes d’avis que la juridiction de renvoi ne saurait être autorisée à appliquer une telle réglementation dès lors qu’elle a constaté sa non-conformité avec l’article 49 CE.
84. Nous fondons notre position sur les arguments suivants. D’une part, dans son principe même, le maintien en vigueur de cette réglementation, fût-ce à titre transitoire, porterait atteinte à la primauté du droit communautaire et au droit à un recours juridictionnel effectif. D’autre part, à supposer même qu’une dérogation à l’obligation imposée par la jurisprudence Simmenthal, précitée, puisse être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, elle ne saurait être appliquée lorsque, comme dans la présente affaire, d’une part, la réglementation litigieuse est inapte à atteindre ses objectifs et, d’autre part, les motifs pour lesquels elle est contraire au droit communautaire découlent d’un arrêt préjudiciel rendu plus de 18 mois avant l’adoption des actes contestés dans le recours au principal.
1. Les obstacles de principe
85. À titre liminaire, il convient d’indiquer que, à ce jour, la possibilité d’aménager dans le temps les effets du droit communautaire sur le droit des États membres n’a été admise qu’en ce qui concerne le passé.
86. Ainsi, depuis l’arrêt Defrenne (21), la Cour admet qu’il peut être dérogé au principe de l’effet rétroactif d’un arrêt préjudiciel en interprétation dans des circonstances exceptionnelles, lorsque cet effet rétroactif aurait des répercussions économiques graves sur des rapports juridiques qui avaient été constitués de bonne foi en raison de l’incertitude qui existait quant à la portée réelle du droit communautaire (22).
87. De même, il est de jurisprudence bien établie que le droit communautaire, en vertu du principe de sécurité juridique, n’impose pas aux États membres de mettre en cause des actes administratifs ou juridictionnels devenus définitifs (23).
88. La seule situation, jusqu’à présent, dans laquelle le juge national est autorisé à suspendre les effets d’une disposition de droit communautaire dans l’avenir est celle dans laquelle un acte de droit dérivé est contesté sérieusement devant lui et que la validité de cet acte fait l’objet d’un examen devant la Cour. En outre, le requérant doit avoir avancé des éléments sérieux à l’appui de son exception d’invalidité et avoir démontré à ce juge national la nécessité de suspendre l’application dudit acte jusqu’à la décision de la Cour.
89. Toutefois, cet exemple n’est pas pertinent pour la question examinée dans la présente affaire, parce qu’il se rapporte à une disposition de droit communautaire dont la légalité fait l’objet d’une contestation sérieuse, en cours d’examen.
90. Certes, la possibilité de prolonger dans le temps les effets d’une règle de droit alors qu’elle est contraire au droit communautaire est prévue expressément à l’article 231, second alinéa, CE lorsqu’un règlement a été déclaré invalide dans le cadre d’un recours direct.
91. Il est également constant que cette disposition a été étendue par le juge communautaire à l’ensemble des actes de droit dérivé et qu’il en est fait aussi application dans le cadre des renvois préjudiciels en contrôle de validité. Ainsi, lorsque le juge communautaire constate, dans le cadre d’un recours direct en annulation ou d’un renvoi préjudiciel en contrôle de validité, qu’un acte communautaire de droit dérivé est entaché d’illégalité et doit être annulé, il peut prévoir que cet acte continuera de produire certains effets, soit jusqu’à l’entrée en vigueur de l’acte devant être pris en remplacement, soit pendant la durée que ce juge détermine (24).
92. L’application de ladite disposition est fondée sur des motifs tirés de la protection de la sécurité juridique. Il s’agit d’empêcher la remise en cause de situations juridiques nées avant le prononcé de l’arrêt ou encore d’éviter que l’annulation de l’acte en cause crée un vide juridique pouvant compromettre les objectifs de cet acte.
93. Ainsi, récemment, dans l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (25), la Cour, après avoir constaté que le règlement (26) prévoyant notamment le gel des fonds du requérant avait été adopté en ce qui le concerne en violation de plusieurs droits fondamentaux et devait être annulé, a décidé d’en maintenir les effets pendant une période de trois mois à compter du prononcé de l’arrêt, afin de permettre au Conseil de l’Union européenne de remédier à ces violations (27).
94. Contrairement aux États membres qui sont intervenus dans la présente procédure, nous sommes d’avis que la transposition de la possibilité prévue à l’article 231, second alinéa, CE à des règles de droit interne contraires à une norme de droit communautaire directement applicable se heurte à des obstacles de principe difficilement franchissables.
95. Ainsi, lorsque nous examinons les motifs sur le fondement desquels la Cour a défini l’office du juge national lorsque celui-ci se trouve confronté à un conflit entre ces deux catégories de normes, nous constatons qu’elle a retenu les points suivants.
96. Premièrement, une norme communautaire directement applicable doit déployer la plénitude de ses effets d’une manière uniforme dans tous les États membres dès son entrée en vigueur et pendant toute la durée de sa validité, parce qu’elle constitue une source immédiate de droits et d’obligations pour tous ceux qu’elle concerne, tant les États membres que les particuliers (28).
97. Deuxièmement, en vertu du principe de primauté, les normes de droit communautaire directement applicables ont pour effet de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale (29).
98. Troisièmement, l’effet utile de l’article 234 CE serait amoindri si le juge national était empêché de donner immédiatement une application du droit communautaire conforme à l’arrêt préjudiciel.
99. La Cour en a déduit que serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle, même temporaire, à la pleine efficacité des normes communautaires (30).
100. En outre, dans l’arrêt Factortame e.a. (31), la Cour a estimé que les exigences d’effectivité et d’application uniforme du droit communautaire conféraient au juge national le pouvoir de suspendre une disposition de son droit interne présumée incompatible avec le droit communautaire afin de garantir à titre provisoire les droits conférés par le traité alors même que sa législation nationale ne le lui permettait pas.
101. Il est bien évident qu’admettre qu’une règle de droit interne contraire à une norme communautaire directement applicable puisse continuer de recevoir application porte atteinte à l’application effective et uniforme du droit communautaire et, partant, au principe même de la primauté de ce droit.
102. À cet égard, il importe de rappeler que, selon l’arrêt Costa (32), la «force exécutive du droit communautaire ne saurait […] varier d’un État à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité […] ni provoquer une discrimination interdite par l’article [12 CE]», lequel prohibe toute discrimination exercée en raison de la nationalité dans le domaine d’application du traité (33).
103. De même, l’application par le juge national d’une règle de droit interne alors que sa conformité avec le droit communautaire a été contestée à bon droit par le requérant constitue la négation même du droit à un recours juridictionnel effectif et porte atteinte à l’effet utile de l’article 234 CE.
104. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (34).
105. L’effet utile de l’article 234 CE combiné à l’effet immédiat des droits conférés par les libertés de circulation a précisément pour objet de permettre à un particulier de contester une législation d’un État membre et d’obtenir qu’elle ne lui soit pas appliquée lorsque celle-ci est contraire à une disposition de droit communautaire telle qu’une liberté fondamentale de circulation.
106. Ainsi, lorsque nous examinons la jurisprudence relative à la limitation de l’effet rétroactif d’un arrêt préjudiciel dans le temps, nous constatons que la Cour s’est attachée à concilier la protection de la sécurité juridique des situations antérieures créées de bonne foi avec le droit à un recours juridictionnel effectif, en prévoyant une exception à la non-rétroactivité de l’arrêt en faveur des personnes qui avaient introduit un recours en justice ou une réclamation équivalente avant le prononcé de son arrêt.
107. La Cour a fait application de cette jurisprudence aussi bien dans ses arrêts interprétatifs (35) que dans le cadre de renvois préjudiciels dans lesquels elle a déclaré une norme communautaire invalide (36).
108. L’application, dans le litige au principal, de la réglementation litigieuse à l’égard de WW, qui conduirait à rejeter son recours comme non fondé, aurait pour effet de priver cette requérante d’une protection juridictionnelle effective des droits qui lui sont conférés directement par les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services.
109. Le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et le principe de primauté du droit communautaire constituent donc, selon nous, des obstacles difficilement franchissables à la possibilité de prévoir une dérogation à l’obligation prévue par la jurisprudence Simmenthal, précitée.
110. À titre subsidiaire, même à supposer que, au terme d’une mise en balance de l’intérêt protégé par la règle de droit interne avec les droits conférés par la disposition communautaire, qui serait comparable à celle à laquelle la Cour a procédé dans l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, entre la protection des droits fondamentaux et la lutte contre le terrorisme, il puisse être envisagé une telle dérogation, elle ne saurait être admise, à notre avis, dans les circonstances de la présente affaire, et cela pour les motifs suivants.
2. Les obstacles supplémentaires propres à la présente affaire
111. Deux obstacles s’opposent, à notre avis, à ce qu’une législation nationale telle que la réglementation en cause puisse être maintenue en vigueur alors qu’elle est contraire au droit communautaire.
112. Le premier d’entre eux tient au fait que, selon la prémisse de la juridiction de renvoi, cette réglementation ne contribue pas à limiter les activités de paris de manière cohérente et systématique. En d’autres termes, ladite réglementation a pour effet d’interdire à des organisateurs de paris sportifs établis dans les autres États membres de proposer leurs jeux aux consommateurs résidant dans le Land de NRW mais elle ne protège pas ces consommateurs contre une incitation excessive au jeu de la part de l’opérateur agréé.
113. L’argument selon lequel le maintien de la réglementation en cause s’imposerait pour prévenir un vide juridique ne peut donc pas être retenu parce que ladite réglementation est elle-même inapte à protéger les consommateurs. Selon la prémisse de la juridiction de renvoi, elle ne constitue, en réalité, qu’une mesure discriminatoire ou, à tout le moins, protectionniste.
114. Le second obstacle tient au fait que, selon la même prémisse, la réglementation litigieuse est contraire à la libre prestation des services au vu des critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Gambelli e.a., précité, rendu plus de 18 mois avant l’adoption des actes attaqués dans le cadre du recours au principal.
115. Lorsque la Cour limite l’application rétroactive de ses arrêts dans le temps, elle s’efforce de concilier cette dérogation à l’application effective du droit communautaire avec l’exigence d’assurer l’interprétation uniforme de ce droit dans l’ensemble des États membres. À cet effet, il est de jurisprudence constante, d’une part, que cette limitation ne peut être décidée que par la Cour elle-même (37).
116. D’autre part, et c’est ce second point qui importe ici, la limitation des effets dans le temps ne peut résulter que de l’arrêt qui interprète la norme communautaire. Ainsi, selon la Cour, une telle limitation ne peut être admise, selon une jurisprudence constante, que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (38).
117. Cette condition s’impose pour le motif suivant. Il faut nécessairement un moment unique de détermination des effets dans le temps de l’interprétation sollicitée que donne la Cour d’une disposition de droit communautaire. À cet égard, le principe qu’une limitation ne peut être admise que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée garantit l’égalité de traitement des États membres et des autres justiciables face à ce droit et remplit par là même les exigences découlant du principe de sécurité juridique (39).
118. Par conséquent, lorsque, dans un arrêt préjudiciel, la Cour constate que l’interprétation qu’elle donne du droit communautaire se déduit d’un de ses arrêts antérieurs dans lequel elle n’a pas limité dans le temps les effets de ce dernier, elle indique que les effets dans le temps du second arrêt ne sauraient être limités (40).
119. Dès lors, admettre qu’il puisse être dérogé à la jurisprudence Simmenthal, précitée, dans la présente affaire serait en contradiction avec la jurisprudence susmentionnée. En outre, cela aurait pour effet de dispenser les États membres de leur obligation, qui découle du devoir de loyauté énoncé à l’article 10 CE, d’adapter en permanence et dans les meilleurs délais leur législation en fonction de la jurisprudence communautaire, sans attendre que leur législation soit elle-même mise en cause dans le cadre d’un renvoi préjudiciel ou d’une procédure de manquement.
120. Nous proposons donc, au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, de répondre à la juridiction de renvoi qu’une juridiction d’un État membre ne peut pas continuer d’appliquer à titre exceptionnel et transitoire sa réglementation nationale en matière de paris sportifs si cette réglementation constitue une restriction non justifiée à la libre prestation des services en ce qu’elle ne contribue pas à limiter les activités de paris de manière cohérente et systématique.
121. Dans la mesure où nous proposons de répondre par la négative au point de savoir s’il peut être dérogé à l’obligation énoncée dans la jurisprudence Simmenthal, précitée, il n’apparaît pas nécessaire d’examiner la seconde question préjudicielle, relative aux conditions d’une telle dérogation.
V – Conclusion
122. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles du Verwaltungsgericht Köln:
«Une réglementation d’un État membre qui restreint la fourniture de paris sportifs dans le but de défendre des intérêts visés par le traité CE ou considérés comme légitimes par la jurisprudence doit, pour être conforme au droit communautaire, poursuivre ses objectifs de manière cohérente et systématique.
Il incombe au juge national de vérifier si cette condition est satisfaite en prenant en considération l’ensemble des objectifs de la réglementation en cause et en appréciant les effets concrets de celle-ci auprès des consommateurs en tenant compte de la grande marge d’appréciation des États membres dans cette matière.
La juridiction de renvoi pourra également, le cas échéant, prendre en compte les indications fournies dans l’arrêt à intervenir dans les affaires jointes Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07).
Une juridiction d’un État membre ne peut pas continuer d’appliquer à titre exceptionnel et transitoire sa réglementation nationale en matière de paris sportifs si cette réglementation constitue une restriction non justifiée à la libre prestation des services en ce qu’elle ne contribue pas à limiter les activités de paris de manière cohérente et systématique.»
1 – Langue originale: le français.
2 – Arrêt du 9 mars 1978 (106/77, Rec. p. 629).
3 – Ci-après «WestLotto».
4 – Ci-après le «Land de NRW».
5 – Ci-après «WW».
6 – Ci-après «Tipico».
7 – C‑243/01, Rec. p. I‑13031.
8 – Voir, pour une application récente, arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak (C‑314/08, non encore publié au Recueil, point 40).
9 – Arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti (C‑67/98, Rec. p. I‑7289, point 37) ainsi que Gambelli e.a., précité (point 66).
10 – Arrêt Filipiak, précité (point 42 et jurisprudence citée).
11 – Arrêt Gambelli e.a., précité (point 58).
12 – Ibidem (point 67).
13 – Ibidem (point 69).
14 – C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, Rec. p. I‑1891.
15 – Point 55.
16 – C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07.
17 – L’applicabilité directe des dispositions du traité instituant la libre prestation des services a été reconnue dans l’arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299).
18 – Arrêts précités Simmenthal (point 24), et Filipiak (point 81 ainsi que jurisprudence citée).
19 – Arrêt Filipiak, précité (point 82).
20 – Ibidem (point 84).
21 – Arrêt du 8 avril 1976 (43/75, Rec. p. 455).
22 – Voir, notamment, arrêt du 11 août 1995, Roders e.a. (C‑367/93 à C‑377/93, Rec. p. I‑2229, point 43).
23 – Arrêts du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, Rec. p. I‑2585, point 24), ainsi que du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor (C‑392/04 et C‑422/04, Rec. p. I‑8559, point 51).
24 – Arrêts du 15 octobre 1980, Providence agricole de la Champagne (4/79, Rec. p. 2823, points 45 et 46); du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil (C‑21/94, Rec. p. I‑1827, points 29 à 32), ainsi que du 3 septembre 2009, Parlement/Conseil (C‑166/07, non encore publié au Recueil, points 72 à 75).
25 – C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351.
26 – Il s’agissait du règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 139, p. 9).
27 – Points 373 et suiv.
28 – Arrêt Simmenthal, précité (points 14 et 15).
29 – Ibidem (point 17).
30 – Ibidem (points 22 et 23).
31 – Arrêt du 19 juin 1990 (C‑213/89, Rec. p. I‑2433).
32 – Arrêt du 15 juillet 1964 (6/64, Rec. p. 1141).
33 – Idem, p. 1159.
34 – (JO C 364, p. 1). Voir arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité (point 335 ainsi que jurisprudence citée).
35 – Voir, notamment, arrêt du 4 mai 1999, Sürül (C‑262/96, Rec. p. I‑2685), dans lequel elle a dit pour droit que l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 du Conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille (JO 1983, L 110, p. 60), ne pouvait être invoqué à l’appui de revendications relatives à des prestations afférentes à des périodes antérieures à la date de l’arrêt, en raison des incertitudes qui existaient quant à la portée de cette disposition et des risques de bouleversement des régimes de sécurité sociale des États membres, sauf en ce qui concerne les personnes qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente (points 112 et 113).
36 – Aux points 25 à 27 de l’arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères (C‑228/92, Rec. p. I‑1445), la Cour indique:
«[…] il appartient à la Cour, quand elle fait usage de la possibilité de limiter l’effet dans le passé d’une déclaration préjudicielle d’invalidité d’un règlement communautaire, de déterminer si une exception à cette limitation de l’effet dans le temps, conférée à son arrêt, peut être prévue en faveur de la partie au principal qui a introduit devant la juridiction nationale le recours contre l’acte national d’exécution du règlement, ou si, à l’inverse, même à l’égard de cette partie, une déclaration d’invalidité du règlement ayant effet seulement pour l’avenir constitue un remède adéquat (voir arrêt [du 27 février 1985, Société des produits de maïs, 112/83, Rec. p. 719], point 18).
Dans le cas de la partie qui, comme la demanderesse au principal, a attaqué devant le juge national un avis de perception de [montants compensatoires monétaires] adopté sur le fondement d’un règlement communautaire invalide, une telle limitation des effets dans le passé d’une déclaration préjudicielle d’invalidité aurait pour conséquence le rejet par ce juge national du recours dirigé contre l’avis de perception litigieux, alors même que le règlement, sur le fondement duquel cet avis a été adopté, a été déclaré invalide par la Cour dans le cadre de la même instance.
Un opérateur économique comme la demanderesse au principal se verrait alors privé du droit à une protection juridictionnelle effective en cas de violation par les institutions de la légalité communautaire et l’effet utile de l’article [234 CE] en serait compromis.»
37 – Arrêt du 8 février 1996, FMC e.a. (C‑212/94, Rec. p. I‑389, point 56). Ainsi, selon la Cour, l’exigence fondamentale d’une application uniforme et générale du droit communautaire implique qu’il appartient à la seule Cour de justice de décider des limitations intratemporelles à apporter à l’interprétation qu’elle donne [arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, Rec. p. 1205, point 18)].
38 – Arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
39 – Ibidem (point 37).
40 – Ibidem (points 38 à 41).