Conclusions de l'avocat général
I – Introduction
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 28 CE et 30 CE ainsi que des dispositions de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (2) .
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Dynamic Medien Vertriebs GmbH (ci‑après «Dynamic Medien») à Avides Media AG (ci‑après «Avides»), deux sociétés de droit allemand, au sujet de la vente par cette dernière, en Allemagne, par correspondance au moyen de l’internet, de vidéogrammes n’ayant pas fait l’objet, par les autorités compétentes allemandes, d’un contrôle et d’une classification aux fins de la protection des mineurs.
II – Le cadre juridique national
3. L’article 1 er , paragraphe 4, de la loi sur la protection des mineurs (Jugendschutzgesetz), du 23 juillet 2002 (3), ci‑après le «JuSchG» définit la «vente par correspondance» aux fins de cette même loi comme «toute opération à titre onéreux effectuée par commande et envoi d’une marchandise par voie postale ou électronique sans contact personnel entre le livreur et l’acheteur ou sans qu’il soit garanti, par des mesures techniques ou autres, que l’expédition ne sera pas livrée à des enfants ou à des adolescents» (4) .
4. L’article 12, paragraphe 1, du JuSchG prévoit que les cassettes vidéo préenregistrées et autres supports d’images ne peuvent être rendus publiquement accessibles à un enfant ou à un adolescent que si les programmes ont été autorisés pour leur tranche d’âge et marqués par l’autorité suprême du Land ou par une organisation d’autorégulation volontaire dans le cadre de la procédure visée à l’article 14, paragraphe 6, de cette même loi (ci‑après les «autorités compétentes allemandes», ou s’il s’agit de programmes d’information, d’instruction et d’enseignement qui ont été marqués comme «programme d’information» ou «programme éducatif» par le fournisseur.
5. L’article 12, paragraphe 3, du JuSchG dispose que «les supports d’images dépourvus de tout marquage ou comportant le marquage ‘interdit aux mineurs’ conformément à l’article 14, paragraphe 2, par les autorités compétentes allemandes ou par le fournisseur conformément à l’article 14, paragraphe 7, ne peuvent
1. être proposés, cédés ou rendus autrement accessibles à un enfant ou à un adolescent,
2. être proposés ou cédés dans le commerce de détail hors des locaux commerciaux, dans des kiosques ou d’autres points de vente dans lesquels les clients n’entrent pas habituellement, ou par correspondance» (5) .
III – Les faits au principal, les questions préjudicielles et le déroulement de la procédure
6. Avides, opérateur établi en Allemagne, vend des supports vidéo et audio par correspondance au moyen de son site internet et d’une plateforme de commerce électronique.
7. Le litige au principal au principal porte sur la vente par correspondance en Allemagne, par cette société, de vidéogrammes (DVD ou cassettes vidéo) de bandes dessinées japonaises appelées «animes», importés du Royaume-Uni. Avant leur importation, ces programmes ont fait l’objet d’un contrôle par la British Board of Film Classification (commission britannique de classification des films, ci‑après la «BBFC»). Cet organisme a vérifié, en application des dispositions relatives à la protection des mineurs en vigueur au Royaume-Uni, à quel public ces films s’adressaient et les a classés dans la catégorie «interdit aux moins de 15 ans». Les vidéogrammes litigieux comportent un marquage de la BBFC à cet effet.
8. Dynamic Medien, un concurrent d’Avides, demande au Landgericht Koblenz (tribunal de Coblence) d’interdire à cette dernière la vente par correspondance des vidéogrammes en question, au motif qu’ils n’ont pas fait l’objet d’un contrôle et d’une classification en Allemagne en application de la réglementation nationale applicable et qu’ils ne comportent aucune indication de limite d’âge liée à une décision de classification émanant des autorités compétentes allemandes.
9. Lors d’une procédure en référé, l’Oberlandesgericht Koblenz (cour d’appel de Coblence) a considéré que la vente par correspondance de vidéogrammes portant uniquement l’indication de la limite d’âge fixée par la BBFC était contraire à l’article 12, paragraphe 3, du JuSchG et constituait un comportement anticoncurrentiel.
10. Par décision du 25 avril 2006, déposée au greffe de la Cour le 31 mai 2006, le Landgericht Koblenz a décidé de surseoir à statuer et de poser à celle‑ci les questions préjudicielles suivantes:
«Le principe de libre circulation des marchandises au sens de l’article 28 CE s’oppose-t-il à une disposition juridique allemande interdisant la vente par correspondance de vidéogrammes (DVD, cassettes vidéo) ne comportant aucune mention indiquant qu’ils ont été soumis au contrôle allemand relatif à la protection des mineurs?
En particulier:
L’interdiction de la vente par correspondance de tels vidéogrammes représente-t-elle une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE?
Dans l’affirmative:
Pareille interdiction est-elle également justifiée au regard de l’article 30 CE et en tenant compte de la directive 2000/31/CE lorsque le vidéogramme a été soumis à un contrôle relatif à la protection des mineurs par un autre État membre et qu’il comporte un étiquetage en ce sens, ou un tel contrôle par un autre État membre représente-t-il une mesure moins contraignante au sens de cette disposition?»
11. En application de l’article 23 du statut de la Cour de justice, des observations écrites ont été déposées par Avides, le gouvernement allemand, l’Irlande, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes.
12. Les représentants des mêmes parties, ainsi que ceux de Dynamic Medien, ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est déroulée le 2 mai 2007.
IV – L’analyse juridique
A – L’examen de la législation en cause au principal
13. L’attention du juge de renvoi se concentre sur l’interdiction, sanctionnée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, de vendre par correspondance des vidéogrammes privés de l’indication montrant qu’ils ont été soumis à un contrôle et à une classification aux fins de la protection des mineurs par les autorités compétentes allemandes. Il est constant que cette interdiction concerne la vente tant par voie postale que par voie électronique au moyen de l’internet (commande et/ou livraison effectuées par la poste et/ou par l’internet).
14. Il est par ailleurs établi que cette interdiction s’applique tant aux fournisseurs établis en Allemagne, comme Avides, qu’aux fournisseurs établis dans d’autres États membres. Cette dernière précision importe surtout parce que, aux fins du litige au principal, il faut répondre aux questions posées par le Landgericht Koblenz en considérant ladite interdiction pour autant qu’elle s’applique à un opérateur établi en Allemagne et non pas aussi pour autant qu’elle est applicable à un opérateur établi dans un autre État membre (6) .
15. Il faut en outre tenir compte du fait que cette même interdiction s’inscrit dans le cadre d’une réglementation plus large contenue dans le JuSchG et destinée à protéger les mineurs dans le secteur des médias, plus particulièrement dans le cadre de la réglementation spécifique prévue à cet effet à l’article 12 de cette loi en ce qui concerne les vidéogrammes contenant des films ou des jeux.
16. Il résulte en substance de cette réglementation spécifique que ces vidéogrammes, à l’exception de ceux contenant des programmes d’information ou des programmes éducatifs et marqués comme tels par le fournisseur, lorsqu’ils ont été marqués «interdit aux mineurs» par les autorités compétentes allemandes ou lorsqu’ils ne comportent aucun marquage de cet organisme parce qu’ils n’ont pas été soumis à son contrôle, ne peuvent pas être rendus accessibles à des enfants et à des adolescents ni, en tout état de cause, être commercialisés selon certaines modalités (vente au détail en dehors des locaux commerciaux, dans des points de vente où les clients n’entrent pas habituellement; vente par correspondance) qui n’empêchent pas que des enfants et des adolescents entrent en contact ou puissent disposer de tels vidéogrammes.
17. L’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG participe donc d’un système normatif destiné à éviter que les enfants et les adolescents n’entrent en contact ou ne disposent de vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés par les autorités compétentes allemandes ou qui n’ont pas été classifiés par celui‑ci comme étant interdits aux mineurs. La preuve en est, comme l’a souligné fermement le gouvernement allemand, que cette interdiction n’est pas absolue, dans la mesure où, comme le révèle l’article 1 er , paragraphe 4, du JuSchG, elle concerne les seules opérations effectuées par voie postale ou électronique sans contact personnel entre le livreur et l’acheteur ou sans qu’il soit garanti que la marchandise ne sera pas livrée à des enfants ou à des adolescents. Ce gouvernement a précisé que même les vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés par les autorités compétentes allemandes ou qui n’ont pas été classifiés par celui‑ci comme étant interdits aux mineurs peuvent être vendus légalement par correspondance en Allemagne, lorsque des mesures adéquates garantissent que c’est un adulte qui commande et reçoit la marchandise (correspondance dite «protégée»).
18. Il semble pouvoir se déduire de cette précision fournie par le gouvernement allemand que le contrôle et la classification des vidéogrammes par les autorités compétentes allemandes ne font pas l’objet d’une véritable obligation pour les fournisseurs, mais constituent simplement des formalités facultatives dont l’accomplissement rend inapplicables les restrictions à la commercialisation qui sont prévues à l’article 12, paragraphe 3, du JuSchG pour les vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés par cet organisme, en exonérant en particulier le fournisseur qui souhaite vendre cette marchandise par correspondance du recours à des mesures susceptibles de rendre la correspondance «protégée» (7) .
19. La législation nationale en cause ne comporte donc ni d’obligation de soumettre les vidéogrammes importés à une procédure nationale de contrôle et de classification et de les étiqueter d’une façon conforme à cette classification, ni d’interdiction de vendre des vidéogrammes importés qui n’ont pas été soumis à cette procédure et à cet étiquetage, pas plus qu’elle n’interdit de façon absolue de recourir pour leur commercialisation au canal de la vente par correspondance.
20. Il n’en demeure pas moins que l’article 12, paragraphe 3, du JuSchG prévoit en substance, en ce qui concerne les vidéogrammes qui n’ont pas été soumis à la procédure nationale de contrôle et de classification, qu’ils soient importés ou non, une interdiction relative d’actes de disposition, à savoir un interdiction qui concerne une catégorie déterminée d’acquéreurs potentiels (les mineurs), en l’assortissant, pour les mêmes marchandises, d’une interdiction de vente en dehors des locaux commerciaux, dans des points de vente dans lesquels les clients n’entrent pas habituellement, et en soumettant la vente par correspondance à des conditions restrictives destinées à en exclure les mineurs en tant qu’acquéreurs.
B – Sur l’importance éventuelle de mesures communautaires d’harmonisation
21. Il faut tout d’abord rappeler, comme le fait la Commission, que toute mesure nationale adoptée dans un secteur qui fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau communautaire doit être appréciée par rapport aux dispositions de cette mesure d’harmonisation et non par rapport à celles relevant du droit primaire, en particulier les articles 28 CE et 30 CE (8) .
22. Les directives 2000/31 et 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (9), ont été évoquées dans le cadre de la présente procédure, au titre de mesures communautaires d’harmonisation éventuellement pertinentes.
23. S’agissant de la directive 2000/31, rappelons tout d’abord qu’elle vise à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en créant, en matière de commerce électronique, un cadre juridique visant à assurer la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres. Comme l’indique son article 1 er , paragraphe 2, elle rapproche seulement « certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information et qui concernent le marché intérieur, l’établissement des prestataires, les communications commerciales, les contrats par voie électronique, la responsabilité des intermédiaires, les codes de conduite, le règlement extrajudiciaire des litiges, les recours juridictionnels et la coopération entre États membres» (10) .
24. Or, même si l’on admet que la vente de biens par l’internet constitue un «service de la société de l’information» au sens de la directive 2000/31 (11) et qu’une disposition nationale comme l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG relève du «domaine coordonné» défini par cette directive (12), aucune des parties qui sont intervenues devant la Cour n’a précisé et nous ne parvenons pas nous-même à discerner quelles règles contenues dans ladite directive auraient éventuellement réalisé cette harmonisation exhaustive des dispositions nationales relatives à la protection des mineurs dans le cadre de la vente de biens par correspondance au moyen de l’internet, qui exclurait la vérification de la compatibilité avec les articles 28 CE et 30 CE de l’interdiction susmentionnée.
25. La juridiction de renvoi ainsi que les gouvernements allemand et du Royaume-Uni ont souligné que la directive 2000/31 laisse expressément une marge de manœuvre aux autorités nationales aux fins de la protection des mineurs. Ils ont fait observer que, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), premier tiret, de cette directive, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires à la protection de «l’ordre public», en particulier à la «protection des mineurs», à l’égard d’un service déterminé de la société de l’information, tel que la vente de marchandises par l’internet.
26. Faisons néanmoins observer que la référence à l’article 3, paragraphe 4, la directive 2000/31 est dénuée de pertinence en l’occurrence.
27. Ledit article 3 comporte la clause dite «du marché intérieur», en vertu de laquelle, en substance, les prestataires de services de la société de l’information peuvent opérer sur le territoire de la Communauté européenne en demeurant soumis, en ce qui concerne le domaine coordonné visé par la directive 2000/31, aux dispositions de l’État membre dans lequel ils sont établis. Le paragraphe 1 de cet article précise en effet que «[c]haque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné». Corrélativement, le paragraphe 2 du même article dispose que «[l]es État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre».
28. La directive 2000/31 prévoit néanmoins, à son vingt‑quatrième considérant, que, nonobstant le principe du contrôle à la source des services de la société d’information, il apparaît légitime, dans les conditions prévues par la présente directive, que les États membres prennent des mesures tendant à limiter la libre circulation des services de la société de l’information. L’article 3, paragraphe 4, de cette directive, évoqué par la juridiction de renvoi ainsi que par les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, fixe les conditions susmentionnées, en particulier en précisant les raisons d’intérêt public qui peuvent être invoquées pour justifier de telles mesures restrictives et en subordonnant leur adoption au respect de formalités procédurales déterminées, comme une demande d’intervention adressée à l’État membre d’origine du prestataire du service et la notification à ce même État et à la Commission (qui est appelée à vérifier la compatibilité des mesures en cause avec le droit communautaire) de l’intention d’adopter ces mesures.
29. Les mesures visant à assurer la «protection des mineurs» au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 sont donc celles qu’un État membre peut adopter par dérogation à l’interdiction, fixée au paragraphe 2 de cet article, de restreindre, pour des raisons relevant du domaine coordonné, «la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre » (13) .
30. Or, étant donné qu’Avides est un prestataire établi en Allemagne (14), l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG constituerait, à son égard , une disposition nationale de l’État d’origine au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31 et non une mesure qui restreint la libre circulation d’un service de la société de l’information en provenance d’un autre État membre, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive.
31. Le régime institué à l’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2000/31 n’entre donc pas en ligne de compte pour vérifier la compatibilité avec le droit communautaire de l’interdiction précitée de vente par correspondance pour autant qu’elle s’applique à un opérateur, comme Avides, établi sur le territoire national .
32. Les dispositions de la directive 2000/31 ne sont donc pas pertinentes dans le présent cas d’espèce. Tout au plus pourraient-elles s’avérer pertinentes, en lieu et place des articles 28 CE et 30 CE, pour vérifier la compatibilité avec le droit communautaire de l’interdiction en cause pour autant qu’elle s’applique à des opérateurs établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne et qui réalisent des ventes par l’internet en Allemagne; mais, comme nous l’avons souligné, il s’agit dans ce cas d’un aspect étranger à l’objet de l’affaire dont a été est saisi la juridiction de renvoi.
33. S’agissant de la directive 97/7, observons que l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG semble relever de son champ d’application (15) . Toutefois, l’article 14 de cette directive permet aux États membres d’«adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur», et il précise, par ailleurs, que «[c]es dispositions comprennent, le cas échéant, l’interdiction, pour des raisons d’intérêt général, de la commercialisation sur leur territoire par voie de contrats à distance de certains biens ou services, notamment des médicaments, dans le respect du traité». La directive 97/7 ne réalise donc pas d’harmonisation exhaustive en ce qui concerne la vente de biens par correspondance et elle n’empêche pas, mais elle prévoit en revanche expressément, l’examen de la compatibilité avec les règles du traité, en particulier avec les articles 28 CE et 30 CE, des mesures plus sévères que son article 14 permet aux États membres d’adopter en vue de protéger les consommateurs (16) .
34. Nous sommes par conséquent d’avis que les directives 2000/31 et 97/7 n’excluent pas la nécessité d’examiner la compatibilité avec les articles 28 CE et 30 CE de l’interdiction, visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, de vendre par correspondance des vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle et à la classification des autorités compétentes allemandes.
C – Sur l’applicabilité de l’article 28 CE au présent cas d’espèce: mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation?
35. Par les questions préjudicielles posées à la Cour, le Landgericht Koblenz demande en premier lieu à cette dernière si l’interdiction de vendre par correspondance des vidéogrammes qui ne comportent aucune mention indiquant qu’ils ont été soumis au contrôle et à la classification par les autorités compétentes allemandes aux fins de la protection des mineurs constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE.
36. Aux termes de l’article 28 CE, «[l]es restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent sont interdites entre les États membres».
37. D’après la formule bien connue tirée de l’arrêt Dassonville (17) et répétée sans cesse dans la jurisprudence de la Cour jusqu’à ce jour (18), toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives.
38. Bien qu’une mesure n’ait pas pour objet de réguler les échanges de marchandises entre les États membres, ce qui est déterminant est son effet, actuel ou potentiel, sur le commerce intracommunautaire. En application de ce critère, d’après une jurisprudence constante inaugurée par l’arrêt Rewe‑Zentral (19), constituent des mesures d’effet équivalent, interdites par l’article 28 CE, les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l’absence d’harmonisation des législations nationales, de l’application à des marchandises en provenance d’autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d’intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises (20) .
39. Par ailleurs, d’après une jurisprudence qui a vu le jour avec l’arrêt Keck et Mithouard (21), n’est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, précitée, l’application à des produits en provenance d’autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de celle des produits en provenance d’autres États membres (22) .
40. Avides, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission considèrent que l’interdiction de vente par correspondance sanctionnée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG constitue une mesure d’effet équivalent prohibée par l’article 28 CE.
41. D’après Avides, il ne s’agirait pas simplement de la réglementation d’une modalité de vente. L’exigence de soumettre les vidéogrammes importés, déjà contrôlés et classifiés en vue de protéger les mineurs dans l’État membre d’exportation, au contrôle et à la classification dans le même but par les autorités compétentes allemandes entraînerait des coûts supplémentaires significatifs et des retards dans la commercialisation de ces produits en Allemagne. Quoi qu’il en soit, même à supposer qu’il s’agisse de la réglementation d’une modalité de vente, elle ne remplirait pas la première des deux conditions fixées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, dans la mesure où, s’appliquant uniquement sur le territoire allemand, elle affecterait uniquement les entreprises de commerce électronique établies en Allemagne et non celles établies dans les autres États membres.
42. La Commission estime qu’il est déterminant d’analyser les effets réels ou potentiels des mesures nationales en cause. Elle souligne que l’article 12 du JuSchG comporte en substance pour les opérateurs concernés une obligation d’étiquetage des vidéogrammes. L’interdiction de vente par correspondance visée au paragraphe 3, point 2, de cet article serait uniquement l’une des sanctions prévues en cas de non-respect de cette obligation qui, d’après la Commission, relève de la catégorie de mesures nationales qui est visée par la jurisprudence rappelée au point 38 des présentes conclusions, dans la mesure où elle fixe une condition, relative à l’étiquetage, à laquelle les marchandises doivent répondre. L’effet restrictif de la législation allemande serait par ailleurs renforcé par la circonstance que l’étiquetage requis suppose l’accomplissement d’une procédure nationale de contrôle, même si une procédure et un étiquetage analogues ont déjà eu lieu dans l’État membre d’exportation. La législation en cause au principal imposerait donc des coûts supplémentaires pour la commercialisation en Allemagne de vidéogrammes importés et cela suffirait pour la qualifier de mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative.
43. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, tout obstacle à la libre circulation des marchandises découlant de l’application d’une mesure nationale relative aux caractéristiques de produits légalement fabriqués et commercialisés dans un autre État membre constitue une mesure d’effet équivalent, quand bien même elle se présente sous la forme d’une restriction à une modalité de vente déterminée. Ce gouvernement souligne que les restrictions à la commercialisation qui sont prévues à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, dont fait partie l’interdiction de vente par correspondance en question, ne concernent pas les vidéogrammes en général, mais uniquement certains vidéogrammes, à savoir ceux qui ne respectent pas les exigences d’autorisation et de classification de leur contenu par les autorités compétentes allemandes. S’appliquant uniquement lorsque le contenu des vidéogrammes a déjà été jugé inadapté pour les mineurs ou n’a pas été vérifié par lesdites autorités, ces restrictions porteraient de ce fait sur les caractéristiques effectives des produits concernés et non seulement sur une modalité de vente. De toute façon, même si l’on voulait considérer que, en l’espèce, il s’agit uniquement de la réglementation d’une modalité de vente, la seconde des conditions fixées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, ne serait pas remplie, dans la mesure où les vidéogrammes produits en Allemagne peuvent, d’après le gouvernement du Royaume-Uni, respecter plus aisément que ceux produits ailleurs les exigences fixées par le droit allemand quant à l’adéquation de leur contenu avec la réglementation relative à la protection des mineurs.
44. À l’inverse, Dynamic Medien, le gouvernement allemand et l’Irlande prétendent que l’interdiction de vente par correspondance en question concerne une modalité de vente et remplit les deux conditions fixées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, de sorte qu’elle échapperait au champ d’application de l’article 28 CE.
45. Dynamic Medien fait observer que les restrictions imposées à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG sont relatives à des modalités de vente et concernent tous les vidéogrammes, produits ou non en Allemagne et vendus par des opérateurs établis en Allemagne ou dans d’autres États membres. La production nationale ne bénéficierait donc d’aucune protection.
46. Le gouvernement allemand reconnaît que l’interdiction de vente par correspondance en cause au principal se rattache à un étiquetage déterminé ou plutôt à son absence. Cela ne devrait cependant pas porter à assimiler cette interdiction à une obligation d’étiquetage des produits et à exclure le fait qu’elle concerne une modalité de vente. La mise dans le commerce de vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés par les autorités compétentes allemandes et ne sont donc pas pourvus d’un marquage ne serait pas interdite, pas plus que ne le serait de façon générale leur vente par correspondance. Seule serait en revanche interdite la vente par correspondance «non protégée», à savoir celle qui ne garantit pas que le produit est commandé et reçu uniquement par des adultes. Étant donné que d’autres canaux de distribution demeurent autorisés pour la commercialisation de ces produits, y compris la vente par correspondance «protégée», l’accès au marché allemand des vidéogrammes importés serait garanti et les importateurs ne seraient pas tenus de modifier la présentation de leurs produits pour les commercialiser en Allemagne. Les mesures nationales en cause correspondraient donc à la réglementation d’une modalité de vente qui s’applique tant aux produits importés qu’aux produits nationaux et qui n’entraîne aucune inégalité de traitement entre eux, que ce soit en droit ou en fait.
47. L’Irlande souligne à son tour que l’article 12 du JuSchG ne concerne pas les caractéristiques des produits, mais les modalités selon lesquelles, et plus particulièrement les sujets auxquels, ils peuvent être offerts et vendus. Elle fait observer que cette législation s’applique de la même façon à tous les opérateurs concernés, indépendamment de leur origine, et à toutes les marchandises du même type, qu’elles soient produites en Allemagne ou importées.
48. Selon nous, l’interdiction de vente par correspondance «non protégée» des vidéogrammes non contrôlés par les autorités compétentes allemandes ne représente pas, pas plus que l’interdiction d’actes de disposition de ces produits en faveur des mineurs, une réglementation relative aux caractéristiques des produits. Comme nous l’avons fait observer ci‑dessus, le JuSchG ne semble pas imposer d’obligation de contrôle et de classification des vidéogrammes, qu’ils soient importés ou non, par les autorités compétentes allemandes et donc d’étiquetage conforme en conséquence. Il n’existe même pas, corrélativement, d’interdiction absolue de commercialiser des vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés et classifiés par cet organisme et qui sont donc privés d’étiquetage conforme. Ces vidéogrammes peuvent être vendus, pourvu qu’ils le soient à des adultes, dans des locaux commerciaux où le public entre régulièrement ou par correspondance «protégée».
49. Nous sommes plutôt en présence d’une réglementation qui concerne l’activité commerciale et introduit des limites aux modalités de vente, d’une part, sous l’angle du «comment» et du «où» peuvent être vendus les produits (article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG) et, d’autre part, en élargissant le nombre des catégories énoncées dans la formule bien connue utilisée en son temps par l’avocat général Tesauro, à savoir «qui peut vendre les produits, comment, où et quand» (23), sous l’angle de la personne de l’acquéreur, c’est-à-dire «à qui» les produits peuvent être vendus (article 12, paragraphes 1 et 3, point 1, du JuSchG).
50. Les limites en question ne s’appliquent certes pas à tous les vidéogrammes, mais uniquement à certaines catégories d’entre eux (les vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle et à la classification par les autorités compétentes nationales, ainsi que ceux qui sont classifiés «interdit aux mineurs»). Le fait que ces catégories soient identifiées par rapport à certaines caractéristiques des produits ne signifie cependant pas en soi qu’il s’agisse d’une réglementation relative aux caractéristiques des produits, à tout le moins dans la mesure où il n’existe aucune obligation, sur le plan formel, d’adapter les produits pour les commercialiser sur le territoire allemand (24) . En ce sens, le présent cas d’espèce semble se distinguer de ceux qui ont fait l’objet des arrêts Mars (25) et Familiapress (26), qui concernaient des législations nationales qui, bien que semblant porter sur des modalités de vente, en arrivaient en fin de compte à fixer les conditions auxquelles devaient répondre les produits pour pouvoir être commercialisés dans l’État membre concerné.
51. Dès lors qu’elle peut être considérée comme relative à des modalités de vente, la législation en cause au principal doit respecter les deux conditions fixées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, et qui ont été rappelées au point 39 des présentes conclusions, pour pouvoir échapper au champ d’application de l’article 28 CE.
52. S’agissant de la première de ces conditions, relative à l’application indifférenciée de la législation en cause au principal à tous les opérateurs qui exercent leur activité sur le territoire national, faisons observer que ladite législation s’applique, d’après les précisions apportées par le gouvernement allemand, aux ventes devant être réalisées sur le territoire national tant par des opérateurs établis en Allemagne que par des opérateurs établis dans d’autres États membres. La première condition est donc remplie.
53. En ce qui concerne la seconde condition, relative à l’incidence équivalente sur la commercialisation des produits nationaux et sur celle des produits provenant d’autres États membres, sa portée doit être appréciée à la lumière des considérations émises par la Cour au point 17 de l’arrêt Keck et Mithouard, précité, dont on déduit en substance que l’application de dispositions sur les modalités de vente à des produits en provenance d’un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État ne doit pas être de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux (27) .
54. Dans sa décision de renvoi, le Landgericht Koblenz s’interroge sur la pertinence, dans le présent cas d’espèce, du raisonnement qui a poussé la Cour, dans son arrêt Deutscher Apothekerverband (28), à considérer qu’une interdiction de vendre des médicaments par correspondance au moyen de l’internet, comme celle examinée dans l’affaire qui a fait l’objet de cet arrêt, ne remplissait pas la seconde des conditions énoncées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité. La juridiction de renvoi souligne que la différence entre le présent cas d’espèce et la situation faisant l’objet de l’arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, réside dans le fait qu’Avides «a d’abord importé la marchandise de Grande-Bretagne en Allemagne avant de la vendre par correspondance, tandis que, dans l’affaire [examinée dans ce dernier arrêt], l’importation s’est faite par voie de vente par correspondance, en d’autres termes, l’entreprise concernée avait son siège dans un autre État membre de l’Union européenne».
55. Dans son arrêt Deutscher Apothekerverband (29), la Cour a eu l’occasion de souligner l’importance particulière que revêt, depuis l’apparition de l’internet comme système de vente internationale, la vente par correspondance en vue de commercialiser sur le territoire national des produits provenant d’autres États membres. Elle a observé, notamment, qu’une interdiction telle que celle alors en cause gênait davantage les pharmacies situées en dehors de l’Allemagne que celles situées sur le territoire allemand. Si pour ces dernières il était peu contestable que cette interdiction les privait d’un moyen supplémentaire ou alternatif d’atteindre le marché allemand des consommateurs finals de médicaments, il n’en demeurait pas moins qu’elles conservaient la possibilité de vendre les médicaments dans leurs officines. En revanche, l’internet aurait été un moyen plus important pour les pharmacies qui ne sont pas établies sur le territoire allemand d’atteindre directement ledit marché. Une interdiction qui frappait davantage les pharmacies établies en dehors du territoire allemand aurait pu être de nature à gêner davantage l’accès au marché des produits en provenance d’autres États membres que celui des produits nationaux.
56. D’un point de vue général, cette approche pourrait s’appliquer également à une réglementation comme l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG et pourrait porter à qualifier cette interdiction de mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE.
57. Il est vrai, comme le fait observer le gouvernement allemand, que l’interdiction en cause au principal n’est pas absolue, mais concerne uniquement la vente par correspondance «non protégée». Toutefois, comme l’a expliqué ce gouvernement, le recours à la vente par correspondance «protégée» implique pour les fournisseurs de recourir à des systèmes de vérification de l’identité et de la qualité de majeur de la personne qui passe commande par l’internet ou par la poste et à des mesures qui garantissent la livraison de la marchandise au client majeur. Dans sa réponse écrite à une question posée par la Cour, ce gouvernement a décrit la nature de ces systèmes de vérification utilisés dans le cadre du commerce électronique (30) et il s’est référé, en ce qui concerne la phase de livraison de la marchandise, à l’envoi recommandé avec remise en mains propres au client majeur. Le gouvernement allemand a aussi indiqué que, pour que la correspondance soit jugée «protégée» en cas de commande passée au moyen de l’internet, il faut que le fournisseur recourre à un système de vérification que la Kommission für Jugendmedienschutz (commission allemande pour la protection des mineurs dans le cadre des médias) a au préalable jugé approprié. Ledit gouvernement a reconnu lors de l’audience que le recours par les fournisseurs de vidéogrammes à ces formes de correspondance «protégée» entraîne des coûts supplémentaires qui ne seraient pas supportés en cas de vente par correspondance «non protégée».
58. Il s’avère alors qu’une interdiction de vente par correspondance comme celle visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG finit par limiter (à la correspondance «protégée») et par grever de coûts supplémentaires les formes admises d’un canal de distribution de vidéogrammes, à savoir celui de la vente par correspondance au moyen de l’internet, qui, comme on le déduit du point 55 des présentes conclusions, revêt en principe une importance plus grande pour commercialiser des produits provenant d’autres États membres que pour commercialiser des produits déjà présents sur le territoire national.
59. Toutefois, si ces considérations peuvent porter à considérer que l’interdiction précitée ne remplit pas la seconde des conditions fixées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, pour autant que cette interdiction est applicable à des opérateurs établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne (31), il ne faut pas oublier que, dans le présent cas d’espèce, l’opérateur concerné, Avides, est établi en Allemagne et que la vente par correspondance n’est pas réalisée à partir d’un autre État membre à destination de l’Allemagne, mais s’effectue intégralement sur le territoire allemand, sur lequel la marchandise est importée au préalable. On ne saurait donc soutenir, en se fondant sur l’approche suivie par la Cour dans son arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, et rappelée au point 55 des présentes conclusions, que l’interdiction en cause au principal gêne davantage l’accès au marché des produits qu’Avides importe du Royaume-Uni qu’elle ne gêne celui des produits nationaux.
60. On peut certes envisager l’existence d’autres éléments susceptibles de faire considérer que, même pour autant qu’elle s’applique à des opérateurs établis en Allemagne qui importent des vidéogrammes d’autres États membres, la législation allemande en cause au principal, qui concerne des modalités de vente, constitue une mesure d’effet équivalent en ce qu’elle ne remplit pas la seconde condition visée dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité.
61. On ne peut, par exemple, exclure que l’interdiction de proposer et de céder à des mineurs des vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle des autorités compétentes allemandes ainsi que l’interdiction de vente par correspondance «non protégée» de ces produits, qui finit, en substance, par interdire l’achat direct, par correspondance, des produits par des mineurs, puissent même être susceptibles d’empêcher l’accès au marché, au sens visé au point 17 de l’arrêt Keck et Mithouard, précité (voir le point 53 des présentes conclusions) (32), à tout le moins pour les vidéogrammes destinés à un public d’adolescents. Ces derniers disposent normalement d’argent et de capacités suffisants pour acheter personnellement, sans que l’intervention d’un parent ou en tout cas d’un adulte soit nécessaire, un DVD ou une cassette vidéo. Les interdictions susmentionnées pourraient ainsi précisément empêcher l’achat de vidéogrammes par ceux qui en sont les acheteurs principaux et directs.
62. Par ailleurs, on ne peut pas non plus exclure que, bien que, comme nous l’avons observé ci‑dessus, on ne puisse déduire de la législation allemande en cause au principal aucune obligation de soumettre les vidéogrammes au contrôle et à la classification des autorités compétentes allemandes et de les étiqueter selon cette classification, les restrictions à la commercialisation découlant de l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG soient ressenties comme étant à ce point contraignantes par les fournisseurs qu’elles les poussent à opter néanmoins pour ledit contrôle et ladite classification et à modifier en conséquence l’étiquetage de leurs produits (33) . Dans cette hypothèse, les produits importés qui ont déjà été soumis à des formalités analogues dans l’État membre d’exportation finiraient par subir une duplication de contrôles et de coûts à laquelle les produits nationaux ne seraient pas exposés dans le cadre de leur commercialisation sur le territoire national (34) .
63. Or, les éléments dont dispose la Cour ne permettent pas de déterminer avec certitude si l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG porte à la commercialisation des produits provenant d’États membres autres que l’Allemagne un préjudice plus grave qu’à celle des produits provenant de ce dernier État. Lorsqu’elle est confrontée à une incertitude de ce type, la Cour charge la juridiction de renvoi de vérifier si cette condition fixée dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, est remplie (35) .
64. Il faudrait donc répondre à la première partie des questions posées par le Landgericht Koblenz qu’une interdiction de vente par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle et à la classification aux fins de la protection des mineurs par l’organisme national compétent, comme celle visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, régit une modalité de vente et, s’appliquant à tous les opérateurs qui exercent leur activité sur le territoire de l’État membre concerné, ne constitue pas une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE, pourvu qu’elle affecte de la même manière la commercialisation des produits originaires de cet État et celle des produits provenant d’autres États membres.
D – Sur la justification éventuelle de l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG
65. Par la seconde partie des questions posées à la Cour, la juridiction de renvoi demande si l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG peut être considérée comme étant justifiée en vertu de l’article 30 CE et de la directive 2000/31, même dans l’hypothèse où le vidéogramme a déjà été soumis à une vérification portant sur son adéquation avec la réglementation relative à la protection des mineurs dans un autre État membre et que cela est mentionné sur le produit lui‑même.
66. Nous avons déjà traité aux points 23 à 32 des présentes conclusions les aspects inhérents à la directive 2000/31, qui ne requièrent pas de considérations supplémentaires de notre part.
67. Pour le reste, la question de l’éventuelle justification de l’interdiction en cause au principal ne se pose naturellement que si l’on en arrive à conclure qu’elle constitue une mesure d’effet équivalent prohibée par l’article 28 CE (par exemple, dans le cadre de l’approche que nous avons suivie ci‑dessus, dans la mesure où il s’avère qu’elle n’affecte pas de la même manière la commercialisation des produits nationaux et celle des produits provenant d’États membres autres que la République fédérale d’Allemagne).
68. D’après une jurisprudence constante, un obstacle au commerce intracommunautaire interdit par l’article 28 CE ne peut être justifié que par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE, parmi lesquelles figurent la moralité publique, l’ordre public, la sécurité publique, la protection de la santé et de la vie des personnes, ou, si la réglementation dont découle cet obstacle est indistinctement applicable, par l’une des exigences impératives d’intérêt général au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Cassis de Dijon, précité, dont la défense des consommateurs. Dans l’un et l’autre cas, la disposition nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (36) .
69. La juridiction de renvoi considère que la nécessité de protéger les mineurs est une justification pertinente, au sens de l’article 30 CE, de l’interdiction de vente par correspondance en cause au principal. D’après elle, cette interdiction est «en principe […] utile, et même nécessaire, afin de garantir la protection des mineurs contre les vidéogrammes susceptibles de leur nuire». Il fait néanmoins observer que, dans le présent cas d’espèce, les vidéogrammes importés par Avides et vendus par celle-ci au moyen de l’internet en Allemagne avaient été soumis à une vérification portant sur leur adéquation avec la réglementation relative à la protection des mineurs au Royaume-Uni par la BBFC. Considérant que cette vérification n’implique pas un niveau de protection des mineurs moins élevé que celui assuré par le contrôle réalisé par les autorités compétentes allemandes, cette juridiction se demande «si l’objectif de la protection des mineurs peut et doit être réalisé au moyen d’une mesure moins contraignante, à savoir par la reconnaissance du contrôle effectué par [un organisme d’]un autre État membre aux fins de la protection des mineurs».
70. Dans ses observations écrites, le gouvernement allemand a soutenu que, si l’interdiction de vente par correspondance en cause au principal devait être considérée comme une mesure d’effet équivalent prohibée par l’article 28 CE, elle serait néanmoins justifiée par des exigences de protection des mineurs, qui constitueraient des raisons d’ordre public au sens de l’article 30 CE. Il a ajouté que la protection des mineurs est étroitement liée à la garantie du respect de la dignité humaine, qui constituerait un principe général de droit communautaire (37), et représente dès lors un intérêt légitime susceptible de justifier une restriction des libertés fondamentales.
71. Aucune des autres parties qui sont intervenues dans la présente procédure préjudicielle ne conteste en substance que la législation allemande en cause au principal permet de protéger les mineurs et que cette protection constitue un intérêt légitime susceptible d’être invoqué pour justifier une restriction à la libre circulation des marchandises.
72. Avides considère toutefois que cette législation est incompatible avec le principe de proportionnalité, dès lors qu’elle s’applique aussi à des vidéogrammes qui, comme ceux qu’elle importe en Allemagne en provenance du Royaume-Uni, ont déjà fait l’objet d’un contrôle et d’une classification aux fins de la protection des mineurs par l’organisme compétent de l’État membre d’exportation et portent le marquage correspondant.
73. Avides souligne à ce propos que les critères de contrôle aux fins de la protection des mineurs qui sont utilisés par les autorités compétentes britannique et allemande sont équivalents, étant donné que tant le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord que la République fédérale d’Allemagne ont signé et ratifié la convention relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989, dont le préambule engage les États à «préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société, et [à] l’élever dans l’esprit des idéaux proclamés dans la charte des Nations unies, et en particulier dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d’égalité et de solidarité».
74. En toute hypothèse, Avides souligne que, pour les vidéogrammes ayant déjà fait l’objet d’un contrôle et d’une classification aux fins de la protection des mineurs dans l’État membre d’exportation et portant le marquage correspondant, aucune procédure de contrôle et de classification simplifiée n’est même prévue devant les autorités compétentes allemandes, comme celle à laquelle seraient soumis certains types de vidéogrammes (par exemple, ceux dans les domaines de la musique, des documentaires et des dessins animés).
75. Le gouvernement allemand fait observer que la proportionnalité des mesures nationales restrictives doit être appréciée à la lumière des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer. Le niveau de protection des mineurs par rapport aux contenus des vidéogrammes serait nécessairement fonction, en particulier, des conceptions morales et culturelles ainsi que de l’expérience historique de chaque État membre. Ainsi, ce qui est jugé acceptable dans un État membre pour une catégorie de mineurs peut en revanche être considéré comme étant inacceptable pour cette même catégorie dans un autre État membre (38) . Ce gouvernement soutient donc que la reconnaissance réciproque entre les États membres des procédures de contrôle des vidéogrammes aux fins de la protection des mineurs n’est pas un moyen suffisant pour atteindre le niveau de protection des mineurs que les autorités allemandes entendent assurer.
76. Le législateur allemand aurait limité la portée de l’interdiction de vente par correspondance de vidéogrammes non contrôlés par les autorités compétentes allemandes dans une mesure compatible avec l’impératif d’assurer une protection suffisante des mineurs. Il rappelle que la vente par correspondance de ces marchandises est admise lorsqu’il existe un contact direct entre la personne qui livre et celle qui reçoit la marchandise ou, en tout cas, lorsqu’il est garanti qu’elle ne sera pas reçue par des mineurs, par exemple grâce à des mesures techniques adéquates.
77. Dynamic Medien, l’Irlande, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission partagent en substance les considérations du gouvernement allemand en considérant que la législation nationale en cause au principal respecte le principe de proportionnalité.
78. Pour notre part, nous considérons que la protection des mineurs à l’égard des contenus des vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle et à la classification des autorités compétentes allemandes constitue sans aucun doute une raison de nature à justifier, conformément à l’article 30 CE et pour autant que le principe de proportionnalité soit respecté, les obstacles au commerce intracommunautaire découlant éventuellement de la législation susmentionnée. Ainsi que la Commission l’a mis en exergue, la protection des mineurs peut relever de la défense de la moralité publique, ou de l’ordre public, ou bien de la protection de la santé des personnes. L’exposition des mineurs à des images jugées inconvenantes pour eux (par exemple parce qu’elles ont un contenu violent, vulgaire ou sexuel) peut être considérée par chaque État membre comme étant moralement inacceptable, dangereuse pour les effets d’émulation qu’elle peut générer ou préjudiciable au développement psychophysique desdits mineurs.
79. Tant l’interdiction d’offre et de cession à des mineurs que celle de vente par correspondance «non protégée» de vidéogrammes qui n’ont pas été contrôlés par les autorités compétentes allemandes s’avèrent de toute évidence de nature à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, à savoir la protection des mineurs.
80. Il importe néanmoins de vérifier, ce point étant controversé dans la présente procédure préjudicielle, si ces mesures ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, et ce en tenant compte du fait qu’elles s’appliquent également à des vidéogrammes qui ont déjà été contrôlés et classifiés aux fins de la protection des mineurs par l’organisme compétent de l’État membre d’exportation et sont munis du marquage correspondant.
81. Comme l’ont opportunément rappelé les gouvernements qui sont intervenus et la Commission, la Cour a déjà indiqué qu’il appartient en principe à chaque État membre de déterminer les exigences de la moralité publique sur son territoire, selon sa propre échelle des valeurs, et dans la forme qu’il a choisie (39), et que les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d’avoir recours à la notion d’ordre public peuvent varier d’un État membre à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il faut, à cet égard, reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité (40) . En outre, d’après une jurisprudence constante, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens ou intérêts protégés par l’article 30 CE, et il appartient aux États membres, dans les limites imposées par le traité, de décider du niveau auquel ils entendent en assurer la protection (41) .
82. Le pouvoir d’appréciation ainsi reconnu aux autorités nationales compétentes implique que la seule circonstance qu’un État membre ait choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions en question. Ces dernières doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l’État membre intéressé et du niveau de protection qu’elles entendent assurer (42) .
83. Il faut donc reconnaître que, en l’absence d’harmonisation dans le domaine en cause, le traité laisse aux États membres la faculté de déterminer discrétionnairement les limites d’âge pour l’accès à des vidéogrammes, selon les sensibilités culturelles, religieuses, morales et historiques propres à chaque État, et de confier la mission de contrôler et de classifier par catégories d’âge le contenu des vidéogrammes à un organisme national désigné à cet effet.
84. Comme l’a souligné la Commission, l’appréciation inhérente à cette classification reflète l’échelle de valeurs propre à chaque État membre, de sorte que l’on ne saurait soutenir en aucun cas, selon nous, que le contrôle et la classification de vidéogrammes effectués dans l’État membre d’exportation aux fins de la protection des mineurs est suffisant pour garantir le niveau de protection des mineurs que les autorités de l’État membre d’importation entendent assurer.
85. Nous considérons que l’argument d’Avides, selon lequel la signature et la ratification, tant par la République fédérale d’Allemagne que par le Royaume‑Uni, de la Convention relative aux droits de l’enfant impliquent une équivalence des critères de contrôle et de classification des vidéogrammes appliqués par les autorités compétentes de ces deux États, est manifestement dépourvu de fondement. Comme l’ont fait observer lors de l’audience les représentants de Dynamic Medien, des gouvernements de ces deux mêmes États et de la Commission, cette convention ne fixe aucun standard commun de protection des mineurs à l’égard des contenus des vidéogrammes ou d’autres produits médiatiques. Son article 17, sous e), prévoit uniquement que les États parties à la convention «favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels [émanant des médias] qui nuisent à son bien-être».
86. S’agissant de la possibilité qui a été invoquée de ne soumettre en Allemagne les vidéogrammes déjà contrôlés et classifiés par l’organisme compétent de l’État membre d’exportation qu’à une procédure de contrôle simplifiée, comme celle prévue en Allemagne pour certains types de vidéogrammes, faisons observer qu’Avides n’a fourni aucune information sur les caractéristiques qui distinguent cette procédure de la procédure ordinaire. De ce fait, la Cour ne dispose pas, selon nous, d’éléments suffisants pour déterminer si le recours à la procédure simplifiée pour les vidéogrammes qui ont déjà été contrôlés et classifiés dans l’État membre d’exportation est en tout cas de nature à permettre d’atteindre le niveau de protection des mineurs que les autorités allemandes entendent assurer sur leur territoire. Quoi qu’il en soit, nous avons souligné ci‑dessus que l’appréciation de ce qui peut être nuisible aux mineurs et donc, indirectement, à la moralité publique, à l’ordre public ou à la santé des personnes dépend fortement de l’échelle de valeurs propre à chaque État membre. Il ne nous semble donc pas que le fait qu’un vidéogramme déterminé ait déjà fait l’objet d’un contrôle et d’une classification dans l’État membre d’exportation constitue nécessairement un facteur susceptible d’atténuer le risque que la visualisation de son contenu compromette les exigences d’intérêt public susmentionnées en Allemagne et de requérir de ce fait un allégement des formalités de contrôle et de classification de la part des autorités compétentes allemandes.
87. Par conséquent, il ne nous semble pas que, dans la mesure où elle interdit l’offre et la cession à des mineurs ou la vente par correspondance «non protégée» de vidéogrammes qui n’ont pas été soumis à un contrôle et à une classification aux fins de la protection des mineurs par les autorités compétentes allemandes ou qui sont en tout cas dépourvus d’un marquage correspondant, mais qui ont déjà été contrôlés et classifiés aux mêmes fins par l’organisme compétent de l’État membre d’exportation, la législation allemande relatif à la protection des mineurs à l’égard des vidéogrammes soit disproportionnée par rapport aux objectifs qu’elle poursuit.
88. L’incompatibilité de la législation allemande en cause au principal avec les règles du traité en matière de libre circulation des marchandises ne pourrait même pas être déduite de l’exigence, invoquée par Avides lors de l’audience, d’interpréter et d’appliquer ces règles à la lumière de l’article 13 de la convention relative aux droits de l’enfant, qui sanctionne le droit de l’enfant à la liberté d’expression. En vertu du paragraphe 1 de cet article, ce droit «comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant».
89. Il est vrai que la Cour a affirmé que, lorsqu’un État membre invoque des exigences impératives pour justifier une législation qui est de nature à entraver l’exercice de la libre circulation des marchandises, cette justification doit être également interprétée à la lumière des principes généraux du droit et notamment des droits fondamentaux (43) .
90. La Cour a en outre déjà reconnu que la convention relative aux droits de l’enfant lie chaque État membre et qu’elle figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits fondamentaux dont elle tient compte pour l’application des principes généraux du droit communautaire (44) .
91. Il faut rappeler d’un autre côté, comme le fait la Commission, que la liberté d’expression, qui comprend notamment la «liberté de recevoir […] des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière», est aussi sanctionnée par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la «CEDH»), dont la Cour, on le sait, s’inspire pour garantir le respect des droits fondamentaux.
92. Or, faisons observer à cet égard, en premier lieu, comme l’ont fait le gouvernement allemand et la Commission lors de l’audience, que l’article 13 de la convention relative aux droits de l’enfant admet lui‑même, à son paragraphe 2, que l’exercice du droit à la liberté d’expression peut faire l’objet de restrictions prescrites par la loi et nécessaires à «la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques», tandis que l’article 17, sous e), de cette convention engage les États qui en son parties, comme nous l’avons déjà relevé, à favoriser «l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être».
93. En second lieu, il découle du libellé même de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH que la liberté d’expression est soumise à certaines limitations justifiées par des objectifs d’intérêt général, pour autant qu’elles soient prévues par la loi, inspirées par un ou plusieurs buts légitimes au regard de ladite disposition et nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (45) . Parmi les objectifs d’intérêt général expressément mentionnés à l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH figurent, notamment, la «défense de l’ordre», la «prévention du crime» et la «protection de la santé ou de la morale». Or, la réglementation allemande en cause au principal est fixée par la loi, elle sert objectivement la poursuite de ces objectifs en répondant au besoin social impérieux de la protection des mineurs à l’égard de contenus médiatiques qui sont inadaptés pour eux et elle demeure proportionnée au but légitime poursuivi.
94. Nous considérons par conséquent que l’on peut répondre à la seconde partie des questions posées par le Landgericht Koblenz en ce sens que, si elle devait être jugée comme étant une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE, une interdiction de vente par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas été soumis à un contrôle et à une classification aux fins de la protection des mineurs par l’organisme national compétent, comme celle visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, est justifiée, au sens de l’article 30 CE, par des raisons de moralité publique, d’ordre public et de protection de la santé des personnes, même dans l’hypothèse où le vidéogramme a été soumis à une vérification portant sur son adéquation avec la réglementation relative à la protection des mineurs dans un autre État membre et que cela est mentionné sur le produit.
V – Conclusions
95. À la lumière des considérations exposées ci‑dessus, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Landgericht Koblenz:
«Une interdiction de vente par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas été soumis au contrôle et à la classification aux fins de la protection des mineurs par l’organisme national compétent, comme celle visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, de la loi sur la protection des mineurs (Jugendschutzgesetz), régit une modalité de vente et, s’appliquant à tous les opérateurs qui exercent leur activité sur le territoire de l’État membre concerné, ne constitue pas une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE, pourvu qu’elle affecte de la même manière la commercialisation des produits originaires de cet État et celle des produits provenant d’autres États membres.
Si le juge national, en procédant à cette vérification, devait conclure qu’une telle interdiction constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE, celle‑ci serait justifiée, au sens de l’article 30 CE, par des raisons de moralité publique, d’ordre public et de protection de la santé des personnes, même dans l’hypothèse où le vidéogramme a été soumis à une vérification portant sur son adéquation avec la réglementation relative à la protection des mineurs dans un autre État membre et que cela est mentionné sur le produit.»
(1) .
(2) – JO L 178, p. 1.
(3) – BGBl. 2002 I, p. 2730.
(4) – Traduction officieuse du texte original du JuSchG.
(5) – Idem.
(6) – Le présent cas d’espèce relève en tout état de cause du champ d’application du droit communautaire, en ce qu’il concerne la vente en Allemagne de produits provenant du Royaume‑Uni.
(7) – Nous ne parvenons d’ailleurs pas à identifier dans le texte du JuSchG, qui est disponible sur le site internet du Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend (ministère de la famille, des seniors, des femmes et de la jeunesse allemand), en particulier à son article 14 relatif au «Marquage des films et des programmes de films et de jeux», l’existence d’une obligation de soumettre les vidéogrammes destinés à la vente en Allemagne au contrôle et à la classification des autorités compétentes allemandes. En outre, les articles 27 et 28 du JuSchG, qui fixent les sanctions pour les infractions commises à l’égard des dispositions de cette même loi, ne prévoient aucune sanction pour le cas où un vidéogramme n’a pas été soumis au contrôle desdites autorités.
(8) – Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler (C‑324/99, Rec. p. I-9897, point 32); du 24 octobre 2002, Linhart et Biffl (C‑99/01, Rec. p. I-9375, point 18), et du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C-322/01, Rec. p. I-14887, point 64).
(9) – JO L 144, p. 19.
(10) – C’est nous qui soulignons.
(11) – Le dix-huitième considérant de la directive 2000/31, aux termes duquel «[l]es services de la société de l’information englobent un large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne», qui «peuvent consister, en particulier, à vendre des biens en ligne», semble plaider en ce sens.
(12) – Aux termes de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, le «domai ne coordonné» couvre «les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux», exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent tant l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information que l’exercice de cette activité (en particulier «les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat»).
(13) – C’est nous qui soulignons.
(14) – L’article 2, sous c), de la directive 2000/31 précise que, aux fins de cette directive, on entend par «prestataire établi» un «prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée. La présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies requis pour fournir le service ne constituent pas en tant que telles un établissement du prestataire.
(15) – Dans son arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, point 63), la Cour est parvenue à une conclusion analogue à l’égard d’une interdiction de vente par correspondance de médicaments dont la vente est réservée aux pharmacies, l’interdiction prévue par la législation allemande examinée dans cet arrêt.
(16) – Ibidem (points 64 et 65.
(17) – Arrêt du 11 juillet 1974 (8/74, Rec. p. 837, point 5).
(18) – En dernier lieu, arrêt du 7 juin 2007, Commission/Belgique (C-254/05, non encore publié au Recueil, point 27).
(19) – Arrêt du 20 février 1979, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec. p. 649).
(20) – Arrêts du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I‑6097, point 15), et Deutscher Apothekerverband, précité (point 67).
(21) – Précité (point 16).
(22) – Arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a. (C-292/92, Rec. p. I-6787, point 21); du 9 février 1995, Leclerc-Siplec (C-412/93, Rec. p. I-179, point 21), et du 23 février 2006, A-Punkt Schmuckhandels (C-441/04, Rec. p. I-2093, point 15).
(23) – Conclusions présentées le 27 octobre 1993 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hünermund e.a., précité (point 11).
(24) – Dans son arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, Rec. p. I-607, point 30), la Cour a observé que la nécessité d’adapter, le cas échéant, les produits en question aux règles en vigueur dans l’État membre de commercialisation exclut, qu’il s’agisse de modalités de vente au sens de l’arrêt Keck et Mithouard, précité.
(25) – Arrêt du 6 juillet 1995 (C-470/93, Rec. p. I-1923), relatif à une interdiction de commercialiser des produits comportant, dans leur emballage, des mentions publicitaires déterminées jug ées trompeuses.
(26) – Arrêt du 26 juin 1997 (C-368/95, Rec. p. I-3689), relatif à une interdiction de vendre des périodiques contenant des jeux-concours dotés de prix.
(27) – Voir, en particulier, arrêts du 8 mars 2001, Gourmet International Products (C‑405/98, Rec. p. I‑1795, point 18), et du 15 juillet 2004, Douwe Egberts (C‑239/02, Rec. p. I-7007, point 51).
(28) – Précité (points 73 à 75).
(29) – Ibidem.
(30) – Il s’agit, en substance, de systèmes de protection de groupes fermés d’usagers, déjà utilisés en vue de bénéficier directement, par téléchargement par exemple, de contenus multimédias réservés à des adultes.
(31) – Pourvu, bien entendu, qu’en vue de vérifier la compatibilité avec le droit communautaire de l’interdiction de vente par correspondance visée à l’article 12, paragraphe 3, point 2, du JuSchG, pour autant qu’elle est applicable à des opérateurs établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne, il faille tenir compte des articles 28 CE et 30 CE et non du régime institué à l’article 3 de la directive 2000/31, qui a été rappelé aux points 27 à 32 des présentes conclusions.
(32) – Nous sommes d’accord avec l’avocat général Kokott lorsque, à la note 31 des conclusions qu’elle a présentées le 14 décembre 2006 dans l’affaire Mickelsson et Roos (C‑142/05, non encore publiées au Recueil), elle interprète cette notion d’empêchement d’accéder au marché dans un sens large, à savoir comme comprenant non seulement le fait «d’empêcher l’accès au marché», mais aussi le fait «de le rendre sensiblement plus difficile».
(33) – Aucune information n’a été fournie à la Cour sur ce point dans le cadre de la présente procédure préjudicielle.
(34) – Dans une autre perspective, la nécessité sur le plan économique de soumettre les produits importés à la procédure nationale de contrôle et de classification et d’adapter l’étiquetage en conséquence pourrait, au lieu d’être appréciée au niveau de l’application de la seconde condition visée dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, être traitée de la même façon qu’une obligation juridique proprement dite et porter à qualifier la législation allemande en cause au principal de réglementation relative aux caractéristiques des produits impliquant leur adaptation en vue de leur commercialisation sur le territoire allemand. Il s’agirait dans ce cas d’un schéma d’analyse alternatif par rapport à celui que nous avons décrit au point 50 des présentes conclusions. En toute hypothèse, le résultat de l’analyse serait le même, en ce sens que, si nous établissons que, bien que ne comportant aucune obligation sur le plan formel pour les opérateurs, la législation en cause au principal est néanmoins de nature à les pousser à soumettre le produit qu’ils importent à la procédure nationale de contrôle et de classification et à adapter l’étiquetage en conséquence, cette législation devrait être qualifiée de mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE.
(35) – Voir arrêts du 9 juillet 1997, De Agostini et TV-Shop (C-34/95 à C-36/95, Rec. p. I-3843, point 44); du 26 mai 2005, Burmanjer e.a. (C-20/03, Rec. p. I-4133, points 31 et 32), ainsi que A‑Punkt Schmuckhandels, précité ( point 25).
(36) – Voir, notamment, arrêts du 8 mai 2003, ATRAL (C-14/02, Rec. p. I-4431, point 64); du 5 février 2004, Commission/Italie (C-270/02, Rec. p. I‑1559, points 21 et 22); Douwe Egberts, précité (point 55), et du 24 novembre 2005, Schwarz (C-366/04, Rec. p. I-10139, point 30).
(37) – Le gouvernement allemand a invoqué à cet égard l’arrêt du 14 octobre 2004, Omega (C-36/02, Rec. p. I-9609, point 34).
(38) – Le gouvernement allemand observe que le niveau de tolérance par rapport aux images de violence ou de pornographie varie entre les États membres, raison pour laquelle certains films sont interdits aux mineurs dans certain s États membres et non dans d’autres. Il rappelle aussi la sensibilité particulière du public allemand, et donc la plus grande sévérité dans l’appréciation de la part des autorités de contrôle, envers les représentations du national-socialisme.
(39) – Arrêt du 14 décembre 1979, Henn et Darby (34/79, Rec. p. 3795, point 15).
(40) – Arrêt Omega, précité (point 31 et jurisprudence citée).
(41) – Arrêt Deutscher Apothekerverband, précité (point 103 et jurisprudence citée).
(42) – Arrêts du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C‑124/97, Rec. p. I-6067, point 36), et du 11 septembre 2003, Anomar e.a. (C‑6/01, Rec. p. I-8621, point 80).
(43) – Arrêt Familiapress, précité (point 24).
(44) – Arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C-540/03, Rec. p. I-5769, point 37).
(45) – Arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659, point 79 et jurisprudence citée).