Affaire T-446/05
Amann & Söhne GmbH & Co. KG et Cousin Filterie SAS
contre
Commission européenne
«Concurrence — Ententes — Marché européen du fil industriel — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE — Notion d’infraction unique — Définition du marché — Amendes — Plafond de l’amende — Gravité et durée de l’infraction — Circonstances atténuantes — Coopération — Proportionnalité — Égalité de traitement — Droits de la défense — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes»
Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 28 avril 2010 II ‐ 1270
Sommaire de l’arrêt
Concurrence – Ententes – Interdiction – Infractions – Accords et pratiques concertées pouvant être abordés en tant que constitutifs d’une infraction unique – Notion
(Art. 81, § 1, CE; règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 2)
Recours en annulation – Décision de la Commission prise sur la base des articles 81 CE ou 82 CE – Appréciation économique complexe – Contrôle juridictionnel – Limites
(Art. 81 CE et 82 CE; règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 2)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge communautaire
(Art. 81 CE, 82 CE, 229 CE et 253 CE; règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 2 et 3, et 31)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation conféré à la Commission par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 – Violation du principe de légalité des peines – Absence
(Art. 81 CE et 82 CE; règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 2)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Pluralité d’infractions
(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil, n o 17, art. 15, § 2)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction
(Règlement du Conseil n o 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Mesure de la capacité effective à causer un préjudice sur le marché affecté
(Règlement du Conseil n o 17, art. 15, § 2)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Répartition des entreprises concernées dans des catégories ayant un point de départ spécifique identique
(Règlement du Conseil n o 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Nécessité de prendre en compte les chiffres d’affaires des entreprises concernées et d’assurer la proportionnalité des amendes avec ces chiffres – Absence
(Règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Répartition des entreprises concernées dans des catégories ayant un point de départ spécifique identique
(Règlement du Conseil n o 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 6)
Concurrence – Amendes – Décision infligeant des amendes – Obligation de motivation – Portée
(Art. 253 CE; règlement du Conseil n o 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
Concurrence – Ententes – Participation à des réunions d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel – Circonstance permettant, en l’absence de distanciation par rapport aux décisions prises, de conclure à la participation à l’entente subséquente
(Art. 81, § 1, CE)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Durée de l’infraction – Infractions de moyenne et de longue durée – Majoration de 10% du montant de départ par année
(Règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 B)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Circonstances atténuantes
(Règlements du Conseil n o 17, art. 15, § 2, et n o 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 3 e tiret)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Chiffre d’affaires à prendre en considération pour le calcul de l’amende
(Communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Prise en compte des effets de l’infraction
(Règlement du Conseil n o 17, art. 15)
Concurrence – Procédure administrative – Décision de la Commission constatant une infraction – Éléments de preuve pouvant être retenus
(Règlement du Conseil n o 1/2003, art. 27, § 1)
Concurrence – Procédure administrative – Demande de renseignements – Droits de la défense
(Règlement du Conseil n o 17, art. 11, § 5)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Coopération de l’entreprise durant la procédure administrative
(Règlement du Conseil n o 17, art. 11, § 4 et 5)
La notion d’infraction unique vise une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou bien encore d’infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet (même finalité de l’ensemble des éléments) et de sujets (identité des entreprises concernées, conscientes de participer à l’objet commun). Une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble » , en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble. En outre, la notion d’infraction unique peut se rapporter à la qualification juridique d’un comportement anticoncurrentiel consistant en accords, en pratiques concertées et en décisions d’associations d’entreprises.
La notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par la référence générale à la distorsion de la concurrence dans le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément consubstantiel à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens dans la mesure où elle aurait comme conséquence que plusieurs comportements, concernant un secteur économique, interdits par l’article 81, paragraphe 1, CE devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique. Ainsi, aux fins de qualifier différents agissements en tant qu’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question. C’est donc pour des raisons objectives que la Commission peut entamer des procédures distinctes, constater plusieurs infractions distinctes et infliger plusieurs amendes distinctes.
La qualification de certains agissements illicites d’agissements constitutifs d’une seule et même infraction ou d’une pluralité d’infractions affecte, en principe, la sanction pouvant être imposée. En effet, la constatation d’une pluralité d’infractions peut entraîner l’imposition de plusieurs amendes distinctes, chaque fois dans les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE.
(cf. points 89-94, 133, 134)
S’agissant de la validité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE, au regard du principe de légalité des peines, tel qu’il a été reconnu par le juge communautaire en conformité avec les indications fournies par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les traditions constitutionnelles des États membres, la Commission ne dispose pas d’une marge d’appréciation illimitée, en premier lieu, pour constater l’existence d’infractions aux règles de la concurrence, en deuxième lieu, pour déterminer si les différents actes infractionnels constituent une infraction unique et continue ou plusieurs infractions autonomes et, en troisième lieu, pour fixer le montant des amendes pour ces infractions.
En premier lieu, les infractions aux règles de concurrence pour lesquelles la Commission peut, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n o 1/2003, infliger des amendes sont uniquement celles aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE. Le point de savoir si les conditions des articles 81 CE et 82 CE sont réunies font l’objet, en principe, d’un contrôle entier du juge communautaire. Par ailleurs, s’il est vrai que dans l’éventualité où cette constatation impliquerait des appréciations économiques ou techniques complexes, la jurisprudence reconnaît à la Commission une certaine marge d’appréciation, celle-ci n’est en aucun cas illimitée. En effet, l’existence d’une telle marge d’appréciation n’implique pas que le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation, doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de cette nature. Le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.
(cf. points 130, 131)
La Commission ne dispose pas d’une marge d’appréciation illimitée pour la fixation des amendes pour infraction aux règles de la concurrence. Si le critère objectif du plafond de l’amende et les critères subjectifs de gravité et de durée de l’infraction laissent à la Commission une large marge d’appréciation, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de critères permettant à la Commission d’adopter des sanctions en tenant compte du degré d’illégalité du comportement en cause. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE, tout en laissant à la Commission une certaine marge d’appréciation, définissent les critères et les limites qui s’imposent à elle dans l’exercice de son pouvoir en matière d’amendes. En outre, pour fixer des amendes en vertu de ces dispositions, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels que développés par la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal.
En vertu de l’article 229 CE et de l’article 31 du règlement n o 1/2003, la Cour et le Tribunal statuent avec une compétence de pleine juridiction sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe des amendes et peuvent ainsi non seulement annuler les décisions prises par la Commission, mais également supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Ainsi, la pratique administrative de la Commission est soumise au plein contrôle du juge communautaire.
Conformément à l’article 253 CE, dans la décision infligeant une amende, la Commission est tenue, et ce malgré le contexte généralement connu de la décision, de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard. Cette motivation doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin d’apprécier l’opportunité de saisir le juge communautaire et, le cas échéant, de permettre à celui-ci d’exercer son contrôle.
(cf. points 140, 142-144, 148)
La qualification de certains agissements illicites comme agissements constitutifs d’une seule et même infraction ou d’une pluralité d’infractions affecte, en principe, la sanction pouvant être imposée, la constatation d’une pluralité d’infractions pouvant entraîner l’imposition de plusieurs amendes distinctes, chaque fois dans les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE, disposant que, pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende ne doit pas excéder 10% de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent. Il s’ensuit que, lorsque la Commission inflige deux amendes dont les montants additionnés dépassent le plafond de 10% du chiffre d’affaires, elle ne commet aucune violation du principe nulla poena sine lege.
(cf. points 150, 151)
L’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté européenne ou de l’Espace économique européen. Dans l’hypothèse d’une pluralité d’infractions, la Commission peut à bon droit considérer qu’un tel objectif ne saurait être atteint par la seule imposition d’une sanction pour l’une des infractions.
(cf. point 160)
Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. Dans le contexte du calcul des amendes, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments et il ne faut attribuer à aucun de ces éléments une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation. Le principe de proportionnalité implique dans ce contexte que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée.
Lors de l’appréciation de la gravité d’une infraction, il incombe à la Commission de tenir compte d’un grand nombre d’éléments dont le caractère et l’importance varient selon le type d’infraction en cause et les circonstances particulières de l’infraction concernée. Parmi ces éléments attestant de la gravité d’une infraction, il ne peut être exclu que puisse figurer, selon le cas, la taille du marché du produit en cause. Par conséquent, si la taille du marché peut constituer un élément à prendre en considération pour établir la gravité de l’infraction, son importance varie en fonction des circonstances particulières de l’infraction concernée.
Des restrictions horizontales de type « cartel de prix » au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA sont « très graves » par nature. Dans un tel contexte, la faible taille des marchés en cause n’est que d’une importance moindre par rapport à l’ensemble des autres éléments attestant de la gravité de l’infraction.
(cf. points 171, 175, 176, 178)
Dans le cadre de l’analyse, effectuée en vue de fixer le montant d’une amende pour infraction aux règles communautaires de la concurrence, de la capacité économique effective des sociétés contrevenantes à porter un préjudice important à la concurrence, qui implique une appréciation de l’importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c’est-à-dire de leur influence sur celui-ci, le chiffre d’affaires global ne présente qu’une vue incomplète des choses. Il ne saurait être exclu, en effet, qu’une entreprise puissante ayant une multitude d’activités différentes ne soit présente que de manière accessoire sur un marché de produits spécifique. De même, il ne saurait être exclu qu’une entreprise ayant une position importante sur un marché géographique extracommunautaire ne dispose que d’une position faible sur le marché communautaire ou celui de l’Espace économique européen. Dans de tels cas, le seul fait que l’entreprise concernée réalise un chiffre d’affaires global important ne signifie pas nécessairement qu’elle exerce une influence déterminante sur le marché affecté. C’est pourquoi, s’il est vrai que les chiffres d’affaires d’une entreprise réalisés sur les marchés concernés ne sauraient être déterminants afin de conclure qu’une entreprise appartient à une entité économique puissante, ils sont en revanche pertinents afin de déterminer l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché.
Ainsi, la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur de l’infraction sur le marché concerné. En effet, ce chiffre d’affaires est de nature à donner une juste indication de la responsabilité de chaque entreprise sur lesdits marchés étant donné qu’il constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence et représente donc un bon indicateur de la capacité de chaque entreprise concernée à créer un dommage.
(cf. points 187, 188)
La méthode consistant, s’agissant de la fixation du montant des amendes inflig ées aux divers participants à une entente, à répartir les membres de l’entente en plusieurs catégories, ce qui entraîne une forfaitisation du montant de départ des amendes fixé pour les entreprises appartenant à une même catégorie, bien qu’elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d’une même catégorie, ne saurait être censurée, pourvu que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement soient respectés. Il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer sur l’opportunité d’un tel système, à supposer même qu’il désavantagerait les entreprises de taille moins importante. Le Tribunal, dans le cadre de son contrôle de légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose en la matière, doit en effet se limiter à contrôler que la répartition des membres de l’entente en catégories est cohérente et objectivement justifiée, sans substituer d’emblée son appréciation à celle de la Commission.
(cf. point 196)
L’article 23, paragraphe 3, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE, n’exige pas que, au cas où des amendes seraient imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, le montant de l’amende infligée à une entreprise de petite ou de moyenne taille ne soit pas supérieur, en pourcentage du chiffre d’affaires, à celui des amendes infligées aux entreprises plus grandes. En effet, il ressort de cette disposition que, tant pour les entreprises de petite ou de moyenne taille que pour les entreprises de taille supérieure, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer le montant de l’amende, la gravité et la durée de l’infraction. Dans la mesure où la Commission impose aux entreprises impliquées dans une même infraction des amendes justifiées, pour chacune d’elles, par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction, il ne saurait lui être reproché que, pour certaines d’entre elles, le montant de l’amende soit supérieur, par rapport au chiffre d’affaires, à celui d’autres entreprises. Ainsi, la Commission n’est pas tenue de diminuer le montant des amendes lorsque les entreprises concernées sont des petites et moyennes entreprises. La taille de l’entreprise est, en effet, déjà prise en considération par le plafond fixé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n o 1/2003 et par les dispositions des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA. À part ces considérations relatives à la taille, il n’y a aucune raison de traiter les petites et moyennes entreprises différemment des autres entreprises. Le fait que les entreprises concernées soient des petites et moyennes entreprises ne les exonère pas de leur devoir de respecter les règles de la concurrence.
(cf. points 199, 200)
Dans le cadre des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, prévoyant en leur point 1 A, sixième alinéa, qu’une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature est, notamment, de nature à justifier une différenciation aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction, ne viole pas le principe d’égalité de traitement une décision de la Commission classant, dans un même groupe, plusieurs entreprises dont l’une a un chiffre d’affaires global nettement, voire « sensiblement » , inférieur à celui des autres entreprises, sur la base de leurs chiffres d’affaires sur le marché concerné et de leurs parts de marché très similaires, et leur appliquant un montant de départ spécifique identique.
(cf. points 202, 205)
Dans la détermination du montant de l’amende en cas d’infraction aux règles de concurrence, les exigences de formes substantielles que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. Ces exigences n’imposent pas à la Commission d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes, étant souligné, en tout état de cause, que la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation. En ce qui concerne une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises, la portée de l’obligation de motivation doit être notamment appréciée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.
(cf. point 226)
Le fait qu’une entreprise n’ait pas participé à une réunion multilatérale et qu’elle ait cessé de communiquer des informations aux autres membres de l’entente ne saurait suffire à démontrer qu’elle aurait renoncé à participer à une entente, dès lors qu’elle ne s’est pas distanciée publiquement de son contenu.
(cf. points 240, 241, 244)
Conformément à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.
Si les dispositions du point 1 B des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA ne prévoient aucune majoration pour les infractions de courte durée, en général d’une durée inférieure à un an, une majoration est pratiquée pour les infractions de moyenne durée, en général d’une durée de un à cinq ans, majoration qui peut, par exemple, s’élever jusqu’à 50% du montant de départ de l’amende. Quant aux infractions de longue durée, en général d’une durée supérieure à cinq ans, il est uniquement prévu que le montant peut être majoré de 10% par an. Ces majorations ne sont pas automatiques, lesdites lignes directrices laissant à la Commission une marge d’appréciation.
(cf. points 237, 247, 249)
Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA n’énumèrent pas de manière impérative les circonstances atténuantes que la Commission serait tenue de prendre en compte en vue d’une diminution du montant de base de l’amende. Par conséquent, la Commission conserve une certaine marge pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes. Ainsi, la Commission ne saurait aucunement être obligée d’accorder, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, une réduction d’amende pour la cessation d’une infraction manifeste, que cette cessation ait eu lieu avant ou après ses interventions.
La cessation des infractions aux règles de concurrence dès les premières interventions de la Commission, prévue par le point 3, troisième tiret, des lignes directrices ne peut logiquement constituer une circonstance atténuante que s’il existe des raisons de supposer que les entreprises en cause ont été incitées à cesser leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question. En effet, la finalité de cette disposition est d’encourager les entreprises à cesser leurs comportements anticoncurrentiels immédiatement lorsque la Commission entame une enquête à cet égard. Une réduction du montant de l’amende à ce titre ne saurait être appliquée dans le cas où une décision ferme de mettre fin à l’infraction a déjà été prise par ces entreprises avant la date des premières interventions de la Commission ou dans le cas où l’infraction a déjà pris fin avant cette date. Cette dernière hypothèse est suffisamment prise en compte par le calcul de la durée de la période infractionnelle retenue.
(cf. points 259, 260)
Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA prévoient, en ce qui concerne les éléments subjectifs à prendre en compte pour la fixation du montant de départ de l’amende, qu’il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif. Selon ces lignes directrices, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, il peut convenir de pondérer le montant de départ général, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature, et d’adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise.
Les lignes directrices ne s’opposent pas à ce que le chiffre d’affaires global ou le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent.
Ainsi, une répartition des entreprises en deux catégories, en fonction de leur chiffre d’affaires, est une manière non déraisonnable de prendre en compte leur importance relative sur le marché afin de fixer le montant de départ de l’amende, pour autant qu’elle n’aboutisse pas à une représentation grossièrement déformée du marché en cause.
(cf. points 273-275, 280)
En matière de concurrence, la charge de la preuve de l’existence d’effets d’une infraction sur le marché en cause, qui incombe à la Commission lorsqu’elle en tient compte dans le cadre du calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, est moins lourde que celle qui pèse sur elle lorsqu’elle doit démontrer l’existence en tant que telle d’une infraction dans le cas d’une entente. En effet, pour tenir compte de l’impact concret de l’entente sur le marché, il suffit que la Commission fournisse « de bonnes raisons d’en tenir compte » .
(cf. point 301)
Les droits de la défense ne sont violés du fait d’une discordance entre la communication des griefs et la décision finale qu’à condition qu’un grief retenu dans celle-ci n’y ait pas été exposé d’une manière suffisante pour permettre aux destinataires de se défendre.
Si des documents n’ont pas été mentionnés dans la communication des griefs, l’entreprise concernée peut à juste titre estimer qu’ils n’ont pas d’importance aux fins de l’affaire. En n’informant pas une entreprise que certains documents seraient utilisés dans la décision, la Commission l’empêche de manifester en temps utile son opinion sur la valeur probante de ces documents. Il s’ensuit que ces documents ne peuvent être considérés comme des moyens de preuve valables en ce qui la concerne.
Un document utilisé par la Commission à l’appui d’un grief dans la décision finale, alors même que ce document a été utilisé dans la communication des griefs pour établir un autre grief, ne peut être retenu dans la décision contre l’entreprise concernée que si celle-ci a pu déduire raisonnablement, à partir de la communication des griefs et du contenu du document, les conclusions que la Commission entendait tirer.
(cf. points 313-315)
Un droit au silence absolu ne peut pas être reconnu à une entreprise destinataire d’une décision de demande de renseignements au sens de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n o 17. En effet, la reconnaissance d’un tel droit irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits de la défense des entreprises et constituerait une entrave injustifiée à l’accomplissement, par la Commission, de la mission de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun. Un droit au silence ne peut être reconnu que dans la mesure où l’entreprise concernée serait obligée de fournir des réponses par lesquelles elle serait amenée à admettre l’existence de l’infraction dont il appartient à la Commission d’établir la preuve.
Pour préserver l’effet utile de l’article 11 du règlement n o 17, la Commission est, dès lors, en droit d’obliger les entreprises à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elles peuvent avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents y afférents qui sont en leur possession, même si ceux-ci peuvent servir à établir l’existence d’un comportement anticoncurrentiel. Ce pouvoir de renseignements de la Commission ne se heurte ni à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne des droits de l’homme ni à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
En tout état de cause, le fait d’être obligé de répondre aux questions purement factuelles posées par la Commission et de satisfaire aux demandes de celle-ci de production de documents préexistants n’est pas susceptible de violer le principe fondamental du respect des droits de la défense ainsi que celui d’un droit à un procès équitable, qui offrent, dans le domaine du droit de la concurrence, une protection équivalente à celle garantie par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. Rien n’empêche, en effet, le destinataire d’une demande de renseignements de démontrer, plus tard, dans le cadre de la procédure administrative ou lors d’une procédure devant le juge communautaire, que les faits exposés dans ses réponses ou les documents communiqués ont une autre signification que celle retenue par la Commission.
Enfin, lorsque, dans une demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement n o 17, la Commission, outre des questions purement factuelles et des demandes de production de documents préexistants, demande à une entreprise de décrire l’objet et le déroulement de plusieurs réunions auxquelles elle aurait participé ainsi que les résultats ou les conclusions de ces réunions, alors qu’il est clair que la Commission soupçonne que l’objet desdites réunions était de restreindre la concurrence, une telle demande est de nature à obliger l’entreprise questionnée à avouer sa participation à une infraction aux règles communautaires de la concurrence, de sorte que ladite entreprise n’est pas tenue de répondre à ce type de questions. Dans une telle hypothèse, le fait pour une entreprise de fournir néanmoins des informations sur ces points doit être considéré comme une collaboration spontanée de l’entreprise susceptible de justifier une réduction du montant de l’amende en application de la communication sur la coopération. Dans cette même hypothèse, les entreprises ne sauraient prétendre que leur droit de ne pas s’incriminer a été violé du fait qu’elles ont répondu, volontairement, à une telle demande.
(cf. points 326-329)
Dans le cadre d’une procédure administrative engagée pour entente prohibée, la collaboration de l’entreprise concernée à l’enquête ne donne droit à aucune réduction d’amende lorsque cette collaboration n’a pas dépassé ce qui résultait des obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n o 17. En revanche, dans le cas où l’entreprise fournit, en réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 11, des informations allant bien au-delà de celles dont la production peut être exigée par la Commission en vertu du même article, l’entreprise peut bénéficier d’une réduction d’amende.
(cf. point 340)