Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif
Dans l’affaire C‑429/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal d’instance de Saintes (France), par décision du 16 novembre 2005, parvenue à la Cour le 2 décembre 2005, dans la procédure
Max Rampion,
Marie-Jeanne Godard, épouse Rampion,
contre
Franfinance SA,
K par K SAS,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič et E. Levits, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 février 2007,
considérant les observations présentées:
– pour Franfinance SA, par M e B. Soltner, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et M me R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et A. Dittrich, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. W. Ferrante, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement autrichien, par M me C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. A. Aresu et J.-P. Keppenne, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2007,
rend le présent
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), telle que modifiée par la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998 (JO L 101, p. 17, ci-après la «directive 87/102»), notamment de ses articles 11 et 14.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rampion et M me Godard, épouse Rampion (ci-après les «époux Rampion»), aux sociétés Franfinance SA (ci-après «Franfinance») et K par K SAS (ci-après «K par K») au sujet d’un contrat de vente de fenêtres et d’une ouverture de crédit utilisée pour le financement de ce contrat.
Le cadre juridique
Le droit communautaire
3. La directive 87/102 vise au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation.
4. L’article 11 de cette directive dispose:
«1. Les États membres veillent à ce que l’existence d’un contrat de crédit n’affecte en rien les droits que le consommateur peut faire valoir à l’encontre du fournisseur des biens ou des services achetés au moyen d’un tel contrat lorsque les biens ou les services ne sont pas fournis ou que, pour d’autres raisons, ils ne sont pas conformes au contrat y relatif.
2. Le consommateur a le droit d’exercer un recours à l’encontre du prêteur lorsque,
a) en vue de l’achat de biens ou l’obtention des services, le consommateur conclut un contrat de crédit avec une personne autre que le fournisseur des biens ou le prestataire des services
et
b) il existe entre le prêteur et le fournisseur des biens ou le prestataire des services un accord préalable aux termes duquel un crédit est octroyé exclusivement par ce prêteur aux clients de ce fournisseur ou prestataire pour l’acquisition de biens ou l’obtention de services fournis par ledit fournisseur ou prestataire
et
c) le consommateur visé au point a) obtient son crédit en vertu de cet accord préalable
et
d) les biens ou les services faisant l’objet du contrat de crédit ne sont pas livrés ou fournis ou ne le sont qu’en partie ou ne sont pas conformes au contrat y relatif
et
e) le consommateur a exercé un recours contre le fournisseur ou prestataire sans obtenir satisfaction comme il y avait droit.
Les États membres déterminent dans quelle mesure et à quelles conditions ce recours peut être exercé.
3. Le paragraphe 2 ne s’applique pas lorsque l’opération en question porte sur un montant inférieur à l’équivalent de 200 [euros].»
5. L’article 14 de la directive 87/102 prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que les contrats de crédit ne dérogent pas, au détriment du consommateur, aux dispositions de droit national qui mettent en application la présente directive ou qui lui correspondent.
2. Les États membres veillent en outre à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en application de la présente directive ne puissent être tournées par des formes particulières données aux contrats, notamment par une répartition du montant du crédit sur plusieurs contrats.»
Le droit national
6. L’article L. 311‑20 du code de la consommation énonce, pour l’application de l’article 11 de la directive 87/102, que, «[l]orsque l’offre préalable mentionne le bien ou la prestation de services financé, les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation; […]».
7. À cet égard, l’article L. 311‑21 du même code précise que, «[e]n cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal pourra, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. […]».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8. Le 5 septembre 2003, à la suite d’un démarchage à domicile, les époux Rampion ont commandé des fenêtres à K par K pour un prix total de 6 150 euros. Selon le contrat de vente conclu à cet effet, les fenêtres devaient être livrées dans un délai de six à huit semaines à compter de la prise des cotes par un technicien métreur.
9. Selon la juridiction de renvoi, ce contrat de vente fait état d’un financement total de l’achat réalisé au moyen d’un crédit consenti par Franfinance.
10. Le même jour, les époux Rampion ont souscrit auprès de Franfinance une ouverture de crédit comportant un plafond égal au montant de la vente. L’offre de crédit indique l’identité du vendeur par la mention «compte plate-forme K par K», mais ne spécifie pas le bien financé.
11. Lors de la livraison des fenêtres commandées, le 27 novembre 2003, les époux Rampion se sont aperçus que les appuis ainsi que les dormants étaient infestés de parasites. Les travaux n’ont pas été poursuivis et, par courrier du 5 janvier 2004, les intéressés ont dénoncé le contrat de vente.
12. Leur demande de résiliation étant restée vaine, les époux Rampion ont, par actes des 29 octobre et 2 novembre 2004, fait assigner K par K ainsi que Franfinance en nullité du contrat de vente et en résiliation subséquente du contrat de crédit, au motif que le contrat de vente ne mentionnait pas de façon précise, contrairement à l’exigence posée par le code de la consommation, le délai de livraison des biens concernés.
13. Subsidiairement, les époux Rampion ont conclu à la résiliation du contrat de vente en raison du manquement de K par K à son obligation de conseil, puisqu’elle avait proposé la fourniture et la pose de menuiseries alors que le support de celles-ci était défectueux.
14. Les défenderesses au principal ont notamment fait valoir qu’il n’existe aucune interdépendance entre les deux contrats, dès lors que, contrairement à l’exigence posée à l’article L. 311‑20 du code de la consommation, la mention du bien financé ne figure pas sur l’offre de crédit. En outre, il s’agirait d’une ouverture de crédit et non d’un crédit affecté au financement de la vente.
15. La juridiction de renvoi a, à l’occasion des débats devant elle, soulevé d’office plusieurs moyens tirés des dispositions du code de la consommation relatives au crédit à la consommation et au démarchage à domicile.
16. C’est dans ce contexte que le tribunal d’instance de Saintes a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Les articles 11 et 14 de la directive 87/102/CEE […] doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent au juge d’appliquer les règles d’interdépendance entre le contrat de crédit et le contrat de fourniture de biens ou de services financé grâce à ce crédit, lorsque le contrat de crédit ne fait pas mention du bien financé ou a été conclu sous la forme d’une ouverture de crédit sans mention du bien financé?
2) La directive 87/102/CEE […] a-t-elle une finalité plus large que la seule protection des consommateurs s’étendant à l’organisation du marché et permettant au juge d’appliquer d’office les dispositions qui en découlent?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
Sur la recevabilité
17. En premier lieu, Franfinance fait valoir que, la première question posée ne concernant en réalité que l’application des dispositions du droit national relatives aux conditions requises pour qu’il soit conclu à l’existence d’un crédit affecté, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur celle-ci. En effet, la directive 87/102 n’édicterait qu’une harmonisation minimale et son article 11 préciserait que les États membres déterminent, notamment, à quelles conditions le consommateur peut exercer un recours contre le prêteur.
18. À cet égard, il y a lieu d’admettre que la directive 87/102, ainsi qu’il ressort de son article 15 et de son vingt-cinquième considérant, selon lesquels cette directive n’empêche pas les États membres de maintenir ou d’adopter des dispositions plus strictes pour la protection des consommateurs, n’édicte qu’une harmonisation minimale des dispositions nationales relatives au crédit à la consommation.
19. Toutefois, la première question posée vise explicitement une interprétation de l’article 11 de ladite directive, dont il est constant qu’il a été transposé en droit français notamment par les articles L. 311‑20 et L. 311‑21 du code de la consommation qui permettent, sous certains conditions, à l’emprunteur d’obtenir la suspension, la résolution ou l’annulation du contrat de crédit.
20. Or, la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 et dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, peut être subordonné, par le droit national, à d’autres conditions que celles qui sont énumérées à cette disposition relève de l’analyse au fond de la première question posée. En effet, l’ajout de toute condition supplémentaire comporte le risque de placer les dispositions du droit national en deçà du niveau d’harmonisation recherché par cette directive et ne saurait, dès lors, d’emblée être considéré comme relevant de ce seul droit.
21. En second lieu, Franfinance estime que la Cour est d’autant moins compétente pour se prononcer sur cette question que la vraie intention du juge de renvoi n’est pas de s’assurer que, dans l’affaire au principal, les emprunteurs disposent d’un recours effectif contre le prêteur au sens de l’article 11 de la directive 87/102, mais que soit reconnue une interdépendance entre les contrats en cause à de toutes autres fins. Le juge de renvoi chercherait, en réalité, à faire application de règles propres au droit français, dont la nature et l’objet seraient différents en ce qu’elles n’auraient pas trait à un tel droit de recours, mais prévoiraient que le prêteur est automatiquement déchu de son droit à intérêts lorsque ne figurent pas dans l’offre de crédit certaines mentions relatives à cette interdépendance.
22. La Commission des Communautés européennes émet, en ce qui concerne la recevabilité des questions préjudicielles ou la compétence de la Cour pour répondre à celles-ci, une réserve tirée de ce que le juge de renvoi n’indique pas avec précision la raison pour laquelle une réponse lui est nécessaire aux fins de résoudre le litige au principal.
23. À cet égard, il y a lieu de rappeler que les questions relatives à l’interprétation du droit communautaire posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (voir arrêts du 15 mai 2003, Salzmann, C‑300/01, Rec. p. I-4899, points 29 et 31, ainsi que du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, Rec. p. I‑11421, point 25).
24. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il a pparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I-2099, point 39; du 15 juin 2006, Acereda Herrera, C‑466/04, Rec. p. I‑5341, point 48, et Cipolla e.a., précité, point 25).
25. Or, force est de constater qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation des règles communautaires sollicitée par la juridiction de renvoi n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ni que les questions portant sur l’interprétation de ces règles seraient de nature hypothétique. Si la première question posée mentionne, de manière très générale, l’application des «règles d’interdépendance entre le contrat de crédit et le contrat de fourniture de biens ou de services», il ne ressort pas de la décision de renvoi que cette question ne vise, en réalité, que l’application de dispositions du droit national autres que celles transposant l’article 11 de la directive 87/102 ou relevant du champ d’application de ce dernier.
26. Dans ces conditions, la présomption de pertinence qui s’attache à la première question posée n’a pas été renversée.
27. Toutefois, dès lors qu’il appartient à la Cour, dans le cadre du système de coopération institué à l’article 234 CE, de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi, il lui incombe, le cas échéant, de reformuler les questions qui lui sont soumises (voir, notamment, arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C‑88/99, Rec. p. I-10465, point 18; du 20 mai 2003, Ravil, C‑469/00, Rec. p. I-5053, point 27, et du 4 mai 2006, Haug, C‑286/05, Rec. p. I-4121, point 17).
28. Ainsi, il convient de comprendre la première question posée comme visant à savoir si les articles 11 et 14 de la directive 87/102 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 et dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, soit subordonné à la condition que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé.
29. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer la première question posée comme recevable.
Sur le fond
30. Tous les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour ainsi que la Commission estiment que le droit d’exercer un recours dont bénéficie le consommateur en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 ne saurait être subordonné à la mention expresse du bien financé dans le contrat de crédit. À cet égard, ils se fondent tant sur le libellé de cette disposition que sur l’objectif visé par cette directive, à savoir la protection des consommateurs.
31. Franfinance, en revanche, fait valoir que le contrat qu’elle a conclu avec les époux Rampion constitue une authentique ouverture de crédit qui pourrait avoir une multiplicité d’emplois. À la différence d’un crédit affecté, qui servirait à financer une seule opération, une telle ouverture de crédit ne serait pas soumise à la règle d’interdépendance posée à l’article 11 de la directive 87/102, le prêteur ne pouvant assumer l’ensemble des risques économiques liés à chaque acquisition. D’éventuels abus ou fraudes seraient à apprécier au cas par cas.
– Sur le champ d’application matériel de la directive 87/102 et, notamment, de son article 11, paragraphe 2
32. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 87/102, celle-ci s’applique aux contrats de crédit, de tels contrats étant définis au paragraphe 2, sous c), premier alinéa, du même article comme des contrats en vertu desquels «un prêteur consent ou s’engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire». Cette définition large de la notion de contrat de crédit est confirmée, ainsi que l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, par le dixième considérant de la directive 87/102, selon lequel «une meilleure protection des consommateurs peut être assurée par l’imposition de certaines conditions valables pour toutes les formes de crédit».
33. Toutefois, ainsi qu’il ressort des articles 1 er , paragraphe 2, sous c), second alinéa, et 2 de la directive 87/102 ainsi que des onzième à quatorzième considérants de cette dernière, certains contrats de crédit ou types de transaction sont ou peuvent être, en raison de leur caractère spécifique, partiellement ou entièrement exclus du champ d’application de cette directive. Ne figure pas, parmi les hypothèses énumérées à ces dispositions, l’ouverture de crédit.
34. Une ouverture de crédit dont le seul but est de mettre à la disposition du consommateur un crédit utilisable à plusieurs reprises n’est pas non plus exclue, à tout le moins partiellement, du champ d’application de la directive 87/102 en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous e), de celle-ci.
35. En effet, il convient de rappeler qu’aux termes de cette disposition la directive 87/102 ne s’applique pas «aux crédits consentis sous la forme d’avances sur compte courant par un établissement de crédit ou un établissement financier, cette exclusion ne concernant pas les comptes liés à des cartes de crédit». Toutefois, selon cet article 2, paragraphe 1, sous e), les dispositions prévues à l’article 6 de la directive 87/102 s’appliquent à ce type de crédit.
36. Or, la notion de «compte courant» au sens dudit article 2, paragraphe 1, sous e), qui, en tant qu’exception, est d’interprétation stricte, présuppose, ainsi qu’il ressort des termes «crédits consentis sous la forme d’avance sur compte courant», que l’objectif de ce compte ne se limite pas à mettre à la disposition du client un crédit. Un tel compte constitue, au contraire, une plate-forme plus ou moins générale permettant au client d’effectuer des opérations financières, qui est caractérisée par le fait que les montants virés sur ce compte, que ce soit par le client lui-même ou par un tiers, n’ont pas nécessairement pour but de reconduire un crédit accordé sur ledit compte. En d’autres termes, un solde en défaveur du client, autorisé sous la forme d’une avance, n’est que l’un des états possibles de ce compte, celui-ci pouvant présenter un solde en faveur du client.
37. Par ailleurs, ni l’économie ni l’objectif de la directive 87/102, qui vise notamment à protéger les consommateurs, ne militent en faveur d’une exclusion du champ d’application de cette directive des contrats de crédit consentis sous la forme d’une ouverture de crédit, dont le seul but est de mettre à la disposition du consommateur un crédit utilisable à plusieurs reprises.
38. En ce qui concerne plus précisément le champ d’application de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102, il ne ressort pas du libellé de cette disposition, contrairement à ce que soutient Franfinance, qu’elle ne s’applique qu’au contrat de crédit visant à financer un seul contrat de vente ou de services.
39. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions, aucun élément du libellé de ladite disposition ne semble militer en ce sens qu’elle ne s’appliquerait pas aux ouvertures de crédit. Notamment, l’emploi du mot «contrat» au singulier à la fin de l’article 11, paragraphe 2, sous d), de la directive 87/102, qui, parmi les conditions requises pour l’ouverture d’un droit de recours, vise la circonstance que «les biens ou les services faisant l’objet du contrat de crédit ne [soient] pas livrés ou fournis ou ne le [soient] qu’en partie ou ne [soient] pas conformes au contrat y relatif», ne justifie pas la lecture réductrice que fait Franfinance de cette disposition.
40. En outre, l’article 11, paragraphe 3, de la même directive prévoit expressément une exception à l’application du paragraphe 2 de cet article. Toutefois, ce ne sont pas les ouvertures de crédit qui en sont exclues de manière générale.
41. Quant à l’argumentation de Franfinance selon laquelle l’article 11 de la directive 87/102 ne saurait s’appliquer à une ouverture de crédit, le prêteur ne pouvant assumer l’ensemble des risques économiques liés à chaque acquisition, il y a lieu de constater que de tels risques sont considérablement réduits par le fait que le paragraphe 2 de cet article ne confère au consommateur le droit d’exercer un recours à l’encontre du prêteur que lorsqu’il existe, conformément à la condition énoncée audit paragraphe 2, sous b), «entre le prêteur et le fournisseur des biens ou le prestataire des services un accord préalable aux termes duquel un crédit est octroyé exclusivement par ce prêteur aux clients de ce fournisseur ou prestataire pour l’acquisition de biens ou l’obtention de services fournis par ledit fournisseur ou prestataire» et que le consommateur a, conformément à la condition fixée au même paragraphe 2, sous c), obtenu «son crédit en vertu de cet accord préalable».
42. L’objectif poursuivi par l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 ne peut être atteint que si cette disposition s’applique également lorsque le crédit permet une multiplicité d’emplois. En effet, ladite disposition doit être lue à la lumière du vingt et unième considérant de la directive 87/102, selon lequel, notamment, «en ce qui concerne les biens et les services que le consommateur acquiert dans le cadre d’un accord de crédit, […] le consommateur devrait, du moins dans les circonstances définies ci-avant, avoir des droits vis-à-vis du prêteur en plus de ses droits contractuels normaux à l’égard du prêteur et à l’égard du fournisseur des biens ou des services».
43. Par ailleurs, le fait qu’une acquisition parmi plusieurs financées par la même ouverture de crédit puisse, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102, permettre au consommateur de s’adresser au prêteur ne signifie pas nécessairement que ce recours affecte l’ouverture de crédit dans son ensemble. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 65 et suivants de ses conclusions, cette disposition de la directive 87/102 permet de moduler d’une façon différenciée la protection offerte au consommateur pour tenir compte des spécificités d’une ouverture de crédit par rapport à un crédit accordé en vue d’un seul achat.
44. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 s’applique tant à un crédit visant à financer une opération unique qu’à une ouverture de crédit permettant au consommateur d’utiliser le crédit consenti à plusieurs reprises.
– Sur le droit de recours prévu à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102
45. Quant à la question de savoir si l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 s’oppose à ce que le droit d’exercer un recours qu’il prévoit soit subordonné à la condition que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé, il y a lieu de constater qu’une telle condition ne figure pas parmi les cinq conditions cumulatives posées au premier alinéa de cette disposition.
46. Certes, le second alinéa de ladite disposition prévoit que «[l]es États membres déterminent dans quelle mesure et à quelles conditions ce recours peut être exercé». Toutefois, ainsi que l’a fait observer le gouvernement allemand et que l’a relevé M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle permet aux États membres de soumettre le droit d’exercer un recours dont bénéficie le consommateur à des conditions venant s’ajouter à celles qui sont exhaustivement énumérées à l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 87/102.
47. En effet, d’une part, le second alinéa de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102, ainsi qu’il ressort de son libellé, présuppose l’existence du droit d’exercer un recours prévu au premier alinéa de cette disposition. D’autre part, il serait contraire à l’objectif poursuivi par cette directive, qui consiste notamment à assurer dans tous les États membres le respect d’une norme de protection des consommateurs minimale en matière de crédit à la consommation, de permettre que le droit d’exercer un recours, dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur en vertu de l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, de ladite directive, soit soumis à une condition de forme telle que celle en cause au principal.
48. Cette interprétation est corroborée par l’article 14, paragraphe 1, de la directive 87/102, aux termes duquel «[l]es États membres veillent à ce que les contrats de crédit ne dérogent pas, au détriment du consommateur, aux dispositions de droit national qui mettent en application la présente directive ou qui lui correspondent», et par ce même article 14, paragraphe 2, selon lequel «[l]es États membres veillent en outre à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en application de la présente directive ne puissent être tournées par des formes particulières données aux contrats […]».
49. En effet, ledit article 14 souligne, de manière générale, l’importance que le législateur communautaire a accordé aux dispositions protectrices prévues par la directive 87/102 et à leur application stricte. En outre, ainsi que l’ont fait valoir les gouvernements français, allemand, espagnol et italien ainsi que la Commission, le paragraphe 2 de ce même article, notamment, s’oppose à ce qu’une réglementation nationale permette au prêteur d’éviter, par la simple omission de la mention des biens ou des services financés, de se voir confronté à un recours exercé par le consommateur en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102.
50. Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée que les articles 11 et 14 de la directive 87/102 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, paragraphe 2, de cette directive et dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, soit subordonné à la condition que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé.
Sur la seconde question
Sur la recevabilité
51. Franfinance fait valoir que la seconde question posée, qui n’est pas utile à la solution du litige au principal, est irrecevable. En effet, le juge de renvoi n’aurait pas besoin de soulever d’office la question de l’interdépendance existant entre le contrat principal et le contrat de crédit, cette question ayant été directement posée par les époux Rampion dès lors que ces derniers ont demandé à la juridiction de renvoi de prononcer la nullité du contrat de vente et, «par voie de conséquence», la résiliation du contrat accessoire de financement.
52. Le gouvernement français a soutenu, lors de l’audience, que les époux Rampion ont demandé au juge de renvoi de prononcer la nullité du contrat de vente et la résiliation subséquente du contrat de crédit en invoquant divers moyens, sans qu’ils se prévalent toutefois de l’existence d’une interdépendance entre les deux contrats en cause. Si le juge de renvoi s’est néanmoins interrogé sur ce point, il ne l’aurait pas vraiment fait d’office, puisque, dans leur défense respective, tant K par K que Franfinance auraient fait valoir que, en l’absence de mention du bien vendu sur l’offre de crédit, le contrat de crédit ne constituait pas un contrat de crédit affecté.
53. La Commission a fait observer, lors de l’audience, qu’il n’est pas certain que, dans l’affaire au principal, le juge de renvoi ait été conduit à soulever d’office la question de cette interdépendance. En effet, en demandant, subséquemment à la nullité du contrat de vente la résiliation du contrat de crédit, les époux Rampion se seraient eux-mêmes appuyés sur l’interdépendance existant entre ces deux contrats. En outre, eu égard aux arguments développés en défense par K par K et par Franfinance dans le cadre du litige au principal, pourrait se poser la question de savoir si le juge de renvoi n’était pas déjà saisi de l’argumentation tirée de ladite interdépendance.
54. Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 24 du présent arrêt, le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.
55. Or, dans les motifs de sa décision relatifs à la seconde question posée, le juge de renvoi relève explicitement que les dispositions des articles L. 311‑20 et L. 311‑21 du code de la consommation n’ont pas été invoquées par les époux Rampion. Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que cette question, qui est relative à la possibilité pour le juge d’appliquer d’office ces dispositions du droit national, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème posé est de nature hypothétique.
56. Dès lors, la seconde question posée doit être considérée comme recevable.
Sur le fond
57. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 87/102 doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne son article 11, paragraphe 2, notamment en raison du fait qu’elle a une finalité plus large que la seule protection des consommateurs s’étendant à l’organisation du marché.
58. La question relative à la finalité de la directive 87/102 est posée dans le contexte spécifique de la jurisprudence de la Cour de cassation (France) qui opère, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et notamment des observations du gouvernement français, une distinction entre les règles d’ordre public de direction, prises dans l’intérêt général et qui peuvent être relevées d’office par le juge, et celles relevant de l’ordre public de protection, prises dans l’intérêt d’une catégorie de personnes et qui ne peuvent être opposées que par les personnes appartenant à cette catégorie. La réglementation relative au crédit à la consommation relèverait de ces dernières règles.
59. Or, la Cour a itérativement constaté que, ainsi qu’il ressort de ses considérants, la directive 87/102 a été adoptée dans le double objectif d’assurer, d’une part, la création d’un marché commun du crédit à la consommation (troisième à cinquième considérants) et, d’autre part, la protection des consommateurs souscrivant de tels crédits (sixième, septième et neuvième considérants) (arrêts du 23 mars 2000, Berliner Kindl Brauerei, C‑208/98, Rec. p. I‑1741, point 20, et du 4 mars 2004, Cofinoga, C‑264/02, Rec. p. I-2157, point 25).
60. Au demeurant, le juge de renvoi demande si la jurisprudence de la Cour relative à la possibilité pour le juge de relever d’office les dispositions issues de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), résultant notamment des arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941), et du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, Rec. p. I‑10875), est transposable à la directive 87/102.
61. Au point 26 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, la Cour a jugé que l’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive 93/13, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. Dans des litiges dont la valeur est souvent limitée, les honoraires d’avocat peuvent être supérieurs à l’intérêt en jeu, ce qui peut dissuader le consommateur de se défendre contre l’application d’une clause abusive. S’il est vrai que, dans nombre d’États membres, les règles de procédure permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre eux-mêmes, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le consommateur n’invoque pas le caractère abusif de la clause qui lui est opposée. Il s’ensuit qu’une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office une telle clause.
62. Faisant référence à ce point de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, la Cour a, au point 33 de l’arrêt Cofidis, précité, confirmé que la faculté ainsi reconnue au juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause a été considérée comme nécessaire pour que soit assurée au consommateur une protection effective, eu égard notamment au risque non négligeable que celui-ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer (voir, également, arrêt du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 28).
63. Ainsi que l’on fait valoir les gouvernements espagnol et italien ainsi que la Commission et comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 102 et suivants de ses conclusions, ces considérations sont également valables en ce qui concerne la protection des consommateurs prévue à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102.
64. À cet égard, il y a lieu de rappeler que cet article 11, paragraphe 2, tout en poursuivant le double objectif évoqué au point 59 du présent arrêt, vise à conférer au consommateur, dans des circonstances bien définies, des droits vis-à-vis du prêteur en plus de ses droits contractuels normaux à l’égard du prêteur et à l’égard du fournisseur des biens ou des services (voir point 42 du présent arrêt).
65. Cet objectif ne pourrait être atteint de manière effective si le consommateur devait se trouver dans l’obligation d’invoquer lui-même le droit d’exercer un recours dont il bénéficie à l’encontre du prêteur en vertu des dispositions du droit national transposant l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102, notamment en raison du risque non négligeable que le consommateur soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 107 de ses conclusions, le fait que l’affaire au principal ait été engagée par les époux Rampion et qu’ils soient représentés dans celle-ci par un avocat ne justifie pas une conclusion différente, le problème devant être résolu en faisant abstraction des circonstances concrètes de cette affaire.
66. Franfinance fait toutefois valoir que la seconde question posée vise en réalité à autoriser le prononcé d’office de la sanction prévue en droit français en cas d’absence de certaines mentions qui, selon ledit droit, doivent figurer dans l’offre préalable relative à un crédit affecté, à savoir la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts. Or, il s’agirait là d’une véritable «peine privée» qui ne pourrait jamais être prononcée d’office sans violation du principe dispositif et du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.
67. Dans le même sens, le gouvernement français a fait observer lors de l’audience, en faisant référence à l’arrêt du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen (C‑430/93 et C‑431/93, Rec. p. I‑4705), que, si un consommateur ne sollicite pas du juge la déchéance des intérêts qu’il doit au prêteur, ledit juge ne saurait soulever d’office le défaut de mention, dans l’offre préalable de crédit, du bien ou du service financé, sans statuer au-delà de la demande formulée par ce consommateur.
68. À cet égard, il y a lieu de constater que la seconde question posée ne concerne, ainsi qu’il ressort des points 55 et 57 du présent arrêt, que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 87/102 ainsi que les dispositions assurant sa transposition en droit interne, en l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, les articles L. 311-20 et L. 311‑21 du code de la consommation. Dans sa décision, le juge de renvoi ne fait aucunement état d’une éventuelle sanction consistant en la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts. Il n’a pas non plus été soutenu devant la Cour que ces dispositions du code de la consommation prévoient cette sanction. Aussi, les arguments repris aux points précédents ne sont-il pas pertinents dans le cadre de la présente analyse, qui n’englobe pas la question de savoir si le juge national a la faculté de prononcer d’office une sanction telle que celle dont fait état Franfinance.
69. Dès lors, il convient de répondre à la seconde question posée que la directive 87/102 doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne son article 11, paragraphe 2.
Sur les dépens
70. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) Les articles 11 et 14 de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation, telle que modifiée par la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, paragraphe 2, de cette directive, telle que modifiée, et dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, soit subordonné à la condition que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé.
2) La directive 87/102, telle que modifiée par la directive 98/7, doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne son article 11, paragraphe 2.