Affaire C-141/05

Royaume d'Espagne

contre

Conseil de l'Union européenne

«Pêche — Règlement (CE) nº 27/2005 — Répartition des quotas de captures entre États membres — Acte d’adhésion du Royaume d’Espagne — Fin de la période transitoire — Exigence de stabilité relative — Principe de non-discrimination — Nouvelles possibilités de pêche — Recevabilité»

Sommaire de l'arrêt

1.        Procédure — Intervention — Exception d'irrecevabilité non soulevée par la partie défenderesse

(Statut de la Cour de justice, art. 40, al. 4; règlement de procédure de la Cour, art. 93, § 4)

2.        Droit communautaire — Principes — Égalité de traitement — Discrimination en raison de la nationalité

(Acte d'adhésion de 1985; règlement du Conseil nº 27/2005)

3.        Adhésion de nouveaux États membres aux Communautés — Espagne — Pêche

(Acte d'adhésion de 1985, art. 156 à 164; règlement du Conseil nº 27/2005)

4.        Pêche — Conservation des ressources de la mer — Régime de quotas de pêche

(Règlement du Conseil nº 2371/2002, art. 20)

1.        En vertu de l'article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties. En outre, aux termes de l'article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure, l'intervenant accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de son intervention. Il n'a dès lors pas qualité pour soulever une exception d'irrecevabilité non formulée dans les conclusions de la partie défenderesse.

(cf. points 27-28)

2.        En ne réservant pas au Royaume d'Espagne, dans le règlement nº 27/2005, établissant, pour 2005, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture, un traitement identique à celui dont ont bénéficié les États membres ayant participé à la répartition initiale des quotas de pêche, avant l'adhésion dudit État membre à la Communauté, ou aux répartitions ultérieures, au cours de la période transitoire, le Conseil n'a pas agi de manière discriminatoire à son encontre.

En effet, il importe de distinguer la notion d'accès aux eaux de celle d'accès aux ressources. Si, après la fin de la période transitoire, le Royaume d'Espagne peut à nouveau accéder aux eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique, il n'en résulte pas que les navires espagnols peuvent avoir accès aux ressources de ces deux mers dans les mêmes proportions que les navires des États membres qui ont participé à la répartition initiale ou à des répartitions ultérieures.

(cf. points 47, 51)

3.        En n'attribuant pas au Royaume d'Espagne, en vertu du règlement nº 27/2005, établissant, pour 2005, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture, certains quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique, le Conseil n'a pas méconnu l'acte d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise. Les articles 156 à 164 dudit acte ne définissent le régime applicable dans le secteur de la pêche que pour la période transitoire. Ces articles ne peuvent donc pas, en principe, servir de fondement à des revendications portant sur une période commençant à une date postérieure à l'achèvement de celle-ci. À la fin de la période transitoire s'applique donc l'acquis communautaire qui comprend la clé de répartition fixée par la réglementation existante au moment de l'adhésion du Royaume d'Espagne.

(cf. points 59, 61, 63)

4.        L'exigence de stabilité relative de la répartition des possibilités de pêche entre les États membres, imposée par l'article 20, paragraphe 1, du règlement nº 2371/2002, relatif à la conservation et à l'exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, doit s'entendre comme signifiant le maintien d'un pourcentage fixe pour chaque État membre, la clé de répartition initialement fixée continuant de s'appliquer tant qu'un règlement modificatif n'a pas été adopté. Dans la mesure où l'application du principe de stabilité relative aux possibilités de pêche existantes entraîne le maintien d'une clé de répartition déjà fixée entre les États membres, l'établissement d'une première clé de répartition entre États membres implique l'attribution de nouvelles possibilités de pêche et une répartition qui tienne compte de l'intérêt de chacun d'entre eux. La notion d'intérêt peut comprendre le besoin de préserver la stabilité relative des activités de pêche, mais elle n'est pas limitée à ce besoin. Ainsi, lorsqu'une première clé de répartition est fixée par État membre, notamment après que ceux-ci ont exercé leur droit de pêcher dans une zone et pour des espèces pour lesquelles la Communauté a disposé d'un quota global, le Conseil statue en tenant compte de l'intérêt de chacun d'entre eux, conformément aux dispositions de l'article 20, paragraphe 2, du règlement nº 2371/2002. Puisque, par définition, aucune clé de répartition ne peut être maintenue dans un tel cas, il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions de l'article 20, paragraphe 1, de ce règlement.

(cf. points 85-88)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

8 novembre 2007 (*)

«Pêche – Règlement (CE) n° 27/2005 – Répartition des quotas de captures entre États membres – Acte d’adhésion du Royaume d’Espagne – Fin de la période transitoire – Exigence de stabilité relative – Principe de non‑discrimination – Nouvelles possibilités de pêche – Recevabilité»

Dans l’affaire C‑141/05,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 29 mars 2005,

Royaume d’Espagne, représenté par MM. E. Braquehais Conesa et M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. F. Florindo Gijón et A. de Gregorio Merino, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Jimeno Fernández et T. van Rijn, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. U. Lõhmus, J. N. Cunha Rodrigues, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juin 2007,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, le Royaume d’Espagne demande l’annulation du règlement (CE) n° 27/2005 du Conseil, du 22 décembre 2004, établissant, pour 2005, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO 2005, L 12, p. 1), dans la mesure où ce règlement ne lui attribue pas certains quotas dans les eaux communautaires de la mer du Nord et de la mer Baltique.

 Le cadre juridique

 L’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités

2        Les articles 156 à 166 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci‑après l’«acte d’adhésion») réglementent en particulier l’accès des navires espagnols aux eaux communautaires ainsi qu’à leurs ressources. Il résulte des dispositions dudit article 166 que le régime ainsi défini est applicable pendant une période venant à échéance le 31 décembre 2002 (ci‑après la «période transitoire»).

 Les règlements (CEE) nos 170/83 et 172/83

3        Par le règlement (CEE) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO L 24, p. 1), le législateur a établi des règles de répartition du volume global des captures entre les États membres. L’objectif du Conseil de l’Union européenne était notamment de contribuer à une stabilité relative des activités de pêche. Les cinquième à septième considérants de ce règlement présentent la notion de stabilité relative comme visant à préserver les besoins particuliers des régions dont les populations locales sont particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes, eu égard à la situation biologique momentanée des stocks.

4        Par le règlement (CEE) n° 172/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, fixant, pour certains stocks ou groupes de stocks de poissons évoluant dans la zone de pêche de la Communauté, les totaux admissibles des captures pour 1982, la part de ces captures disponible pour la Communauté, la répartition de cette part entre les États membres et les conditions dans lesquelles les totaux admissibles des captures peuvent être pêchés (JO L 24, p. 30), il a été procédé pour la première fois à la répartition des ressources disponibles dans les eaux communautaires (ci-après la «répartition initiale»).

5        Afin de permettre une répartition équitable des ressources disponibles, il ressort du quatrième considérant du règlement n° 172/83 que le Conseil a tenu compte, tout particulièrement, des activités de pêche traditionnelles, des besoins spécifiques des régions particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes ainsi que de la perte de potentialité de pêche dans les eaux de pays tiers.

6        La période de référence prise en compte pour cette répartition est celle qui s’est écoulée entre 1973 et 1978 (ci‑après la «période de référence initiale»).

 Le règlement (CEE) nº 3760/92

7        Le règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l’aquaculture (JO L 389, p. 1), a abrogé le règlement n° 170/83. Il contient une définition de la notion de stabilité relative, qui reprend en substance celle figurant dans le règlement n° 170/83, et des règles relatives à la répartition des captures énoncées en particulier à son article 8, paragraphe 4.

8        Cette disposition prévoit sous iii):

«lorsque la Communauté crée pour une pêcherie ou un groupe de pêcheries de nouvelles possibilités de pêche qui n’ont pas été exploitées auparavant en vertu de la politique commune de la pêche, [le Conseil] arrête les méthodes de répartition, compte tenu des intérêts de tous les États membres».

 Le règlement (CE) nº 2371/2002

9        Le règlement n° 3760/92 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59). L’article 17, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002 dispose que les navires de pêche communautaires jouissent d’une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux communautaires définies à cet article, sous réserve des mesures adoptées pour assurer la conservation et la durabilité des espèces.

10      Sous la rubrique intitulée «Attribution des possibilités de pêche», l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que le Conseil arrête les limitations de capture et/ou de l’effort de pêche, la répartition des possibilités de pêche entre les États membres ainsi que les mesures associées à ces limitations. Les possibilités de pêche sont réparties entre les États membres de manière à assurer à chacun une stabilité relative des activités de pêche pour chaque stock ou pêcherie.

11      Le principe de stabilité relative est défini aux seizième à dix-huitième considérants dudit règlement, lesquels font référence notamment à la situation biologique temporaire des stocks et aux besoins des régions dont les populations sont particulièrement tributaires de la pêche et des activités connexes.

12      L’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002 dispose que, lorsque la Communauté fixe de nouvelles possibilités de pêche, le Conseil statue sur l’attribution desdites possibilités, compte tenu des intérêts de chaque État membre.

 Le règlement nº 27/2005

13      Le 22 décembre 2004, le Conseil a adopté le règlement n° 27/2005, objet du présent recours, en se fondant notamment sur les dispositions de l’article 20 du règlement n° 2371/2002.

 Les antécédents du litige et la procédure

14      Estimant qu’il était en droit, à compter de l’expiration de la période transitoire, de participer à la répartition des espèces soumises à des limitations de captures en mer du Nord et en mer Baltique, le Royaume d’Espagne a présenté une demande au Conseil en vue d’obtenir des quotas de pêche dans ces deux mers.

15      Cet État membre a soutenu que les quotas répartis après son adhésion à la Communauté, dans la zone à laquelle la flotte espagnole n’avait pas accès pendant cette période, devaient être révisés pour tenir compte, d’une part, de l’incapacité strictement légale dans laquelle il s’était trouvé de participer à cette répartition et, d’autre part, des captures de ladite flotte en mer du Nord durant la période de référence initiale.

16      Le Conseil a rejeté la demande du Royaume d’Espagne.

17      À la suite de ce rejet, le Royaume d’Espagne a introduit deux premiers recours devant la Cour relatifs aux répartitions portant sur l’année 2003 (affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C‑87/03 et C‑100/03, Rec. p. I‑2915), deux recours relatifs aux répartitions portant sur l’année 2004 [affaires à l’origine de l’ordonnance du président de la Cour du 20 juin 2006, Espagne/Conseil (C‑133/04, non publiée au Recueil), rendue à la suite du désistement du Royaume d’Espagne de son recours, et de l’arrêt du 19 avril 2007, Espagne/Conseil (C‑134/04, non publié au Recueil)] ainsi que le présent recours portant sur l’année 2005.

18      Le Royaume d’Espagne estime que le règlement n° 27/2005 ne lui ayant pas accordé certains quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique, la flotte espagnole se trouve en pratique, et malgré la fin de la période transitoire, dans l’impossibilité de pêcher la plupart des espèces soumises à quotas dans ces deux mers. À l’appui de son recours, le Royaume d’Espagne soulève trois moyens. Le premier est tiré d’une atteinte au principe de non-discrimination, le deuxième d’une violation de l’acte d’adhésion et le troisième d’une violation de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

19      Dans le cadre de son troisième moyen, le Royaume d’Espagne a exposé, au point 27 de sa requête, que les espèces suivantes étaient concernées, à savoir le lançon (zones IIa, IV), la baudroie (zones IIa, IV), la limande et la plie (zones IIa, IV), la cardine (zones IIa, IV), la plie grise (zones IIa, IV), la langoustine (zones IIa, IV), le merlan bleu (zones IIa, IV), la crevette (zones IIa, IIIa, IV), le turbot commun et le turbot (zones IIa, IV), la raie (zones IIa, IV), l’aiguillat commun (zones IIa, IV) et le chinchard (zones IIa, IV).

20      Par ordonnance du président de la Cour du 21 juin 2005, la Commission des Communautés européennes a été admise à intervenir à l’appui des conclusions du Conseil dans le cadre du présent recours.

21      Par décision du président de la Cour du 10 mai 2005, la procédure a été suspendue, dans la présente affaire, jusqu’au prononcé de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, par lequel la Cour a statué sur les deux premiers recours.

22      À la suite de cet arrêt, le Royaume d’Espagne a été interrogé sur le point de savoir s’il maintenait le présent recours. Par lettre du 27 avril 2006, celui-ci a répondu de manière affirmative.

23      Dans cette lettre, cet État membre a soutenu, en se fondant sur ledit arrêt, que constituent de nouvelles possibilités de pêche les espèces ayant donné lieu à une répartition sous forme de quotas pour la première fois, selon lui, dans le règlement n° 27/2005, à savoir

–        le brosme, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la baudroie, zones IIa (eaux communautaires) et IV (eaux communautaires)

–        le merlan bleu, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la lingue, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la langoustine, zone IV (eaux norvégiennes).

24      Selon le Royaume d’Espagne, le Conseil aurait violé ses obligations résultant de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002, en ne lui attribuant aucun quota au titre de ces espèces.

 Sur la recevabilité du recours

25      Dans son mémoire en intervention, la Commission excipe de l’irrecevabilité du recours du Royaume d’Espagne au motif que par sa lettre du 27 avril 2006 celui-ci aurait changé l’objet de son recours en se concentrant uniquement sur le troisième moyen invoqué et en visant des espèces qui ont fait l’objet d’une répartition pour la première fois par le règlement n° 27/2005 adopté au mois de décembre 2004, et qui n’étaient pas mentionnées dans sa requête initiale. Par ailleurs, même si le recours initial avait été maintenu, il serait en tout état de cause devenu sans objet à la suite de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité.

26      Il convient, cependant, de relever que le Conseil, défendeur au soutien duquel la Commission a été autorisée à intervenir, n’a soulevé aucune exception d’irrecevabilité à l’encontre du recours du Royaume d’Espagne.

27      Or, en vertu de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties. En outre, aux termes de l’article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure, l’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention.

28      Il s’ensuit que la Commission, partie intervenante, n’avait pas qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité (voir arrêt du 30 janvier 2002, Italie/Commission, C‑107/99, Rec. p. I‑1091, point 29).

29      Toutefois, il convient d’examiner d’office, en vertu de l’article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure, si le Royaume d’Espagne n’a pas modifié l’objet du litige en cours d’instance, de manière contraire aux prescriptions de l’article 38 du règlement de procédure et si le recours n’est pas devenu sans objet à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité.

30      Sur le premier point, il y a lieu de constater que, par sa lettre du 27 avril 2006 faisant suite à la demande de la Cour portant sur le point de savoir si, compte tenu de l’intervention de cet arrêt, il maintenait son recours, le Royaume d’Espagne a répondu de manière affirmative. Il a, par ailleurs, confirmé le sens de sa réponse lors de l’audience devant la Cour.

31      Il est vrai que, dans cette lettre, le Royaume d’Espagne mentionne l’importance qu’il convient d’accorder, à la suite du prononcé dudit arrêt, à l’examen de la question de savoir si certaines espèces de poissons constituent de nouvelles possibilités de pêche au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002, lequel fait l’objet du troisième moyen soulevé dans la requête. Il conviendra donc de vérifier, le cas échéant, dans le cadre de l’analyse de ce moyen, si la mention de ces espèces entre dans l’objet du recours initial ou si elle constitue une extension irrecevable de celui‑ci.

32      Sur le point de savoir si le présent recours est devenu sans objet à la suite de l’intervention de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, il convient de constater que le règlement dont le Royaume d’Espagne demandait l’annulation partielle dans le litige à l’origine de cet arrêt, est différent de celui qui est contesté dans la présente affaire. En effet, le règlement visé dans ledit arrêt était le règlement (CE) n° 2341/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, établissant, pour 2003, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 356, p. 12), alors que le règlement attaqué dans le présent recours est le règlement n° 27/2005, fixant les possibilités de pêche pour l’année 2005. Ces deux affaires ont, par conséquent, des objets différents.

33      Il y a lieu, par conséquent, de considérer que le présent litige est recevable.

 Sur le fond

 Sur le moyen tiré d’une atteinte au principe de non-discrimination

 Argumentation des parties

34      Le Royaume d’Espagne fait valoir que, à compter de l’expiration de la période transitoire, les navires espagnols devaient bénéficier de l’égalité d’accès non seulement aux eaux communautaires, laquelle ne leur est pas contestée, mais également aux ressources de celles-ci, ce qui impliquerait l’attribution de quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique. Or, le règlement nº 27/2005 n’aurait attribué pratiquement aucun quota au Royaume d’Espagne dans ces deux mers. Ce règlement ne respecterait pas les conditions d’une égalité de traitement et créerait une discrimination à l’encontre des pêcheurs espagnols.

35      Aucune raison objective ne justifierait cette discrimination. Il conviendrait de respecter la règle générale selon laquelle l’ensemble du droit communautaire est pleinement applicable aux nouveaux États membres à compter de leur adhésion à la Communauté. Les dérogations à cette règle, prévues par un acte d’adhésion, seraient temporaires et devraient être interprétées de manière stricte.

36      Selon cet État membre, les notions d’accès aux eaux et aux ressources seraient intrinsèquement liées. Le règlement nº 27/2005 n’opèrerait aucune distinction entre elles et il incomberait donc au Conseil d’adopter les mesures appropriées afin de modifier la clé de répartition.

37      En pratique, l’absence d’accès aux ressources viderait de son sens le droit d’accès aux eaux. Les espèces soumises à quotas seraient les seules qui possèdent une valeur économique. De plus, l’obligation, en l’absence de quotas, de rejeter en mer les prises appartenant à ces espèces, alors même qu’elles sont mortes, créerait un dommage biologique. Enfin, en ne disposant de pratiquement aucun quota dans ces deux mers, le Royaume d’Espagne se verrait dans l’impossibilité de procéder aux échanges de possibilités de pêche prévues à l’article 20, paragraphe 5, du règlement nº 2371/2002.

38      Le Royaume d’Espagne fait valoir que sa situation est différente de celle des États membres qui n’ont pas non plus obtenu de quotas en vertu du règlement n° 27/2005. En effet, les navires de ces derniers n’auraient pas nécessairement intérêt à pêcher dans les eaux en question, contrairement à ceux du Royaume d’Espagne, État membre dont les populations sont tributaires de la pêche, notamment en Galice et dans les provinces basques. Le Royaume d’Espagne soutient que, en l’absence de dispositions transitoires, il aurait participé à la première répartition de quotas après son adhésion à la Communauté en 1986 et se serait donc vu attribuer des quotas en 2003.

39      Selon le Conseil, le règlement n° 27/2005 ne crée pas de discrimination à l’encontre du Royaume d’Espagne. En effet, ce dernier serait traité de la même manière que les États membres qui n’ont pas bénéficié de quotas au motif qu’ils n’exerçaient pas d’activités de pêche dont le Conseil aurait pu décider de préserver la stabilité, lesdits États représentant près de la moitié des États membres. Le Conseil souligne que le gouvernement espagnol ne fait pas la distinction qui s’impose entre la notion d’accès aux eaux communautaires et celle d’accès aux ressources de ces dernières.

 Appréciation de la Cour

40      Le respect du principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a., C‑44/94, Rec. p. I‑3115, point 46; du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, point 48, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, précité, point 28).

41      La question se pose donc de savoir si la situation du Royaume d’Espagne est comparable à celle des États membres qui ont obtenu des quotas de pêche dans les eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique en vertu du règlement n° 27/2005.

42      Ainsi qu’elle l’a rappelé au point 50 de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, la Cour a déjà eu à examiner la question d’une discrimination éventuelle à l’encontre d’États membres qui n’avaient pas obtenu certains quotas de pêche postérieurement à leur adhésion à la Communauté.

43      Il ressort du point 41 de l’arrêt du 13 octobre 1992, Portugal et Espagne/Conseil (C‑63/90 et C‑67/90, Rec. p. I‑5073), que la République portugaise avait fait valoir que la flotte portugaise avait exercé des activités de pêche dans les eaux groenlandaises durant les années 1973 à 1977, c’est-à-dire pendant une partie de la période de référence initiale. Elle avait souligné que les quantités pêchées par la flotte portugaise étaient comparables à celles capturées par la flotte allemande et nettement supérieures à celles capturées par la flotte du Royaume‑Uni.

44      La Cour a néanmoins considéré que la situation de la République portugaise n’était pas comparable à celle des autres États membres bénéficiaires de répartitions. Elle a jugé que, dans la mesure où l’acte d’adhésion n’a pas modifié la situation existante en matière de répartition des ressources externes, l’acquis communautaire reste d’application et que, dès lors, les nouveaux États membres ne sauraient invoquer des circonstances antérieures à l’adhésion, dont notamment leurs activités de pêche au cours de la période de référence, pour écarter l’application des dispositions en cause. Depuis leur adhésion, ils se trouvent dans la même situation que les États membres exclus des répartitions en vertu du principe de la stabilité relative des activités de pêche, concrétisée, pour ce qui est des accords intervenus avant l’adhésion, dans la répartition opérée en 1983 (voir arrêts précités Portugal et Espagne/Conseil, points 43 et 44; du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 52, ainsi que du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 32).

45      Ce raisonnement est transposable à la présente affaire. Il en découle que le Royaume d’Espagne ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des États membres qui ont bénéficié de quotas lors de la répartition initiale et que, par conséquent, il ne saurait invoquer les activités de pêche exercées par les navires espagnols entre les années 1973 et 1976 en mer du Nord, pendant la période de référence initiale. Sa situation est en revanche comparable à celle des États membres dont les navires n’ont pas obtenu de tels quotas, que ces États membres aient ou non exercé une activité de pêche dans les eaux de la mer du Nord et/ou de la mer Baltique pendant cette période (voir arrêts précités du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 53, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 33).

46      La fin de la période transitoire ne change en rien cette situation.

47      En effet, le Conseil a fait valoir, à juste titre, qu’il importe de distinguer la notion d’accès aux eaux de celle d’accès aux ressources. Si, après la fin de la période transitoire, le Royaume d’Espagne peut à nouveau accéder aux eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique, il n’en résulte pas que les navires espagnols peuvent avoir accès aux ressources de ces deux mers dans les mêmes proportions que les navires des États membres qui ont participé à la répartition initiale ou à des répartitions ultérieures (voir arrêts précités du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 55, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 35).

48      Le Conseil a pu estimer que les navires espagnols n’ayant pas pêché dans les eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique pendant plus de vingt ans, l’absence d’attribution de quotas ne portait pas atteinte au principe de stabilité relative des activités de pêche des populations concernées. Il en résulte que le Conseil a également pu considérer que le Royaume d’Espagne n’était pas dans une situation équivalente à celle des États membres, dont les navires avaient récemment, au cours de la période de référence pertinente, pêché dans ces eaux (voir arrêts précités du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 56, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 36).

49      Il convient d’ajouter que l’impossibilité de participer aux nouvelles répartitions de quotas de pêche, dans laquelle le Royaume d’Espagne s’est trouvé pendant la période transitoire, en raison d’une interdiction légale purement temporaire d’accéder aux eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique, ne change en rien cette constatation. Il n’en découle pas que le Conseil aurait dû changer la clé de répartition à la fin de cette période, afin de tenir compte des intérêts du Royaume d’Espagne. En effet, contrairement à ce que cet État membre a soutenu au cours de la procédure écrite et à l’audience, il n’est aucunement démontré que, en l’absence d’interdiction d’accès aux deux mers concernées pendant la période transitoire, cet État membre aurait obtenu certains quotas portant sur les espèces faisant l’objet d’une nouvelle répartition au cours de ladite période.

50      En outre, les autres arguments présentés par le Royaume d’Espagne et rappelés au point 37 du présent arrêt ne sont pas de nature à modifier la constatation faite au point 47 de celui-ci. Ainsi, la circonstance que les espèces soumises à quotas ont davantage de valeur que les autres espèces ne saurait avoir pour conséquence qu’un État membre doive se voir attribuer certains quotas. Le prétendu risque de nature écologique n’a pas été démontré. L’impossibilité d’effectuer certains échanges de quotas découle de l’absence d’attribution de ces derniers. En effet, l’article 20, paragraphe 5, du règlement n° 2371/2002 prévoit simplement la possibilité d’échanger les quotas que les États membres possèdent. Il n’ouvre pas, pour autant, un droit à l’obtention de quotas.

51      Par conséquent, en ne réservant pas au Royaume d’Espagne, dans le règlement n° 27/2005, un traitement identique à celui dont ont bénéficié les États membres ayant participé à la répartition initiale des quotas de pêche, avant l’adhésion dudit État membre à la Communauté, ou aux répartitions ultérieures, au cours de la période transitoire, le Conseil n’a pas agi de manière discriminatoire à son encontre.

52      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une atteinte au principe de non‑discrimination.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’acte d’adhésion

 Argumentation des parties

53      Le gouvernement espagnol considère que, en n’attribuant pas au Royaume d’Espagne une partie des quotas de pêche ayant fait l’objet d’une répartition en ce qui concerne la zone des eaux communautaires de la mer du Nord et de la mer Baltique, après l’adhésion de cet État membre à la Communauté, le règlement n° 27/2005 proroge la période transitoire au-delà de ce que prévoit l’acte d’adhésion et viole, par conséquent, les dispositions de celui‑ci.

54      Le Royaume d’Espagne estime que le fait d’étendre les dérogations prévues dans l’acte d’adhésion au‑delà de la période transitoire fixée dans cet acte revient à méconnaître la nature exceptionnelle, transitoire et limitée de celles‑ci.

55      Cet État membre ajoute que si la Cour a déjà examiné l’existence d’une violation de l’acte d’adhésion dans l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, la présente affaire est néanmoins différente dans la mesure où contrairement au règlement examiné dans cet arrêt, le règlement n° 27/2005 porte notamment sur des quotas alloués pour la première fois en 2005, lesquels constituent de nouvelles possibilités de pêche.

56      Le Conseil soutient, pour sa part, que les dispositions de l’acte d’adhésion ont cessé d’être applicables à l’expiration de la période transitoire et ne peuvent donc plus constituer un critère pour déterminer la légalité des mesures adoptées par le Conseil.

57      Par ailleurs, l’acte d’adhésion n’exigerait ni ne prévoirait une révision du système de répartition des quotas.

58      Le Conseil ajoute que les articles 156 à 164 de l’acte d’adhésion qui sont des dispositions transitoires ne régissent pas la manière dont le Conseil devrait procéder pour répartir de nouvelles possibilités de pêche en 2005, soit plusieurs années après que ces dispositions ont cessé d’être applicables.

 Appréciation de la Cour

59      Il convient de rappeler, ainsi que le Conseil le fait valoir, que les articles 156 à 164 de l’acte d’adhésion ne définissent le régime applicable dans le secteur de la pêche que pour la période transitoire. Ces articles ne peuvent donc pas, en principe, servir de fondement à des revendications portant sur une période commençant à une date postérieure à l’achèvement de celle‑ci (voir arrêts précités du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 64, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 44).

60      De plus, il ne résulte pas de l’acte d’adhésion que le Conseil était tenu de modifier à l’avenir la clé de répartition des possibilités de pêche adoptée après l’adhésion du Royaume d’Espagne, au cours de la période transitoire.

61      Même si le régime applicable pendant la période transitoire est par définition temporaire, il n’en résulte pas que toutes les restrictions qu’il prévoit cessent automatiquement lorsque ladite période s’achève, si celles-ci résultent également de l’acquis communautaire applicable à l’État membre. Or, ainsi qu’il a été constaté au point 29 de l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, l’acquis communautaire comprend la clé de répartition fixée par la réglementation existante au moment de l’adhésion du Royaume d’Espagne. Cette clé de répartition demeure en principe en vigueur tant qu’elle n’a pas été modifiée par un acte du Conseil.

62      S’agissant des répartitions de quotas effectuées au cours de la période transitoire, celles-ci sont régies non pas par l’acte d’adhésion, mais par les règlements établissant les quotas en cause et par le principe de stabilité relative (voir arrêts précités du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 66, et du 19 avril 2007, Espagne/Conseil, point 47). Quant aux répartitions effectuées pour la première fois par le règlement n° 27/2005, celles-ci ne sont pas non plus soumises aux dispositions de l’acte d’adhésion.

63      Dès lors, en n’attribuant pas au Royaume d’Espagne, en vertu du règlement n° 27/2005, certains quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique, le Conseil n’a pas méconnu l’acte d’adhésion.

64      Par conséquent, le moyen tiré d’une violation de l’acte d’adhésion doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002

 Argumentation des parties

65      Le Royaume d’Espagne considère que les cinq espèces mentionnées dans sa lettre du 27 avril 2006 et rappelées au point 23 du présent arrêt constituent de nouvelles possibilités de pêche. En ne lui attribuant aucun quota au titre de ces espèces, le Conseil aurait omis de prendre en compte les intérêts de cet État membre et aurait, par conséquent, violé les dispositions de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

66      Le Conseil reconnaît que les espèces ayant fait l’objet d’une première répartition en vertu du règlement n° 27/2005 constituent de nouvelles possibilités de pêche. Cependant, sur les cinq espèces mentionnées par les autorités espagnoles, seules les espèces suivantes, qui ont été réparties dans des zones spécifiques pour la première fois en 2005, constitueraient, à cette date, de nouvelles possibilités de pêche:

–        le brosme, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la baudroie, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la lingue, zone IV (eaux norvégiennes)

–        la langoustine, zone IV (eaux norvégiennes).

67      En revanche, la baudroie, zone IIa (eaux communautaires) et zone IV (eaux communautaires), mentionnée au point 23 du présent arrêt, aurait fait l’objet d’une première répartition en 1998. Le merlan bleu, zone IV (eaux norvégiennes), mentionné audit point 23, aurait déjà donné lieu à une répartition antérieurement à l’année 2002. Le Royaume d’Espagne mentionnerait donc de manière erronée ces espèces comme constituant de nouvelles possibilités de pêche.

68      En ce qui concerne les quatre nouvelles possibilités de pêche qu’il a identifiées, le Conseil fait valoir qu’il a tenu compte de l’intérêt de tous les États membres, y compris de celui du Royaume d’Espagne, mais qu’il ne résulte pas de la prise en compte de ces nouvelles possibilités que tous les États membres devaient bénéficier de l’attribution de quotas. Le Conseil aurait déterminé une période de référence portant sur les années 1999 à 2003. Les navires espagnols n’ayant pas pêché les espèces en cause dans la zone concernée au cours de cette période, alors même qu’ils en avaient la possibilité, aucun quota n’a été attribué à cet État membre. Le Conseil conclut qu’il n’a pas excédé la marge d’appréciation dont il dispose et qu’il n’a donc pas violé l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

69      Dans son mémoire en réplique, le Royaume d’Espagne reconnaît qu’il a commis une erreur, s’agissant de l’identification des espèces constituant de nouvelles possibilités de pêche, et admet que seules les quatre espèces mentionnées par le Conseil pour des zones spécifiques correspondent à la notion en cause. Il maintient en revanche que, pour ces quatre espèces, le Conseil a violé ledit article 20, paragraphe 2.

70      La Commission, pour sa part, estime que, dès lors que les quatre espèces mentionnées par le Conseil entraient dans la catégorie «autres espèces» pour laquelle un quota global était attribué à la Communauté, en vertu de règlements antérieurs à l’année 2005, elles ne constituent pas de nouvelles possibilités de pêche. Cette notion ne s’appliquerait qu’aux espèces dont la Communauté dispose en raison de l’accès à de nouvelles eaux ou à de nouvelles espèces.

71      La Commission ajoute que si la Cour ne partageait pas son interprétation de la notion de «nouvelles possibilités de pêche» et jugeait que les quatre espèces mentionnées par le Conseil relevaient de cette notion, il y aurait lieu de considérer, en tout état de cause, que le Conseil n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation et n’a donc pas violé l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

 Appréciation de la Cour

–       Remarques liminaires

72      Le Royaume d’Espagne, le Conseil et la Commission s’accordent pour considérer que seules les quatre espèces mentionnées par le Conseil et rappelées au point 66 du présent arrêt ont fait l’objet d’une première répartition en vertu du règlement n° 27/2005 et sont visées par le troisième moyen du présent recours.

73      Un problème se pose, toutefois, quant à la recevabilité de ce moyen.

74      En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 31 du présent arrêt, il importe de vérifier si en mentionnant ces quatre espèces, le Royaume d’Espagne n’a pas modifié l’objet du litige contrairement aux prescriptions de l’article 38 du règlement de procédure.

75      Il convient de constater que, parmi les quatre espèces considérées, la baudroie est mentionnée au point 27 de la requête du Royaume d’Espagne en ce qui concerne la zone IV sans qu’il soit précisé s’il s’agit des eaux communautaires, des eaux norvégiennes ou de l’ensemble de ces eaux. Dans sa lettre du 27 avril 2006, le gouvernement espagnol mentionne la baudroie, zone IV (eaux communautaires), mais il rectifie cette mention dans sa réplique et soutient qu’il visait les eaux norvégiennes.

76      Compte tenu de la mention générale de la zone IV dans la requête, il y a lieu de considérer que l’ensemble des eaux de cette zone était visé et, par conséquent, que le troisième moyen, pour ce qui concerne la baudroie, zone IV (eaux norvégiennes), est recevable.

77      En revanche, s’agissant des trois autres espèces, le brosme ainsi que la lingue ne figurent pas au point 27 de la requête et la langoustine n’est pas mentionnée pour la zone IV. Il y a lieu, par conséquent, de considérer que la requête ne visait ni le brosme ni la lingue et ne visait la langoustine que pour la zone III. La référence à ces trois espèces pour la zone IV (eaux norvégiennes) dans la lettre du 27 avril 2006 ainsi que dans la réplique constitue une extension de l’objet du litige qui doit être écartée comme irrecevable. La circonstance que ces espèces figurent à l’annexe I du règlement n° 27/2005, objet du présent litige, n’est pas suffisante dès lors que le Royaume d’Espagne demande uniquement l’annulation du règlement dans la mesure où il n’alloue pas certains quotas à la flotte espagnole et qu’il a précisé audit point 27 les seules espèces visées par son troisième moyen.

–       Sur le moyen

78      Le Royaume d’Espagne soutient que la répartition de la baudroie en zone IV (eaux norvégiennes), opérée par le règlement n° 27/2005, constitue une nouvelle possibilité de pêche et que le Conseil n’a pas tenu compte de ses intérêts en ne lui attribuant aucun quota pour cette espèce, en violation des dispositions de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

79      Il convient d’examiner si la répartition de la baudroie en zone IV (eaux norvégiennes) constitue une nouvelle possibilité de pêche au sens de cet article 20, paragraphe 2 et, le cas échéant, si le Conseil a tenu compte des intérêts du Royaume d’Espagne.

80      Sur le premier point, il est constant que la répartition effectuée par le règlement n° 27/2005 constitue la première répartition de quotas au titre de cette espèce entre les États membres.

81      Selon la Commission, la baudroie en zone IV (eaux norvégiennes) ne constituerait, toutefois, pas une nouvelle possibilité de pêche, mais serait une possibilité de pêche existante, car il ne s’agirait pas d’une espèce exploitée pour la première fois en vertu de la politique communautaire, conformément à l’article 8, paragraphe 4, sous iii), du règlement n° 3760/92. Or, l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002 aurait remplacé cet article 8, paragraphe 4, sous iii), et devrait être lu à la lumière de ce dernier. Il s’ensuivrait que cette espèce devrait donner lieu à une répartition selon le principe de stabilité relative visé à l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002 et non pas en tenant compte, conformément audit article 20, paragraphe 2, de l’intérêt des États membres.

82      Il convient, cependant, de relever que le règlement n° 2371/2002 présente des différences par rapport au règlement n° 3760/92.

83      Ainsi, le règlement n° 2371/2002 précise la notion de «possibilités de pêche» qu’il définit à son article 3, sous q), comme un droit de pêche quantifié. Quant à l’article 20, paragraphe 2, de ce règlement, son texte diffère de celui dudit article 8, paragraphe 4, sous iii), et prévoit simplement que, lorsque la Communauté fixe de nouvelles possibilités de pêche, le Conseil statue sur l’attribution desdites possibilités, compte tenu des intérêts de chaque État membre.

84      Il y a donc lieu d’interpréter la notion de «nouvelles possibilités de pêche» en tenant compte de l’économie et de l’objectif de l’article 20, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2371/2002, lu à la lumière de la jurisprudence (voir arrêts du 16 juin 1987, Romkes, 46/86, Rec. p. 2671; du 13 octobre 1992, Espagne/Conseil, C‑70/90, Rec. p. I‑5159; Espagne/Conseil, C‑71/90, Rec. p. I‑5175; Espagne/Conseil, C‑73/90, Rec. p. I‑5191, et du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité).

85      Il ressort ainsi de l’examen de ces deux paragraphes dudit article 20 que le premier de ceux-ci traite des possibilités de pêche existantes tandis que le second est consacré aux nouvelles possibilités de pêche. Les possibilités de pêche existantes sont réparties entre les États membres en application du principe de stabilité relative.

86      La Cour a jugé que l’exigence de stabilité relative doit s’entendre comme signifiant le maintien d’un pourcentage fixe pour chaque État membre et que la clé de répartition initialement fixée continuera de s’appliquer tant qu’un règlement modificatif n’aura pas été adopté (voir, notamment, arrêts précités, Romkes, point 17, et du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, point 27).

87      Dans la mesure où l’application du principe de stabilité relative aux possibilités de pêche existantes entraîne le maintien d’une clé de répartition déjà fixée entre les États membres, il y a lieu de considérer que l’établissement d’une première clé de répartition entre États membres implique l’attribution de nouvelles possibilités de pêche et une répartition qui tienne compte de l’intérêt de chacun d’entre eux. La notion d’intérêt peut comprendre le besoin de préserver la stabilité relative des activités de pêche, mais elle n’est pas limitée à ce besoin.

88      Ainsi, contrairement au point de vue exprimé par la Commission, lorsqu’une première clé de répartition est fixée par État membre, notamment après que ceux‑ci ont exercé leur droit de pêcher dans une zone et pour des espèces pour lesquelles la Communauté a disposé d’un quota global, le Conseil statue en tenant compte de l’intérêt de chacun d’entre eux, conformément aux dispositions de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002. Puisque, par définition, aucune clé de répartition ne peut être maintenue dans un tel cas, il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement.

89      Il convient d’ajouter que l’interprétation défendue par la Commission aboutirait à une situation paradoxale dans laquelle le droit d’accès des États membres à de nouvelles eaux et à de nouvelles espèces pourrait ne jamais être qualifié de nouvelles possibilités de pêche et, par conséquent, ne jamais permettre la prise en compte de l’intérêt de ces États, au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002. Il en irait ainsi chaque fois que, comme en l’espèce, le nouveau droit d’accès prendrait, dans un premier temps, la forme d’un quota global en faveur de la Communauté avant d’être, dans un second temps, attribué aux États membres de manière individuelle. Or, il ne ressort pas du règlement n° 2371/2002 que le législateur ait souhaité limiter ainsi la prise en compte de l’intérêt des États membres.

90      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la première attribution aux États membres de la baudroie en zone IV (eaux norvégiennes), fondée sur l’établissement d’une première clé de répartition pour cette espèce dans les eaux concernées, constitue une nouvelle possibilité de pêche.

91      Il convient, dès lors, d’examiner si le Conseil a dûment tenu compte des intérêts du Royaume d’Espagne.

92      S’agissant d’un règlement en matière de pêche, dans le cadre de la politique agricole commune, il résulte d’une jurisprudence constante que le législateur communautaire dispose dans ce domaine d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE à 37 CE lui attribuent (voir, notamment, arrêt du 23 mars 2006, Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, C‑535/03, Rec. p. I‑2689, point 55).

93      Il y a lieu néanmoins de vérifier si le législateur communautaire n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation.

94      Le Royaume d’Espagne fait valoir que, pendant la période de référence choisie par le Conseil, soit de 1999 à 2003, les dispositions des articles 156 à 164 de l’acte d’adhésion lui interdisaient l’accès aux eaux concernées. En décidant de n’attribuer des quotas qu’aux États membres dont la flotte avait pêché les espèces concernées, notamment la baudroie, pendant cette période, et en ne lui attribuant aucun quota alors même que l’absence des navires espagnols de la zone en cause était due à une interdiction strictement légale, le Conseil n’aurait pas tenu compte de ses intérêts.

95      Il y a lieu toutefois de constater, ainsi que le Conseil l’a fait valoir dans ses mémoires en défense et en duplique, que les articles 156 à 164 de l’acte d’adhésion portent uniquement sur l’accès aux eaux communautaires et non sur l’accès aux eaux norvégiennes et que, par conséquent, l’argument du Royaume d’Espagne n’est pas pertinent.

96      Lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a tenté d’avancer d’autres arguments afin de démontrer l’impossibilité pour les navires espagnols de pêcher dans les eaux norvégiennes. Il a, tout d’abord, fait valoir qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier, à l’intérieur d’une zone donnée, les eaux dans lesquelles les navires exercent leur activité, puis a affirmé qu’il ne s’était vu attribuer aucun quota dans les eaux norvégiennes.

97      Ces arguments ne sont toutefois pas déterminants puisque la baudroie, qui n’était soumise à aucun quota spécifique par État membre, pouvait être librement pêchée par les différentes flottes des États membres, sous réserve d’un quota global applicable à la Communauté pour diverses espèces dont elle faisait partie.

98      Il y a lieu de constater que l’absence d’attribution, au Royaume d’Espagne ou à un autre État membre, de quotas au titre de la baudroie n’implique pas que le Conseil ait omis de prendre en compte les intérêts de ces États membres.

99      S’agissant du choix de la période de référence, la Cour a déjà jugé que le Conseil dispose d’une certaine flexibilité (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C‑120/99, Rec. p. I‑7997, point 42). La période de cinq années, s’étendant de 1999 à 2003, constitue une période récente et suffisamment longue qui n’apparaît pas critiquable.

100    En attribuant des quotas au titre de la baudroie uniquement aux États membres dont les navires avaient pêché cette espèce au cours de cette période et en n’en allouant aucun au Royaume d’Espagne au motif que les navires espagnols n’avaient pas pratiqué cette pêche alors même qu’ils disposaient d’un droit d’accès à la zone concernée, le Conseil n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation.

101    Il y a lieu, par conséquent, de rejeter ce troisième moyen.

102    Aucun des moyens invoqués n’ayant été accueilli, le recours du Royaume d’Espagne doit être rejeté.

 Sur les dépens

103    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la Commission supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

3)      La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.