Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire T‑348/04,

Société internationale de diffusion et d’édition SA (SIDE), établie à Vitry-sur-Seine (France), représentée par M es  N. Coutrelis et V. Giacobbo, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J.‑P. Keppenne, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée initialement par M. G. de Bergues et M me  S. Ramet, puis par M. de Bergues et M me  A.-L. Vendrolini, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 1 er , dernière phrase, de la décision 2005/262/CE de la Commission, du 20 avril 2004, relative à l’aide mise à exécution par la France en faveur de la Coopérative d’exportation du livre français (CELF) (JO 2005, L 85, p. 27),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de M. M. Jaeger, président, M me V. Tiili et M. T. Tchipev, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 mai 2007,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Faits à l’origine du litige

1. La requérante, la Société internationale de diffusion et d’édition (SIDE) est un commissionnaire établi en France dont l’activité commerciale consiste, notamment, en l’exportation de livres en langue française vers d’autres États membres de l’Union européenne et vers des pays tiers.

2. Les commissionnaires figurent parmi les différents opérateurs intervenant dans la commercialisation des livres. Ils s’adressent aux détaillants ou aux collectivités et non à l’utilisateur final. Ils permettent de satisfaire les commandes dont le traitement serait trop coûteux pour les éditeurs ou leurs distributeurs. Le commissionnaire rassemble les commandes, individuellement peu importantes, venant de différents clients et s’adresse à l’éditeur ou au distributeur, lequel n’a ainsi à fournir qu’un seul point de livraison. De même, il groupe les commandes de ses clients libraires ou institutionnels qui portent sur des ouvrages de différents éditeurs, évitant ainsi à ses clients de passer de multiples commandes auprès de nombreux opérateurs.

3. La Coopérative d’exportation du livre français agissant sous le nom commercial de « Centre d’exportation du livre français » ( CELF ) est une société anonyme coopérative qui exerce également l’activité de commissionnaire. L’objet social du CELF, selon la dernière version de ses statuts, est de « [t]raiter directement des commandes vers l’étranger et les territoires et départements d’outre-mer, de livres, brochures et tous supports de communication et plus généralement d’exécuter toutes opérations visant notamment à développer la promotion de la culture française à travers le monde au moyen des supports susdésignés ».

4. Les membres du CELF sont pour la plupart des éditeurs établis en France. Cependant, le CELF est ouvert à la participation de tout opérateur actif dans le secteur de l’édition ou de la diffusion des livres en langue française, indépendamment de son lieu d’établissement.

5. L’activité commerciale du CELF et celle de la requérante sont dirigées principalement vers les pays et les zones non francophones. Pour les zones francophones, en particulier la Belgique, le Canada et la Suisse, la commercialisation des livres est assurée par les réseaux de distribution des éditeurs.

6. En 1979, alors que le CELF faisait face à des difficultés financières, les autorités françaises ont décidé de lui octroyer certaines subventions.

7. Les subventions en cause avaient pour objet de permettre aux commissionnaires à l’exportation de servir l’ensemble des commandes émanant de librairies établies dans des zones non francophones, quels que soient leur montant, leur rentabilité et leur destination, afin de favoriser la diffusion mondiale de la littérature francophone.

8. La seule subvention qui fait l’objet de la présente affaire (ci-après l’ « aide litigieuse ») a été octroyée annuellement à partir de 1980, même si son montant a varié depuis cette date. L’aide litigieuse constituait un paquet de subventions annuelles, chacune d’elles visant spécifiquement à compenser les surcoûts engendrés chaque année par le traitement des commandes émanant des librairies établies à l’étranger et d’un montant inférieur ou égal à 500 francs français (FRF) (76,22 euros), hors frais de transport (ci-après les « petites commandes »), qui étaient censées se trouver en dessous du seuil de rentabilité.

9. Dès l’année 1981, un quart du montant de la subvention octroyée l’année précédente était versé en début d’année, le solde étant accordé à l’automne, après examen par les pouvoirs publics des prévisions d’activité du CELF et des variations de celle-ci enregistrées au cours de la première partie de l’exercice. Dans les trois mois suivant la fin de l’exercice, un rapport détaillant la manière dont la subvention avait été utilisée avec un relevé des pièces justificatives devait être fourni au ministère de la Culture et de la Francophonie français.

10. Par lettre du 20 mars 1992, la requérante a attiré l’attention de la Commission sur certaines aides à la promotion, au transport et à la commercialisation du livre français octroyées par les autorités françaises au CELF. Elle a aussi demandé à la Commission si ces aides avaient fait l’objet d’une notification conformément aux dispositions de l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE).

11. Par lettre du 7 août 1992, la Commission a confirmé à la requérante l’existence de certaines aides non notifiées en faveur du CELF, y compris l’aide litigieuse.

12. Le 18 mai 1993, la Commission a adopté une décision d’autorisation desdites aides sous le titre « Aides aux exportateurs de livres français » [décision NN 127/92 (JO C 174, p. 6)].

13. Par arrêt du 18 septembre 1995, SIDE/Commission (T‑49/93, Rec. p. II‑2501), le Tribunal a annulé la décision précitée dans la mesure où elle concernait l’aide litigieuse. Le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas respecté l’obligation d’engager la procédure contradictoire de l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE).

14. Le 30 juillet 1996, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE).

15. Le 10 juin 1998, la Commission a adopté une nouvelle décision déclarant l’aide litigieuse compatible avec le marché commun [décision 1999/133/CE, relative à l’aide d’État en faveur DU CELF (JO 1999, L 44, p. 37)].

16. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 septembre 1998, la requérante a saisi le Tribunal aux fins de l’annulation de ladite décision.

17. La décision 1999/133 a également fait l’objet d’un recours en annulation formé par la République française par requête déposée au greffe de la Cour le 8 septembre 1998. La République française a mis en cause cette décision en ce que la Commission a écarté l’application de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE).

18. Les deux recours portant sur la validité du même acte, le Tribunal a, par ordonnance du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 25 mars 1999, suspendu, conformément à l’article 47, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice (devenu article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour), la procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour.

19. La Cour a rejeté le recours de la République française par arrêt du 22 juin 2000, France/Commission (C‑332/98, Rec. p. I‑4833). La procédure auprès du Tribunal a été poursuivie.

20. L’aide litigieuse a été supprimée par les autorités françaises en 2002.

21. Par arrêt du Tribunal du 28 février 2002, SIDE/Commission (T‑155/98, Rec. p. II‑1179), la décision 1999/133 a été annulée. Le Tribunal a conclu que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la définition du marché pertinent.

22. Le 20 avril 2004, la Commission a adopté la décision 2005/262/CE, relative à l’aide mise à exécution par la France en faveur du CELF (JO 2005, L 85, p. 27, ci-après la « décision attaquée »).

23. Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que l’aide litigieuse constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (considérant 127). Elle a ensuite examiné si l’une des dérogations à l’interdiction générale des aides d’État prévue par ledit article était applicable. La Commission a expressément exclu l’application en l’espèce des dérogations prévues à l’article 87, paragraphe 2, CE, ainsi que celles prévues au paragraphe 3 du même article, sous a), b) et c) (considérant 132). Enfin, elle a considéré que l’aide litigieuse avait un objectif culturel au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, aux termes duquel peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l’intérêt commun (considérants 134 et 139).

24. En conséquence, la Commission s’est limitée à vérifier la compatibilité de l’aide litigieuse, sur le marché de la commission à l’exportation, au regard de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE (considérant 186). À cet égard, elle a premièrement constaté la pertinence du critère des petites commandes comme élément de référence pour justifier l’allocation de l’aide litigieuse (considérants 187 à 197). Elle a deuxièmement vérifié la réalité de la justification de l’aide litigieuse, à savoir l’existence de surcoûts liés directement au traitement des petites commandes. Ainsi, la Commission a évalué les coûts supportés par le CELF en raison du traitement des petites commandes, pour l’année 1994, sur la base des éléments comptables transmis par la République française (considérants 203 à 206). Elle a estimé que les données relevant de ladite année constituaient une référence pertinente pour apprécier les coûts du traitement des petites commandes, au motif que les pièces et explications fournies par la République française pour d’autres exercices montrent que la structure des petites commandes reste stable d’une année sur l’autre (considérant 208). Enfin, la Commission a établi que l’aide litigieuse n’était pas susceptible de surcompenser les coûts engendrés par le traitement des petites commandes.

25. Pour les motifs susvisés, la Commission a constaté dans l’article 1 er de la décision attaquée ce qui suit :

« L’aide en faveur [du CELF] pour le traitement des petites commandes de livres d’expression française, mise à exécution par la France entre 1980 et 2001, constitue une aide relevant de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. Étant donné que la France a omis de notifier cette aide à la Commission avant de la mettre en oeuvre, celle-ci a été octroyée illégalement. L’aide est cependant compatible avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous d), [CE]. »

Procédure et conclusions des parties

26. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 août 2004, la requérante a introduit le présent recours.

27. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 décembre 2004, la République française a demandé au Tribunal à être admise à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission, ce qui lui a été accordé par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 20 janvier 2005.

28. Le 22 mars 2007, le Tribunal a demandé à la Commission de répondre par écrit à certaines questions et de produire certains documents. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

29. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

30. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 mai 2007.

31. La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée ;

– subsidiairement, annuler l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée, en ce que la Commission a déclaré l’aide litigieuse compatible avant 1999, ou, alternativement, 1997 ou 1994 ;

– encore plus subsidiairement, annuler l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée, en ce qu’elle déclare l’aide litigieuse compatible avant le 1 er novembre 1993 ;

– condamner la Commission aux dépens.

32. La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

33. La partie intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

34. La requérante invoque tro is moyens à l’appui de son recours, dont le troisième est divisé en deux branches. Le premier moyen est tiré du défaut de base légale pour déclarer la compatibilité de l’aide litigieuse avec le marché commun avant le 1 er novembre 1993. Le deuxième moyen est tiré du défaut de cohérence de la décision attaquée avec l’article 88, paragraphe 3, CE. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. La première branche du troisième moyen est tirée de la nature discriminatoire de l’aide litigieuse, tandis que la deuxième branche repose sur des erreurs manifestes d’appréciation.

35. Il convient d’abord d’examiner le premier moyen et, ensuite, la deuxième branche du troisième moyen.

Sur le premier moyen, tiré du défaut de base légale avant le 1 er novembre 1993

Arguments des parties

36. La requérante fait valoir que, en déclarant, dans l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée, l’aide litigieuse compatible avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, la Commission s’est fondée sur une base juridique erronée. La requérante estime en effet que, cette disposition ayant été introduite par le traité UE, qui est entré en vigueur le 1 er novembre 1993, l’aide litigieuse n’aurait pu être déclarée compatible avec le marché commun qu’à compter de cette date.

37. La requérante soutient que le principe de non-rétroactivité interdit d’appliquer un acte communautaire avant la date de son entrée en vigueur. Ce principe ne souffrirait que de très rares exceptions, notamment lorsque des dispositions transitoires sont expressément prévues ou lorsque cela ressort clairement de la finalité ou de l’économie de l’acte en question. Or la requérante fait valoir que le traité UE ne prévoit aucune disposition transitoire et que rien n’indique que les signataires du traité aient entendu donner à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE une portée rétroactive.

38. La requérante renvoie à la communication de la Commission du 22 mai 2002 sur la détermination des règles applicables à l’appréciation des aides d’État illégales (JO 2002, C 119, p. 22), qui confirmerait que la compatibilité avec le marché commun des aides versées illégalement doit, en règle générale, être appréciée « selon les critères de fond fixés dans tout instrument en vigueur à la date de leur octroi ».

39. La requérante estime que, si les aides non notifiées étaient évaluées au regard des dispositions en vigueur à la date de la décision de la Commission, et non à la date de leur octroi, il en résulterait une prime à l’illégalité, en faisant bénéficier rétroactivement une aide d’une décision de compatibilité qu’elle n’aurait pas pu obtenir si l’État membre concerné avait respecté l’article 88 CE et notifié l’aide à la Commission avant de l’octroyer.

40. En outre, la requérante affirme que la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE ne peut pas être considérée comme couverte par le même paragraphe, sous c). Elle rappelle que, dans la décision attaquée, la Commission a écarté l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE en l’espèce. De plus, la requérante fait valoir qu’une telle interprétation reviendrait à priver de toute portée la dérogation du paragraphe 3, sous d), introduite par le traité UE.

41. En défense, la Commission affirme qu’une situation juridique est régie par la législation en vigueur au moment où ladite situation a acquis un caractère définitif. En l’espèce, il conviendrait de se référer au moment où la décision statuant sur la compatibilité de l’aide litigieuse a été adoptée.

42. La Commission indique qu’il résulte des principes généraux du droit que, en règle générale, les lois nouvelles, y compris les dispositions des traités, s’appliquent aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne.

43. En tout état de cause, une application immédiate de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE s’imposerait compte tenu de la finalité et de l’économie de cette disposition. La Commission fait valoir qu’une décision sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun ne constitue pas une opération purement formelle nécessitant une base juridique précise. La Commission serait amenée à apprécier la contribution concrète de l’aide en cause à un objectif d’intérêt général, d’une part, et ses effets négatifs sur la concurrence, d’autre part. Dans le cadre de cette analyse, elle devrait seulement apprécier si, au moment de son examen, l’intérêt communautaire commande que l’aide soit restituée ou non, puisque, d’un point de vue économique, une aide illégale n’épuise pas ses effets à la date de son octroi, mais continue d’en produire tant que l’opérateur reste actif sur le marché.

44. La Commission précise que, si elle n’appliquait pas le nouveau critère de compatibilité immédiatement, sa décision irait à l’encontre d’un objectif dorénavant reconnu dans le traité. Or, elle estime qu’on ne saurait exiger la récupération d’une aide au seul motif que celle-ci aurait été versée trop tôt.

45. La Commission fait valoir que sa position a été confirmée par le Tribunal dans son arrêt du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission (T‑176/01, Rec. p. II‑3931).

46. La Commission considère que l’application d’une règle nouvelle à l’analyse d’une aide non notifiée ne constitue pas nécessairement une « prime à l’illégalité ». En effet, cette application immédiate pourrait jouer en défaveur de l’État membre, en cas de durcissement des critères de compatibilité.

47. Enfin, la Commission fait valoir qu’il n’existe aucun motif impératif de sécurité juridique justifiant le fait de limiter, en l’espèce, la portée dans le temps de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE.

48. À titre subsidiaire, la Commission soutient que la dérogation relative à l’objectif culturel, qui figure depuis 1993 à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, était antérieurement couverte par ce même paragraphe, sous c), et n’a été que mieux identifiée par l’ajout du paragraphe 3, sous d).

49. La République française fait sienne les arguments de la Commission.

Appréciation du Tribunal

50. Il ressort de l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée que l’aide litigieuse a été déclarée compatible avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. Cette dernière disposition constitue une dérogation à l’interdiction générale des aides d’État prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, introduite par le traité UE, dont l’entrée en vigueur a eu lieu le 1 er novembre 1993.

51. La requérante fait valoir en substance qu’une telle base juridique ne pouvait être utilisée pour déclarer l’aide compatible avec le marché commun en ce qui concerne la période allant de 1980 au 31 octobre 1993.

52. À cet égard, il convient de relever que, en règle générale, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que le point de départ de l’application dans le temps d’un acte communautaire soit fixé à une date antérieure à celle de sa publication, sauf lorsque, à titre exceptionnel, le but à atteindre l’exige et que la confiance légitime des intéressés est dûment respectée (arrêt de la Cour du 25 janvier 1979, Racke, 98/78, Rec. p. 69, point 20).

53. Ainsi, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, il n’en est pas de même des règles de fond (arrêt de la Cour du 12 novembre 1981, Meridionale industria salumi, 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9).

54. En effet, les règles communautaires de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué (voir arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 119, et la jurisprudence citée). Cette conclusion s’impose indépendamment des effets favorables ou défavorables que lesdites règles pourraient avoir pour l’intéressé (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 29 janvier 1985, Gesamthochschule Duisburg, 234/83, Rec. p. 327, point 20, et du 7 février 2002, Kauer, C‑28/00, Rec. p. I‑1343, point 20).

55. En revanche, la législation communautaire s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne (arrêts de la Cour du 10 juillet 1986, Licata/CES, 270/84, Rec. p. 2305, point 31, et du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p.  ‑1049, point 50).

56. Ces prémisses rappelées, il importe de constater que le traité UE ne prévoit pas de dispositions transitoires concernant l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. Par ailleurs, aucun élément de cette disposition ne permet de conclure qu’elle vise à régler des situations antérieures à la date de son entrée en vigueur. D’ailleurs, la Commission n’a pas indiqué, dans la décision attaquée, que l’application rétroactive de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE s’imposait en l’espèce compte tenu de la finalité ou de l’économie de ladite disposition, ni que cela ait été nécessaire pour le fonctionnement du système de contrôle exercé par la Commission vis-à-vis des aides accordées par les États membres. Elle n’a pas non plus soulevé d’arguments en ce sens dans le cadre de sa défense.

57. Partant, il convient uniquement d’examiner si le caractère compatible ou incompatible des aides litigieuses était définitivement acquis lors de l’adoption de la décision attaquée.

58. Or, toute aide nouvelle, non notifiée et déjà versée, est nécessairement incompatible avec le marché commun si elle est susceptible de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions durant la période au cours de laquelle elle a été versée et si elle ne relève d’aucune dérogation à l’interdiction générale des aides d’État prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE. En tout état de cause, une fois ses effets produits, le caractère compatible ou incompatible de l’aide en question avec le marché commun devient définitivement acquis. Tel est notamment le cas en l’espèce, l’aide litigieuse ayant été accordée et octroyée par la République française et utilisée par le CELF aux fins de compenser les surcoûts de traitement des petites commandes annuellement.

59. Partant, contrairement à ce que soutient la Commission, l’analyse de la compatibilité d’une aide versée et non notifiée avec le marché commun, notamment telle que celle en l’espèce, n’exige pas seulement d’apprécier si, au moment de l’adoption de la décision correspondante, l’intérêt communautaire commande que l’aide soit restituée ou non. En effet, la Commission doit aussi vérifier si, durant la période au cours de laquelle l’aide en question a été versée, ladite aide a été susceptible de fausser la concurrence.

60. La Commission dispose certes d’un large pouvoir d’appréciation pour admettre une aide au titre des dérogations à l’interdiction générale de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, l’appréciation, dans ces cas, de la compatibilité ou de l’incompatibilité avec le marché commun d’une aide d’État soulève des problèmes impliquant la prise en considération et l’appréciation de faits et de circonstances économiques complexes et susceptibles de se modifier rapidement (arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 15). Toutefois, cette marge d’appréciation ne saurait être utilisée en faisant abstraction du fait que c’est durant la période où l’aide en question a été versée illégalement qu’elle a pu fausser la concurrence de façon contraire à l’intérêt communautaire, tel qu’il était déterminé par le cadre normatif en vigueur.

61. Il en découle que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, à la période antérieure au 1 er novembre 1993, au lieu d’appliquer les règles de fond qui étaient en vigueur durant la période en cause.

62. Cette conclusion s’impose d’autant plus que, aux termes d’une jurisprudence constante, les dérogations au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché commun, énoncé à l’article 87, paragraphe 1, CE, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêts de la Cour du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission, C‑280/99 P à C‑282/99 P, Rec. p. I‑4717, point 40, et du Tribunal du 25 septembre 1997, UK Steel Association/Commission, T‑150/95, Rec. p. II‑1433, point 114). Cette interprétation stricte exige, elle aussi, de limiter l’application d’une dérogation en matière d’aides d’État à la période postérieure à son entrée en vigueur, à tout au moins si les aides en question ont déjà été versées.

63. C’est dans ce même esprit, s’agissant d’aides relevant du traité CECA et versées sans avoir été notifiées au préalable, que la Cour a jugé qu’appliquer les règles du code en vigueur à la date à laquelle la Commission prend une décision relative à la compatibilité d’aides qui ont été versées sous l’empire d’un code précédent conduit bien à une application rétroactive d’une réglementation communautaire (arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, point 118). La Cour a considéré qu’aucune disposition du code en vigueur à la date de l’adoption de la décision de la Commission n’établissait que ce code pouvait être appliqué rétroactivement. En outre, la Cour a estimé qu’il ressortait de l’économie et des finalités des codes successifs régissant les aides concernées que ces codes avaient été adoptés en fonction des besoins existant à une période donnée. Dès lors, l’application de règles adoptées à une certaine période, en fonction de la situation de celle-ci, à des aides versées au cours d’une période précédente ne correspondrait pas à l’économie et aux finalités de ce type de réglementation (arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, point 120).

64. En revanche, la situation d’espèce n’est pas comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Ferriere Nord/Commission, précité. En effet, ledit arrêt portait sur une aide qui n’avait pas été exécutée avant la décision de la Commission sur sa compatibilité. Partant, elle ne pouvait pas menacer la concurrence pour la période antérieure à l’adoption de ladite décision. En revanche, une aide ayant été versée avant que la Commission ne prenne une décision sur sa compatibilité avec le marché commun peut menacer et même fausser la concurrence pour la période antérieure à l’adoption de cette décision.

65. La conclusion selon laquelle l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE doit être écartée en l’espèce, ne saurait être infirmée par aucun des arguments additionnels de la Commission.

66. S’agissant de l’argument selon lequel aucun motif impérieux de sécurité juridique ne justifie de limiter en l’espèce la portée dans le temps de la disposition susvisée, il convient de rappeler que le droit communautaire doit garantir le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime en vertu desquels la législation communautaire doit être claire et prévisible pour les justiciables (voir, en ce sens, arrêt Meridionale industria salumi, précité, point 10). Or, la législation communautaire en matière d’aides d’État ne serait ni claire ni prévisible pour les justiciables, si une aide qui ne pouvait être considérée comme compatible entre 1980 et 1993, faute de dérogation à l’interdiction générale des aides d’État prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, valable pour cette période, pouvait être considérée compatible par la suite, si ladite dérogation était introduite. Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la Commission à cet égard.

67. S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel l’application d’une nouvelle règle à l’analyse d’une aide non notifiée ne constitue pas une prime à l’illégalité, il importe de constater que considérer qu’une aide non notifiée peut être déclarée compatible avec le marché commun en vertu d’une dérogation qui n’était pas en vigueur lors du versement de ladite aide reviendrait à avantager l’État membre l’ayant octroyée par rapport à d’éventuels États membres qui auraient voulu accorder une aide similaire et qui y auraient renoncé, faute d’une dérogation le permettant. De même, l’État membre en cause serait avantagé par rapport à tout autre État membre qui, désirant octroyer une aide pour la même période, l’aurait notifiée avant l’entrée en vigueur de la dérogation en question et, en conséquence, aurait obtenu de la Commission une décision constatant l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun. Cela constituerait une incitation à ce que les États membres ne notifient pas les aides qu’ils jugent incompatibles avec le marché commun, en l’absence de dérogation qui leur serait applicable, dans l’espoir qu’une telle dérogation puisse être adoptée par la suite. L’argument de la Commission ne saurait donc prospérer.

68. Enfin, il convient de rejeter l’argument subsidiaire de la Commission selon lequel les aides versées avant le 1 er novembre 1993 seraient en tout état de cause couvertes par la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

69. En effet, sans qu’il soit besoin d’examiner si la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE pouvait, avant l’entrée en vigueur du traité UE, constituer une base juridique suffisante pour admettre la compatibilité avec le marché commun d’une aide d’État destinée à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, il suffit de constater que la Commission ayant fait le choix de la base juridique qu’elle a jugée la plus appropriée en l’espèce, c’est-à-dire l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, c’est au regard de cette seule disposition qu’il y a lieu d’examiner la conformité au droit communautaire de la décision attaquée. D’ailleurs, la Commission elle-même ayant indiqué dans la décision attaquée (considérant 186) qu’elle s’attachait à vérifier la compatibilité de l’aide sur le marché de la commission à l’exportation au regard du seul article 87, paragraphe 3, sous d), CE, elle ne saurait invoquer l’application d’une disposition différente devant le Tribunal.

70. Il ressort de ce qui précède que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que l’aide litigieuse était compatible avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, en ce qui concerne la partie de l’aide versée au CELF avant la date d’entrée en vigueur du traité UE. Il y a donc lieu d’annuler l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée en ce qu’il vise la période antérieure au 1 er novembre 1993.

Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation

Arguments des parties

71. La requérante soutient que l’aide litigieuse est dépourvue de tout lien avec les petites commandes et serait uniquement une aide au fonctionnement allouée au CELF sans limitation de durée.

72. Selon la requérante, les petites commandes ne faisaient pas l’objet d’une définition lors de l’octroi de l’aide litigieuse. Une telle définition, précisant que les petites commandes sont celles d’une valeur inférieure à 500 FRF, n’aurait été introduite que dans le cadre de l’affaire T‑49/93. Au lieu d’être fixé au terme d’une analyse économique, le seuil de 500 FRF aurait été déterminé de manière empirique.

73. En ce qui concerne la pertinence de la définition susmentionnée, la requérante fait valoir que l’année 1994 aurait été choisie, en tant qu’année de référence, à dessein aux fins de justifier que le seuil de rentabilité soit de 500 FRF.

74. En tout état de cause, la requérante souligne qu’une analyse de la comptabilité analytique d’une seule année, même confortée par trois autres années, ne suffit pas pour déclarer compatible une aide versée pendant plus de vingt ans. Elle fait remarquer que la Commission n’a ni justifié le choix d’une seule année à titre de référence sur une période aussi longue, ni expliqué pourquoi la méthode utilisée en 1994 n’a pas été appliquée pour les autres années. Aucune méthode constante de calcul n’ayant été appliquée, l’aide litigieuse devrait être considérée comme une subvention de fonctionnement, allouée indépendamment des surcoûts engendrés par le traitement des petites commandes.

75. Quant à l’année 1994, la requérante soutient que la comptabilité analytique du CELF aurait été bâtie pour montrer artificiellement que l’aide versée avait été utilisée aux seules fins du traitement des petites commandes. Les coûts relatifs aux petites commandes auraient été majorés grâce à plusieurs artifices comptables, à savoir : les « coefficients multiplicateurs non justifiés », l’« absence de prise en compte des modalités concrètes d’exécution des commandes » et les « clés de répartition différentes ».

76. Premièrement, la requérante fait observer que les charges du CELF liées au traitement des petites commandes ont été évaluées en appliquant des coefficients multiplicateurs, variables d’une tâche à l’autre, au motif que le traitement des petites commandes était plus coûteux que celui des autres commandes. Or, selon la requérante, l’existence et la valeur des coefficients appliqués ne reposent sur aucune justification objective. En conséquence, un minimum de 9,12 % des coûts liés à d’autres activités du CELF, auraient été artificiellement attachés aux petites commandes.

77. Deuxièmement, la requérante considère que, même si l’application d’un coefficient multiplicateur était justifiée, cette application devrait être limitée aux commandes non télétransmises. La télétransmission réduirait considérablement les coûts du traitement et de la réception des commandes et supprimerait le plus souvent le recours au coursier, car la plupart des fournisseurs livrent eux-mêmes les commandes télétransmises.

78. Or, même si plus de deux tiers des petites commandes du CELF étaient traitées par télétransmission en 1994, la Commission n’aurait pas fait une distinction, dans la décision attaquée, entre les commandes télétransmises et celles sur support papier. Par conséquent, les charges relatives aux petites commandes auraient été majorées de 40 421 FRF (6 162,14 euros), en ce qui concerne les frais de coursier ; de 143 703 FRF (21 907,38 euros), en ce qui concerne les frais de réception ; de 235 567 FRF (35 911,96 euros), en ce qui concerne les frais liés à l’activité commerciale.

79. En outre, la requérante fait observer que le nombre des commandes télétransmises et celui des commandes sur support papier ont été inversés par les autorités françaises et ainsi transmis à la Commission. Contrairement à l’appréciation de la Commission, selon laquelle l’impact de cette inversion resterait modeste, la requérante estime que les conséquences ont été considérables.

80. Troisièmement, la requérante critique le choix des « clés de répartition » retenues dans la décision attaquée, c’est-à-dire les critères en fonction desquels les charges sont affectées au traitement des petites commandes et aux autres activités. Les frais de comptabilité et les frais de fournitures liés aux petites commandes auraient été calculés sur la base du nombre de factures émises (47 %) et non sur celle du nombre de livres délivrés (5 %). Pourtant, les autres frais de personnel administratif relatifs aux petites commandes ont été calculés en prenant comme référence le nombre de livres fournis. Or, le service de comptabilité ne se limiterait pas à émettre des factures.

81. La requérante conclut de tout ce qui précède que les coûts liés au traitement des petites commandes seraient considérablement inférieurs à ce que le CELF a présenté. Au total, les charges cumulées relatives aux petites commandes auraient été majorées, au minimum, de 1 384 222 FRF (211 023,28 euros) pour l’année de référence 1994.

82. Enfin, la requérante soutient que toute considération relative à une prétendue mission d’intérêt général du CELF serait irrecevable. D’une part, la qualification d’aide ne ferait pas l’objet du présent recours. D’autre part, ni l’article 86, paragraphe 2, CE, ni la jurisprudence Altmark (arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747), qui font appel à la notion de mission d’intérêt général, ne pourraient être appliqués en l’espèce.

83. La Commission rappelle que la décision attaquée est fondée sur des appréciations complexes d’ordre économique. Dans ces conditions, le contrôle juridictionnel se limiterait à vérifier le respect des règles de procédure et de motivation, l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits, ainsi que l’absence de détournement de pouvoir. La décision attaquée ne serait pas le résultat d’une démonstration mathématique, mais d’un examen global aux fins de savoir si les aides versées n’ont pas été disproportionnées et si elles n’ont pas entraîné une distorsion de la concurrence.

84. Quant aux prétendues erreurs manifestes d’appréciation, la Commission fait référence au large pouvoir dont elle dispose pour apprécier la compatibilité d’une aide au regard de l’article 87, paragraphe 3, CE. Elle est d’avis que le Tribunal a conclu, dans l’arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission (T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435), quant à l’évaluation faite par la Commission du plan de restructuration d’une entreprise en difficulté, que « ce n’est qu’en présence d’une erreur particulièrement manifeste et grave de la Commission dans l’appréciation d’un tel plan que le Tribunal pourrait censurer l’autorisation d’une aide d’État destinée à financer une telle restructuration ». Partant, le juge communautaire ne devrait pas substituer son appréciation, notamment sur le plan économique, à celle de la Commission.

85. Sur la base de ces considérations, la Commission estime que la charge de la preuve imposée à la requérante serait particulièrement lourde. Celle-ci devrait combattre la présomption de légalité dont bénéficie la décision attaquée en avançant des éléments susceptibles de mettre en doute les appréciations contenues dans la décision attaquée.

86. À cet égard, la Commission indique, d’une part, que l’objectif culturel de l’aide contestée n’aurait pas été mis en cause par la requérante, et, d’autre part, que les aides litigieuses ne surcompenseraient pas les coûts inhérents à l’activité en question, même si le dossier remis par les autorités françaises n’est pas exempt de faiblesses et ne garantit pas l’affectation de toutes les sommes au franc près.

87. La Commission estime, en effet, que, si les autorités françaises lui avaient notifié préalablement un dossier complet garantissant de façon absolue que les sommes versées compensaient strictement les surcoûts liés aux missions de service public assumées par le CELF, elle aurait pu conclure, en faisant référence à l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, qu’il n’existait pas d’aide d’État.

88. La Commission fait valoir que les éléments produits par la requérante afin de contester l’existence d’un lien suffisant entre l’aide versée et les petites commandes sont de nature très générale. Ces éléments tendraient à nier l’évidence, à savoir, que le traitement des petites commandes est plus coûteux que celui des commandes importantes. À cet égard, la Commission fait référence à un document, intitulé « CELF – rentabilité du CELF », qui détaillerait les causes des surcoûts liés au traitement des petites commandes, ces dernières représentant près de la moitié des commandes du CELF.

89. Premièrement, en ce qui concerne les prétendus artifices comptables, la Commission affirme que l’utilisation des coefficients multiplicateurs serait justifiée, car les charges de traitement par livre seraient, selon les autorités françaises, supérieurs, en moyenne d’environ 50 %, pour les petites commandes par rapport aux autres commandes. L’utilisation des coefficients multiplicateurs aurait été expliquée en détail dans une lettre du gouvernement français du 5 mars 1998.

90. Deuxièmement, quant à la prise en compte de la télétransmission, la Commission rappelle que la décision attaquée s’est fondée sur les informations transmises par les autorités françaises en 1998 et rectifiées en 2003. Le coût rectifié d’une petite commande était de 27,20 euros par livre et non plus de 27,44 euros par livre. À titre de comparaison, les frais liés aux commandes ordinaires s’élèveraient à 18,44 euros par livre.

91. La Commission fait valoir que chaque petite commande, télétransmise ou non, entraîne des frais supplémentaires. Par exemple, quand les livres sont stockés, une petite commande occuperait le même espace qu’une commande plus importante, ce qui n’aurait pas été mis en cause par la requérante.

92. De plus, le nombre moyen d’ouvrages par ligne serait presque deux fois inférieur dans le cas des petites commandes, ce qui augmenterait les coûts d’autant.

93. Troisièmement, en ce qui concerne les clés de répartition, la Commission considère que le nombre de factures est un meilleur critère pour calculer les frais de comptabilité liés aux petites commandes que le nombre de livres. En revanche, le nombre de livres serait plus pertinent pour les autres services. La Commission relève, par ailleurs, que l’argumentation de la requérante, s’agissant des artifices comptables du CELF, repose essentiellement (près des deux tiers des coûts ainsi rectifiés) sur cette critique non fondée des clés de répartition.

94. La République française fait valoir que le CELF a bénéficié de l’aide litigieuse en raison de sa mission d’intérêt général consistant à honorer les commandes non rentables passées par des librairies étrangères.

95. La République française estime que les prétendues erreurs relevées par la requérante ne remettraient pas en cause l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission dans la décision attaquée. Il serait déraisonnable de soutenir que le coût du traitement des petites commandes n’est pas largement supérieur à celui des autres commandes. La République française relève, enfin, qu’il n’y a pas forcément de lien entre les petites commandes et les petits éditeurs.

Appréciation du Tribunal

96. Il convient de rappeler que la Commission jouit, au titre de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 83). En particulier, il n’appartient pas au juge communautaire de substituer son appréciation économique à celle de l’auteur de la décision (arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 34).

97. Afin d’établir que la Commission a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée, les éléments de preuve apportés par la requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans la décision en cause (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 59, et du 1 er juillet 2004, Salzgitter/Commission, T‑308/00, Rec. p. II‑1933, point 138).

98. Or, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il appartient à la Commission de veiller à concilier les objectifs de libre concurrence et ceux de la dérogation, dans le respect du principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 54). Ainsi, il ne saurait être permis aux États membres d’effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la situation de l’entreprise bénéficiaire de l’aide sans être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l’article 87, paragraphe 3, CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, point 17).

99. En particulier, les aides au fonctionnement, à savoir les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle-même aurait dû normalement supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales, ne relèvent en principe pas du champ d’application de l’article 87, paragraphe 3, CE. En effet, ces aides, en principe, faussent les conditions de concurrence dans les secteurs où elles sont octroyées sans pour autant être capables, par leur nature même, d’atteindre un des buts fixés par les dispositions dérogatoires susmentionnées (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, précité, point 50 ; du 6 novembre 1990, Italie/Commission, C‑86/89, Rec. p. I‑3891, point 18, et du 15 mai 1997, Siemens/Commission, C‑278/95 P, Rec. p. I‑2507, point 37 ; arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T‑459/93, Rec. p. II‑1675, point 48).

100. C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la requérante est parvenue à démontrer que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’examen de la compatibilité de l’aide litigieuse avec le marché commun.

101. En l’espèce, l’aide litigieuse avait pour objet la diffusion de la langue et de la littérature françaises au moyen d’un mécanisme de compensation des surcoûts liés au traitement des petites commandes (considérants 44 et 45 de la décision attaquée).

102. Ainsi, la Commission a déclaré l’aide litigieuse compatible avec le marché commun après avoir mis en balance les objectifs de promotion de la culture française, d’une part, et ceux de sauvegarde de la libre concurrence, d’autre part. Elle a notamment pris en considération, à cet égard, que les aides octroyées par la France n’ont pas surcompensé les coûts inhérents au traitement des petites commandes.

103. Il importe donc d’examiner si, comme le soutient la requérante, la Commission a surévalué les coûts susvisés, de sorte que le montant des aides versées serait manifestement supérieur au coût inhérent au traitement des petites commandes et, dès lors, à la poursuite du seul objectif culturel couvert par la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE ayant été identifié par la Commission dans la décision attaquée.

104. À cet égard, la requérante fait valoir, en substance, deux arguments principaux. D’une part, elle estime que la Commission a commis une erreur en calculant les coûts directement liés aux petites commandes durant toute la période de versement des aides litigieuses sur la base d’une extrapolation des données relatives à la seule année 1994. D’autre part, la requérante fait valoir que le calcul des coûts pour l’année 1994 est, en tout état de cause, erroné.

105. Si le deuxième argument de la requérante était fondé, il ne serait pas nécessaire d’examiner le premier argument. En effet, la justesse des conclusions auxquelles est parvenue la Commission pour l’ensemble de la période litigieuse, à partir d’une extrapolation des données relatives à l’année 1994, est subordonnée à l’exactitude des conclusions relatives à cette dernière année. Partant, il convient de vérifier si la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’analyse des aides reçues par le CELF en 1994.

106. À cet égard, la requérante affirme, en substance, que les coûts directement liés au traitement des petites commandes ont été arbitrairement surévalués par la Commission par le biais de trois mécanismes, à savoir des coefficients multiplicateurs non justifiés, une prise en compte erronée des modalités concrètes d’exécution des commandes et des clefs de répartition incorrectes. La requérante estime que, de ce fait, une partie importante des charges liées à d’autres activités du CELF ont été affectées au traitement des petites commandes. La requérante en conclut que l’aide litigieuse a servi, en réalité, à financer le fonctionnement général du CELF.

107. Il convient de préciser que la Commission a calculé les coûts directement liés au traitement des petites commandes à partir des explications qui lui ont été fournies par la République française dans le cadre de la procédure d’examen de l’aide litigieuse. Elle a estimé sur la base de ces explications, au considérant 206 de la décision attaquée, que le coût du traitement des petites commandes en 1994 était de 4 446 706 FRF (677 895,96 euros), tandis que le chiffre d’affaires relatif à cette activité était de 2 419 006 FRF (368 775,09 euros). En conséquence, étant donné que la somme totale des aides litigieuses versées au CELF en 1994 était de 2 000 000 FRF (304 898,03 euros), la Commission a conclu que le résultat d’exploitation de l’activité des petites commandes était déficitaire de 27 700 FRF au cours de ladite année et que, partant, les aides reçues n’étaient pas susceptibles de surcompenser les coûts générés par cette activité (considérants 206 et 207 de la décision attaquée).

108. La Commission a expliqué davantage la manière dont elle a calculé les coûts directement liés au traitement des petites commandes dans l’annexe IV de la décision attaquée. Premièrement, cette annexe est composée d’un tableau contenant les différentes catégories de frais liés à l’activité de commission à l’exportation du CELF – tels que le coût d’achat des livres, les frais de personnel, les frais généraux, etc. – ainsi que les coûts qui, dans chacune de ces catégories, devaient, selon la Commission, être supportés par le CELF en raison du traitement des petites commandes. Deuxièmement, l’annexe en question contient des commentaires et des explications sur la manière dont certains de ces coûts ont été attribués au traitement des petites commandes et non aux autres activités du CELF.

109. Il ressort de l’annexe en question que la Commission n’a pas pris en compte les coûts effectifs du traitement des petites commandes. La Commission a, par contre, réalisé une estimation de ces coûts à partir des coûts totaux supportés par le CELF pour chaque catégorie. Pour ce faire, la Commission a affecté une partie des coûts totaux au traitement des petites commandes en fonction d’une clé de répartition prédéterminée et, comme l’indique la requérante, non nécessairement identique pour chaque catégorie. Ainsi, par exem ple, pour calculer le coût d’achat des livres relevant des petites commandes, la Commission a divisé le coût total des livres achetés par le CELF par le nombre de ces derniers. Elle a ensuite multiplié ce chiffre, correspondant au coût moyen par livre, par le nombre de livres ayant fait l’objet de petites commandes.

110. Il importe de souligner que la Commission a procédé différemment lorsqu’elle a calculé le chiffre d’affaires du CELF relevant de l’activité des petites commandes. Dans ce cas, elle ne s’est pas limitée à calculer le chiffre d’affaires moyen par livre et à le multiplier par le nombre de livres affectés à l’activité en question, mais elle a pris en compte le chiffre d’affaires réel.

111. Il convient de noter que, si la Commission avait calculé le chiffre d’affaires relevant de l’activité des petites commandes selon la méthode qu’elle a utilisée pour calculer le coût d’achat des livres relevant de cette activité, le chiffre d’affaires résultant aurait été très supérieur à celui calculé dans la décision attaquée, ce qui aurait eu une répercussion sur la qualification d’excédentaire ou non de l’aide litigieuse par rapport au but culturel couvert par la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE ayant été identifié par la Commission dans la décision attaquée. En effet, il ressort de cette dernière, notamment des tableaux 3 a), 3 b) et 3 c), ainsi que du tableau 4, que le prix réel moyen des livres vendus dans le cadre de l’activité des petites commandes est très inférieur au prix réel moyen des livres vendus par le CELF.

112. Néanmoins, le Tribunal estime qu’il convient de continuer l’analyse de la décision attaquée en faisant abstraction de la considération précédente.

113. Il ressort également de l’annexe IV de la décision attaquée que, pour certaines catégories de coûts, la Commission a multiplié par un coefficient déterminé le chiffre calculé selon la méthode décrite dans le point 110 afin d’établir le coût définitif attribué aux petites commandes. Ainsi, les coûts regroupés sous les rubriques « Réception (des ouvrages) main-d’oeuvre directe » et « Service commercial main‑d’œuvre directe » ont été calculés à partir du coût moyen par livre pour chacune de ces rubriques. Ce coût moyen par livre a été multiplié par le nombre de livres ayant fait l’objet de petites commandes. Puis, ce chiffre a été encore multiplié par trois pour calculer le coût définitif lié au traitement des petites commandes pour la rubrique en question.

114. Selon la Commission, l’application du facteur multiplicateur « trois » est justifiée par les difficultés supplémentaires qu’entraîne le traitement des petites commandes par rapport aux autres activités du CELF.

115. En effet, la Commission a estimé que ces coûts devaient être majorés pour les petites commandes, dans la mesure où, quel que soit le montant d’une commande, l’opérateur qui la traite doit nécessairement répéter, pour chaque commande, un certain nombre d’opérations matérielles. La Commission est d’avis que les coefficients multiplicateurs permettent de prendre en compte les coûts supplémentaires inhérents aux petites commandes.

116. En particulier, en ce qui concerne la rubrique « Réception (des ouvrages) main-d’œuvre directe », la Commission a justifié dans l’annexe IV de la décision attaquée l’application d’un coefficient multiplicateur « trois » par le fait que la réception des ouvrages provenant des grands éditeurs ou distributeurs est automatisée grâce au code EAN, qui permet la reconnaissance de l’ouvrage par lecture optique. Elle a souligné que, à l’inverse, il est fréquent que les ouvrages publiés par les petits éditeurs ne comportent pas de code-barres, ce qui entraîne une reconnaissance manuelle. Par ailleurs, elle a fait valoir que les grands éditeurs livraient les clients parisiens moyennant une participation aux frais de transports fixés par l’interprofession, qui était de 0,75 FRF/kg (0,11 euros/kg), alors que le prix payé aux coursiers est de 6,5 FRF/kg (0,99 euros/kg) pour les paquets utilisés pour les ouvrages provenant de petits distributeurs. Or, cette dernière indication ne peut que concerner la catégorie de frais de transport des achats et de coursier pour laquelle, comme on le verra ci-après (point 128), aucun facteur multiplicateur n’aurait dû être appliqué, au moins en partie, tel qu’il ressort de la lettre des autorités françaises à la Commission du 11 mars 2003.

117. En ce qui concerne les coûts regroupés sous la rubrique « Service commercial main-d’œuvre directe », la Commission a justifié l’application d’un facteur multiplicateur « trois » dans l’annexe IV de la décision attaquée par le traitement plus lourd qu’impliqueraient les petites commandes au niveau de l’administration des ventes. La Commission a expliqué ce choix en soulignant que, par exemple, dans l’hypothèse où il existe des difficultés liées à la codification des commandes, des travaux supplémentaires sont nécessaires. De même, la Commission a indiqué que la saisie de la commande s’accompagne de recherches préalables, à savoir ISBN, catalogue des éditeurs, banques de données diverses, vérification de la disponibilité (ou non) de l’ouvrage, validation de l’adéquation commande/éditeur. Elle a expliqué à cet égard que, en cas de difficultés liées à la qualité du bon de commande, des coûts supplémentaires sont engendrés. Elle a ajouté que ces difficultés apparaissent plus souvent lorsqu’il s’agit de petites commandes, étant donné que les grandes librairies, dont le chiffre d’affaires réalisé avec le CELF est important, utilisent généralement des outils performants leur permettant de rationaliser leur gestion et, notamment, de transmettre des commandes comportant des indications claires d’identification. En revanche, selon la Commission, les petites librairies n’utilisent pas toujours les moyens modernes du commerce international et leurs commandes sont parfois difficiles à déchiffrer et incomplètes, ce qui implique des coûts additionnels de traitement.

118. En ce qui concerne la catégorie des frais généraux, incluant notamment les coûts de téléphone, de télex, les frais sur encaissements, etc., l’annexe IV de la décision attaquée ne permet pas de déterminer si les coûts attribués aux petites commandes ont été calculés sur la base du coût moyen par livre vendu, comme dans le cas des frais de personnel, sur la base du chiffre d’affaires réalisé dans le cadre des petites commandes, comme dans le cas de certains frais fixes indirects isolés, ou bien sur la base du coût moyen par facture émise, comme dans le cas des frais généraux comprenant les coûts de fourniture administrative. Or, il ressort clairement de ladite annexe que le résultat de cette opération, quelles que soient les modalités de celle-ci, a été multiplié par un coefficient 2,5.

119. La Commission a justifié l’application du coefficient susvisé, dans l’annexe IV de la décision attaquée, par le fait que les coûts liés au téléphone varient en fonction de multiples facteurs, notamment des « réponses clients » et des « recherches éditeurs ». Elle a ajouté que ces coûts concernaient plusieurs opérations, dont la réception du bon de commande du libraire, la codification de la commande, la saisie de la commande et la comptabilité, qui a pour mission d’enregistrer l’ensemble des flux relatifs aux opérations décrites.

120. Il convient donc de vérifier si, comme le fait valoir la requérante, à supposer que les clés de répartition entre les petites commandes et le reste des activités du CELF pour les différentes catégories de coûts supportés par celui-ci soient correctes, le choix desdits coefficients multiplicateurs est arbitraire et si, en tout état de cause, la Commission devait s’abstenir d’appliquer ces coefficients multiplicateurs aux commandes télétransmises.

121. Aux termes des explications fournies par la Commission et la requérante dans leurs mémoires et lors de l’audience, une commande télétransmise est celle reçue par un moyen électronique, ce qui facilite son traitement ultérieur par rapport à une commande sur support papier, cette dernière devant être retraitée par un employé pour son adaptation à un système administratif, à l’heure actuelle informatisé.

122. L’importance de la télétransmission des commandes a été soulignée pendant la procédure d’examen de l’aide litigieuse. Ainsi, dans une annexe à la lettre de la République française à la Commission du 5 mars 1998, intitulée « Justification du caractère proportionné de la subvention », les autorités françaises ont fait valoir que l’absence de télétransmission constituait un surcoût indéniable dans le traitement d’une commande. Partant, les autorités françaises ont fait valoir que l’une des circonstances justifiant que le traitement des petites commandes implique un surcoût par rapport au traitement des autres commandes était que, souvent, elles sont adressées à de petits éditeurs avec lesquels les procédures automatiques par télétransmission ne sont pas possibles. Les autorités françaises ont indiqué, enfin, que la télétransmission permettait une reconnaissance de chaque ouvrage par lecture optique.

123. De même, comme il a été indiqué (voir points 114 à 119 ci-dessus), dans l’annexe IV de la décision attaquée et, en particulier, aux points 2, 4 et 9 des commentaires et explications, la Commission a justifié, à plusieurs reprises, l’utilisation des coefficients multiplicateurs par le fait que, souvent, les petites commandes nécessitent un traitement manuel, étant donné que la réception des ouvrages n’est pas automatisée ou exige des recherches préalables liées à des défauts de codification. De même, pour justifier l’utilisation d’un coefficient pour les frais généraux – téléphone, télex et frais sur encaissement –, la Commission a invoqué le fait que des opérations supplémentaires étaient nécessaires pour les codifier.

124. Or, il est manifestement incohérent de soutenir que l’absence de télétransmission est une source de surcoûts et, en même temps, d’appliquer un coefficient multiplicateur identique aux commandes télétransmises et aux commandes non télétransmises.

125. En fait, il ne serait acceptable d’appliquer un facteur multiplicateur aux coûts générés par le traitement des petites commandes, eu égard à l’absence de télétransmission, que si la télétransmission était nettement moins répandue parmi les petites commandes que parmi les autres commandes. Une telle hypothèse ressort de l’annexe à la lettre de la République française à la Commission du 5 mars 1998, intitulée « Justification du caractère proportionné de la subvention ». En effet, les autorités françaises ont informé la Commission que seulement un tiers des petites commandes étaient télétransmises, tandis que la télétransmission des autres commandes du CELF était effectuée à hauteur de 58 %. Ces chiffres ont servi de base à l’analyse du coût du traitement des petites commandes effectuée par la Commission.

126. Or, comme la Commission l’a admis dans la décision attaquée (considérant 212), les autorités françaises, dans la lettre précitée du 5 mars 1998, ont inversé le pourcentage des commandes télétransmises et celui des commandes non télétransmises. Les chiffres réels pour les petites commandes étaient de deux tiers de commandes télétransmises et d’un tiers de commandes non télétransmises. Force est donc de constater que, en 1994, la télétransmission était nettement plus répandue dans l’activité de traitement des petites commandes que dans les autres activités du CELF, comme les autorités françaises l’ont admis et fait savoir à la Commission par lettre du 11 mars 2003.

127. La Commission a néanmoins considéré, dans la décision attaquée (considérant 212), que l’erreur des autorités françaises, reprise dans ses propres calculs, n’avait pas eu de conséquences de nature à remettre en cause la proportionnalité de l’aide litigieuse, puisque l’incidence financière de l’inversion des commandes télétransmises et de celles non télétransmises représentait la modique somme de 0,24 euro par livre. Cette conclusion reprend les explications fournies par les autorités françaises dans l’annexe 1 à la lettre à la Commission du 11 mars 2003. Aux termes de ces explications, une seule catégorie de coûts, à savoir celle des coursiers, était concernée par ladite inversion, dans la mesure où un coefficient multiplicateur aurait été – indûment – appliqué aux coûts attribués aux petites commandes.

128. Or, comme la requérante l’a fait valoir lors de l’audience, la position de la Commission consistant, d’une part, à reprendre à son compte les calculs fournis par les autorités françaises, dans leur lettre du 5 mars 1998 – lesquels, en substance, partaient de la prémisse que le faible taux de télétransmission des petites commandes était responsable, dans une grande mesure, du surcoût du traitement de celles-ci –, et, d’autre part, à admettre et à faire sienne la position des autorités françaises, énoncée dans la lettre du 11 mars 2003, selon laquelle le fait que deux tiers, au lieu d’un tiers, des petites commandes étaient télétransmises n’aurait qu’un effet négligeable sur le caractère proportionnel de l’aide litigieuse est manifestement incohérente.

129. La position de la Commission est aussi manifestement erronée. En effet, ainsi que cela ressort clairement de l’annexe IV de la décision attaquée, tant le prétendu faible taux de télétransmission des petites commandes que les difficultés de traitement de celles-ci, en principe largement résolues grâce à la télétransmission, ont été utilisés comme éléments de justification pour l’application des divers coefficients multiplicateurs. L’argument selon lequel l’inversion des pourcentages relatifs à la télétransmission des petites commandes n’aurait joué un rôle qu’en ce qui concerne les frais de coursier manque donc en fait.

130. Il convient de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en appliquant, à son estimation initiale des coûts liés au traitement des petites commandes, des coefficients multiplicateurs dont la justification est tirée des difficultés techniques supplémentaires de traitement, qui pourraient être résolues grâce à la télétransmission. Tel a été manifestement le cas en ce qui concerne les coûts de réception des ouvrages, de main-d’œuvre directe du service commercial, de téléphone, de télex et de frais sur encaissements. Eu égard à la teneur des réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal, tel a été également le cas en ce qui concerne les coûts de coursiers.

131. Afin de vérifier l’impact que cette erreur a eu sur l’appréciation du caractère non excédentaire de l’aide litigieuse portée par la Commission dans la décision attaquée, le Tribunal a demandé à cette dernière de lui fournir un calcul des coûts liés aux petites commandes en l’absence de coefficients multiplicateurs.

132. La Commission n’a pas répondu à cette question par l’indication d’un chiffre exact. Cependant, il ressort manifestement de sa réponse que, en l’absence desdits coefficients, les coûts liés au traitement des petites commandes auraient été minorés de plus de 635 000 FRF (96 805,13 euros), même sans prendre en compte les catégories de coûts autres que celles pour lesquelles un coefficient « trois » a été appliqué.

133. Partant, en l’absence d’application des coefficients multiplicateurs, la Commission n’aurait pas pu établir, sur la base des chiffres qu’elle a utilisés à l’annexe IV de la décision attaquée, que l’aide reçue par le CELF n’était pas de nature à surcompenser les coûts générés par le traitement des petites commandes. En effet, sans l’application des coefficients multiplicateurs, le résultat d’exploitation de cette activité aurait été positif de plus de 600 000 FRF.

134. En tout état de cause, il convient de constater que, même si la Commission pouvait appliquer un coefficient multiplicateur aux catégories de coûts cités au point 130 ci-dessus, elle aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en appliquant lesdits coefficients multiplicateurs également aux commandes télétransmises, étant donné que celles-ci ne se heurtent manifestement pas aux difficultés qui ont été invoquées comme justification principale desdits coefficients multiplicateurs.

135. En conséquence, force est de constater que, en tout état de cause, les deux tiers de la majoration des coûts résultant de l’application des coefficients multiplicateurs procèdent d’une appréciation manifestement erronée.

136. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que la Commission a surévalué les coûts inhérents au traitement des petites commandes, réellement supportés par le CELF et censés être strictement et proportionnellement compensés par l’aide litigieuse.

137. En vertu de ce qui précède, la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’examen de la compatibilité de l’aide litigieuse, doit être accueillie.

138. Partant, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments et moyens de la requérante, il y a lieu d’annuler l’article 1 er , dernière phrase, de la décision attaquée.

Sur les dépens

139. Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

140. La République française supportera ses propres dépens, en application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1) L’article 1 er , dernière phrase, de la décision de la Commission du 20 avril 2004 relative à l’aide mise à exécution par la France en faveur de la Coopérative d’exportation du livre français (CELF) est annulé.

2) La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Société internationale de diffusion et d’édition SA (SIDE).

3) La République française supportera ses propres dépens.