ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 avril 2008 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Approbation de la Commission sur le fondement du traité CE – Entreprise sidérurgique – Articles 4, sous c), CA, 67 CA et 95 CA – Traité CECA – Traité CE – Codes des aides à la sidérurgie – Application concomitante – Incompatibilité de l’aide – Notification obligatoire des aides octroyées – Absence de notification à la Commission – Défaut de réaction prolongé de la Commission – Décision de restitution – Principe de sécurité juridique – Protection de la confiance légitime – Droits de la défense – Obligation de motivation»

Dans l’affaire C-408/04 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 16 septembre 2004,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et M. Niejahr, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Salzgitter AG, représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, Rechtsanwälte,

partie demanderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma et W.-D. Plessing ainsi que par Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, A. Tizzano et L. Bay Larsen, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, M. M. Ilešič, Mme P. Lindh et M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 février 2007,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 septembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2004, Salzgitter/Commission (T‑308/00, Rec. p. II‑1933, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement annulé sa décision 2000/797/CECA, du 28 juin 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par l’Allemagne en faveur de Salzgitter AG, de Preussag Stahl AG et des filiales sidérurgiques du groupe, aujourd’hui regroupées sous la dénomination de Salzgitter AG – Stahl und Technologie (SAG) (JO L 323, p. 5, ci-après la «décision litigieuse»). Par un pourvoi incident, Salzgitter AG (ci‑après «Salzgitter») demande l’annulation partielle de l’arrêt attaqué.

 Le cadre juridique et factuel

2        Aux points 1 à 5 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé le cadre juridique dans les termes suivants:

«1      L’article 4 CA dispose:

‘Sont reconnu[e]s incompatibles avec le marché commun du charbon et de l’acier et, en conséquence, sont aboli[e]s et interdit[e]s dans les conditions prévues au présent traité, à l’intérieur de la Communauté:

[…]

c)      les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit.’

2      L’article 67 CA prévoit:

‘1.      Toute action d’un État membre susceptible d’exercer une répercussion sensible sur les conditions de la concurrence dans les industries du charbon et de l’acier doit être portée à la connaissance de la Commission par le gouvernement intéressé.

2.      Si une telle action est de nature, en élargissant substantiellement, autrement que par variation des rendements, les différences de coûts de production, à provoquer un déséquilibre grave, la Commission, après consultation du Comité consultatif et du Conseil, peut prendre les mesures suivantes:

–        si l’action de cet État comporte des effets dommageables pour les entreprises de charbon ou d’acier relevant de la juridiction dudit État, la Commission peut l’autoriser à leur octroyer une aide dont le montant, les conditions et la durée sont fixées en accord avec elle. […]

–        si l’action de cet État comporte des effets dommageables pour les entreprises de charbon ou d’acier relevant de la juridiction des autres États membres, la Commission lui adresse une recommandation en vue d’y remédier par les mesures qu’il estimera les plus compatibles avec son propre équilibre économique.

[…]’

3      L’article 95, premier et deuxième alinéas, CA énonce:

‘Dans tous les cas non prévus au présent traité, dans lesquels une décision ou une recommandation de la Commission apparaît nécessaire pour réaliser dans le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier et conformément aux dispositions de l’article 5 l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont définis aux articles 2, 3 et 4, cette décision ou cette recommandation peut être prise sur avis conforme du Conseil, statuant à l’unanimité et après consultation du Comité consultatif.

La même décision ou recommandation, prise dans la même forme, détermine éventuellement les sanctions applicables.’

4      Afin de répondre aux exigences de la restructuration du secteur de la sidérurgie, la Commission s’est fondée sur les dispositions de l’article 95 CA pour mettre en place, à partir du début des années 80, un régime communautaire autorisant l’octroi d’aides d’État à la sidérurgie dans certains cas limitativement énumérés. Ce régime a fait l’objet d’adaptations successives, en vue de faire face aux difficultés conjoncturelles de l’industrie sidérurgique. Les décisions successivement adoptées à cet égard sont communément appelées ‘codes des aides à la sidérurgie’.

5      Le 18 décembre 1996, la Commission a adopté la décision n° 2496/96/CECA instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 338, p. 42), laquelle constitue le sixième code des aides à la sidérurgie [(ci-après le ‘sixième code des aides à la sidérurgie’)]. Cette décision était applicable du 1er janvier 1997 au 22 juillet 2002.»

3        Les antécédents du litige ont ensuite été rappelés par le Tribunal, aux points 6 à 11 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants:

«6      Salzgitter […] est un groupe opérant dans le secteur sidérurgique qui regroupe Preussag Stahl AG et d’autres entreprises actives dans le même secteur.

7      En Allemagne, le Zonenrandförderungsgesetz (loi allemande visant à contribuer au développement de la zone le long de la frontière avec l’ex-République démocratique allemande et l’ex‑République tchécoslovaque, ci-après le ‘ZRFG’) a été adopté le 5 août 1971 et approuvé, ainsi que ses modifications intervenues par la suite, par [décision de] la Commission [(ci‑après la ‘décision de 1971’)], après examen des mesures qu’il prévoit à la lumière de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) et de l’article 93 du traité CE (devenu article 88 CE). Les dernières modifications du ZRFG ont été approuvées par la Commission en tant qu’aides d’État compatibles avec le traité CE (JO 1993, C 3, p. 3). Le ZRFG a définitivement expiré en 1995.

8      Depuis l’origine, l’article 3 du ZRFG prévoyait des incitations fiscales sous forme d’amortissements dérogatoires (‘Sonderabschreibungen’) et de réserves exonérées d’impôt (‘steuerfreie Rücklagen’) pour les investissements réalisés dans tout établissement d’une entreprise situé le long de la frontière avec l’ex-République démocratique allemande ou l’ex-République tchécoslovaque […]. Les amortissements dérogatoires consistaient en la possibilité d’inscrire dans le bilan de la société une quantité d’amortissements, au titre des investissements subventionnables, plus élevée, par rapport au droit commun, la ou les premières années suivant lesdits investissements de l’entreprise en cause. Cela entraînait pour l’entreprise une assiette d’impôt réduite et donc davantage de liquidités pour la ou les premières années suivant les investissements, en lui procurant un avantage de trésorerie. Un avantage similaire était également acquis par l’entreprise par le truchement des réserves exonérées d’impôt. Les amortissements dérogatoires et les réserves exonérées d’impôt n’étaient toutefois pas cumulables.

9      Par lettre du 3 mars 1999, la Commission a, après avoir découvert dans les comptes annuels de Preussag Stahl AG, une des sociétés de [...] Salzgitter [...], que de multiples aides lui avaient été accordées entre 1986 et 1995, sur la base de l’article 3 du ZRFG, informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 6, paragraphe 5, du sixième code des aides à la sidérurgie à l’égard des aides attribuées par l’Allemagne à Preussag Stahl AG et aux autres filiales sidérurgiques [de] Salzgitter [...]. Par ladite décision, publiée le 24 avril 1999 au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 113, p. 9), la Commission a invité les intéressés à présenter leurs observations sur les aides en cause.

10       Dans le cadre de la procédure administrative, la Commission a reçu les commentaires des autorités allemandes, par lettre du 10 mai 1999, ainsi que les observations du seul tiers intéressé intervenu, la UK Steel Association, qu’elle a transmises à la République fédérale d’Allemagne.

11       Le 28 juin 2000, la Commission a adopté la [décision litigieuse], en vertu de laquelle les amortissements dérogatoires et les réserves exonérées d’impôt, prévus par l’article 3 du ZRFG et dont a bénéficié [Salzgitter] pour une base subventionnable de respectivement 484 millions et 367 millions de marks allemands, ont été qualifiés d’aides d’État incompatibles avec le marché commun. Conformément aux articles 2 et 3 de la décision [litigieuse], la Commission a ordonné à la République fédérale d’Allemagne de récupérer lesdites aides auprès de leur bénéficiaire et l’a invitée à indiquer les conditions précises de leur récupération.»

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 septembre 2000, Salzgitter a introduit un recours en annulation dirigé contre la décision litigieuse.

5        Par ordonnance du 29 mars 2001, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de Salzgitter.

6        Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la Commission avait appliqué à bon droit l’article 4, sous c), CA aux aides octroyées à Salzgitter, à l’exclusion de l’article 67 CA.

7        Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a notamment précisé, aux points 111 à 115 de l’arrêt attaqué, que les articles 4, sous c), CA et 67 CA visent deux domaines distincts, l’article 67 CA ne relevant pas de la matière des aides d’État, et que les incertitudes liées aux évolutions du régime juridique des aides non spécifiques au secteur du charbon et de l’acier, lors de l’adoption successivement des trois premiers codes des aides à la sidérurgie n’étaient pas susceptibles de modifier son interprétation.

8        Le Tribunal a, par ailleurs, rejeté comme non fondés les arguments de Salzgitter relatifs à l’interprétation erronée par la Commission de la notion d’aide d’État et de l’article 95 CA ainsi qu’au défaut de motivation de la décision litigieuse.

9        En revanche, le Tribunal a estimé que la Commission ne pouvait, sans méconnaître le principe de sécurité juridique, demander la restitution des aides versées à Salzgitter entre 1986 et 1995 et a annulé les articles 2 et 3 de la décision litigieuse relatifs à l’obligation de récupération par la République fédérale d’Allemagne des aides d’État visées par cette décision.

10      Pour parvenir au constat de la violation du principe de sécurité juridique, le Tribunal a, au point 174 de l’arrêt attaqué, estimé que la situation qui découlait de l’adoption des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie avait créé une situation juridique ambiguë quant à la portée de la décision de 1971 et celle de l’obligation de notification des aides octroyées à Salzgitter postérieurement à l’adoption dudit troisième code, en application de l’article 6 de ce dernier.

11      Le Tribunal a ensuite, au point 179 de l’arrêt attaqué, constaté que la Commission avait eu connaissance des aides versées à Salzgitter en vertu du ZRFG du fait de la transmission par Salzgitter de son rapport d’activité et de ses comptes annuels pour les années 1987/1988.

12      Le Tribunal en a déduit, au point 180 de l’arrêt attaqué, que la situation d’incertitude et de défaut de clarté, cumulée au défaut de réaction prolongé de la Commission, nonobstant sa connaissance des aides dont avait bénéficié Salzgitter, avait créé, en méconnaissance du devoir de diligence incombant à cette institution, une situation de caractère équivoque qu’il appartenait à la Commission de clarifier avant de pouvoir prétendre entreprendre toute action visant à ordonner la restitution des aides déjà versées. Le Tribunal a dès lors estimé, au point 182 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait, sans méconnaître le principe de sécurité juridique, demander la restitution des aides versées à Salzgitter entre 1986 et 1995.

13      Dans ces circonstances, le Tribunal a estimé inutile de se prononcer sur le calcul du montant des aides visées par la décision litigieuse.

 Les conclusions des parties

14      Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de renvoyer le litige devant le Tribunal et de condamner Salzgitter aux dépens.

15      Salzgitter conclut au rejet du pourvoi et, par un pourvoi incident, à l’annulation de l’arrêt attaqué, dans la mesure où celui-ci a partiellement rejeté son recours, ainsi qu’à l’annulation de l’article 1er de la décision litigieuse qui qualifie d’«aides d’État» les amortissements dérogatoires et les réserves exonérées d’impôt dont elle a bénéficié en application du ZRFG. Elle conclut également à la condamnation de la Commission aux dépens des deux instances.

16      La République fédérale d’Allemagne conclut au rejet du pourvoi de la Commission, à l’annulation de l’arrêt attaqué, dans la mesure où il a partiellement rejeté le recours de Salzgitter, et à l’annulation de l’article 1er de la décision litigieuse.

 Sur le pourvoi incident

17      Si la Cour accueille le pourvoi incident formé par Salzgitter, il n’y aura pas lieu de se prononcer sur le pourvoi principal qui aura perdu tout objet. Il convient dès lors d’examiner le pourvoi incident en premier lieu.

 Sur le premier moyen

18      Par son premier moyen, subdivisé en trois branches, Salzgitter fait valoir une violation des articles 4, sous c), CA et 67 CA.

 Sur la première branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

19      Par la première branche du premier moyen, Salzgitter estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait soumis à bon droit les aides visées par la décision litigieuse à l’article 4, sous c), CA et non à l’article 67 CA (arrêts du 10 mai 1960, Compagnie des hauts fourneaux et fonderies de Givors e.a./Haute Autorité, 27/58 à 29/58, Rec. p. 501, 523; du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 1, 47, et du 20 septembre 2001, Banks, C-390/98, Rec. p. I‑6117, point 88).

20      Selon Salzgitter, il ne résulterait pas de l’arrêt du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, Rec. p. 523), que les aides non spécifiques au secteur du charbon et de l’acier auraient déjà été interdites par l’article 4, sous c), CA avant l’adoption du premier code des aides à la sidérurgie.

21      Le gouvernement allemand développe des arguments analogues à ceux de Salzgitter.

22      Il fait également valoir que le traité CECA n’a créé qu’une intégration partielle limitée au secteur du charbon et de l’acier.

23      Il souligne que, compte tenu de l’interprétation large de la notion d’«aide d’État» figurant à l’article 87 CE, également retenue à l’égard de la notion d’«aide» visée à l’article 4, sous c), CA (arrêt du 1er décembre 1998, Ecotrade, C‑200/97, Rec. p. I‑7907), l’application de l’article 4, sous c), CA à des aides telles que celles visées par la décision litigieuse aurait pour effet de priver l’article 67 CA de tout effet utile.

24      La non-application de l’article 4, sous c), CA aux aides qui ne sont pas exclusivement octroyées à des entreprises sidérurgiques n’affaiblirait pas le contrôle des aides d’État par la Commission, puisque les articles 87 CE, 88 CE et 67 CA s’appliquent à leur égard. Une interdiction de ces aides restreindrait, de manière illégale, le champ d’application des exemptions prévues à l’article 87, paragraphe 3, sous a) à e), CE.

25      Le même gouvernement fait valoir que les termes «sous quelque forme que ce soit» utilisés à l’article 4, sous c), CA visent uniquement à distinguer la notion même d’aide d’État des modalités d’octroi des aides et ne permettent pas d’étendre l’application de cette disposition à des aides telles que celles visées par la décision litigieuse.

26      Il considère que l’arrêt Commission/France, précité, consacre l’application de l’article 67 CA aux aides non spécifiques au secteur du charbon et de l’acier et qu’il a été confirmé par les arrêts du 6 juillet 1971, Pays‑Bas/Commission (59/70, Rec. p. 639), et Banks, précité.

27      Il estime que la République fédérale d’Allemagne a satisfait à ses obligations de notification en ayant notifié le ZRFG à la Commission au titre des articles 87 CE et 88 CE et souligne que cet État membre n’était pas soumis à une obligation d’information en vertu de l’article 67, paragraphe 1, CA dans la mesure où le ZRFG n’était pas susceptible d’exercer une répercussion sensible sur les conditions de la concurrence dans les industries du charbon ou de l’acier au sens de cette dernière disposition.

28      La Commission soutient, pour sa part, que la jurisprudence invoquée par Salzgitter prévoit en réalité que l’article 67 CA est applicable non pas aux aides d’État, mais aux seules mesures générales que les États membres peuvent adopter dans le cadre de leur politique économique et sociale ou aux mesures sectorielles qui ne concernent pas spécifiquement les industries sidérurgique ou charbonnière. Selon elle, l’article 4, sous c), CA s’applique en revanche aux aides même lorsqu’elles ont un caractère général (voir, notamment, arrêt De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, précité).

29      La Commission estime que le gouvernement allemand retient une interprétation erronée de la jurisprudence parce qu’il omet de distinguer entre les mesures générales et les régimes d’aides globalement applicables et que la Cour ne s’est jamais référée, dans les arrêts qu’il invoque, à des régimes d’aides généraux.

30      Elle souligne que, en tout état de cause, même si l’article 67 CA était applicable en l’espèce, elle n’avait pas été informée par la République fédérale d’Allemagne, conformément à l’article 67, paragraphe 1, CA, de son intention d’appliquer le ZRFG aux entreprises du secteur sidérurgique et que cet État membre ne pouvait se prévaloir d’une autorisation, même implicite, à l’égard des aides visées par la décision litigieuse sur le fondement de cette disposition.

–       Appréciation de la Cour

31      Il y a lieu, tout d’abord, de relever que, si l’article 4, sous c), CA interdit les aides d’État aux entreprises sidérurgiques et charbonnières, sans distinguer selon qu’il s’agit d’une aide individuelle ou d’une aide versée en application d’un régime d’aides d’État, l’article 67 CA ne se réfère expressément aux aides d’État qu’au titre des mesures de sauvegarde susceptibles d’être autorisées par la Commission, en vertu du paragraphe 2, premier tiret, de cet article, au bénéfice d’entreprises sidérurgiques et charbonnières, lorsque ces dernières subissent des désavantages concurrentiels du fait de mesures de politique économique générale.

32      Ensuite, il résulte d’une jurisprudence constante que les articles 4 CA et 67 CA visent deux domaines distincts, le premier abolissant et interdisant certaines interventions des États membres dans le domaine que le traité CECA soumet à la compétence communautaire, le second tendant à parer aux atteintes à la concurrence que l’exercice des pouvoirs conservés par les États membres ne peut manquer d’entraîner (voir arrêt Banks, précité, point 88 et jurisprudence citée). La Cour en déduit que l’article 67 CA couvre les mesures générales que les États membres peuvent adopter dans le cadre de leur politique économique et sociale et les mesures prises par les États membres et applicables à d’autres secteurs que les industries du charbon ou de l’acier, mais qui sont susceptibles d’exercer une répercussion sensible sur les conditions de concurrence dans lesdites industries (arrêt Banks, précité, point 88).

33      La Cour a également jugé que les interventions visées à l’article 67 CA ne peuvent être celles que l’article 4 CA déclare incompatibles avec le marché commun du charbon et de l’acier, abolies et interdites sous quelque forme que ce soit (arrêt De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, précité, page 44). La Cour a notamment souligné qu’il ne saurait en effet être admis que les rédacteurs du traité CECA ont décidé à l’article 4, sous c), CA que les subventions ou les aides accordées par les États membres sous quelque forme que ce soit étaient abolies et interdites, pour déclarer ensuite à l’article 67 CA que, sans même avoir été autorisées par la Commission, ces aides pouvaient être admises, sous réserve des mesures recommandées par celle-ci pour en atténuer ou en corriger les conséquences (arrêt De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, précité, page 43).

34      La Cour a également précisé que l’article 67, paragraphe 2, premier tiret, CA, qui permet, par dérogation à l’article 4 CA, l’octroi d’aides d’État au titre de mesures de sauvegarde aux entreprises visées à l’article 80 CA, ne distingue pas entre les aides spécifiques au secteur du charbon et de l’acier et celles qui s’appliquent à celui-ci par l’effet d’une mesure générale (arrêt Commission/France, précité, point 43). La Cour a ainsi jugé qu’un taux de réescompte préférentiel à l’exportation constitue une aide qui devait, en l’espèce, être autorisée par la Commission en application de l’article 67, paragraphe 2, CA, dans la mesure où elle concernait le secteur couvert par le traité CECA (voir arrêt Commission/France, précité, point 44).

35      Enfin, une aide d’État octroyée à une entreprise relevant du traité CECA emporte des effets anticoncurrentiels identiques qu’il s’agisse d’une aide individuelle ou d’une aide octroyée en application d’un régime d’aides d’État non spécifique au secteur du charbon et de l’acier.

36      Eu égard aux précisions qui précèdent, il convient, par conséquent, de considérer que l’article 4, sous c), CA s’applique aux aides d’État versées à des entreprises sidérurgiques et charbonnières en application d’un régime d’aides d’État qui n’est pas spécifique au secteur du charbon et de l’acier.

37      Contrairement à ce qui est allégué par le gouvernement allemand, cette interprétation ne porte pas atteinte à l’effet utile de l’article 67 CA. En effet, des mesures de politique générale peuvent être susceptibles d’exercer une répercussion sensible sur les conditions de la concurrence dans les industries du charbon ou de l’acier au sens de l’article 67, paragraphe 1, CA, sans pour autant être constitutives d’aides d’État.

38      En l’espèce, il est constant que Salzgitter est une entreprise relevant du traité CECA et que les aides visées par la décision litigieuse ne constituent pas des mesures de sauvegarde relevant de l’article 67, paragraphe 2, premier tiret, CA.

39      Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission avait considéré à bon droit que l’article 4, sous c), CA, et non l’article 67 CA, s’appliquait aux aides visées par la décision litigieuse.

40      Dès lors, la première branche du premier moyen ne saurait prospérer et doit être rejetée.

 Sur la deuxième branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

41      Par la deuxième branche du premier moyen, Salzgitter estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait soumis à bon droit les aides visées par la décision litigieuse à l’article 4, sous c), CA et non à l’article 67 CA, dans la mesure où la Commission n’était pas compétente pour étendre, dans le cadre d’un code des aides à la sidérurgie, le champ d’application de l’article 4, sous c), CA.

42      Salzgitter considère que l’article 95, paragraphes 1 et 2, CA ne fournit pas un fondement juridique suffisant pour une telle modification du traité CECA et qu’il aurait fallu respecter la procédure visée à l’article 96 CA, dans son ancienne version, ou, à tout le moins, la procédure de «petite révision du traité» prévue à l’article 95, troisième et quatrième alinéas, CA (avis 1/59, du 17 décembre 1959, Rec. p. 533).

43      La Commission fait valoir qu’il n’a été procédé à aucune révision du traité CECA, le libellé de l’article 4, sous c), CA étant resté inchangé depuis le 23 juillet 1952.

–       Appréciation de la Cour

44      Au regard de la réponse donnée à la première branche du premier moyen, il y a lieu de considérer que la deuxième branche de celui-ci est non fondée, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre de ladite première branche, et qu’elle doit, dès lors, être rejetée.

 Sur la troisième branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

45      Par la troisième branche du premier moyen, Salzgitter soutient que, aux points 112 et suivants de l’arrêt attaqué, le Tribunal a présenté la pratique décisionnelle de la Commission de manière erronée. Elle estime que c’est dès l’entrée en vigueur du traité CECA, et non pas au début des années 70, que la Commission a considéré que l’article 4, sous c), CA s’appliquait uniquement aux aides spécifiques au secteur du charbon et de l’acier (voir, en ce sens, le rapport publié par la Haute Autorité de la CECA en 1963, intitulé «Le Traité CECA de 1952 à 1962»). Elle fait également valoir l’existence d’une pratique divergente de la Commission, s’agissant de l’interprétation des articles 4, sous c), CA et 67 CA, à l’égard des aides versées aux entreprises charbonnières par rapport à celles versées aux entreprises sidérurgiques.

46      La Commission estime que le fait qu’elle a défendu un point de vue différent, avant l’adoption du troisième code des aides à la sidérurgie, est sans importance pour les aides accordées à Salzgitter, parce que ce point de vue n’a été inscrit dans aucun acte individuel susceptible de devenir définitif adressé à cette entreprise avant le 1er janvier 1986, date d’entrée en vigueur dudit troisième code.

–       Appréciation de la Cour

47      Il convient de constater que l’analyse de la pratique décisionnelle de la Commission à l’égard des aides octroyées aux entreprises soumises au traité CECA ne saurait avoir d’incidence sur l’interprétation qu’il appartient au Tribunal de donner des articles 4, sous c), CA et 67 CA.

48      Il s’ensuit que la troisième branche du premier moyen doit être écartée comme inopérante.

49      Le premier moyen du pourvoi incident doit dès lors être rejeté dans son intégralité.

 Sur le second moyen

–       Argumentation des parties

50      Par son second moyen, Salzgitter fait valoir que le Tribunal a violé les articles 5, quatrième tiret, CA et 15, premier alinéa, CA en rejetant le moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse.

51      Salzgitter estime, en effet, que la Commission a omis d’expliquer l’évolution de sa conception juridique à l’égard des champs d’application respectifs des articles 4, sous c), CA et 67 CA ainsi que les raisons pour lesquelles son appréciation divergeait, en l’espèce, de sa pratique décisionnelle dans le secteur du charbon ou dans des affaires similaires.

52      Le gouvernement allemand souligne que l’évolution de la conception juridique de la Commission à l’égard de l’article 4, sous c), CA impliquait une motivation plus détaillée de la décision litigieuse.

53      La Commission fait valoir que sa pratique a changé dès l’édiction du troisième code des aides à la sidérurgie et que celui-ci est suffisamment motivé sur ce point. Elle se réfère, en particulier, au point I, troisième et quatrième alinéas, des motifs de ce troisième code. Elle réfute l’existence d’une obligation de motivation particulière, estimant que son obligation d’information en la matière n’obéit qu’aux articles 95, premier alinéa, CA et 15, troisième alinéa, CA.

–       Appréciation de la Cour

54      Salzgitter soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse n’était pas fondé et devait être rejeté.

55      Il s’agit d’une question de droit soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix, C‑166/95 P, Rec. p. I‑983).

56      Selon une jurisprudence constante relative à l’article 253 CE et qui peut être transposée à l’application de l’article 15 CA, la motivation d’un acte faisant grief doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, Rec. p. I‑6717, point 73 et jurisprudence citée).

57      Au point 184 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que le contrôle juridictionnel qu’il avait exercé dans le cadre des trois premiers moyens invoqués par Salzgitter démontrait, à suffisance, que l’obligation de motivation avait été respectée par la décision litigieuse.

58      La décision litigieuse précise, en effet, de manière claire et non équivoque, à son point 66, l’analyse par laquelle la Commission justifie l’application de l’article 4, sous c), CA aux aides en cause. Aux points 67 à 76 et 126 à 133 de cette décision, la Commission expose, en outre, dans le détail, les règles spécifiques prévues par les codes des aides à la sidérurgie en vigueur depuis 1986.

59      Dès lors, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que la décision litigieuse respectait l’obligation de motivation.

60      Le second moyen du pourvoi incident tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse est, par conséquent, non fondé et doit être rejeté.

61      Il y a lieu, partant, de rejeter le pourvoi incident.

 Sur le pourvoi principal

62      Par son premier moyen, divisé en six branches, la Commission fait valoir la violation de l’article 4, sous c), CA ainsi que des troisième, quatrième et sixième codes des aides à la sidérurgie. Par son second moyen, elle invoque une violation de ses droits de la défense.

 Sur le second moyen

–       Argumentation des parties

63      Par son second moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu dès lors qu’il met en cause la régularité de l’arrêt attaqué, la Commission fait valoir que le Tribunal a violé les droits de la défense en estimant que l’adoption successivement des trois premiers codes des aides à la sidérurgie avait créé une situation juridique ambiguë sans la mettre en mesure de présenter ses arguments sur ce point.

64      Elle souligne que les questions qui lui avaient été posées par le Tribunal dans une lettre du 28 juillet 2003 ne suggéraient pas qu’une telle absence de clarté juridique pouvait lui être reprochée.

65      Salzgitter fait valoir que l’absence de clarté juridique du fait de l’adoption successivement des trois premiers codes des aides à la sidérurgie était mentionnée au point 114 de sa requête et que la Commission avait, dès lors, eu l’occasion de présenter son argumentation sur ce point.

66      Elle fait également valoir que le Tribunal n’a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure, dès lors qu’il s’est fondé sur les faits tels que présentés par Salzgitter dans ses écritures qui tendaient à démontrer l’existence d’une violation du principe de sécurité juridique (arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission, C-110/03, Rec. p. I‑2801, point 27).

–       Appréciation de la Cour

67      En l’espèce, il ressort du dossier, et tout particulièrement des réponses aux questions écrites posées par le Tribunal dans sa lettre du 28 juillet 2003, que la Commission a eu l’occasion de préciser l’évolution de la réglementation applicable aux aides versées aux entreprises sidérurgiques en vertu d’un régime général lors de l’adoption successivement des trois premiers codes des aides à la sidérurgie et de se prononcer sur la portée juridique, dans le cadre du traité CECA, d’une décision d’autorisation adoptée en vertu de l’article 88 CE. La Commission a également précisé, dans ce cadre, que l’article 6 du troisième code des aides à la sidérurgie prévoyait une obligation de notification des aides versées à Salzgitter en vertu du ZRFG.

68      Dans ces conditions, l’allégation de la Commission selon laquelle le Tribunal ne l’aurait pas mise en mesure de discuter cette question doit être écartée.

69      Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le second moyen de la Commission comme non fondé.

 Sur le premier moyen

70      Par son premier moyen, la Commission met en cause l’analyse du Tribunal relative à une violation du principe de sécurité juridique à deux points de vue. Elle soutient, en premier lieu, que les règles applicables aux aides en cause étaient parfaitement claires et, en second lieu, qu’elle n’avait pas réagi de manière tardive à l’égard de ces aides. Il en résulte, selon elle, que l’analyse d’ensemble faite par le Tribunal pour annuler la partie de la décision litigieuse qui ordonne la récupération desdites aides est erronée en droit.

71      La Commission soutient aussi que le Tribunal a commis une erreur de droit en admettant que le bénéficiaire d’une aide puisse se prévaloir d’une violation du principe de sécurité juridique.

 En ce qui concerne la clarté du régime juridique applicable aux aides en cause

–       Argumentation des parties

72      La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la situation juridique résultant de l’application concomitante du traité CECA, du traité CE et des différents codes des aides à la sidérurgie était incertaine et équivoque.

73      La Commission conteste, tout d’abord, l’analyse du Tribunal selon laquelle l’adoption des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie se serait traduite par un retrait de l’autorisation de la Commission donnée dans la décision de 1971 pour le ZRFG.

74      La Commission soutient que l’autorisation contenue dans cette décision, adoptée sur le fondement du traité CEE, ne pouvait pas avoir d’effets dans le cadre du traité CECA et que les aides aux entreprises sidérurgiques prévues par le ZRFG étaient interdites avant la publication du premier code des aides à la sidérurgie (arrêt Commission/France, précité, points 41 à 44). Elle estime que ce n’est qu’en vertu de ce code que l’autorisation accordée par la décision de 1971 et celles qui ont suivi ont été déclarées applicables aux entreprises sidérurgiques et que cette autorisation générale, temporaire, a expiré le 31 décembre 1981, date à laquelle ledit code a cessé d’être en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C-74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, points 115 et 116).

75      La Commission fait également valoir que l’article 67 CA n’est pas applicable aux aides d’État et que l’article 4, sous c), CA interdit les aides «sous quelque forme que ce soit». Elle considère également que la République fédérale d’Allemagne ne l’a pas informée des aides versées à Salzgitter et que cet État membre ne peut, dès lors, prétendre qu’elle les a autorisées sur le fondement de l’article 67 CA.

76      La Commission conteste, ensuite, l’analyse du Tribunal selon laquelle l’adoption des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie se serait traduite par une ambiguïté supplémentaire du fait de l’incertitude quant à l’application de l’article 6 dudit troisième code, qui prévoit l’obligation de notification des aides d’État, aux aides versées à des entreprises du secteur sidérurgique en vertu du ZRFG, dès lors que ce régime d’aides a déjà fait l’objet d’une autorisation dans le cadre du traité CE.

77      Elle considère que l’article 6 du troisième code des aides à la sidérurgie prévoit de manière dépourvue d’ambiguïté l’obligation de notification des régimes d’aides déjà autorisés par la Commission au titre du traité CE pour leur application aux entreprises sidérurgiques et que la distinction entre les aides nouvelles et les aides existantes n’est pas pertinente dans le cadre du traité CECA, qui prévoit l’abolition immédiate et sans exception de toutes les aides d’État.

78      Salzgitter estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit et que la Commission aurait dû, dans les deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie, ou dans toute autre communication, faire part de la modification de son interprétation de l’article 4, sous c), CA (arrêt du 29 avril 2004, Commission/Kvaerner Warnow Werft, C‑181/02 P, Rec. p. I‑5703, point 41). Elle fait notamment valoir que les nombreuses autorisations du ZRFG par la Commission, sur le fondement du traité CE, ont fait naître une confiance légitime dans la légalité de cette législation.

79      Salzgitter estime que l’article 4, sous c), CA n’est pas applicable aux mesures générales des États membres concernant l’ensemble des secteurs de l’économie telles que le ZRFG, ce que la Commission avait confirmé au premier considérant des premier et deuxième codes des aides à la sidérurgie. Elle estime que la Commission a procédé à une application rétroactive de l’article 4, sous c), CA contraire au droit communautaire de nature à contrarier ses décisions d’investissement à long terme (voir, en ce sens, arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, point 119) et que la pratique décisionnelle de la Commission dans le secteur houiller, consistant à appliquer l’article 67 CA à des aides non spécifiques audit secteur, conforte cette analyse.

80      Salzgitter fait valoir que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’article 6 du troisième code des aides à la sidérurgie ne permettait pas de déterminer si l’application des règles fiscales prévues par le ZRFG à des entreprises sidérurgiques devait désormais faire l’objet d’une notification au titre du traité CECA malgré l’autorisation précédemment accordée par la Commission en tant que régime d’aides dans le cadre du traité CE.

81      Salzgitter souligne que l’application du ZRFG aux entreprises sidérurgiques ne constituait pas, en tout état de cause, un «projet» de nature à «tendre à instituer ou à modifier des aides» au sens de cet article, puisque l’aide aux régions limitrophes prévue par le ZRFG a joué bien avant l’entrée en vigueur du troisième code des aides à la sidérurgie.

82      Salzgitter souligne également que l’article 6 du troisième code des aides à la sidérurgie ne s’appliquait pas aux aides octroyées lors de la mise en œuvre du ZRFG, parce que celles-ci, prises en application d’un régime d’aides autorisé, constituaient des aides existantes (arrêt du 5 octobre 1994, Italie/Commission, C‑47/91, Rec. p. I‑4635).

83      Salzgitter considère que, en notifiant le ZRFG à la Commission en 1971 dans le cadre du traité CEE, la République fédérale d’Allemagne l’avait en tout état de cause porté à la connaissance de la Commission conformément à l’article 67 CA et que, par l’autorisation des mesures fiscales notifiées au titre du traité CE, la Commission avait implicitement déclaré que la mesure en cause n’exerçait aucune «répercussion sensible sur les conditions de la concurrence» dans les industries du charbon ou de l’acier au sens de l’article 67, paragraphe 1, CA.

84      Le gouvernement allemand soutient, en substance, la même argumentation que Salzgitter.

–       Appréciation de la Cour

85      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il est jugé au point 39 du présent arrêt, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que les aides visées par la décision litigieuse relevaient de l’interdiction prévue à l’article 4, sous c), CA.

86      Par conséquent, la République fédérale d’Allemagne ne saurait se prévaloir d’une prétendue autorisation implicite de la Commission à l’égard de ces aides sur le fondement de l’article 67 CA.

87      S’agissant du raisonnement du Tribunal selon lequel la Commission aurait partiellement retiré, à partir des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie, la décision de 1971 de ne pas s’opposer à l’application du ZRFG, ce qui aurait entraîné une incertitude sur le régime juridique de celui-ci, il convient de rappeler que l’article 305, paragraphe 1, CE prévoit que «les dispositions du […] traité [CE] ne modifient pas celles du traité [CECA], notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier».

88      Il en résulte que les traités CE et CECA sont autonomes et que le traité CE ainsi que le droit dérivé édicté sur son fondement ne sauraient produire d’effets dans le champ d’application du traité CECA (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 1982, France e.a./Commission, 188/80 à 190/80, Rec. p. 2545, point 31). Les dispositions du traité CE ne s’appliquent qu’à titre subsidiaire, en l’absence de réglementation spécifique dans le traité CECA (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1987, Deutsche Babcock, 328/85, Rec. p. 5119, points 6 à 14).

89      Par conséquent, en interdisant, à l’article 1er du troisième code des aides à la sidérurgie, tant les aides spécifiques au secteur de l’acier que les aides non spécifiques audit secteur, la Commission n’a pas pu procéder à un retrait implicite de la décision de 1971.

90      S’agissant du constat du Tribunal selon lequel l’adoption des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie se serait traduite par une ambiguïté du fait de l’incertitude quant à la question de savoir si l’application ultérieure du ZRFG devait être notifiée en tant que «projet» au sens de l’article 6 dudit troisième code, il convient, tout d’abord, de constater que cet article prévoit expressément l’obligation d’informer la Commission des projets tendant à appliquer au secteur sidérurgique des régimes d’aides à l’égard desquels elle s’est déjà prononcée sur le fondement des dispositions du traité CE.

91      De plus, à la différence du traité CE, le traité CECA n’opère pas de distinction entre les aides nouvelles et les aides existantes, l’article 4, sous c), CA interdisant purement et simplement les aides accordées par les États membres sous quelque forme que ce soit.

92      La Cour a également jugé que la compatibilité d’aides avec le marché commun ne saurait, dans le contexte des codes des aides à la sidérurgie, être appréciée qu’au regard des règles en vigueur à la date à laquelle elles sont effectivement versées (arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, point 117).

93      Il en résulte, ainsi que le soutient la Commission, que l’article 6 du troisième code des aides à la sidérurgie prévoyait de manière claire et non équivoque l’obligation de notification à la Commission des aides susceptibles d’être octroyées à Salzgitter en application du ZRFG dès l’entrée en vigueur dudit code.

94      Par conséquent, en jugeant, d’une part, que l’adoption du troisième code des aides à la sidérurgie avait procédé à un retrait partiel implicite de l’autorisation du ZRFG résultant de la décision de 1971 et, d’autre part, que l’article 6 de ce code ne permettait pas de déterminer clairement si l’application du ZRFG postérieurement à l’adoption dudit code relevait de l’obligation de notification des «projets» prévue par cet article, le Tribunal a commis des erreurs de droit.

 En ce qui concerne le délai de réaction de la Commission

–       Argumentation des parties

95      La Commission conteste qu’elle ait eu connaissance de l’application du ZRFG à Salzgitter avant le début de l’année 1998 et qu’elle ait, dès lors, tardé à réagir.

96      La Commission fait valoir que les entreprises bénéficiaires d’une aide ne peuvent avoir une confiance légitime dans la régularité de cette dernière que si elle a été notifiée, un opérateur économique diligent étant normalement en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée (arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C-24/95, Rec. p. I‑1591, point 25), et que la solution retenue par le Tribunal porte atteinte à la sécurité juridique et favorise les bénéficiaires d’aides illégales.

97      Salzgitter et le gouvernement allemand soutiennent que le cas de figure présenté par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Alcan Deutschland, précité, est différent, car il s’agit ici non pas de savoir si un opérateur économique a pu à bon droit se fier à la régularité d’actes d’une autorité nationale, mais de déterminer si la Commission a ou non agi en temps utile.

–       Appréciation de la Cour

98      Pour prononcer l’annulation de la partie de la décision litigieuse relative à l’obligation pour la République fédérale d’Allemagne de récupérer les aides perçues par Salzgitter, le Tribunal a encore considéré que la Commission avait eu connaissance de ces aides dès la fin de l’année 1988 et que, dès lors qu’elle n’avait pas réagi avant 1998, elle avait, en prenant cette décision, violé le principe de sécurité juridique.

99      Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si le Tribunal a pu, à bon droit, considérer que la Commission avait eu connaissance des aides en cause dès la fin de l’année 1988, ce qui est contesté par cette dernière, il y a lieu de constater que le raisonnement suivi par l’arrêt attaqué en ce qui concerne la violation du principe de sécurité juridique est erroné.

100    Il est vrai que la Cour a jugé que, même en l’absence de délai de prescription fixé par le législateur communautaire, l’exigence fondamentale de sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 21, ainsi que, à l’égard des aides d’État relevant du traité CECA, arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, points 140 et 141).

101    À cet égard, il convient de rappeler que, pour ce qui concerne les aides d’État qui relèvent du traité CE, l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), prévoit que, lorsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, elle les examine sans délai.

102    Par ailleurs, l’article 15 du règlement n° 659/1999 prévoit que la récupération des aides illégales est enfermée dans un délai de prescription de dix ans à compter du jour où elles ont été accordées. Ainsi qu’il est dit au quatorzième considérant de ce règlement, ce délai de prescription est institué pour des raisons de sécurité juridique.

103    S’il est vrai que ces règles ne trouvent pas à s’appliquer telles quelles dans le champ d’application du traité CECA, elles s’inspirent, dans le domaine des aides d’État, de l’exigence fondamentale de sécurité juridique. Il en résulte que, même dans les cas où le législateur communautaire n’aurait pas expressément fixé de délai de prescription, la Commission ne peut retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs.

104    Toutefois, il ne doit pas être perdu de vue que la notification des aides d’État est un élément central du dispositif communautaire de leur contrôle et que les entreprises qui bénéficient de ces aides ne peuvent se prévaloir d’une confiance légitime dans leur régularité si celles-ci n’ont pas été accordées dans le respect de cette procédure (arrêt Alcan Deutschland, précité, point 25).

105    Il convient, en outre, de prendre en considération le fait que le régime prévu par le traité CECA concernant les aides d’État se distingue, par son caractère particulièrement strict, de celui qui relève du traité CE (voir, à cet égard, arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, points 101 et 102).

106    Il en résulte que, lorsque, dans le cadre du traité CECA, une aide a été accordée sans être notifiée, le retard mis par la Commission à exercer ses pouvoirs de contrôle et à ordonner la récupération de cette aide n’entache cette décision de récupération d’illégalité que dans des cas exceptionnels qui traduisent une carence manifeste de la Commission et une violation évidente de son obligation de diligence.

107    Partant, si le Tribunal a pu valablement juger que le bénéficiaire d’une aide d’État peut invoquer le principe de sécurité juridique à l’appui d’un recours en annulation d’une décision qui impose la récupération de cette aide, il a fait une fausse application de ce principe, dans l’affaire portée devant lui, en ne recherchant pas si la Commission avait fait preuve d’une carence manifeste et d'une violation évidente de son obligation de diligence dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle, qui sont seuls de nature, dans des cas exceptionnels, à entacher d'illégalité une décision de la Commission qui ordonne la récupération, dans le cadre du traité CECA, d'une aide non notifiée.

108    Il résulte de ce qui précède que le pourvoi principal doit être accueilli et qu’il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il prononce l’annulation des articles 2 et 3 de la décision litigieuse.

 Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal

109    Il résulte du présent arrêt que le Tribunal a jugé à bon droit dans l’arrêt attaqué que Salzgitter a perçu des aides illégales au regard du traité CECA, mais qu’en revanche ce dernier arrêt est entaché d’une erreur de droit en tant qu’il prononce l’annulation de la partie de la décision litigieuse qui ordonne la récupération des aides en cause.

110    Dès lors, il appartient au Tribunal, d’une part, de se prononcer sur la question de savoir si la Commission a, dans les circonstances de l’espèce, fait preuve d’une carence manifeste et d'une violation évidente de son obligation de diligence et, d’autre part, le cas échéant, d’examiner les autres moyens sur lesquels il avait pu légalement se dispenser de statuer, dès lors qu’il avait prononcé l’annulation des articles 2 et 3 de la décision litigieuse, moyens tirés, respectivement, de ce que la Commission aurait à tort regardé certains investissements comme relevant du traité CECA, de ce qu’une partie des aides en cause aurait dû être regardée comme des aides en faveur de la protection de l’environnement et de ce que le taux d’actualisation déterminant retenu aurait été erroné.

111    Ces différents aspects du litige impliquent, en effet, l’examen de questions de fait complexes sur la base d’éléments qui n’ont pas été appréciés par le Tribunal ni débattus devant la Cour, ce dont il résulte que l’affaire n’est pas, sur ces points, en état d’être jugée.

112    L’affaire doit dès lors être renvoyée devant le Tribunal.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi incident est rejeté.

2)      L'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes, du 1er juillet 2004, Salzgitter/Commission (T‑308/00), est annulé en tant qu’il annule les articles 2 et 3 de la décision 2000/797/CECA de la Commission, du 28 juin 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par l’Allemagne en faveur de Salzgitter AG, de Preussag Stahl AG et des filiales sidérurgiques du groupe, aujourd’hui regroupées sous la dénomination de Salzgitter AG – Stahl und Technologie (SAG), et fixe les dépens.

3)      L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.

4)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure:l’allemand