Affaires jointes C-338/04, C-359/04 et C-360/04

Procédures pénales

contre

Massimiliano Placanica e.a.

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

le Tribunale di Larino et par le Tribunale di Teramo)

«Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Interprétation des articles 43 CE et 49 CE — Jeux de hasard — Collecte de paris sur des événements sportifs — Exigence d'une concession — Exclusion d'opérateurs constitués sous certaines formes de sociétés de capitaux — Exigence d'une autorisation de police — Sanctions pénales»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 16 mai 2006 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 6 mars 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions

(Art. 43 CE et 49 CE)

2.     Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions

(Art. 43 CE et 49 CE)

3.     Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions

(Art. 43 CE et 49 CE)

1.     Une réglementation nationale qui interdit l'exercice d'activités de collecte, d'acceptation, d'enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en l'absence de concession ou d'autorisation de police délivrées par l'État membre concerné, constitue une restriction à la liberté d'établissement ainsi qu'à la libre prestation des services prévues respectivement aux articles 43 CE et 49 CE.

L'objectif visant à lutter contre la criminalité en assujettissant les opérateurs actifs dans ce secteur à un contrôle et en canalisant les activités de jeux de hasard dans les circuits ainsi contrôlés est susceptible de justifier ces entraves, un système de concessions pouvant, à cet égard, constituer un mécanisme efficace.

Toutefois, il incombe aux juridictions nationales de vérifier si, dans la mesure où elle limite le nombre d'opérateurs agissant dans le secteur des jeux de hasard, ladite réglementation nationale répond véritablement à cet objectif. De même, il appartient aux juridictions nationales de vérifier si ces restrictions sont propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre et sont appliquées de manière non discriminatoire.

(cf. points 49, 52, 57-58, disp. 1-2)

2.     Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui exclut du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés. En effet, indépendamment de la question de savoir si l'exclusion des sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés s'applique, en fait, de la même manière aux opérateurs établis dans l'État membre concerné et à ceux provenant d'autres États membres, cette exclusion totale va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visant à éviter que les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard ne soient impliqués dans des activités criminelles ou frauduleuses.

(cf. points 62, 64, disp. 3)

3.     Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui impose une sanction pénale à des personnes pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris en l'absence de concession ou d'autorisation de police exigées par la législation nationale lorsque ces personnes n'ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison du refus de cet État membre, en violation du droit communautaire, de les leur accorder.

Si, en principe, la législation pénale relève de la compétence des États membres, le droit communautaire impose toutefois des limites à cette compétence, une telle législation ne pouvant, en effet, restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit communautaire. En outre, un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l'accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l'État membre concerné en violation du droit communautaire.

(cf. points 68-69, 71, disp. 4)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 mars 2007 (*)

«Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Interprétation des articles 43 CE et 49 CE – Jeux de hasard – Collecte de paris sur des événements sportifs – Exigence d’une concession – Exclusion d’opérateurs constitués sous certaines formes de sociétés de capitaux – Exigence d’une autorisation de police – Sanctions pénales»

Dans les affaires jointes C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Tribunale di Larino (Italie) (C‑338/04) et par le Tribunale di Teramo (Italie) (C‑359/04 et C‑360/04), par décisions des 8 et 31 juillet 2004, parvenues à la Cour respectivement les 6 et 18 août 2004, dans les procédures pénales contre

Massimiliano Placanica (C‑338/04),

Christian Palazzese (C‑359/04),

Angelo Sorricchio (C‑360/04),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et K. Lenaerts, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann (rapporteur), G. Arestis, A. Borg Barthet et M. Ilešič, juges,

avocat général: M. D. Ruiz‑Jarabo Colomer,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mars 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour MM. Placanica et Palazzese, par Me D. Agnello, avvocatessa,

–       pour M. Sorricchio, par Mes R. A. Jacchia, A. Terranova, I. Picciano et F. Ferraro, avvocati,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de MM. A. Cingolo et F. Sclafani, avvocati dello Stato (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04),

–       pour le gouvernement belge, initialement par Mme D. Haven, puis par M. M. Wimmer, en qualité d’agents, assistés de Mes P. Vlaemminck et S. Verhulst, advocaten (C‑338/04),

–       pour le gouvernement allemand, par M. C.‑D. Quassowski et Mme C. Schulze‑Bahr, en qualité d’agents (C‑338/04),

–       pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04),

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot‑Nunes, en qualité d’agents (C‑338/04),

–       pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d’agent (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04),

–       pour le gouvernement portugais, par M. L. I. Fernandes et Mme A. P. Barros, en qualité d’agents (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04), assistés de Me J. L. da Cruz Vilaça, advogado (C‑338/04),

–       pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent (C‑338/04),

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, en qualité d’agent (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04),

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE.

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées contre MM. Placanica, Palazzese et Sorricchio pour non‑respect de la législation italienne régissant la collecte de paris. Elles s’insèrent dans des cadres juridiques et factuels semblables à ceux ayant donné lieu aux arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti (C‑67/98, Rec. p. I‑7289), et du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. (C‑243/01, Rec. p. I‑13031).

 Le cadre juridique

3       La législation italienne prescrit, en substance, que la participation à l’organisation de jeux de hasard, y compris la collecte de paris, est soumise à l’obtention d’une concession et d’une autorisation de police. Toute infraction à cette législation est passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à une peine d’emprisonnement de trois ans.

 Les concessions

4       L’attribution des concessions pour l’organisation de paris sur des événements sportifs était, jusqu’en 2002, gérée par le Comité olympique national italien (Comitato olimpico nazionale italiano, ci‑après le «CONI») et l’Union nationale pour l’amélioration des races équines (Unione nazionale per l’incremento delle razze equine, ci‑après l’«UNIRE»), qui étaient habilités à organiser les paris liés aux manifestations sportives organisées ou se déroulant sous leur contrôle. Cela ressortait des dispositions combinées du décret législatif n° 496, du 14 avril 1948 (GURI n° 118, du 14 avril 1948), de l’article 3, paragraphe 229, de la loi n° 549, du 28 décembre 1995 (supplément ordinaire à la GURI n° 302, du 29 décembre 1995) et de l’article 3, paragraphe 78, de la loi n° 662, du 23 décembre 1996 (supplément ordinaire à la GURI n° 303, du 28 décembre 1996).

5       Des règles spécifiques pour l’attribution des concessions ont été fixées par le décret n° 174 du ministère de l’Économie et des Finances, du 2 juin 1998 (GURI n° 129, du 5 juin 1998, ci‑après le «décret n° 174/98»), en ce qui concerne le CONI, et par le décret n° 169 du président de la République, du 8 avril 1998 (GURI n° 125, du 1er juin 1998), en ce qui concerne l’UNIRE.

6       S’agissant des concessions attribuées par le CONI, le décret n° 174/98 prévoyait que l’attribution avait lieu par voie d’appel d’offres. Lors de cette attribution, le CONI devait notamment veiller à la transparence de l’actionnariat des concessionnaires et à une distribution rationnelle des points de collecte et d’acceptation des paris sur le territoire national.

7       Pour garantir la transparence de l’actionnariat, l’article 2, paragraphe 6, du décret n° 174/98 prévoyait que, si le concessionnaire était constitué en société de capitaux, les actions assorties d’un droit de vote devaient être émises au nom de personnes physiques, de sociétés en nom collectif ou en commandite simple, et ne pouvaient être transférées par simple endossement.

8       Les dispositions concernant l’attribution de concessions par l’UNIRE étaient analogues.

9       En 2002, les compétences du CONI et de l’UNIRE en matière de paris sur des événements sportifs ont, à la suite d'une série d’interventions législatives, été transférées à l’administration autonome des monopoles de l’État agissant sous la tutelle du ministère de l’Économie et des Finances.

10     En vertu d’une modification introduite à cette occasion par l’article 22, paragraphe 11, de la loi n° 289, du 27 décembre 2002 (supplément ordinaire à la GURI n° 305, du 31 décembre 2002, ci‑après la «loi de finances pour 2003»), toutes les sociétés de capitaux, sans aucune limitation quant à leur forme, peuvent désormais participer aux appels d’offres pour l’attribution des concessions.

 Les autorisations de police

11     Une autorisation de police peut être accordée exclusivement à ceux qui détiennent une concession ou une autorisation d’un ministère ou d’une autre entité à laquelle la loi réserve la faculté d’organiser ou d’exploiter des paris. Ces conditions d’octroi résultent de l’article 88 du décret royal n° 773 portant approbation du texte unique des lois en matière de sécurité publique (Regio Decreto n° 773, Testo unico delle leggi di pubblica sicurezza), du 18 juin 1931 (GURI n° 146, du 26 juin 1931), tel que modifié par l’article 37, paragraphe 4, de la loi n° 388, du 23 décembre 2000 (supplément ordinaire à la GURI n° 302, du 29 décembre 2000, ci‑après le «décret royal»).

12     En outre, en vertu des dispositions combinées des articles 11 et 14 du décret royal, l’autorisation de police ne peut être délivrée à une personne ayant été condamnée à certaines peines ou pour certaines infractions, notamment celles relevant de la probité et des bonnes mœurs ou celles portant atteinte à la réglementation des jeux de hasard.

13     Une fois l’autorisation délivrée, son titulaire doit, en vertu de l’article 16 du décret royal, permettre aux forces de l’ordre d’accéder à tout moment aux locaux où l’activité autorisée est exercée.

 Les sanctions pénales

14     L’article 4 de la loi n° 401, du 13 décembre 1989, portant intervention dans le secteur du jeu et des paris clandestins et protection du bon déroulement des compétitions sportives (GURI n° 294, du 18 décembre 1989), telle que modifiée par l’article 37, paragraphe 5, de la loi n° 388, (ci‑après la «loi n° 401/89»), prévoit les sanctions pénales suivantes pour la participation abusive à l’organisation de jeux de hasard:

«1.      Quiconque participe abusivement à l’organisation de loteries, de paris ou de concours de pronostics légalement réservés à l’État ou à d’autres organismes concessionnaires encourt une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans. Cette même peine peut être infligée à toute personne qui organise des paris ou des concours de pronostics sur des activités sportives gérées par le [CONI] et les organismes placés sous son autorité ou l’[UNIRE]. Quiconque participe abusivement à l’organisation publique de paris sur d’autres compétitions de personnes ou d’animaux, ainsi que sur des jeux d’adresse, est passible d’une peine de trois mois à un an d’emprisonnement et d’une amende au moins égale à un million de lires. […]

2.      Quiconque fait de la publicité pour les concours, les jeux ou les paris organisés selon les modalités décrites au paragraphe 1, sans être pour autant coauteur de l’un des délits qui y sont définis, est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois au maximum et d’une amende comprise entre cent mille et un million de lires.

3.      Quiconque participe à des concours, des jeux ou des paris organisés selon les modalités décrites au paragraphe 1, sans être pour autant coauteur de l’un des délits qui y sont définis, encourt une peine d’emprisonnement de trois mois au maximum ou une amende comprise entre cent mille et un million de lires.

[…]

4 bis.  Les sanctions prévues par le présent article s’appliquent à quiconque exerce en Italie, sans concession ni autorisation ou licence au sens de l’article 88 du [décret royal], une activité organisée en vue d’accepter ou de collecter ou, en tout cas, de faciliter l’acceptation ou la collecte de quelque manière que ce soit, y compris par téléphone ou par voie télématique, de paris de toutes sortes, acceptés par quiconque en Italie ou à l’étranger.

[…]»

 La jurisprudence de la Corte suprema di cassazione

15     Dans son arrêt n° 111/04, du 26 avril 2004 (ci‑après l’«arrêt Gesualdi»), la Corte suprema di cassazione (Italie), a été amenée à examiner la compatibilité de la législation italienne en matière de jeux de hasard avec les articles 43 CE et 49 CE. Au terme de son analyse, cette juridiction est parvenue à la conclusion que ladite législation n’est pas contraire aux articles 43 CE et 49 CE.

16     Dans l’arrêt Gesualdi, la Corte suprema di cassazione constate que le législateur italien poursuit depuis de nombreuses années une politique expansive dans le secteur des jeux de hasard dans le but évident d’augmenter les recettes fiscales et qu’aucune justification de la législation italienne ne saurait être cherchée dans l’objectif de la protection du consommateur ou de la limitation de la propension au jeu des consommateurs ou de la limitation de l’offre de jeux. En revanche, elle identifie comme étant le but réel de la législation italienne un désir de canaliser les activités de jeu de hasard dans des circuits contrôlables afin de prévenir l’exploitation de ces activités à des fins criminelles. Pour ce motif, la législation italienne soumet à un contrôle et à une surveillance les personnes exploitant des paris et des concours de pronostics ainsi que les lieux dans lesquels s’exerce cette exploitation. La Corte suprema di cassazione estime que ces objectifs, en tant que tels, peuvent justifier les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

17     En ce qui concerne les conditions visant à garantir la transparence de l’actionnariat des concessionnaires, conditions qui avaient notamment pour effet d’exclure des appels d’offres pour les concessions les sociétés dont les actionnaires individuels n’étaient pas identifiables à tout moment, la Corte suprema di cassazione constate dans l’arrêt Gesualdi que la réglementation italienne n’opère aucune discrimination au détriment des sociétés étrangères, même de manière indirecte, car elle a pour effet d’exclure non seulement les sociétés de capitaux étrangères aux actionnaires ne pouvant pas être précisément identifiés, mais aussi toutes les sociétés de capitaux italiennes aux actionnaires ne pouvant pas être précisément identifiés.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’attribution de concessions

18     Il ressort des dossiers que, conformément aux dispositions de la législation italienne, le CONI a lancé, le 11 décembre 1998, un appel d’offres pour l’attribution de 1 000 concessions pour la gestion des paris sur les compétitions sportives, ce nombre de concessions ayant été considéré, sur la base d’une estimation spécifique, comme suffisant pour tout le territoire national. En parallèle, un appel d’offres portant sur 671 nouvelles concessions a été organisé par le ministère de l’Économie et des Finances en accord avec le ministère des Politiques agricoles et forestières pour l’acceptation de paris sur les compétitions hippiques et 329 concessions existantes ont été renouvelées automatiquement.

19     L’application des dispositions concernant la transparence de l’actionnariat en vigueur lors desdits appels d’offres a eu notamment pour conséquence d’exclure des appels d’offres les opérateurs constitués sous la forme de sociétés dont les actions étaient cotées sur les marchés réglementés, l’identification constante et précise des actionnaires individuels étant impossible en ce qui concerne ces sociétés. À la suite de ces appels d’offres, des concessions, valables pour six ans et renouvelables pour une nouvelle période de six ans, ont été attribuées en 1999.

 La société Stanley International Betting Ltd

20     Stanley International Betting Ltd (ci‑après «Stanley») est une société de droit anglais faisant partie du groupe Stanley Leisure plc, société de droit anglais cotée à la Bourse de Londres (Royaume‑Uni). Ces deux sociétés ont leur siège à Liverpool (Royaume‑Uni). Le groupe opère dans le secteur des jeux de hasard et constitue le quatrième plus grand bookmaker et le premier tenancier de maisons de jeux au Royaume‑Uni.

21     Stanley est l’un des canaux opérationnels du groupe Stanley Leisure plc à l’extérieur du Royaume‑Uni. Elle est dûment autorisée à opérer comme bookmaker dans cet État membre en vertu d’une licence délivrée par la municipalité de Liverpool. Elle est assujettie aux contrôles d’ordre public et de sécurité de la part des autorités britanniques, aux contrôles internes sur la régularité des activités, aux contrôles de la part d’une société d’audit privée ainsi qu’aux contrôles de la part du Trésor public et de l’administration des douanes au Royaume‑Uni.

22     Désirant acquérir des concessions pour au moins 100 points d’acceptation de paris sur le territoire italien, Stanley s’était informée sur la possibilité de participer aux appels d’offres, mais elle s’était rendu compte qu’elle ne pouvait satisfaire aux conditions concernant la transparence de l’actionnariat en raison du fait qu’elle faisait partie d’un groupe coté sur les marchés réglementés. Elle n’a donc pas participé à l’appel d’offres et ne détient pas de concession pour la gestion des paris.

 Les centres de transmission de données

23     Stanley opère en Italie par l’intermédiaire de plus de deux cents agences, communément appelées des «centres de transmission de données» (ci‑après les «CTD»). Ces derniers offrent leurs services dans des locaux ouverts au public dans lesquels ils mettent à la disposition des parieurs un parcours télématique qui leur permet d’accéder au serveur de Stanley situé au Royaume‑Uni. Les parieurs peuvent de cette manière, par voie télématique, adresser à Stanley des propositions de paris sportifs choisies dans des programmes d’événements et de cotations fournis par Stanley, ainsi que recevoir l’acceptation de ces propositions, payer leurs mises et, le cas échéant, percevoir leurs gains.

24     Les CTD sont gérés par des opérateurs indépendants liés contractuellement à Stanley. MM. Placanica, Palazzese et Sorricchio, inculpés dans les litiges au principal, sont tous trois des gérants de CTD liés à Stanley.

25     Il ressort du dossier transmis par le Tribunale di Teramo que MM. Palazzese et Sorricchio avaient, avant de commencer leurs activités, demandé à la préfecture de police d’Atri des autorisations de police conformément à l’article 88 du décret royal. Ces demandes sont restées sans réponse.

 La demande de décision préjudicielle du Tribunale di Larino (affaire C‑338/04)

26     Reprochant à M. Placanica d’avoir commis le délit visé à l’article 4, paragraphe 4 bis, de la loi n° 401/89, en ayant, en tant que gestionnaire d’un CTD pour le compte de Stanley, exercé une activité organisée de collecte de paris sans l’autorisation de police requise, le ministère public a engagé une procédure pénale à son encontre devant le Tribunale di Larino.

27     Cette juridiction émet des doutes quant au bien-fondé de la conclusion à laquelle la Corte suprema di cassazione est parvenue dans son arrêt Gesualdi en ce qui concerne la compatibilité de l’article 4, paragraphe 4 bis, de la loi n° 401/89 avec le droit communautaire. Elle se demande si les objectifs d’ordre public invoqués par la Corte suprema di cassazione permettent de justifier les restrictions en cause.

28     Dans ces conditions, le Tribunale di Larino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Il est demandé à la Cour d’examiner si la règle visée à l’article 4, paragraphe 4 bis, de la loi nº 401/89 est conforme aux principes posés par les articles 43 [CE] et suivants ainsi que 49 [CE] concernant l’établissement et la liberté de prestation de services transfrontaliers, également à la lumière de la divergence d’interprétation qui ressort des décisions de la Cour […] (en particulier dans son arrêt Gambelli e.a.[, précité,]) par rapport à la décision de la Corte suprema di cassazione, Sezioni Unite [dans l’affaire Gesualdi]; il est demandé en particulier que soit déterminée l’applicabilité dans l’État italien du régime de sanctions visé dans l’accusation et invoqué à l’encontre de [M.] Placanica.»

 Les demandes de décision préjudicielle du Tribunale di Teramo (affaires C‑359/04 et C‑360/04)

29     La préfecture de police d’Atri, qui reproche à MM. Palazzese et Sorricchio d’avoir exercé une activité organisée en vue de faciliter la collecte de paris sans concession ou autorisation de police, a procédé à la mise sous séquestre préventive de leurs locaux et équipements sur le fondement de l’article 4, paragraphe 4 bis, de la loi n° 401/89. Le ministère public ayant validé les séquestres, MM. Palazzese et Sorricchio ont, chacun, introduit un recours contre ces mesures de séquestre devant le Tribunale di Teramo.

30     Cette juridiction estime que les restrictions imposées aux sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés qui les ont empêchées, en 1999, de participer au dernier appel d’offres en date pour l’octroi de concessions d’exploitation d’activités de paris, sont incompatibles avec les principes du droit communautaire, car elles opèrent une discrimination envers les opérateurs non italiens. Par conséquent, à l’instar du Tribunale di Larino, ladite juridiction nourrit des doutes quant au bien‑fondé de l’arrêt Gesualdi.

31     Dans ces conditions, le Tribunale di Teramo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le Tribunale [di Teramo] a notamment besoin de savoir si [les articles 43, premier alinéa, CE et 49, premier alinéa, CE] peuvent être interprétés comme permettant aux États membres de déroger à titre temporaire (pour une période de six à douze années) au régime de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union européenne et de légiférer comme suit, sans porter atteinte aux principes communautaires susvisés:

–       attribuer à quelques personnes des concessions pour l’exercice d’activités de prestations de services déterminées, pour une durée de six à douze années, sur la base d’un régime normatif qui avait conduit à exclure de l’adjudication certains types de concurrents (non italiens);

–       puis modifier ce régime juridique, après avoir pris acte de sa non‑conformité aux principes énoncés par les articles 43 [CE] et 49 [...] CE, afin de permettre à l’avenir la participation aux adjudications des opérateurs qui s’en trouvaient antérieurement exclus;

–       sans toutefois procéder à la révocation des concessions d’exploitation octroyées sous l’empire du régime juridique antérieur, pourtant considéré comme contraire, ainsi que nous l’avons vu, aux principes de la liberté d’établissement et de la libre circulation des services ni à l’organisation d’une nouvelle adjudication conforme aux nouvelles règles respectueuses desdits principes;

–       continuer, en revanche, à poursuivre pénalement toute personne agissant en relation avec les opérateurs qui, [bien qu’]autorisés à exercer une telle activité dans l’État membre dont ils sont originaires, n’ont cependant pas pu prétendre à une concession d’exploitation en raison précisément des restrictions posées par le précédent régime d’octroi des concessions, par la suite abrogé.»

32     Par une première ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 2004, les affaires C‑359/04 et C‑360/04 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt. Par une seconde ordonnance du président de la Cour du 27 janvier 2006, l’affaire C‑338/04 a été jointe aux affaires C‑359/04 et C‑360/04 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur la recevabilité des questions préjudicielles

33     Dans l’affaire C‑338/04, tous les gouvernements ayant déposé des observations, à l’exception du gouvernement belge, mettent en cause la recevabilité de la question posée. En ce qui concerne les affaires C‑359/04 et C‑360/04, les gouvernements italien et espagnol s’interrogent sur la recevabilité de la question posée. Pour ce qui est de l’affaire C‑338/04, les gouvernements portugais et finlandais font valoir que la décision de renvoi du Tribunale di Larino ne contient pas d’informations suffisantes pour permettre d’apporter une réponse, tandis que, selon les gouvernements italien, allemand, espagnol et français, la question posée concerne l’interprétation du droit national et non du droit communautaire et invite, par conséquent, la Cour à se prononcer sur la compatibilité de normes de droit interne avec le droit communautaire. Les gouvernements italien et espagnol émettent une réserve identique en ce qui concerne la recevabilité de la question posée dans les affaires C‑359/04 et C‑360/04.

34     S’agissant des informations qui doivent être fournies à la Cour dans le cadre d’une décision de renvoi, il convient de rappeler que ces informations ne servent pas seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais qu’elles doivent également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice. Il résulte d’une jurisprudence constante que, à ces fins, il est, d’une part, nécessaire que le juge national définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. D’autre part, la décision de renvoi doit indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur l’interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Dans ce contexte, il est indispensable que le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l’interprétation et sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (voir notamment, en ce sens, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C‑320/90 à C‑322/90, Rec. p. I‑393, point 6; du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, Rec. p. I‑10423, points 45 à 47, ainsi que du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, non encore publié au Recueil, points 38 et 39).

35     La décision de renvoi du Tribunale di Larino (affaire C‑338/04) satisfait à ces exigences. En effet, dans la mesure où le cadre juridique national ainsi que les arguments invoqués par les parties sont en substance identiques au cadre dans lequel s’insérait l’arrêt Gambelli e.a., précité, un renvoi à cet arrêt était suffisant pour permettre tant à la Cour qu’aux gouvernements des États membres et aux autres parties intéressées d’identifier l’objet du litige au principal.

36     En ce qui concerne la répartition des responsabilités dans le cadre du système de coopération établi par l’article 234 CE, il est vrai que l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions nationales et non à la Cour, et il n’appartient pas à cette dernière de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de cet article, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire. En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettent à celle‑ci d’apprécier la compatibilité de normes de droit interne avec la réglementation communautaire (voir, notamment, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, Rec. p. I‑4165, point 19, ainsi que Wilson, précité, points 34 et 35).

37     À cet égard, M. l’avocat général a relevé à bon droit, au point 70 de ses conclusions, que la teneur littérale de la question posée à titre préjudiciel par le Tribunale di Larino (affaire C‑338/04) invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité d’une disposition de droit interne avec le droit communautaire. Néanmoins, bien que la Cour ne puisse pas répondre à cette question telle qu’elle est formulée, rien ne l’empêche de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi en fournissant à celle-ci les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui lui permettront de statuer elle‑même sur la compatibilité du droit interne avec le droit communautaire.

38     La question posée par le Tribunale di Teramo (affaires C‑359/04 et C‑360/04), quant à elle, identifie avec précision les effets d’une série d’interventions législatives nationales et interroge la Cour sur la compatibilité de ces effets avec le traité CE. Par conséquent, cette question n’invite pas la Cour à se prononcer sur l’interprétation du droit national ou sur la compatibilité de celui‑ci avec le droit communautaire.

39     Les questions posées doivent dès lors être déclarées recevables.

 Sur les questions préjudicielles

40     Il ressort des dossiers transmis à la Cour qu’un opérateur désireux d’exercer, en Italie, une activité dans le secteur des jeux de hasard doit se conformer à une législation nationale qui présente les caractéristiques suivantes, à savoir:

–       l’obligation de se munir d’une concession;

–       un mode d’attribution desdites concessions, au moyen d’un appel d’offres excluant certains types d’opérateurs et, notamment, les sociétés dont les actionnaires individuels n’étaient pas identifiables à tout moment;

–       l’obligation de se munir d’une autorisation de police, et

–       des sanctions pénales en cas de non‑respect de la législation en cause.

41     Par les questions posées, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent en substance si les articles 43 CE et 49 CE s’opposent à une législation nationale relative aux jeux de hasard, telle que celle en cause dans les affaires au principal, dans la mesure où celle‑ci présente de telles caractéristiques.

42     La Cour a déjà jugé que la législation nationale en cause dans les affaires au principal comporte, en ce qu’elle interdit – sous peine de sanctions pénales – l’exercice d’activités dans le secteur des jeux de hasard en l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrée par l’État, des restrictions à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services (arrêt Gambelli e.a., précité, point 59 et dispositif).

43     D’une part, les restrictions imposées à des intermédiaires tels que les prévenus au principal constituent des entraves à la liberté d’établissement de sociétés établies dans un autre État membre, telles que Stanley, qui poursuivent l’activité de collecte de paris dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une organisation d’agences, telles que les CTD gérés par les prévenus au principal (voir arrêt Gambelli e.a., précité, point 46).

44     D’autre part, l’interdiction faite à des intermédiaires tels que les prévenus au principal de faciliter la prestation de services de paris sur des événements sportifs organisés par un prestataire, tel que Stanley, établi dans un État membre autre que celui dans lequel ces intermédiaires exercent leur activité, constitue une restriction au droit dudit prestataire à la libre prestation des services, et ce même si les intermédiaires sont établis dans le même État membre que les destinataires desdits services (arrêt Gambelli e.a., précité, point 58).

45     Dans ces conditions, il convient d’examiner si les restrictions en cause au principal peuvent être admises au titre des mesures dérogatoires expressément prévues aux articles 45 CE et 46 CE ou justifiées, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêt Gambelli e.a., précité, point 60).

46     À cet égard, un certain nombre de raisons impérieuses d’intérêt général, telles que les objectifs de protection des consommateurs, de prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu ainsi que de prévention de troubles à l’ordre social en général, ont été admises par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 1994, Schindler, C‑275/92, Rec. p. I‑1039, points 57 à 60; du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C‑124/97, Rec. p. I‑6067, points 32 et 33; Zenatti, précité, points 30 et 31, ainsi que Gambelli e.a., précité, point 67).

47     Dans ce contexte, les particularités d’ordre moral, religieux ou culturel ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux et les paris peuvent être de nature à justifier l’existence, au profit des autorités nationales, d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comporte la protection du consommateur et de l’ordre social (arrêt Gambelli e.a., précité, point 63).

48     À cet égard, si les États membres sont libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché, les restrictions qu’ils imposent doivent toutefois satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité.

49     Par conséquent, il convient d’examiner séparément pour chacune des restrictions imposées par la législation nationale notamment si elle est propre à garantir la réalisation du ou des objectifs invoqués par l’État membre en cause et si elle ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. En tout état de cause, ces restrictions doivent être appliquées de manière non discriminatoire (voir, en ce sens, arrêts, Gebhard, précité, point 37; Gambelli e.a., précité, points 64 et 65, ainsi que du 13 novembre 2003, Lindman, C‑42/02, Rec. p. I‑13519, point 25).

 Sur l’exigence d’une concession

50     Afin de pouvoir agir dans le secteur des jeux de hasard en Italie, un opérateur doit se munir d’une concession. En vertu du système de concessions utilisé, le nombre d’opérateurs est limité. En ce qui concerne l’acceptation de paris, le nombre de concessions pour la gestion des paris sur les compétitions sportives autres que des compétitions hippiques et le nombre de concessions pour l’acceptation de paris sur les compétitions hippiques sont chacun limités à 1 000.

51     Il convient de relever d’emblée que le fait que ce nombre de concessions pour les deux catégories a, ainsi qu’il ressort des dossiers, été considéré comme «suffisant» pour tout le territoire national sur la base d’une estimation spécifique ne saurait en soi justifier les entraves à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services résultant de cette limitation.

52     En ce qui concerne les objectifs susceptibles de justifier ces entraves, une distinction doit être opérée dans le présent contexte entre, d’une part, l’objectif visant à réduire les occasions de jeu et, d’autre part, dans la mesure où les jeux de hasard sont autorisés, l’objectif visant à lutter contre la criminalité en assujettissant les opérateurs actifs dans ce secteur à un contrôle et en canalisant les activités de jeux de hasard dans les circuits ainsi contrôlés.

53     S’agissant du premier type d’objectif, il ressort de la jurisprudence que si des restrictions du nombre des opérateurs sont, en principe, susceptibles d’être justifiées, ces restrictions doivent en tout état de cause répondre au souci de réduire véritablement les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts précités Zenatti, points 35 et 36, ainsi que Gambelli e.a., points 62 et 67).

54     Or, il est constant, selon la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione, que le législateur italien poursuit une politique expansive dans le secteur des jeux de hasard dans le but d’augmenter les recettes fiscales et qu’aucune justification de la législation italienne ne saurait être tirée des objectifs de limitation de la propension au jeu des consommateurs ou de limitation de l’offre de jeux.

55     En effet, c’est le second type d’objectif, à savoir celui visant à prévenir l’exploitation des activités de jeu de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses en les canalisant dans des circuits contrôlables, qui est identifié comme le but réel de la réglementation italienne en cause dans les affaires au principal tant par la Corte suprema di cassazione que par le gouvernement italien dans ses observations présentées devant la Cour. Dans cette optique, une politique d’expansion contrôlée dans le secteur des jeux de hasard peut être tout à fait cohérente avec l’objectif visant à attirer des joueurs exerçant des activités de jeux et de paris clandestins interdites en tant que telles vers des activités autorisées et réglementées. Ainsi que l’ont relevé notamment les gouvernements belge et français, afin d’atteindre cet objectif, les opérateurs autorisés doivent constituer une alternative fiable, mais en même temps attrayante, à une activité interdite, ce qui peut en soi impliquer l’offre d’une gamme de jeux étendue, une publicité d’une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution.

56     Le gouvernement italien a d’ailleurs cité des éléments factuels, tels que notamment une enquête réalisée sur le secteur des jeux et des paris par la sixième commission permanente (finances et Trésor public) du Sénat italien. Cette enquête a conclu que les activités de jeux et de paris clandestins interdites en tant que telles constituent un problème considérable en Italie auquel une expansion d’activités autorisées et réglementées pourrait remédier. Ainsi, selon ladite enquête, la moitié du chiffre d’affaires total du secteur des jeux de hasard en Italie est générée par ces activités illégales. Il a, par ailleurs, été estimé réalisable, en étendant des activités de jeux et de paris autorisées par la loi, de récupérer desdites activités illégales une partie du chiffre d’affaires d’un montant au moins équivalent à celui généré par les activités autorisées par la loi.

57     Un système de concessions peut, dans ces circonstances, constituer un mécanisme efficace permettant de contrôler les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard dans le but de prévenir l’exploitation de ces activités à des fins criminelles ou frauduleuses. En revanche, la Cour ne dispose pas d’éléments factuels suffisants pour apprécier, en tant que telle, la limitation du nombre global des concessions au regard des exigences découlant du droit communautaire.

58     Il incombera aux juridictions de renvoi de vérifier si, dans la mesure où elle limite le nombre d’opérateurs agissant dans le secteur des jeux de hasard, la réglementation nationale répond véritablement à l’objectif invoqué par le gouvernement italien, à savoir celui visant à prévenir l’exploitation des activités dans ce secteur à des fins criminelles ou frauduleuses. De même, il appartiendra aux juridictions de renvoi de vérifier si ces restrictions satisfont aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité.

 Sur les appels d’offres

59     Le Tribunale di Teramo (affaires C‑359/04 et C‑360/04) souligne explicitement l’exclusion des sociétés de capitaux, dont les actionnaires individuels n’étaient pas identifiables à tout moment, et donc de la totalité des sociétés cotées sur les marchés réglementés, des appels d’offres pour l’attribution de concessions. La Commission des Communautés européennes a relevé que cette restriction a pour conséquence d’exclure de ces appels d’offres les opérateurs communautaires les plus importants dans le secteur des jeux de hasard, opérateurs qui sont constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés.

60     Il convient de relever, à titre liminaire, que la question de la licéité des conditions imposées dans le cadre des appels d’offres de 1999 est loin d’avoir été privée d’objet par les modifications législatives intervenues en 2002, permettant désormais à toutes les sociétés de capitaux, sans aucune limitation quant à leur forme, de participer aux appels d’offres en vue d’une attribution de concessions. En effet, ainsi que le relève le Tribunale di Teramo, dès lors que les concessions octroyées en 1999 étaient valables pour une période de six ans et renouvelables pour une nouvelle période de six ans et qu’aucun nouvel appel d’offres n’a été prévu entre‑temps, l’exclusion du secteur des jeux de hasard de sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés ainsi que d’intermédiaires tels que les prévenus au principal qui seraient susceptibles d’agir pour le compte de telles sociétés risque de produire des effets jusqu’en 2011.

61     La Cour a déjà jugé que, même si l’exclusion des appels d’offres s’applique indistinctement à toutes les sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés pouvant être intéressées par des concessions, qu’elles soient établies en Italie ou dans un autre État membre, dans la mesure où l’absence d’opérateurs étrangers parmi les concessionnaires est due au fait que la réglementation italienne en matière d’appels d’offres exclut, en pratique, la possibilité pour les sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés des autres États membres d’obtenir des concessions, la réglementation nationale en matière d’appels d’offres constitue, à première vue, une restriction à la liberté d’établissement (arrêt Gambelli e.a., précité, point 48).

62     Indépendamment de la question de savoir si l’exclusion des sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés s’applique, en fait, de la même manière aux opérateurs établis en Italie et à ceux provenant d’autres États membres, cette exclusion totale va au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à éviter que les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard ne soient impliqués dans des activités criminelles ou frauduleuses. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 125 de ses conclusions, d’autres moyens existent pour contrôler les comptes et les activités des opérateurs dans le secteur des jeux de hasard tout en restreignant de manière moindre la liberté d’établissement et la libre prestation des services, comme celui consistant à recueillir des informations sur leurs représentants ou leurs principaux actionnaires. Ce constat est conforté par le fait que le législateur italien a cru pouvoir abroger complètement ladite exclusion par la loi de finances pour 2003 sans pour autant la remplacer par d’autres mesures restrictives.

63     En ce qui concerne les conséquences découlant de l’illégalité de l’exclusion d’un certain nombre d’opérateurs des appels d’offres en vue de l’attribution des concessions existantes, il appartient à l’ordre juridique national de prévoir des modalités procédurales qui assurent la sauvegarde des droits que les opérateurs tirent de l’effet direct du droit communautaire, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I‑6297, point 29, ainsi que du 19 septembre 2006, i‑21 Germany et Arcor, C‑392/04 et C‑422/04, non encore publié au Recueil, point 57). Tant une révocation et la redistribution des anciennes concessions que la mise en concours d’un nombre adéquat de nouvelles concessions pourraient être des solutions appropriées à cet égard. Il convient néanmoins de constater, en tout état de cause, que, en l’absence d’une procédure d’octroi de concessions ouverte aux opérateurs qui avaient été illégalement exclus de la possibilité de bénéficier d’une concession lors du dernier appel d’offres, le défaut de concession ne peut faire l’objet de sanctions à l’encontre de tels opérateurs.

64     Les articles 43 CE et 49 CE doivent donc être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui exclut et qui plus est continue d’exclure du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés.

 Sur l’exigence d’une autorisation de police

65     L’exigence que les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard ainsi que leurs locaux soient soumis à un contrôle initial et à une surveillance continue contribue clairement à l’objectif visant à éviter que ces opérateurs ne soient impliqués dans des activités criminelles ou frauduleuses et apparaît être une mesure tout à fait proportionnelle à cet objectif.

66     Toutefois, il ressort du dossier que les prévenus au principal étaient prêts à se procurer des autorisations de police et à se soumettre à un tel contrôle et à une telle surveillance. En effet, dès lors que les autorisations de police sont seulement délivrées aux titulaires d’une concession, il aurait été impossible pour les prévenus au principal de se munir de telles autorisations. À cet égard, il ressort également du dossier que MM. Palazzese et Sorricchio avaient, avant de commencer leurs activités, demandé des autorisations de police conformément à l’article 88 du décret royal, mais que leurs demandes étaient restées sans suite.

67     Or, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 123 de ses conclusions, la procédure d’octroi d’autorisations de police est, dans ces circonstances, entachée des vices identifiés ci‑dessus qui affectent l’octroi de concessions. Le défaut d’autorisation de police ne pourra, par conséquent et en tout état de cause, être reproché à des personnes telles que les prévenus au principal qui n’auraient pas pu se munir de telles autorisations en raison du fait que l’octroi d’une telle autorisation présupposait l’attribution d’une concession dont lesdites personnes n’ont pu bénéficier en violation du droit communautaire.

 Sur les sanctions pénales

68     Si, en principe, la législation pénale relève de la compétence des États membres, il est de jurisprudence constante que le droit communautaire impose des limites à cette compétence, une telle législation ne pouvant, en effet, restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit communautaire (voir arrêt du 19 janvier 1999, Calfa, C‑348/96, Rec. p. I‑11, point 17).

69     Il ressort, en outre, de la jurisprudence qu’un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1983, Rienks, 5/83, Rec. p. 4233, points 10 et 11).

70     Or, il apparaît que des personnes telles que les prévenus au principal, en leur qualité de gestionnaires de CTD liés à une société organisant des paris, qui est cotée sur les marchés réglementés et est établie dans un autre État membre, ne pouvaient de toute façon se munir des concessions et des autorisations de police exigées par la législation italienne parce que, en violation du droit communautaire, la République italienne subordonne l’octroi d’une autorisation de police à la possession d’une concession et que, à l’époque du dernier appel d’offres dans les affaires au principal, cet État membre avait refusé d’octroyer des concessions à des sociétés cotées sur les marchés réglementés. Dans ces circonstances, la République italienne ne saurait appliquer des sanctions pénales pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou autorisation de police à des personnes telles que les prévenus au principal.

71     Il convient, par conséquent, de constater que les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui impose une sanction pénale à des personnes telles que les prévenus au principal pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris en l’absence de concession ou d’autorisation de police exigées par la législation nationale lorsque ces personnes n’ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison du refus de cet État membre, en violation du droit communautaire, de les leur accorder.

72     Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu répondre aux questions posées comme suit:

1)      Une réglementation nationale qui interdit l’exercice d’activités de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrées par l’État membre concerné, constitue une restriction à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services prévues respectivement aux articles 43 CE et 49 CE.

2)      Il incombera aux juridictions de renvoi de vérifier si, dans la mesure où elle limite le nombre d’opérateurs agissant dans le secteur des jeux de hasard, la réglementation nationale répond véritablement à l’objectif visant à prévenir l’exploitation des activités dans ce secteur à des fins criminelles ou frauduleuses.

3)      Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui exclut et qui plus est continue d’exclure du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés.

4)      Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui impose une sanction pénale à des personnes telles que les prévenus au principal pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris en l’absence de concession ou d’autorisation de police exigées par la législation nationale lorsque ces personnes n’ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison du refus de cet État membre, en violation du droit communautaire, de les leur accorder.

 Sur les dépens

73     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      Une réglementation nationale qui interdit l’exercice d’activités de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrées par l’État membre concerné, constitue une restriction à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services prévues respectivement aux articles 43 CE et 49 CE.

2)      Il incombera aux juridictions de renvoi de vérifier si, dans la mesure où elle limite le nombre d’opérateurs agissant dans le secteur des jeux de hasard, la réglementation nationale répond véritablement à l’objectif visant à prévenir l’exploitation des activités dans ce secteur à des fins criminelles ou frauduleuses.

3)      Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui exclut et qui plus est continue d’exclure du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés.

4)      Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui impose une sanction pénale à des personnes telles que les prévenus au principal pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris en l’absence de concession ou d’autorisation de police exigées par la législation nationale lorsque ces personnes n’ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison du refus de cet État membre, en violation du droit communautaire, de les leur accorder.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.