Affaire C-309/04

Fleisch-Winter GmbH & Co. KG

contre

Hauptzollamt Hamburg-Jonas

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)

«Restitutions à l'exportation — Condition d'octroi — Viande bovine — Règlement (CEE) nº 3665/87 — Encéphalopathie spongiforme bovine — Interdiction à l'exportation — Qualité saine, loyale et marchande — Déclaration d'exportation — Demande nationale de paiement — Sanction»

Arrêt de la Cour (première chambre) du 1er décembre 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Agriculture — Organisation commune des marchés — Restitutions à l'exportation — Conditions d'octroi — Produits de qualité saine, loyale et marchande — Notion — Viande ne pouvant être commercialisée dans des conditions normales — Exclusion — Viande soumise à une interdiction d'exportation à partir d'un certain État membre — Administration nationale disposant d'indices relatifs à la provenance du produit à partir de cet État — Obligations de l'exportateur en matière de preuve

(Règlement de la Commission nº 3665/87, art. 13)

2.     Agriculture — Organisation commune des marchés — Restitutions à l'exportation — Informations délivrées conformément aux dispositions relatives au calcul de la restitution demandée et au document utilisé pour bénéficier d'une restitution — Assurance de la qualité saine, loyale et marchande des produits dans la demande de paiement — Exclusion — Incidence d'une telle assurance devant la juridiction nationale

(Règlement de la Commission nº 3665/87, art. 3, 11, § 1, al. 2, et 13, première phrase)

1.     L'article 13 du règlement nº 3665/87, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, tel que modifié par le règlement nº 2945/94, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une viande bovine faisant l'objet d'une interdiction à l'exportation prévue par le droit communautaire, à partir d'un certain État membre vers les autres États membres et les États tiers, puisse être considérée comme étant de «qualité saine, loyale et marchande», et qu'il exige, aux fins de l'octroi des restitutions, que l'exportateur démontre que le produit exporté ne provient pas d'un État membre à partir duquel les exportations sont interdites, dans le cas où l'administration nationale dispose d'indices selon lesquels le produit est soumis à une interdiction à l'exportation.

En effet, d'une part, une telle viande ne pouvant être commercialisée dans des conditions normales ne remplit pas ces exigences de qualité. D'autre part, dans la mesure où l'exportateur, en introduisant une demande de restitution, assure toujours d'une façon explicite ou implicite que les conditions d'octroi de la restitution sont remplies, y compris l'existence d'une «qualité saine, loyale et marchande», il lui incombe de démontrer, selon les règles de preuve du droit national, que cette condition est bien remplie au cas où la déclaration serait mise en doute par les autorités nationales.

(cf. points 20, 25, 32, 35, 37-38, disp. 1)

2.     L'assurance fournie dans une demande nationale de paiement, visée à l'article 47 du règlement nº 3665/87 portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, tel que modifié par le règlement nº 2945/1994, qu'un produit est de «qualité saine, loyale et marchande», au sens de l'article 13, première phrase, dudit règlement, ne fait pas partie des informations délivrées conformément aux dispositions combinées des articles 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, et 3 de ce même règlement, qui traitent respectivement du calcul de la restitution demandée et du document utilisé pour bénéficier d'une restitution. Toutefois, elle peut être considérée par le juge national comme un élément de preuve aux fins de l'appréciation de la situation de l'exportateur.

En effet, d'abord, la demande de restitution, au sens de l'article 11, paragraphe 1, du règlement nº 3665/87, n'est pas introduite par le dépôt de la demande de paiement au sens de l'article 47 dudit règlement, car cette demande ne constitue pas le fondement juridique du droit relatif à un tel paiement. En outre, ce sont les documents visés à l'article 3, paragraphe 5, de ce même règlement, à savoir la déclaration d'exportation ou tout autre document utilisé lors de l'exportation, qui sont susceptibles, d'une part, de former le fondement juridique d'une restitution et, d'autre part, de déclencher le système de vérification de la demande de restitution pouvant entraîner l'application d'une sanction, conformément à l'article 11, paragraphe 1, précité.

(cf. points 40-41, 43, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

1er décembre 2005 (*)

«Restitutions à l’exportation – Condition d’octroi – Viande bovine – Règlement (CEE) n° 3665/87 – Encéphalopathie spongiforme bovine – Interdiction à l’exportation – Qualité saine, loyale et marchande – Déclaration d’exportation – Demande nationale de paiement – Sanction»

Dans l’affaire C-309/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 20 avril 2004, parvenue à la Cour le 21 juillet 2004, dans la procédure

Fleisch-Winter GmbH & Co. KG

contre

Hauptzollamt Hamburg-Jonas,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues, E. Juhász (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 juillet 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour Fleisch-Winter GmbH & Co. KG, par Mes U. Schrömbges et J. Vagt, Rechtsanwälte,

–       pour le Hauptzollamt Hamburg-Jonas, par Mme G. Seber, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. T. van Rijn et F. Erlbacher, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, 11 et 13 du règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94 de la Commission, du 2 décembre 1994 (JO L 310, p. 57, ci‑après le «règlement n° 3665/87»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Fleisch‑Winter GmbH & Co. KG (ci‑après «Fleisch-Winter») au Hauptzollamt Hamburg‑Jonas (autorité de douane allemande, ci‑après le «Hauptzollamt») au sujet de la demande de remboursement d’une avance sur restitution à l’exportation assortie d’une sanction pécuniaire, ainsi que du refus d’une restitution sollicitée.

 Le cadre juridique communautaire

3       Le règlement n° 3665/87 prévoit à ses neuvième et seizième considérants:

«[I]l convient que les produits soient d’une qualité telle qu’ils puissent être commercialisés dans des conditions normales;

[…]

[…] afin de faciliter aux exportateurs le financement de leurs exportations, il convient d’autoriser les États membres à leur avancer, dès l’acceptation de la déclaration d’exportation, tout ou partie du montant de la restitution, sous réserve de la constitution d’une garantie de nature à assurer le remboursement de cette avance dans le cas où il apparaîtrait ultérieurement que la restitution ne devait pas être payée».

4       L’article 3 de ce même règlement dispose:

«1.      Par jour d’exportation, on entend la date à laquelle le service des douanes accepte la déclaration d’exportation dans laquelle il est indiqué qu’une restitution sera demandée.

2.      La date d’acceptation de la déclaration d’exportation détermine:

a)      le taux de la restitution applicable s’il n’y a pas eu fixation à l’avance de la restitution;

b)      les ajustements à opérer, le cas échéant, aux taux de la restitution s’il y a eu fixation à l’avance de la restitution.

3.      Est assimilé à l’acceptation de la déclaration d’exportation tout autre acte ayant les mêmes effets juridiques que cette acceptation.

4.      Le jour d’exportation est déterminant pour établir la quantité, la nature et les caractéristiques du produit exporté.

5.      Le document utilisé lors de l’exportation pour bénéficier d’une restitution doit comporter toutes les données nécessaires pour le calcul du montant de la restitution et notamment:

a)      la désignation des produits selon la nomenclature utilisée pour les restitutions;

b)      la masse nette de ces produits ou, le cas échéant, la quantité exprimée dans l’unité de mesure à prendre en considération pour le calcul de la restitution;

c)      pour autant que cela soit nécessaire pour le calcul de la restitution, la composition des produits concernés ou une référence à cette composition.

Dans le cas où le document visé au présent paragraphe est la déclaration d’exportation, celle-ci doit comporter également ces indications ainsi que la mention ‘code restitution’.

6.      Au moment de cette acceptation ou de cet acte, les produits sont placés sous contrôle douanier jusqu’à ce qu’ils quittent le territoire douanier de la Communauté.»

5       L’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 3665/87 prévoit des sanctions au cas où l’exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable. Le deuxième alinéa de ce paragraphe dispose que la restitution demandée est le montant calculé à partir des informations fournies en application des dispositions de l’article 3 ou de l’article 25, paragraphe 2, de ce même règlement.

6       Aux termes de l’article 13 du règlement n° 3665/87:

«Aucune restitution n’est octroyée lorsque les produits ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande et, si ces produits sont destinés à l’alimentation humaine, lorsque leur utilisation à cette fin est exclue ou considérablement diminuée en raison de leurs caractéristiques ou de leur état.»

7       L’article 47, paragraphes 1 et 2, de ce règlement dispose:

«1. La restitution n’est payée que, sur demande spécifique de l’exportateur, par l’État membre dans le territoire duquel la déclaration d’exportation a été acceptée.

La demande de la restitution est faite:

a)      soit par écrit; à cet égard, les États membres peuvent prévoir un formulaire particulier;

b)      soit en utilisant des systèmes informatiques, selon les modalités arrêtées par les autorités compétentes et après agrément par la Commission.

[…]

2.      Le dossier pour le paiement de la restitution ou la libération de la garantie doit être déposé, sauf cas de force majeure, dans les douze mois suivant la date d’acceptation de la déclaration d’exportation.»

8       Selon le troisième considérant du règlement n° 2945/94:

«[C]onsidérant que, lorsqu’un exportateur fournit des informations erronées, celles-ci peuvent entraîner le versement de restitutions indues si l’erreur n’est pas découverte; que, si l’erreur est découverte, il est tout à fait normal d’infliger à l’exportateur une sanction impliquant le paiement d’un montant proportionnel au montant qui aurait été perçu indûment si l’erreur n’avait pas été découverte et que, si l’information erronée a été donnée intentionnellement, il est également normal d’infliger une sanction plus importante».

9       L’article 21, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, du règlement (CE) n° 800/1999 de la Commission, du 15 avril 1999, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (JO L 102, p. 11), énonce:

«Aucune restitution n’est octroyée lorsque les produits ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande le jour d’acceptation de la déclaration d’exportation.

Les produits satisfont à l’exigence du premier alinéa lorsqu’ils peuvent être commercialisés sur le territoire de la Communauté dans des conditions normales et sous la désignation apparaissant sur la demande d’octroi de la restitution et que, lorsque ces produits sont destinés à la consommation humaine, leur utilisation à cette fin n’est pas exclue ou considérablement diminuée en raison de leurs caractéristiques ou de leur état.»

10     L’article 5, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement (CE) n° 2221/95 de la Commission, du 20 septembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CEE) n° 386/90 du Conseil en ce qui concerne le contrôle physique lors de l’exportation de produits agricoles bénéficiant d’une restitution (JO L 224, p. 13), dispose:

«Le bureau de douane d’exportation veille à ce que l’article 13 du règlement (CEE) n° 3665/87 soit respecté.»

11     L’article 13, paragraphes 6, 9 et 10, du règlement (CEE) n° 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), tel que modifié par le règlement (CE) n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l’agriculture pour la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay (JO L 349, p. 105, ci‑après le «règlement n° 805/68»), énonce:

«6.      La restitution n’est accordée que sur demande et sur présentation du certificat d’exportation y relatif.

[…]

9.      La restitution est payée lorsque la preuve est apportée que les produits:

–       sont d’origine communautaire, sauf en cas d’application du paragraphe 10,

–       ont été exportés hors de la Communauté

[…]

[…]

10.      Sauf dérogation décidée selon la procédure prévue à l’article 27, aucune restitution n’est accordée lors de l’exportation de produits importés des pays tiers et réexportés vers les pays tiers.»

12     La décision 96/239/CE de la Commission, du 27 mars 1996, relative à certaines mesures d’urgence en matière de protection contre l’encéphalopathie spongiforme bovine (JO L 78, p. 47), telle que modifiée par la décision 96/362/CE de la Commission, du 11 juin 1996 (JO L 139, p. 17, ci-après la «décision 96/239»), prévoit à son article 1er:

«[…] le Royaume‑Uni n’expédie pas de son territoire vers les autres États membres et les pays tiers:

[…]

–       de viandes de bovins abattus au Royaume-Uni,

–       de produits obtenus à partir de bovins abattus au Royaume-Uni, qui sont susceptibles d’entrer dans la chaîne alimentaire humaine […]

[…]»

13     L’article 1 bis de la décision 96/239 dispose:

«1.      Le Royaume‑Uni n’expédie pas:

–       de viandes pour la consommation humaine,

[…]

provenant de bovins qui n’ont pas été abattus dans le Royaume-Uni, sauf s’ils proviennent d’établissements au Royaume-Uni sous contrôle vétérinaire officiel qui ont mis en place un système de repérage de la matière première qui garantisse l’origine de la matière tout au long de la chaîne de production.

2.      Le Royaume-Uni notifie à la Commission et aux autres États membres la liste des établissements répondant aux conditions prévues au paragraphe 1.

3.      Le Royaume-Uni s’assure que les produits mentionnés au paragraphe 1 expédiés vers les autres États membres soient accompagnés d’un certificat sanitaire délivré par un vétérinaire officiel indiquant qu’ils répondent aux conditions prévues au paragraphe 1.»

 Les faits au principal et les questions préjudicielles

14     Fleisch-Winter a, entre mai et juin 1997, déclaré cinq lots de viande bovine congelée destinés, selon les déclarations d’exportation, à être exportés vers la Russie. Elle a acheté cette viande bovine auprès d’une société française, qui s’était elle-même fournie auprès d’une société belge. Une enquête menée par les services des douanes et de la répression des fraudes allemands a révélé des éléments dont il découlait que la viande pouvait provenir du Royaume-Uni et qu’elle aurait été introduite en Belgique en infraction à la décision 96/239.

15     Le Hauptzollamt a alors réclamé le remboursement de l’avance sur restitution à l’exportation et, pour un cas, refusé la restitution sollicitée. Après avoir introduit une réclamation en vain, Fleisch-Winter a formé un recours contre les décisions concernées, lequel recours a également été rejeté.

16     Par décision du 24 novembre 1997, dans la version de la décision rendue sur réclamation le 10 septembre 1999, le Hauptzollamt a, pour les cinq lots précités, imposé à Fleisch-Winter, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87, une sanction d’un montant total de 104 312,90 DEM au motif que, contrairement aux informations qu’elle avait fournies, elle n’avait droit à aucune restitution à l’exportation.

17     Fleisch-Winter a introduit un recours auprès du Finanzgericht compétent, qui a jugé que le Hauptzollamt avait imposé la sanction à bon droit. Selon le Finanzgericht, la demanderesse au principal n’avait pas été en mesure d’écarter les soupçons selon lesquels cette viande destinée à être exportée vers la Russie était frappée d’interdiction communautaire à l’exportation. Elle ne pouvait donc prétendre à ladite restitution, car la viande, relevant de cette interdiction, n’était pas de «qualité loyale et marchande» au sens de l’article 13 du règlement nº 3665/87.

18     C’est dans ces conditions que Fleisch-Winter a formé un recours en «Revision» contre la décision de rejet auprès du Bundesfinanzhof, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La circonstance qu’une enquête de l’administration des douanes a fait naître le soupçon qu’une marchandise relève d’une interdiction d’expédition prévue par le droit communautaire et prohibant l’exportation, à partir d’un certain État membre vers les autres États membres et les pays tiers, d’un produit faisant l’objet d’une restitution suffit-elle en soi à exclure l’existence d’une qualité saine, loyale et marchande au sens de l’article 13, première phrase, du règlement n° 3665/87, sans qu’importent la qualité effective ou la possibilité de commercialiser le produit en cause?

2)      L’assurance fournie dans une demande nationale de paiement qu’un produit est de qualité saine, loyale et marchande au sens de l’article 13, première phrase, du règlement n° 3665/87 fait-elle partie des informations délivrées conformément aux dispositions combinées des articles 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, et 3 du règlement nº 3665/87?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

19     Par cette question, qui peut être divisée en deux branches, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 13 du règlement nº 3665/87 doit être interprété en ce sens que, d’une part, il s’oppose à ce qu’une viande bovine faisant l’objet d’une interdiction à l’exportation prévue par le droit communautaire à partir d’un certain État membre vers les autres États membres et les États tiers puisse être considérée comme étant de «qualité saine, loyale et marchande» et, d’autre part, il exige, aux fins de l’octroi des restitutions, que l’exportateur démontre que le produit exporté ne provient pas d’un État membre à partir duquel les exportations sont interdites, dans le cas où l’administration nationale dispose d’indices selon lesquels le produit est soumis à une interdiction à l’exportation.

 Sur la première branche de la première question

20     La Cour a jugé, dans le contexte du règlement n° 1041/67/CEE de la Commission, du 21 décembre 1967, portant modalités d’application des restitutions à l’exportation dans le secteur des produits soumis à un régime de prix unique (JO 1967, 314, p. 9), que l’exigence d’une «qualité saine, loyale et marchande» est une condition générale et objective pour l’octroi d’une restitution et qu’un produit qui ne pourrait pas être commercialisé sur le territoire communautaire dans des conditions normales et sous la désignation apparaissant sur la demande d’octroi d’une restitution ne remplirait pas ces exigences de qualité (voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 1973, Muras, 12/73, Rec. p. 963, point 12, et du 26 mai 2005, SEPA, C-409/03, non encore publié au Recueil, point 22).

21     Le fait que le caractère commercialisable du produit «dans des conditions normales» est un élément inhérent à la notion de «qualité saine, loyale et marchande» ressort d’ailleurs clairement de la réglementation relative aux restitutions à l’exportation pour les produits agricoles, dans la mesure où, depuis le règlement n° 1041/67, tous les règlements pertinents ont repris, pour qu’un produit puisse donner lieu à une restitution à l’exportation, tant la notion de «qualité saine, loyale et marchande» que le critère du caractère commercialisable du produit «dans des conditions normales». En ce qui concerne le règlement n° 3665/87, c’est son neuvième considérant qui se réfère à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt SEPA, précité, points 23 et 26).

22     Il est à noter que l’exportation de la viande bovine, depuis le Royaume‑Uni, était interdite à l’époque des faits au principal par la décision 96/239.

23     Or, une viande, dont la distribution dans la Communauté est considérablement restreinte, ne peut être considérée comme ayant un caractère commercialisable «dans des conditions normales» (voir, en ce sens, arrêt SEPA, précité, point 30).

24     Il s’ensuit qu’une viande bovine, exportée malgré une interdiction communautaire, n’est pas de «qualité saine, loyale et marchande», au sens de l’article 13 du règlement nº 3665/87, et que son exportation ne donne pas droit à l’octroi de restitutions.

25     Par conséquent, il convient de répondre à la première branche de la première question que l’article 13 du règlement nº 3665/87 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une viande bovine faisant l’objet d’une interdiction à l’exportation prévue par le droit communautaire, à partir d’un certain État membre vers les autres États membres et les États tiers, puisse être considérée comme étant de «qualité saine, loyale et marchande».

 Sur la seconde branche de la première question

26     Dans le secteur de la viande bovine, selon l’article 13, paragraphe 9, du règlement n° 805/68, la restitution à l’exportation est payée lorsque la preuve est apportée que les produits sont d’origine communautaire, sauf en cas d’application du paragraphe 10 de ce même article. Il n’existe pas d’éléments dans le dossier que la dérogation visée par l’article 13, paragraphe 10, était d’application. Il ne fait pas de doute que cette preuve doit être apportée par l’exportateur.

27     Si des doutes surgissent à propos de l’origine d’un ou des produits, l’origine communautaire ne peut être démontrée que par la preuve que ce produit est ou ces produits sont originaires d’un État membre déterminé ou d’États membres déterminés. Par cette preuve, il est établi sans équivoque si le produit pour lequel la restitution à l’exportation a été demandée provient ou non d’un État membre à partir duquel les exportations sont interdites.

28     En ce qui concerne la «qualité saine, loyale et marchande», il convient de relever tout d’abord que l’article 13 du règlement n° 3665/87 fait partie du chapitre 1er, intitulé «Droit à la restitution», du titre 2, intitulé «Exportations vers les pays tiers», de ce règlement, ce qui démontre que la «qualité saine, loyale et marchande» du produit exporté est une condition matérielle exigée pour l’octroi des restitutions.

29     Le fait que la «qualité saine, loyale et marchande» est une condition matérielle de l’octroi des restitutions n’est pas infirmé, comme le soutient Fleisch-Winter, par l’article 3, paragraphe 5, du règlement n° 3665/87, car les données y mentionnées constituent une liste non exhaustive.

30     Contrairement à ce que soutient Fleisch-Winter, ce fait n’est pas infirmé non plus par le règlement n° 800/1999. En effet, en premier lieu, ce règlement qui a abrogé et remplacé le règlement nº 3665/87 à une date postérieure aux faits du litige au principal n’est pas applicable ratione temporis. En second lieu, l’article 21 du règlement n° 800/1999 fait partie du chapitre I, du titre II, du même règlement intitulé «Droit à la restitution», comme l’article 13 du règlement n° 3665/87, ainsi qu’il a été exposé au point 28 du présent arrêt. C’est donc ledit chapitre I qui établit les conditions matérielles du droit à la restitution.

31     Le système des restitutions à l’exportation a pour caractéristiques, d’une part, que l’aide communautaire n’est accordée qu’à la condition que l’exportateur en fasse la demande et, d’autre part, que le régime est financé par le budget communautaire. Le système reposant sur des déclarations facultatives, lorsque l’exportateur a décidé par sa propre volonté d’en bénéficier, il doit fournir les informations pertinentes nécessaires à établir le droit à la restitution et à la détermination de son montant. À cet égard, la Cour, dans le contexte du règlement nº 3665/87 et de son système de sanctions, a déjà jugé que, s’agissant d’un régime d’aide communautaire, l’octroi de l’aide est nécessairement subordonné à la condition que son bénéficiaire présente toutes les garanties de probité et de fiabilité (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister, C-210/00, Rec. p. I-6453, point 41).

32     Un exportateur, en déclarant un produit dans le cadre de la procédure de restitution à l’exportation, sous-entend que ce produit remplit toutes les conditions nécessaires à la restitution. Le règlement n° 3665/87 n’oblige pas l’exportateur à faire une déclaration explicite sur l’existence d’une «qualité saine, loyale et marchande», mais, même si l’exportateur ne procède pas à une telle déclaration, sa demande de restitution signifie toujours qu’il assure d’une façon implicite que cette condition est remplie. La thèse de Fleisch-Winter selon laquelle la «qualité saine, loyale et marchande» est légalement présumée ne saurait être retenue.

33     Les modalités communes d’application des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles sont réglementées par la Commission et c’est aux autorités nationales des États membres qu’il appartient de faire appliquer la réglementation communautaire sur leur territoire et de la faire respecter. L’obligation de vérification des conditions de la restitution est accrue dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, lorsque l’exportation d’une viande à partir d’un État membre fait l’objet d’une interdiction, pour un motif de la protection de la santé publique contre de graves maladies et épidémies. À cet égard, il est à noter que la Cour a souligné à plusieurs reprises la réalité et la gravité des risques liés à la maladie de l’encéphalopathie spongiforme bovine et le caractère approprié de mesures conservatoires justifiées par la protection de la santé humaine au regard de cette maladie (voir arrêts du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96, Rec. p. I-2265; du 12 juillet 2001, Portugal/Commission, C‑365/99, Rec. p. I-5645, et du 22 mai 2003, France/Commission, C‑393/01, Rec. p. I-5405, point 42).

34     Quant à la question de savoir si les exigences d’une «qualité saine, loyale et marchande» sont remplies, il convient de rejeter l’argument de Fleisch-Winter selon lequel la disposition contenue à l’article 5, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2221/95, qui exige que le bureau de douane d’exportation veille à ce que l’article 13 du règlement n° 3665/87 soit respecté, ferait peser entièrement sur les autorités nationales l’obligation de constater si la «qualité saine, loyale et marchande» existe. En effet, l’objet du règlement n° 2221/95 est le contrôle physique des produits alors que la vérification dans le cas au principal se réfère à une caractéristique juridique de ceux‑ci, ce que ne permet pas de constater un contrôle physique.

35     Au contraire, dans la mesure où l’exportateur, en introduisant une demande de restitution, assure toujours d’une façon explicite ou implicite l’existence d’une «qualité saine, loyale et marchande», il lui incombe de démontrer, selon les règles de preuve du droit national, que cette condition est bien remplie au cas où la déclaration serait mise en doute par les autorités nationales.

36     D’ailleurs, il ressort du dossier que, à la suite de la révélation de certains éléments dont il est résulté que la viande bovine exportée pouvait provenir du Royaume-Uni et ainsi faire l’objet d’une interdiction à l’exportation, le remboursement de l’avance sur la restitution a été réclamé et l’une des restitutions sollicitées a été refusée, ce qui a donné lieu à des procédures administratives et, par la suite, juridictionnelles. Au cours de ces procédures, Fleisch-Winter n’a pas fourni d’informations relatives à la provenance de la viande et a même déclaré, lors de l’audience, qu’elle ne connaissait pas l’origine du produit en question. Il appartient au juge national, en examinant tous les éléments pertinents de l’affaire, d’en tirer la conclusion définitive.

37     Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde branche de la première question que l’article 13 du règlement nº 3665/87 exige, aux fins de l’octroi des restitutions, que l’exportateur démontre que le produit exporté ne provient pas d’un État membre à partir duquel les exportations sont interdites, dans le cas où l’administration nationale dispose d’indices selon lesquels le produit est soumis à une interdiction à l’exportation.

38     Dès lors, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 13 du règlement nº 3665/87 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une viande bovine faisant l’objet d’une interdiction à l’exportation prévue par le droit communautaire, à partir d’un certain État membre vers les autres États membres et les pays tiers, puisse être considérée comme étant de «qualité saine, loyale et marchande», et qu’il exige, aux fins de l’octroi des restitutions, que l’exportateur démontre que le produit exporté ne provient pas d’un État membre à partir duquel les exportations sont interdites, dans le cas où l’administration nationale dispose d’indices selon lesquels le produit est soumis à une interdiction à l’exportation.

 Sur la seconde question

39     Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’assurance fournie dans une demande nationale de paiement qu’un produit est de qualité saine, loyale et marchande au sens de l’article 13, première phrase, du règlement n° 3665/87 fait partie des informations délivrées conformément aux dispositions combinées des articles 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, et 3 du règlement nº 3665/87.

40     En ce qui concerne la demande de paiement visée à l’article 47, paragraphe 1, du règlement n° 3665/87, la Cour a déjà jugé qu’il ne s’agissait que d’un document d’ordre technique et procédural. Cette demande, pouvant être présentée dans les douze mois suivant la date d’acceptation de la déclaration d’exportation, à savoir bien après l’exportation, ne constitue pas, bien qu’elle soit une condition préalable au paiement de la restitution, le fondement juridique du droit relatif à un tel paiement. La demande de restitution, au sens de l’article 11, paragraphe 1, dudit règlement n’est donc pas introduite par le dépôt de la demande de paiement au sens de l’article 47 du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2005, Käserei Champignon Hofmeister, C-385/03, Rec. p. I‑2997, points 26 et 27).

41     Il ressort également de la jurisprudence que ce sont les documents visés à l’article 3, paragraphe 5, du règlement n° 3665/87, à savoir la déclaration d’exportation ou tout autre document utilisé lors de l’exportation, qui sont susceptibles, d’une part, de former le fondement juridique d’une restitution et, d’autre part, de déclencher le système de vérification de la demande de restitution pouvant entraîner l’application d’une sanction, conformément à l’article 11, paragraphe 1, du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2005, Käserei Champignon Hofmeister, précité, points 23, 29 et 36).

42     Comme il a été précisé aux points 32 et 35 du présent arrêt, l’introduction d’une demande de restitution assure toujours d’une façon explicite ou implicite que les conditions d’octroi de la restitution sont remplies, y compris l’existence d’une «qualité saine, loyale et marchande» du produit. Dans ce cas, la demande de paiement, visée à l’article 47 du règlement n° 3665/87, ne saurait être considérée comme déterminante pour l’établissement du droit matériel à la restitution.

43     Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient donc de répondre à la seconde question que l’assurance fournie dans une demande nationale de paiement qu’un produit est de «qualité saine, loyale et marchande», au sens de l’article 13, première phrase, du règlement n° 3665/87, ne fait pas partie des informations délivrées conformément aux dispositions combinées des articles 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, et 3 dudit règlement. Toutefois, elle peut être considérée par le juge national comme un élément de preuve aux fins de l’appréciation de la situation de l’exportateur.

 Sur les dépens

44     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 13 du règlement nº 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94 de la Commission, du 2 décembre 1994, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une viande bovine faisant l’objet d’une interdiction à l’exportation prévue par le droit communautaire, à partir d’un certain État membre vers les autres États membres et les États tiers, puisse être considérée comme étant de «qualité saine, loyale et marchande», et qu’il exige, aux fins de l’octroi des restitutions, que l’exportateur démontre que le produit exporté ne provient pas d’un État membre à partir duquel les exportations sont interdites, dans le cas où l’administration nationale dispose d’indices selon lesquels le produit est soumis à une interdiction à l’exportation.

2)      L’assurance fournie dans une demande nationale de paiement qu’un produit est de «qualité saine, loyale et marchande», au sens de l’article 13, première phrase, du règlement n° 3665/87, tel que modifié par le règlement n° 2945/94, ne fait pas partie des informations délivrées conformément aux dispositions combinées des articles 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, et 3 dudit règlement. Toutefois, elle peut être considérée par le juge national comme un élément de preuve aux fins de l’appréciation de la situation de l’exportateur.

Signatures


* Langue de procédure: l'allemand.