Affaire C-89/04

Mediakabel BV

contre

Commissariaat voor de Media

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Raad van State)

«Directive 89/552/CEE — Article 1er, sous a) — Services de radiodiffusion télévisuelle — Champ d'application — Directive 98/34/CE — Article 1er, point 2 — Services de la société de l'information — Champ d'application»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 10 mars 2005 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 2 juin 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Libre prestation des services — Activités de radiodiffusion télévisuelle — Directive 89/552 — Notion de «radiodiffusion télévisuelle» — Définition autonome par l'article 1er, sous a), de la directive 89/552, sans regard à la notion de «service de la société de l'information» figurant à la directive 98/34 — Services relevant de ladite notion — Critères de détermination

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/34, art. 1er, point 2; directive du Conseil 89/552, art. 1er, a))

2.     Libre prestation des services — Activités de radiodiffusion télévisuelle — Directive 89/552 — Notion de «service de radiodiffusion télévisuelle» — Service consistant à émettre des programmes télévisés à destination du public et non fourni à la demande individuelle d'un destinataire — Inclusion — Mode d'exécution de l'obligation de réserver une proportion majoritaire du temps de diffusion à des oeuvres européennes — Absence d'incidence

(Directive du Conseil 89/552, art. 1er, a), et 4, § 1)

1.     La notion de «radiodiffusion télévisuelle» visée à l'article 1er, sous a), de la directive 89/552 relative à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36, est définie de façon autonome par cette disposition. Elle ne se définit pas par opposition à la notion de «service de la société de l'information» au sens de l'article 1er, point 2, de la directive 98/34, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, telle que modifiée par la directive 98/48, et ne recouvre donc pas nécessairement les services qui ne sont pas couverts par cette dernière notion.

Un service relève de ladite notion de «radiodiffusion télévisuelle» s'il consiste en l'émission primaire de programmes télévisés destinés au public, c'est-à-dire à un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément transmises. La technique de transmission des images n'est pas un élément déterminant dans cette appréciation.

(cf. points 25, 33, disp. 1-2)

2.     Un service qui consiste à émettre des programmes télévisés à destination du public et qui n'est pas fourni à la demande individuelle d'un destinataire de services est un service de radiodiffusion télévisuelle, au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 89/552 relative à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36. Le point de vue du prestataire du service doit être privilégié dans l'analyse de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle» car le critère déterminant de cette notion est celui de l'émission de programmes télévisés «destinés au public». En revanche, la situation des services concurrents du service concerné est sans incidence sur cette appréciation.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles le prestataire d'un tel service s'acquitte de l'obligation, visée à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, de réserver une proportion majoritaire de son temps de diffusion à des oeuvres européennes sont sans incidence sur la qualification de service de radiodiffusion télévisuelle pour ce service.

(cf. points 42, 45, 52, disp. 3-4)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

2 juin 2005 (*)

«Directive 89/552/CEE – Article 1er, sous a) – Services de radiodiffusion télévisuelle – Champ d'application – Directive 98/34/CE – Article 1er, point 2 – Services de la société de l'information – Champ d'application»

Dans l'affaire C-89/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Raad van State (Pays-Bas), par décision du 18 février 2004, parvenue à la Cour le 20 février 2004, dans la procédure

Mediakabel BV

contre

Commissariaat voor de Media,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président, MM. A. Borg Barthet, J.‑P. Puissochet (rapporteur), S. von Bahr et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: Mme M. M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 janvier 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour Mediakabel BV, par Mes M. Geus et E. Steyger, advocaten,

–       pour le Commissariaat voor de Media, par Me G. Weesing, advocaat,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. Wissels, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement belge, par M. A. Goldman, en qualité d'agent, assisté de Mes A. Berenboom et A. Joachimowicz, avocats,

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme S. Ramet, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Jackson, en qualité d'agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. W. Wils, en qualité d'agent,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 mars 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 202, p. 60, ci-après la «directive 89/552»), et de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18, ci-après la «directive 98/34»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par Mediakabel BV (ci-après «Mediakabel») à l’encontre d’une décision du Commissariaat voor de Media (commissariat aux médias), par laquelle ce dernier a considéré que le service «Filmtime» proposé par Mediakabel à ses clients était un service de radiodiffusion télévisuelle soumis à la procédure d’autorisation applicable à ces services aux Pays-Bas.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       La directive 89/552 prévoit notamment, à son article 4, paragraphe 1, une obligation pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle de réserver une proportion majoritaire de leur temps de diffusion à des œuvres européennes.

4       L’article 1er de cette directive dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)      ‘radiodiffusion télévisuelle’: l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés, destinés au public. Est visée la communication de programmes entre entreprises en vue d’une rediffusion à l’intention du public. Ne sont pas visés les services de communications fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information ou d’autres prestations, tels que les services de télécopie, les banques de données électroniques et autres services similaires;

[…]»

5       La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), définit le cadre juridique communautaire applicable aux services de la société de l’information. Selon l’article 2, sous a), de cette directive, on entend par «services de la société de l’information» «les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par la directive 98/48/CE».

6       Aux termes de l’article 1er de la directive 98/34:

«Au sens de la présente directive, on entend par:

[…]

2)      ‘service’: tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par:

–       les termes ‘à distance’: un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

–       ‘par voie électronique’: un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

–       ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’: un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V.

La présente directive n’est pas applicable:

–       aux services de radiodiffusion sonore,

–       aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE.

[…]»

7       L’annexe V de la directive 98/34, intitulée «Liste indicative des services non couverts par l’article 1er, point 2, deuxième alinéa», comporte un point 3, relatif aux «Services non fournis ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’», qui vise les «Services fournis par l’envoi de données sans appel individuel et destinés à la réception simultanée d’un nombre illimité de destinataires (transmission ‘point à multipoint’)». Ce point 3, sous a), mentionne les «services de radiodiffusion télévisuelle (y compris la quasi vidéo à la demande) visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE».

8       Selon le dix-huitième considérant, sixième et septième phrases, de la directive sur le commerce électronique:

«Les services de télévision au sens de la directive 89/552/CEE et de radiodiffusion ne sont pas des services de la société de l’information car ils ne sont pas fournis sur demande individuelle. En revanche, les services transmis de point à point, tels que les services de vidéo à la demande ou la fourniture de communications commerciales par courrier électronique constituent des services de la société de l’information».

 La réglementation nationale

9       En vertu de l’article 1er, sous f), de la loi sur les médias (Mediawet), on entend par «programme» «un produit électronique à contenu visuel ou auditif destiné à être radiodiffusé et reçu par le grand public ou une partie de celui-ci, à l’exception des services de données qui ne sont disponibles que sur demande individuelle, et d’autres services interactifs». Le même article, sous l), définit un «programme à diffusion spéciale» comme «un programme diffusé codé et qui est destiné à être reçu par la partie du grand public qui a conclu avec l’organisme de diffusion qui s’occupe du programme un contrat portant sur la réception de celui-ci».

10     L’article 71a, paragraphe 1, de ladite loi prévoit qu’un organisme commercial de radiodiffusion n’est autorisé à émettre ou à faire émettre un programme qu’il a mis au point que s’il a obtenu l’autorisation du Commissariaat voor de Media, sans préjudice des dispositions de la loi sur les télécommunications (Telecommunicatiewet).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11     Depuis la fin de l’année 1999, Mediakabel propose à ses abonnés, d’une part, le service «Mr. Zap» par le biais de certains réseaux de diffusion gérés par des tiers. Ce service, autorisé par le Commissariaat voor de Media, conformément à la loi sur les médias, permet, moyennant un abonnement mensuel, de recevoir grâce à un décodeur et une carte à puce des programmes télévisés qui complètent ceux diffusés par le fournisseur du réseau. D’autre part, Mediakabel propose à ses abonnés au service «Mr. Zap» l’accès payant («pay per view») à des programmes supplémentaires dans le cadre d’un service appelé «Filmtime». Si un abonné de «Mr. Zap» souhaite commander un film du catalogue «Filmtime», il en fait la demande séparée par sa commande à distance ou par téléphone et, après s’être identifié par un code personnel et avoir payé par encaissement automatique, il reçoit une clé individuelle qui lui permet de regarder, aux horaires indiqués sur l’écran de télévision ou dans le guide des programmes, un ou plusieurs des 60 films proposés mensuellement.

12     Par une décision du 15 mars 2001, le Commissariaat voor de Media a informé Mediakabel qu’il considérait le service «Filmtime» comme un programme à diffusion spéciale au sens de l’article 1er de la loi sur les médias, qui devait donc faire l’objet d’une demande écrite d’autorisation en vertu de l’article 71a, paragraphe 1, de ladite loi. Mediakabel a présenté cette demande au Commissariaat voor de Media, mais a indiqué lors du dépôt de celle-ci que la procédure suivie ne lui paraissait pas applicable au service en cause, qui constituait, selon elle, un service interactif relevant de la catégorie des services de la société de l’information et échappant de ce fait au pouvoir de contrôle du défendeur au principal. Par une décision du 19 juin 2001, celui-ci a autorisé l’émission du programme télévisé à diffusion spéciale «Filmtime» pour une période de cinq ans, sans préjudice des dispositions de la loi sur les télécommunications.

13     Mediakabel a formé une réclamation à l’encontre de cette décision, que le Commissariaat voor de Media a rejetée le 20 novembre 2001. Le recours de Mediakabel introduit devant le Rechtbank te Rotterdam a également été rejeté, par une décision du 27 septembre 2002.

14     Mediakabel a alors saisi le Raad van State, devant lequel elle a soutenu que son service «Filmtime» ne constituait pas un programme au sens de l’article 1er de la loi sur les médias. Elle a fait valoir notamment que ce service n’était accessible que sur demande individuelle et qu’il devait donc être analysé non comme un service de radiodiffusion télévisuelle, mais comme un service de télécommunication fourni sur appel individuel, au sens de l’article 1er, sous a), troisième phrase, de la directive 89/552, échappant par conséquent au champ d’application de ladite directive. Portant sur des films qui ne sont pas toujours disponibles immédiatement sur demande, ce service constitue, selon Mediakabel, un service de quasi vidéo à la demande qui, précisément parce qu’il est accessible sur demande individuelle des abonnés, ne peut se voir imposer les exigences de la directive 89/552, notamment l’obligation de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes.

15     Le Raad van State indique que la notion de «programme» au sens de l’article 1er, sous f), de la loi sur les médias doit être interprétée en conformité avec celle de «service de radiodiffusion télévisuelle» visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552. Il relève que la directive 98/34, en particulier le point 3, sous a), de son annexe V, qui inclut la quasi vidéo à la demande dans les services de radiodiffusion télévisuelle, semble donner une définition de cette dernière notion plus précise que celle figurant à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, rendant ainsi plus délicate la détermination des champs d’application respectifs de cette dernière directive et de la directive sur le commerce électronique. La juridiction de renvoi constate également que le service «Filmtime» présente tant des caractéristiques d’un service de la société de l’information, notamment le fait qu’il soit accessible sur appel individuel de l’abonné, que des caractéristiques d’un service de radiodiffusion télévisuelle, Mediakabel sélectionnant les films disponibles et déterminant la fréquence et les horaires de leur diffusion.

16     Dans ces conditions, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

1)      a)     La notion de ‘radiodiffusion télévisuelle’ au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle couvre, non pas le ‘service de la société de l’information’ visé à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par la directive 98/48/CE, mais au contraire les services décrits dans la liste indicative figurant à l’annexe V de la directive 98/34/CE et concernant les services non couverts par l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE, et notamment ceux décrits au point 3 de ladite liste qui mentionne la quasi vidéo à la demande, qui ne sont donc pas des ‘services de la société de l’information’?

b)      En cas de réponse négative à la question 1a, comment convient-il de distinguer la notion de ‘radiodiffusion télévisuelle’ au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE de la notion mentionnée au même article de ‘services de communication fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information’?

2)      a)      Sur la base de quels critères peut-on répondre à la question de savoir si un service comme celui en cause, pour lequel des signaux de films sélectionnés par l’offreur du service, signaux qui sont codés et diffusés sur un réseau, peuvent être, après paiement séparé pour chaque film, décodés par les abonnés à l’aide d’une clef envoyée sur demande individuelle par l’offreur du service et regardés à des heures différentes fixées par l’offreur – service qui comprend donc des aspects spécifiques d’un service (individuel) de la société de l’information et en même temps des éléments caractéristiques d’un service de radiodiffusion télévisuelle –, est un service de radiodiffusion télévisuelle ou un service de la société de l’information?

b)      Convient-il de privilégier le point de vue de l’abonné ou celui de l’offreur du service? Les services concurrentiels du service en cause sont-ils importants en la matière?

3)       En l’espèce convient-il d’attacher de l’importance au fait que

–       d’une part, si le service en cause est qualifié de ‘service de la société de l’information’ non couvert par la directive 89/552/CEE, cette qualification est susceptible de ruiner l’efficacité de cette directive, eu égard notamment à la finalité de l’obligation qu’elle impose de consacrer un certain pourcentage du temps d’antenne à des œuvres européennes, étant entendu que

–       d’autre part, si la directive 89/552/CEE est applicable, l’obligation qu’elle édicte de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes a peu de sens puisque les abonnés payent par film et ne peuvent regarder que le film pour lequel ils ont payé?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a)

17     Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi cherche à savoir si la notion de «radiodiffusion télévisuelle» au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552 recouvre les services qui échappent à la notion de «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et qui sont visés à l’annexe V, point 3, de cette dernière directive.

18     Ainsi que le soutient à juste titre le gouvernement belge, le champ d’application de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle» est déterminé de façon autonome par l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, qui comporte tous les éléments pertinents à cet effet. Relève ainsi de cette notion tout service consistant en l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés, destinés au public.

19     La directive 98/34 et la directive sur le commerce électronique ont un objet distinct de la directive 89/552. Elles établissent le cadre juridique communautaire applicable aux seuls services de la société de l’information, visés à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, c’est-à-dire à tout service effectué à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services. La directive 98/34 prévoit expressément, à ladite disposition, qu’elle «n’est pas applicable […] aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552». La directive 98/34 se limite donc sur ce point à renvoyer à la directive 89/552 et, comme la directive sur le commerce électronique, ne contient aucune définition de la notion de services de radiodiffusion télévisuelle.

20     Certes, l’annexe V de la directive 98/34, relative aux services non visés par la définition de service de la société de l’information, paraît comporter des éléments de définition de la notion de «services de radiodiffusion télévisuelle» plus précis que ceux mentionnés dans la directive 89/552. D’une part, cette annexe fait figurer, à son point 3, les services de radiodiffusion télévisuelle parmi les services «fournis par l’envoi de données sans appel individuel et destinés à la réception simultanée d’un nombre illimité de destinataires (transmission ‘point à multipoint’)». D’autre part, au même point, sous a), il est indiqué que les services de radiodiffusion télévisuelle comprennent «la quasi vidéo à la demande».

21     Toutefois, ladite annexe n’a, conformément à son intitulé et à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, qu’une valeur indicative et ne vise qu’à définir par exclusion la notion de «service de la société de l’information». Elle n’a donc ni pour objet ni pour effet de préciser les contours de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle», dont la définition repose sur les seuls critères fixés à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552.

22     Par ailleurs, le champ d’application de la notion de «radiodiffusion télévisuelle» ne peut en aucune manière se déduire par exclusion de celui de la notion de «service de la société de l’information». En effet, la directive 98/34 mentionne, à son article 1er, point 2, comme à son annexe V, des services qui ne sont pas couverts par la notion de «service de la société de l’information» et qui, pour autant, ne constituent pas des services de radiodiffusion télévisuelle. Il en va ainsi, notamment, des services de radiodiffusion sonore. De même, les services de radiodiffusion télévisuelle ne peuvent être limités aux services «fournis par l’envoi de données sans appel individuel et destinés à la réception simultanée d’un nombre illimité de destinataires», visés à l’annexe V, point 3, de la directive 98/34. Si cette interprétation était retenue, des services tels que ceux de télévision sur abonnement, diffusés auprès d’un nombre limité de destinataires, seraient soustraits à la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle», alors qu’ils relèvent de cette notion, en vertu des critères fixés à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552.

23     Enfin, il n’entrait pas dans les intentions du législateur communautaire, lorsque les directives 98/34 et 98/48 ont été adoptées, de modifier la directive 89/552, qui avait été elle-même modifiée moins d’un an auparavant par la directive 97/36. C’est dans cet esprit que le vingtième considérant de la directive 98/48, qui a modifié la directive 98/34, énonce que la directive 98/48 «est sans préjudice du champ d’application de la directive 89/552».

24     La directive 98/34 n’a donc pas d’incidence sur le champ d’application de la directive 89/552.

25     Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question, sous a), que la notion de «radiodiffusion télévisuelle» visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552 est définie de façon autonome par cette disposition. Elle ne se définit pas par opposition à la notion de «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34 et ne recouvre donc pas nécessairement les services qui ne sont pas couverts par cette dernière notion.

 Sur la première question, sous b)

26     Par sa première question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, quels sont les critères permettant de déterminer si un service relève de la notion de «radiodiffusion télévisuelle», au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, ou de la notion, mentionnée au même article, de «service de communication fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information». 

27     Les critères de cette distinction figurent expressément à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552.

28     Un service relève de la notion de «radiodiffusion télévisuelle» s’il consiste en l’émission primaire de programmes télévisés, destinés au public.

29     D’abord, il convient de relever que la technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation, ainsi que l’atteste l’emploi, à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, des termes «avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non». La Cour a ainsi jugé que la télédistribution par câble entre dans le champ d’application de ladite directive, alors même que cette technique était peu répandue au moment de l’adoption de cette directive (voir arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Belgique, C-11/95, Rec. p. I-4115, points 15 à 25).

30     Ensuite, le service concerné doit consister en l’émission de programmes télévisés destinés au public, c’est-à-dire à un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément transmises.

31     Enfin, il doit être déduit a contrario de l’exclusion des «services de communication fournis sur appel individuel» de la notion de «radiodiffusion télévisuelle» que cette notion recouvre des services qui ne sont pas fournis sur appel individuel. Le critère selon lequel, pour relever de ladite notion, les programmes télévisés doivent être «destinés au public» renforce cette analyse.

32     Ainsi, un service de télévision payant, même accessible à un nombre restreint d’abonnés, mais ne portant que sur des programmes choisis par le diffuseur et émis à des horaires déterminés par celui-ci, ne peut être regardé comme fourni sur appel individuel. Il relève par conséquent de la notion de «radiodiffusion télévisuelle». Le fait que les images soient, dans un tel service, accessibles au moyen d’un code personnel est sans incidence à cet égard, dès lors que le public des abonnés reçoit les émissions au même moment.

33     Il y a donc lieu de répondre à la première question, sous b), qu’un service relève de la notion de «radiodiffusion télévisuelle» visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552 s’il consiste en l’émission primaire de programmes télévisés destinés au public, c’est-à-dire à un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément transmises. La technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation.

 Sur la deuxième question, sous a) et b)

34     Par sa deuxième question, sous a) et b), qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un service tel que le service «Filmtime», en cause dans l’affaire au principal, est un service de radiodiffusion télévisuelle entrant dans le champ d’application de la directive 89/552 ou un service de la société de l’information relevant notamment de la directive sur le commerce électronique et quels sont les critères à prendre en considération dans une telle analyse.

35     Ainsi que le soutiennent à juste titre le Commissariaat voor de Media, les gouvernements néerlandais, belge, français et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, il ressort des éléments qui figurent dans la décision de renvoi qu’un service tel que le service «Filmtime» répond aux critères de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle», qui ont été rappelés en réponse à la première question, sous b).

36     Un tel service consiste en l’émission de films destinés à un public de téléspectateurs. Il porte donc bien sur des programmes télévisés, émis à l’attention d’un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels.

37     L’argumentation de Mediakabel, selon laquelle ce type de service, qui n’est accessible que sur demande individuelle, grâce à une clé spécifique attribuée personnellement à chaque abonné, constitue de ce fait un service de la société de l’information «fourni sur appel individuel», ne peut être accueillie.

38     En effet, si un tel service remplit les deux premiers critères de la notion de «service de la société de l’information», au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, à savoir qu’il est fourni à distance et transmis en partie par des équipements électroniques, il ne satisfait pas au troisième critère de ladite notion, en vertu duquel le service concerné doit être fourni «à la demande individuelle d’un destinataire de services». La liste des films proposés dans le cadre d’un service tel que le service «Filmtime» est établie par le prestataire du service. Cette sélection de films est proposée à tous les abonnés dans les mêmes conditions, soit au moyen de journaux, soit au moyen d’informations diffusées sur l’écran télévisé, et lesdits films sont accessibles aux horaires de diffusion fixés par le prestataire. La clé personnelle permettant d’accéder aux films ne constitue qu’un moyen de décryptage d’images dont les signaux sont adressés simultanément à tous les abonnés.

39     Un tel service n’est donc pas commandé individuellement par un destinataire isolé qui aurait le libre choix de ses programmes dans un cadre interactif. Il doit être regardé comme un service de quasi vidéo à la demande, fourni sur une base «point à multipoint» et non «à la demande individuelle d’un destinataire de services».

40     Mediakabel a indiqué à la Cour n'avoir pas admis devant le Raad van State la qualification de service de quasi vidéo à la demande pour un service tel que le service «Filmtime». Toutefois, cette allégation est sans incidence sur ladite qualification, qui résulte de la prise en considération des caractéristiques objectives du type de services concernés.

41     En outre, contrairement aux allégations de Mediakabel, la notion de «quasi vidéo à la demande» n’est pas inconnue du législateur communautaire. S’il est vrai qu’elle n’est pas précisément définie en droit communautaire, cette notion est mentionnée dans la liste indicative de l’annexe V de la directive 98/34, où elle figure parmi les services de radiodiffusion télévisuelle. De même, il ressort des points 83 et 84 du rapport explicatif qui accompagne la convention européenne sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989, élaborée en même temps que la directive 89/552 et à laquelle celle-ci se réfère dans son quatrième considérant, que la quasi vidéo à la demande n’est pas un «service de communication opérant sur appel individuel», notion correspondante à celle visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, et relève donc du champ d’application de ladite convention (voir en ce sens, à propos d’autres points du rapport explicatif de la convention européenne sur la télévision transfrontière, arrêts du 12 décembre 1996, RTI e.a., C‑320/94, C-328/94, C-329/94 et C-337/94 à C-339/94, Rec. p. I-6471, point 33, et du 23 octobre 2003, RTL Television, C-245/01, Rec. p. I‑12489, point 63).

42     Le critère déterminant de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle» est donc bien celui de l’émission de programmes télévisés «destinés au public». Le point de vue du prestataire de service doit par conséquent être privilégié dans l’analyse.

43     En revanche, ainsi qu’il a été dit en réponse à la première question, sous b), la technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation.

44     Quant à la situation des services concurrents du service concerné, elle n’a pas à être prise en considération, dès lors que chacun de ces services est régi par un cadre réglementaire spécifique et qu’aucun principe n’impose de fixer le même régime juridique à des services dont les caractéristiques diffèrent.

45     Dès lors, il convient de répondre à la deuxième question, sous a) et b), qu’un service tel que le service «Filmtime», qui consiste à émettre des programmes télévisés à destination du public et qui n’est pas fourni à la demande individuelle d’un destinataire de services, est un service de radiodiffusion télévisuelle, au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552. Le point de vue du prestataire du service doit être privilégié dans l’analyse de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle». En revanche, la situation des services concurrents du service concerné est sans incidence sur cette appréciation.

 Sur la troisième question

46     Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la difficulté pour le prestataire d’un service tel que le service «Filmtime» de respecter l’obligation, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes est susceptible d’écarter la qualification de service de radiodiffusion télévisuelle pour ce service.

47     Une réponse négative doit être apportée à cette question, pour deux séries de raisons.

48     D’une part, dès lors que le service concerné remplit les critères permettant de le qualifier de service de radiodiffusion télévisuelle, il n’y a pas lieu de prendre en considération les conséquences de cette qualification pour le prestataire du service.

49     En effet, le champ d’application d’une réglementation ne saurait dépendre d’éventuelles conséquences préjudiciables de celle-ci pour les opérateurs économiques auxquels le législateur communautaire a voulu qu’elle s’applique. En outre, une interprétation restrictive de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle» qui aurait pour effet d’exclure un service tel que celui en cause au principal du champ d’application de la directive porterait atteinte aux objectifs poursuivis par celle-ci et ne peut donc être retenue.

50     D’autre part, le prestataire d’un service tel que le service «Filmtime» n’est pas placé dans l’impossibilité de respecter l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552.

51     En effet, cette disposition fixe un quota d'oeuvres européennes dans le temps de «diffusion» de l'organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné mais ne saurait avoir pour objet d'imposer aux téléspectateurs de regarder effectivement lesdites oeuvres. S’il est indéniable que le prestataire d’un service tel que celui en cause au principal ne détermine pas les œuvres qui sont effectivement choisies et regardées par les abonnés, ce prestataire n’en conserve pas moins, comme tout opérateur émettant des programmes télévisés destinés au public, la maîtrise des œuvres qu’il diffuse. Les films qui figurent dans la liste que ledit prestataire propose aux abonnés du service donnent tous lieu à la diffusion de signaux, émis dans des conditions identiques vers les abonnés, ces derniers ayant le choix de décrypter ou non les images ainsi transmises. Le prestataire connaît ainsi son temps global de diffusion et peut donc respecter l’obligation qui lui est assignée de «réserver une proportion majoritaire de [son] temps de diffusion à des œuvres européennes».

52     Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que les conditions dans lesquelles le prestataire d’un service tel que le service «Filmtime» s’acquitte de l’obligation, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, de réserver une proportion majoritaire de son temps de diffusion à des œuvres européennes sont sans incidence sur la qualification de service de radiodiffusion télévisuelle pour ce service.

 Sur les dépens

53     La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «radiodiffusion télévisuelle» visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, est définie de façon autonome par cette disposition. Elle ne se définit pas par opposition à la notion de «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, et ne recouvre donc pas nécessairement les services qui ne sont pas couverts par cette dernière notion.

2)      Un service relève de la notion de «radiodiffusion télévisuelle» visée à l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, telle que modifiée par la directive 97/36, s’il consiste en l’émission primaire de programmes télévisés destinés au public, c’est-à-dire à un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément transmises. La technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation.

3)      Un service tel que le service «Filmtime», qui consiste à émettre des programmes télévisés à destination du public et qui n’est pas fourni à la demande individuelle d’un destinataire de services, est un service de radiodiffusion télévisuelle, au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, telle que modifiée par la directive 97/36. Le point de vue du prestataire du service doit être privilégié dans l’analyse de la notion de «service de radiodiffusion télévisuelle». En revanche, la situation des services concurrents du service concerné est sans incidence sur cette appréciation.

4)      Les conditions dans lesquelles le prestataire d’un service tel que le service «Filmtime» s’acquitte de l’obligation, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, telle que modifiée par la directive 97/36, de réserver une proportion majoritaire de son temps de diffusion à des œuvres européennes sont sans incidence sur la qualification de service de radiodiffusion télévisuelle pour ce service.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.