CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. Geelhoed
présentées le 12 septembre 2006 (1)
Affaires jointes C‑403/04 P et C‑405/04 P
Sumitomo Metal Industries Ltd
et
Nippon Steel Corp.
contre
Commission des Communautés européennes
«Pourvoi contre l’arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 8 juillet 2004, JFE Engineering Corp. e.a./Commission des Communautés européennes (T-67/00, T‑68/00, T-71/00 et T-78/00), annulant partiellement la décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire IV/E-1/35.860-B – tubes d’acier sans soudure), et diminuant le montant de l’amende infligée aux parties requérantes»
Table des matières
Introduction
I – La décision
II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
III – La procédure devant la Cour
IV – Le recours de Sumitomo
A – La portée du recours
B – Le premier moyen: violation du droit communautaire dans la constatation d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE concernant les tuyaux de transport «projet»
1. Le raisonnement du Tribunal
2. Les arguments de la requérante
a) les arguments dirigés à l’encontre de la conclusion du Tribunal selon laquelle la déclaration de M. Becher confirme de manière suffisante les déclarations de M. Verluca;
b) les arguments dirigés à l’encontre du renversement de la charge de la preuve qui découlerait du point 33 de l’arrêt attaqué (ce que l’on appelle le point «Gruber + Weber»);
c) les arguments dirigés à l’encontre de la conclusion du Tribunal confirmant que les déclarations de M. Verluca doivent être qualifiées de fiables.
3. Les arguments de la Commission
a) Remarque préalable
b) Les arguments concernant la déclaration de M. Becher
c) Les arguments concernant le renversement de la charge de la preuve: le point «Gruber + Weber»
d) Les arguments concernant les déclarations de M. Verluca
4. Appréciation
a) Remarques préalables
b) Les déclarations de M. Verluca
c) La déclaration de M. Becher
d) Le point «Gruber + Weber»
C – Le deuxième moyen – la durée excessive de la procédure
1. Les arguments de la requérante
2. Les arguments de la Commission
3. Appréciation
V – Le pourvoi de Nippon Steel
A – Le premier moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en utilisant une norme de preuve erronée, alors qu’il est démontré que les assertions de la Commission ne concordent pas avec les intérêts commerciaux de la requérante et sont donc illogiques
1. Les passages pertinents de l’arrêt attaqué
2. Les arguments de la requérante
3. Les arguments de la Commission
4. Appréciation
B – Le deuxième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en utilisant une norme de preuve incorrecte dans une affaire dans laquelle les preuves documentaires sont équivoques et alors que la requérante avait présenté une explication alternative plausible pour le comportement litigieux
C – Le troisième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve incorrecte au degré de preuve qui doit être fourni pour étayer les déclarations litigieuses que la Commission a avancées comme preuves principales, mais qui étaient peu crédibles, tout à fait équivoques et en contradiction avec les autres éléments de preuve
D – Le quatrième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en basant sur des motivations contradictoires et erronées sa thèse selon laquelle la déclaration de M. Becher du 21 avril 1997 corrobore les déclarations de M. Verluca concernant la prétendue infraction en matière de tuyaux de transport «projet»
1. Les arguments de la requérante
2. Les arguments de la Commission
3. Appréciation
VI – Les dépens
VII – Conclusion
Introduction
1. La présente affaire a pour objet les pourvois formés par Sumitomo Metal Industries Ltd (ci-après «Sumitomo») et Nippon Steel Corp. (ci-après «Nippon Steel») à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 8 juillet 2004, JFE Engineering Corp. e.a./Commission (T-67/00, T-68/00, T-71/00 et T‑78/00, Rec. p. II-2501), dans la mesure où cet arrêt les concerne (2).
2. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a réduit les amendes infligées aux parties requérantes dans la décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire IV/E-1/35.860-B – tubes d’acier sans soudure) (3) (ci-après la «décision»), et, pour le surplus, rejeté les recours en annulation de cette décision.
I – La décision
3. Les destinataires de la décision sont huit producteurs de tubes en acier au carbone sans soudure. Parmi ces huit producteurs se trouvaient quatre entreprises européennes (ci-après les «producteurs communautaires»), à savoir Mannesmannröhren-Werke AG (ci-après «Mannesmann»), Vallourec SA (ci‑après «Vallourec»), Corus UK Ltd (auparavant British Steel, ci-après «Corus») et Dalmine SpA (ci-après «Dalmine»). Les quatre autres destinataires de la décision étaient des entreprises japonaises (ci-après les «producteurs japonais»), à savoir NKK Corp., Nippon Steel, Kawasaki Steel Corp. et Sumitomo.
4. Les tubes en acier au carbone sans soudure sont utilisés par l’industrie pétrolière et gazière. Ces produits englobent deux catégories de produits.
5. La première catégorie de produits comprend les tubes de sondage, communément dénommés «Oil Country Tubular Goods» ou «OCTG». Ces tubes peuvent être vendus sans filetage (les «tubes lisses») ou filetés. Le filetage est une opération destinée à permettre la jonction des tubes OCTG. Il peut être réalisé conformément aux standards édictés par l’American Petroleum Institute (API). Les tubes filetés selon cette méthode sont dénommés ci-après les «tubes OCTG standard». Le filetage peut également se faire selon des techniques spéciales, généralement brevetées. Dans ce dernier cas, on parle de filetage ou de joints «de première qualité» ou «premium». Les tubes filetés selon cette méthode sont dénommés ci-après les «tubes OCTG premium».
6. La seconde catégorie de produits est constituée par les tuyaux de transport du pétrole et du gaz («line pipe») en acier au carbone sans soudure, parmi lesquels on distingue, d’une part, ceux qui sont fabriqués conformément à des normes standardisées et, d’autre part, ceux qui sont fabriqués sur mesure pour la réalisation de projets spécifiques (ci-après les «tuyaux de transport «projet»»).
7. En novembre 1994, la Commission des Communautés européennes a décidé d’enquêter sur des comportements anticoncurrentiels concernant les tubes en acier au carbone utilisés par l’industrie pétrolière. En décembre 1994, elle a procédé à des vérifications auprès de différents producteurs, dont Sumitomo. Entre septembre 1996 et décembre 1997, elle a effectué des vérifications complémentaires auprès de Vallourec, Dalmine et Mannesmann.
Lors d’une vérification réalisée chez Vallourec le 17 septembre 1996, le président de Vallourec Oil & Gas, M. Verluca, a fait une déclaration (ci-après la «déclaration de M. Verluca») qui a joué un rôle important dans la décision.
Lors d’une vérification chez Mannesmann, le directeur de cette société, M. Becher, a répondu à certaines questions qui lui étaient posées par la Commission (ci-après la «déclaration de M. Becher»). Cette réponse constitue également un fondement exprès de la décision.
8. Selon la décision, les huit sociétés destinataires de celle-ci ont conclu un accord qui impliquait notamment qu’elles respecteraient leurs marchés nationaux respectifs (points 62 à 67 de la décision). Selon cet accord, chaque société s’engageait à s’abstenir de vendre des tubes OCTG standard et des tuyaux de transport «projet» sur le marché national d’une autre partie à l’accord. L’accord aurait été conclu dans le cadre de ce que l’on a appelé le «club Europe-Japon». Le principe du respect des marchés nationaux était désigné par l’expression «règles fondamentales» («Fundamentals»). La Commission a relevé que les règles fondamentales avaient effectivement été respectées et, dès lors, que l’accord avait eu des effets anticoncurrentiels sur le marché commun.
9. L’accord convenu reposait sur trois volets, le premier étant les règles fondamentales relatives au respect des marchés nationaux, lesquelles constituent l’infraction retenue à l’article 1er de la décision, le deuxième étant la fixation des prix pour les appels d’offres et de prix minimaux pour les «marchés spéciaux», et le troisième étant le partage des autres marchés mondiaux, à l’exclusion du Canada et des États-Unis d’Amérique, au moyen de clés de répartition (les «sharing keys») (point 61 des motifs de la décision).
10. Pour établir l’existence des règles fondamentales, la Commission se fonde sur un faisceau d’indices documentaires énumérés aux points 62 à 67 des motifs de la décision ainsi que sur le tableau figurant au point 68 des motifs de celle-ci. Selon la Commission, il ressort de ce tableau que la part du producteur national dans les livraisons de tubes OCTG et de tuyaux de transport effectuées par les destinataires de la décision au Japon et sur le marché national de chacun des quatre producteurs communautaires était très élevée. La Commission en déduit que, dans l’ensemble, les marchés nationaux étaient effectivement respectés par les parties à l’accord. S’agissant des deux autres volets de l’accord en cause, la Commission décrit les éléments de preuve qui s’y rapportent aux points 70 à 77 des motifs de la décision.
11. Selon la Commission (points 59 et 60 des motifs de la décision), le club Europe-Japon se serait réuni deux fois par an entre 1977 et 1994.
12. La Commission n’a toutefois retenu l’existence d’une infraction qu’à partir de 1990, compte tenu des accords d’autolimitation des exportations conclus entre la Commission et le gouvernement japonais entre 1977 et 1990 (point 108 des motifs de la décision). Selon la Commission, l’infraction a pris fin en 1995 (points 96 et 97 des motifs de la décision).
13. Pour autant que de besoin dans le cadre des présents pourvois, le dispositif de la décision s’énonce comme suit:
«Article premier
1. […] Sumitomo Metal Industries Limited, [et] Nippon Steel Corporation, […] ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation de la présente décision, à un accord prévoyant, entre autres, le respect de leur marché national respectif pour les tubes OCTG filetés standard et les linepipe project sans soudure.
2. L’infraction a duré de 1990 à 1995 pour […] Sumitomo Metal Industries Limited [et] Nippon Steel Corporation, […]
[…]
Article 4
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l’article 1er, en raison de l’infraction constatée audit article:
[…]
5. Sumitomo Metal Industries Limited 13 500 000 euros
6. Nippon Steel Corporation 13 500 000 euros
[…]»
II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14. Par sept requêtes déposées au greffe du Tribunal entre le 28 février et le 3 avril 2000, sept parmi les huit sociétés sanctionnées, dont Sumitomo et Nippon Steel, ont formé un recours à l’encontre de la décision. Elles ont toutes demandé l’annulation totale ou partielle de la décision et l’annulation de l’amende qui leur était infligée ou, subsidiairement, en cas de maintien total ou partiel de la décision, la réduction de ladite amende.
15. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a:
– annulé l’article 1er, paragraphe 2, de la décision en ce qu’il retient l’existence de l’infraction reprochée avant le 1er janvier 1991 et au-delà du 30 juin 1994;
– fixé le montant de l’amende infligée à chacune des deux requérantes à 10 935 000 euros;
– rejeté les recours pour le surplus;
– condamné chaque partie à supporter ses propres dépens.
III – La procédure devant la Cour
16. Sumitomo invite la Cour à:
– annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué;
– annuler, en tout ou en partie, l’article 1er et les articles 3 à 6 de la décision, dans la mesure où ils sont adressés à Sumitomo;
– ordonner, le cas échéant, à la Commission d’indemniser Sumitomo pour la durée excessivement longue de la procédure devant le Tribunal, à concurrence de 1 012 332 euros au moins;
– condamner la Commission aux dépens devant le Tribunal et la Cour.
17. Nippon Steel invite la Cour à:
– annuler l’arrêt attaqué;
– annuler la décision, dans la mesure où elle concerne Nippon Steel;
– subsidiairement, au cas où le recours ne serait déclaré fondé que dans la mesure où il vise les tuyaux de transport spéciaux, réduire de deux tiers l’amende infligée;
– condamner la Commission aux dépens des procédures engagées devant le Tribunal et la Cour.
18. La Commission conclut au rejet des deux pourvois et à la condamnation des parties requérantes aux dépens.
19. Par ordonnance du président de la Cour du 15 mars 2005, les pourvois engagés par Sumitomo et Nippon Steel ont été joints.
20. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries à l’audience du 8 décembre 2005.
IV – Le recours de Sumitomo
A – La portée du recours
21. Dans sa requête (point 2.3), Sumitomo fait valoir que, dans un souci d’économie, elle adopte les arguments exposés par Nippon Steel dans son pourvoi, lesquels concernent à la fois les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport «projet». Les arguments avancés par Sumitomo elle-même dans cette procédure ne portent que sur les motivations du Tribunal ayant conduit à conclure qu’elle était impliquée dans une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à propos des tuyaux de transport «projet». Sumitomo demande en outre de joindre les deux affaires.
22. Il nous apparaît que cette tentative de Sumitomo d’élargir la portée de son pourvoi en «sautant dans le train» du recours d’une autre partie ne peut être acceptée.
23. En vertu de l’article 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi doit contenir les moyens et arguments de droit invoqués.
24. Dans une jurisprudence constante et volumineuse, la Cour a établi que les moyens invoqués doivent viser l’arrêt du Tribunal (4) et que, sous peine d’irrecevabilité, le pourvoi doit indiquer de façon précise les points de l’arrêt dans lesquels le Tribunal a enfreint le droit communautaire (5). De cette exigence de précision, il découle, notamment, que la seule énonciation abstraite d’un moyen sans autre développement ne répond pas à cette exigence (6).
25. Un renvoi général, dans un pourvoi, aux moyens et aux arguments invoqués par une requérante en degré d’appel dans le cadre d’une procédure analogue ne répond pas, à notre avis, à cette exigence de précision et de clarté, même si les arguments et les moyens exposés dans le pourvoi analogue font bien, quant à eux, l’objet de développements.
26. En effet, même si une grande similitude de contenu existe entre deux ou plusieurs pourvois, ce qui peut aboutir à leur jonction aux fins de la procédure et de l’arrêt à intervenir, chaque requérante est toutefois tenue, en vertu de l’article 112 du règlement de procédure, d’indiquer de manière précise dans son pourvoi les moyens et arguments qu’elle invoque pour critiquer certains points de l’arrêt attaqué ainsi que les conclusions qui, selon elle, doivent en découler (7).
27. Délimiter et détailler le pourvoi de manière précise constitue une condition essentielle de la régularité et de l’adéquation d’une procédure instituée exclusivement pour contrôler des questions de droit. Cette précision est également requise dans l’intérêt de la partie adverse qui doit être informée clairement des griefs et des arguments invoqués à son encontre.
28. Nous en concluons donc que le pourvoi de Sumitomo n’est pas recevable dans la mesure où y sont invoqués les griefs et arguments développés par Nippon Steel dans son pourvoi formé à l’encontre de la décision.
B – Le premier moyen: violation du droit communautaire dans la constatation d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE concernant les tuyaux de transport «projet»
1. Le raisonnement du Tribunal
29. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a apprécié de la manière suivante le premier moyen invoqué par les parties requérantes en première instance et tiré de ce que la Commission n’avait pas prouvé de manière suffisante l’infraction constatée à l’article 1er de la décision.
30. Aux points 173 à 188 de l’arrêt attaqué, le Tribunal expose les critères que la Commission doit respecter dans l’administration de la preuve.
31. Ensuite, le Tribunal examine la deuxième partie du premier moyen qui se fonde sur le fait que les preuves rapportées n’ont aucune force probante et, subsidiairement, la première partie de ce même moyen, à savoir que l’existence de l’accord incriminé ne cadre pas avec le marché britannique offshore et la situation prévalant sur les autres marchés (points 189 à 337).
32. Le Tribunal accorde une importance particulière à la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996, telle que complétée par sa déclaration du 14 octobre 1996 et par le document intitulé «Vérification auprès de Vallourec» (ci-après conjointement les «déclarations de M. Verluca»). L’importance de ces déclarations résiderait dans le fait qu’elles sont les seuls éléments de preuve qui établissent tous les aspects de l’infraction, notamment sa durée et les produits concernés (c’est-à-dire les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport «projet») (point 189).
33. Aux points 205 à 212, le Tribunal expose les raisons pour lesquelles il estime fiables les déclarations de M. Verluca et y attache donc une importance particulière.
34. Aux points 219 à 221, le Tribunal termine l’examen de ce moyen comme suit:
«219. En outre, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence du Tribunal, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières […]. Ainsi, il y a lieu de conclure que, malgré leur caractère fiable, les déclarations de M. Verluca doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve pour établir l’existence de l’infraction sanctionnée à l’article 1er de la décision attaquée.
220. Néanmoins, il y a lieu de considérer que le degré de corroboration requis en l’espèce est moindre, aussi bien en termes de précision qu’en termes d’intensité, du fait de la fiabilité des déclarations de M. Verluca, qu’il ne le serait si ces dernières n’étaient pas particulièrement crédibles. Ainsi, il y a lieu de considérer que, s’il devait être jugé qu’un faisceau d’indices concordants permettait de corroborer l’existence et certains aspects spécifiques de l’accord de partage des marchés évoqué par M. Verluca et visé à l’article 1er de la décision attaquée, les déclarations de ce dernier pourraient suffire à elles seules, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision […]. En outre, pour autant qu’une pièce ne soit pas en contradiction manifeste avec les déclarations de M. Verluca sur l’existence ou le contenu essentiel de l’accord de partage des marchés, il suffit qu’elle atteste des éléments significatifs de l’accord qu’il a décrit pour avoir une certaine valeur à titre d’élément de corroboration dans le cadre du faisceau de preuves retenus à charge […].»
35. Aux points 222 à 331, le Tribunal examine ensuite les autres preuves avancées dans la décision. Aux points 294 à 302, le Tribunal attache une importance particulière à la déclaration faite par M. Becher au nom de Mannesmann.
36. À propos de la fiabilité de la déclaration de M. Becher, contestée en première instance au motif que ladite déclaration ne s’appuierait pas sur une information directe, le Tribunal a déclaré au point 297: «[…] lorsque, comme dans le cas d’espèce en ce qui concerne Mannesmann, une personne n’ayant pas de connaissance directe des circonstances pertinentes fait une déclaration en tant que représentant d’une société, par laquelle elle reconnaît l’existence d’une infraction dans le chef de celle-ci ainsi que dans celui d’autres entreprises, elle s’appuie nécessairement sur des informations fournies par sa société et, en particulier, par des employés de celle-ci ayant une connaissance directe des pratiques en question […]».
37. Au point 302, s’agissant de la fiabilité de la déclaration de M. Becher, le Tribunal a remarqué: «Il est vrai que la circonstance selon laquelle M. Becher a nié l’existence d’un volet intra-européen des Règles fondamentales au sens d’une obligation de respect mutuel des marchés domestiques entre les producteurs européens affaiblit sa déclaration, dans une certaine mesure, en tant qu’élément de preuve permettant de corroborer les déclarations de M. Verluca. Toutefois, il y a lieu de relever que M. Becher a confirmé l’existence d’un accord de partage des marchés entre les producteurs européens et japonais pour les tubes OCTG et tuyaux de transport ‘projet’ de manière univoque […]. Ainsi, sa déclaration corrobore celles de M. Verluca en ce qui concerne cet aspect de l’infraction et, partant, en ce qui concerne le fait que les requérantes japonaises ont été parties à un accord de partage des marchés aux termes duquel elles acceptaient de ne pas commercialiser les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport ‘projet’ sur les marchés communautaires […]».
38. Et le Tribunal de conclure comme suit son appréciation des preuves avancées par la Commission dans la décision:
«332. Il ne ressort pas clairement de la plupart des éléments constituant ledit faisceau d’indices quels étaient les tubes en acier sans soudure qui étaient visés par ce partage, mais il en ressort de manière univoque que, parmi les produits visés, figuraient les tubes OCTG standard. En effet, les références spécifiques à ces produits dans les notes Réflexions stratégiques et Réflexions sur le contrat VAM, dans le document «Clé de répartition» et dans la réponse de Mannesmann, ainsi que celles aux tubes OCTG en général, sans autre précision, dans d’autres documents invoqués par la Commission corroborent de manière adéquate et claire les déclarations de M. Verluca par rapport au fait que les Règles fondamentales concernaient ces produits.
333. En ce qui concerne les tuyaux de transport «projet», un seul élément de preuve, la réponse de Mannesmann faite par M. Becher, conforte de manière univoque l’affirmation de M. Verluca selon laquelle l’accord illicite concernait également les tuyaux de transport «projet». Toutefois, étant donné le caractère particulièrement probant de cette réponse, circonstance relevée aux points 294 à 302 ci-dessus, il y a lieu de considérer qu’elle suffit à corroborer les déclarations de M. Verluca, déjà très fiables en elles-mêmes […] par rapport à ces produits.
334. En toute hypothèse, il a déjà été jugé que, si le faisceau d’indices concordants, invoqué par la Commission, permet d’établir l’existence et certains aspects spécifiques de l’accord de partage des marchés évoqué par M. Verluca et retenu à l’article 1er de la décision attaquée, les déclarations de ce dernier pourraient suffire à elles seules, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision attaquée, conformément à la règle tirée de l’arrêt Ciment […] (point 1838), et invoquée par la Commission […]. Or, il a déjà été constaté, aux points 330 et 332 ci-dessus, que le faisceau d’indices invoqué par la Commission suffit à corroborer les déclarations de M. Verluca à plusieurs égards, et notamment en ce qui concerne les tubes OCTG standard.
335. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que M. Verluca a clairement dit la vérité dans ses déclarations et, partant, que ces déclarations suffisent, en tant qu’éléments de preuve, à établir que l’accord de partage des marchés domestiques des membres du club Europe-Japon a couvert non seulement les tubes OCTG standard, ainsi que l’attestent plusieurs autres éléments de preuve, mais également les tuyaux de transport «projet». En effet, il n’y a aucune raison de supposer que M. Verluca, qui avait une connaissance directe des faits, ait fait des affirmations inexactes par rapport aux tuyaux de transport, alors que d’autres éléments de preuve corroborent ses affirmations concernant l’existence de l’accord et son application aux tubes OCTG standard.
336. Enfin, à supposer même que les requérantes japonaises aient pu faire naître un doute quant aux produits spécifiques couverts par l’accord sanctionné à l’article 1er de la décision attaquée, ce qui n’a pas été démontré, il y a lieu de relever que si celle-ci, prise dans son ensemble, fait apparaître que l’infraction retenue a porté sur un type particulier de produits et mentionne les éléments de preuve au soutien d’une telle conclusion, le fait que cette décision ne contient pas une énonciation précise et exhaustive de tous les types de produits couverts par l’infraction ne saurait suffire, à lui seul, pour justifier son annulation (voir, par analogie, dans le contexte d’un moyen tiré d’un défaut de motivation, arrêt Gruber + Weber/Commission, point 203 supra, point 214). Si tel n’était pas le cas, une entreprise pourrait échapper à toute sanction malgré le fait que la Commission avait établi avec certitude qu’elle avait commis une infraction dans des circonstances où l’identité des produits spécifiques, visés parmi une gamme de produits similaires commercialisés par l’entreprise en cause, n’aurait pas été établie.»
2. Les arguments de la requérante
39. Les arguments de la requérante destinés à étayer le moyen tiré de ce que le Tribunal aurait violé le droit communautaire en concluant que les requérantes japonaises étaient parties à une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à propos des tuyaux de transport «projet», se regroupent en trois catégories:
a) les arguments dirigés à l’encontre de la conclusion du Tribunal selon laquelle la déclaration de M. Becher confirme de manière suffisante les déclarations de M. Verluca;
b) les arguments dirigés à l’encontre du renversement de la charge de la preuve qui découlerait du point 33 de l’arrêt attaqué (ce que l’on appelle le point «Gruber + Weber»);
c) les arguments dirigés à l’encontre de la conclusion du Tribunal confirmant que les déclarations de M. Verluca doivent être qualifiées de fiables.
40. Nous reprenons ci-après, dans l’ordre suivi par le pourvoi, les trois branches du premier moyen:
a) La déclaration de M. Becher
41. S’agissant de la déclaration de M. Becher, les parties requérantes font en premier lieu valoir que le Tribunal lui a attribué une valeur probante erronée en constatant que cette déclaration confirmait sans équivoque l’existence d’un accord de partage des marchés à propos des tuyaux de transport «projet».
42. En particulier, le Tribunal aurait dû tenir compte du fait que M. Becher avait émis deux réserves dans sa déclaration: à savoir qu’il parlait de faits qui s’étaient produits avant qu’il ne devienne directeur de Mannesmann et que, des termes mêmes qu’il utilise, il ressortait un élément d’incertitude ou de doute à propos de ce qu’on lui avait dit sur ces événements (8). Au point 97 de l’arrêt attaqué, l’hypothèse du Tribunal selon laquelle la déclaration de M. Becher s’appuie sur des informations fournies par sa société et, en particulier, par des employés de celle-ci ayant une connaissance directe des pratiques en question serait à cet égard de nature purement spéculative et constituerait également une appréciation erronée de la valeur probante.
43. La deuxième erreur résiderait en ce que le Tribunal a qualifié la déclaration de M. Becher d’élément de preuve fiable étayant la première déclaration de M. Verluca, en dépit du fait que le Tribunal avait admis que la négation par M. Becher de l’aspect intereuropéen des règles fondamentales était erronée (9).
44. Dès lors que le Tribunal constatait que la déclaration de M. Becher était affectée d’une erreur importante quant à son contenu, il ne pouvait plus séparer certains éléments de cette déclaration aux fins d’étayer la déclaration de M. Verluca.
45. À cet égard, les requérantes soulignent que, en tout cas, la déclaration de M. Becher, ou certains éléments de cette déclaration, ne pouvait plus servir à étayer explicitement la déclaration de M. Verluca (voir l’argument indiqué en premier lieu ci-dessus) et qu’elle n’avait aucune force probante pour confirmer la «Clé de répartition» pour les tuyaux de transport «projet», étant donné que cette clé ne concernait que les tubes OCTG standard, comme le Tribunal l’a souligné au point 278 de l’arrêt attaqué (10).
46. La troisième erreur résiderait dans le caractère contradictoire et insuffisant des arguments avancés par le Tribunal pour conclure que cette déclaration pouvait servir à étayer l’infraction retenue à propos des tuyaux de transport «projet».
47. Outre les arguments déjà repris ci-dessus à l’encontre d’une telle conclusion, l’approche du Tribunal est en soi contradictoire étant donné que, au point 220 de l’arrêt attaqué (ci-dessus, point 34), il était parti du principe que les documents en question ne pouvaient être admis à titre de preuves corroborantes que pour autant qu’ils ne soient pas en contradiction manifeste avec les déclarations de M. Verluca sur les éléments essentiels de l’accord de partage des marchés.
48. Quant à la déclaration de M. Becher, le Tribunal l’a retenue à titre de preuve corroborante, en dépit du fait que cette déclaration contredisait sur une partie essentielle l’assertion de M. Verluca selon laquelle il y avait eu un accord intereuropéen. Le Tribunal n’a fourni aucune motivation de nature à justifier des différences aussi importantes dans l’appréciation de la valeur probante de documents et de déclarations.
b) Le point «Gruber + Weber»
49. Le point 336 de l’arrêt attaqué (cité au point 38 ci-dessus) ferait apparaître un renversement inadmissible de la charge de la preuve.
50. Selon le raisonnement suivi dans ce point, la Commission peut établir une infraction relativement au produit X, même si elle n’est pas en mesure de rapporter cette infraction avec précision, pour autant qu’elle ait pu établir une infraction à propos de produits similaires commercialisés par l’entreprise en cause. En suivant ce raisonnement à l’appui de sa thèse selon laquelle la Commission avait démontré une infraction relativement aux tuyaux de transport «projet», le Tribunal a opéré un renversement de la charge de la preuve.
51. Par cet artifice, le Tribunal a interprété de manière incorrecte sa propre jurisprudence dans l’affaire Gruber + Weber/Commission (11), en admettant que cet arrêt serait applicable à la présente affaire, alors qu’il ne s’agit pas ici de savoir si un produit déterminé fait partie de la catégorie de produits à propos desquels une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE est établie, mais plutôt de savoir si, dans la décision, la Commission a réussi à démontrer une telle infraction concernant un produit bien déterminé, à savoir les tuyaux de transport «projet».
52. En outre, on ne peut pas admettre que les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport «projet» relèvent de la même catégorie de produits. Il s’agit de deux catégories de produits très différentes, dont les applications et les destinations géographiques ne peuvent être comparées et que la Commission aurait traitées à bon droit, dans sa décision Mannesmann/Vallourec (12), comme deux marchés de produits distincts.
c) Les déclarations de Vallourec
53. La troisième branche du premier moyen est plus particulièrement dirigée à l’encontre de la constatation faite par le Tribunal aux points 219 et 220 de l’arrêt attaqué (cité au point 34 ci-dessus), dans la mesure où il en découlerait que, sur la seule base des déclarations de M. Verluca, on pourrait affirmer que les comportements reprochés aux producteurs japonais concerneraient également les tuyaux de transport «projet».
54. En premier lieu, le Tribunal ne pourrait invoquer le point 1838 de l’arrêt Ciment (13) à l’appui de ses positions. Contrairement à cette affaire – où était en question la force probante d’un document rédigé immédiatement après la réunion dont il constituait le compte-rendu – les déclarations de M. Verluca ont été faites longtemps après les événements auxquels elles se rapportent. Le raisonnement du Tribunal serait à cet égard en contradiction avec sa position antérieure énoncée au point 91 de l’arrêt Enso-Gutzeit/Commission (14), selon laquelle les déclarations d’une seule entreprise ne peuvent pas, sans être étayées par d’autres éléments de preuve, être considérées comme constituant une preuve suffisante de la participation d’autres entreprises à l’infraction incriminée.
55. À cet égard, la conclusion adoptée par le Tribunal au point 220 de son arrêt (cité au point 34 ci-dessus) à propos de la fiabilité des déclarations de M. Verluca serait également contestable. Sur deux points, le Tribunal a expressément constaté que les déclarations de M. Verluca recelaient des erreurs (aux points 281 à 284 de l’arrêt attaqué) ou des imprécisions (au point 349 de l’arrêt attaqué).
56. De la même manière, un élément de la déclaration de M. Verluca du 18 décembre 1997, dont il pourrait être déduit que les déclarations de ce dernier concernant l’application des accords aux tuyaux de transport «projet» n’étaient pas correctes, a été couvert par le Tribunal grâce à un artifice d’interprétation.
57. Compte tenu du fait que le Tribunal constatait que les communications de M. Verluca n’étaient pas fiables sur deux points, il n’était pas normal de suivre une autre approche à propos d’un troisième point pour lequel un doute sérieux pouvait également subsister. Et cela d’autant plus si l’on se souvient que, en vertu du document ««Clé de répartition»», les accords de partage des marchés n’étaient applicables qu’aux tubes OCTG standard et que, selon le témoignage d’un employé de Dalmine, M. Jachia, l’accord «tacite» ne portait que sur les tubes OCTG standard.
58. Cette approche constitue à plusieurs égards, selon la requérante, une infraction au droit communautaire:
– en premier lieu, le Tribunal a évalué erronément la valeur probante de la note concernant la réunion avec JF;
– il est passé outre aux preuves constituées par le document ««Clé de répartition»» et par la déclaration de M. Jachia, selon lesquelles les accords incriminés ne concernaient pas les tuyaux de transport «projet»;
– la motivation est insuffisante et présente des contradictions internes;
– le Tribunal a à tort utilisé un artifice dans son interprétation de la déclaration de M. Verluca du 18 décembre 1997, ce qui a renversé la charge de la preuve au préjudice de la requérante.
59. Pour terminer, la requérante fait valoir que le Tribunal a transgressé le droit en admettant l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à propos des tuyaux de transport «projet», alors que, sur la base des preuves disponibles, il n’était pas en mesure d’indiquer la date de début et de fin de ladite infraction.
3. Les arguments de la Commission
a) Remarque préalable
60. S’agissant des arguments de la requérante concernant la valeur probante de la déclaration de M. Becher aux fins de conforter les déclarations de M. Verluca, la Commission fait remarquer, à titre préalable, que le Tribunal a plutôt sous‑évalué que surévalué les indices positifs venant corroborer la déclaration de M. Verluca relativement aux tuyaux de transport «projet» au point 333 (cité ci‑dessus au point 38) de l’arrêt attaqué.
61. En particulier, le Tribunal a renoncé à considérer comme un élément venant corroborer les déclarations de M. Verluca le fait que plusieurs participants au cartel ont avoué les comportements incriminés dans la décision, y compris ceux concernant les tuyaux de transport «projet». À cet égard, la Commission parle de reconnaissance explicite ou implicite des faits établis dans la décision par Vallourec, Dalmine et Corus.
b) Les arguments concernant la déclaration de M. Becher
62. La Commission estime que les trois arguments de la requérante visant à étayer sa thèse tirée de ce que le Tribunal aurait à tort accordé une certaine valeur probante à la déclaration de M. Becher pour corroborer les déclarations de M. Verluca concernant l’application de l’(des) accord(s) de répartition des marchés aux tuyaux de transport «projet» constituent une tentative à peine déguisée pour amener la Cour à réexaminer les faits en degré d’appel. Pour ce motif, ils devraient être déclarés irrecevables.
63. Au cas où ils seraient déclarés recevables, ils devraient être rejetés comme étant – manifestement – infondés.
64. Le premier argument suggère une autre interprétation de la réserve qualifiée «à ma connaissance» (dans la version originale «nach meiner Kenntnis») que le contexte ne justifierait pas. En l’espèce, M. Becher a commenté une interprétation des faits différente de la sienne apparaissant dans un document qui lui était présenté. Ce passage ne révèle aucune réserve quelconque concernant la fiabilité de sa propre déclaration.
65. Même si M. Becher a fondé sa déclaration sur des informations qui lui ont communiquées par des travailleurs de son entreprise, Mannesmann, qui avaient quant à eux une connaissance directe des comportements incriminés, cela n’affecte en rien la crédibilité de sa déclaration. À cet égard, la Commission renvoie au point 205 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal constate sans être contredit: «[…] les réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle sont revêtues d’une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel quelle que soit l’expérience ou l’opinion personnelles de ce dernier […]».
66. Le deuxième argument n’est pas plus cohérent selon la Commission. En dépit du fait que la déclaration de M. Becher dissimule que l’accord de répartition des marchés s’étendait aussi aux participants européens entre eux, elle est crédible dans la mesure où elle concerne les tuyaux de transport «projet». Cette partie de la déclaration n’était en effet certainement pas conforme aux intérêts de Mannesmann, l’entreprise dont M. Becher faisait partie. Même si une déclaration ne contient pas autant d’incriminations à l’encontre de son auteur qu’elle pourrait en contenir, les aveux qui y sont faits n’en sont pas pour autant dépourvus de toute crédibilité.
67. D’ailleurs, le fait que M. Becher nie l’existence d’un accord de répartition des marchés entre les producteurs européens n’est pas en tant que tel incompatible avec le document «Clé de répartition». Ce document ne concerne que les accords conclus entre, d’une part, les producteurs européens et, d’autre part, les producteurs japonais. Il reste muet quant à l’existence d’accords intereuropéens.
68. Le troisième argument est tout à fait indéfendable. Pour défendre son point de vue tiré de ce que le Tribunal aurait admis que la déclaration de M. Becher venait corroborer les déclarations de M. Verluca sur la base d’un raisonnement insuffisant et contradictoire, la requérante renvoie à ses premier et deuxième arguments, tout aussi indéfendables.
c) Les arguments concernant le renversement de la charge de la preuve: le point «Gruber + Weber»
69. La position de la requérante selon laquelle les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport «projet» ne peuvent pas être considérés comme faisant partie d’un assortiment de produits comparables au sens de l’arrêt Gruber + Weber/Commission (15) est de nature factuelle. Prendre connaissance et examiner cette assertion relève de la compétence du Tribunal. Par conséquent, elle n’est pas recevable dans le cadre du présent pourvoi.
70. D’ailleurs, cet argument n’a pas trait à un renversement – inadmissible – de la charge de la preuve, comme le soutient la requérante, mais à une différence de conception entre la requérante et le Tribunal quant à l’évaluation de la preuve. Cette divergence de vue quant aux faits ne relève pas de la compétence de la Cour.
d) Les arguments concernant les déclarations de M. Verluca
71. La Commission fait valoir que cette branche du premier moyen est irrecevable, parce qu’elle est dirigée à l’encontre du point 220 de l’arrêt attaqué, point dans lequel le Tribunal a constaté que, «s’il devait être jugé qu’un faisceau d’indices concordants permettait de corroborer l’existence et certains aspects spécifiques de l’accord de partage des marchés évoqué par M. Verluca et visé à l’article 1er de la décision attaquée, les déclarations de ce dernier pourraient suffire à elles seules, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision […]».
72. Cette branche aurait dû viser le point 335 de l’arrêt dans lequel le Tribunal estimait justement à propos des tuyaux de transport «projet» qu’«[…] il y a lieu de considérer que M. Verluca a clairement dit la vérité dans ses déclarations et, partant, que ces déclarations suffisent, en tant qu’éléments de preuve, à établir que l’accord de partage des marchés domestiques des membres du club Europe-Japon a couvert non seulement les tubes OCTG standard, ainsi que l’attestent plusieurs autres éléments de preuve, mais également les tuyaux de transport «projet»».
73. Comme la requérante omet d’indiquer avec suffisamment de précision les éléments critiqués par cette branche du premier moyen ainsi que les arguments juridiques développés à cet égard, il y a lieu de les déclarer irrecevables (16).
74. Si la Cour devait ne pas suivre la Commission en la matière, cette dernière estime que, en tout cas, cette branche ainsi que les arguments destinés à l’étayer ne sont pas recevables.
75. L’objectif de la requérante consisterait à attaquer la légalité de la décision du Tribunal en se fondant principalement sur les déclarations de M. Verluca pour ensuite, subsidiairement, soutenir que celle-ci n’est en tout cas pas suffisamment fiable pour apporter la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à propos des tuyaux de transport «projet».
76. La première étape de cette approche serait condamnée à échouer parce que l’application – soutenue par les requérantes – de la jurisprudence de l’arrêt Enso‑Gutzeit/Commission (17) dépend justement de l’appréciation – de fait – du point de savoir s’il existe d’autres éléments de preuve étayant la déclaration d’une seule personne.
77. La deuxième étape devrait également conduire à première vue à l’irrecevabilité, parce qu’elle implique nécessairement un réexamen par la Cour de faits déjà appréciés par le Tribunal en première instance. Cela vaut tant pour l’évaluation de la déclaration de M. Jachia que pour la contradiction invoquée entre les déclarations de M. Verluca et celle de M. Becher ainsi que pour l’incompatibilité entre le document «Clé répartition» du marché et les déclarations de M. Verluca.
78. La requérante n’invoque pas moins de quatre violations du droit dans l’évaluation de la valeur probante des déclarations de M. Verluca, mais elle ne réussit pas à décrire la nature de ces infractions, si ce n’est en contestant les constatations de fait du Tribunal.
79. Subsidiairement, au cas où la Cour estimerait recevables les arguments de Sumitomo, la Commission fait valoir que, dans aucun des cinq cas indiqués par la requérante, le Tribunal n’a évalué erronément la valeur probante de documents ou de déclarations et ne les a retenus à tort comme éléments de preuve.
80. En premier lieu, le Tribunal n’a pas tiré de conclusions erronées de la contradiction – apparente – entre les déclarations de M. Verluca et le document «Clé de répartition»:
– quoique le Tribunal ait constaté au point 278 de l’arrêt(18) que le document «Clé de répartition» ne concernait que les tubes OCTG, il ne s’ensuit pas forcément qu’il n’y aurait aucune infraction à propos des tuyaux de transport «projet»;
– quoiqu’il semble exister une certaine contradiction entre le document «Clé de répartition» et les déclarations de M. Verluca à propos de l’implication des producteurs sud-américains, cette contradiction n’est qu’apparente, parce que ledit document portait surtout sur des accords de répartition des marchés situés hors d’Europe avec les producteurs sud-américains, alors que M. Verluca se préoccupait principalement des marchés européens pour lesquels les accords de répartition des marchés conclus avec ces producteurs ne fonctionnaient pas;
– par conséquent, aux points 283 et 284 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a adopté les conclusions qui s’imposaient de cette contradiction – apparente – en constatant que celle-ci ne changeait en réalité rien à la crédibilité de la déclaration de M. Verluca(19).
81. En deuxième lieu, l’évaluation par le Tribunal des déclarations faites au procureur de la république à Bergamo ne fait apparaître aucune violation du droit:
– en réalité, le point de vue de la requérante tiré de ce que le Tribunal a omis de tenir compte de la déclaration de M. Jachia signifie qu’elle n’est pas d’accord avec l’évaluation des preuves effectuée par le Tribunal, mais elle n’étaye pas davantage les éléments constitutifs de cette prétendue violation du droit. Cela suffit déjà en soi pour rejeter cet argument ou le déclarer manifestement infondé;
– en outre, la requérante a déjà déclaré elle-même en première instance qu’il ne fallait pas tenir compte de la déclaration de M. Jachia, étant donné que la Commission ne s’y référait pas;
– le Tribunal pouvait considérer la déclaration de M. Biasizzo comme significative, parce que ce dernier avait une connaissance directe de la problématique; il était en effet responsable de la division concernée chez Dalmine et, compte tenu de ses aveux concernant les pots-de-vin payés aux travailleurs d’Agip, il pouvait être considéré comme un témoin crédible (comparer les points 311 et 312 de l’arrêt attaqué).
82. En troisième lieu, le commentaire de M. Verluca sur les notes faites à l’occasion de la réunion avec JF ne sape pas la crédibilité de ses déclarations concernant les tuyaux de transport «projet»:
– en effet, dans sa réponse à la première question qui lui a été posée en décembre 1997, M. Verluca a confirmé ses autres communications;
– dans son commentaire sur les notes rédigées à l’occasion d’une réunion avec JF en 1994, il a expliqué que, au sein de la structure générale du club Europe-Japon, il existait une «Clé de répartition» pour les appels d’offres internationaux portant sur les produits standard, à savoir les tubes OCTG standard;
– cela ne prouve pourtant pas qu’il n’existerait aucune infraction concernant les tuyaux de transport «projet». En effet, un document constituant un indice pour une infraction donnée ne peut pas automatiquement démontrer l’inexistence d’une autre infraction;
– en outre, si la décision avait interprété erronément la déclaration de M. Verluca, Vallourec aurait formé un recours en annulation à cet égard, dans la mesure où ladite décision concernait les tuyaux de transport «projet».
83. En quatrième lieu, il est manifeste que le Tribunal n’a pas accordé à la Commission le bénéfice du doute et n’a pas non plus renversé la charge de la preuve:
– la remarque explicative que le Tribunal aurait faite à tort au point 217 de l’arrêt attaqué n’est pas étayée davantage (20). En fait, le Tribunal se contente de confirmer – ce qui n’est pas contesté – que ce passage des déclarations de Verluca avait trait au compte rendu de la réunion avec JF, compte rendu qui concernait exclusivement les tubes OCTG standard et dont il déduit que le passage en question se limite à ces produits;
– l’assertion selon laquelle le Tribunal a renversé la charge de la preuve dans ce passage en évaluant d’une manière différente des requérantes les déclarations de M. Verluca revient en réalité à inviter la Cour à procéder à une réévaluation des faits sous le couvert d’une question de droit.
84. En cinquième lieu, la Commission soutient que le fait que les déclarations de M. Verluca étaient vagues quant au moment de la cessation de l’infraction ne peut constituer un argument à l’encontre de la crédibilité desdites déclarations. Au point 349 de l’arrêt attaqué (21), le Tribunal a tiré les conséquences – correctes – de cette absence de précision: les déclarations en cause sont trop peu claires à cet égard et ne peuvent se suffire à elles-mêmes. En outre, même si l’on estime qu’une infraction relative aux tuyaux de transport «projet» a été établie dans le cadre du club Europe-Japon, il faut en conclure que la durée pendant laquelle ce groupement a été actif fixe la durée de l’infraction pour ce produit. À cet égard, la Commission estime que la motivation de l’arrêt attaqué est irréfutable.
4. Appréciation
a) Remarques préalables
85. Des points 333 à 336 de l’arrêt attaqué, reproduits ci-dessus au point 38 des présentes conclusions, il ressort que le Tribunal fonde l’implication des requérantes dans une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE pour les tuyaux de transport «projet» sur trois éléments présentés comme alternatifs:
– les déclarations de M. Verluca constitueraient à elles seules une preuve suffisante (points 334 et 335);
– les déclarations de Verluca seraient en tout cas confirmées par la réponse fournie par M. Becher au nom de Mannesmann (point 33);
– l’absence de preuve plus spécifique concernant un produit spécifique, à savoir les tuyaux de transport «projet», n’affecte en rien l’établissement d’une infraction concernant ce produit si des preuves suffisantes sont produites à propos de la catégorie dont ce produit fait partie («point Gruber + Weber», point 336).
86. Nous examinerons dans cet ordre les différents éléments du moyen invoqué.
87. Les branches du moyen qui visent particulièrement les déclarations de M. Verluca et de M. Becher ont en commun qu’elles cherchent à mettre en cause la valeur probante reconnue par le Tribunal à ces déclarations par des arguments visant à démontrer qu’elles ne sont pas fiables ou au minimum moins crédibles que ne l’a estimé le Tribunal.
88. Tout bien considéré, la requérante tente de démontrer ici, par une analyse différente des déclarations de M. Verluca et de M. Becher, que le Tribunal a tiré de celles-ci des conséquences erronées et, ce faisant, aurait commis une erreur de droit en évaluant erronément leur valeur probante.
89. Pour mettre en valeur les arguments de la requérante, il est nécessaire de les reproduire avec précision (points 39 à 59 ci-dessus).
90. Il convient de souligner ici une autre objection de principe, à savoir que, si la Cour admettait cette approche, elle serait tenue de recommencer en partie l’examen et l’évaluation des faits. Un tel réexamen des faits est pourtant expressément exclu par l’article 225 CE et par l’article 58 du statut de la Cour de justice.
91. Par conséquent, il convient d’examiner de manière critique les moyens et les arguments qui sont dirigés à l’encontre de la valeur probante reconnue par le Tribunal aux preuves produites, afin d’éviter qu’ils ne constituent un moyen déguisé pour obtenir un réexamen des faits par la Cour.
92. C’est seulement si et dans la mesure où les arguments tirés par la requérante des faits et des preuves aux fins d’étayer le moyen invoqué seraient de nature à susciter un certain doute quant à l’appréciation que le Tribunal en a faite que ces arguments pourraient être déclarés recevables et examinés.
93. Sur la base de ce critère tiré de la jurisprudence de la Cour (22), nous apprécierons la recevabilité des différentes branches de ce moyen.
b) Les déclarations de M. Verluca
94. Cette branche du moyen est dirigée à l’encontre de l’appréciation, par le Tribunal, de la valeur probante des déclarations de M. Verluca (points 219 et 220 de l’arrêt attaqué (23)).
95. Nous ne rejoignons pas le point de vue de la Commission selon lequel la requérante aurait dû diriger ses griefs à l’encontre du point 335 de l’arrêt attaqué et que, par conséquent, le moyen ne peut être accueilli dans son ensemble, parce que la conclusion du Tribunal sur ce point n’est pas contestée.
96. En effet, aux points 219 et 220, le Tribunal a défini les prémisses sur la base desquelles, après avoir examiné les autres éléments probants, il pouvait conclure qu’à propos des tuyaux de transport «projet» les déclarations de M. Verluca suffisaient à elles seules pour établir une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE.
97. Les branches dudit moyen sont dirigées à l’encontre de cette prémisse, à savoir que les déclarations de M. Verluca sont si fiables qu’une preuve complémentaire suffit pour considérer comme prouvée l’infraction en tant que telle et, par conséquent, également une infraction concernant un produit déterminé, même si il n’existe aucune preuve complémentaire à cet égard. Si cette prémisse n’est pas défendable, le fondement, non seulement des conclusions formulées au point 335, mais également de celles des points 333 et 336 disparaît.
98. Les différents arguments que la requérante a invoqués à l’encontre de ladite prémisse sont, à notre avis, en partie infondés et en partie irrecevables.
99. À notre avis, l’argument selon lequel le Tribunal a erronément interprété et appliqué la «règle» figurant au point 1838 de l’arrêt Ciment (24) n’est pas fondé.
100. En vertu de cette «règle», la Commission peut s’appuyer sur une preuve pour établir une violation à l’article 81, paragraphe 1, CE pour autant que la valeur probante de celle-ci ne suscite aucun doute et qu’elle confirme sans équivoque l’existence de l’infraction en cause.
101. Il appartient en principe au Tribunal de vérifier la valeur probante d’un document ou d’une déclaration et, sur cette base, de les qualifier.
102. Cette règle, telle qu’elle figure au point 1838 de l’arrêt précité, ne peut pas étayer le point de vue tiré de ce qu’elle ne serait applicable qu’aux déclarations et aux documents qui ont été donnés ou rédigés immédiatement après les faits auxquels ils se rapportent. Seule l’absence de toute équivoque quant à la valeur probante, c’est-à-dire l’absence totale du moindre doute, est déterminante.
103. La tentative de la requérante d’invoquer le fait que les déclarations de M. Verluca sont postérieures aux comportements incriminés pour prétendre que lesdites déclarations ne respectent pas la règle définie dans l’arrêt Ciment est, selon nous, de nature factuelle et n’est donc pas recevable.
104. En admettant donc qu’il ait pu qualifier de fiables les déclarations de M. Verluca, le Tribunal pouvait également, conformément à l’arrêt Enso‑Gutzeit/Commission (25), considérer que ces déclarations suffisaient à prouver l’infraction, dans la mesure où elles étaient étayées par d’autres preuves et que, dans cette hypothèse, ces déclarations étaient suffisantes pour pouvoir conclure à l’existence d’une infraction concernant un produit déterminé relevant de la catégorie de produits en cause.
105. Ne sont pas recevables, à notre avis, les arguments par lesquels la requérante cherche à démontrer que le Tribunal a, à tort, qualifié de fiables les déclarations de M. Verluca, dans la mesure où elles avaient trait aux tuyaux de transport «projet». Sont visés ici les arguments que la requérante tire de l’évaluation par le Tribunal des prétendues contradictions entre les déclarations de M. Verluca et le document «Clé de répartition», du fait qu’il n’a pas été tenu compte des déclarations de M. Jachia et des prétendues contradictions entre les déclarations de M. Verluca et la déclaration de M. Becher.
106. Aucun argument de fait avancé par la requérante ne vient étayer, même de loin, le soupçon que le Tribunal aurait commis des fautes telles dans l’examen des déclarations et des documents en cause qu’il en aurait évalué erronément la valeur probante.
107. Par ces arguments, la requérante confronte l’évaluation des déclarations et des documents en cause, telle qu’elle la souhaiterait, à la valeur probante que le Tribunal a reconnue à ces déclarations. Des différences entre sa propre évaluation et celle du Tribunal, elle déduit que ce dernier aurait effectué une évaluation erronée des preuves et elle tente ainsi d’obtenir un réexamen des faits en degré d’appel, auquel aboutirait la recevabilité de ces arguments.
108. Comme nous l’avons déjà relevé aux points 90 à 93 ci-dessus, un tel résultat serait contraire au principe selon lequel un pourvoi doit être limité à un contrôle du droit.
109. Nous estimons également que l’argument selon lequel, au point 217, le Tribunal aurait donné une explication inadmissible de la déclaration de M. Verluca et aurait donc renversé la charge de la preuve n’est pas recevable.
110. Ici également, la requérante compare son évaluation à celle du Tribunal pour en déduire qu’il y aurait renversement de la charge de la preuve et demander par conséquent à la Cour de procéder à un réexamen des faits. Une telle manœuvre est inadmissible (26).
111. En outre, nous ne comprenons pas pourquoi la constatation de fait figurant au point 217 de l’arrêt attaqué et précisant que, «[…] en faisant cette affirmation, M. Verluca répondait spécifiquement à une question qui portait sur le Compte rendu de l’entretien avec JF. […]» impliquerait un renversement de la charge de la preuve. Il en va de même de la constatation selon laquelle la réunion avec JF ne concernait que les tubes OCTG et de la conclusion qui en découle, à savoir que cette déclaration de M. Verluca ne pouvait viser que ce produit. Au cas où ces constatations et cette conclusion viennent étayer la fiabilité des déclarations de M. Verluca, il ne s’agit là que de la pure appréciation des faits par le Tribunal, appréciation qui ne peut être contestée en degré d’appel.
112. Nous serons également assez bref à propos du cinquième élément de cette branche du moyen considéré. Même si cet argument est recevable, il est en tout cas infondé.
113. Le fait qu’au point 349 le Tribunal constate que la déclaration de M. Verluca est insuffisamment précise quant à la date de cessation de l’infraction n’affecte en rien la fiabilité de cette déclaration quant à son contenu, fiabilité établie dans l’arrêt attaqué et corroborée par d’autres éléments de preuve.
114. Nous semble en outre incontestable la conséquence tirée de l’imprécision de la date de la fin de l’infraction, à savoir que la déclaration de M. Verluca est trop peu fiable à cet égard et n’est donc pas suffisante pour établir cette date à suffisance de droit.
c) La déclaration de M. Becher
115. Les arguments avancés par la requérante à l’encontre de la fiabilité de la déclaration de M. Becher et, par là, à l’encontre de l’évaluation de celle-ci par le Tribunal en tant que preuves venant corroborer les déclarations de M. Verluca sont, à notre avis, en partie irrecevables et en partie infondés.
116. Est infondé le premier argument tiré de ce que le Tribunal, en omettant de tenir compte de deux réserves formulées par M. Becher dans sa déclaration, a apprécié erronément la valeur probante de celle-ci.
117. L’absence de connaissance directe, par M. Becher, de l’infraction incriminée rend en soi compréhensible la réserve «nach meiner Kenntnis», d’autant plus qu’il renvoie aux sources de sa «Kenntnis», à savoir les comptes rendus antérieurs dont il avait pris connaissance, lorsqu’il lui est demandé de commenter un document qui lui est présenté. Cette réserve, limitée au contexte spécifique d’une partie déterminée de sa déclaration, ne peut pas être considérée comme une réserve générale mettant en cause l’ensemble de cette déclaration.
118. La fiabilité de cette déclaration n’est pas davantage sapée par le fait qu’elle se fonde sur les informations qui lui ont été fournies par les travailleurs de l’entreprise dont il était directeur. Comme le Tribunal l’a déclaré au point 205 de l’arrêt attaqué, en renvoyant à une jurisprudence antérieure (27), sans être contesté, les réponses données au nom d’une entreprise sont revêtues d’une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre du personnel.
119. N’est donc pas spéculative la constatation que, lorsqu’une personne, n’ayant pas de connaissance directe des circonstances en cause, fait une déclaration en tant que représentant d’une société, par laquelle elle reconnaît l’existence d’une infraction dans le chef de celle-ci ainsi que dans celui d’autres entreprises, elle s’appuie nécessairement sur des informations fournies par sa société et, en particulier, par des employés de celle-ci ayant bien, quant à eux, une connaissance directe des pratiques en question. Compte tenu des risques juridiques et économiques considérables induits par une telle déclaration, il serait justement extrêmement risqué de la faire sans disposer de ces informations.
120. Cet argument – même s’il est recevable – n’affecte en rien la valeur probante que le Tribunal a attribuée à la déclaration de M. Becher.
121. Par le deuxième argument, la requérante donne à nouveau son interprétation propre de la fiabilité et donc de la valeur probante de la déclaration de M. Becher, qu’elle confronte ensuite à l’interprétation du Tribunal, et dont elle déduit que ce dernier aurait évalué erronément cette valeur probante.
122. Nous pouvons difficilement voir ici autre chose qu’une tentative déguisée d’amener la Cour à réexaminer les faits en degré d’appel. Cet argument doit donc être déclaré irrecevable, sur la base des considérations exposées aux points 91 à 93 (28).
123. À titre superfétatoire, nous ajoutons ici que les objections de fond soulevées par cet argument, même si elles sont pertinentes à première vue, sont tout à fait insuffisantes pour induire, à titre de commencement de preuve, que le Tribunal aurait commis une erreur dans l’appréciation de la valeur probante de la déclaration de Becher. Cela vaut à la fois pour les conséquences que le Tribunal attache à la prétendue contradiction entre la déclaration de M. Becher et le document «Clé de répartition», et pour le raisonnement suivi par le Tribunal à propos des conséquences de la dissimulation de l’aspect intereuropéen de l’infraction sur la crédibilité des autres éléments de cette déclaration.
124. Le troisième argument vise à corroborer la thèse tirée de ce que la conclusion du Tribunal – selon laquelle la déclaration de M. Becher vient étayer celle de M. Verluca à propos des tuyaux de transport «projet» – se fonde sur une motivation incomplète et contradictoire, sur ce que la requérante a avancé en vue d’étayer les premier et deuxième moyens.
125. Dans la mesure où sont réutilisés ici des arguments de fait invoqués cette fois comme constitutifs d’un défaut de motivation, ils sont manifestement irrecevables.
126. Il en va de même pour l’argument présenté comme complémentaire et tiré de ce que le Tribunal a attribué erronément à la déclaration de M. Becher une valeur probante différente de celle que le Tribunal lui-même considérait comme admissible (point 220 de l’arrêt attaqué).
127. Est ainsi à nouveau remise en cause l’appréciation par le Tribunal de l’impact de la négation, par M. Becher, de l’aspect intereuropéen sur la crédibilité des autres parties de la déclaration de ce dernier.
128. Nous en concluons que cette branche du premier moyen ne peut pas être accueillie et que, par conséquent, la conclusion du point 333 de l’arrêt attaqué, à savoir que la déclaration de M. Verluca concernait également les tuyaux de transport «projet», n’est pas affectée.
d) Le point «Gruber + Weber»
129. La troisième branche du premier moyen est dirigée à l’encontre du raisonnement suivi par le Tribunal, fondé sur une application par analogie du point 214 de l’arrêt Gruber + Weber/Commission (29), et parvenant à la conclusion que, même si les requérantes avaient réussi à susciter un certain doute, en première instance, quant aux produits concernés par l’accord sanctionné par la décision, celle-ci ne devait pas pour autant être annulée.
130. De la formulation du début de ce point «[…] à supposer même que […], ce qui n’a pas été démontré,[…]», il ressort bien qu’il s’agit d’une considération hypothétique qui n’ajoute rien aux conclusions que le Tribunal a tirées aux points 333 et 335.
131. Étant donné que, à notre avis, les deux premières branches de ce moyen, qui concernent successivement les conclusions des points 333 et 335, ne peuvent être accueillies, la troisième branche, visant le point 336, devient inefficace, c’est‑à-dire que, même si elle était accueillie, elle serait sans influence sur le dispositif de l’arrêt attaqué.
132. Selon une jurisprudence constante, de tels griefs, invoqués à l’encontre de motivations de droit surabondantes, sont inopérants(30).
133. Nous estimons donc que la troisième branche du premier moyen ne doit pas être examinée, car elle est inopérante.
C – Le deuxième moyen – la durée excessive de la procédure
1. Les arguments de la requérante
134. Selon la requérante, la durée de la procédure devant le Tribunal a été excessive à concurrence de quatre ans et trois mois. Plus particulièrement, la période de deux ans entre la fin de la procédure écrite et la décision d’ouverture de la procédure orale ainsi que les seize mois séparant la clôture de la procédure orale du prononcé de l’arrêt seraient disproportionnés.
135. Le Tribunal aurait ainsi commis une infraction à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»).
136. En comparaison avec l’affaire Baustahlgewebe/Commission (31), dans laquelle la Cour a constaté qu’une durée de cinq ans et six mois en première instance constituait une violation du principe de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH visant à garantir un accès effectif à une juridiction dans un délai raisonnable, la présente affaire, impliquant huit entreprises – dont sept ont formé un recours – et trois langues de procédure, serait plus simple que l’affaire Baustahlgewebe/Commission, qui concernait onze recours.
137. En tout cas, la période de deux ans entre la clôture de la procédure écrite et l’ouverture de la procédure orale dans les présentes affaires doit être qualifiée d’excessivement longue, d’autant plus que les mesures d’organisation de la procédure n’ont nécessité que deux mois.
138. Comparé à la durée moyenne des procédures engagées devant le Tribunal dans des catégories d’affaires similaires, le traitement de la présente affaire a eu une durée disproportionnée (32).
139. La requérante déclare avoir subi des dommages financiers du fait de la durée de la procédure sous forme d’intérêts supplémentaires dus à la suite du retard de paiement des amendes infligées et de frais supplémentaires de constitution de la garantie bancaire requise, frais qui, selon son calcul, s’élèvent à 827 332 euros.
140. En outre, la requérante estime qu’une indemnisation de 175 000 euros est appropriée, compte tenu de la modération appliquée aux amendes par la Cour.
2. Les arguments de la Commission
141. La Commission attire l’attention sur le fait que la Cour, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, peut réduire une amende aux fins d’accorder une réparation raisonnable de la violation du principe juridique du contrôle judiciaire indépendant dans un délai raisonnable.
142. Toutefois, au cas – hypothétique – où la Cour écarterait entièrement l’amende infligée, il n’existerait plus de base dont le dommage subi par la requérante pourrait être déduit. Étant donné que la procédure en degré d’appel ne peut jamais servir à mener une action indépendante en dommages-intérêts, la requérante devrait, dans cette hypothèse, engager une procédure sur la base de l’article 235 CE. D’ailleurs, comme le fait remarquer la Commission, il serait inapproprié dans une telle hypothèse de la condamner à indemniser, étant donné que la longueur de la procédure ne pourrait lui être imputée.
143. Compte tenu des circonstances, à savoir le nombre de parties, l’intervention de l’Autorité de surveillance de l’AELE, le nombre de langues de procédure ainsi que l’étendue et la complexité du dossier ayant abouti à la décision, la longueur de la procédure n’était d’ailleurs pas excessive, même si l’on compare cette durée à celle de procédures comparables engagées devant le Tribunal au cours de la période concernée, c’est-à-dire entre 2000 et 2004.
144. La Commission conteste en outre le point de vue selon lequel, à cause de cette prétendue durée excessive de la procédure, la requérante aurait subi des dommages financiers:
– la requérante n’aurait pas tenu compte des revenus rapportés par le montant de l’amende dont elle aurait conservé la disposition au cours de la procédure;
– la requérante aurait omis de prendre les initiatives nécessaires pour limiter autant que possible les frais relatifs à l’amende infligée.
145. Enfin, la requérante fonderait sa demande complémentaire d’indemnisation de 175 000 euros, à titre de réparation raisonnable de la violation du principe de contrôle judiciaire adéquat, sur une interprétation erronée des passages concernés de l’arrêt Baustahlgewebe/Commission. Du point 31 de cet arrêt, il ressort que la Cour avait bien tenu compte du dommage subi par la requérante à la suite du paiement d’intérêts inutiles.
3. Appréciation
146. Dans l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, la Cour a appliqué les critères suivants pour motiver la durée excessive de la procédure en première instance (33):
– la durée absolue de la procédure;
– l’enjeu du litige pour les parties concernées;
– le nombre de recours et le nombre de langues de procédure;
– le volume des documents et la complexité des questions de droit et de fait soulevées;
– les comportements éventuels des parties requérantes et des autorités compétentes qui auraient contribué à la durée de la procédure;
– la période séparant la clôture de la procédure écrite et la décision d’ouverture de la procédure orale;
– les mesures provisoires éventuelles d’organisation de la procédure et les mesures d’instruction;
– la période séparant la clôture de la procédure orale et le prononcé de l’arrêt.
147. En comparaison avec l’affaire Baustahlgewebe/Commission, la durée de la présente procédure, en première instance, a été sensiblement plus courte, à savoir quatre ans et trois mois par rapport à cinq ans et six mois.
148. S’agissant de l’intérêt de la requérante, la situation n’est pas fondamentalement différente de celle de l’affaire Baustahlgewebe/Commission. Si la durée de la procédure ne met aucunement en cause la continuité de l’entreprise de la requérante, elle peut porter préjudice à ses intérêts financiers. Ne change rien à cette constatation le fait qu’il y aurait divergence d’opinion entre la requérante et la Commission à propos de l’importance des frais que la durée excessive de la procédure aurait entraînés.
149. Le nombre de recours engagés (sept) est manifestement inférieur à celui de l’affaire Baustahlgewebe/Commission (onze); le nombre de langues de procédure est identique (trois).
150. Une comparaison de la complexité des questions de fait et de droit, ainsi que de l’importance des documents du dossier, serait hasardeuse. Après avoir examiné les arrêts rendus en première instance, nous sommes néanmoins tenté d’évaluer la complexité des questions de fait et de droit soulevées dans la présente affaire comme supérieure à celle des mêmes questions dans l’affaire Baustahlgewebe/Commission.
151. La quasi-totalité des faits qui fondaient la décision de la Commission a été contestée en première instance et a donc dû être vérifiée. La valeur probante des déclarations et des documents disponibles en la matière a dû être évaluée.
152. En outre, la présente procédure se caractérise par une grande diversité de questions juridiques difficiles, comme l’implication de l’Autorité de surveillance de l’AELE ou le statut des marchés offshore de la Communauté et du Royaume‑Uni en particulier. Ces questions juridiques n’étaient pas toutes de nouvelles questions, mais la réponse à y apporter dans le contexte de fait de la présente procédure a nécessité une analyse préalable approfondie.
153. Dans le dossier de procédure de première instance, on ne trouve aucune indication de ce que la requérante aurait entrepris certaines actions ou en aurait demandé au Tribunal, ce qui aurait pu contribuer à allonger la durée de la procédure.
154. Entre la clôture de la procédure écrite le 1er février 2001 et l’ouverture de la procédure orale le 4 février 2003, deux années se sont écoulées.
155. Le Tribunal a adopté des mesures d’organisation de la procédure les 18 juin, 11 juillet et 31 juillet 2002.
156. Entre la clôture de la procédure orale le 21 mars 2003 et le prononcé de l’arrêt le 8 juillet 2004, presque quinze mois et demi se sont écoulés.
157. Des considérations qui précèdent, nous concluons que, en termes de charge de travail, les présentes procédures ont représenté dans leur totalité grosso modo la même charge pour le Tribunal que le groupe d’affaires dont l’affaire Baustahlgewebe/Commission faisait partie, mais que la durée totale de la procédure en première instance a été sensiblement inférieure en l’espèce, à savoir d’un an et trois mois.
158. À notre avis, il ne faut pas attribuer de signification décisive au fait qu’une période de deux ans se soit écoulée entre l’ouverture formelle de la procédure orale et la clôture de la procédure écrite. L’examen de dossiers de procédure volumineux et des documents probants ainsi que leur synthèse dans un rapport détaillé en vue de l’audience – 135 pages qui devaient être traduites de la langue de travail du Tribunal vers les trois langues de procédure – ont nécessairement pour effet que les activités préparatoires doivent débuter bien avant que la décision d’ouverture de la procédure orale ne puisse être prise.
159. Les diverses mesures que le Tribunal a prises à partir de la mi-juin 2002 en vue de l’organisation des procédures supposent une analyse préalable des dossiers de procédure, ou du moins de certaines parties de ces dossiers.
160. La période de seize mois entre l’audience et le prononcé de l’arrêt est longue, mais nous hésitons à la qualifier d’excessive, compte tenu du fait que les audiences ont duré deux jours et demi et des arrêts eux-mêmes dont la longueur et la structure reflètent la complexité de droit et de fait des présentes affaires.
161. À cela s’ajoute encore une circonstance mise en évidence par la Commission et qui nécessite une analyse plus approfondie.
162. Au cours de la période pendant laquelle les affaires en cause étaient pendantes devant le Tribunal – de 2000 à 2004 –, la charge de travail du Tribunal a environ doublé en termes de nombre d’affaires pendantes, passant de 520 à 1 012. Cette augmentation montre qu’au cours de cette période la demande vis‑à‑vis du Tribunal a manifestement dépassé la capacité disponible.
163. À mesure que la réserve de travail d’une instance judiciaire augmente, la durée moyenne des procédures s’élève. Les statistiques du Tribunal reflètent ce phénomène. La durée moyenne de la catégorie de procédure dont font partie les affaires de concurrence a progressivement augmenté entre 2001 et 2005 de 30 mois à plus de 35 mois (34).
164. Ce phénomène, qui conduit à ce que la vitesse de traitement des affaires diminue devant une instance dont la charge de travail dépasse les capacités, découle de l’«effet salle d’attente» qui se manifeste surtout après la clôture de la procédure écrite et après la clôture de la procédure orale. C’est à ces moments-là que la formation de jugement doit d’abord préparer les affaires qui précèdent en vue de la procédure orale, ou les terminer en prononçant un arrêt, avant qu’elle ne puisse s’occuper des affaires suivantes. Dans ce cadre, le fait que le traitement des affaires en cause a pris considérablement moins de temps que celui des affaires ayant abouti à l’arrêt Baustahlgewebe/Commission (35) indique que le Tribunal a agi avec toute la diligence possible.
165. Dans ce contexte, une durée de quatre ans et trois mois pour traiter ces affaires volumineuses et compliquées ne peut être qualifiée d’excessivement longue.
166. Nous en concluons donc que ce moyen ne peut être accueilli.
167. À titre superfétatoire, nous soulignons que, si la demande judiciaire vis‑à‑vis d’une instance judiciaire de la Communauté dépasse la capacité de cette instance et qu’il n’est plus possible d’adopter des mesures internes pour augmenter la productivité, sans affecter les exigences de qualité que la jurisprudence de ladite instance doit continuer à respecter, il relève de la responsabilité du législateur communautaire de maintenir les conditions nécessaires pour que la Cour de justice puisse continuer à assumer la mission qui lui est impartie par l’article 220 CE.
168. Le traité de Nice (36) confirme que le législateur communautaire reconnaît cette responsabilité, puisqu’il prend diverses mesures concernant le Tribunal pour maintenir sa capacité proportionnelle à la demande. Nous pensons ici en particulier à la possibilité ouverte par l’article 224 CE de nommer plus d’un juge par État membre et à la compétence du Conseil prévue à l’article 225 A de créer des chambres juridictionnelles de première instance.
V – Le pourvoi de Nippon Steel
A – Le premier moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en utilisant une norme de preuve erronée, alors qu’il est démontré que les assertions de la Commission ne concordent pas avec les intérêts commerciaux de la requérante et sont donc illogiques
1. Les passages pertinents de l’arrêt attaqué
169. Ce moyen porte sur les points 173 à 188 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal expose les principes concernant la charge de la preuve ainsi que la norme utilisée en la matière dans son analyse des arguments avancés par les producteurs japonais.
170. S’agissant de la norme juridique applicable à la preuve à rapporter pour constater une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, le Tribunal déclare aux points 179 et 180:
«179 Ainsi, comme le rappellent à juste titre les requérantes japonaises, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise (voir, en ce sens, arrêts CRAM et Rheinzink/Commission, point 57 supra, point 20, et Pâte de bois II, point 56 supra, point 127; arrêts SIV e.a./Commission, point 57 supra, points 193 à 195, 198 à 202, 205 à 210, 220 à 232, 249 à 250 et 322 à 328, et Volkswagen/Commission, point 57 supra, points 43 et 72)» (37).
«180. Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt PVC II, point 61 supra, points 768 à 778, en particulier, le point 777, confirmé sur le point pertinent par la Cour, sur pourvoi, dans son arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C–238/99 P, C–244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, points 513 à 523).»
171. Le moyen est ensuite dirigé à l’encontre des éléments essentiels qui, selon le Tribunal, doivent être prouvés pour pouvoir admettre l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. À cet égard, la requérante souligne les passages suivants aux points 181 et 185 de l’arrêt attaqué:
«181 […] il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel […]».
«185 […] il [est] indifférent, en ce qui concerne l’existence de l’infraction, que la conclusion de l’accord à but anticoncurrentiel retenu par la Commission à l’article 1er de la décision ait été ou non dans l’intérêt commercial des requérantes japonaises s’il est établi, sur la base des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, qu’elles ont effectivement conclu ledit accord.»
2. Les arguments de la requérante
172. La requérante prétend que le Tribunal se serait trompé en ne déduisant pas les conséquences juridiques correctes du fait que les producteurs japonais n’avaient aucun intérêt économique à commettre la prétendue infraction. Plus particulièrement, l’erreur résiderait en ce que le Tribunal n’aurait pas adapté la norme juridique, que doit respecter la preuve en matière d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, à l’absence manifeste d’intérêt économique. Le Tribunal aurait simplement estimé que l’absence d’intérêt économique n’a aucune signification particulière si l’on peut établir – sur la base des éléments probants figurant dans le dossier de la Commission – que l’accord litigieux a bien été conclu.
173. La requérante estime au contraire que:
1) l’absence de motifs économiques, pour la requérante, à la conclusion de l’accord aurait dû avoir pour conséquence que des preuves plus persuasives de l’existence dudit accord auraient dû être exigées que ce n’aurait été le cas autrement;
2) l’absence de motifs économiques aurait dû influencer les conséquences susceptibles d’être tirées des preuves équivoques produites par la Commission à propos de l’existence de l’accord. En tout cas, la présence d’une autre explication pour le comportement litigieux de la requérante sur le marché n’aurait pas dû permettre de déduire une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE;
3) l’absence de motifs économiques aurait dû avoir des conséquences quant à l’admissibilité, en tant que preuve, des déclarations faites au nom d’une autre partie prétendument impliquée dans l’infraction, pour étayer les thèses de la Commission. Une telle preuve ne devrait être admise que si tous les aspects essentiels de l’accord (comme les participants, la durée, les produits en cause et la nature de l’infraction) étaient déjà établis sur la base d’éléments probants indépendants des déclarations. À cet égard, la requérante renvoie au point 91 de l’arrêt Enso-Gutzeit/Commission (38).
3. Les arguments de la Commission
174. La Commission estime que ce moyen est irrecevable et, en tout cas, infondé.
175. La Commission invoque principalement deux arguments à l’encontre de la recevabilité de ce moyen:
1) le moyen ne peut pas être accueilli sans un examen plus approfondi de l’appréciation factuelle par le Tribunal de l’exactitude et de la valeur probante des déclarations, comptes rendus et autres documents produits (cet argument plaide également, selon la Commission, contre la recevabilité des deuxième et troisième moyens);
2) le moyen élargit la portée du pourvoi en dehors du cadre des moyens invoqués en première instance, parce que, à cette occasion, la requérante a développé ses arguments relatifs à l’absence d’intérêt commercial à l’exportation de tubes OCTG et de tuyaux de transport «projet» vers l’Europe, de manière tout à fait indépendante de l’évaluation de la valeur probante des éléments produits par la Commission.
176. La Commission estime que ce moyen n’est pas fondé pour les motifs suivants:
1) Les arguments de la requérante portent sur les effets et, plus généralement, sur la pertinence des intérêts commerciaux des entreprises concernées pour l’établissement de l’infraction. Au point 184 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, conformément à la jurisprudence en vigueur (39), a estimé que les accords qui ont un objet restrictif de la concurrence et sont expressément interdits par l’article 81, paragraphe 1, CE ne peuvent pas être justifiés au moyen d’une analyse du contexte économique dans la mesure où l’objet de ces accords, constitutif d’une restriction de la concurrence, est établi de manière incontestable par des preuves documentaires (40).
2) Sans même relever le fait que la thèse de la requérante, selon laquelle elle n’aurait eu aucun intérêt commercial dans l’accord litigieux, a été contestée en première instance, le Tribunal, confronté à un dossier contenant des preuves directes concernant le comportement clandestin de la requérante, pouvait se satisfaire d’un examen des preuves et, sur cette base, constater que l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE avait été enfreinte.
3) Les arguments que la requérante emprunte à l’arrêt Enso‑Gutzeit/Commission, précité, sont erronés lorsqu’ils concernent l’admissibilité de déclarations en tant que preuves à charge. En l’espèce, il ne s’agissait pas de la recevabilité des preuves, mais de leur crédibilité dans le cadre de l’application du principe de la libre appréciation des preuves (41).
4. Appréciation
177. Les arguments que la Commission soulève à l’encontre de ce moyen ne nous convainquent pas. La question de savoir si le Tribunal a appliqué la norme juridique correcte dans l’examen des preuves invoquées à l’appui de l’infraction incriminée est par excellence une question de droit.
178. D’ailleurs, la manière dont la requérante a présenté et étayé ce moyen, c’est-à-dire en empruntant certains arguments à l’appréciation factuelle des preuves produites par le Tribunal, pouvait susciter l’impression qu’elle visait d’abord un réexamen de ces preuves par la Cour en degré d’appel. Cette maladresse ne devrait, à notre avis, pas entraîner l’irrecevabilité.
179. Ne parvient pas davantage à nous convaincre l’argument selon lequel la requérante a élargi la portée des moyens invoqués en première instance en prétendant que le Tribunal aurait dû, dans son appréciation des preuves, tenir compte de la circonstance que la requérante n’aurait eu aucun intérêt commercial à l’accord litigieux. La requérante aurait dû sans doute invoquer séparément cet argument en première instance, mais, dans l’application du principe de la libre appréciation des preuves, de tels éléments contextuels doivent en principe justement être pris en considération.
180. Dans l’appréciation de ce moyen au fond, nous nous limiterons à la question de savoir si la prétendue absence d’intérêts commerciaux à la commission de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, établie dans la décision de la Commission, aurait dû amener le Tribunal à évaluer les preuves différemment de ce qui a été fait dans l’arrêt attaqué.
181. À cet égard, il convient d’examiner si le raisonnement suivi par le Tribunal aux points 179 à 18 de l’arrêt attaqué peut être avalisé, à savoir si est correcte la décision d’évaluer d’abord les preuves produites par la Commission et seulement subsidiairement si l’existence de l’accord incriminé est compatible avec la situation des marchés en cause.
182. Il nous semble que l’approche du Tribunal est claire et, à la lumière de la jurisprudence en vigueur, irréprochable.
183. Au point 179, le Tribunal commence par rappeler le principe découlant d’une jurisprudence devenue depuis volumineuse (42), et selon lequel la Commission est tenue de réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la conviction que l’infraction a été commise. Ensuite, le Tribunal souligne, au point 180, en se fondant à nouveau sur une jurisprudence constante (43), qu’il suffit que le faisceau d’indices invoqué par la Commission réponde, dans son ensemble, à cette exigence. Au point 181, le Tribunal achève la première partie de son raisonnement en rappelant une jurisprudence constante (44) selon laquelle il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, quels que soient leurs effets, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel. En l’espèce, la Commission s’est fondée en premier lieu sur l’objet restrictif de la concurrence de l’accord dont elle cherche à prouver l’existence et la portée grâce à un grand nombre de preuves documentaires.
184. Au point 182, sur la base de cette première partie de son raisonnement, le Tribunal parvient à la constatation que tous ces éléments emportent potentiellement des conséquences importantes par rapport à la première branche du premier moyen, tirée en substance de l’absence d’effets anticoncurrentiels résultant de l’infraction sanctionnée à l’article 1er de la décision.
185. La deuxième partie du raisonnement du Tribunal commence par la constatation que l’argumentation de la requérante tenant à l’inexistence des effets de l’accord en cause, à la supposer fondée, ne saurait en principe entraîner, à elle seule, l’annulation de l’article 1er de la décision (point 183) (45).
186. Plus particulièrement, en ce qui concerne le cas spécifique des accords qui, comme celui retenu par la Commission en l’espèce, visent le respect des marchés nationaux, le Tribunal a déjà jugé, dans son arrêt Ciment, qu’ils ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 81, paragraphe 1, CE et que cet objet, dont la réalité était, dans l’arrêt Ciment, établie de manière incontestable par des preuves documentaires, ne peut être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (point 184).
187. À cet égard, il est donc indifférent, en ce qui concerne l’existence de l’infraction, que la conclusion de l’accord litigieux ait été ou non dans l’intérêt commercial des requérantes s’il est établi, sur la base des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, qu’elles ont effectivement conclu ledit accord (point 185).
188. En l’espèce, l’argumentation tirée de ce que les requérantes auraient démontré l’existence de circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication plausible est dénuée de pertinence en l’espèce. La jurisprudence sur laquelle se fonde cette argumentation se rapporte à la situation dans laquelle la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché pour conclure à l’existence d’une infraction (46) (point 186).
189. En l’espèce, la Commission a invoqué des éléments de preuve documentaires à l’appui de sa constatation de l’existence d’un accord anticoncurrentiel. Il s’ensuit que la jurisprudence invoquée par la requérante ne saurait être pertinente en l’espèce que dans l’hypothèse où la Commission n’aurait pas réussi à établir l’existence de l’infraction sur la base des preuves documentaires qu’elle invoque. Il ne suffit donc pas, pour la requérante, de présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues pour établir l’existence de l’infraction (point 187).
190. Le raisonnement suivi par le Tribunal est entièrement conforme à la jurisprudence du Tribunal et de la Cour. L’argumentation de la requérante tirée de ce que l’existence d’une explication plausible des comportements incriminés, à savoir l’absence de tout intérêt commercial, amènerait à poser des exigences plus strictes quant aux preuves à produire impliquerait de reformuler dans une large mesure la jurisprudence.
191. À notre avis, il n’y a aucune raison de modifier la jurisprudence. Comme la Cour l’a encore récemment déclaré dans l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission (47) (points 55 à 57), la preuve peut s’avérer extrêmement difficile dans les affaires de concurrence, étant donné que les parties sont tout à fait conscientes de l’interdiction des comportements anticoncurrentiels et des amendes qu’elles risquent. C’est pourquoi, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiels doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence.
192. Au cas où, comme en l’espèce, la Commission aurait réussi à réunir un grand nombre de preuves documentaires à l’appui de l’infraction incriminée, il est évident que le juge doit en premier lieu apprécier ces preuves. C’est seulement si ces preuves s’avèrent insuffisantes qu’il sera nécessaire d’examiner si l’existence de cette infraction peut être induite de coïncidences et d’indices étroitement liés au comportement sur le marché.
193. La requérante a illustré sa position grâce à une métaphore empruntée à une décision de la House of Lords (48): il est plus probable qu’un grand animal brun observé à Regent’s Park soit un chien de berger qu’un lion et, par conséquent, l’assertion qu’il s’agit bien d’un lion devra être prouvée de manière particulière.
194. Cette métaphore n’est pas adéquate en l’espèce, parce qu’il ne s’agit pas ici de l’appréciation de deux probabilités dont l’une, dans le contexte donné, est plus probable que l’autre, mais bien de l’établissement d’une seule probabilité sur la base des preuves réunies.
195. Au cas où ces preuves apparaîtraient suffisantes pour démontrer l’existence de l’infraction reprochée, elles sont conformes à l’exigence de preuves convaincantes.
196. Autrement dit, s’il est établi, sur la base des caractéristiques de fait, qu’un oiseau est un canard, il s’agira bien d’un canard et non d’une corneille, même s’il n’y a pas d’eau dans les environs.
197. Nous concluons donc que le premier moyen de la requérante ne peut pas être accueilli.
B – Le deuxième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en utilisant une norme de preuve incorrecte dans une affaire dans laquelle les preuves documentaires sont équivoques et alors que la requérante avait présenté une explication alternative plausible pour le comportement litigieux
C – Le troisième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve incorrecte au degré de preuve qui doit être fourni pour étayer les déclarations litigieuses que la Commission a avancées comme preuves principales, mais qui étaient peu crédibles, tout à fait équivoques et en contradiction avec les autres éléments de preuve
198. Nous renonçons à reproduire les arguments de la requérante étayant ces deux moyens.
199. Par ces deux moyens, la requérante commence par affirmer que le Tribunal a appliqué une norme de preuve incorrecte – trop faible – dans son appréciation des preuves, c’est-à-dire des déclarations et documents que la Commission a invoqués pour étayer l’infraction en cause.
200. Dans l’examen du premier moyen, nous avons déjà constaté que la méthode suivie par le Tribunal dans son appréciation de la question de savoir si la Commission a fourni des preuves suffisantes quant à l’existence de l’infraction était correcte: le Tribunal pouvait agir comme il l’a fait en vertu de la jurisprudence en vigueur.
201. Par ces deux moyens, la requérante essaye d’induire de l’appréciation de la valeur probante des preuves par le Tribunal que ce dernier aurait appliqué une norme de preuve trop faible.
202. Selon nous, cette tentative d’amener la Cour à procéder à un contrôle de l’appréciation des faits par le Tribunal ne peut être accueillie, étant donné qu’elle dépasse le cadre d’un pourvoi restreint à l’examen des questions de droit.
203. Par conséquent, nous concluons à l’irrecevabilité manifeste de ces deux moyens.
D – Le quatrième moyen: le Tribunal a commis une erreur de droit en basant sur des motivations contradictoires et erronées sa thèse selon laquelle la déclaration de M. Becher du 21 avril 1997 corrobore les déclarations de M. Verluca concernant la prétendue infraction en matière de tuyaux de transport «projet»
1. Les arguments de la requérante
204. La requérante renvoie au point 220 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal déclare: «[…] En outre, pour autant qu’une pièce ne soit pas en contradiction manifeste avec les déclarations de M. Verluca sur l’existence ou le contenu essentiel de l’accord de partage des marchés, il suffit qu’elle atteste des éléments significatifs de l’accord qu’il a décrit pour avoir une certaine valeur à titre d’élément de corroboration dans le cadre du faisceau de preuves retenus à charge […]».
205. Dans son appréciation de l’intérêt de la déclaration de M. Becher aux fins d’étayer les déclarations de M. Verluca, le Tribunal se serait écarté de la norme qu’il avait lui-même formulée au point 220 de l’arrêt attaqué. En soutenant qu’il n’existait aucun accord de partage du marché entre les producteurs européens, M. Becher a contredit les déclarations de M. Verluca sur un point essentiel. Le Tribunal a manifestement omis de considérer ce point, alors qu’il affirme, au point 302, que cette contradiction affecte la crédibilité de la déclaration de M. Becher. Le Tribunal a néanmoins estimé que cette déclaration vient corroborer celle de M. Verluca à propos de l’application de l’accord de partage des marchés aux tuyaux de transport «projet».
206. En réalité, le Tribunal accepte donc des preuves contradictoires à propos de la déclaration de M. Becher, alors que, conformément à sa propre norme, il aurait probablement écarté des déclarations aussi contradictoires si elles avaient figuré dans des documents. Le Tribunal a donc créé une différence arbitraire entre les déclarations et les preuves incorporées dans des documents.
207. Par cette différence arbitraire, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’appréciation de la valeur probante de la déclaration de M. Becher. Cette déclaration ne peut donc pas être utilisée aux fins de corroborer l’existence d’un accord de partage du marché concernant les tuyaux de transport «projet».
2. Les arguments de la Commission
208. La Commission note que ce moyen n’est pas recevable, étant donné qu’il vise seulement l’une des trois conclusions autonomes du Tribunal (points 333, 334, 335 et 336), dont l’infraction en cause à propos des tuyaux de transport «projet».
209. Subsidiairement, la Commission soutient que le moyen est infondé, parce que le Tribunal pouvait dûment établir une distinction entre les déclarations faites par la suite à propos des infractions incriminées et les preuves documentaires contemporaines.
210. Les documents établis au cours de la période pendant laquelle les infractions ont eu lieu et avant que les investigations ne débutent ont en principe la même valeur probante quant à tous les aspects sur lesquels ils portent. À ce stade, il est toutefois moins probable que leur contenu soit influencé par des considérations tactiques en vue d’une enquête. Si le contenu de tels documents contredit clairement des déclarations faites par la suite, il y a raisonnablement lieu de douter de la fiabilité desdites déclarations. Dans ce cas, on ne peut pas conclure que les preuves sont cohérentes.
211. Il en va autrement des déclarations qui ont été formulées par la suite au cours des investigations. Certains faits peuvent y être reconnus et d’autres niés, parce que l’intéressé, au courant de l’enquête de la Commission, peut supposer que celle-ci est déjà informée de certains faits et circonstances. Les circonstances admises dans une telle déclaration, qui sont également accablantes pour l’intéressé, ont bien une valeur probante certaine.
212. La thèse de la requérante reviendrait à demander à la Cour de constater qu’une déclaration, qui est également accablante pour celui qui la fait, ne peut plus se voir attribuer aucune valeur probante, parce qu’elle est incomplète ou est atténuée par une dénégation partielle. Une telle affirmation est incompatible avec la position – non contestée – du Tribunal, aux points 211 et 297 de l’arrêt attaqué, établissant que les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables.
3. Appréciation
213. De la formulation de la première phrase du point 334 (49) de l’arrêt attaqué – «En toute hypothèse, il a déjà été jugé que, si […], les déclarations de [M. Verluca] pourraient suffire à elles seules, dans cette hypothèse, pour attester d’autres aspects de la décision attaquée,[…]» – on peut déduire que la conclusion formulée au point 333, qui s’appuie sur la déclaration de M. Becher pour étayer les déclarations de M. Verluca à propos des tuyaux de transport «projet», a un caractère subsidiaire par rapport à la conclusion formulée aux points 334 et 335 selon laquelle les déclarations de M. Verluca pourraient suffire à prouver que l’infraction litigieuse s’étend également à ces produits.
214. Étant donné que les moyens de la requérante ne visent pas expressément la conclusion formulée aux points 334 et 335, on peut en déduire que ce moyen, même s’il était accueilli, ne pourrait conduire à annuler l’arrêt attaqué et, par conséquent, il ne doit pas être examiné, car il n’est pas efficace (50).
215. C’est donc à titre superfétatoire que nous l’examinons en détails.
216. La requérante reproche en réalité au Tribunal d’utiliser deux étalons de mesure différents en attribuant aux preuves incorporées dans des documents et contredites par les déclarations de M. Verluca une valeur probante supérieure à celle qu’il accorde aux déclarations qui s’écartent en partie de ces déclarations.
217. Nous rejoignons la Commission lorsqu’elle soutient que les déclarations faites au nom d’entreprises au cours de la procédure d’investigation, après la commission de l’infraction, ne peuvent pas être considérées de la même manière, du point de vue de l’évaluation des preuves, que les documents écrits rédigés au moment de l’infraction, avant le début des investigations.
218. Il va de soi que les personnes qui font de telles déclarations tenteront de dissimuler les faits qui, selon elles, sont susceptibles de rester cachés. Ces déclarations apparaîtront donc souvent comme incomplètes et, parfois, dissimulées. Pourtant, dans la mesure où elles contiennent des informations à charge pour celui qui les formule, elles peuvent être qualifiées de fiables comme le Tribunal l’a fait remarquer à bon droit aux points 211 et 297 de l’arrêt attaqué.
219. C’est a fortiori le cas lorsque les éléments divergents de ces différentes déclarations sont manifestement autonomes par rapport aux éléments par lesquels elles se confirment ou se renforcent l’une l’autre.
220. En l’espèce, les déclarations de M. Verluca et celle de M. Becher divergent quant au champ d’application territorial de l’infraction, elles concordent quant au champ d’application matériel de l’infraction.
221. Le fait que M. Becher, par sa déclaration, confirme que son entreprise a été impliquée dans un accord de partage des marchés qui concernait également les tuyaux de transport «projet» et qu’il la charge donc pouvait constituer une raison suffisante pour le Tribunal pour considérer ladite déclaration comme fiable, dans la mesure où elle portait sur les tuyaux de transport «projet».
222. Nous en concluons donc que ce quatrième moyen de la requérante, s’il n’est pas inefficace, est en tout cas non fondé.
VI – Les dépens
223. Des considérations qui précèdent, nous concluons que les pourvois de Sumitomo et de Nippon sont infondés dans leur intégralité.
224. Étant donné que la Commission a conclu à la condamnation des requérantes aux dépens, celles-ci doivent donc y être condamnées conformément à l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour.
VII – Conclusion
225. Pour les motifs exposés ci-dessus, nous invitons la Cour à:
A – Dans l’affaire C‑403/04 P:
1) déclarer le pourvoi non fondé;
2) condamner Sumitomo Metal Industries Ltd aux dépens du pourvoi.
B – Dans l’affaire C‑405/04 P:
1) déclarer le pourvoi non fondé;
2) condamner Nippon Steel Corp. aux dépens du pourvoi.
1 – Langue originale: le néerlandais.
2 – Ci-après l’«arrêt attaqué ».
3 – JO 2003, L 140, p. 1.
4 – Sont irrecevables les moyens qui visent en réalité les actes ou omissions de l’institution. La simple reprise des moyens invoqués impliquerait qu’il s’agirait d’un pourvoi «normal». Voir, notamment, arrêts du 7 mai 1998, Somaco/Commission (C-401/96 P, Rec. p. I-2587, point 49), et du 22 avril 1999, Kernkraftwerke Lippe-Ems/Commission (C-161/97 P, Rec. p. I-2057, points 76 et 77).
5 – Voir, notamment, arrêts du 10 décembre 1998, Schröder e.a./Commission (C‑221/97 P, Rec. p. I-8255, points 35 et 38 à 42), et du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C-257/98 P, Rec. p. I-5251, points 61 et 62).
6 – Arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission (C-51/92 P, Rec. p. I-4235, point 113).
7 – Dans les recours en première instance également, la Cour et le Tribunal se sont montrés restrictifs à l’égard de l’élargissement de la portée d’un pourvoi par le biais de renvois globaux. Voir, expressément, arrêt du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission (T-31/99, Rec. p. II-1881, point 113 et la jurisprudence citée), ainsi que les principes énumérés par la Cour dans l’arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (C-310/97 P, Rec. p. I-5363, points 52 à 63). Le Tribunal a récemment exposé à nouveau ces principes dans son arrêt du 14 décembre 2005, Honeywell International/Commission (T-209/01, Rec. p. II‑5523, points 53 à 68).
8 – Le passage en cause de la déclaration de M. Becher s’énonce comme suit dans sa traduction française: «Ma seule connaissance des termes ‘Règles fondamentales’ résulte du comportement antérieur des producteurs européens et japonais (c’est-à-dire avant que je ne devienne directeur de Mannesmann le 1er avril 1995). À ma connaissance, sur la base de rapports antérieurs concernant les ‘règles fondamentales’, […]».
9 – Selon les parties requérantes, le passage pertinent de la déclaration de M. Becher est le suivant: «Dans le document de Dalmine qui m’a été soumis, les termes ‘règles fondamentales’ sont utilisés pour désigner les activités des usines de produits sans soudure en Europe. À ma connaissance, l’emploi de ces termes est incorrect […]».
10 – Le passage pertinent de ce point énonce: «À cet égard, il convient de relever d’abord que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, le document «Clé de répartition» se rapporte aux seuls tubes OCTG sans soudure et non aux tuyaux de transport […]».
11 – Arrêt du 14 mai 1998 (T-310/94, Rec. p. II-1043, point 214).
12 – Décision de la Commission, du 3 juin 1997, déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (affaire N IV/M.906 – MANNESMANN/VALLOUREC) sur base du Règlement (CEE) N 4064/89 du Conseil (JO 1997, C 238, p. 15).
13 – Arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment » (T‑25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T‑48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T‑104/95, Rec. p. II-491).
14 – Arrêt du 14 mai 1998 (T-337/94, Rec. p. II-1571).
15 – Précité à la note 11.
16 – À cet égard, la Commission se réfère à l’arrêt du 17 avril 1997, Campo Ebro Industrial e.a./Conseil (C-138/95 P, Rec. p. I-2027, points 60 et 61).
17 – Précité à la note 14.
18 – Le passage concerné du point 278 énonce: «À cet égard, il convient de relever […] que […] le document «Clé de répartition» se rapporte aux seuls tubes OCTG sans soudure et non aux tuyaux de transport».
19 – Pour autant que de besoin, les points 283 et 284 se lisent comme suit:
«283 […] Si la contradiction relevée au point 281 ci-dessus affaiblit certainement la valeur probante du document «Clé de répartition» ainsi que, dans une certaine mesure, celle des déclarations de M. Verluca, sa signification est fortement relativisée […]. En effet, à supposer même que les producteurs d’Amérique latine aient accepté d’appliquer une «Clé de répartition» sur d’autres marchés que le marché européen, force est de relever que les négociations avec ces producteurs ont substantiellement échoué du point de vue européen, de sorte que l’appréciation négative de M. Verluca quant à leur issue correspond effectivement au document «Clé de répartition» sur ce point crucial.
284 Il y a lieu de conclure que la contradiction entre les affirmations de M. Verluca dans une de ces déclarations et le document Clé de répartition, relevée par la Commission elle-même au considérant 86 de la décision attaquée, ne réduit pas substantiellement la crédibilité de ces deux éléments de preuve.»
20 – Le point 217 énonce: «Quant à l’argumentation de Sumitomo tirée de la référence, dans le document Vérification auprès de Vallourec, au fait que la clé de répartition s’appliquait aux ‘seuls produits standard’, de sorte que les tuyaux de transport, produits non standard, n’en étaient pas affectés, il importe de relever que, en faisant cette affirmation, M. Verluca répondait spécifiquement à une question qui portait sur le Compte rendu de l’entretien avec JF. Or, il ressort d’une lecture de ce compte rendu qu’il porte exclusivement sur les tubes OCTG et non sur les tuyaux de transport, ce qui laisse supposer que les explications de M. Verluca concernent uniquement les tubes OCTG».
21 – Le passage pertinent du point 349 est le suivant: «[…] si la véracité de ce qu’a affirmé M. Verluca par rapport à la durée de l’infraction ne fait pas de doute, il résulte du caractère vague de son indication relative à la fin de celle-ci que sa déclaration ne suffit pas à elle seule pour établir cette dernière date à suffisance de droit».
22 – Voir, notamment, arrêts du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer (C-2/01 P et C-3/01 P, Rec. p. I-23, points 47 et 48), et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-135, points 48 à 51).
23 – Précités ci-dessus, au point 34.
24 – Précité à la note 13.
25 – Précité à la note 14.
26 – Voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission (précité à la note 22, point 132).
27 – Arrêt du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission (T-23/99, Rec. p. II-1705, point 45).
28 – L’avocat général Tizzano a suivi le même raisonnement dans ses conclusions dans l’affaire BAI et Commission/Bayer (point 36), précitée à la note 22 ci-dessus.
29 – Précité à la note 11.
30 – Parmi une jurisprudence devenue importante, nous renvoyons aux arrêts du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen (C-35/92 P, Rec. p. I-991, point 31); du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission (C-362/95 P, Rec. p. I-4775, points 18 à 23), et à l’ordonnance du 13 septembre 2001, Comité du personnel de la BCE e.a./BCE (C-467/00 P, Rec. p. I-6041, points 34 à 36).
31 – Arrêt du 17 décembre 1998 (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, points 26 à 49).
32 – La requérante renvoie ici aux données du rapport annuel – Table analytique du travail de la Cour de justice et du Tribunal de première instance des Communautés européennes (2003), annexe 12.
33 – Précité à la note 31, points 28 à 45.
34 – Nous n’avons pas tenu compte de l’année 2000, parce que les statistiques afférentes à cette année sont faussées par les affaires Ciment très volumineuses (citées à la note 13). Le traitement desdites affaires a duré environ cinq ans. Elles ont abouti à un arrêt de 1 265 pages.
35 – Précité à la note 31.
36 – JO 2001, C 80, p. 1.
37 – Arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission (29/83 et 38/83, Rec. p. 1679); du 31 mars 1993, Ahlström Osakeytiö e.a. (C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C‑117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, I-1445, point 127), et arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Siv e.a./Commission (T-68/89, T‑77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403), et du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T-62/98, Rec. p. II-2707).
38 – Précité à la note 14.
39 – Dans le même contexte, la Commission se réfère également à l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission (précité à la note 22, points 55 à 57).
40 – Le point 184 de l’arrêt attaqué se lit comme suit: «En ce qui concerne le cas spécifique des accords qui, comme celui retenu par la Commission en l’espèce, visent le respect des marchés domestiques, le Tribunal a, dans son arrêt Ciment, point 66 supra (points 1085 à 1088), jugé, d’une part, qu’ils ont en eux-mêmes un objet restrictif de la concurrence et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 81, paragraphe 1, CE et, d’autre part, que cet objet, dont la réalité était, dans l’affaire en cause, établie de manière incontestable par des preuves documentaires, ne peut être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit».
41 – À cet égard, la Commission se réfère aux conclusions de l’avocat général Vesterdorf dans l’affaire Rhône-Poulenc/Commission (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, T-1/89, Rec. p. II‑867, section E, point 2).
42 – Précité à la note 37.
43 – Déjà citée ci-dessus au point 170, dans lequel le point 180 de l’arrêt attaqué est reproduit.
44 – Voir, notamment, arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I-4125, point 123).
45 – À l’appui de cet argument, le Tribunal se réfère aux arrêts de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici/Commission (C-277/87, Rec. p. I-45), et du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission (T-143/89, Rec. p. II-917, point 30).
46 – Le Tribunal se réfère ici en particulier à l’arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit «PVC II» (T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T‑325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931).
47 – Précité à la note 22.
48 – Secretary of State for the Home Department/Rehman [2001] UKHL47, annexe D.4, point 5 (Lord Hoffman).
49 – Cité dans son intégralité au point 38 des présentes conclusions.
50 – Voir jurisprudence citée à la note 30.