Affaire T-309/03

Manel Camós Grau

contre

Commission des Communautés européennes

«Enquête de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) concernant la gestion et le financement de l'Institut pour les relations européo-latino-américaines (IRELA) — Conflit d'intérêts éventuel dans le chef d'un enquêteur — Retrait de l'équipe — Incidences sur le déroulement de l'enquête et le contenu du rapport d'enquête — Rapport de clôture de l'enquête — Recours en annulation — Recevabilité — Recours en indemnité — Recevabilité»

Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 6 avril 2006   II-1177

Sommaire de l'arrêt

  1. Fonctionnaires – Recours – Acte faisant grief – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires

    (Art. 230 CE; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1073/1999, art. 9)

  2. Fonctionnaires – Recours en indemnité – Objet

    (Art. 235 CE, 236 CE et 288 CE; statut des fonctionnaires, art. 90, 90 bis et 91; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1073/1999, art. 14)

  3. Recours en indemnité – Autonomie par rapport au recours en annulation

    (Art. 230, al. 4, CE, 235 CE et 288, al. 2, CE)

  4. Responsabilité non contractuelle – Conditions

    (Art. 288, al. 2, CE)

  1.  Constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 230 CE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci.

    Tel n'est pas le cas d'un rapport de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) clôturant une enquête. Un tel rapport, qui ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique des personnes qui y sont nommées, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation introduit par ces personnes. Certes, ce rapport, qui constitue un document achevé, adopté au terme d'une procédure administrative autonome par un service doté d'une indépendance fonctionnelle, ne peut, de ce fait, être qualifié de mesure préparatoire aux procédures administratives ou judiciaires susceptibles d'être déclenchées à sa suite mais qui peuvent tout aussi bien l'être parallèlement ou antérieurement à la saisine de l'OLAF. Toutefois, il est dépourvu d'effets juridiques obligatoires, car, s'il peut recommander aux autorités compétentes des États membres ainsi qu'aux institutions communautaires l'adoption d'actes dotés d'effets juridiques obligatoires faisant grief aux personnes concernées, ses conclusions et recommandations n'emportent aucune obligation, même procédurale, pour ces autorités, qui sont libres de décider de la suite à donner au rapport final et sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d'affecter la situation juridique des personnes à l'endroit desquelles le rapport aurait recommandé l'engagement de procédures judiciaires ou disciplinaires.

    Ne sauraient conférer à un tel rapport le caractère d'un acte faisant grief ni le fait qu'il puisse être entaché d'irrégularités procédurales et de violations de formalités substantielles, car de telles méconnaissances ne peuvent être contestées qu'à l'appui d'un recours dirigé contre un acte attaquable ultérieur, dans la mesure où elles auraient influencé son contenu et non de façon indépendante en l'absence d'un tel acte, ni le fait, susceptible de caractériser un préjudice, que ce rapport puisse affecter les intérêts moraux des personnes y visées nominativement, ni, enfin, le fait que ce rapport soit adopté, sous l'autorité du directeur, par un acte de l'OLAF.

    (cf. points 47-51, 55-57)

  2.  Avant l'entrée en vigueur, le 1er mai 2004, du nouvel article 90 bis du statut, qui prévoit la possibilité pour un fonctionnaire de soumettre au directeur de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, l'invitant à prendre à son égard une décision en rapport avec une enquête de cet Office et dans le silence de l'article 14 du règlement no 1073/1999, relatif aux enquêtes effectuées par l'OLAF, le rattachement au contentieux statutaire d'un recours en indemnité introduit par un fonctionnaire contre la Commission et tendant à la réparation des préjudices prétendument causés par un rapport de cet Office ne s'imposait pas, de sorte que le fonctionnaire concerné n'était pas tenu de suivre la procédure fixée par l'article 90 du statut pour présenter une telle demande d'indemnité.

    (cf. points 70, 71)

  3.  Le recours en responsabilité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique. C'est ainsi que l'irrecevabilité de la demande en annulation d'un rapport de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) clôturant une enquête, tenant à la nature dudit rapport, qui n'est pas un acte faisant grief, n'entraîne pas l'irrecevabilité de la demande en indemnité visant à obtenir réparation de divers préjudices liés à l'établissement et à l'adoption du rapport, qui auraient été entachés d'irrégularités, constituant autant d'illégalités.

    En effet, les justiciables qui, en raison des conditions de recevabilité visées à l'article 230, quatrième alinéa, CE, ne peuvent attaquer directement certains actes ou mesures communautaires, ont cependant la possibilité de mettre en cause un comportement dépourvu de caractère décisionnel, de ce fait insusceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, en introduisant un recours en responsabilité non contractuelle prévu à l'article 235 CE et à l'article 288, deuxième alinéa, CE, dans la mesure où un tel comportement serait de nature à engager la responsabilité de la Communauté. Dans le cadre d'un tel recours, ils ont la faculté d'invoquer des illégalités qui auraient été commises lors de l'établissement et de l'adoption d'un rappport administratif, bien que celui-ci ne soit pas une décision affectant directement les droits des personnes qui y sont mentionnées.

    (cf. points 77-80)

  4.  En matière de responsabilité de la Communauté pour des dommages causés à des particuliers par une violation du droit communautaire imputable à une institution ou à un organe communautaire, un droit à réparation est reconnu dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'auteur de l'acte et le dommage subi par les personnes lésées.

    À cet égard, la règle d'impartialité, qui s'impose aux institutions dans l'accomplissement des missions d'enquête de la nature de celles qui sont confiées à l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), constitue une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

    Constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté la violation, grave et manifeste, par l'OLAF, de l'exigence d'impartialité résultant, en l'espèce, de l'existence d'un conflit d'intérêts dans le chef d'un enquêteur ayant exercé une influence déterminante dans la conduite de l'enquête dont l'orientation partielle et biaisée a abouti, dans le rapport final, à une présentation faussée des responsabilités exactes des services concernés de l'institution et, par conséquent, de leurs membres, aucune conséquence n'ayant été tirée par l'OLAF, dans le contenu du rapport, de sa décision de retirer l'enquêteur de l'enquête.

    (cf. points 100, 102, 125, 127, 128, 131, 140, 141)