Affaires jointes C-23/03, C-52/03, C-133/03, C-337/03 et C-473/03

Procédures pénales

contre

Michel Mulliez e.a.      

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Tribunale ordinario di Torino ainsi que par le Tribunale ordinario di Milano)

«Article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure — Droit des sociétés — Première directive 68/151/CEE, quatrième directive 78/660/CEE et septième directive 83/349/CEE — Comptes annuels — Principe de l'image fidèle — Sanctions prévues en cas de fausses informations sur les sociétés (faux en écritures comptables) — Article 6 de la première directive 68/151/CEE — Obligation du caractère approprié des sanctions pour des violations du droit communautaire»

Ordonnance de la Cour (deuxième chambre) du 4 mai 2006 

Sommaire de l'ordonnance

Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Sociétés — Directive 68/151 — Comptes annuels

(Directive du Conseil 68/151, art. 6)

L'exigence tenant au caractère approprié des sanctions en cas de défaut de publicité des comptes annuels, imposée par l'article 6 de la première directive 68/151, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, ne peut pas être invoquée en tant que telle à l'encontre de prévenus par les autorités d'un État membre dans le cadre de procédures pénales, afin de faire contrôler la compatibilité avec cette exigence de dispositions pénales plus favorables aux prévenus, entrées en vigueur depuis la commission des infractions, dès lors que ce contrôle pourrait avoir pour effet d'écarter l'application du régime de peines plus légères prévu par ces dispositions. Une directive, par elle-même et indépendamment d'une loi interne d'un État membre prise pour son application, ne peut en effet conduire à déterminer ou aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

(cf. points 29-30, 36, 45 et disp.)




ORDONNANCE DE LA COUR (deuxième chambre)

4 mai 2006 (*)

«Article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure –Droit des sociétés – Première directive 68/151/CEE, quatrième directive 78/660/CEE et septième directive 83/349/CEE – Comptes annuels – Principe de l’image fidèle – Sanctions prévues en cas de fausses informations sur les sociétés (faux en écritures comptables) – Article 6 de la première directive 68/151/CEE – Obligation du caractère approprié des sanctions pour des violations du droit communautaire»

Dans les affaires jointes C-23/03, C-52/03, C-133/03, C-337/03 et C‑473/03,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Tribunale ordinario di Torino (C‑23/03, C‑52/03, C-133/03 et C-337/03) ainsi que par le Tribunale ordinario di Milano (C‑473/03) (Italie), par décisions des 13 et 29 janvier, 25 février, 15 juillet et 23 octobre 2003, parvenues respectivement à la Cour les 23 janvier, 10 février, 25 mars, 1er août et 13 novembre 2003, dans les procédures pénales contre

Michel Mulliez e.a. et Giuseppe Momblano (affaires jointes C-23/03 et C‑52/03),

Alessandro Nizza et Giacomo Pizzi (C-133/03),

Fabrizio Barra (C-337/03),

Adelio Aggio e.a. (C-473/03),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, M. J. Makarczyk, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis et J. Klučka, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. R. Grass,

la Cour se proposant de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8, ci-après la «première directive sociétés»), en particulier l’article 6 de celle-ci, de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO L  222, p. 11, ci-après la «quatrième directive sociétés»), en particulier l’article 2 de celle-ci, et de la septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité, concernant les comptes consolidés (JO L 193, p. 1, ci-après la «septième directive sociétés»), en particulier l’article 16 de celle-ci, ainsi que des articles 5 du traité CEE (devenu article 5 du traité CE, lui-même devenu article 10 CE) et 54, paragraphe 3, sous g), du traité CEE [devenu article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, sous g), CE].

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées contre MM. Mulliez e.a. et Momblano (affaires jointes C‑23/03 et C-52/03), Nizza et Pizzi (C-133/03), Barra (C-337/03) ainsi que Aggio e.a. (C-473/03), pour violation présumée des dispositions en matière de fausses informations sur les sociétés (faux en écritures comptables) prévues par le code civil italien (codice civile).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       Aux termes de l’article 2 de la première directive sociétés:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la publicité obligatoire relative aux sociétés porte au moins sur les actes et indications suivants:

[...]

f)      le bilan et le compte de profits et pertes de chaque exercice. Le document qui contient le bilan doit indiquer l’identité des personnes qui, en vertu de la loi, sont appelées à certifier celui-ci. Toutefois, pour les sociétés à responsabilité limitée de droit allemand, belge, français, italien ou luxembourgeois, mentionnées à l’article 1er, ainsi que pour les sociétés anonymes fermées du droit néerlandais, l’application obligatoire de cette disposition est reportée jusqu’à la date de mise en œuvre d’une directive portant sur la coordination du contenu des bilans et des comptes de profits et pertes, et dispensant de l’obligation de publier tout ou partie de ces documents celles de ces sociétés dont le montant du bilan est inférieur à un chiffre qu’elle fixera. Le Conseil arrêtera cette directive dans les deux ans suivant l’adoption de la présente directive;

[...]»

4       Aux termes de l’article 6 de ladite directive:

«Les États membres prévoient des sanctions appropriées en cas:

–       de défaut de publicité du bilan et du compte de profits et pertes telle qu’elle est prescrite à l’article 2 paragraphe 1 sous f);

[...]»

5       L’article 2 de la quatrième directive sociétés dispose:

«1.      Les comptes annuels comprennent le bilan, le compte de profits et pertes ainsi que l’annexe. Ces documents forment un tout.

2.      Les comptes annuels doivent être établis avec clarté et en conformité avec la présente directive.

3.      Les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société.

4.      Lorsque l’application de la présente directive ne suffit pas pour donner l’image fidèle visée au paragraphe 3, des informations complémentaires doivent être fournies.

5.      Si, dans des cas exceptionnels, l’application d’une disposition de la présente directive se révèle contraire à l’obligation prévue au paragraphe 3, il y a lieu de déroger à la disposition en cause afin qu’une image fidèle au sens du paragraphe 3 soit donnée. Une telle dérogation doit être mentionnée dans l’annexe et dûment motivée avec indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et les résultats. Les États membres peuvent préciser les cas exceptionnels et fixer le régime dérogatoire correspondant.

6.      Les États membres peuvent autoriser ou exiger la divulgation dans les comptes annuels d’autres informations en plus de celles dont la divulgation est exigée par la présente directive.»

6       L’article 16, paragraphes 2 à 6, de la septième directive sociétés prévoit, en matière de comptes consolidés, en substance les mêmes dispositions que celles de l’article 2, paragraphes 2 à 6, de la quatrième directive sociétés pour les comptes annuels, rappelées au point précédent de la présente ordonnance.

 La réglementation nationale

7       Le décret législatif n° 61, du 11 avril 2002, portant réglementation des infractions pénales et administratives concernant les sociétés commerciales, conformément à l’article 11 de la loi n° 366, du 3 octobre 2001 (GURI n° 88, du 15 avril 2002, p. 4, ci-après le «décret législatif n° 61/2002»), entré en vigueur le 16 avril 2002, a remplacé le titre XI du livre V du code civil italien par le nouveau titre XI, intitulé «Dispositions pénales en matière de sociétés ou de consortium de sociétés».

8       Ce décret législatif est intervenu dans le cadre de la réforme du droit italien des sociétés mise en œuvre par un ensemble de décrets législatifs adoptés sur le fondement de l’habilitation prévue par la loi n° 366, du 3 octobre 2001 (GURI n° 234, du 8 octobre 2001).

9       L’article 2621 du code civil italien, intitulé «Fausses communications et répartition illégale de bénéfices ou d’acomptes sur les dividendes», dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du décret législatif n° 61/2002 (ci-après l’«ancien article 2621 du code civil italien»), disposait:

«À moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, sont punis d’une peine de réclusion d’un an à cinq ans et d’une amende de 1 032 euros à 10 329 euros:

1)      les promoteurs, associés fondateurs, administrateurs, directeurs généraux, commissaires aux comptes et liquidateurs qui, dans les rapports, dans les bilans ou dans les autres communications de la société, présentent de manière frauduleuse des faits qui ne correspondent pas à la vérité concernant la constitution ou la situation économique de la société ou qui occultent en tout ou en partie des faits relatifs à cette situation;

[…]»

10     Le décret législatif n° 61/2002 a notamment introduit dans les articles 2621 et 2622 du code civil italien de nouvelles dispositions pénales réprimant la présentation de fausses informations sur la société, infraction également dénommée «faux en écritures comptables» (ci-après, selon le cas, le «nouvel article 2621 du code civil italien», le «nouvel article 2622 du code civil italien» ou les «nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien»), qui prévoient:

«Article 2621 (Fausses informations sur la société)

Sous réserve de ce qui est prévu à l’article 2622, les administrateurs, directeurs généraux, commissaires aux comptes et curateurs qui, dans l’intention de tromper les associés ou le public et de réaliser un profit indu pour eux-mêmes ou pour autrui, exposent, dans le bilan, dans le rapport ou dans d’autres informations sur la société prévues par la loi, destinés aux associés ou au public, des faits matériels ne correspondant pas à la vérité, même s’ils font l’objet d’appréciations, ou omettent des informations, dont la communication est imposée par la loi, sur la situation économique, patrimoniale ou financière de la société ou du groupe de sociétés dont celle-ci fait partie, de manière à induire les destinataires en erreur sur ladite situation, sont punis d’un an et six mois d’emprisonnement.

La même peine est appliquée lorsque les informations concernent des biens que la société possède ou administre pour le compte de tiers.

La peine est exclue si les faux ou omissions n’altèrent pas de manière sensible la représentation de la situation économique, patrimoniale ou financière de la société ou du groupe de sociétés dont celle-ci fait partie. La peine est de toute façon exclue lorsque les faux ou omissions entraînent une variation du résultat de l’exercice, après impôts, qui n’est pas supérieure à 5 % ou une variation du patrimoine net qui n’excède pas 1 %.

En tout état de cause, le fait n’est pas punissable s’il est la conséquence d’estimations qui, prises individuellement, ne diffèrent pas de plus de 10 % de l’évaluation correcte.

Article 2622 (Fausses informations sur la société au préjudice des associés ou des créanciers)

Les administrateurs, directeurs généraux, commissaires aux comptes et curateurs qui, dans l’intention de tromper les associés ou le public et de réaliser un profit indu pour eux-mêmes ou pour autrui, exposent, dans le bilan, dans le rapport ou dans d’autres informations sur la société prévues par la loi, destinés aux associés ou au public, des faits matériels ne correspondant pas à la vérité, même s’ils font l’objet d’appréciations, ou omettent des informations dont la communication est imposée par la loi, sur la situation économique, patrimoniale ou financière de la société ou du groupe de sociétés dont celle-ci fait partie, de manière à induire les destinataires en erreur sur ladite situation, en causant un préjudice patrimonial aux associés ou aux créanciers, sont punis, sur plainte de la personne lésée, de six mois à trois ans de réclusion.

L’on procède également sur plainte lorsque le fait est constitutif d’un autre délit, même aggravé, au préjudice du patrimoine de personnes, autres que les associés et les créanciers, sauf s’il est commis au préjudice de l’État, d’autres entités publiques ou des Communautés européennes.

Lorsqu’il s’agit de sociétés soumises aux dispositions de la partie IV, titre III, chapitre II, du décret législatif n° 58, du 24 février 1998, les faits visés au premier alinéa du présent article sont punis d’un an à quatre ans d’emprisonnement et le délit peut être poursuivi d’office.

Lorsque les informations concernent des biens que la société possède ou administre pour le compte de tiers, la peine est celle punissant les faits visés aux premier et troisième alinéas du présent article.

La peine pour les faits visés aux premier et troisième alinéas est exclue si les faux ou omissions n’altèrent pas de manière sensible la représentation de la situation économique, patrimoniale ou financière de la société ou du groupe de sociétés dont celle-ci fait partie. La peine est de toute façon exclue lorsque les faux ou omissions entraînent une variation du résultat de l’exercice, après impôts, qui n’est pas supérieure à 5 % ou une variation du patrimoine net qui n’excède pas 1 %.

En tout état de cause, le fait n’est pas punissable s’il est la conséquence d’estimations qui, prises individuellement, ne diffèrent pas de plus de 10 % de l’évaluation correcte.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

11     Il ressort des décisions de renvoi que, dans les procédures pénales en cause dans les affaires au principal, les infractions de faux en écritures comptables reprochées aux prévenus ont été commises sous l’empire de l’ancien article 2621 du code civil italien, soit avant l’entrée en vigueur du décret législatif n° 61/2002 et des nouveaux articles 2621 et 2622 dudit code.

12     S’agissant de l’affaire C-23/03, le Tribunale ordinario di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6 de la directive 68/151 doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir des sanctions appropriées non seulement pour le défaut de publicité du bilan et du compte de profits et pertes des sociétés commerciales, mais également pour la publication inexacte de ces documents, des autres informations sociales destinées aux associés, au public, ou de toute autre information relative à la situation économique, patrimoniale ou financière que la société est tenue de présenter concernant la société ou le groupe auquel elle appartient?

2)      Eu égard à l’obligation, faite à chaque État membre, d’adopter des ‘sanctions appropriées’ pour les violations prévues par la directive 68/151 et par la directive 78/660, ces mêmes directives, et en particulier les dispositions combinées de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et [90/605/CEE du Conseil, du 8 novembre 1990], doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre excluant que la violation des obligations de publicité et de fidélité de l’information en ce qui concerne certains actes prévus par le droit des sociétés (parmi lesquels le bilan et le compte de pertes et profits) puisse donner lieu à poursuites, lorsque:

a)      le faux n’est que qualitatif;

b)      la fausse information sociale, ou le défaut d’information, entraîne une variation du résultat économique de l’exercice ou une variation du patrimoine social net n’excédant pas un certain seuil en pourcentage;

c)      les informations fournies, quoique destinées à tromper les associés ou le public pour en tirer un profit injuste, sont la conséquence d’évaluations estimatives qui, considérées isolément, s’écartent de la réalité dans une mesure non supérieure à un seuil déterminé;

d)      les inexactitudes ou les omissions frauduleuses et, en tout état de cause, les communications et informations ne traduisant pas fidèlement la situation patrimoniale [et] financière [ainsi que] le résultat économique de la société n’altèrent pas ‘de manière sensible’ la situation patrimoniale ou financière du groupe?

3)      Eu égard à l’obligation, faite à chaque État membre, d’adopter des ‘sanctions appropriées’ pour les violations prévues par la directive 68/151 et par la directive 78/660, ces mêmes directives, et en particulier les dispositions combinées de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre qui, en présence d’une violation de ces obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés, qui président à la protection des ‘intérêts tant des associés que des tiers’, mette en place un système de sanctions qui:

a)      dans les cas les plus graves (préjudice patrimonial), confère aux seuls associés et créanciers le droit de requérir la sanction, ce qui a pour effet d’exclure une protection généralisée et effective des tiers;

b)      dans les cas moins graves (défaut de préjudice patrimonial ou de plainte), ne prévoit qu’une simple contravention, laquelle, considérée dans le cadre du système procédural italien, s’avère être, pour les motifs exposés plus haut, peu efficace;

c)      permet aux parties privées − par le biais du système du retrait tardif de la plainte − d’annuler complètement la protection de l’intérêt que constitue la transparence en matière de sociétés?»

13     Dans l’affaire C-52/03, le Tribunale ordinario di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6 de la directive 68/151 doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir des sanctions appropriées non seulement pour le défaut de publicité du bilan et du compte de profits et pertes des sociétés commerciales, mais également pour la publication inexacte de ces documents, des autres informations sociales destinées aux associés, au public, ou de toute autre information relative à la situation économique, patrimoniale ou financière que la société est tenue de présenter concernant la société ou le groupe auquel elle appartient?

2)      Eu égard à l’obligation, faite à chaque État membre, d’adopter des ‘sanctions appropriées’ pour les violations prévues par la directive 68/151 et par la directive 78/660, ces mêmes directives, et en particulier les dispositions combinées de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la […] directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre excluant que la violation des obligations de publicité et de fidélité de l’information des sociétés puisse donner lieu à des poursuites, et prévoyant un système ne répondant pas concrètement à des critères d’efficacité, de proportionnalité et de dissuasion des sanctions visant à garantir cette protection?

3)      Les directives précitées, et en particulier les dispositions de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre qui, en présence d’une violation de ces obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés, qui président à la protection des ‘intérêts tant des associés que des tiers’, prévoit pour les seuls associés et créanciers le droit de demander la sanction, en excluant, par conséquent, une protection des tiers généralisée et efficace?

4)      Les directives précitées, et en particulier les dispositions de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre qui, en présence d’une violation de ces obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés, qui président à la protection des ‘intérêts tant des associés que des tiers’, prévoit un mécanisme de poursuites et un système de sanctions particulièrement différenciés, en réservant aux seules violations portant préjudice aux associés et créanciers les poursuites sur la base d’une plainte et des sanctions plus graves et efficaces?»

14     Dans l’affaire C-133/03, le Tribunale ordinario di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6 de la directive 68/151 doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir des sanctions appropriées non seulement pour le défaut de publicité du bilan et du compte de profits et pertes des sociétés commerciales, mais également pour la publication inexacte de ces documents, des autres informations sociales destinées aux associés, au public, ou de toute autre information relative à la situation économique, patrimoniale ou financière que la société est tenue de présenter concernant elle-même ou le groupe auquel elle appartient?

2)      Eu égard à l’obligation, faite à chaque État membre, d’adopter des ‘sanctions appropriées’ pour les violations prévues par la directive 68/151 et par la […] directive 78/660, ces mêmes directives, et en particulier les dispositions combinées de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre excluant que la violation des obligations de publicité et de fidélité de l’information des sociétés puisse donner lieu à des poursuites, et prévoyant un système ne répondant pas concrètement à des critères d’efficacité, de proportionnalité et de dissuasion des sanctions visant à garantir cette protection?

3)      Les directives précitées, et en particulier les dispositions de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre qui, en présence d’une violation de ces obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés, qui tendent à la protection des ‘intérêts tant des associés que des tiers’, prévoit pour les seuls associés et créanciers le droit de demander la sanction, en excluant, par conséquent, une protection des tiers généralisée et efficace?

4)      Les directives précitées, et en particulier les dispositions de l’article 44, paragraphe [2], sous g), CE et des articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 78/660, telle que modifiée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre qui, en présence d’une violation de ces obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés, qui tendent à la protection des ‘intérêts tant des associés que des tiers’, prévoit un mécanisme de poursuites et un système de sanctions particulièrement différenciés, en limitant aux seules violations portant préjudice aux associés et aux créanciers les poursuites sur la base d’une plainte et des sanctions plus graves et efficaces?»

15     Dans l’affaire C-337/03, le Tribunale ordinario di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions visées à l’article 44, paragraphe 2, sous g), [CE], aux articles 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi qu’] à l’article 2, paragraphes 2 à 4, de la directive 78/660, complétée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces règles s’opposent à une loi d’un État membre excluant que la violation des obligations de publicité et de fidélité de l’information pesant sur les sociétés puisse donner lieu à des poursuites dans l’hypothèse où l’on fournirait des indications qui, quoique destinées à tromper les associés ou le public pour en retirer un injuste profit, sont la conséquence d’évaluations estimatives qui, considérées chacune en elle-même, s’écartent de la réalité dans une mesure non supérieure à un seuil déterminé?

2)      Eu égard à l’obligation s’imposant à tous les États membres d’adopter des ‘sanctions appropriées’ pour les violations prévues par les directives 68/151 et 78/660, lesdites directives et, en particulier, les dispositions combinées des articles 44, paragraphe 2, sous g), [CE], 2, paragraphe 1, sous f), et 6 de la directive 68/151 [ainsi que] 2, paragraphes 2 à 4, de la directive 78/660, complétée par les directives 83/349 et 90/605, doivent-elles (ou non) être interprétées en ce sens que ces dispositions s’opposent à une loi d’un État membre qui, sous l’angle de la violation des obligations imposées aux fins de la protection du principe de la publicité et de la fidélité des informations concernant les sociétés, prévoit un système de sanctions qui autorise, en pratique, la falsification de bilans à concurrence d’un montant égal à un cinquième du patrimoine?»

16     Enfin, dans l’affaire C-473/03, le Tribunale ordinario di Milano a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6 de la directive 68/151 doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir des sanctions appropriées non seulement pour le défaut de publicité du bilan et du compte de profits et pertes des sociétés commerciales, mais également pour la falsification de ces documents, des autres informations sociales destinées aux associés ou au public, ou de toute autre information relative à la situation économique, patrimoniale ou financière que la société est tenue de présenter concernant elle-même ou le groupe auquel elle appartient?

2)      Le critère du caractère effectif, proportionné et dissuasif, par lequel la Cour dans son arrêt du 21 septembre 1989, [Commission/Grèce (68/88, Rec. p. 2965)] a précisé la notion de ‘sanction appropriée’, se réfère-t-il à la nature ou au type de la sanction envisagée abstraitement ou également à son application concrète, compte tenu des caractéristiques structurelles de l’ordre juridique dont elle relève?

3)      Enfin, ces critères sont-ils réunis dans l’article 2621 du code civil italien (tel que modifié par le décret législatif n° 61, du 11 avril 2002), lequel prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an et six mois, et par conséquent un délai de prescription de quatre ans et six mois au maximum, à compter du moment où l’infraction a été commise; tout cela dans un système juridique qui prévoit, après la phase des enquêtes préliminaires et l’exercice de l’action pénale par le ministère public, le contrôle exercé par le juge de l’audience préliminaire afin de vérifier que les éléments nécessaires pour ordonner le renvoi en jugement sont réunis, puis la possibilité de trois degrés de juridiction avant d’aboutir à une décision définitive et donc, en cas de condamnation, à l’application effective de la sanction? À cet égard, il convient de prendre en compte le caractère complexe des vérifications exigées à l’article 2621 du code civil, en raison des limites à l’applicabilité des sanctions qui y sont fixées (article 2621, troisième et quatrième alinéas).»

17     Par ordonnance du président de la Cour du 17 mars 2003, les affaires C‑23/03 et C-52/03 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt. Au vu de leur connexité, lesdites affaires doivent en outre être jointes aux affaires C-133/03, C-337/03 et C-473/03 aux fins de la présente ordonnance.

18     À la suite de l’arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a. (C-387/02, C-391/02 et C‑403/02, Rec. p. I-3565), la Cour a demandé aux juridictions nationales ayant posé des questions préjudicielles, à première vue analogues à celles ayant donné lieu audit arrêt, de se prononcer sur le point de savoir si, compte tenu de l’intervention de cet arrêt, elles entendaient maintenir leurs demandes de décision préjudicielle.

19     Dans les cinq affaires qui font l’objet de la présente ordonnance, le juge de renvoi a fait savoir à la Cour soit qu’il devait au préalable entendre les parties au sujet d’un éventuel retrait de sa demande (affaires jointes C-23/03 et C-52/03) soit qu’il entendait maintenir celle-ci (C-133/03, C‑337/03 et C-473/03).

 Sur les questions préjudicielles

20     Conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsqu’ une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, la Cour peut, après avoir entendu l’avocat général, à tout moment, statuer par voie d’ordonnance motivée.

21     Il y a lieu de constater que tel est le cas dans les cinq affaires faisant l’objet de la présente ordonnance.

22     Ces cinq affaires s’inscrivent dans le même cadre juridique et factuel que les trois affaires qui ont donné lieu à l’arrêt Berlusconi e.a., précité (voir points 31 à 36).

23     En effet, les juridictions de renvoi relèvent que l’application des nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien aurait pour conséquence d’empêcher que les faits au principal, donnant initialement lieu à des poursuites au titre du délit prévu à l’ancien article 2621 dudit code, puissent être à l’origine, pour leurs auteurs, de poursuites pénales, et ce essentiellement pour les raisons énoncées ci-après.

24     En premier lieu, si les auteurs de ces faits peuvent, en principe, être poursuivis d’office, donc en l’absence de plainte, par le ministère public sur le fondement du nouvel article 2621 du code civil italien, l’infraction en cause constitue dorénavant une contravention qui, partant, est soumise à un délai de prescription maximal de quatre ans et demi, et non plus le délit, assorti d’un délai de prescription de sept ans et demi au plus, prévu à l’ancien article 2621 dudit code. Or, dans les affaires au principal, l’infraction prévue au nouvel article 2621 du même code serait inexorablement prescrite.

25     En deuxième lieu, si, au regard du délit prévu au nouvel article 2622 du code civil italien, les faits en cause au principal n’étaient pas encore prescrits, ils ne pourraient donner lieu à des poursuites sur le fondement de cet article en l’absence de plainte d’un associé ou d’un créancier s’estimant lésé par les faux invoqués, le dépôt d’une plainte étant, en effet, une condition nécessaire à l’engagement des poursuites sur le fondement de cette disposition, si, du moins, ainsi qu’il a été relevé dans les procédures pénales en cause au principal, ces faux ont concerné des sociétés non cotées en Bourse.

26     En troisième lieu, les juridictions de renvoi relèvent que la poursuite des auteurs des faits pourrait également se heurter aux seuils prévus, en termes identiques, aux nouveaux articles 2621, troisième et quatrième alinéas, et 2622, cinquième et sixième alinéas, du code civil italien, entraînant l’exclusion de la peine, d’une part, pour des faux aux effets non significatifs ou d’importance minime, à savoir ceux qui n’ont eu comme conséquence qu’une variation soit du résultat de l’exercice brut non supérieure à 5 %, soit du patrimoine net n’excédant pas 1 %, et, d’autre part et en tout état de cause, pour des faits qui sont la conséquence d’estimations qui, prises individuellement, ne diffèrent pas de plus de 10 % de l’évaluation correcte.

27     Compte tenu de ces considérations, lesdites juridictions estiment, à l’instar du ministère public, que les présentes procédures soulèvent des questions relatives au caractère approprié ou non des sanctions prévues aux nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien au regard soit de l’article 6 de la première directive sociétés, tel qu’interprété par la Cour notamment dans l’arrêt du 4 décembre 1997, Daihatsu Deutschland (C-97/96, Rec. p. I-6843), soit de l’article 10 CE, dont il découle, selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt Commission/Grèce, précité, que les sanctions pour violation de dispositions du droit communautaire doivent revêtir un caractère effectif, proportionnel et dissuasif.

28     Les questions posées dans les cinq affaires faisant l’objet de la présente ordonnance portent sur des points analogues à ceux déjà soulevés dans les trois affaires ayant donné lieu à l’arrêt Berlusconi e.a., précité (points 37 à 39):

–       dans chacune de ces cinq affaires est posée la question de savoir si l’obligation de prévoir des sanctions appropriées, posée à l’article 6 de la première directive sociétés, s’applique non seulement au défaut de publication des comptes annuels, mais également à des cas de publication de faux en écritures comptables (voir premières questions dans les affaires C‑387/02, C-391/02 et C-403/02 ayant donné lieu audit arrêt);

–       dans deux de ces affaires (C-23/03 et C‑337/03, deuxièmes questions), la question du caractère approprié des seuils de tolérance est au centre des débats (voir deuxième question dans l’affaire C-387/02, première question dans l’affaire C-391/02 et deuxième question dans l’affaire C-403/02);

–       dans deux desdites affaires (C-23/03 et C‑473/03, troisièmes questions), la question du caractère approprié du délai de prescription applicable à la contravention prévue au nouvel article 2621 du code civil italien est soulevée (voir deuxième question dans l’affaire C-387/02, première question dans l’affaire C-391/02 et deuxième question dans l’affaire C‑403/02);

–       dans trois d’entre elles (C-52/03, C‑133/03 et C-473/03, deuxièmes questions) est posée la question de savoir si le caractère approprié de la sanction doit s’apprécier abstraitement ou d’une façon concrète tenant compte des caractéristiques structurelles de l’ordre juridique national concerné (voir deuxième question dans l’affaire C-387/02, première question dans l’affaire C-391/02 et deuxième question dans l’affaire C‑403/02);

–       dans trois de ces mêmes affaires (C-23/03, C-52/03 et C-133/03, troisièmes questions), la question du caractère approprié de la sanction réprimant le délit défini au nouvel article 2622 du code civil italien est posée compte tenu du fait que la violation des obligations de publicité et de fidélité de l’information imposées aux sociétés ne peut, en principe, donner lieu à des poursuites que sur plainte d’un associé ou d’un créancier (voir deuxième question dans l’affaire C‑387/02, cinquième et sixième questions dans l’affaire C-391/02 ainsi que troisième question dans l’affaire C‑403/02);

–       enfin, dans deux d’entre elles (C-52/03 et C‑133/03, quatrièmes questions), sont posées des questions relatives à la compatibilité du système différencié des peines prévues aux nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien en ce qu’une protection pénale nettement plus élevée est accordée aux intérêts des associés et des créditeurs qu’à ceux d’autres tiers, tels les concurrents ou les représentants d’employés, voire à l’intérêt général et fondamental du public et du marché au fonctionnement régulier des sociétés et, en particulier, à la transparence et à l’exactitude des informations fournies par les sociétés (voir première question dans l’affaire C‑387/02, première et sixième questions dans l’affaire C‑391/02 ainsi que troisième question dans l’affaire C-403/02).

29     Il y a lieu de rappeler que, au point 63 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, la Cour a jugé que l’exigence tenant au caractère approprié des sanctions telles que celles prévues aux nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien pour des infractions résultant de faux en écritures comptables est imposée à l’article 6 de la première directive sociétés.

30     De plus, il découle des motifs contenus dans les points 75 et 77 dudit arrêt que, dans des cas tels que ceux en cause dans les affaires au principal, l’article 6 de la première directive sociétés ne saurait être invoqué afin de faire contrôler la compatibilité avec cette disposition des nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien, dès lors que ce contrôle pourrait avoir pour conséquence d’écarter l’application du régime de peines plus légères prévu auxdits articles. En effet, les limites qui découlent de la nature d’une directive sont telles qu’elles interdisent qu’une directive puisse avoir pour résultat de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

31     C’est essentiellement sur ce fondement que la Cour a répondu au point 78 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la première directive sociétés ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre de prévenus par les autorités d’un État membre dans le cadre de procédures pénales, dès lors qu’une directive, par elle-même et indépendamment d’une loi interne d’un État membre prise pour son application, ne peut pas avoir comme effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

32     Cette même réponse s’impose donc également dans les cinq affaires qui font l’objet de la présente ordonnance.

33     Cette conclusion n’est pas remise en cause par les observations formulées par la juridiction de renvoi dans les affaires C-133/03 et C‑337/03 en réponse à la demande de la Cour portant sur le point de savoir si elle entendait maintenir ses demandes de décision préjudicielle compte tenu de l’intervention de l’arrêt Berlusconi e.a., précité (voir points 18 et 19 de la présente ordonnance).

34     Cette juridiction se réfère, d’abord, à l’arrêt du 11 novembre 2004, Niselli (C‑457/02, Rec. p. I-10853), qui concernerait une affaire plus proche des affaires au principal.

35     Certes, au point 30 dudit arrêt, la Cour a jugé que, si, à l’époque des faits ayant suscité la procédure pénale concernée, ceux-ci pouvaient, le cas échéant, constituer des infractions réprimées pénalement, il n’y avait pas lieu de s’interroger sur les conséquences qui pouvaient découler du principe de la légalité des peines pour l’application de la directive en cause dans cette affaire. Cependant, au point 29 du même arrêt, la Cour a également rappelé, comme elle l’a fait au point 74 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, qu’une directive ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d’une loi interne d’un État membre prise pour son application, de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions.

36     Force est de constater que, aux points 75 et 77 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, la Cour a jugé que l’article 6 de la première directive sociétés ne saurait être invoqué afin de faire contrôler la compatibilité avec cette disposition des nouveaux articles 2621 et 2622 du code civil italien, puisque ce contrôle pouvait avoir pour effet d’écarter l’application du régime de peines plus légères prévu auxdits articles.

37     Ensuite, il est affirmé par le juge de renvoi dans l’affaire C-133/03 que, selon les principes du droit constitutionnel italien, il ne revient qu’à la seule Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) de décider qu’une règle nationale, que la Cour de justice jugerait contraire au droit communautaire, peut rester inappliquée.

38     À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi que la Cour l’a fait au point 72 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, qu’il est de jurisprudence constante que l’éventuelle incompatibilité d’une règle nationale avec le droit communautaire oblige le juge national à laisser, de sa propre autorité, cette règle inappliquée, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.

39     La Cour a d’ailleurs confirmé dans l’arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629), cité au point 72 de l’arrêt Berlusconi e.a., précité, que cette obligation qui s’impose au juge national vaut également pour ce qui concerne l’obligation d’une saisine de la Corte costituzionale.

40     Enfin, s’agissant de l’affaire C-337/03, la juridiction de renvoi soutient que l’objet de cette affaire diffère de celui des affaires à l’origine de l’arrêt Berlusconi e.a.

41     Ces dernières concerneraient la problématique de l’adéquation de sanctions plus légères ayant succédé à des sanctions plus lourdes qui étaient en vigueur lors de la commission des infractions. Or, le dispositif relatif aux seuils de «tolérance» en cause dans l’affaire C-337/03 ne porterait pas sur cette problématique.

42     Force est de constater que, dans l’arrêt Berlusconi e.a., précité, qui, d’ailleurs, concernait notamment des affaires dans lesquelles ces seuils étaient en cause, la Cour a jugé que le fait d’invoquer la première directive sociétés ne pouvait conduire à écarter l’application d’un régime de peines plus légères, dès lors que cette directive ne pouvait avoir pour effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

43     Or, les nouvelles dispositions instaurant lesdits seuils de tolérance ont pour effet, lorsque ces derniers s’appliquent, d’empêcher toute poursuite pénale sur le fondement des articles 2621 et 2622 du code civil italien.

44     Ces dispositions portent donc manifestement sur l’étendue de la responsabilité pénale des intéressés.

45     Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que, dans des situations telles que celles en cause au principal, la première directive sociétés ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre de prévenus par les autorités d’un État membre dans le cadre de procédures pénales, dès lors qu’une directive, par elle-même et indépendamment d’une loi interne d’un État membre prise pour son application, ne peut pas avoir comme effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

 Sur les dépens

46     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Dans des situations telles que celles en cause au principal, la première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre de prévenus par les autorités d’un État membre dans le cadre de procédures pénales, dès lors qu’une directive, par elle-même et indépendamment d’une loi interne d’un État membre prise pour son application, ne peut pas avoir comme effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale des prévenus.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.