Affaire C-520/03


José Vicente Olaso Valero
contre
Fondo de Garantía Salarial (Fogasa)



(demande de décision préjudicielle, formée par le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana)

«Politique sociale – Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur – Directive 80/987/CEE – Champ d'application – Notion de 'créances' – Notion de 'rémunération' – Indemnisation due en cas de licenciement irrégulier»

Arrêt de la Cour (première chambre) du 16 décembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Politique sociale – Rapprochement des législations – Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur – Directive 80/987 – Champ d'application – Notion de rémunération – Application du droit national – Législation nationale incluant les indemnités pour licenciement irrégulier – Admissibilité

(Directive du Conseil 80/987, art. 2, § 2)

2.
Politique sociale – Rapprochement des législations – Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur – Directive 80/987 – Champ d'application – Notion de rémunération – Législation nationale incluant les indemnités pour licenciement irrégulier reconnues par jugement ou décision administrative et excluant les créances établies lors d'une procédure de conciliation – Violation du principe d'égalité de traitement – Obligations et pouvoirs du juge national

(Directive du Conseil 80/987, art. 2, § 2)

1.
Selon l’article 2, paragraphe 2, de la directive 80/987, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, c’est au droit national qu’il incombe de préciser le terme «rémunération» et d’en définir le contenu.
À cet égard, le fait que la directive rattache le paiement de la rémunération à des périodes de référence n’exclut pas son application à des indemnités pour licenciement irrégulier. Dès lors, si le terme «rémunération», tel que défini par le droit national, inclut ces indemnités, celles-ci relèvent du champ d’application de la directive 80/987, également dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la directive 2002/74, modifiant la directive 80/987.

(cf. points 31-33, disp. 1)

2.
Dans le cadre de l’application de la directive 80/987, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, lorsque, selon la réglementation nationale concernée, des créances qui correspondent à des indemnités pour licenciement irrégulier, reconnues par un jugement ou une décision administrative, relèvent de la notion de rémunération, des créances identiques, établies lors d’une procédure de conciliation, doivent également être considérées comme des créances de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération au sens de ladite directive. En effet, les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans une situation comparable pour autant qu’ils ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration.
Le juge national doit donc écarter une réglementation interne excluant, en violation du principe d’égalité, ces dernières créances de la notion de «rémunération» au sens de ladite réglementation.

(cf. points 35, 38, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
16 décembre 2004(1)

«Politique sociale – Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur – Directive 80/987/CEE – Champ d'application – Notion de ‘créances’ – Notion de ‘rémunération’ – Indemnisation due en cas de licenciement irrégulier»

Dans l'affaire C-520/03,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana (Espagne), par décision du 27 novembre 2003, parvenue à la Cour le 15 décembre 2003, dans la procédure

José Vicente Olaso Valero

contre

Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),



LA COUR (première chambre),,



composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Lenaerts, Mme N. Colneric (rapporteur), MM. K. Schiemann et E. Juhász, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,considérant les observations présentées:

pour M. Olaso Valero, par Me T. Alcalá Mellado, abogada,

pour le gouvernement espagnol, par Mme L. Fraguas Gadea, en qualité d'agent,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Rozet et Mme L. Lozano Palacios, en qualité d'agents,

vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger l'affaire sans conclusions,

rend le présent



Arrêt



1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 23).

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Olaso Valero au Fondo de Garantía Salarial (Fonds de garantie salariale, ci-après le «Fogasa») au sujet du refus de ce dernier de lui verser, au titre de sa responsabilité subsidiaire, une indemnité pour le licenciement irrégulier dont il a fait l’objet, le paiement de cette indemnité ayant été convenu entre ce salarié et son employeur dans un accord de conciliation.


Le cadre réglementaire

La réglementation communautaire

3
L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 80/987 dispose que «[l]a présente directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2 paragraphe 1».

4
L’article 2, paragraphe 2, de ladite directive précise que celle-ci ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes «travailleur salarié», «employeur», «rémunération», «droit acquis» et «droit en cours d’acquisition».

5
L’article 3, paragraphe 1, de la même directive prévoit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.»

6
Selon l’article 4 de la directive 80/987, les États membres ont la faculté de restreindre l’obligation de paiement des institutions de garantie, visée à l’article 3 de cette directive, en la limitant à la rémunération afférente à une période définie ou en fixant un plafond.

7
L’article 9 de ladite directive dispose que celle-ci «ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés».

8
Conformément à l’article 10, sous a), de la même directive celle-ci «ne porte pas atteinte à la faculté des États membres [...] de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus».

9
La directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, modifiant la directive 80/987 (JO L 270, p. 10), entrée en vigueur postérieurement aux faits du litige au principal, a remplacé l’article 3 de cette dernière par le texte suivant:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

Les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres.»

La réglementation nationale

Le décret royal législatif 1/1995

10
L’article 26, paragraphes 1 et 2, du décret royal législatif 1/1995, du 24 mars 1995, portant approbation du texte refondu de l’Estatuto de los Trabajadores (loi portant statut des travailleurs) (BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci-après le «statut des travailleurs»), prévoit:

«1.     Sont considérés comme salaires tous les avantages économiques que les travailleurs perçoivent, en espèce ou en nature, en contrepartie des services qu’ils fournissent à titre professionnel pour le compte d’autrui dès lors que ces avantages rétribuent le travail effectif, quelle que soit la forme de la rémunération, ou les périodes de repos assimilables à du travail. […]

2.       Sont exclues de la notion de salaire les sommes perçues par le travailleur à titre de remboursement des frais qu’il a exposés à l’occasion de son activité professionnelle, les prestations et indemnités de la sécurité sociale et les indemnités correspondant à des transferts, suspensions ou licenciements.»

11
L’article 28 du statut des travailleurs, tel que modifié par la loi 33/2002 du 5 juillet 2002 (BOE n° 161, du 6 juillet 2002, p. 24683), intitulé «Égalité de rémunération en raison du sexe», précise:

«L’employeur est tenu de verser la même rémunération pour la prestation d’un travail de même valeur, directement ou indirectement, et quelle que soit la nature de celle-ci, salariale ou extrasalariale, toute discrimination en raison du sexe étant interdite dans ses éléments ou conditions.»

12
L’article 33, paragraphes 1 et 2, du statut des travailleurs, dans la version résultant de la loi 60/1997 du 19 décembre 1997 (BOE n° 304, du 20 décembre 1997, p. 37453), dispose:

«1.     Le Fonds de garantie salariale, organisme autonome relevant du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, doté de la personnalité juridique et de la capacité d’agir en vue de l’accomplissement de ses objectifs, verse aux travailleurs le montant des salaires qui leur sont dus en cas d’insolvabilité, de suspension des paiements, de faillite ou de redressement judiciaire des entrepreneurs.

Aux fins de l’alinéa qui précède, est considéré comme salaire le montant reconnu comme tel dans l’acte de conciliation ou dans la décision judiciaire à tous les titres visés à l’article 26, paragraphe 1, ainsi que l’indemnité complémentaire au titre des ‘salarios de tramitación’, décidée, le cas échéant, par l’autorité judiciaire compétente, étant entendu que le Fonds ne verse, à aucun titre, conjointement ou séparément, un montant supérieur à la somme résultant de la multiplication du double du salaire minimal interprofessionnel journalier par le nombre de jours de salaire non versés, à concurrence de cent vingt jours.

2.       Le Fonds de garantie salariale, dans les cas visés au paragraphe précédent, verse les indemnités reconnues par un jugement ou une décision administrative en faveur des travailleurs du fait du licenciement ou de la cessation du contrat conformément aux articles 50, 51 et 52, sous c), de la présente loi, dans la limite maximale d’une annuité, étant entendu que le salaire journalier, servant de base au calcul, ne peut excéder le double du salaire minimal interprofessionnel.

Le montant de l’indemnité, aux seules fins de son versement par le Fonds de garantie salariale en cas de licenciement ou de cessation de contrat conformément à l’article 50 de la présente loi, est calculé sur la base de 25 jours par année de service et ne peut excéder le plafond indiqué à l'alinéa précédent.»

13
Selon l’article 33, paragraphe 4, du statut des travailleurs, le Fonds assume les obligations visées aux paragraphes qui précèdent cette disposition après examen du dossier pour en vérifier le bien-fondé.

14
L’article 50 du statut des travailleurs, qui mentionne les motifs de résiliation du contrat à la demande du travailleur, prévoit:

«1.     Les motifs valables pour lesquels le travailleur peut demander la cessation du contrat sont:

[...]

c)
Tout autre manquement grave de l’employeur à ses obligations, sauf cas de force majeure [...].

2.       Dans ces cas, le travailleur a droit aux indemnités prévues pour le licenciement irrégulier.»

15
L’article 56, paragraphe 1, du statut des travailleurs est libellé comme suit:

«1.     Lorsque le licenciement est déclaré irrégulier, l’employeur, dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement, pourra opter entre la réintégration du travailleur, assortie du versement des ‘salarios de tramitación’, tels que prévus à la lette b) du présent paragraphe, et le versement des sommes suivantes, qui devront être fixées par le jugement:

a)
une indemnisation équivalant à 45 jours de salaire par année de service, les périodes inférieures à une année étant comptabilisées au prorata sur une base mensuelle jusqu’à hauteur de 42 mensualités;

b)
un montant égal à la somme des salaires dus à compter de la date du licenciement jusqu’à la notification du jugement déclarant le licenciement irrégulier ou jusqu’à ce que le travailleur ait retrouvé un emploi, si cet engagement est antérieur au prononcé du jugement et si l’employeur apporte la preuve des sommes versées en vue de leur déduction des ‘salarios de tramitación’.

L’employeur devra maintenir l'inscription du travailleur à la sécurité sociale pendant la période correspondant aux salaires dont il est question sous b) ci-dessus.»

Le décret royal 505/1985 relatif au Fogasa

16
L’article 14 du décret royal 505/1985, de 6 mars 1985, relatif à l’organisation et au fonctionnement du Fonds de garantie salariale (BOE n° 92, du 17 avril 1985, ci-après le «décret royal 505/85»), dispose:

«1.     Aux fins du présent décret royal, sont considérés comme des créances salariales protégées tous les avantages économiques auxquels les travailleurs ont droit, pour autant qu’ils rétribuent:

a)
le travail effectivement réalisé;

b)
les périodes de repos assimilables à du travail;

c)
les avantages économiques perçus au titre de l’article 56, paragraphe 1, point b), du statut des travailleurs et de l’article 211, dernier paragraphe, de la loi relative à la procédure du travail.

[...]

2.       Est considérée comme créance d’indemnité la somme reconnue en faveur des travailleurs dans le jugement, la décision de l’autorité du travail ou la décision judiciaire complémentaire de ceux-ci, du fait du licenciement ou de la cessation du contrat de travail, conformément aux articles 50 et 51 du statut des travailleurs.»

17
Aux termes de l’article 28, paragraphe 3, dudit décret royal, constitue un motif de rejet des demandes de prestations de garantie salariale «la constatation d’un abus de droit ou d’une fraude à la loi et lorsque leur versement n’est pas justifié en raison de l’existence établie d’un intérêt commun des travailleurs et des employeurs à créer une apparence d’état légal d’insolvabilité en vue d’obtenir les prestations du Fonds de garantie salariale».

La loi relative à la procédure du travail

18
L’article 63 du décret royal législatif 2/1995, du 7 avril 1995, portant approbation du texte refondu de la Ley de Procedimiento laboral (loi relative à la procédure du travail) (BOE n° 86, du 11 avril 1995, p. 10695, ci-après la «LPL»), impose, préalablement au déroulement d’une procédure juridictionnelle, une procédure de conciliation devant un service administratif.

19
L’article 84 de la LPL prévoit que, après l’échec de la conciliation devant ce service, une nouvelle procédure de conciliation doit impérativement avoir lieu devant l’organe juridictionnel compétent.


Le litige au principal

20
Par acte de conciliation établi le 15 décembre 1999 devant le Juzgado de lo Social n° 16 de Valencia (Espagne), dans le cadre d’une procédure de contestation de licenciement dont celui-ci avait été saisi par M. Olaso Valero, le caractère irrégulier du licenciement de ce dernier par l’entreprise Valls y Lorente SL (ci-après «Valls») a été reconnu. Dans ces conditions, celle-ci s’est engagée à verser à M. Olaso Valero les «salarios de tramitación» ainsi qu’une indemnité pour licenciement irrégulier. Cet engagement a été accepté par le salarié.

21
Valls n’ayant pas effectué le jour convenu le versement des sommes dues en application dudit engagement, le Juzgado de lo Social n° 3 de Valencia (Espagne) a, le 10 février 2000, rendu une ordonnance approuvant l’exécution de cet engagement. Par ordonnance du même juge du 21 septembre 2001, Valls a été déclarée insolvable. Cette ordonnance a été notifiée aux parties et au Fogasa.

22
M. Olaso Valero a alors demandé au Fogasa le paiement des prestations de garantie, ce qui lui a été refusé par décision de cet organisme du 30 octobre 2001. S’agissant de l’indemnité pour licenciement irrégulier, le Fogasa a fait valoir que les montants demandés à ce titre avaient été convenus dans un accord de conciliation et qu’ils n’étaient donc pas reconnus par un jugement, une décision de l’autorité du travail ou une décision judiciaire complémentaire de ceux-ci, conformément à l’article 14, paragraphe 2, du décret royal 505/85.

23
Le Juzgado de lo Social n° 16 de Valencia, saisi par M. Olaso Valero contre la décision susmentionnée du Fogasa, a rejeté le recours par arrêt du 20 mars 2003.


Les questions préjudicielles

24
Dans sa décision de renvoi, le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana, saisi en appel dudit arrêt de rejet, constate que la question des «salarios de tramitación» a déjà été tranchée par l’arrêt de la Cour du 12 décembre 2002, Rodríguez Caballero (C-442/00, Rec. p. I-11915).

25
S’agissant de l’indemnité pour licenciement irrégulier, ledit Tribunal relève que, au regard de l’article 28 du statut des travailleurs, il semble que la notion de «rémunération» en droit espagnol n’est pas nécessairement circonscrite au seul salaire, dans la mesure où elle peut être «salariale» ou «extrasalariale».

26
La juridiction de renvoi éprouve un premier doute quant à l’application en général de la directive 80/987 à l’indemnité versée au salarié qui a fait l’objet d’un licenciement irrégulier, compte tenu en particulier des points 26 et 27 de l’arrêt Rodríguez Caballero, précité. Elle relève notamment que c’est la directive 2002/74 qui a introduit dans l’article 3 de la directive 80/987 la référence aux «dédommagements pour cessation de la relation de travail lorsque le droit national le prévoit». En outre, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 80/987 rattacherait le paiement de la rémunération à des périodes qui s’accordent mal avec l’idée d’indemnité. À moins de donner, en vertu de l’article 28 du statut des travailleurs, une interprétation tout à fait inédite de la notion juridique de rémunération, en ce sens qu’elle comprendrait les indemnités pour licenciement irrégulier, il ressortirait du droit espagnol que la directive 80/987 n’est pas applicable à celles-ci, les dispositions nationales étant à cet égard plus favorables aux travailleurs que la réglementation communautaire.

27
La juridiction de renvoi éprouve également un doute quant au respect du principe général d’égalité et de non-discrimination auquel font référence les points 30, 31, 32 et 33 de l’arrêt Rodríguez Caballero, précité. Selon elle, si les dispositions de l’article 33 du statut des travailleurs et celles du décret royal 505/85 sont considérées comme relevant du champ d’application du droit communautaire, on pourrait en conclure, de même que dans l’hypothèse des «salarios de tramitación», que, si tous les travailleurs irrégulièrement licenciés ─ tant ceux dont le caractère irrégulier du licenciement a été reconnu par un jugement que ceux qui ont conclu un accord de conciliation fondé sur la reconnaissance préalable du caractère irrégulier du licenciement ─ ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration, la restriction établie au sujet des indemnités reconnues par une décision judiciaire ou administrative par l’article 33, paragraphe 2, du statut des travailleurs ne pourrait pas être objectivement justifiée.

28
Le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana soutient que, conformément à l’article 28, paragraphe 3, du décret royal 505/85, le Fogasa disposait de garanties suffisantes pour éviter tout type de fraude. La conciliation intervenue en application de l’article 84 de la LPL serait étroitement contrôlée par l’autorité juridictionnelle qui doit l’approuver. Cela serait d’autant plus vrai dans des hypothèses telles que celle du présent litige, dans laquelle l’institution de garantie elle-même a reconnu, lors de l’audience devant l'organe juridictionnel, que la somme réclamée est exacte et conforme aux plafonds et limites prévus par le droit espagnol.

29
C’est sur le fondement de ces considérations que le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’indemnité pour licenciement irrégulier réclamée relève-t-elle du champ d’application de la directive 80/987 […], dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la directive 2002/74?

2)
Du point de vue du respect des principes d’égalité et de non-discrimination, peut-on considérer que la réglementation figurant à l’article 33, paragraphe 2, [du statut des travailleurs], dans la mesure où elle requiert un jugement ou une décision administrative pour le versement des indemnités correspondantes par le Fogasa, n’est pas objectivement justifiée et doit, dès lors, être écartée?»


Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30
Le champ d’application de la directive 80/987 est défini à l’article 1er de celle-ci. Une lecture combinée des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de cette directive fait apparaître que celle-ci ne vise que les créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail lorsque ces créances portent sur la rémunération au sens dudit article 3, paragraphe 1 (voir arrêt Rodríguez Caballero, précité, point 26).

31
Selon l’article 2, paragraphe 2, de la directive 80/987, c’est au droit national qu’il incombe de préciser le terme «rémunération» et d’en définir le contenu (arrêt Rodríguez Caballero, précité, point 27). En l’espèce, ladite directive renvoie donc au droit espagnol.

32
Le fait que la directive 80/987 rattache le paiement de la rémunération à des périodes de référence n’exclut pas son application à des indemnités pour licenciement irrégulier. Ce constat est corroboré par l’article 3 de cette directive, dans sa version résultant de la directive 2002/74, qui, tout en maintenant le rattachement à de telles périodes, se réfère expressément aux dédommagements pour cessation de la relation de travail.

33
Il y a donc lieu de répondre à la première question qu’il incombe au juge national de déterminer si le terme «rémunération», tel que défini par le droit national, inclut les indemnités pour licenciement irrégulier. Si tel est le cas, lesdites indemnités relèvent de la directive 80/987, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la directive 2002/74.

Sur la seconde question

34
La faculté reconnue au droit national de préciser les prestations à la charge de l’institution de garantie est soumise au respect des droits fondamentaux, au nombre desquels figure notamment le principe général d’égalité et de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt Rodríguez Caballero, précité, points 29 à 32).

35
Les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans une situation comparable pour autant qu’ils ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration.

36
Le traitement différent que réserve la réglementation espagnole à ces travailleurs, dans la mesure où des créances portant sur les indemnités pour licenciement irrégulier ne sont prises en charge par le Fogasa que lorsque celles-ci sont reconnues par un jugement ou une décision administrative, ne saurait ainsi être admis que dans l’hypothèse d’une justification objective d’une telle différence de traitement (voir, en ce sens, arrêt Rodríguez Caballero, précité, point 34).

37
Il convient de relever, à cet égard, que le dossier n’apporte pas d’éléments supplémentaires par rapport à ceux que la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner aux points 36 à 38 de l’arrêt Rodríguez Caballero, précité. Il en résulte qu’aucun argument convaincant n’a été présenté pour justifier la différence de traitement entre les créances correspondant à des indemnités pour licenciement irrégulier reconnues par un jugement ou une décision administrative et celles relatives à des indemnités pour licenciement irrégulier reconnues lors de la procédure de conciliation.

38
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que, lorsque, selon la réglementation nationale concernée, des créances qui correspondent à des indemnités pour licenciement irrégulier, reconnues par un jugement ou une décision administrative, relèvent de la notion de «rémunération», des créances identiques, établies lors d’une procédure de conciliation telle que celle faisant l'objet du cas d'espèce, doivent être considérées comme des créances de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération au sens de la directive 80/987. Le juge national doit écarter une réglementation interne excluant, en violation du principe d’égalité, ces dernières créances de la notion de «rémunération» au sens de ladite réglementation.


Sur les dépens

39
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)
Il incombe au juge national de déterminer si le terme «rémunération», tel que défini par le droit national, inclut les indemnités pour licenciement irrégulier. Si tel est le cas, lesdites indemnités relèvent de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, modifiant la directive 80/987.

2)
Lorsque, selon la réglementation nationale concernée, des créances qui correspondent à des indemnités pour licenciement irrégulier, reconnues par un jugement ou une décision administrative, relèvent de la notion de «rémunération», des créances identiques, établies lors d’une procédure de conciliation telle que celle faisant l'objet du cas d'espèce, doivent être considérées comme des créances de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération au sens de la directive 80/987. Le juge national doit écarter une réglementation interne excluant, en violation du principe d’égalité, ces dernières créances de la notion de «rémunération» au sens de ladite réglementation.

Signatures.


1
Langue de procédure: l'espagnol.