Affaire C-514/03

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d'Espagne

«Manquement d'État — Articles 43 CE et 49 CE — Restrictions à l'établissement et à la libre prestation des services — Entreprises et services de sécurité privée — Conditions — Personnalité morale — Capital social minimal — Caution — Nombre minimal de collaborateurs — Directives 89/48/CEE et 92/51/CEE — Reconnaissance des qualifications professionnelles»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 7 juillet 2005 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 26 janvier 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Restrictions

(Art. 43 CE et 49 CE)

2.     Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Libre prestation des services — Reconnaissance des diplômes et des titres — Directive 92/51

(Directive du Conseil 92/51)

1.     Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE, un État membre qui impose aux entreprises étrangères de sécurité privée une série de conditions pour exercer leurs activités sur le territoire national, à savoir l'obligation:

- d'être constituées sous la forme d'une personne morale;

- de disposer d'un capital social minimal déterminé;

- de verser une caution auprès d'un organisme national;

- d'employer un nombre minimal de salariés, dans la mesure où l'entreprise en question exerce ses activités dans d'autres domaines que celui du transport et de la distribution d'explosifs;

- générale, pour les membres de leur personnel, d'être titulaires d'une autorisation administrative spéciale délivrée par les autorités nationales.

(cf. points 31, 36, 41, 48, 50, 55-56 et disp.)

2.     Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 92/51 relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48, un État membre ne prenant pas les dispositions nécessaires pour assurer la reconnaissance des attestations de compétence professionnelle pour l'exercice de l'activité de détective privé.

(cf. point 65 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

26 janvier 2006 (*)

«Manquement d’État – Articles 43 CE et 49 CE – Restrictions à l’établissement et à la libre prestation des services – Entreprises et services de sécurité privée – Conditions – Personnalité morale – Capital social minimal – Caution – Nombre minimal de collaborateurs – Directives 89/48/CEE et 92/51/CEE – Reconnaissance des qualifications professionnelles»

Dans l’affaire C-514/03,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 8 décembre 2003,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Patakia et M. L. Escobar Guerrero, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,


contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. E. Braquehais Conesa, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juillet 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en imposant:

–       aux entreprises de services de sécurité privée et aux membres de leur personnel, dans les dispositions d’exécution, l’obligation de posséder la nationalité espagnole;

–       aux entreprises de sécurité privée dans le cadre du régime d’inscription des étrangers, l’obligation:

a)      d’être une personne morale dans tous les cas,

b)       de posséder un capital social spécifique, sans tenir compte du fait que cette entreprise n’est pas soumise aux mêmes obligations dans son pays d’établissement,

c)       de déposer un cautionnement à la Caja General de Depósitos, sans tenir compte du versement éventuel d’un cautionnement dans l’État membre d’origine,

d)      d’employer un nombre minimal de salariés;

–       au personnel d’une entreprise étrangère de sécurité privée d’obtenir une nouvelle autorisation spécifique en Espagne alors qu’il a déjà obtenu une autorisation comparable dans l’État membre d’établissement de ladite entreprise,

et en ne soumettant pas les professions du secteur de la sécurité privée au régime communautaire de reconnaissance des qualifications professionnelles,

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE, ainsi que de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO L 19, p. 16), et de la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48 (JO L 209, p. 25).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2       Les directives 89/48 et 92/51 ont pour objet de mettre en œuvre des systèmes de reconnaissance des diplômes visant à faciliter aux citoyens européens l’exercice de toutes les activités professionnelles qui sont subordonnées dans un État membre d’accueil à la possession d’une formation postsecondaire. Alors que la directive 89/48 porte sur des diplômes universitaires sanctionnant des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, la directive 92/51 s’applique aux diplômes sanctionnant un cycle d’études postsecondaires d’une durée d’au moins un an ou d’une durée équivalente définis à l’article 1er de cette directive.

3       L’article 1er de la directive 92/51 dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

c)      ‘attestation de compétence’: tout titre:

–       qui sanctionne une formation ne faisant pas partie d’un ensemble constituant un diplôme au sens de la directive 89/48/CEE ou un diplôme ou un certificat au sens de la présente directive,

ou

–       délivré à la suite d’une appréciation des qualités personnelles, des aptitudes ou des connaissances du demandeur, considérées comme essentielles pour l’exercice d’une profession par une autorité désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un État membre, sans que la preuve d’une formation préalable ne soit requise;

[...]

e)      ‘profession réglementée’: l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre;

f)      ‘activité professionnelle réglementée’: une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou l’une des modalités d’exercice dans un État membre, est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence. Constituent notamment des modalités d’exercice d’une activité professionnelle réglementée:

–       l’exercice d’une activité sous un titre professionnel, dans la mesure où le port de ce titre est autorisé aux seuls possesseurs d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence déterminé par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives [...]

[...]»

4       L’article 8 de la directive 92/51 est ainsi libellé:

«Lorsque dans un État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d’une attestation de compétence, l’autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d’un État membre, pour défaut de qualification, d’accéder à cette profession ou de l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:

a)      si le demandeur possède l’attestation de compétence qui est prescrite par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire, ou l’y exercer, et qui a été obtenue dans un autre État membre

ou

b)      si le demandeur justifie de qualifications obtenues dans d’autres États membres,

et donnant des garanties équivalentes, notamment en matière de santé, de sécurité, de protection de l’environnement et de protection des consommateurs, à celles exigées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l’État membre d’accueil.

Si le demandeur ne justifie pas de cette attestation de compétence ou de telles qualifications, les dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l’État membre d’accueil s’appliquent.»

 La réglementation nationale

5       En Espagne, l’activité de sécurité privée est réglementée par la loi n° 23/1992, du 30 juillet 1992, relative à la sécurité privée (BOE n° 186, du 4 août 1992, p. 27116, ci-après la «loi sur la sécurité privée»), et le décret royal n° 2364/1994, du 9 décembre 1994, portant approbation du règlement relatif à la sécurité privée (BOE n° 8, du 10 janvier 1995, p. 779, ci-après le «règlement sur la sécurité privée»).

6       L’article 5, paragraphe 1, de la loi sur la sécurité privée, contient une liste exhaustive de six catégories de services susceptibles d’être fournis par des entreprises de sécurité privée, à savoir:

–       surveillance et protection de biens, d’établissements, de spectacles, de compétitions ou de conventions;

–       protection de personnes déterminées;

–       dépôt, surveillance, vérification et tri de monnaies, billets, valeurs et objets de valeur ou dangereux, ainsi que le transport et la distribution de ces objets;

–       installation et entretien d’appareils, de dispositifs et de systèmes de sécurité;

–       exploitation de centrales pour la réception, la vérification et la transmission de signaux d’alarme et leur communication aux forces et aux corps de sécurité, ainsi que prestations des services de réponse qui ne sont pas du ressort de ces forces et corps;

–       programmation et assistance en ce qui concerne les activités de sécurité visées par la loi.

7       En vertu de l’article 7, paragraphe 1, de ladite loi, une entreprise qui veut fournir de telles prestations de services doit obtenir une autorisation administrative sous la forme d’une inscription dans un registre tenu par le ministère de l’Intérieur. Afin d’obtenir une telle inscription, l’entreprise concernée doit revêtir la forme d’une personne morale, correspondant à l’un des quatre types de sociétés définies par le droit interne. En outre, le règlement sur la sécurité privée soumet l’octroi de l’autorisation susmentionnée à d’autres conditions qui varient en fonction du type de l’activité ou des activités exercées par l’entreprise en question.

8       Ainsi, l’entreprise concernée doit être dotée d’un capital social minimal et justifier d’une garantie. Les montants de ce capital et de cette garantie sont hiérarchisés non seulement en fonction du ou des types d’activités exercées par l’entreprise, mais également en fonction de l’ampleur de son champ d’action géographique à l’intérieur du territoire national. Pour ce qui est de la garantie, celle-ci doit être déposée entre les mains d’un organisme espagnol, la Caja General de Depósitos.

9       Dans une annexe au règlement sur la sécurité privée, il est imposé aux entreprises de sécurité certaines exigences particulières, en fonction des types d’activités qu’elles exercent. Au cas où cette activité est le transport et la distribution d’objets de valeur ou dangereux ou l’installation et la maintenance d’appareils, de dispositifs et de systèmes de sécurité, il est exigé, respectivement, que:

«1.       Objets de valeur ou dangereux

a)      [...]

b)       Deuxième phase

1.°         Une équipe composée d’un chef de sécurité et d’au moins trente vigiles, si le champ d’action de l’entreprise est national, et de six vigiles, plus trois par province, si le champ d’action couvre une Communauté autonome.

[...]

2.       Explosifs

a)       [...]

b)      Deuxième phase

1.°         Une équipe composée d’au moins deux vigiles spécialisés en explosifs pour chaque véhicule de transport d’explosifs dont dispose l’entreprise et d’un chef de sécurité lorsque le nombre de vigiles est supérieur à quinze.

[...]

5.      Installation et maintenance d’appareils, de dispositifs et de systèmes de sécurité

[...]

2.°       Deuxième phase

a)       Une équipe composée d’au moins un ingénieur technicien et de cinq installateurs pour les entreprises dont le champ d’action est national, et d’un ingénieur technicien et de deux installateurs pour celles dont le champ d’action couvre une Communauté autonome.»

10     En application de l’article 10 de la loi sur la sécurité privée, lu en combinaison avec l’article 53 du règlement sur la sécurité privée, tout membre du personnel de sécurité privée doit obtenir une autorisation du ministère de l’Intérieur. À cette fin, il doit être majeur, ne pas avoir atteint une limite d’âge fixée par des dispositions réglementaires, posséder des aptitudes physiques et mentales nécessaires à l’exercice de sa fonction et réussir les épreuves requises attestant de ses connaissances et de ses capacités.

11     S’agissant en particulier de l’exercice de la profession de détective privé, l’article 54, paragraphe 5, sous b), du règlement de sécurité privée exige en outre que les personnes concernées soient titulaires d’un diplôme de détective privé. La délivrance de ce diplôme est subordonnée à la condition de posséder un certain niveau de formation, d’avoir suivi des cours spéciaux et d’avoir réussi des examens d’aptitude.

12     Les directives 89/48 et 92/51 ont été transposées en droit interne, respectivement, par le décret royal n° 1665/1991, du 25 octobre 1991, réglementant le système général de reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés dans les États membres de l’Union européenne qui exigent une formation d’une durée minimale de trois ans (BOE n° 280, du 22 novembre 1991, p. 37916), et par le décret royal n° 1396/1995, du 4 août 1995, réglementant le deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles des États membres de l’Union européenne et des autres États signataires de l’accord sur l’Espace économique européen, et complétant ce qui a été établi par le décret royal n° 1665/1991 (BOE n° 197, du 18 août 1995, p. 25657). Les annexes de ces deux décrets contiennent des listes des professions réglementées couvertes par les mécanismes de reconnaissance en question. Toutefois, les professions visées par le règlement sur la sécurité privée ne figurent pas sur ces listes.

 La procédure précontentieuse et la procédure écrite devant la Cour

13     En 1997, la Commission a introduit, contre le Royaume d’Espagne, un premier recours en manquement visant certaines dispositions de la loi et du règlement sur la sécurité privée. Dans l’arrêt du 29 octobre 1998, Commission/Espagne (C‑114/97, Rec. p. I-6717), rendu dans le cadre de ce recours, la Cour a jugé que, en maintenant en vigueur les articles 7, 8 et 10 de la loi sur la sécurité privée qui réservent l’octroi de l’autorisation d’exercer des activités de sécurité privée aux entreprises de nationalité espagnole et en délivrant des licences de personnel de sécurité aux seuls ressortissants espagnols, le Royaume d’Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du traité CE.

14     Par lettre du 29 novembre 1999, la Commission a fait savoir au gouvernement espagnol que les dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de sécurité privée enfreignaient toujours le droit communautaire.

15     À défaut d’avoir obtenu une réponse du gouvernement espagnol dans le délai imparti, la Commission a, le 24 juillet 2000, émis un avis motivé invitant le Royaume d’Espagne à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux violations alléguées dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. Considérant que les observations présentées par les autorités espagnoles en réponse audit avis motivé n’étaient pas satisfaisantes, la Commission a introduit le présent recours.

16     Dans son mémoire en réplique, la Commission a pris acte du fait que, à la suite de l’arrêt Commission/Espagne, précité, les autorités espagnoles avaient modifié la loi et le règlement sur la sécurité privée, en supprimant la condition de nationalité. La Commission a donc retiré le grief relatif à cette condition, tout en maintenant les autres griefs.

 Sur le recours

17     À l’appui de son recours, la Commission invoque six griefs concernant en substance les conditions exigées par la législation espagnole pour l’exercice d’une activité de sécurité privée en Espagne.

18     Ces griefs peuvent être définis ainsi:

1)      incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition selon laquelle l’entreprise de sécurité privée doit toujours revêtir la forme d’une personne morale;

2)       incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition selon laquelle une telle entreprise doit posséder un capital social minimal;

3)       incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition selon laquelle une telle entreprise doit verser une caution à un organisme espagnol, la Caja General de Depósitos;

4)       incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition selon laquelle une telle entreprise emploie un nombre minimal de salariés;

5)       incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition selon laquelle une autorisation spéciale est exigée pour le personnel affecté à la sécurité exerçant son activité en Espagne;

6)      violation des directives 89/48 et 92/51 du fait de l’absence de reconnaissance des qualifications professionnelles.

19     Avant d’examiner le bien-fondé de chacun de ces griefs, il convient de mentionner l’argumentation avancée par les parties à titre liminaire, ainsi que de rappeler les principes généraux définis par la jurisprudence constante de la Cour.

 Observations générales

 Argumentation des parties

20     La Commission reconnaît que les activités de services de sécurité privée ne font pas l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire. Cependant, les dispositions restrictives du droit espagnol en la matière ne respecteraient pas les exigences fondamentales définies par la jurisprudence constante de la Cour relatives aux articles 43 CE et 49 CE. La Commission conteste en particulier la prétendue proximité entre la sécurité privée et la sécurité publique. Selon elle, la contribution des entreprises concernées au maintien de cette dernière n’est pas différente de celle à laquelle tout individu peut être appelé. En l’occurrence, la Commission soutient que le fait de soumettre une entreprise étrangère de sécurité privée aux mêmes exigences que celles imposées aux entreprises espagnoles – sans tenir compte des obligations, garanties et prescriptions éventuellement déjà imposées à la même entreprise dans un autre État membre – constitue une entrave non justifiée à son établissement sur le territoire espagnol et un facteur hautement dissuasif pour la prestation des services transfrontaliers dans ce secteur, surtout en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises.

21     Selon le gouvernement espagnol, la sécurité privée est intimement liée à la sécurité publique, dont elle constitue un prolongement. Ainsi, une grande partie des activités de ce secteur impliquerait l’usage de certains moyens qui ne sont, normalement, pas autorisés (notamment les armes). Ces activités seraient également susceptibles d’avoir une incidence sérieuse sur le libre exercice des droits et des libertés des citoyens. Par conséquent, dans ce secteur, un État membre pourrait légitimement recourir à des moyens d’intervention et de contrôle qui ne seraient pas justifiés dans d’autres domaines. Or, puisqu’il s’agirait d’un secteur non harmonisé au niveau communautaire, sa réglementation dans les autres États membres pourrait être radicalement différente de la réglementation espagnole, d’où la nécessité de faire respecter les exigences particulières qui existent en Espagne, notamment celles liées au problème du terrorisme.

 Appréciation de la Cour

22     Dans son recours, la Commission se réfère tant à l’article 43 CE, garantissant la liberté d’établissement, qu’à l’article 49 CE, relatif à la libre prestation des services. À cet égard, il convient de rappeler que l’élément clé pour délimiter les champs d’application respectifs des ces deux dispositions est la question de savoir si l’opérateur économique concerné est établi ou non dans l’État membre dans lequel il offre le service en question (l’État membre d’accueil). Lorsqu’il y est établi, à titre principal ou secondaire, sa situation entre dans le champ d’application du principe de la liberté d’établissement, au sens de l’article 43 CE. Dans le cas contraire, il doit être qualifié de «prestataire transfrontalier» et il relève du principe de la libre prestation des services, prévu à l’article 49 CE (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, Rec. p. I-4165, points 25 à 28, et du 11 décembre 2003, Schnitzer, C‑215/01, Rec. p. I-14847, points 28 à 32). Dans le cadre du présent recours, les dispositions législatives et réglementaires nationales en cause semblent s’appliquer indistinctement tant aux entreprises de sécurité privée établies sur le territoire espagnol qu’à celles établies dans les autres États membres et exerçant leurs activités en Espagne de manière occasionnelle ou provisoire.

23     Les services de sécurité privée ne font pas, à ce jour, l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire. Cependant, s’il est vrai que, dans une telle situation, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir les conditions d’exercice des activités dans ce secteur, il n’en reste pas moins qu’ils doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité (voir arrêts du 3 octobre 2000, Corsten, C-58/98, Rec. p. I‑7919, point 31; du 1er février 2001, Mac Quen e.a., C-108/96, Rec. p. I-837, point 24, et du 11 juillet 2002, Gräbner, C-294/00, Rec. p. I‑6515, point 26).

24     Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si cette restriction s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux d’autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber ou à gêner davantage les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (arrêts du 9 août 1994, Vander Elst, C-43/93, Rec. p. I-3803, point 14, et du 29 novembre 2001, De Coster, C-17/00, Rec. p. I-9445, point 29).

25     En outre, la Cour a déjà jugé que ledit article 59 s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt De Coster, précité, point 30).

26     Il convient de rappeler également que toute mesure nationale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice desdites libertés ne peut être justifiée que si elle remplit quatre conditions: s’appliquer de manière non discriminatoire, répondre à des raisons impérieuses d’intérêt général, être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, notamment, arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C‑19/92, Rec. p. I-1663, point 32; du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, Rec. p. I-5123, point 57, et Mac Quen e.a., précité, point 26).

27     En règle générale, une telle mesure, lorsqu’elle se traduit par l’imposition de certaines conditions à l’exercice des droits garantis, ne peut être justifiée que dans la mesure où l’intérêt général invoqué n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (arrêt Corsten, précité, point 35). En d’autres termes, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 45 de ses conclusions, les autorités de l’État membre d’accueil doivent en principe tenir compte des conditions que les opérateurs économiques concernés et leurs employés remplissent déjà dans leur pays d’origine.

28     Enfin, concernant l’argument du gouvernement espagnol sur le rapprochement entre le domaine de la sécurité privée et celui de la sécurité publique, la Cour a déjà jugé que l’exception prévue à l’article 46, paragraphe 1, CE et autorisant les États membres à maintenir des régimes spéciaux pour les ressortissants étrangers justifiés par des raisons de sécurité publique ne s’appliquait pas au régime général des entreprises de sécurité privée (arrêts Commission/Espagne, précité, points 45 et 46, ainsi que du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C‑355/98, Rec. p. I-1221, points 28 et 30).

 Sur le premier grief, relatif à la forme juridique de l’entreprise

 Argumentation des parties

29     Selon la Commission, l’obligation, pour une entreprise de sécurité privée, d’être une personne morale dans la quasi-totalité des cas signifie qu’une personne établie dans un autre État membre et y fournissant légalement des services tels que ceux en cause, serait contrainte de constituer une personne morale afin de pouvoir exercer ses activités en Espagne, même à titre temporaire et occasionnel. Cette exigence, n’ayant en principe aucun lien direct avec l’activité même de l’entreprise, ne serait pas utile pour garantir la protection des destinataires desdits services et le maintien de la sécurité publique. Toutes les conditions posées par la réglementation espagnole pourraient être effectivement remplies sans que l’entreprise soit une personne morale.

30     Le gouvernement espagnol réplique que l’éventuelle prestation des services en question par des personnes physiques non seulement créerait toute une série de problèmes pratiques, mais serait également inacceptable du point de vue de la sécurité publique. En premier lieu, afin de permettre aux personnes physiques de fournir tous les services litigieux, il faudrait revoir les obligations existantes en matière de détention d’armes qui, en Espagne, sont très strictes. En deuxième lieu, la prestation de certains services par une personne physique exclurait la possibilité d’une communication effective entre le vigile et le siège de la société, communication qui peut être d’une importance vitale pour la sécurité des personnes protégées et celle du vigile lui-même. En troisième lieu, il y aurait un risque de confusion en raison de la multiplication des uniformes du personnel. D’une manière générale, l’assouplissement des règles susvisées diminuerait les garanties de sécurité considérées comme appropriées par les autorités espagnoles.

 Appréciation de la Cour

31     Il convient de rappeler d’emblée que, à propos d’une réglementation analogue à la réglementation espagnole critiquée par la Commission, la Cour a déjà jugé que la condition selon laquelle une entreprise de sécurité privée devait avoir la forme d’une personne morale pour pouvoir exercer ses activités constituait une restriction contraire aux articles 43 CE et 49 CE (arrêt du 29 avril 2004, Commission/Portugal, C‑171/02, Rec. p. I-5645, points 41 à 44).

32     En l’occurrence, pour justifier cette restriction, le gouvernement espagnol invoque la protection de la sécurité des destinataires des services en question et du reste de la population. Or, pour des raisons plus amplement exposées par Mme l’avocat général au point 52 de ses conclusions, l’exigence d’une personnalité morale ne constitue pas une mesure adéquate permettant d’atteindre les objectifs poursuivis. En effet, aucun des problèmes pratiques énumérés par ce gouvernement n’est directement lié à la forme juridique de l’entreprise.

33     Dans ces conditions, le premier grief est fondé.

 Sur le deuxième grief, relatif à l’exigence d’un capital social minimal

 Argumentation des parties

34     La Commission fait valoir que, afin de pouvoir s’établir en Espagne ou d’y fournir des services transfrontaliers, une entreprise étrangère de sécurité privée est soumise à l’exigence d’un capital social minimal. Or, une telle exigence ne pourrait être justifiée ni par des considérations de sécurité publique, ni par la protection des destinataires des services concernés. En effet, les entreprises de sécurité privée des autres États membres satisferaient apparemment à ces objectifs sans être soumises à des conditions d’un capital social spécifique.

35     Le gouvernement espagnol rappelle que, les services de sécurité privée étant un secteur non harmonisé au niveau communautaire, des différences très importantes peuvent exister entre le Royaume d’Espagne et les autres États membres, notamment en ce qui concerne les modalités du port et de l’usage des armes. Or, compte tenu de la situation particulière de cet État membre face à la menace terroriste, celui-ci serait fondé à adopter des exigences plus strictes que les autres États membres. S’il est vrai que, en Espagne, les entreprises de sécurité privées sont également soumises à deux garanties supplémentaires, à savoir le cautionnement et l’assurance obligatoires, chacune d’entre elles aurait une fonction spécifique. Toutefois, ces deux garanties ne suffiraient donc pas, à elles seules, à atteindre les objectifs recherchés de sécurité et de protection des citoyens.

 Appréciation de la Cour

36     Sur ce point, la Cour a déjà jugé que la condition de posséder un capital social minimal, imposée aux entreprises de sécurité privée, enfreignait les articles 43 CE et 49 CE (arrêt Commission/Portugal, précité, points 53 à 57). Les justifications invoquées par le gouvernement espagnol, et notamment la menace terroriste particulière existant en Espagne, n’ont aucun lien direct avec le montant du capital social de l’entreprise et n’expliquent pas les restrictions apportées à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement.

37     Au demeurant, il existe des moyens moins contraignants permettant d’atteindre l’objectif de la protection des destinataires des prestations en question, tels qu’un cautionnement ou une souscription d’un contrat d’assurance. Même si, comme le soutient le gouvernement espagnol, dans certaines hypothèses, chacune de ces deux mesures peut se révéler à elle seule insuffisante, il existe toujours la possibilité de les appliquer toutes les deux de manière cumulative. Le gouvernement espagnol n’a donc pas présenté d’arguments susceptibles de démontrer en quoi les deux mesures susmentionnées ne suffiraient pas à remplir les objectifs de sécurité et de protection des citoyens.

38     Dans ces conditions, le second grief est également fondé.

 Sur le troisième grief, concernant le dépôt d’un cautionnement auprès d’un organisme espagnol

 Argumentation des parties

39     La Commission comprend l’objectif principal de cette exigence, qui est celui de tenir à la disposition des autorités espagnoles des sommes garantissant la couverture des risques liés à des responsabilités éventuelles ou lorsqu’une amende sera infligée. Cependant, elle soutient que cette condition est disproportionnée par rapport aux buts qu’elle poursuit. En particulier, les dispositions nationales ne permettraient pas de tenir compte de l’éventuel versement d’un cautionnement dans l’État membre d’origine de l’entreprise, ce qui, en principe, devrait être suffisant.

40     Pour le gouvernement espagnol, le versement d’un cautionnement ou la souscription d’un contrat d’assurance sont des moyens légitimes pour garantir la protection des destinataires des services concernés. Certes, le règlement sur la sécurité privée imposerait aux entreprises concernées l’obligation de souscrire un contrat d’assurance de responsabilité civile. Toutefois, eu égard aux facteurs économiques propres au marché des assurances, ce moyen ne pourrait offrir qu’une garantie limitée. En d’autres termes, la fonction de la caution serait complémentaire, mais ne se substituerait pas à celle des deux autres mesures de garantie, à savoir le capital social minimal et l’assurance.

 Appréciation de la Cour

41     Il convient de relever que l’obligation de déposer un cautionnement entre les mains de la Caja General de Depósitos, telle qu’elle est prévue en droit espagnol, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayants, l’exercice de la liberté d’établissement et celui de la libre prestation des services, au sens des articles 43 CE et 49 CE. En effet, elle rend la fourniture de prestations de services ou la constitution d’une filiale ou d’un établissement secondaire en Espagne plus onéreuse pour les entreprises de sécurité privée établies dans d’autres États membres que celles établies en Espagne. Il convient de déterminer si cette condition est justifiée.

42     La Cour a déjà expressément jugé que la constitution d’une garantie restreint moins la liberté d’établissement et la libre prestation des services que la fixation d’un capital social minimal pour assurer la protection des créanciers (arrêt Commission/Portugal, précité, point 55).

43     Cependant, il est de jurisprudence constante qu’une entrave telle que celle-ci ne peut être justifiée que dans la mesure où l’intérêt général invoqué n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (voir arrêt Corsten, précité, point 35). Or, la réglementation espagnole en cause exige le dépôt du cautionnement entre les mains d’un organisme espagnol, la Caja General de Depósitos, sans tenir compte d’une éventuelle garantie constituée dans l’État membre d’origine. Par ailleurs, en l’état actuel du développement des mécanismes de recouvrement transfrontalier des créances et de l’exécution des jugements étrangers au sein de l’Union , une telle rigueur apparaît disproportionnée. L’obligation de déposer un cautionnement va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer une protection adéquate des créanciers.

44     Certes, il ressort des observations du gouvernement espagnol que celui-ci s’est déclaré prêt à prendre en compte les cautionnements déposés entre les mains des organismes financiers des autres États membres, à condition d’affecter et de tenir à sa disposition des sommes relatives aux activités exercées sur le territoire espagnol. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 30 janvier 2002, Commission/Grèce, C-103/00, Rec. p. I-1147, point 23, et du 30 mai 2002, Commission/Italie, C-323/01, Rec. p. I-4711, point 8). Au demeurant, il s’agit là d’une simple déclaration du gouvernement défendeur et non d’une mesure législative ou réglementaire concrète.

45     Dans ces conditions, le troisième grief est fondé.

 Sur le quatrième grief, relatif au nombre minimal de salariés

 Argumentation des parties

46     Selon la Commission, toute entreprise étrangère fournissant légalement des services de sécurité privée dans son État membre d’établissement, mais ne disposant pas du nombre de salariés requis par la législation espagnole, serait tenue d’augmenter ses effectifs, même si ses activités propres ne l’exigent pas. Cette condition aurait un effet dissuasif, en particulier sur les petites et moyennes entreprises, en ce qui concerne l’exercice tant du droit de créer des établissements secondaires que de la libre prestation de services transfrontaliers. Les articles 43 CE et 49 CE interdiraient l’application de cette législation à une entreprise établie dans un autre État membre, sans que les autorités espagnoles prennent en compte les obligations sinon identiques, du moins comparables, déjà remplies par cette entreprise dans son pays d’établissement.

47     Le gouvernement espagnol relève l’engagement pris par les autorités espagnoles de réduire, de façon générale, de 50 % les exigences minimales en matière de moyens humains, matériels et techniques. Les exigences législatives relatives au nombre de salariés dans le domaine du transport d’explosifs seraient, par contre, justifiées par des considérations de sécurité, particulièrement liées à la situation espagnole.

 Appréciation de la Cour

48     À titre liminaire, il y a lieu de relever que les dispositions fixant un nombre minimal de personnes employées par les entreprises de sécurité s’analysent en une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, dans la mesure où elles rendent plus onéreuse la constitution d’établissements secondaires ou de filiales en Espagne et dissuadent des entreprises de sécurité privée étrangères d’offrir leurs services sur le marché espagnol.

49     Quant à la justification de cette restriction, il y a lieu de rappeler que le simple fait qu’un État membre impose des règles moins strictes que celles applicables dans un autre État membre ne signifie pas en soi que ces dernières sont disproportionnées et incompatibles avec le droit communautaire (arrêts du 10 mai 1995, Alpine Investments, C‑384/93, Rec. p. I-1141, point 51; du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C‑3/95, Rec. p. I-6511, point 42; Mac Quen e.a., précité, points 33 et 34, ainsi que Gräbner, précité, points 46 et 47).

50      Exception faite des transports d’explosifs, le gouvernement espagnol n’a pas démontré de façon circonstanciée que le nombre minimal de salariés exigé par la législation en vigueur ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, à savoir garantir le niveau recherché de sécurité en matière de transports d’objets de valeur et d’objets dangereux ainsi que d’installation et de maintenance de systèmes de sécurité et d’alarme. Dans cette mesure, le quatrième grief doit donc être considéré comme fondé.

51     Quant à l’exigence d’un nombre minimal de salariés dans les entreprises déployant leurs activités dans le transport d’explosifs, figurant au point 2, sous b), de l’annexe au règlement sur la sécurité privée, il convient de constater qu’elle est justifiée. En effet, au regard des considérations relatives à la sécurité, invoquées par le gouvernement espagnol, cette exigence paraît apte à la réalisation de cet objectif sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour le réaliser.

52     Le quatrième grief est donc à rejeter dans la mesure où ladite législation espagnole exige un nombre minimal de salariés pour les entreprises ayant leurs activités dans le domaine du transport ou de la distribution d’explosifs.

 Sur le cinquième grief, relatif à l’autorisation du personnel

 Argumentation des parties

53     La Commission rappelle que, en Espagne, les membres du personnel d’une entreprise étrangère de sécurité privée doivent, dans tous les cas, obtenir une autorisation administrative spécifique. Cependant, il n’existerait aucune clause de reconnaissance d’une autorisation déjà délivrée dans l’État membre d’établissement de l’entreprise en question, même si les exigences en la matière y sont analogues à celles en vigueur en Espagne. Cette formalité constituerait une entrave importante à la libre prestation des services, puisqu’une entreprise étrangère ne peut pas transférer en Espagne du personnel agréé dans son État d’établissement.

54     Le gouvernement espagnol explique que la réglementation nationale exige du personnel de sécurité privée la formation la plus longue au niveau européen. Ses exigences seraient donc très différentes de celles en vigueur dans les autres États membres, de sorte qu’il ne peut en principe pas y avoir d’«exigences analogues» permettant la comparaison des régimes juridiques.

 Appréciation de la Cour

55     La Cour a déjà jugé que la condition selon laquelle les membres du personnel d’une entreprise de sécurité privée doivent obtenir une nouvelle autorisation spécifique dans l’État membre d’accueil constitue une restriction non justifiée à la libre prestation de services de cette entreprise au sens de l’article 49 CE, dans la mesure où elle ne tient pas compte des contrôles et des vérifications déjà effectués dans l’État membre d’origine (arrêts Commission/Portugal, précité, point 66, et du 7 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑189/03, Rec. p. I-9289, point 30).

56     De même, s’agissant de la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE, la condition susmentionnée peut rendre plus difficile la constitution d’un établissement secondaire dans l’État membre d’accueil. Elle constitue donc une entrave à l’exercice, par les entreprises de sécurité privée étrangères, de leur liberté d’établissement en Espagne.

57     Pour ce qui est de la justification de cette entrave, la Cour a jugé que, en cas d’établissement dans un autre État membre, une entreprise est en principe tenue de remplir les mêmes conditions que celles qui valent pour les ressortissants de l’État membre d’accueil (arrêt Gebhard, précité, point 36). Cela étant, l’application générale d’une procédure d’autorisation administrative aux entreprises de sécurité étrangères n’est pas en tant que telle contraire à l’article 43 CE. Cependant, comme l’a, à juste titre, fait remarquer Mme l’avocat général aux points 84 et 85 de ses conclusions, la réglementation espagnole ne prévoit pas la possibilité de prendre en compte les exigences auxquelles les différents membres du personnel de ces entreprises répondent déjà dans leur État membre d’origine. Or, une telle rigueur va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime de contrôle du personnel susvisé.

58     L’argument du gouvernement espagnol, selon lequel ses exigences seraient très différentes de celles en vigueur dans les autres États membres, de sorte qu’il ne peut en principe pas y avoir d’«exigences analogues» permettant la comparaison des régimes juridiques respectifs, est dépourvu de pertinence.

59     Dans ces conditions, le cinquième grief est également fondé.

 Sur le sixième grief, concernant la reconnaissance des qualifications professionnelles

 Argumentation des parties

60     La Commission rappelle que les professions régies par le règlement sur la sécurité privée sont des professions réglementées au sens des directives 89/48 et 92/51, dans la mesure où leur exercice est subordonné à la possession de certaines qualifications. Toutefois, ces professions ne figuraient pas sur les listes annexées aux décrets transposant ces deux directives en droit interne, et aucune autre disposition du droit espagnol ne prévoit la possibilité de reconnaissance des qualifications obtenues en la matière dans les autres États membres. La Commission rappelle que, en raison de sa validité permanente et non limitée dans le temps, l’habilitation requise par la réglementation espagnole constitue bel et bien une «attestation de compétence» visée par la directive 92/51.

61     Selon le gouvernement espagnol, aucune desdites directives n’a été enfreinte. En effet, ni l’accès aux professions du secteur de la sécurité privée ni leur exercice ne seraient subordonnés à la possession d’une quelconque «attestation de compétence». Quant à la formation exigée par la législation nationale, elle ne serait acquise qu’après l’embauche de l’intéressé. De plus, et contrairement à ce que soutient la Commission, l’habilitation requise par la loi sur la sécurité privée serait limitée dans le temps. En effet, aux termes de l’article 10 de ladite loi, lorsqu’un membre du personnel d’une entreprise de sécurité privée «reste inactif pendant une durée supérieure à deux ans, il doit se soumettre à de nouvelles épreuves pour pouvoir exercer ses fonctions». Par conséquent, il ne s’agirait pas d’une «attestation de compétence», et la situation visée par le grief ne rentre pas dans le champ d’application des directives 89/48 et 92/51.

 Appréciation de la Cour

62     Il y a lieu de constater d’emblée que la Commission allègue un manquement, à la fois, à la directive 89/48 et à la directive 92/51. Toutefois, il convient de rappeler que ces deux directives ont un champ d’application différent. En particulier, la directive 89/48 est relative aux diplômes d’enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans. Toutefois, il ne ressort pas de la requête présentée par la Commission que les qualifications dont doivent bénéficier, en Espagne, les membres du personnel des entreprises de sécurité privée et les détectives privés, supposent que ceux-ci aient accompli une formation dans l’enseignement supérieur d’une durée de trois ans au minimum. La Commission n’a donc pas démontré en quoi et comment les professions susmentionnées entreraient dans le champ d’application de la directive 89/48.

63     S’agissant de la directive 92/51, les parties s’accordent à dire que le personnel de sécurité des entreprises de sécurité privée exerce en Espagne une profession réglementée au sens de l’article 1er, sous e), de cette directive. Toutefois, afin de déterminer si ladite directive est applicable à cette activité, il convient de rechercher si, d’après la réglementation espagnole, l’octroi d’une autorisation administrative au personnel de sécurité privée est subordonné à la possession d’une attestation de compétence au sens de l’article 1er, sous c), de la même directive. Or, ainsi que l’a, à juste titre, indiqué Mme l’avocat général aux points 96 à 100 de ses conclusions, la Commission n’a pas clairement indiqué quelles seraient, précisément, les attestations de compétence formelles exigées par les autorités espagnoles dans le domaine de la sécurité privée. Dès lors, le grief concernant la directive 92/51 est également non fondé, pour autant qu’il vise ce domaine.

64     S’agissant, en revanche, de la profession de détective privé, l’article 54, paragraphe 5, sous b), du règlement sur la sécurité privée exige des personnes concernées qu’elles soient titulaires d’un diplôme de détective privé. L’octroi de ce diplôme est subordonné aux conditions de posséder un certain niveau de formation, d’avoir suivi des cours spéciaux et d’avoir réussi des examens conformément aux dispositions réglementaires particulières. Il convient de constater que, même si ce document ne constitue pas un «diplôme» au sens strict du terme, en ce sens qu’il n’exige pas une formation d’un an au moins, il correspond sans aucun doute à la notion d’«attestation de compétence», au sens de l’article 1er, sous c), second tiret, de la directive 92/51, dans la mesure où il est délivré à la suite d’une appréciation des qualités personnelles, des aptitudes ou des connaissances de l’intéressé, essentielles pour l’exercice des professions concernées. La réglementation espagnole entre donc dans le champ d’application de celle-ci.

65     Or, il y a lieu de constater que, pour ce qui est de la profession de détective privé, il n’existe à ce jour en Espagne aucun système de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, contrairement aux exigences de la directive 92/51.

66     Dans ces conditions, le sixième grief est fondé dans la mesure où il porte sur la reconnaissance des attestations de compétence professionnelle pour l’exercice de l’activité de détective privé.

 Sur les dépens

67     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans la présente affaire, la Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne, et celui-ci ayant succombé dans le cadre des premier à troisième ainsi que cinquième griefs invoqués par la Commission, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à ceux-ci.

68     S’agissant du grief relatif à la nationalité qui a été abandonné par la Commission, chacune des parties a demandé que l’autre partie soit condamnée aux dépens. Il convient donc de faire application de l’article 69, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de procédure , et la Commission doit être condamnée aux dépens, à moins qu’il apparaisse justifié de mettre les dépens à la charge du défendeur en vertu de son attitude. Or, comme Mme l’avocat général l’a, à juste titre, exposé aux points 109 et 110 de ses conclusions, le Royaume d’Espagne n’ayant que tardivement modifié le règlement sur la sécurité privée, son attitude a généré le recours de la Commission. Dans ces conditions, il convient de mettre à la charge de cet État membre les dépens relatifs au grief retiré.

69     Eu égard à ce qui précède, et vu le fait que, en ce qui concerne les quatrième et sixième griefs, il n’a été fait droit au recours de la Commission que partiellement, il convient de condamner le Royaume d’Espagne aux trois quarts des dépens de la Commission et de décider que, pour le surplus, chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En maintenant en vigueur des dispositions de la loi n° 23/1992, du 30 juillet 1992, relative à la sécurité privée, et du décret royal n° 2364/1994, du 9 décembre 1994, portant approbation du règlement relatif à la sécurité privée, qui imposent aux entreprises étrangères de sécurité privée une série de conditions pour exercer leurs activités en Espagne, à savoir l’obligation:

–        d’être constituées sous la forme d’une personne morale;

–        de disposer d’un capital social minimal déterminé;

–       de verser une caution auprès d’un organisme espagnol;

–       d’employer un nombre minimal de salariés, dans la mesure où l’entreprise en question exerce ses activités dans d’autres domaines que celui du transport et de la distribution d’explosifs;

–       générale, pour les membres de leur personnel, d’être titulaires d’une autorisation administrative spéciale délivrée par les autorités espagnoles, et

en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour assurer la reconnaissance des attestations de compétence professionnelle pour l’exercice de l’activité de détective privé, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, d’une part des articles 43 CE et 49 CE, ainsi que, d’autre part, de la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux trois quarts des dépens de la Commission des Communautés européennes et supporte ses propres dépens.

4)      La Commission des Communautés européennes supporte le quart de ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.