Affaire C-433/03

Commission des Communautés européennes

contre

République fédérale d'Allemagne

«Manquement d'État — Négociation, conclusion, ratification et mise en œuvre d'accords bilatéraux par un État membre — Transports de marchandises ou de personnes par voie navigable — Compétence externe de la Communauté — Article 10 CE — Règlements (CEE) nº 3921/91 et (CE) nº 1356/96»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 10 mars 2005 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 juillet 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Recours en manquement — Objet du litige — Détermination au cours de la procédure précontentieuse — Modification ultérieure dans un sens restrictif — Admissibilité

(Art. 226 CE)

2.     Recours en manquement — Examen du bien-fondé par la Cour — Situation à prendre en considération — Situation à l'expiration du délai fixé par l'avis motivé

(Art. 226 CE)

3.     Accords internationaux — Compétence de la Communauté — Création d'une compétence externe exclusive de la Communauté du fait de l'exercice de sa compétence interne — Conditions — Transport par voie navigable — Règlement nº 3921/91 — Insuffisance de la réglementation communautaire pour opérer le transfert de la compétence externe exclusive à la Communauté

(Art. 71, § 1, CE et 80, § 1, CE; règlement du Conseil nº 3921/91)

4.     Procédure — Requête introductive d'instance — Objet du litige — Définition — Modification en cours d'instance — Interdiction

5.     États membres — Obligations — Obligation de coopération — Décision autorisant la Commission à négocier un accord multilatéral au nom de la Communauté — Devoirs des États membres — Devoirs d'action et d'abstention — Portée

(Art. 10 CE)

1.     S'il est vrai que l'objet du recours introduit en vertu de l'article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition et que, par conséquent, l'avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques, cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu'à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite dans leur formulation, dès lors que l'objet du litige n'a pas été étendu ou modifié mais a été, au contraire, simplement restreint.

(cf. point 28)

2.     L'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour.

(cf. point 32)

3.     La Communauté acquiert une compétence externe exclusive du fait de l'exercice de sa compétence interne, lorsque les engagements internationaux relèvent du domaine d'application des règles communes ou, en tout cas, d'un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles, et ce même s'il n'existe aucune contradiction entre celles-ci et lesdits engagements.

Ainsi, lorsque la Communauté a inclus dans ses actes législatifs internes des clauses relatives au traitement à réserver aux ressortissants de pays tiers ou qu'elle a conféré expressément à ses institutions une compétence pour négocier avec les pays tiers, elle acquiert une compétence externe exclusive dans la mesure couverte par ces actes.

Il en va également ainsi, même en l'absence de clause expresse habilitant ses institutions à négocier avec des pays tiers, lorsque la Communauté a réalisé une harmonisation complète dans un domaine déterminé, car les règles communes ainsi adoptées pourraient être affectées si les États membres conservaient une liberté de négociation avec les pays tiers.

Pour ce qui concerne la détermination des conditions d'admission des transporteurs non communautaires aux transports nationaux par voie navigable, la Communauté n'a pas acquis une compétence externe exclusive. En effet, le règlement nº 3921/91, fixant les conditions de l'admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable dans un État membre, ne régit pas la situation desdits transporteurs dans la mesure où il ne vise que les transporteurs établis dans un État membre et où l'harmonisation réalisée par celui-ci n'a pas de ce fait un caractère complet.

(cf. points 44-48, 50, 52-53)

4.     Une partie ne peut, en cours d'instance, modifier l'objet même du litige, de sorte que le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d'instance.

(cf. point 61)

5.     Le devoir de coopération loyale, imposé par l'article 10 CE, est d'application générale et ne dépend ni du caractère exclusif ou non de la compétence communautaire concernée ni du droit éventuel, pour les États membres, de contracter des obligations envers des États tiers.

En particulier, les États membres sont tenus à des devoirs particuliers d'action et d'abstention dans une situation où la Commission a soumis au Conseil des propositions qui, bien qu'elles n'aient pas été adoptées par celui-ci, constituent le point de départ d'une action communautaire concertée.

Il s'ensuit que l'adoption par le Conseil d'une décision autorisant la Commission à négocier un accord multilatéral au nom de la Communauté, laquelle marque le début d'une action communautaire concertée sur le plan international, implique, à ce titre, sinon un devoir d'abstention dans le chef des États membres, à tout le moins une obligation de coopération étroite entre ces derniers et les institutions communautaires de manière à faciliter l'accomplissement de la mission de la Communauté ainsi qu'à garantir l'unité et la cohérence de l'action et de la représentation internationales de cette dernière.

(cf. points 64-66)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 juillet 2005 (*)

«Manquement d’État – Négociation, conclusion, ratification et mise en œuvre d’accords bilatéraux par un État membre – Transports de marchandises ou de personnes par voie navigable – Compétence externe de la Communauté – Article 10 CE – Règlements (CEE) nº 3921/91 et (CE) nº 1356/96»

Dans l’affaire C-433/03,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 10 octobre 2003,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme  C. Schmidt ainsi que par MM. W. Wils et A. Manville, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. W.-D. Plessing, en qualité d’agent, assisté de Me G. Schohe, Rechtsanwalt,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. C. Gulmann, J. Makarczyk et P. Kūris, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 mars 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

a)      en ayant individuellement négocié, conclu, ratifié et mis en œuvre:

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la Roumanie sur la navigation intérieure, signé à Bonn le 22 octobre 1991 (BGBl. 1993 II, p. 770, ci-après l’«accord conclu avec la Roumanie»),

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la République de Pologne sur la navigation intérieure, signé à Varsovie le 8 novembre 1991 (BGBl. 1993 II, p. 779, ci-après l’«accord conclu avec la Pologne»), et

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de l’Ukraine sur la navigation intérieure, signé à Bonn le 14 juillet 1992 (BGBl. 1994 II, p. 258, ci-après l’«accord conclu avec l’Ukraine»), et

b)      en refusant de dénoncer les accords conclus avec la Roumanie, la Pologne et l’Ukraine ainsi que:

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la République socialiste tchécoslovaque
sur la navigation intérieure, signé à Prague le 26 janvier 1988
(BGBl. 1989 II, p. 1035, ci-après l’«accord conclu avec la Tchécoslovaquie»), et

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la République populaire de Hongrie sur
la navigation intérieure, signé à Budapest le 15 janvier 1988
(BGBl. 1989 II, p. 1026, ci-après l’«accord conclu avec la Hongrie»),

la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 CE et du règlement (CEE) nº 3921/91 du Conseil, du 16 décembre 1991, fixant les conditions de l’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable dans un État membre (JO L 373, p. 1), en ce qui concerne les accords mentionnés sous a), ainsi que du règlement (CE) nº 1356/96 du Conseil, du 8 juillet 1996, concernant des règles communes applicables aux transports de marchandises ou de personnes par voie navigable entre États membres, en vue de réaliser dans ces transports la libre prestation de services (JO L 175, p. 7), en ce qui concerne les accords mentionnés sous b).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

 Les dispositions du traité CE

2       L’article 10 CE est libellé comme suit:

«Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.

Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.»

3       En ce qui concerne la matière des transports, l’article 70 CE prévoit que les objectifs du traité sont poursuivis par les États membres dans le cadre d’une politique commune.

4       L’article 71, paragraphe 1, CE dispose:

«En vue de réaliser la mise en œuvre de l’article 70 et compte tenu des aspects spéciaux des transports, le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, établit:

a)      des règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres;

b)      les conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre;

c)      les mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports;

d)      toutes autres dispositions utiles.»

5       Sur le fondement de cette dernière disposition, le Conseil a adopté les règlements nos  3921/91 et 1356/96.

 Le règlement nº 3921/91

6       Selon son troisième considérant, le règlement nº 3921/91 vise à ce que les transporteurs non résidents soient admis à effectuer des transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable dans les mêmes conditions que celles que l’État membre concerné impose à ses propres transporteurs.

7       À cette fin, l’article 1er, premier alinéa, de ce règlement prévoit que, à partir du 1er janvier 1993, tout transporteur de marchandises ou de personnes par voie navigable est admis à effectuer des transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable pour compte d’autrui dans un État membre dans lequel il n’est pas établi, pratique dénommée «cabotage», à condition qu’il soit établi dans un État membre en conformité avec la législation de celui-ci et, le cas échéant, qu’il y soit habilité à effectuer des transports internationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable. Le second alinéa de cet article prévoit que, s’il satisfait à ces conditions, ledit transporteur peut exercer le cabotage à titre temporaire dans l’État membre concerné, sans y créer un siège ou un autre établissement.

8       En outre, l’article 2, paragraphe 1, du même règlement dispose que, pour être admis à effectuer le cabotage, le transporteur ne peut utiliser que des bateaux dont le propriétaire ou les propriétaires sont des personnes physiques qui ont leur domicile dans un État membre et sont des ressortissants d’un État membre ou des personnes morales qui ont leur siège social dans un État membre et appartiennent en majorité à des ressortissants des États membres.

9       Enfin, selon l’article 6 du règlement nº 3921/91, les dispositions de celui-ci n’affectent pas les droits existant au titre de la convention révisée pour la navigation du Rhin, signée à Mannheim le 17 octobre 1868 (ci-après la «convention de Mannheim»).

 Le règlement nº 1356/96

10     Ainsi qu’il résulte de son intitulé et de son deuxième considérant, le règlement nº 1356/96 a pour objectif de réaliser la libre prestation de services dans le domaine des transports de marchandises ou de personnes par voie navigable entre États membres par l’élimination de toutes restrictions à l’égard du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu’il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie.

11     Les articles 1er et 2 de ce règlement prévoient que tout transporteur de marchandises ou de personnes par voie navigable est admis à effectuer des opérations de transport entre États membres et en transit par ceux-ci, sans discrimination en raison de la nationalité et de son lieu d’établissement. Ledit article 2 énonce également les conditions de cette admission.

12     Aux termes de l’article 3 du même règlement, les dispositions de celui-ci «n’affectent pas les droits existant pour les transporteurs des pays tiers au titre de la convention révisée pour la navigation du Rhin (convention de Mannheim), de la convention pour la navigation sur le Danube (convention de Belgrade), ni les droits découlant des obligations internationales de la Communauté».

 Les accords bilatéraux conclus par la République fédérale d’Allemagne

13     Les accords mentionnés au point 1 du présent arrêt (ci-après, ensemble, les «accords bilatéraux») contiennent des dispositions relatives à l’utilisation réciproque des voies navigables par les bateaux des parties contractantes pour les transports de personnes et de marchandises.

14     Ces accords prévoient notamment que les transports de personnes et/ou de marchandises effectués par les bateaux d’une partie contractante entre des ports de l’autre partie (cabotage) et les transports de personnes et/ou de marchandises effectués par les bateaux d’une partie contractante entre des ports de l’autre partie et ceux d’un État tiers (liaison avec les États tiers) sont soumis à une autorisation spéciale des autorités compétentes des parties contractantes concernées.

15     Les accords conclus avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie ont été ratifiés par deux lois du 14 décembre 1989 et sont entrés en vigueur respectivement les 31 janvier et 4 mai 1990. Les accords conclus avec la Roumanie et la Pologne ont été ratifiés par deux lois du 19 avril 1993 et sont entrés en vigueur respectivement les 9 juillet et 1er novembre 1993. L’accord conclu avec l’Ukraine a été ratifié par une loi du 2 février 1994 et est entré en vigueur le 1er juillet 1994.

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

16     Le 28 juin 1991, la Commission a soumis au Conseil une recommandation de décision relative à l’ouverture de négociations concernant la conclusion d’un accord multilatéral entre la Communauté et les pays tiers dans le domaine du transport de personnes et de marchandises par voie navigable.

17     Par décision du 7 décembre 1992, le Conseil «a autorisé la Commission à négocier un accord multilatéral concernant les règles applicables au transport fluvial de voyageurs et de marchandises entre la Communauté économique européenne, d’une part, la Pologne et les États contractants de la convention du Danube (Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, ex-URSS, ex-Yougoslavie et Autriche), d’autre part» (ci-après la «décision du Conseil du 7 décembre 1992»).

18     À la suite de cette décision du Conseil, la Commission a, par lettre du 20 avril 1993, demandé à plusieurs États membres, dont la République fédérale d’Allemagne, «de s’abstenir de toutes initiatives susceptibles de compromettre le bon déroulement des négociations engagées au niveau communautaire et, en particulier, de renoncer à la ratification des accords déjà paraphés ou signés ainsi qu’à l’ouverture de nouvelles négociations avec des pays de l’Europe centrale et orientale en matière de navigation intérieure».

19     Le 8 avril 1994, le Conseil a décidé qu’une priorité devait être accordée à la conduite des négociations avec la République tchèque, la République de Hongrie, la République de Pologne et la République slovaque.

20     Les négociations multilatérales conduites par la Commission ont abouti, le 5 août 1996, au paraphe d’un projet d’accord multilatéral, sur la base duquel celle-ci a présenté au Conseil, le 13 décembre 1996, une proposition de décision relative à la conclusion de l’accord établissant les conditions régissant le transport par voie navigable de marchandises et de passagers entre la Communauté européenne, d’une part, et la République tchèque, la République de Pologne et la République slovaque, d’autre part.

21     À ce jour toutefois, aucun accord multilatéral n’a été conclu par la Communauté avec les pays concernés.

22     Par une lettre de mise en demeure du 10 avril 1995 et une lettre de mise en demeure complémentaire du 24 novembre 1998, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE et a demandé à la République fédérale d’Allemagne de dénoncer les accords bilatéraux.

23     Le gouvernement allemand ayant contesté, dans ses réponses des 23 juin 1995 et 26 février 1999, que la conclusion des accords bilatéraux constituât une violation du droit communautaire, la Commission a, le 28 février 2000, émis un avis motivé invitant la République fédérale d’Allemagne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

24     Estimant que la situation demeurait insatisfaisante, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur la recevabilité

25     Le gouvernement allemand soutient en premier lieu que le recours est irrecevable en ce qui concerne les accords conclus avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie. En effet, ces derniers n’auraient pas été examinés dans l’avis motivé.

26     Il suffit de relever à cet égard que, en ce qui concerne le grief relatif à l’incompatibilité des accords bilatéraux avec le règlement nº 1356/96, l’avis motivé vise de manière non équivoque et à plusieurs reprises les accords conclus avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie et que, au point 2 de sa réponse à l’avis motivé, la République fédérale d’Allemagne a explicitement pris position sur cette question.

27     Le gouvernement allemand conteste en second lieu la recevabilité du recours dans la mesure où la Commission y fait référence aux arrêts du 5 novembre 2002, dits «Ciel ouvert», Commission/Royaume-Uni (C‑466/98, Rec. p. I‑9427); Commission/Danemark (C‑467/98, Rec. p. I‑9519); Commission/Suède (C‑468/98, Rec. p. I‑9575); Commission/Finlande (C‑469/98, Rec. p. I‑9627); Commission/Belgique (C‑471/98, Rec. p. I‑9681); Commission/Luxembourg (C‑472/98, Rec. p. I‑9741); Commission/Autriche (C‑475/98, Rec. p. I‑9797), et Commission/Allemagne (C‑476/98, Rec. p. I‑9855), alors que ces derniers ont été prononcés après la clôture de la procédure précontentieuse. Selon le gouvernement allemand, avant d’introduire le recours en manquement, la Commission aurait dû adresser à la République fédérale d’Allemagne un nouvel avis motivé faisant état de ce nouveau contexte jurisprudentiel.

28     S’il est vrai que l’objet du recours introduit en vertu de l’article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition et que, par conséquent, l’avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques, cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu’à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite dans leur formulation, dès lors que l’objet du litige n’a pas été étendu ou modifié mais a été, au contraire, simplement restreint (voir, notamment, arrêts du 16 septembre 1997, Commission/Italie,
C-279/94, Rec. p. I-4743, points 24 et 25; du 25 avril 2002, Commission/France, C‑52/00, Rec. p. I–3827, point 44, et du 11 juillet 2002, Commission/Espagne, C‑139/00, Rec. p. I-6407, points 18 et 19).

29     Or, en se référant dans sa requête aux arrêts Ciel ouvert, précités, la Commission a simplement entendu faire état de la jurisprudence la plus récente relative aux principes régissant la compétence externe exclusive de la Communauté, sans étendre, modifier ni même restreindre l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé du 28 février 2000.

30     Il résulte de ce qui précède que le recours est recevable.

 Sur le recours

31     À titre liminaire, le gouvernement allemand demande à la Cour de constater que le recours est devenu sans objet en ce qui concerne les accords conclus avec la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Pologne, en raison de l’adhésion à l’Union européenne, le 1er mai 2004, de la République tchèque, de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République slovaque.

32     À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 11 octobre 2001, Commission/Autriche, C‑110/00, Rec. p. I‑7545, point 13, et du 19 février 2004, Commission/Luxembourg, C-310/03, Rec. p. I‑1969, point 7).

33     En l’espèce, le délai imparti dans l’avis motivé a expiré le 28 avril 2000, de sorte que l’adhésion de la République tchèque, de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République slovaque à l’Union européenne est sans incidence sur le présent litige.

34     La Commission soulève trois griefs à l’appui de son recours. En premier lieu, elle reproche à la République fédérale d’Allemagne d’avoir violé la compétence externe exclusive de la Communauté au sens de l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» (22/70, Rec. p. 263). En deuxième lieu, elle invoque une violation de l’article 10 CE. En troisième lieu, elle soutient que les accords bilatéraux sont incompatibles avec le règlement nº 1356/96.

 Sur le premier grief, tiré d’une violation de la compétence externe exclusive de la Communauté

 Argumentation des parties

35     Par son premier grief, la Commission soutient que, en négociant, en concluant, en ratifiant et en mettant en œuvre les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine, la République fédérale d’Allemagne a violé la compétence externe exclusive de la Communauté pour conclure des accords internationaux au sens de l’arrêt AETR, précité. En effet, ces accords affecteraient les règles communes adoptées par la Communauté dans le règlement nº 3921/91.

36     En particulier, la Commission considère que, en permettant, moyennant une autorisation spéciale, l’accès au cabotage en Allemagne pour des transporteurs des pays tiers concernés, lesdits accords affectent les règles communes contenues dans le règlement nº 3921/91 dans la mesure où celles-ci harmonisent complètement, à partir du 1er janvier 1993, les conditions d’admission au cabotage dans les États membres de la Communauté.

37     La Commission fait valoir à cet égard que le règlement nº 3921/91 vise non seulement les transporteurs communautaires, mais également les transporteurs de pays tiers puisque son article 6 reconnaît les droits d’accès des transporteurs suisses en vertu de la convention de Mannheim.

38     Le gouvernement allemand soutient que les dispositions prévues par les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine ne relèvent pas du champ d’application du règlement nº 3921/91 ou d’un domaine déjà couvert en grande partie par celui-ci, de sorte que ces accords n’affectent pas les règles communes adoptées par la Communauté dans ledit règlement.

39     En effet, le gouvernement allemand considère que le règlement nº 3921/91 présente un caractère purement interne. Ce dernier n’organiserait que le cabotage sur les voies navigables d’un État membre par des transporteurs établis dans d’autres États membres et ne contiendrait aucune clause concernant les conditions dans lesquelles des transporteurs de pays tiers pourraient être autorisés à fournir des prestations de cabotage sur les voies navigables de la Communauté.

40     À cet égard, le gouvernement allemand fait valoir que le renvoi à la convention de Mannheim, figurant à l’article 6 du règlement nº 3921/91, ne saurait être interprété comme une clause relative au traitement à réserver aux ressortissants de pays tiers. Cette disposition ne concernerait que la Suisse et ne ferait que confirmer les droits découlant pour cette dernière de ladite convention.

 Appréciation de la Cour

41     Il y a lieu de relever que, si le traité n’attribue pas de manière explicite une compétence externe à la Communauté en matière de transports par voie navigable, les articles 71, paragraphe 1, CE et 80, paragraphe 1, CE prévoient néanmoins un pouvoir d’action de la Communauté dans ce domaine.

42     Or, aux points 16 à 18 et 22 de son arrêt AETR, précité, la Cour a jugé que la compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux résulte non seulement d’une attribution explicite par le traité, mais peut découler également d’autres dispositions du traité et d’actes pris, dans le cadre de ces dispositions, par les institutions de la Communauté. En particulier, chaque fois que, pour la mise en œuvre d’une politique commune prévue par le traité, la Communauté a pris des dispositions instaurant, sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États membres ne sont plus en droit, qu’ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces règles. En effet, au fur et à mesure de l’instauration de ces règles communes, la Communauté seule est en mesure d’assumer et d’exécuter, avec effet pour l’ensemble du domaine d’application de l’ordre juridique communautaire, les engagements contractés à l’égard d’États tiers. Dans la mesure où des règles communautaires sont arrêtées pour réaliser les buts du traité, les États membres ne peuvent, hors du cadre des institutions communes, prendre des engagements susceptibles d’affecter lesdites règles ou d’en altérer la portée.

43     En effet, si les États membres restaient libres de conclure des engagements internationaux affectant des règles communes, la réalisation de l’objectif poursuivi par ces règles de même que celle de la mission de la Communauté et des buts du traité seraient compromises (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, C‑266/03, non encore publié au Recueil, point 41).

44     Les conditions dans lesquelles la portée des règles communes peut être affectée ou altérée par des engagements internationaux pris par les États membres et, partant, les conditions dans lesquelles la Communauté acquiert une compétence externe exclusive du fait de l’exercice de sa compétence interne ont notamment été rappelées par la Cour dans ses arrêts Ciel ouvert, précités.

45     Tel est le cas lorsque ces engagements internationaux relèvent du domaine d’application des règles communes ou, en tout cas, d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles, et ce même s’il n’existe aucune contradiction entre celles-ci et lesdits engagements (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 108).

46     C’est ainsi que, lorsque la Communauté a inclus dans ses actes législatifs internes des clauses relatives au traitement à réserver aux ressortissants de pays tiers ou qu’elle a conféré expressément à ses institutions une compétence pour négocier avec les pays tiers, elle acquiert une compétence externe exclusive dans la mesure couverte par ces actes (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 109).

47     Il en va également ainsi, même en l’absence de clause expresse habilitant ses institutions à négocier avec des pays tiers, lorsque la Communauté a réalisé une harmonisation complète dans un domaine déterminé, car les règles communes ainsi adoptées pourraient être affectées au sens de l’arrêt AETR, précité, si les États membres conservaient une liberté de négociation avec les pays tiers (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 110).

48     Ainsi qu’il résulte de son intitulé et de ses articles 1er et 2, le règlement nº 3921/91 fixe les conditions de l’admission aux transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable dans un État membre en ce qui concerne les seuls transporteurs communautaires. En effet, ces dispositions ne visent que les transporteurs de marchandises ou de personnes par voie navigable établis dans un État membre et qui utilisent des bateaux dont le ou les propriétaires sont des personnes physiques qui ont leur domicile dans un État membre et sont des ressortissants d’un État membre ou des personnes morales qui ont leur siège social dans un État membre et qui appartiennent en majorité à des ressortissants des États membres (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 46).

49     La référence aux droits existant au titre de la convention de Mannheim, figurant à l’article 6 du règlement nº 3921/91, ne saurait conduire à une conclusion différente puisque, par cette disposition, la Communauté ne fait que prendre acte des droits découlant pour la Suisse de cette convention (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 47).

50     Il s’ensuit que le règlement nº 3921/91 ne régit pas les conditions d’admission des transporteurs non communautaires aux transports nationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable dans un État membre (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 48).

51     Les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine ne relevant pas d’un domaine déjà couvert par le règlement nº 3921/91, ils ne sauraient dès lors être considérés comme affectant celui-ci pour le motif invoqué par la Commission.

52     En outre, le fait même que le règlement nº 3921/91 ne régit pas la situation des transporteurs établis dans des pays tiers qui opèrent à l’intérieur de la Communauté démontre que l’harmonisation réalisée par ce règlement n’a pas un caractère complet.

53     Dès lors, la Commission n’est pas fondée à soutenir que la Communauté a acquis une compétence externe exclusive, au sens de l’arrêt AETR, précité, dans le domaine régi par les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine.

54     Dans ces conditions, le premier grief doit être rejeté.

 Sur le deuxième grief, tiré d’une violation de l’article 10 CE

 Argumentation des parties

55     Par son deuxième grief, la Commission soutient que, en ratifiant et en mettant en œuvre les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine après que le Conseil eut décidé, le 7 décembre 1992, de l’autoriser à négocier un accord multilatéral au nom de la Communauté et que, dans sa lettre du 20 avril 1993, elle ait demandé au gouvernement allemand de renoncer à la ratification de ces accords, la République fédérale d’Allemagne a compromis la mise en œuvre de cette décision et manqué ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 CE. En effet, la négociation par la Commission d’un accord multilatéral au nom de la Communauté ainsi que sa conclusion ultérieure par le Conseil seraient rendues plus difficiles par l’interférence des initiatives individuelles d’un État membre.

56     Dans sa réplique, la Commission ajoute que le maintien en vigueur, par une communication du 24 mars 1993, publiée le 22 avril 1993 au Bundesgesetzblatt (BGBl. 1993 II, p. 762), de l’accord conclu avec la Tchécoslovaquie constitue également une violation de l’article 10 CE.

57     Le gouvernement allemand soutient que les États membres ne sauraient, en vertu du principe de coopération loyale, être contraints de dénoncer des accords bilatéraux déjà conclus avec des pays tiers en raison du fait que des négociations ont été engagées par la Commission dans le même domaine que celui régi par ces accords. En effet, dans la mesure où l’issue de telles négociations et la conclusion d’un accord multilatéral au nom de la Communauté sont, par nature, incertaines, une telle dénonciation aurait pour effet de créer une situation de vide juridique jusqu’à l’entrée en vigueur éventuelle d’un tel accord multilatéral.

58     En tout état de cause, ledit gouvernement considère qu’il s’est conformé aux exigences de l’article 10 CE puisque, après avoir consulté la Commission pendant la négociation des accords bilatéraux, il s’est engagé à les dénoncer dès la conclusion d’un accord communautaire et a réduit à six mois le délai de dénonciation de ceux-ci.

59     Il fait également valoir que les accords bilatéraux ont été signés avant l’adoption de la décision du Conseil du 7 décembre 1992.

 Appréciation de la Cour

60     S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité du grief relatif au maintien en vigueur de l’accord conclu avec la Tchécoslovaquie, il y a lieu de constater qu’il a été soulevé par la Commission dans son mémoire en réplique et que, partant, il ne saurait être examiné par la Cour. En effet, un tel grief n’est pas mentionné par la Commission dans sa requête introductive d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Commission/Belgique, 298/86, Rec. p. 4343, point 8).

61     Or, selon une jurisprudence constante, une partie ne peut, en cours d’instance, modifier l’objet même du litige, de sorte que le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance (voir, notamment, arrêts du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 3, et du 6 avril 2000, Commission/France, C-256/98, Rec. p. I‑2487, point 31).

62     Par conséquent, dans la mesure où il concerne le maintien en vigueur de l’accord conclu avec la Tchécoslovaquie, le grief de la Commission doit être rejeté comme irrecevable.

63     En ce qui concerne, en second lieu, le bien-fondé dudit grief, il convient de rappeler que l’article 10 CE impose aux États membres de faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission et de s’abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité.

64     Il convient de rappeler également que ce devoir de coopération loyale est d’application générale et ne dépend ni du caractère exclusif ou non de la compétence communautaire concernée ni du droit éventuel, pour les États membres, de contracter des obligations envers des États tiers (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 58).

65     À cet égard, la Cour a déjà jugé que les États membres sont tenus à des devoirs particuliers d’action et d’abstention dans une situation où la Commission a soumis au Conseil des propositions qui, bien qu’elles n’aient pas été adoptées par celui-ci, constituent le point de départ d’une action communautaire concertée (arrêts du 5 mai 1981, Commission/Royaume-Uni, 804/79, Rec. p. 1045, point 28, et du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 59).

66     Or, l’adoption d’une décision autorisant la Commission à négocier un accord multilatéral au nom de la Communauté marque le début d’une action communautaire concertée sur le plan international et implique, à ce titre, sinon un devoir d’abstention dans le chef des États membres, à tout le moins une obligation de coopération étroite entre ces derniers et les institutions communautaires de manière à faciliter l’accomplissement de la mission de la Communauté ainsi qu’à garantir l’unité et la cohérence de l’action et de la représentation internationales de cette dernière (arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 60).

67     En l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 92 de ses conclusions, l’adoption de la décision du Conseil du 7 décembre 1992 a entraîné un changement substantiel du cadre juridique dans lequel les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine s’inscrivaient et rendait nécessaires une coopération et une concertation plus étroites avec la Commission avant de procéder à la ratification ainsi qu’à la mise en œuvre desdits accords.

68     Or, comme l’a par ailleurs souligné M. l’avocat général aux points 90 et 91 de ses conclusions, si des consultations entre le gouvernement allemand et la Commission ont bien eu lieu au moment de la négociation et de la signature des accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine, c’est-à-dire avant l’adoption de la décision du Conseil du 7 décembre 1992, il est constant que, après cette date, la République fédérale d’Allemagne a procédé à la ratification et à la mise en œuvre desdits accords sans avoir coopéré ou s’être concertée avec la Commission.

69     En agissant de la sorte, cet État membre a compromis la mise en œuvre de la décision du Conseil du 7 décembre 1992 et, partant, l’accomplissement de la mission de la Communauté ainsi que la réalisation des buts du traité.

70     La consultation de la Commission s’imposait d’autant plus que cette dernière et le Conseil étaient convenus, pour ce qui concerne la procédure de négociation de l’accord multilatéral au nom de la Communauté, d’appliquer les règles de conduite figurant dans un gentleman’s agreement annexé au mandat de négociation du 7 décembre 1992 et prévoyant une coordination étroite entre la Commission et les États membres. À cet égard, le titre II, point 3, sous d), de ce gentleman’s agreement dispose que, «lors des négociations, la Commission s’exprime au nom de la Communauté et les représentants des États membres n’interviennent qu’à la demande de la Commission» et que «les représentants des États membres s’abstiennent de toute action susceptible d’affecter la bonne exécution de ses tâches par la Commission».

71     S’il est vrai, comme le souligne le gouvernement allemand, que les accords bilatéraux ont été signés avant l’adoption de la décision du Conseil du 7 décembre 1992, il n’en demeure pas moins que les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine ont été ratifiés et mis en œuvre après cette date.

72     Enfin, la circonstance que le gouvernement allemand s’est engagé à dénoncer les accords bilatéraux dès la conclusion d’un accord multilatéral au nom de la Communauté n’est pas de nature à démontrer que l’obligation de coopération loyale prévue à l’article 10 CE a été respectée. En effet, dans la mesure où elle interviendrait après la négociation et la conclusion dudit accord, une telle dénonciation serait dépourvue de tout effet utile puisqu’elle n’aurait nullement facilité les négociations multilatérales conduites par la Commission.

73     Il résulte de ce qui précède que, en ayant ratifié et mis en œuvre les accords conclus avec la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine sans avoir coopéré ou s’être concertée avec la Commission, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 CE.

74     Il s’ensuit que le deuxième grief est fondé dans la mesure indiquée au point précédent.

 Sur le troisième grief, tiré d’une incompatibilité des accords bilatéraux avec le règlement nº 1356/96

 Argumentation des parties

75     Par son troisième grief, la Commission soutient que le maintien, après l’adoption du règlement nº 1356/96, des dispositions des accords bilatéraux qui prévoient la possibilité, pour les bateaux immatriculés dans les pays tiers concernés, de fournir des services de transport par voie navigable entre la République fédérale d’Allemagne et d’autres États membres de la Communauté, moyennant une autorisation spéciale de l’autorité compétente, est incompatible avec les articles 1er et 2 dudit règlement ainsi qu’avec les objectifs généraux de celui-ci.

76     En effet, en permettant l’octroi unilatéral de droits d’accès par la République fédérale d’Allemagne ou du moins en réservant à cet État membre le droit d’octroyer unilatéralement des droits d’accès à des voies navigables communautaires à des transporteurs qui ne remplissent pas les conditions prévues par le règlement nº 1356/96, les accords bilatéraux modifieraient, de manière unilatérale et sans contrôle de la Communauté, la nature et la portée des règles définies par le droit communautaire en matière de libre prestation de services de transport par voie navigable entre États membres. Or, selon la Commission, il est constant que les transporteurs et les entreprises de navigation tchèques, hongrois, polonais, roumains, slovaques et ukrainiens susceptibles d’être autorisés, en application de ces accords, à effectuer des services de transport entre la République fédérale d’Allemagne et les autres États membres de la Communauté ne remplissent aucune de ces conditions.

77     Le gouvernement allemand soutient que les accords bilatéraux ne relèvent pas du champ d’application du règlement nº 1356/96 ou d’un domaine largement couvert par celui-ci.

78     En effet, selon ce gouvernement, le règlement nº 1356/96 a pour unique objectif de mettre en place le marché intérieur en définissant les règles communes applicables aux transports de marchandises ou de personnes par voie navigable entre États membres et ne comporte aucune disposition réglementant l’accès des entreprises de pays tiers aux services de transport de personnes ou de marchandises par voie navigable sur le territoire de la Communauté.

 Appréciation de la Cour

79     Il convient de rappeler que le principal objectif du règlement nº 1356/96 est la réalisation de la libre prestation de services dans le domaine des transports de marchandises ou de personnes par voie navigable entre États membres par l’élimination de toutes restrictions ou discriminations à l’égard du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de son lieu d’établissement.

80     Selon l’article 2 du règlement nº 1356/96, ce régime de libre prestation de services de transport de marchandises ou de personnes par voie navigable bénéficie à tout transporteur qui:

–       est établi dans un État membre en conformité avec la législation de celui-ci,

–       y est habilité à effectuer des transports internationaux de marchandises ou de personnes par voie navigable,

–       utilise pour ces opérations de transport des bateaux de la navigation intérieure immatriculés dans un État membre ou, à défaut d’immatriculation, disposant d’une attestation d’appartenance à la flotte d’un État membre, et

–       satisfait aux conditions figurant à l’article 2 du règlement nº 3921/91, c’est-à-dire utilise des bateaux dont le propriétaire ou les propriétaires sont des personnes physiques qui ont leur domicile dans un État membre et sont des ressortissants d’un État membre ou des personnes morales qui ont leur siège social dans un État membre et appartiennent en majorité à des ressortissants des États membres.

81     Si le règlement nº 1356/96 organise un régime de libre prestation de services de transport par voie navigable entre les États membres de la Communauté en faveur des transporteurs établis dans ces derniers, force est de constater que le système ainsi instauré par ce règlement n’a pas pour objet ou pour effet d’empêcher les transporteurs établis dans des pays tiers ou les bateaux immatriculés dans ceux-ci d’effectuer de tels services entre États membres de la Communauté (voir arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, précité, point 73).

82     Par ailleurs, les accords bilatéraux n’instaurent pas un système de libre prestation de services de transport de marchandises ou de personnes par voie navigable entre États membres en faveur des transporteurs tchèques, hongrois, polonais, slovaques, roumains et ukrainiens, mais se bornent à prévoir la possibilité, moyennant une autorisation spéciale des autorités compétentes des parties auxdits accords, pour les bateaux immatriculés dans les pays tiers concernés, d’effectuer de tels services entre la République fédérale d’Allemagne et d’autres États membres de la Communauté.

83     Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, les dispositions des accords bilatéraux n’ont modifié ni la nature ni la portée des règles du règlement nº 1356/96.

84     Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le troisième grief.

85     Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient, d’une part, de constater que, en ayant ratifié et mis en œuvre les accords bilatéraux sans avoir coopéré ou s’être concertée avec la Commission, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 CE et, d’autre part, de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

86     En vertu de l’article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Étant donné qu’il n’est fait que partiellement droit au recours de la Commission, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En ayant ratifié et mis en œuvre:

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la Roumanie sur la navigation intérieure, signé à Bonn le 22 octobre 1991,

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de la République de Pologne sur la navigation intérieure, signé à Varsovie le 8 novembre 1991, et

–       l’accord entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement de l’Ukraine sur la navigation intérieure, signé à Bonn le 14 juillet 1992,

sans avoir coopéré ou s’être concertée avec la Commission des Communautés européennes, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 CE.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission des Communautés européennes et la République fédérale d’Allemagne supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.