Affaire C-330/03
Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos
contre
Administración del Estado
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo)
«Libre circulation des travailleurs — Reconnaissance des diplômes — Directive 89/48/CEE — Profession d'ingénieur — Reconnaissance partielle et limitée des qualifications professionnelles — Articles 39 CE et 43 CE»
Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 30 juin 2005
Arrêt de la Cour (première chambre) du 19 janvier 2006
Sommaire de l'arrêt
1. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Travailleurs — Reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans — Directive 89/48
(Directive du Conseil 89/48)
2. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Travailleurs — Reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans — Directive 89/48
(Art. 39 CE et 43 CE; directive du Conseil 89/48, art. 4, § 1)
1. La directive 89/48, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, ne s'oppose pas à ce que, lorsque le titulaire d'un diplôme obtenu dans un État membre dépose une demande d'autorisation d'accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, les autorités de ce dernier État fassent partiellement droit à cette demande, si le titulaire du diplôme le demande, en limitant la portée de l'autorisation aux seules activités auxquelles ledit diplôme donne accès dans l'État membre dans lequel il a été obtenu.
(cf. point 26, disp. 1)
2. Les articles 39 CE et 43 CE ne s'opposent pas à ce que, lorsque le titulaire d'un diplôme obtenu dans un État membre dépose une demande d'autorisation préalable d'accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, cet État membre n'accorde pas l'accès partiel à cette profession, limité à l'exercice d'une ou plusieurs activités couvertes par celle-ci, dans la mesure où les lacunes que comporte la formation de l'intéressé par rapport à celle exigée dans l'État membre d'accueil peuvent être effectivement comblées par l'application des mesures de compensation prévues à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 89/48, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans.
En revanche, les articles 39 CE et 43 CE s'opposent à ce que ledit État membre n'accorde pas cet accès partiel, lorsque l'intéressé le demande et que les différences entre les domaines d'activités sont si importantes qu'il faudrait en réalité suivre une formation complète, sauf si le refus dudit accès partiel est justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général, propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et n'allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
(cf. points 27, 39, disp. 2)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
19 janvier 2006 (*)
«Libre circulation des travailleurs – Reconnaissance des diplômes – Directive 89/48/CEE – Profession d’ingénieur – Reconnaissance partielle et limitée des qualifications professionnelles – Articles 39 CE et 43 CE»
Dans l’affaire C-330/03,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 21 juillet 2003, parvenue à la Cour le 29 juillet 2003, dans la procédure
Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos
contre
Administración del Estado,
en présence de:
Giuliano Mauro Imo,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. E. Juhász et E. Levits (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour le Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos, par Me A. González Salinas, abogado,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. A. Cingolo, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. H. Støvlbæk et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 juin 2005,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, premier alinéa, sous a), et 4, paragraphe 1, de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16, ci-après la «directive»), ainsi que des articles 39 CE et 43 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos (ordre des ingénieurs des chaussées, canaux et ports, ci-après le «Colegio») à l’Administración del Estado au sujet d’une demande de M. Imo, ressortissant italien, titulaire d’un diplôme en génie civil, spécialisation hydraulique, délivré en Italie, visant à autoriser cette personne à accéder à la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports en Espagne.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 La directive a pour objet de mettre en œuvre une méthode de reconnaissance des diplômes visant à faciliter aux citoyens européens l’exercice de toutes les activités professionnelles qui sont subordonnées dans un État membre d’accueil à la possession d’une formation postsecondaire, pour autant qu’ils possèdent de tels diplômes qui les préparent à ces activités, sanctionnent un cycle d’études d’au moins trois ans et ont été délivrés dans un autre État membre.
4 Aux termes de l’article 1er, sous c), de la directive, on entend par «profession réglementée» «l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre».
5 L’article 3, premier alinéa, de la directive dispose:
«Lorsque, dans l’État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d’un diplôme, l’autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d’un État membre, pour défaut de qualification, d’accéder à cette profession ou de l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:
a) si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer et qui a été obtenu dans un État membre, […]
[…]»
6 L’article 4, paragraphe 1, de la directive précise:
«L’article 3 ne fait pas obstacle à ce que l’État membre d’accueil exige également du demandeur:
a) qu’il prouve qu’il possède une expérience professionnelle, lorsque la durée de la formation dont il fait état en vertu de l’article 3 points a) et b) est inférieure d’au moins un an à celle requise dans l’État membre d’accueil. […]
[…]
[…]
b) qu’il accomplisse un stage d’adaptation pendant trois ans au maximum ou se soumette à une épreuve d’aptitude:
– lorsque la formation qu’il a reçue, selon l’article 3 points a) et b), porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme requis dans l’État membre d’accueil, ou
– lorsque, dans le cas prévu à l’article 3 point a), la profession réglementée dans l’État membre d’accueil comprend une ou plusieurs activités professionnelles réglementées qui n’existent pas dans la profession réglementée dans l’État membre d’origine ou de provenance du demandeur et que cette différence est caractérisée par une formation spécifique qui est requise dans l’État membre d’accueil et qui porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme dont le demandeur fait état […]
[…]
[…]»
7 L’article 7 de la directive régit le droit pour les personnes bénéficiant du système communautaire de reconnaissance des diplômes de porter leurs titres professionnels et de faire usage de leurs titres de formation. Les paragraphes 1 et 2 de cet article sont libellés de la manière suivante:
«1. L’autorité compétente de l’État membre d’accueil reconnaît aux ressortissants des États membres qui remplissent les conditions d’accès et d’exercice d’une profession réglementée sur son territoire le droit de porter le titre professionnel de l’État membre d’accueil qui correspond à cette profession.
2. L’autorité compétente de l’État membre d’accueil reconnaît aux ressortissants des États membres qui remplissent les conditions d’accès et d’exercice d’une activité professionnelle réglementée sur son territoire le droit de faire usage de leur titre de formation licite de l’État membre d’origine ou de provenance et éventuellement de son abréviation, dans la langue de cet État. L’État membre d’accueil peut prescrire que ce titre soit suivi des noms et lieu de l’établissement ou du jury qui l’a délivré.»
La réglementation nationale
8 La directive a été transposée en droit espagnol par le décret royal n° 1665/1991, du 25 octobre 1991, réglementant le système général de reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés dans les États membres de l’Union européenne qui exigent une formation d’une durée minimale de trois ans (BOE n° 280, du 22 novembre 1991, p. 37916). Les articles 4 et 5 de ce décret reprennent en substance les dispositions des articles 3 et 4 de la directive.
9 En vertu de la législation espagnole, la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports («ingeniero de caminos, canales y puertos») recouvre un large champ d’activités, telles que la conception et la construction d’installations hydrauliques, d’infrastructures de transports terrestres, maritimes et fluviaux, la protection des plages et l’aménagement du territoire, y compris l’aménagement urbain. Il ressort de la décision de renvoi qu’il s’agit d’une profession réglementée, son accès et son exercice étant subordonnés à la possession soit d’un diplôme espagnol, délivré à la suite d’une formation postsecondaire spécifique de six ans, soit d’une formation équivalente acquise dans un autre État membre et reconnue par le ministère du Développement. Toute personne souhaitant exercer cette profession en Espagne doit, au préalable, être affiliée au Colegio, cette affiliation étant conditionnée par la possession de la formation ainsi décrite.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 M. Imo est titulaire d’un diplôme en génie civil, spécialisation hydraulique («laurea in ingegneria civile idraulica»), délivré en Italie et conférant, dans cet État, le droit d’exercer la profession d’ingénieur civil en hydraulique. Le 27 juin 1996, il a saisi le ministère du Développement espagnol d’une demande de reconnaissance de son diplôme afin de pouvoir accéder, en Espagne, à la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports.
11 Par arrêté du 4 novembre 1996, ledit ministère a reconnu le diplôme de M. Imo et a autorisé ce dernier à accéder à la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports sans aucune condition préalable.
12 Le Colegio a formé un recours en annulation à l’encontre de cet arrêté devant l’Audiencia Nacional. Au cours de la procédure, il a insisté sur la différence fondamentale entre la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports, en Espagne, et celle d’ingénieur civil en hydraulique, en Italie, tant sur le plan du contenu de la formation que sur celui des activités couvertes par chacune de ces professions.
13 Par jugement du 1er avril 1998, l’Audiencia Nacional a rejeté ledit recours, au motif, notamment, que le diplôme d’ingénieur civil en hydraulique conférait, en Italie, le droit d’accéder à la même profession que celle d’ingénieur des chaussées, canaux et ports en Espagne. Par ailleurs, cette juridiction a relevé que la formation reçue par le titulaire dudit diplôme d’ingénieur civil incluait les matières fondamentales qui sont exigées en Espagne s’agissant de la branche de la profession d’ingénieur en cause.
14 Le Colegio s’est pourvu en cassation devant le Tribunal Supremo. Ce dernier a constaté d’emblée que les deux formations en question comportaient des différences substantielles importantes et que, dès lors, l’appréciation factuelle faite par l’Audiencia Nacional était erronée.
15 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 3, sous a), lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/48 […], peut-il être interprété en ce sens qu’il autorise l’État d’accueil à procéder à une reconnaissance limitée des qualifications professionnelles d’un demandeur en possession du diplôme d’ingénieur civil en hydraulique («ingegnere civile idraulico») (délivré en Italie) qui désire exercer cette profession dans un autre État membre dont la législation reconnaît comme profession réglementée celle d’ingénieur des chaussées, canaux et ports («ingeniero de caminos, canales y puertos»)? On part de la prémisse selon laquelle cette dernière profession comprend, dans l’État d’accueil, des activités qui ne correspondent pas toujours au diplôme du demandeur et que la formation attestée par ce dernier ne comprend pas certaines matières fondamentales exigées de manière générale pour obtenir le diplôme d’ingénieur des chaussées, canaux et ports dans l’État d’accueil.
2) En cas de réponse affirmative à la première question, est-il conforme aux articles 39 CE et 43 CE de restreindre le droit des demandeurs qui entendent exercer une profession, à titre indépendant ou salarié, dans un autre État membre que celui où ils ont acquis leur qualification professionnelle, de manière à ce que l’État d’accueil puisse exclure, à travers sa législation interne, la reconnaissance limitée des qualifications professionnelles si une telle décision, qui est en principe conforme à l’article 4 de la directive 89/48 […], implique que l’exercice de la profession soit subordonné à des exigences supplémentaires disproportionnées?
Aux fins des questions précitées, il faut entendre par «reconnaissance limitée» une reconnaissance qui autorise le demandeur à exercer son activité d’ingénieur uniquement dans le secteur correspondant (hydraulique) de la profession, plus générale, d’ingénieur des chaussées, canaux et ports réglementée dans l’État d’accueil, sans le soumettre aux exigences supplémentaires prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48 […].»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive s’oppose à ce que, lorsque le titulaire d’un diplôme obtenu dans un État membre dépose une demande d’autorisation d’accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, les autorités de ce dernier État fassent partiellement droit à cette demande, sous certaines conditions, en limitant la portée de l’autorisation aux seules activités auxquelles ledit diplôme donne accès dans l’État membre dans lequel il a été obtenu.
17 Pour répondre à cette question, il y a lieu d’examiner, en premier lieu, le libellé des dispositions pertinentes de la directive, en deuxième lieu, le système et l’économie générale de celle-ci et, en troisième lieu, les objectifs qu’elle poursuit.
18 Tout d’abord, il convient de rappeler que le libellé de la directive n’autorise ni n’interdit expressément la reconnaissance partielle des qualifications professionnelles telle qu’elle est définie par la décision de renvoi. En effet, l’interdiction prévue à l’article 3, premier alinéa, sous a), de la directive ne s’oppose pas à une telle reconnaissance partielle, dans la mesure où une décision prise à la suite de la demande de l’intéressé et autorisant celui-ci à accéder à une partie seulement du champ d’activités couvert par la profession réglementée dans l’État membre d’accueil ne saurait être assimilée à un refus d’accéder à cette profession.
19 Ensuite, s’agissant du système de la directive, il convient de rappeler que le système de reconnaissance mutuelle des diplômes institué par la directive n’implique pas que les diplômes délivrés par les autres États membres attestent d’une formation analogue ou comparable à celle prescrite dans l’État membre d’accueil. En effet, selon le système mis en place par la directive, un diplôme n’est pas reconnu en considération de la valeur intrinsèque de la formation qu’il sanctionne, mais parce qu’il ouvre, dans l’État membre où il a été délivré ou reconnu, l’accès à une profession réglementée. Des différences dans l’organisation ou dans le contenu de la formation acquise dans l’État membre d’origine par rapport à celle dispensée dans l’État membre d’accueil ne sauraient suffire à justifier un refus de reconnaissance de la qualification professionnelle concernée. Tout au plus, si ces différences ont un caractère substantiel, peuvent-elles justifier que l’État membre d’accueil exige du demandeur qu’il satisfasse à l’une ou l’autre des mesures de compensation prévues à l’article 4 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Beuttenmüller, C‑102/02, Rec. p. I-5405, point 52).
20 Il s’ensuit que, ainsi que l’expose, à juste titre, M. l’avocat général aux points 40 à 43 de ses conclusions, l’expression «cette même profession», figurant à l’article 3, premier alinéa, sous a), de la directive, doit être comprise comme visant des professions qui, dans l’État membre d’origine et dans celui d’accueil, sont soit identiques, soit analogues, soit, dans certains cas, simplement équivalentes, en termes d’activités qu’elles recouvrent. Cette interprétation est confirmée par l’article 4, paragraphe 1, sous b), deuxième tiret, de la directive. Dans les cas auxquels cette disposition fait référence, les autorités nationales compétentes sont tenues de prendre en considération chacune des activités couvertes par la profession en cause dans les deux États membres concernés, afin de déterminer s’il s’agit effectivement d’une «même profession» et si, le cas échéant, il y a lieu d’appliquer l’une des mesures de compensation prévues par ladite disposition. Cela signifie que, même si la directive perçoit une profession réglementée comme un tout, elle reconnaît néanmoins l’existence réelle d’activités professionnelles séparées et de formations correspondantes. Par conséquent, une approche distincte propre à chacune des activités professionnelles couvertes par une profession réglementée n’est ni contraire ni étrangère à l’économie générale de la directive.
21 La position contraire défendue à cet égard par les gouvernements espagnol et suédois ne saurait être retenue. En effet, bien que l’article 3, premier alinéa, de la directive consacre le droit d’un ressortissant d’un État membre titulaire d’un diplôme visé par la directive «d’accéder à [la] profession [sanctionnée par ce diplôme] ou de l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux», cette disposition ne saurait être interprétée comme conduisant, toujours et sans aucune exception, à autoriser l’accès total à toutes les activités couvertes par cette profession dans l’État membre d’accueil. Ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 48 à 53 de ses conclusions, ladite expression constitue une simple transcription des principes fondamentaux de non-discrimination et de confiance mutuelle, inhérents au système communautaire de reconnaissance des diplômes.
22 S’agissant de l’article 7, paragraphe 1, de la directive, celui-ci prévoit que les autorités compétentes de l’État membre d’accueil reconnaissent aux ressortissants des autres États membres qui remplissent les conditions d’accès et d’exercice d’une profession réglementée sur son territoire le droit de porter le titre professionnel de l’État membre d’accueil qui correspond à cette profession. Cette disposition, qui vise les conséquences pratiques de l’application des règles prévues aux articles 3 et 4 de la même directive, a pour but de faciliter l’assimilation des ressortissants des autres États membres, qui y ont obtenu leurs diplômes, aux ressortissants de l’État membre d’accueil qui ont acquis leur qualification professionnelle dans ce dernier État. Toutefois, la reconnaissance du droit de porter ledit titre professionnel prévue audit article 7, paragraphe 1, n’est possible que lorsque les intéressés remplissent toutes les conditions d’accès et d’exercice requises pour la profession concernée.
23 Enfin, le raisonnement exposé ci-dessus est pleinement corroboré par une interprétation téléologique de la directive. En effet, il ressort des troisième et treizième considérants de la directive que l’objectif premier de celle-ci est de faciliter l’accès du titulaire d’un diplôme délivré dans un État membre aux activités professionnelles correspondantes dans les autres États membres et de renforcer le droit du citoyen européen d’utiliser ses connaissances professionnelles dans tout État membre. En outre, il convient d’observer que la directive a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 1, CE). Or, il ressort du libellé de cette dernière disposition que des directives telles que celle visée dans la présente affaire ont pour objectif de faciliter la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres en établissant des règles et des critères communs qui aboutissent, dans la mesure du possible, à la reconnaissance automatique desdits diplômes, certificats et autres titres. En revanche, elles n’ont pas pour but et ne sauraient avoir pour effet de rendre plus difficile la reconnaissance de tels diplômes, certificats et autres titres dans les situations non couvertes par elles (arrêt du 22 janvier 2002, Dreessen, C‑31/00, Rec. p. I-663, point 26).
24 À cet égard, il convient de relever que la portée de l’article 4, paragraphe 1, de la directive, autorisant expressément des mesures de compensation, doit être limitée au cas où celles-ci s’avéreraient proportionnées au but recherché. En d’autres termes, bien qu’elles soient expressément autorisées, ces mesures peuvent, dans certains cas, constituer un facteur hautement dissuasif pour qu’un ressortissant d’un État membre exerce les droits qui lui sont conférés par la directive. En effet, un stage d’adaptation et une épreuve d’aptitude exigent, l’un et l’autre, un temps et un effort considérables de la part de l’intéressé. La non-application desdites mesures peut s’avérer significative, voire décisive, pour un ressortissant d’un État membre qui souhaite accéder, dans un autre État membre, à une profession réglementée. Dans des cas comme celui de l’affaire au principal, un accès partiel à la profession en question, accordé à la suite de la demande de l’intéressé, dispensant celui-ci des mesures de compensation et lui donnant immédiatement accès aux activités professionnelles pour lesquelles il est déjà qualifié, irait dans le sens des objectifs poursuivis par la directive.
25 Il s’ensuit donc que ni le libellé, ni le système, ni les objectifs de la directive n’excluent la possibilité d’un accès partiel à une profession réglementée, au sens de la décision de renvoi. Il pourrait certes être avancé, à l’instar de ce que soutiennent les gouvernements espagnol et suédois, qu’un tel accès partiel serait susceptible d’entraîner un risque de multiplication des activités professionnelles exercées de manière autonome par des ressortissants d’autres États membres, et, par conséquent, une certaine confusion dans l’esprit des consommateurs. Toutefois, ce risque potentiel ne suffit pas pour conclure à l’incompatibilité d’une reconnaissance partielle des qualifications professionnelles avec la directive. En effet, il existe des moyens suffisamment efficaces pour y remédier, telle la faculté d’obliger les personnes concernées à mentionner les noms et le lieu de l’établissement ou du jury ayant délivré leurs titres de formation. De même, l’État membre d’accueil peut toujours obliger les personnes concernées à utiliser, dans l’ensemble des rapports juridiques et commerciaux sur son territoire, tant le titre de formation ou le titre professionnel respectif dans la langue et la forme d’origine que sa traduction dans la langue officielle de l’État membre d’accueil, et ce afin d’assurer sa compréhension et d’éviter tout risque de confusion.
26 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que la directive ne s’oppose pas à ce que, lorsque le titulaire d’un diplôme obtenu dans un État membre dépose une demande d’autorisation d’accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, les autorités de ce dernier État fassent partiellement droit à cette demande, si le titulaire du diplôme le demande, en limitant la portée de l’autorisation aux seules activités auxquelles ledit diplôme donne accès dans l’État membre dans lequel il a été obtenu.
Sur la seconde question
27 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à ce que l’État membre d’accueil exclue la possibilité d’un accès partiel à une profession réglementée, limité à l’exercice d’une ou plusieurs activités couvertes par cette profession.
28 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 43, second alinéa, CE, la liberté d’établissement est exercée dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants. Il s’ensuit que, lorsque l’accès à une activité spécifique ou l’exercice de celle-ci est réglementé dans l’État membre d’accueil, le ressortissant d’un autre État membre entendant exercer cette activité doit en principe répondre aux conditions de cette réglementation (arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, point 36, et du 1er février 2001, Mac Quen e.a., C‑108/96, Rec. p. I-837, point 25).
29 Les conditions d’accès à la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports ne font pas, à ce jour, l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire. Cela étant, les États membres demeurent compétents pour définir lesdites conditions, la directive ne limitant pas leur compétence sur ce point. Il n’en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité CE (voir arrêts du 29 octobre 1998, De Castro Freitas et Escallier, C-193/97 et C-194/97, Rec. p. I‑6747, point 23; du 3 octobre 2000, Corsten, C-58/98, Rec. p. I-7919, point 31, et Mac Quen e.a., précité, point 24).
30 Or, il est de jurisprudence constante que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice desdites libertés ne peuvent être justifiées que si elles remplissent quatre conditions: s’appliquer de manière non discriminatoire; répondre à des raisons impérieuses d’intérêt général; être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent, et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, notamment, arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32; Gebhard, précité, point 37; du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, Rec. p. I-5123, point 57, et Mac Quen e.a., précité, point 26).
31 Dans les cas semblables à celui de l’affaire au principal, une réglementation de l’État membre d’accueil excluant toute possibilité, pour les autorités de cet État, de permettre un accès partiel à une profession est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice tant de la liberté de circulation des personnes que de la liberté d’établissement, même si cette réglementation est indistinctement applicable aux ressortissants de l’État membre d’accueil et à ceux des autres États membres.
32 S’agissant de l’objectif de la réglementation en cause dans l’affaire au principal, il y a lieu d’admettre, comme le soulignent les gouvernements espagnol et suédois, qu’une reconnaissance partielle des qualifications professionnelles pourrait, en principe, avoir pour effet de scinder les professions réglementées au sein d’un État membre en différentes activités. Cela signifierait, en substance, le risque d’une confusion dans l’esprit des destinataires des services, susceptibles d’être induits en erreur sur l’étendue desdites qualifications. Or, la protection des destinataires des services, et plus généralement des consommateurs, a déjà été considérée par la Cour comme une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier des atteintes à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services (voir arrêts du 4 décembre 1986, Commission/France, 220/83, Rec. p. 3663, point 20; du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C‑124/97, Rec. p. I-6067, point 33, et du 11 septembre 2003, Anomar e.a., C‑6/01, Rec. p. I-8621, point 73).
33 Encore faut-il que les mesures fondées sur un tel objectif n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. À cet égard, comme l’a relevé la Commission des Communautés européennes, il convient de faire une distinction entre deux situations différentes susceptibles d’apparaître lorsque les autorités d’un État membre sont saisies d’une demande de reconnaissance d’une qualification professionnelle délivrée dans un autre État membre et lorsque la différence du contenu de la formation ou des activités couvertes par la profession en question dans les deux États empêche une reconnaissance pleine et immédiate. Il y a lieu de distinguer les cas qui peuvent être objectivement résolus avec les moyens prévus par la directive et les cas qui ne peuvent pas l’être.
34 Dans la première hypothèse, il s’agit des cas où, dans l’État membre d’origine et dans celui d’accueil, le degré de similitude des deux professions est tel qu’on peut les qualifier, en substance, de «même profession», au sens de l’article 3, premier alinéa, sous a), de la directive. Dans de tels cas, les lacunes que comporte la formation du demandeur par rapport à celle exigée dans l’État membre d’accueil, peuvent être effectivement comblées par l’application des mesures de compensation prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, assurant ainsi une intégration complète de l’intéressé dans le système professionnel de l’État membre d’accueil.
35 En revanche, dans la seconde hypothèse, comme le dit à juste titre la Commission, il s’agit des cas non couverts par la directive, en ce sens que les différences entre les domaines d’activités sont si importantes qu’il faudrait en réalité suivre une formation complète. Cela constitue un facteur susceptible, d’un point de vue objectif, d’inciter l’intéressé à ne pas exercer, dans un autre État membre, une ou plusieurs activités pour lesquelles il est qualifié.
36 Il appartient aux autorités et, en particulier, aux juridictions compétentes de l’État membre d’accueil de déterminer à quel point, dans chaque cas concret, le contenu de la formation obtenue par l’intéressé est différent de celui requis dans cet État. Or, dans l’affaire au principal, le Tribunal Supremo a constaté que le contenu de la formation sanctionnant, respectivement, la profession d’ingénieur civil en hydraulique, en Italie, et la profession d’ingénieur des chaussées, canaux et ports, en Espagne, comporte des différences fondamentales à tel point que l’application d’une mesure de compensation ou d’adaptation équivaudrait, en substance, à obliger l’intéressé à acquérir une nouvelle formation professionnelle.
37 En outre, dans des cas spécifiques semblables à celui de l’affaire au principal, l’un des critères décisifs est de savoir si l’activité professionnelle que souhaite exercer l’intéressé dans l’État membre d’accueil est ou non objectivement dissociable de l’ensemble des activités couvertes par la profession correspondante dans cet État. Il incombe en premier lieu aux autorités nationales de répondre à cette question. Toutefois, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 86 et 87 de ses conclusions, l’un des critères décisifs à cet égard est de savoir si cette activité peut être exercée, sous une forme indépendante ou autonome, dans l’État membre où la qualification professionnelle en cause a été obtenue.
38 Lorsque l’activité en cause est objectivement dissociable de l’ensemble des activités couvertes par la profession concernée dans l’État membre d’accueil, il y a lieu de conclure que l’effet dissuasif entraîné par l’exclusion de toute possibilité de reconnaissance partielle de la qualification professionnelle concernée est trop important pour être contrebalancé par la crainte d’une atteinte éventuelle aux droits des destinataires des services. Dans un tel cas, l’objectif légitime de protection des consommateurs et des autres destinataires des services peut être atteint par des moyens moins contraignants, notamment par l’obligation de porter le titre professionnel d’origine ou le titre de formation tant dans la langue dans laquelle il a été délivré et selon la forme originale que dans la langue officielle de l’État membre d’accueil.
39 Il convient donc de répondre à la seconde question que les articles 39 CE et 43 CE ne s’opposent pas à ce qu’un État membre n’accorde pas l’accès partiel à une profession, dans la mesure où les lacunes que comporte la formation de l’intéressé par rapport à celle exigée dans l’État membre d’accueil peuvent être effectivement comblées par l’application des mesures de compensation prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la directive . En revanche, les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à ce qu’un État membre n’accorde pas cet accès partiel, lorsque l’intéressé le demande et que les différences entre les domaines d’activités sont si importantes qu’il faudrait en réalité suivre une formation complète, sauf si le refus dudit accès partiel est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) La directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, ne s’oppose pas à ce que, lorsque le titulaire d’un diplôme obtenu dans un État membre dépose une demande d’autorisation d’accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, les autorités de ce dernier État fassent partiellement droit à cette demande, si le titulaire du diplôme le demande, en limitant la portée de l’autorisation aux seules activités auxquelles ledit diplôme donne accès dans l’État membre dans lequel il a été obtenu.
2) Les articles 39 CE et 43 CE ne s’opposent pas à ce qu’un État membre n’accorde pas l’accès partiel à une profession, dans la mesure où les lacunes que comporte la formation de l’intéressé par rapport à celle exigée dans l’État membre d’accueil peuvent être effectivement comblées par l’application des mesures de compensation prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/48. En revanche, les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à ce qu’un État membre n’accorde pas cet accès partiel, lorsque l’intéressé le demande et que les différences entre les domaines d’activités sont si importantes qu’il faudrait en réalité suivre une formation complète, sauf si le refus dudit accès partiel est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
Signatures
* Langue de procédure: l’espagnol.