Affaire C-86/03

République hellénique

contre

Commission des Communautés européennes

«Recours en annulation — Refus de la Commission d'autoriser l'utilisation de fiouls lourds ayant une teneur maximale en soufre de 3 % en masse sur une partie du territoire grec — Directive 1999/32/CE — Teneur en soufre de certains combustibles liquides»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 16 juin 2005 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 15 décembre 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Environnement — Pollution atmosphérique — Directive 1999/32 — Réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides — Teneur maximale en soufre de fiouls lourds — Dérogation — Conditions d'octroi — Refus de la Commission d'autoriser l'utilisation de fiouls lourds ayant une teneur maximale en soufre de 3% en masse — Contribution des émissions au dépassement des charges critiques dans un État membre — Ampleur de ladite contribution et rôle de celle-ci dans ledit dépassement — Absence d'incidence — Principe de protection de la confiance légitime — Violation — Absence

(Traité CE, art. 189 A et 189 C (devenus art. 250 CE et 252 CE); directive du Conseil 1999/32, art. 3, § 2; décision de la Commission 2003/3)

2.     Environnement — Pollution atmosphérique — Directive 1999/32 — Réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides — Teneur maximale en soufre de fiouls lourds — Dérogation — Conditions d'octroi — Absence de contribution des émissions au dépassement des charges critiques dans les États membres — Principe de proportionnalité — Violation — Absence

(Directive du Conseil 1999/32, art. 3, § 2)

1.     Ne viole ni l'article 3, paragraphe 2, de la directive 1999/32, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides, ni le principe de la protection de la confiance légitime, la décision de la Commission rejetant une demande introduite par un État membre pour pouvoir autoriser l'utilisation de fiouls lourds à teneur maximale en soufre comprise entre 1% et 3% en masse sur une partie de son territoire.

En effet, d'une part, selon le libellé même dudit article 3, paragraphe 2, l'autorisation de l'emploi de tels fiouls lourds est soumise, outre à la condition que soient respectées les normes de qualité de l'air fixées pour le dioxyde de soufre dans la législation communautaire pertinente, à une seconde condition, aux termes de laquelle les émissions de dioxyde de soufre ne «contribuent pas au dépassement» des charges critiques dans un État membre, sans que cette disposition comporte une précision relative à l'importance de cette contribution ou au rôle de celle-ci dans ledit dépassement. Rien dans le texte de cette disposition ne permet d'étayer la conclusion selon laquelle une dérogation pourrait être accordée lorsque la contribution n'est pas décisive aux fins du dépassement ou lorsque celle-ci, tout en étant détectable, ne dépasserait pas un seuil déterminé.

D'autre part, s'agissant du principe de la protection de la confiance légitime, il ne saurait être admis qu'une communication présentée par la Commission conjointement à une proposition de directive, fût-elle mentionnée dans les considérants de celle-ci, ait pu faire naître une confiance légitime dans le maintien des orientations y contenues, alors qu'il résulte des articles 189 A et 189 C du traité (devenus article 250 CE et 252 CE) que la Commission peut modifier une telle proposition à tout moment et que le Conseil peut prendre un acte constituant amendement de la proposition.

(cf. points 58, 72)

2.     On ne saurait reprocher au Conseil d'avoir violé le principe de proportionnalité en soumettant l'octroi d'une autorisation d'employer des fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse le seuil autorisé de 1% en masse à des conditions strictes, telles que celles énoncées à l'article 3, paragraphe 2, de la directive 1999/32, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides.

En effet, compte tenu du fait que le soufre présent dans le pétrole a été reconnu depuis des décennies comme constituant la principale source des émissions de dioxyde de soufre qui sont responsables en grande partie des pluies acides et de la pollution de l'air qui affecte de nombreuses zones urbaines et industrielles et du caractère transfrontalier du problème d'acidification, cette mesure est apte à atteindre l'objectif poursuivi par la directive, à savoir la réduction des émissions de dioxyde de soufre résultant de la combustion de certains types de combustibles liquides.

En ce qui concerne plus particulièrement la nécessité d'une application stricte de la condition figurant audit article 3, paragraphe 2, et relative à la contribution des émissions au dépassement des charges critiques dans les États membres, le Conseil, eu égard notamment aux effets des émissions de soufre sur la santé humaine et sur l'environnement ainsi qu'à la participation importante de ces émissions au phénomène transfrontalier d'acidification, a pu, sans commettre une erreur d'appréciation manifeste, considérer qu'il était nécessaire de subordonner l'octroi de dérogations à l'emploi de fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse 1% en masse à l'absence de toute contribution des émissions de soufre d'un État membre au dépassement des charges critiques sur le territoire des États membres, même si les coûts économiques d'une telle mesure peuvent être considérables et même si ladite contribution ne participe pas de manière significative à l'aggravation de la situation dans les États membres. L'importance des objectifs poursuivis est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs, d'autant plus que la protection de l'environnement constitue un des objectifs essentiels de la Communauté.

(cf. points 90-93, 95-96)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 décembre 2005 (*)

«Recours en annulation – Refus de la Commission d’autoriser l’utilisation de fiouls lourds ayant une teneur maximale en soufre de 3 % en masse sur une partie du territoire grec – Directive 1999/32/CE – Teneur en soufre de certains combustibles liquides»

Dans l’affaire C-86/03,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 26 février 2003,

République hellénique, représentée par M. P. Mylonopoulos et Mme A. Samoni-Rantou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. M. Konstantinidis et G. Valero Jordana, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par:

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. B. Hoff-Nielsen, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 avril 2005,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juin 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la République hellénique demande l’annulation de la décision 2003/3/CE de la Commission, du 17 décembre 2002, concernant la demande introduite par la Grèce pour pouvoir autoriser l’utilisation de fiouls lourds ayant une teneur maximale en soufre de 3 % en masse sur une partie de son territoire (JO 2003, L 4, p. 16, ci-après la «décision attaquée»). À titre subsidiaire, elle demande à la Cour, sur le fondement de l’article 241 CE, de déclarer inapplicable la directive 1999/32/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides et modifiant la directive 93/12/CEE (JO L 121, p. 13, ci-après la «directive»).

 Le cadre juridique et factuel

 La directive

2       L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive, qui a été adoptée sur le fondement de l’article 130 S du traité CE (devenu, après modification, article 175 CE), dispose:

«1.       La présente directive a pour objet de réduire les émissions de dioxyde de soufre résultant de la combustion de certains types de combustibles liquides et de diminuer ainsi les effets néfastes de ces émissions sur l’homme et l’environnement.

2.       Pour diminuer les émissions de dioxyde de soufre résultant de la combustion de certains combustibles liquides dérivés du pétrole, l’utilisation de ces combustibles sur le territoire des États membres est subordonnée au respect d’une teneur maximale en soufre.

[…]»

3       Aux termes de l’article 3, paragraphes 1, 2 et 5, de la directive:

«1.       Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir à partir du 1er janvier 2003 que les fiouls lourds ne soient pas utilisés sur leur territoire si leur teneur en soufre dépasse 1,00 % en masse.

2.      Sous réserve que soient respectées les normes de qualité de l’air fixées pour le dioxyde de soufre dans la directive 80/779/CEE […] ou dans toute autre législation communautaire abrogeant et remplaçant ces normes, ainsi que les autres dispositions communautaires pertinentes, et que les émissions ne contribuent pas au dépassement des charges critiques dans un État membre quel qu’il soit, un État membre peut autoriser l’emploi de fiouls lourds dont la teneur en soufre est comprise entre 1,00 et 3,00 % en masse sur tout ou partie de son territoire. Une telle autorisation ne s’applique que tant que les émissions en provenance de l’État membre ne contribuent pas au dépassement des charges critiques dans un État membre quel qu’il soit.

[…]

5.      Si un État membre a recours aux possibilités visées au paragraphe 2, il en informe, au moins douze mois à l’avance, la Commission et le public. La Commission doit recevoir suffisamment d’informations pour pouvoir vérifier si les critères visés au paragraphe 2 sont remplis. La Commission informe les autres États membres.

Dans les six mois à compter de la date de réception des informations fournies par l’État membre, la Commission examine les mesures envisagées et, conformément à la procédure prévue à l’article 9, prend une décision, qu’elle communique aux États membres. Cette décision est réexaminée tous les huit ans, sur la base d’informations à fournir à la Commission par les États membres concernés, conformément à la procédure prévue à l’article 9.»

4       En vertu de l’article 2, point 6, de la directive, aux fins de celle-ci on entend par «charge critique, une estimation quantitative de l’exposition à un ou plusieurs polluants en dessous de laquelle aucun effet néfaste sur des éléments sensibles de l’environnement ne se produit selon les connaissances actuelles.»

5       L’article 9 de la directive énonce:

«La Commission est assistée par un comité de caractère consultatif composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.

Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet, dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause, le cas échéant en procédant à un vote.

L’avis est inscrit au procès-verbal; en outre, chaque État membre a le droit de demander que sa position figure à ce procès-verbal.

La Commission tient le plus grand compte de l’avis émis par le comité. Elle informe le comité de la façon dont elle a tenu compte de cet avis.»

 La décision attaquée

6       Il ressort des considérants de la décision attaquée que la procédure ayant abouti à son adoption s’est déroulée de la manière suivante.

7       Le 17 décembre 2001, la République hellénique a demandé, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, l’accord de la Commission pour utiliser des fiouls lourds ayant une teneur maximale en soufre de 3 % en masse sur la totalité de son territoire, à l’exception du bassin de l’Attique (troisième considérant).

8       Le 23 janvier 2002, la Commission a demandé aux autorités grecques des informations complémentaires qu’elle a obtenues le 19 février 2002. Le 4 juin de la même année, le gouvernement hellénique a modifié sa demande en ce sens qu’il sollicitait une dérogation provisoire jusqu’en 2008 avec un réexamen pour la période restante (quatrième considérant).

9       Selon le septième considérant, la République hellénique a notamment fait valoir qu’elle ne contribuait pratiquement pas aux dépôts de soufre ni au dépassement des charges critiques pour l’acidité dans les autres États membres. Elle a reconnu contribuer pour 1 % aux dépôts de soufre en Italie.

10     La Commission a demandé l’aide du programme de coopération pour la surveillance continue et l’évaluation du transport à longue distance des polluants atmosphériques en Europe (ci-après l’«EMEP»). À ce titre, l’Institut norvégien de météorologie (Meteorological Synthesizing Centre-West, ci-après l’«institut») a réalisé une analyse détaillée de la contribution grecque aux dépôts de soufre, en particulier en Italie où est enregistré un dépassement des charges critiques pour l’acidité dans 5 % des écosystèmes sensibles à l’acidification (huitième considérant).

11     Les résultats de cette analyse, consignés dans deux rapports, respectivement des 22 février et 22 mars 2002, révèlent que les émissions grecques contribuent au dépassement des charges critiques pour l’acidité dans au moins six mailles du réseau où des dépassements de charges critiques sont mis en évidence. Dans ces mailles, la contribution grecque n’excède pas 0,5 % et l’EMEP en a conclu que l’analyse corrobore les calculs qui attribuent à la République hellénique 1 % des dépôts totaux de soufre en Italie (neuvième et dixième considérants).

12     Le comité consultatif visé à l’article 9 de la directive (ci-après le «comité consultatif») s’est réuni une première fois le 15 avril 2002. Il est constant que, lors de cette réunion, ledit comité s’est déclaré favorable au projet de la Commission tendant au rejet de la demande du gouvernement hellénique.

13     Selon le onzième considérant, ledit gouvernement a, le 5 juillet 2002, demandé à la Commission de réexaminer sa demande, au motif que la notification soumise préalablement était incomplète et que des informations complémentaires seraient présentées pour la fin du mois de juillet. Par lettre en date du 15 juillet 2002, la Commission a demandé aux autorités grecques de fournir les informations annoncées aussitôt que possible, en indiquant que la période de six mois visée à l’article 3, paragraphe 5, de la directive débuterait lorsque ces informations seraient reçues.

14     Le 30 juillet 2002, les autorités grecques ont déposé des données sur les émissions de dioxyde de soufre en Grèce pour l’année 2000 et suggéré que leur demande soit examinée sur la base de ces données. Le 3 octobre 2002, ces mêmes autorités ont soumis une évaluation récente du niveau de protection des écosystèmes en Italie prenant en compte la contribution grecque au dépassement des charges critiques pour l’acidité (douzième considérant).

15     Il ressort du treizième considérant que l’EMEP, conforté par le Centre de coordination des effets pour la cartographie des charges et niveaux critiques (ci-après le «CCE»), a confirmé la précédente conclusion selon laquelle les émissions grecques de dioxyde de soufre telles que déclarées par la République hellénique en 2000 contribuent au dépassement des charges critiques pour l’acidité en Italie. Ces résultats sont résumés dans un rapport en date du 19 novembre 2002, sur la base duquel il est démontré au-delà de tout doute raisonnable que les émissions grecques contribuent effectivement à des excès de dépôts dépassant les charges critiques pour l’acidification dans d’autres États membres, particulièrement en Italie.

16     Au vu des informations présentées par la République hellénique sur la qualité de l’air ambiant ainsi que de l’analyse réalisée par l’EMEP, conforté par le CCE, sur la contribution grecque au dépassement des charges critiques, la Commission a, par la décision attaquée, refusé d’accorder la dérogation demandée par la République hellénique, au motif que la condition relative au dépassement de la charge critique n’était pas respectée (quatorzième considérant).

17     Enfin, il ressort du quinzième considérant que la décision attaquée est conforme à l’avis émis par le comité consultatif lors d’une réunion qui a eu lieu le 10 décembre 2002.

 Les conclusions des parties

18     Le gouvernement hellénique conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler la décision attaquée;

–       déclarer la directive inapplicable sur la base de l’article 241 CE, au cas où l’interprétation de la directive défendue par la Commission serait retenue;

–       condamner la Commission aux dépens.

19     La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       rejeter le recours;

–       condamner la République hellénique aux dépens.

20     Par ordonnance du 10 septembre 2003, le Conseil de l’Union européenne a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission. Il demande à la Cour de rejeter comme irrecevable la demande de la République hellénique de déclarer la directive inapplicable sur le fondement de l’article 241 CE et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le recours

21     Au soutien de son recours en annulation, le gouvernement hellénique invoque en substance quatre moyens tirés, respectivement, de la violation des droits de la défense, d’une violation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, du non-respect du principe de la protection de la confiance légitime, ainsi que de la méconnaissance du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense

 Argumentation des parties

22     Le gouvernement hellénique observe que, selon la jurisprudence de la Cour, le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire. En particulier, préalablement à l’adoption d’une décision, la partie intéressée devrait être informée de manière à disposer d’un délai raisonnable pour préparer sa défense, se voir communiquer un exposé précis et complet des griefs retenus à son encontre et se voir préciser les faits et considérations sur lesquels doit se baser la décision. Tel n’aurait pas été le cas en l’espèce, en particulier au regard de la procédure qui s’est déroulée devant le comité consultatif lors de sa réunion du 10 décembre 2002.

23     En premier lieu, la convocation à ladite réunion et le projet de décision de la Commission, d’une part, les documents sur lesquels cette institution basait son projet, d’autre part, n’ayant été transmis aux délégations nationales, respectivement, que le mercredi 4 décembre 2002, à 14 heures 30, et le lendemain matin vers onze heures, le gouvernement hellénique aurait disposé seulement de deux jours francs ouvrables pour préparer sa défense. Ainsi, le comité consultatif n’aurait pas respecté les délais prévus dans son propre projet de règlement intérieur, en vertu duquel la convocation, y compris tout document de travail, doit être envoyée au minimum quatorze jours avant la réunion, sauf en cas d’urgence et lorsque les mesures envisagées doivent être appliquées immédiatement, auquel cas le délai est ramené à cinq jours avant la date de la réunion. En l’occurrence, rien n’aurait justifié le recours à une telle procédure d’urgence.

24     En deuxième lieu, la documentation soumise au comité consultatif n’aurait pas contenu la mise à jour d’une note d’information de la direction générale de l’environnement de la Commission, du 10 décembre 2002 (ci-après la «note du 10 décembre 2002»), dans laquelle cette institution reconnaîtrait que la contribution grecque au dépassement des charges critiques dans d’autres États membres pourrait dépendre du modèle mathématique employé dans l’analyse.

25     En troisième lieu, la composition du comité consultatif aurait été modifiée de façon substantielle entre la réunion qui s’est tenue le 15 avril 2002 et celle qui a eu lieu le 10 décembre suivant. Seuls deux membres auraient participé à ces deux réunions. Selon le gouvernement hellénique, les membres ayant pris part à la deuxième réunion ont été dans l’impossibilité de prendre pleinement connaissance des faits examinés, de sorte que la procédure serait également viciée de ce fait.

26     En quatrième lieu, le procès-verbal de la réunion du comité consultatif, du 10 décembre 2002, aurait été transmis pour observations aux autorités helléniques seulement le 20 décembre 2002, soit trois jours après l’adoption de la décision attaquée, et ce procès-verbal comporterait un certain nombre d’imprécisions et/ou d’omissions de fond ayant un rapport direct notamment avec les données présentées par l’EMEP. Or, conformément au projet de règlement intérieur du comité consultatif, tout désaccord éventuel devrait être débattu et, le cas échéant, inscrit sous forme d’annexe au procès-verbal, de sorte que la Commission soit pleinement informée des différents points de vue avant de prendre sa décision. Cela serait d’autant plus vrai que, selon l’article 9 de la directive, la Commission doit tenir le plus grand compte de l’avis émis par le comité consultatif.

27     La Commission fait valoir que la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 5, de la directive est engagée à la demande d’un État membre et que, par cette demande, celui-ci a tout loisir de s’exprimer sur la décision dont il demande l’adoption, ainsi qu’il ressort expressément de cette disposition. Du reste, le gouvernement hellénique aurait demandé et obtenu un deuxième examen de sa demande sur la base de nouvelles données qu’il a lui-même présentées à la Commission. S’agissant d’une telle procédure, le principe du contradictoire ne serait pas applicable. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des droits de la défense serait non fondé.

28     En tout état de cause, les griefs relatifs à la convocation du comité consultatif, sa composition et le contenu des procès-verbaux de sa réunion devraient être rejetés.

29     La Commission observe à cet égard que, après la demande des autorités grecques, du mois de juin 2002, en vue d’un réexamen de sa position, elle leur a transmis la convocation, l’ordre du jour et le projet de décision révisé le 4 décembre 2002, ainsi que l’appréciation scientifique des informations fournies par le gouvernement le lendemain, à savoir cinq jours avant la date de la réunion du 10 décembre 2002, conformément au projet de règlement intérieur du comité. L’urgence aurait notamment été justifiée par le fait qu’une décision devait entrer en vigueur pour le 1er janvier 2003. Les autorités grecques auraient pu présenter leurs contre-arguments, par écrit, à la réunion du 10 décembre 2002.

30     Quant à la note du 10 décembre 2002, il s’agirait d’un document interne rédigé après la réunion de ce jour et ne contenant aucun élément nouveau de nature à modifier le déroulement de la réunion.

31     S’agissant de la composition du comité consultatif, elle relèverait de la discrétion des États membres.

32     Enfin, pour ce qui est des allégations concernant le procès-verbal de la réunion du comité consultatif, la Commission répond que le projet de procès-verbal révisé distribué aux délégations nationales n’a pas fait l’objet d’objections, que les autres observations formulées par la délégation grecque, le 17 février 2003, ne concerneraient pas des «imprécisions essentielles» et que, en tout état de cause, le point de vue qui exprime l’avis du comité consultatif et dont elle tiendrait compte est celui de la majorité et non pas celui de la minorité au sein de ce comité.

 Appréciation de la Cour

33     Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions, les griefs développés par le gouvernement hellénique dans le cadre de son premier moyen n’ont pas trait à l’application du principe du respect des droits de la défense de l’État membre concerné dans ses rapports avec la Commission, mais portent en réalité sur la régularité de la procédure suivie devant le comité consultatif, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si et dans quelle mesure ledit principe s’applique à une procédure telle que celle prévue à l’article 3, paragraphe 5, de la directive.

34     S’agissant du premier grief, tiré du délai jugé trop court séparant la convocation à la réunion du comité consultatif, ainsi que la transmission des documents y afférents, reçus respectivement les 4 et 5 décembre 2002, et la tenue de ladite réunion le 10 décembre suivant, il convient de relever que l’article 9 de la directive n’impose pas le respect d’un délai déterminé de transmission de la convocation, de l’ordre du jour, des projets de mesures sur lesquels un avis est demandé et de tout autre document de travail aux membres du comité consultatif avant la tenue des réunions de celui-ci. Cet article prévoit seulement que ce dernier émet son avis sur le projet de mesures à prendre qui lui a été soumis par la Commission «dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause».

35     Par ailleurs, le projet de règlement intérieur du comité, invoqué par le gouvernement hellénique à l’appui de sa thèse, outre qu’il n’était pas en vigueur, prévoyait, en tout état de cause, lui-même la possibilité de ramener le délai de convocation et de transmission des documents de travail à cinq jours dans des cas urgents.

36     Contrairement à ce que soutient ledit gouvernement, une telle situation d’urgence existait en l’espèce, dans la mesure où les opérateurs économiques en Grèce devaient être à même de savoir si le 1er janvier 2003, date à partir de laquelle la directive obligeait les États membres à ne plus permettre l’utilisation de fiouls lourds d’une teneur en soufre supérieure à 1 %, ils pouvaient continuer à utiliser des fiouls dont la teneur en soufre ne répondait pas aux exigences de l’article 3, paragraphe 1, de la directive.

37     En effet, alors que les autorités grecques ont soumis à la Commission le 3 octobre 2002 les informations complémentaires demandées par celle-ci et que le rapport de l’EMEP résumant l’évaluation de ces informations est parvenu à la Commission le 21 novembre suivant, le recours à des délais de transmission abrégés s’imposait afin que la décision de la Commission, qui devait tenir le plus grand compte de l’avis du comité, puisse être adoptée avant la fin de l’année 2002.

38     Le premier grief n’est dès lors pas fondé.

39     En ce qui concerne le deuxième grief, tiré du défaut de transmission de la note du 10 décembre 2002 aux membres du comité consultatif afin de permettre à ceux-ci de préparer utilement la réunion du comité consultatif de ce jour, il suffit de constater que le gouvernement hellénique n’a pas contesté qu’il s’agit d’un document purement interne qui a été rédigé après ladite réunion dans le cadre de la procédure de prise de décision de la Commission. Ce grief n’est dès lors pas non plus fondé.

40     Quant au troisième grief, tiré du changement dans la composition du comité consultatif entre les première et seconde réunions de celui-ci, il convient de relever que, conformément à l’article 9, premier alinéa, de la directive, la désignation des représentants des États membres au sein du comité consultatif relève du pouvoir discrétionnaire de ces derniers, alors que rien n’oblige ceux-ci à faire en sorte que les mêmes personnes participent aux différentes réunions portant sur une même demande d’avis.

41     En ce qui concerne le quatrième grief, relatif à la prétendue transmission tardive à la délégation grecque du procès-verbal de la réunion du 10 décembre 2002, il y a lieu de souligner, d’une part, que l’article 9, troisième et quatrième alinéas, de la directive prévoit seulement que l’avis du comité consultatif est inscrit au procès-verbal, que chaque État membre a le droit de demander que sa position y figure et que la Commission doit tenir le plus grand compte de cet avis. D’autre part, le projet de règlement intérieur du comité consultatif, invoqué par le gouvernement hellénique au soutien de son grief, outre qu’il n’était pas en vigueur, se limitait à prévoir que les procès-verbaux soient transmis aux membres dudit comité dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de la réunion et que les membres informent le président par écrit de leurs observations éventuelles, lesquelles sont discutées par le comité consultatif et, en cas de désaccord persistant, annexées au procès-verbal.

42     En tout état de cause, à supposer même que l’envoi aux délégations nationales du projet de procès-verbal de la réunion du 10 décembre 2002 trois jours après l’adoption de la décision attaquée constitue une irrégularité de procédure, pareille irrégularité n’entraînerait pas l’annulation de cette décision, dans la mesure où il n’est pas établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision, qui a été prise en pleine conformité avec l’avis émis par le comité, aurait pu aboutir à un résultat différent (voir en ce sens, notamment, arrêt du 25 octobre 2005, Allemagne et Danemark/Commission, C-465/02 et C-466/02, non encore publié au Recueil, point 37).

43     Dans ces conditions, ce grief n’est pas non plus fondé.

44     Aucun des quatre griefs invoqués par le gouvernement hellénique à l’appui de son premier moyen n’étant fondé, celui-ci doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive

 Argumentation des parties

45     Le gouvernement hellénique allègue d’emblée que la contribution grecque au dépassement des charges critiques résulte d’une projection qui n’a pas été vérifiée par des mesures et que les résultats des analyses de l’EMEP ne démontrent pas que la deuxième condition d’octroi d’une dérogation au titre de l’article 3, paragraphe 2, de la directive n’est pas remplie. Selon ce gouvernement, contrairement à ce qui est affirmé au treizième considérant de la décision attaquée, il ne ressort pas clairement du rapport de l’EMEP du 19 novembre 2002 et il n’est pas acquis «au-delà de tout doute raisonnable» que les émissions grecques contribuent effectivement à des excès de dépôts dépassant des charges critiques pour l’acidification en Italie. Cette affirmation ne ferait pas partie dudit rapport, mais apparaîtrait seulement dans la lettre d’accompagnement de celui-ci et traduirait l’opinion personnelle de l’auteur de cette lettre, à savoir le directeur général de l’institut.

46     Lors de la procédure d’adoption de la directive, les rapports de l’EMEP des années 1997 et 1998 auraient évalué à zéro le taux de contribution grec aux dépôts de soufre en Italie. Quant aux contributions pour l’année 2002, à présent considérées comme «existantes» bien que «négligeables», elles devraient leur taux compris entre 0,1 et 0,2 % à la méthode de calcul utilisée dorénavant par l’EMEP et la Commission. En appliquant la méthode de calcul utilisée en 1998 aux données actuelles disponibles, la contribution grecque au dépassement des charges critiques dans les cases de la grille en Italie du nord serait de 0 %. Or, le mécanisme dérogatoire ne saurait fonctionner correctement que si l’on tient compte du cadre scientifique dans lequel a été adoptée la directive et la possibilité de dérogation devrait être interprétée à la lumière des informations, données, modèles et méthodologies scientifiques et techniques qui ont été utilisés au cours de la procédure d’adoption de la directive.

47     Le gouvernement hellénique fait valoir également que, en appliquant une méthode de calcul différente de celle employée en 1998, la Commission a modifié de façon substantielle le champ d’application de la directive, ce qu’elle ne pouvait faire sans respecter la procédure de coopération de l’article 189 C du traité CE (devenu article 252 CE), suivant laquelle la directive a été adoptée.

48     En tout cas, un dépôt, au sens technique du terme, de si faible importance (en deçà de 0,5 %) ne saurait être équivalent à une «contribution» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive. Par ailleurs, la Commission soutiendrait à tort qu’il n’est pas nécessaire que ladite contribution soit décisive pour le dépassement et que la simple constatation d’une contribution suffit pour justifier le refus de l’octroi de la dérogation. D’une part, l’objectif de la directive consisterait principalement à protéger les écosystèmes des conséquences néfastes des émissions de dioxyde de soufre. D’autre part, au vu du libellé de ladite disposition, celle-ci concernerait les émissions d’une nature telle qu’elles contribuent au dépassement des charges critiques dans un écosystème déterminé, de sorte que le rejet d’une demande supposerait qu’il soit établi, au-delà de tout doute, que les dépôts de soufre de cet État membre dans une case de la grille EMEP, dans laquelle est observé un dépassement des charges critiques, sont déterminants dans le dépassement de telles charges.

49     Une interprétation cohérente de la directive montrerait que le bénéfice de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci ne doit être refusé qu’à la condition qu’un tel refus ait pour résultat l’augmentation du nombre des écosystèmes protégés. Or, aucun des écosystèmes non protégés des six cases de la grille de l’EMEP dans lesquelles un dépassement des charges critiques a été constaté et qui pourraient éventuellement être touchées par des dépôts de dioxyde de soufre provenant de Grèce ne sera protégé en conséquence du rejet de la demande de dérogation. En outre, l’acceptation de la demande n’aurait pas davantage pour effet d’enlever sa protection à un écosystème protégé dans les cases de la grille.

50     Au surplus, la norme EMEP à laquelle se réfère la Commission serait un modèle mathématique avec lequel il n’existerait pas de seuil en deçà duquel le dépôt théorique est «indétectable». Selon le gouvernement hellénique, il est nécessaire de garantir une application effective des possibilités de dérogation, dont l’importance serait relevée par la directive. L’interprétation défendue par la Commission impliquerait qu’aucun État membre ne puisse se prévaloir de la dérogation, lorsque ses émissions contribuent, de quelque manière que ce soit, à des dépôts dans des régions d’un État membre dans lesquelles les charges critiques sont dépassées.

51     La Commission argue que la directive fait état d’une «contribution», que celle-ci soit faible ou élevée. La directive ne contiendrait pas la notion de «dépôt technique inférieur à 0,5 %» par opposition à la notion de «contribution». Il ne serait pas nécessaire que ladite contribution soit décisive pour le dépassement, la constatation d’une contribution suffisant pour justifier le refus de l’octroi d’une dérogation. La communication COM/97/088 final de la Commission au Conseil et au Parlement, du 12 mars 1997, concernant une stratégie communautaire de lutte contre l’acidification (ci-après la «communication sur l’acidification»), citée au neuvième considérant de la directive au sujet de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive, ne renverrait pas au droit en vigueur, alors que le Conseil aurait délibérément rendu plus sévères les conditions d’octroi des dérogations dans le texte finalement adopté. Ainsi, le gouvernement hellénique ne pourrait utilement invoquer ladite communication à l’appui de sa thèse.

52     La contribution grecque serait démontrée par des résultats actualisés de projections s’appuyant sur la connaissance générale des processus atmosphériques de transfert sur de grandes distances acquise par la communauté scientifique au cours des 30 dernières années. Une projection serait indispensable pour calculer la contribution à la pollution de chaque État membre, au sens de la directive. L’institut serait le centre scientifique le mieux à même de se prononcer quant à l’existence d’une contribution des émissions de dioxyde de soufre en provenance d’un État membre au dépassement des charges critiques observé dans un autre État membre.

53     Les conclusions des rapports EMEP révéleraient l’existence d’un dépôt de soufre provenant des émissions grecques, qui contribuerait à faire passer les dépôts au-dessus des charges critiques d’acidification sur le territoire d’autres États membres, et notamment en Italie. La décision attaquée se serait fondée sur les données relatives aux émissions pour les années 2000 et 2001. La contribution grecque aux dépôts de soufre en Italie serait certes réduite, mais non négligeable. Pour trois États membres, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Finlande et le Royaume de Suède, le dépôt de soufre en Italie serait mentionné comme nul.

54     Selon la Commission, l’interprétation qu’elle défend n’altère pas l’efficacité de la disposition en question et respecte la lettre et la finalité poursuivie par la directive. La dérogation pourrait s’appliquer soit lorsque la contribution de l’État demandeur est nulle, du fait d’un dépôt inférieur aux limites de détection de la norme EMEP, soit lorsqu’il n’y a pas de dépassement des charges critiques dans les autres États membres, hypothèse qui ne serait ni théorique, ni sans fondement.

55     Enfin, la Commission relève qu’elle s’est bornée à appliquer les dispositions de la directive, de sorte que l’article 252 CE n’aurait pas non plus été méconnu.

 Appréciation de la Cour

56     Par son argumentation, la République hellénique conteste en substance, d’une part, l’interprétation défendue par la Commission de la seconde condition d’octroi d’une dérogation au titre de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, selon laquelle les «émissions ne contribuent pas au dépassement» des charges critiques dans les États membres et, d’autre part, la méthode d’évaluation utilisée par la Commission pour constater une telle contribution et, partant, l’existence même de tout dépôt de soufre d’origine grecque contribuant au dépassement des charges critiques en Italie.

57     En ce qui concerne d’abord l’interprétation de la condition relative à l’absence de contribution au dépassement des charges critiques, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, la thèse défendue par le gouvernement hellénique doit être rejetée.

58     Selon le libellé même de ladite disposition, l’autorisation de l’emploi de fiouls lourds dont la teneur en soufre est comprise entre 1 et 3 % en masse est soumise, outre à la condition que soient respectées les normes de qualité de l’air fixées pour le dioxyde de soufre dans la législation communautaire pertinente, à une seconde condition, aux termes de laquelle les émissions de dioxyde de soufre ne «contribuent pas au dépassement» des charges critiques dans un État membre, sans que cette disposition comporte une précision relative à l’importance de cette contribution ou au rôle de celle-ci dans ledit dépassement. Rien dans le texte de cette disposition ne permet d’étayer la conclusion selon laquelle une dérogation pourrait être accordée lorsque la contribution n’est pas décisive aux fins du dépassement ou lorsque celle-ci, tout en étant détectable, ne dépasserait pas un seuil déterminé.

59     Une interprétation restrictive de l’article 3, paragraphe 2, de la directive est confortée, outre par la règle selon laquelle les exceptions sont d’interprétation stricte, par l’analyse des travaux préparatoires de la directive, dont il ressort que si, dans la proposition de directive du Conseil, la Commission avait proposé que la dérogation pût être accordée à condition que la contribution à la pollution transfrontière soit «négligeable», le Conseil, dans la directive, a subordonné l’octroi de la dérogation à la condition que les émissions ne «contribuent pas» au dépassement des charges critiques, sans distinguer entre les cas où la contribution est significative ou non et sans exiger que celle-ci soit décisive aux fins du dépassement en question.

60     Il est vrai que, dans les versions espagnole et italienne de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, il est précisé, dans la même phrase, que les émissions ne doivent pas contribuer «de manière significative» au dépassement des charges critiques dans les États membres. Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 63 de ses conclusions, cette précision ne saurait porter à conséquence, alors qu’aucune des autres versions linguistiques ne comporte une telle précision et que, même dans les versions espagnole et italienne de la directive, l’article 3, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive dispose qu’une telle autorisation ne s’applique que tant que les émissions en provenance de l’État membre «ne contribuent pas au dépassement des charges critiques» dans les États membres, sans reprendre l’expression «de manière significative» précédemment utilisée.

61     Cette conclusion ne prive pas non plus d’effet utile l’article 3, paragraphe 2, de la directive, dans la mesure où une dérogation à l’utilisation de fiouls lourds dont la teneur en soufre est comprise entre 1 et 3 % en masse peut être obtenue lorsque, comme l’observe la Commission, les résultats des analyses permettent de conclure à une contribution nulle au dépassement des charges critiques dans les États membres ou dans l’hypothèse où tout dépassement des charges critiques cesserait d’être constaté dans les États membres à la suite, notamment, de la mise en œuvre de la directive 2001/80/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2001, relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l’atmosphère en provenance des grandes installations de combustion (JO L 309, p. 1).

62     En ce qui concerne ensuite le reproche tiré de la méthode utilisée par l’EMEP et la Commission afin d’évaluer la contribution au dépassement des charges critiques, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient le gouvernement hellénique, aucune disposition de la directive n’oblige la Commission à recourir à une méthode d’évaluation déterminée ni, à plus forte raison, à ce que la méthode employée après l’entrée en vigueur de la directive soit celle ayant servi de référence dans le cadre des travaux préparatoires de la directive.

63     Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission de s’être fondée sur les résultats des analyses effectuées par l’institut en application d’une méthode d’évaluation dont le gouvernement hellénique ne critique pas par ailleurs la validité scientifique.

64     En effet, ce gouvernement est resté en défaut de démontrer que la contribution grecque au dépassement des charges critiques, notamment en Italie, n’est pas confirmée par des résultats actualisés de projections s’appuyant, comme le relève le directeur général de l’institut dans sa lettre d’accompagnement du 19 novembre 2002, sur la connaissance générale des processus atmosphériques de transfert sur de grandes distances qui a été acquise par la communauté scientifique au cours des 30 dernières années.

65     Contrairement à ce que soutient la République hellénique, l’affirmation figurant au treizième considérant de la décision attaquée, selon laquelle il est démontré au-delà de tout doute raisonnable que les émissions grecques contribuent effectivement à des excès de dépôts dépassant les charges critiques pour l’acidification dans d’autres États membres, particulièrement l’Italie, et qui est contenue dans la lettre du directeur général de l’institut ayant réalisé les analyses en question, émane de l’auteur de cette lettre s’exprimant en sa qualité de directeur général et au regard de ces analyses. Loin de représenter une opinion personnelle de ce dernier, cette affirmation reproduit celle de l’institut au regard des analyses qu’il a effectuées.

66     À cela s’ajoute que, en tout état de cause, la décision attaquée a été prise en conformité avec l’avis du comité consultatif, de sorte que le juge communautaire ne saurait censurer une telle décision qu’en cas d’erreur manifeste de fait ou de droit ou de détournement de pouvoir (voir en ce sens, notamment, arrêt du 27 septembre 1983, Universität Hamburg, 216/82, Rec. p. 2771, point 14). Or, la preuve d’une telle erreur ou d’un tel détournement de pouvoir n’a pas été rapportée.

67     Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a pu, sans méconnaître l’article 3, paragraphe 2, de la directive, ni l’article 252 CE, prendre la décision attaquée, qui est conforme à l’avis du comité consultatif, en se basant sur les résultats des analyses de l’institut, selon lesquels les dépôts en provenance de Grèce contribuaient au dépassement des charges critiques dans certaines régions italiennes, et cela même si cette contribution n’excédait pas 0,5 % des dépôts en soufre en question et qu’elle n’était pas décisive aux fins du dépassement des charges critiques.

68     Dans ces conditions, le deuxième moyen doit également être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une méconnaissance du principe de la protection de la confiance légitime

 Argumentation des parties

69     La République hellénique soutient qu’elle pouvait légitimement s’attendre à bénéficier d’une dérogation au titre de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, eu égard notamment à la communication sur l’acidification, présentée par la Commission conjointement à la proposition initiale de directive. En effet, cette communication aurait laissé clairement entendre que la République hellénique devait bénéficier de pareille dérogation sur les parties de son territoire ne contribuant pas de manière significative au problème de l’acidification. Les dépôts de soufre en Italie imputables à la République hellénique auraient représenté globalement pour la période 1985-1996 une contribution qui, au moment de l’adoption de la directive, était, sur la base du rapport de l’EMEP pour l’année 1998, réputée nulle en termes de taux de contribution dans la balance globale pour le soufre en Italie, élément qui aurait conforté encore davantage la République hellénique dans son attente légitime de pouvoir bénéficier de la disposition dérogatoire.

70     La Commission répond que les travaux préparatoires et la communication sur l’acidification qui ont abouti à l’élaboration de la proposition de directive du Conseil ne peuvent pas être considérés comme des assurances concrètes créant des espoirs fondés auprès de la requérante en ce qui concerne la création d’une situation donnée. Il serait constant que les propositions de directive sont souvent modifiées pendant les négociations, comme cela aurait d’ailleurs été le cas en l’espèce.

 Appréciation de la Cour

71     La possibilité de se prévaloir de la protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées. En outre, rien ne s’oppose à ce qu’un État membre fasse valoir, dans le cadre d’un recours en annulation, qu’un acte des institutions porte atteinte à la confiance légitime de certains opérateurs économiques (voir, notamment, arrêt du 10 mars 2005, Espagne/Conseil, C-342/03, Rec. p. I-1975, point 47).

72     Toutefois, il ne saurait être admis qu’une communication présentée par la Commission conjointement à une proposition de directive, fût-elle mentionnée dans les considérants de celle-ci, ait pu faire naître une confiance légitime dans le maintien des orientations y contenues, alors qu’il résulte des articles 189 A du traité CE (devenu article 250 CE) et 189 C du traité CE que la Commission peut modifier une telle proposition à tout moment et que le Conseil peut prendre un acte constituant amendement de la proposition (voir en ce sens, notamment, arrêt du 5 octobre 1993, Driessen e.a., C-13/92 à C‑16/92, Rec. p. I‑4751, point 33), ce qui a effectivement été le cas en l’espèce en ce qui concerne les conditions dans lesquelles une dérogation peut être autorisée à l’utilisation de fiouls lourds dont la teneur dépasse 1 % en masse.

73     Par conséquent, la décision attaquée ne méconnaissant pas le principe de la protection de la confiance légitime, le moyen tiré d’une telle méconnaissance doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

 Argumentation des parties

74     Le gouvernement hellénique affirme que le principe de proportionnalité impose de faire preuve de flexibilité dans l’octroi de la dérogation au titre de l’article 3, paragraphe 2, de la directive. Étant donné l’imprécision des notions de charges critiques, de dépassement et de contribution au dépassement, l’interprétation très restrictive appliquée par la Commission serait contraire à toute flexibilité rendant compte de la «complexité de la structure territoriale des phénomènes environnementaux visés», à laquelle la Commission fait référence dans la communication sur l’acidification.

75     Le déséquilibre entre les coûts du refus et les bénéfices négligeables pour l’environnement auraient dû amener la Commission à accepter la demande. Le coût supporté par la République hellénique serait 50 fois supérieur à celui que devrait endosser la République italienne pour arriver au même résultat de protection de l’environnement sur son territoire. La thèse de la Commission conduirait un État membre à devoir assumer des coûts importants et disproportionnés pour réduire la teneur en soufre des fiouls lourds, alors même que la réduction obtenue ne contribuerait nullement à réaliser les objectifs environnementaux poursuivis par la directive, puisque le nombre d’écosystèmes exposés dans chaque case de la grille où un dépassement des charges critiques est observé resterait inchangé. En effet, aucun écosystème non protégé de la région italienne en cause ne verrait sa protection améliorée si les émissions de dioxyde de soufre provenant de la combustion de fiouls lourds ou de toute autre source en Grèce venaient à disparaître. En outre, aucun des écosystèmes protégés dans cette zone ne serait rendu vulnérable par le seul octroi de la dérogation. N’étant ni indiquée ni nécessaire, la décision attaquée irait à l’encontre du principe de proportionnalité.

76     Le gouvernement hellénique ajoute que, si l’interprétation très restrictive de la Commission est en accord avec l’esprit de la directive, cela signifierait que la directive elle-même ne respecterait pas le critère de rentabilité et violerait le principe de proportionnalité.

77     La Commission fait valoir que la circonstance que le Conseil a rendu plus sévères les conditions d’octroi en retirant de l’article 3 la notion de contribution «négligeable» proposée par la Commission confirme qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire lors de l’examen d’une demande de dérogation.

78     Le Conseil, pour sa part, aurait déjà tenu compte du principe de proportionnalité. La justification du caractère approprié de la disposition litigieuse résiderait dans le huitième considérant de la directive. La nécessité de la mesure serait elle aussi fondée sur les neuvième, dixième et quinzième considérants de la directive.

79     Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour, l’importance des objectifs poursuivis pourrait justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans le domaine de la politique de l’environnement par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre pourrait affecter la légalité d’une telle mesure, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence.

 Appréciation de la Cour

80     Il ressort de l’examen du moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive que la Commission ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’octroi d’une dérogation au titre de ladite disposition, dès lors qu’une contribution au dépassement des charges critiques est constatée, et cela indépendamment de l’ampleur de ladite contribution et de son rôle dans ledit dépassement. Dans ces conditions, comme le relève d’ailleurs la Commission, la question de savoir si le principe de proportionnalité a été respecté en l’occurrence revient en réalité à une mise en cause de la directive elle-même.

81     C’est d’ailleurs dans le même sens que le gouvernement hellénique affirme à titre subsidiaire que, dans l’hypothèse où l’interprétation de la directive soutenue par la Commission est retenue par la Cour, la directive elle-même viole le principe de proportionnalité, de sorte que cette directive devrait être déclarée inapplicable au titre de l’article 241 CE.

82     La Commission et le Conseil, pour leur part, considèrent que l’exception d’illégalité de la directive soulevée par le gouvernement hellénique est irrecevable en l’absence de moyens de droit invoqués dans la requête à l’appui de cette exception.

83     Cette thèse ne saurait être retenue.

84     En effet, dans sa requête introductive d’instance, le gouvernement hellénique fait valoir à titre subsidiaire que le législateur communautaire a méconnu le principe de proportionnalité dans la mesure où les conditions prévues par la directive aux fins de la dérogation ne respectent pas les critères de rationalité économique auxquels la Commission fait référence dans sa communication sur l’acidification.

85     Le recours mentionne de manière suffisamment claire les raisons pour lesquelles le principe de proportionnalité serait enfreint. L’exception d’illégalité ne saurait donc être déclarée irrecevable pour ce motif.

86     Toutefois, à supposer même qu’un État membre soit autorisé, dans le cadre d’un recours en annulation devant la juridiction communautaire, à exciper de l’illégalité d’une directive communautaire dont il est destinataire et à l’encontre de laquelle il n’a pas exercé de recours en annulation dans le délai prévu à cet effet par l’article 230, cinquième alinéa, CE, ce moyen n’est, en tout état de cause, pas fondé.

87     Conformément à la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission, C-110/03, Rec. p. I-2801, point 61), la violation du principe de proportionnalité présuppose que l’acte communautaire impose aux sujets de droit une obligation qui excède les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché par cet acte.

88     Par ailleurs, en raison de la nécessité de la mise en balance de certains des objectifs et principes visés à l’article 130 R du traité CE (devenu, après modification, article 174 CE), la directive ayant pour base juridique l’article 130 S, paragraphe 1, du traité, lequel était destiné à réaliser les objectifs dudit article 130 R, ainsi que de la complexité de la mise en oeuvre des critères que le législateur communautaire doit respecter dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de l’environnement, le contrôle judiciaire doit nécessairement se limiter au point de savoir si le Conseil, en adoptant la directive, a commis une erreur d’appréciation manifeste (voir en ce sens, notamment, arrêt du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C-284/95, Rec. p. I-4301, point 37).

89     Il convient de relever d’emblée que, pour autant que les griefs du gouvernement hellénique s’appuient sur des déclarations contenues dans la communication sur l’acidification, il est constant que le Conseil a délibérément rendu plus restrictives les conditions d’octroi d’une dérogation à l’utilisation de fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse 1 % en masse. Partant, ladite communication ne saurait être utilement invoquée à l’appui d’une violation par le législateur communautaire du principe de proportionnalité.

90     Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive, celle-ci vise à réduire les émissions de dioxyde de soufre résultant de la combustion de certains types de combustibles liquides. À cette fin, l’article 3, paragraphe 1, de la directive dispose que les fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse 1 % en masse ne doivent plus être utilisés sur le territoire des États membres à partir du 1er janvier 2003.

91     Ainsi qu’il ressort notamment des troisième, quatrième et huitième considérants de la directive, le soufre présent dans le pétrole a été reconnu depuis des décennies comme constituant la principale source des émissions de dioxyde de soufre qui sont responsables en grande partie des pluies acides et de la pollution de l’air qui affecte de nombreuses zones urbaines et industrielles. Par ailleurs, le problème de l’acidification est, ainsi qu’il est relevé notamment au cinquième considérant de la directive, un problème transfrontalier.

92     La soumission d’une autorisation d’employer des fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse le seuil autorisé de 1 % en masse à des conditions strictes, telles que celles énoncées à l’article 3, paragraphe 2, de la directive, constitue dès lors une mesure apte à atteindre l’objectif poursuivi par la directive.

93     En ce qui concerne la nécessité d’une application stricte de la condition relative à la contribution des émissions au dépassement des charges critiques dans les États membres, le dixième considérant de la directive énonce que «des études ont montré que les avantages induits par la réduction des émissions de soufre obtenue par une diminution de la teneur en soufre des combustibles l’emporteront souvent largement sur les coûts estimés pour l’industrie dans le cadre de la présente directive et que la technologie permettant de réduire la teneur en soufre des combustibles liquides existe et est bien établie». Ainsi que le fait valoir la Commission, ce considérant a été ajouté par le Conseil pour expliquer que le principe de proportionnalité a été pris en considération lorsqu’il a modifié la proposition de la Commission dans un sens plus restrictif.

94     Le quinzième considérant de la directive précise qu’il convient de prévoir des dérogations à l’obligation de respecter la teneur maximale en soufre des fiouls lourds autorisée par la directive, pour les États membres et les régions où l’état de l’environnement le permet.

95     Eu égard notamment aux effets des émissions de soufre sur la santé humaine et sur l’environnement ainsi qu’à la participation importante de ces émissions au phénomène transfrontalier d’acidification, le Conseil a pu, sans commettre une erreur d’appréciation manifeste, considérer qu’il était nécessaire de subordonner l’octroi de dérogations à l’emploi de fiouls lourds dont la teneur en soufre dépasse 1 % en masse à l’absence de toute contribution des émissions de soufre d’un État membre au dépassement des charges critiques sur le territoire des États membres, même si les coûts économiques d’une telle mesure peuvent être considérables et même si ladite contribution ne participe pas de manière significative à l’aggravation de la situation dans les États membres.

96     L’importance des objectifs poursuivis est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I‑4023, point 17, et du 17 juillet 1997, Affish, C-183/95, Rec. p. I-4315, point 42), d’autant plus que la protection de l’environnement constitue un des objectifs essentiels de la Communauté (voir, notamment, arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil, C-176/03, non encore publié au Recueil, point 41, et du 15 novembre 2005, Commission/Autriche, C-320/03, non encore publié au Recueil, point 72).

97     Par conséquent, le moyen tiré de l’illégalité de la directive doit être rejeté comme étant également non fondé.

98     Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

99     En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément au paragraphe 4 du même article, le Conseil supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République hellénique est condamnée aux dépens.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.