CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 17 novembre 2005 1(1)
Affaire C-470/03
AGM-COS.MET Srl
contre
Suomen valtio (État finlandais)
et
Tarmo Lehtinen
[demande de décision préjudicielle formée par le Tampereen käräjäoikeus (Finlande)]
«Directive 98/37/CE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines – Machines portant le marquage CE non conformes à une norme harmonisée – Article 28 CE – Mesures d’effet équivalent – Mises en garde publiques d’un fonctionnaire de l’État contre des élévateurs de véhicules importés d’un autre État membre – Imputabilité du comportement d’un fonctionnaire à l’État – Liberté d’expression des fonctionnaires – Proportionnalité – Responsabilité de l’État – Responsabilité des fonctionnaires»
I – Introduction
1. Le Tampereen käräjäoikeus (Finlande) a saisi la Cour d’une affaire complexe qui, à partir de l’interprétation d’une directive sur la sécurité des machines, soulève principalement des questions relatives à la responsabilité de l’État du fait des agissements de ses fonctionnaires, aux entraves à la libre circulation des marchandises dues à l’expression d’opinions et, enfin, à la responsabilité de l’État.
2. Ces questions se posent dans le cadre d’un litige opposant l’entreprise italienne AGM-COS.MET Srl (ci-après «AGM»), qui fabrique des ponts élévateurs pour véhicules, à l’État finlandais et à l’un de ses fonctionnaires, M. Tarmo Lehtinen. AGM réclame à l’État finlandais et à M. Lehtinen des dommages et intérêts pour pertes de chiffre d’affaires qu’elle impute aux déclarations publiques de M. Lehtinen, dans lesquelles ce dernier a qualifié les élévateurs d’AGM de contraires à la norme et dangereux. Le gouvernement finlandais lui oppose que M. Lehtinen a délibérément agi à l’encontre de la position officielle de son ministère, et que le ministère l’a clairement souligné en public. M. Lehtinen estime, notamment, que ses opinions relèvent de la liberté d’expression.
3. Dans ce contexte, le Tampereen käräjäoikeus a soumis à la Cour un catalogue détaillé de questions, qui peut être subdivisé en trois ensembles de questions: la juridiction de renvoi demande en premier lieu à la Cour, pour statuer sur la conformité des élévateurs en cause avec la norme, d’interpréter la directive sur la sécurité des machines; elle demande en deuxième lieu si les opinions exprimées en public par M. Lehtinen peuvent être considérées comme des entraves à la libre circulation des marchandises et une violation de la loyauté communautaire imputables à l’État, et dans quelle mesure celles-ci peuvent, le cas échéant, être justifiées par la liberté d’opinion et par l’objectif de la protection de la santé. Dans l’hypothèse où il serait porté atteinte aux articles 28 CE et 30 CE ou 10 CE, le Tampereen käräjäoikeus demande en troisième lieu à être éclairé sur le point de savoir si les conditions d’une responsabilité de l’État fondée sur le droit communautaire sont réunies, si le droit communautaire exige aussi une réparation du fonctionnaire qui a agi, et dans quelle mesure les conditions requises pour la mise en œuvre d’une telle responsabilité exigent, le cas échéant, une interprétation du droit finlandais conforme au droit communautaire.
II – Cadre juridique
4. Le cadre juridique de l’affaire est constitué par les articles 10 CE, 28 CE et 30 CE, ainsi que par la directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (2) (ci-après, également, la «directive»), et par la norme harmonisée EN 1493: 1998.
1. La directive 98/37
5. Afin d’éliminer les entraves aux échanges dues aux dispositions nationales en matière de sécurité et de santé et de prévenir les accidents provoqués par les machines, la Communauté a adopté la directive 98/37. Celle-ci établit les exigences impératives et essentielles de sécurité et de santé relatives aux machines et à leurs composants de sécurité, et prévoit une procédure d’évaluation et de déclaration de la conformité avec ces règles. La conformité est attestée par un marquage «CE».
6. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive, les États membres
«prennent toutes les mesures utiles pour que les machines […] auxquel[le]s s’applique la présente directive ne puissent être mis[es] sur le marché et mis[es] en service que [si elles] ne compromettent pas la sécurité et la santé des personnes […] lorsqu’[elles] sont installé[e]s et entretenu[e]s convenablement et utilisé[e]s conformément à leur destination».
7. Selon son article 2, paragraphe 2, la directive
«n’affecte pas la faculté des États membres de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu’ils estiment nécessaires pour assurer la protection des personnes, et en particulier des travailleurs, lors de l’utilisation des machines […], pour autant que cela n’implique pas de modifications de ces machines […] par rapport à la présente directive.»
8. L’article 3 de la directive dispose:
«Les machines […] auxquel[le]s s’applique la présente directive doivent satisfaire aux exigences essentielles de sécurité et de santé énoncées à l’annexe I.»
9. L’article 4, paragraphe 1, de la directive stipule:
«Les États membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et la mise en service sur leur territoire des machines […] qui satisfont à la présente directive.»
10. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, les États membres
«considèrent comme conformes à l’ensemble des dispositions de la présente directive, y compris les procédures d’évaluation de la conformité prévues au chapitre II [, …] les machines qui sont munies du marquage ‘CE’ et accompagnées de la déclaration ‘CE’ de conformité visée à l’annexe II, point A».
11. Toutefois, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive:
«Lorsqu’un État membre constate que […] des machines munies du marquage ‘CE’, utilisé[e]s conformément à leur destination, risquent de compromettre la sécurité des personnes […] ou des biens, il prend toutes les mesures utiles pour retirer les machines […] du marché, interdire leur mise sur le marché et leur mise en service ou restreindre leur libre circulation.
L’État membre informe immédiatement la Commission d’une telle mesure et indique les raisons de sa décision, en particulier si la non-conformité résulte:
a) du non-respect des exigences essentielles visées à l’article 3;
b) d’une mauvaise application des normes visées à l’article 5, paragraphe 2;
c) d’une lacune des normes visées à l’article 5, paragraphe 2, elles-mêmes.»
12. Les articles 8 et 9 de la directive prévoient des règles détaillées quant à la procédure de constatation de la conformité d’une machine avec les exigences de sécurité de la directive, et son article 10 les modalités du marquage de conformité au moyen des deux lettres «CE».
13. Selon l’annexe I, remarque préliminaire 1, de la directive, «[l]es obligations prévues par les exigences essentielles de sécurité et de santé ne s’appliquent que lorsque le risque correspondant existe pour la machine considérée lorsqu’elle est utilisée dans les conditions prévues par le fabricant. En tout état de cause, les exigences 1.1.2 […] et 1.7.4 s’appliquent à l’ensemble des machines couvertes par la présente directive».
14. Les exigences 1.1.2, relatives aux «Principes d’intégration de la sécurité», sont notamment libellées dans les termes suivants:
«a) Les machines doivent par construction être aptes à assurer leur fonction, à être réglées et entretenues sans que les personnes soient exposées à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par le fabricant.
Les mesures prises doivent avoir pour objectif de supprimer les risques d’accidents durant la durée d’existence prévisible de la machine, y compris les phases de montage et de démontage, même dans le cas où les risques d’accidents résultent de situations anormales prévisibles.
b) En choisissant les solutions les plus adéquates, le fabricant doit appliquer les principes suivants, dans l’ordre indiqué:
– éliminer ou réduire les risques dans toute la mesure du possible (intégration de la sécurité à la conception et à la construction de la machine),
– prendre les mesures de protection nécessaires vis-à-vis des risques ne pouvant être éliminés,
– informer les utilisateurs des risques résiduels dus à l’efficacité incomplète des mesures de protection adoptées […].
c) Lors de la conception et de la construction de la machine et lors de la rédaction de la notice d’instructions, le fabricant doit envisager non seulement l’usage normal de la machine mais aussi l’usage de la machine qui peut être raisonnablement attendu.
La machine doit être conçue pour éviter qu’elle soit utilisée d’une façon anormale si un tel mode d’utilisation engendre un risque. Le cas échéant, la notice d’utilisation doit attirer l’attention de l’utilisateur sur les contre-indications d’emploi […] qui, d’après l’expérience, pourraient se présenter.
[…]»
15. Pour les opérations de levage en cas d’utilisation dans les conditions prévues par le fabricant, l’annexe I stipule, dans ses exigences 4.1.2.3 («Résistance mécanique»):
«Les machines […] doivent pouvoir résister aux contraintes auxquelles [elle]s sont soumis[es] en service […], dans les conditions […] d’exploitation prévues par le fabricant et dans toutes les configurations y relatives […].
Les machines doivent être conçues et construites pour supporter sans défaillance les épreuves dynamiques effectuées avec la charge maximale d’utilisation […].
Les épreuves dynamiques doivent être effectuées […] dans des conditions d’utilisation normales. Ces épreuves sont effectuées, en règle générale, avec les vitesses nominales définies par le fabricant. Au cas où le circuit de commande de la machine autorise plusieurs mouvements simultanés (par exemple, rotation et déplacement de la charge), les épreuves doivent être effectuées dans les conditions les plus défavorables […]».
16. Il convient enfin de souligner que l’annexe IV de la directive comporte aussi, sous «A. Machines», le point «15. Ponts élévateurs pour véhicules», ce qui signifie qu’il s’agit là en tout état de cause de machines relevant du champ d’application de la directive.
2. La norme harmonisée EN 1493: 1998
17. Il ressort du dix-septième considérant de la directive que
«la présente directive ne définit que les exigences essentielles de sécurité et de santé de portée générale, complétées par une série d’exigences plus spécifiques pour certaines catégories de machines; que, pour faciliter aux producteurs la preuve de conformité à ces exigences essentielles, il est souhaitable de disposer de normes harmonisées au niveau européen en ce qui concerne la prévention contre les risques découlant de la conception et de la construction des machines ainsi que pour permettre le contrôle de la conformité aux exigences essentielles; que ces normes harmonisées sur le plan européen sont élaborées par des organismes de droit privé et doivent conserver leur statut de textes non obligatoires […]».
18. Le vingtième considérant de la directive précise ensuite:
«considérant que, comme c’est actuellement la pratique générale dans les États membres, il est indiqué de laisser aux fabricants la responsabilité d’attester la conformité de leurs machines aux exigences essentielles; que la conformité à des normes harmonisées donne une présomption de conformité aux exigences essentielles concernées […]».
19. C’est ainsi que, aux termes de l’article 5, paragraphe 2, de la directive,
«la machine […] construit[e] conformément à cette norme est présumé[e] conforme aux exigences essentielles concernées».
20. Le comité européen de normalisation (CEN) a établi pour les élévateurs de véhicules la norme harmonisée EN 1493: 1998 (3) (ci-après «EN 1493»), à laquelle la Commission a renvoyé par une communication (4).
21. La norme harmonisée prévoit, en ce qui concerne les exigences relatives à la structure porteuse des élévateurs de véhicules, sous le point 5.6 («Dimensionnement de la structure»), 5.6.1 («Généralités»):
«Les élévateurs de véhicules doivent être conçus de telle sorte que dans toutes les conditions de fonctionnement, ils présentent un niveau de sécurité satisfaisant. […]»
22. En ce qui concerne la répartition des charges au cours d’une opération de levage, elle exige, sous son point 5.6.4.2, pour les élévateurs de véhicules à prise sous coque pour véhicules routiers:
«Pour les besoins de la conception de la structure de l’appareil, le véhicule positionné sur les dispositifs supports de charge doit être pris en compte pour les deux directions.
[...]
Le calcul doit être effectué dans la configuration la plus défavorable.»
III – Faits et litige principal
Les élévateurs de véhicules d’AGM
23. La demanderesse au principal est une société italienne qui fabrique des ponts élévateurs pour véhicules et les commercialise en Europe sous la marque AGM. La gamme de modèles d’AGM comprend notamment les types de construction analogues G 28, G 32 et G 35, dont l’importateur finlandais a vendu depuis 1996 environ 150 exemplaires à des entreprises du secteur automobile en Finlande.
24. Les élévateurs de ce type sont formés de deux colonnes, entre lesquelles le véhicule à soulever est amené. À chacune des deux colonnes sont fixés deux bras porteurs, l’un court, l’autre long, qui sont glissés sous le châssis du véhicule à soulever. Les bras porteurs étant ainsi positionnés, ils peuvent alors être soulevés par un mécanisme fixé aux colonnes à la hauteur nécessaire pour qu’une personne puisse travailler debout sous le véhicule.
25. Il existe, pour le maniement de l’élévateur, des instructions relatives au chargement, qui indiquent le poids maximal autorisé du véhicule à soulever. Le poids maximal exact dépend cependant, pour chaque opération de levage, de deux facteurs. D’une part, plus les bras élévateurs sont déployés, plus le poids maximal autorisé du véhicule diminue. D’autre part, le poids maximal autorisé pour les bras porteurs longs est inférieur à celui autorisé pour les bras courts. Avant le levage d’un véhicule, l’écartement entre les bras porteurs doit donc être vérifié, de même que la charge par essieu indiquée sur les documents d’immatriculation du véhicule. Les instructions d’utilisation stipulent donc que le véhicule doit être amené entre les colonnes de telle manière que la charge par essieu la plus élevée repose sur le bras porteur court, et la charge inférieure sur le bras porteur long.
26. Le modèle G 35 a été déclaré conforme à la directive en 1997 et la marque CE y a été apposée. La certification avait été menée à bien par la société de droit italien ICEPI Srl, organisme de certification agréé par l’État italien, et avait été notifiée à la Commission.
27. Le 22 mars 2000, dans une entreprise finlandaise, une autocaravane est tombée d’un élévateur pour véhicules de type AGM G 32, le système de verrouillage de sécurité des bras porteurs ayant cédé à la suite de mouvements latéraux, alors que le poids du véhicule était inférieur à la charge maximale autorisée du pont élévateur. L’accident n’a pas fait de victime.
La procédure de contrôle du marché par le ministère
28. Le ministère des Affaires sociales et sanitaires finlandais (ci-après le «ministère») a reçu en mai 2000 un «rapport de contrôle du marché» d’un service local de l’inspection du travail. Il y était mentionné qu’un élévateur du modèle G 35 T/E s’était révélé déficient lors d’une inspection. Le service de l’inspection du travail du ministère a lancé une procédure de contrôle du marché et confié notamment l’affaire à l’ingénieur en chef M. Lehtinen, en qualité d’expert.
29. Au cours de la procédure de contrôle du marché, l’importateur a été entendu à plusieurs reprises. En outre, deux tests de résistance ont été effectués sur un élévateur du modèle G 35 T/E, dans le but de vérifier la compatibilité du système de verrouillage avec la norme EN 1493. M. Lehtinen a rédigé plusieurs rapports en langues finnoise et anglaise, qui portaient tous l’en-tête: «ministère des Affaires sociales et sanitaires», «service de l’inspection du travail» et «ingénieur en chef Tarmo Lehtinen».
30. Dans son premier rapport, M. Lehtinen indiquait notamment que le premier test de résistance avait montré que le mécanisme de verrouillage ne correspondait pas aux exigences de la norme EN 1493 et que sa conception devait être améliorée. AGM a alors conçu un nouveau mécanisme de verrouillage. Dans son deuxième rapport, de décembre 2000, M. Lehtinen a reconnu que ce nouveau mécanisme s’était révélé suffisant et correspondait à la norme. Il a donc été convenu, lors de la dernière audition de l’importateur, le 20 décembre 2000, que les mécanismes des appareils déjà en service en Finlande devraient être améliorés avant le 15 mars 2001. Pour la période transitoire, les utilisateurs ont été informés par lettre des risques, de la réduction de la charge autorisée et du remplacement des pièces déficientes.
31. Mais les critiques de M. Lehtinen étaient centrées, dans tous ses rapports, sur le fait que le mode d’emploi de l’élévateur prévoyait des restrictions quant à la direction dans laquelle le véhicule devait y accéder. Il relevait que la norme EN 1493 n’autorise pas de restrictions de ce type. L’organisme italien de certification et AGM auraient interprété la norme de manière erronée en basant les tests de résistance sur une répartition des charges conforme aux instructions du fabricant. La norme EN 1493 prévoit au contraire que les calculs de la charge autorisée sont effectués dans la configuration la plus défavorable. L’élévateur devrait donc être dimensionné de manière à ce qu’il puisse supporter la charge maximale autorisée même dans les conditions les plus défavorables. Dans ces conditions, l’élévateur pourrait supporter, non pas 3 500 kg comme indiqué, mais seulement 1 500 kg.
32. C’est pour ces motifs que le conseiller ministériel compétent a soumis, dès le 20 décembre 2000, au chef du service de l’inspection du travail habilité à statuer la proposition de décision visant à interdire la commercialisation et la mise en service des élévateurs d’AGM en Finlande. Mais le chef de service a renvoyé l’affaire pour examen, estimant qu’il ne disposait pas d’éléments d’appréciation suffisants pour prendre une telle décision.
Les prises de position publiques de M. Lehtinen et du ministère
33. Le 9 janvier 2001, M. Lehtinen a participé, dans le cadre de ses fonctions et en qualité de représentant du ministère, à une réunion de la confédération du commerce technique. La confédération compte environ 200 membres, parmi lesquels des entreprises fournissant des appareils d’équipement pour des établissements automobiles. M. Lehtinen y a déclaré que les élévateurs du type G 35 d’AGM étaient dangereux, qu’ils étaient contraires à la directive, et qu’ils devraient être retirés du marché. Il ressort toutefois d’une lettre de la confédération du 29 janvier 2001 au ministère que la confédération était au fait de l’état de la procédure et de l’avis divergent du ministère.
34. Le 17 janvier 2001, la chaîne de télévision nationale finlandaise TV 1 a diffusé au cours du journal télévisé national de 20 h 30 un reportage sur les élévateurs d’AGM. L’émission comportait un entretien avec M. Lehtinen, qui avait été enregistré dans son bureau du ministère avec l’accord du conseiller ministériel, son supérieur hiérarchique direct. Il y déclarait que ces appareils pouvaient, à son avis, représenter un risque direct. car des personnes travaillaient sous la charge. Le commentateur du journal télévisé a précisé qu’il s’agissait du cas le plus sérieux relevé jusqu’alors par les autorités et que les appareils devaient, selon les autorités, supporter la charge nominale même dans les cas où le véhicule se présentait dans la mauvaise direction. Il a également déclaré que, selon les autorités de l’inspection finlandaise du travail, l’appareil agréé en Italie ne correspondait pas aux normes de l’Union. M. Lehtinen a ajouté, lors d’une deuxième intervention, que l’organisme de certification concerné, choisi par le fabricant, avait interprété les dispositions de manière erronée. Il n’a pas été fait allusion à des avis divergents au sein du ministère ni à l’état de la procédure de contrôle du marché.
35. Le 8 février 2001, le chef du service de l’inspection du travail a adressé une télécopie à la confédération de l’industrie et des employeurs. Il y déclarait ne pas vouloir perturber le fonctionnement du marché intérieur en interdisant la vente de l’élévateur en présence de simples allégations, puisque aucune preuve n’avait été apportée à son encontre. Il mettait sérieusement en garde la confédération du commerce de gros sur les répercussions néfastes que le marché subirait si l’on continuait à y écouter M. Lehtinen.
36. Le 12 février 2001, M. Lehtinen a rédigé son troisième rapport. Il y mentionnait également, pour la première fois, les modèles G 28 et G 32, qui n’étaient pas concernés par la vérification de la conformité, et réaffirmait son point de vue sur la restriction quant à la direction du véhicule (5). Il soulignait en particulier que les bras porteurs des élévateurs étaient sous-dimensionnés, en raison d’une interprétation erronée de la norme, et que «les graves erreurs commises dans la conception des ponts élévateurs pourraient causer un accident en cas de contrainte excessive involontairement exercée sur les bras, entraînant une rupture et une déstabilisation de la structure». Il a adressé ce rapport à la fédération finlandaise des métallurgistes.
37. Le 16 février 2001, le chef de service a retiré à M. Lehtinen le dossier de la procédure au motif que celui-ci avait, dans une affaire en cours, exprimé en public un point de vue qui divergeait de la position officielle du ministère, et donc agi au mépris des instructions et de la politique de communication de ce dernier. Selon un rapport ultérieur du service de l’inspection du travail du 20 mars 2001, le dossier a été retiré à M. Lehtinen parce qu’il y avait lieu de penser que celui-ci avait agi en violation du principe de bonne administration et à l’encontre des intérêts économiques d’AGM.
38. Le 17 février 2001 est paru dans le journal régional à grand tirage Aamulehti un article intitulé: «Un expert dénonce la fragilité de certains ponts élévateurs pour véhicules». L’article se référait explicitement aux élévateurs d’AGM et reposait sur des entretiens accordés par M. Lehtinen et le chef de service du ministère. L’article rapporte que, selon M. Lehtinen, ingénieur en chef du service de l’inspection du travail du ministère, «des ponts élévateurs pour véhicules extrêmement dangereux ont été vendus». Il cite M. Lehtinen, selon lequel ces appareils présentaient manifestement trois ou quatre déficiences graves. Il est cependant également précisé que le chef du service de l’inspection du travail considère que les propos de M. Lehtinen ont été tenus en son nom propre. Sur ses indications, le ministère s’est penché sur cet appareil et a établi qu’il satisfaisait à toutes les exigences de la directive. Cet appareil n’est, selon lui, pas défectueux, la preuve n’en ayant pas été apportée.
39. Le 19 février 2001, M. Lehtinen a transmis son rapport daté du même jour rédigé en anglais, sans l’accord de son supérieur hiérarchique, aux autorités suédoises de l’inspection du travail. Son rapport y a été interprété comme exprimant le point de vue du ministère et a donné lieu à une demande d’éclaircissements auprès des autorités italiennes. M. Lehtinen a, d’autre part, diffusé ce rapport auprès d’experts européens.
40. Le 22 février 2001, la confédération des métallurgistes a adressé une note à ses sections spécialisées des secteurs de la réparation automobile et de la réparation mécanique, ainsi qu’aux responsables de la sécurité dans les entreprises. La confédération y indiquait que les élévateurs de véhicules AGM G 28 , G 32 et G 35 s’étaient sans aucun doute révélés dangereux, et que les destinataires devaient se saisir sans délai de l’affaire. La confédération a joint le rapport de M. Lehtinen du 12 février 2001, que ce dernier avait transmis à la confédération (6).
41. Le 13 juin 2001 est paru dans le journal régional à grand tirage Etalä-Saima un article intitulé: «La confédération des métallurgistes exige l’interdiction d’utiliser des ponts élévateurs pour véhicules dangereux» et sous-titré: «Chaque jour, 150 monteurs sont mis en danger». Il y était indiqué que la sécurité d’utilisation des ponts élévateurs d’AGM avait révélé, selon les constatations du service de l’inspection du travail du ministère, de graves déficiences. L’ingénieur en chef spécialisé dans ce type d’appareil avait déjà proposé en temps utile des restrictions à l’utilisation des élévateurs italiens d’AGM et proposait une interdiction de nouveaux appareils. Il était cependant également précisé que le chef du service de l’inspection du travail était d’un avis contraire, estimant ne pas disposer de preuves suffisantes, et que l’affaire se trouvait toujours en cours d’examen.
Les décisions et mesures prises par le ministère
42. Le 14 juin 2001, le service de l’inspection du travail du ministère a pris une décision sur le dossier. Il y constatait notamment que le dossier n’avait pas révélé d’éléments de nature à inciter le ministère à prendre des mesures de contrôle du marché à l’encontre du fabricant ou de l’importateur des élévateurs, le fabricant ayant remédié sur les nouveaux appareils aux déficiences constatées, et l’importateur ayant procédé de même pour les appareils déjà en service.
43. Le 1er octobre 2001, le ministère a adressé à M. Lehtinen un avertissement pour avoir diffusé, dans une émission d’information et dans un mémoire adressé aux services locaux de l’inspection du travail, une présentation fallacieuse de la position du ministère, et pour avoir méconnu la politique de communication de ce dernier. La commission de recours des fonctionnaires a confirmé la décision au motif que M. Lehtinen avait non seulement passé outre aux instructions de son supérieur hiérarchique, mais avait de surcroît continué à s’occuper de l’affaire, même après avoir été dessaisi du dossier le 16 février 2001. La commission de recours des fonctionnaires a, en revanche, estimé que l’entretien télévisé du 17 janvier 2001 n’était pas déplacé au point de justifier un avertissement écrit. Le Korkein hallinto-oikeus a confirmé les décisions de la commission de recours des fonctionnaires.
La procédure au principal
44. AGM a saisi le Tampereen käräjäoikeus d’un recours contre l’État finlandais et contre M. Lehtinen. AGM conclut à ce que les défendeurs soient solidairement condamnés à indemniser le préjudice qu’elle a subi sous la forme de pertes de chiffre d’affaires et d’atteintes à son renom en Finlande et dans d’autres pays européens.
45. AGM fait valoir à cet égard qu’elle détenait en 2000 et 2001 une part de 10 à 15 % du marché des élévateurs en Finlande. Son chiffre d’affaires est passé, en raison du comportement de M. Lehtinen et du ministère, d’environ 135 000 euros en 2000 à 1 070 euros en 2002. En outre, depuis 2001, une baisse considérable a également été constatée dans d’autres pays européens. La baisse de la marge bénéficiaire est à elle seule évaluée à 300 000 euros environ pour 2001 et à 750 000 euros environ pour 2002.
46. Ce dommage et tous autres à déduire auraient été causés à AGM du fait que M. Lehtinen a répandu des informations partiales, fausses et trompeuses sur les élévateurs d’AGM, et que le ministère n’a à aucun moment rectifié ces informations fausses et trompeuses, par exemple en publiant un communiqué officiel.
IV – Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour
47. Par ordonnance du 7 novembre 2003, le Tampereen käräjäoikeus a sursis à statuer et soumis à la Cour, pour une décision préjudicielle, les questions suivantes:
«1) Est-il légitime de parler d’une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l’article 28 CE, ou d’une mesure dont il faut s’abstenir au sens de l’article 10, deuxième alinéa, CE lorsqu’un fonctionnaire expert, appartenant à l’administration chargée de l’inspection du travail de l’État, mais qui n’a pas de pouvoir de décision, s’exprime dans le principal journal télévisé d’une chaîne nationale et dans des quotidiens à large diffusion, ainsi que dans des organismes commerciaux ou professionnels, après qu’une procédure de contrôle du marché a été engagée, mais sans qu’une décision soit intervenue, dans des conditions telles que ses propos, soit directement, soit par l’intermédiaire d’autres personnes, sur la dangerosité pour la santé, voire pour la vie, des personnes, d’un matériel mis sur le marché par un fabricant déterminé sont de nature à donner une image publique négative de l’appareil en cause et à nuire à sa commercialisation?
2) Convient-il d’interpréter la directive 98/37/CE relative aux machines en ce sens qu’un pont élévateur pour véhicules est contraire à des règles de sécurité essentielles qu’elle énonce dès lors que cet appareil n’a pas été construit en conformité à la norme SFS-EN 1493, qu’il n’a pas été tenu compte dans la conception de sa structure du placement du véhicule sur les barres élévatrices dans les deux sens de circulation et que les calculs de résistance de chacune de ces barres élévatrices n’ont pas été effectués en prévision des conditions de levage les plus défavorables?
3) a) Si la première question appelle une réponse positive, les actes du fonctionnaire qui y sont décrits sont-ils disproportionnés au regard de leur objectif honorable de protection de la santé et de la vie des personnes et, partant, contraires au traité CE, même si la deuxième question appelle elle aussi une réponse positive, dès lors que l’on tient compte de la nature de ces actes et, en particulier, du fait qu’il aurait été possible d’informer sur les dangers éventuels et d’éviter l’apparition de situations à risques en employant d’autres moyens que ceux décrits à la première question, que ces actes ont été commis avant même que l’autorité compétente n’ait pris de décision dans l’affaire de contrôle du marché et que, en visant spécifiquement un produit déterminé, ils étaient de nature à porter atteinte à la commercialisation de celui-ci?
b) Si la question de la proportionnalité évoquée à la question 3 a) relève de l’appréciation de la juridiction nationale, convient-il que celle-ci s’attache surtout à la non-conformité éventuelle aux règles de sécurité communautaires ou nationales, ou bien aux circonstances de la divulgation de cette non-conformité?
4) Les actes du fonctionnaire qui sont décrits à la première question sont-ils susceptibles, dans les circonstances énoncées ci-dessus à la question 3 a), d’être justifiés par la liberté de parole, garantie par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, quand bien même ils seraient contraires aux articles 28 CE et 30 CE, ou à l’article 10 CE?
5) a) Si les actes du fonctionnaire qui sont décrits à la première question sont contraires aux articles 28 CE et 30 CE, ou à l’article 10 CE, la violation a-t-elle été suffisamment manifeste et grave pour que, si les autres conditions d’engagement de sa responsabilité sont remplies, l’État soit tenu, en vertu du droit communautaire, de réparer le préjudice que ces actes ont pu entraîner pour l’entreprise qui a commercialisé l’appareil?
b) La violation évoquée au point a) a-t-elle été manifeste et grave même dans un cas où aucune erreur ou négligence ne pourrait être reprochée à l’autorité compétente (ou au fonctionnaire compétent) investi(e) du pouvoir de décision et alors que cette autorité (ou ce fonctionnaire) n’aurait, en aucune occasion, approuvé les actes incriminés ni fait en sorte qu’ils produisent des effets réels?
c) L’article 10 CE et, particulièrement, son deuxième alinéa, peuvent-ils créer des droits pour les personnes dans les circonstances énoncées à la première question?
d) Outre la responsabilité de l’État, celle du fonctionnaire lui-même peut-elle aussi être engagée en vertu du droit communautaire, et dans les mêmes conditions, en raison de ses actes tels que décrits à la première question, si ceux-ci étaient contraires au droit communautaire?
e) Est-il en pratique impossible ou excessivement difficile d’obtenir une réparation sur le fondement du droit communautaire, dès lors que le droit national n’admet la réparation de préjudices économiques autres que ceux portés aux personnes et aux biens que si le préjudice est le résultat d’un acte légalement punissable ou de l’exercice ou de la puissance publique ou, sinon, s’il y a des raisons particulièrement sérieuses d’ordonner la réparation?
6) a) Si la réparation d’un préjudice résultant de la violation, y compris par négligence, des règles de la libre circulation des marchandises est ordonnée en application de la loi nationale, le droit communautaire exige-t-il que la réparation du préjudice à ordonner constitue une sanction efficace et dissuasive et est-il incompatible avec les règles du droit communautaire de la responsabilité qu’un fonctionnaire qui a commis une infraction ou une négligence au sens de la loi nationale ne réponde du préjudice que dans une proportion raisonnable, qui ne correspond pas forcément à la totalité du préjudice, voire qu’il soit exonéré de toute responsabilité, si l’on ne peut lui reprocher qu’une négligence légère ou que le fonctionnaire et l’État responsable de l’erreur ou de la négligence du fonctionnaire ne puissent être tenus de réparer un préjudice économique autre qu’un préjudice causé aux personnes ou aux biens que si ce préjudice est le résultat d’un acte légalement punissable ou de l’exercice de la puissance publique ou, sinon, s’il y a des raisons particulièrement sérieuses d’ordonner la réparation?
b) Si l’une quelconque des limitations de responsabilité mentionnées au point a) est incompatible avec le droit communautaire, une décision de réparation prononcée en vertu du droit national doit-elle écarter cette limitation à l’égard du fonctionnaire en cause, même s’il en découle pour celui-ci une obligation de réparation plus sévère ou plus étendue que ce que prévoit la loi nationale?»
48. Au cours de la procédure devant la Cour, AGM, le gouvernement finlandais, M. Lehtinen, la Commission des Communautés européennes et le gouvernement suédois ont présenté des observations écrites et orales. Le gouvernement néerlandais a soumis des observations écrites.
V – Analyse juridique
A – Sur la recevabilité de la demande préjudicielle
49. M. Lehtinen estime que la demande préjudicielle du Tamperen käräjäoikeus est irrecevable. Il estime que la procédure pendante devant la juridiction de renvoi n’en serait qu’à sa phase préliminaire, au cours de laquelle l’objet du litige n’a pas encore été suffisamment éclairci. Selon lui, les questions de preuve n’ayant pas encore été examinées, les faits exposés par la juridiction de renvoi n’ont pas été établis. Il n’est donc pas certain que les questions préjudicielles soient pertinentes. Il conclut, au demeurant, à l’inexistence d’une responsabilité des fonctionnaires nationaux fondée sur le droit communautaire, de sorte que les questions préjudicielles posées à ce sujet seraient, en tout état de cause, irrecevables.
50. Il ressort clairement de l’article 234, deuxième alinéa, CE que le juge national décide à quel stade de la procédure il y a lieu, pour lui, de poser une question préjudicielle à la Cour. Il est seul à avoir une connaissance directe des faits de l’affaire et est donc le mieux placé pour apprécier à quel stade de la procédure il a besoin d’une décision préjudicielle de la Cour (7).
51. Au reste, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national d’apprécier la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement et la pertinence des questions qu’il pose. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer. La Cour ne peut refuser de statuer que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou avec l’objet du litige principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour être en mesure de répondre utilement aux questions qui lui sont posées (8).
52. La juridiction de renvoi a exposé en détail le cadre factuel et juridique du litige dont elle est saisie. Les parties à la procédure confirment pour l’essentiel, dans leurs observations, les faits rapportés. La juridiction de renvoi développe les raisons pour lesquelles elle sollicite l’interprétation des dispositions du droit communautaire, pour lesquelles elle a des doutes sur l’application des dispositions et pour lesquelles elle estime que leur interprétation est nécessaire à sa décision sur le litige principal. Les parties à la procédure ont pu s’exprimer utilement sur la base de ces indications. La juridiction de renvoi pouvait donc estimer, dans ces circonstances, que ses questions étaient pertinentes.
53. La question de savoir si le droit communautaire impose ou permet une responsabilité des fonctionnaires nationaux exige une interprétation du droit communautaire sur le fond. Elle doit donc faire partie de l’appréciation du contenu même des questions préjudicielles.
54. La demande de décision préjudicielle est donc recevable.
B – Sur les questions préjudicielles
55. La réponse à la deuxième question préjudicielle pouvant influer sur la réponse aux autres questions, c’est elle qu’il convient d’examiner en premier lieu. En outre, les autres questions recevront, en fonction de leur interdépendance, une réponse commune.
1. Interprétation de la directive 98/37 (deuxième question)
56. Afin d’apprécier la conformité de l’élévateur avec le droit communautaire, la juridiction de renvoi sollicite de la Cour une interprétation de la directive sur la sécurité de fonctionnement des machines. Elle pose en substance la question de savoir si la directive exige que les véhicules doivent pouvoir être placés dans l’un ou l’autre sens sur un élévateur sans que la charge maximale autorisée indiquée par le fabricant en soit affectée.
57. La norme harmonisée EN 1493 exige que la charge maximale soit calculée dans la configuration de chargement la plus défavorable. Elle n’autorise pas de restriction quant au sens d’accès. Au contraire, selon le point 5.6.4.2. de la norme (9), la charge maximale autorisée pour les modèles tels qu’en l’espèce doit être calculée pour le véhicule y accédant dans le sens le plus défavorable, et doit par conséquent être révisée à la baisse par rapport à ce qui serait possible dans le sens le plus favorable.
58. Mais, en vertu des dix-septième et vingtième considérants et de l’article 5, paragraphe 2, de la directive (10), la compatibilité d’une machine avec la norme harmonisée fonde une simple présomption qu’elle répond aux exigences de sécurité de la directive. La norme facilite donc simplement la preuve de la conformité d’une machine avec la directive. Mais la preuve peut aussi en être rapportée d’une autre manière. Comme le gouvernement finlandais le rappelle à juste titre, la directive prévoit elle-même, par exemple à l’article 8, paragraphe 2, sous b), l’examen d’un modèle de la machine qui peut fournir cette preuve. Le respect de la norme EN 1493 n’est donc pas une condition préalable de la conformité des élévateurs avec la directive.
59. Pour apprécier la compatibilité avec les exigences de sécurité de la directive, l’organisme italien de certification s’est fondé sur les consignes d’utilisation des fabricants. Il est vrai que la directive exige seulement que les machines ne puissent faire courir aucun risque «lorsqu’elles sont utilisées conformément à leur destination», «lorsqu’elles sont utilisées dans les conditions prévues par le fabricant», «dans les conditions prévues par le fabricant» et «dans les conditions […] d’exploitation prévues par le fabricant» (11). C’est par conséquent à bon droit qu’AGM fait valoir que l’appréciation doit se fonder sur les consignes d’utilisation du fabricant.
60. La directive est cependant attentive, dans le cadre de l’élimination des entraves au marché intérieur, au «coût social» des accidents dus à des machines et souligne que les accidents peuvent être réduits en intégrant la sécurité à la conception même des machines. Elle veut parvenir à un rapprochement des dispositions en matière de sécurité sans abaisser le niveau de protection. Le maintien et l’amélioration du niveau de sécurité sont l’un de ses objectifs essentiels (12).
61. Au regard de ces objectifs, les exigences du point 1.1.2 de l’annexe I revêtent une importance particulière (13). Selon la remarque préliminaire 1, deuxième phrase, de l’annexe I, ces exigences s’appliquent à l’ensemble des machines, indépendamment des instructions du fabricant. Selon le point 1.1.2, sous a), les machines doivent par construction être aptes à assurer leur fonction sans que les personnes soient exposées à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par le fabricant. Les mesures de sécurité doivent avoir pour objectif de supprimer les risques d’accident, même dans les cas où ils résultent de situations anormales prévisibles. De même, selon le point c), les machines doivent être conçues de manière à éviter des utilisations anormales faisant courir un risque.
62. Le point b) prévoit que, en choisissant les solutions les plus adéquates, le fabricant doit tout d’abord éliminer ou réduire les risques en intégrant la notion de sécurité dans la conception et la construction de la machine. Ce n’est que contre les risques ne pouvant être éliminés ainsi qu’il doit prendre les mesures de protection nécessaires. C’est alors seulement, si cela n’est pas non plus entièrement possible, qu’il doit informer les utilisateurs des risques résiduels.
63. Il convient donc de retenir que la directive accorde une grande importance à la protection de la santé et exige, en se fondant sur les possibilités techniques et économiques, le niveau le plus élevé de protection qui puisse être atteint de manière réaliste. Les risques doivent ainsi être exclus dès la construction de la machine ou, subsidiairement, par des mesures de protection appropriées, et ce n’est qu’en dernière extrémité qu’ils doivent être réduits par l’information des utilisateurs.
64. Comme la Commission l’a fait valoir, sans être contredite, la pratique montre que, en l’état actuel de la technique, il est possible de concevoir des élévateurs qui supportent la charge maximale indépendamment du sens dans lequel le véhicule y accède et qui supportent la répartition des charges qui en résulte. On peut en particulier penser que, sur les élévateurs tels qu’en l’espèce, les bras porteurs peuvent être dimensionnés de telle manière que le poids maximal indiqué puisse être supporté dans n’importe quelle situation de chargement. Pour autant qu’on puisse en juger, aucun obstacle ni technique ni scientifique insurmontable ne s’y oppose.
65. Subsidiairement, une mesure de protection pourrait également assurer la sécurité, par exemple par un mécanisme d’alarme automatique qui, en cas de dépassement des limites de chargement, élimine les risques possibles par des signaux d’alarme et le blocage du mécanisme de levage. Cela devrait fournir une sécurité pratiquement équivalente à la solution d’origine, et pourrait être une solution plus économique.
66. La troisième possibilité consisterait en des instructions d’utilisation qui réduisent l’usage anormal et les risques qui en résultent. Cette solution – à l’encontre des deux options précédentes – n’élimine pas les erreurs de manipulation, même si les instructions paraissent claires, et elle n’offre donc pas un niveau de protection comparable. Les instances de coordination des organismes de certification ont donc à juste titre fourni une recommandation d’interprétation, selon laquelle les instructions relatives au sens d’accès du véhicule et à l’utilisation de tableaux de charge sont incompatibles avec les exigences de sécurité de la directive.
Conclusion intermédiaire
67. La directive doit être interprétée en ce sens que des élévateurs tels que ceux du cas d’espèce ne répondent aux exigences de sécurité de la directive que s’ils peuvent supporter des véhicules, quel que soit leur sens d’accès, jusqu’à leur charge maximale autorisée, ou s’il est au moins garanti, par des mesures de protection effective, que toute charge défectueuse ou surcharge est exclue.
2. Entraves à la libre circulation des marchandises; violation de la loyauté communautaire (première, troisième et quatrième questions)
68. Par ses première, troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi souhaiterait en substance savoir si, dans des circonstances telles qu’en l’espèce, des propos comme ceux que M. Lehtinen a tenus en public doivent être considérés comme un comportement attribuable à l’État, qui constitue une entrave à la libre circulation des marchandises [b)] ou une atteinte à la loyauté communautaire [c)], et dans quelle mesure cela pourrait éventuellement être justifié par la liberté d’opinion ou l’objectif de protection de la santé en tenant compte du principe de proportionnalité [d)]. Mais il convient tout d’abord d’examiner le critère d’appréciation [a)].
a) Sur le critère d’appréciation: la directive, et non plus l’article 28 CE
69. La juridiction de renvoi s’interroge en premier lieu sur la compatibilité du comportement de M. Lehtinen et du ministère avec l’article 28 CE. L’article 28 CE ne peut cependant pas être utilisé comme critère d’appréciation, dans la mesure où le domaine en cause a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive par le droit dérivé. Ainsi, lorsqu’une question est réglementée de manière harmonisée au niveau communautaire, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation, et non pas des libertés fondamentales. Il convient d’examiner si la question fait l’objet d’une harmonisation exhaustive, en particulier en fonction des objectifs et du contenu de la mesure d’harmonisation (14).
70. Ainsi qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 1er et de l’annexe IV, A, point 15, de la directive, les élévateurs de véhicules relèvent du domaine d’application de la directive. La directive prescrit, à l’article 3 et à l’annexe I, de nombreuses exigences de sécurité spécifiques pour les machines. L’article 8 établit des règles précises et détaillées pour le contrôle de ces exigences, et l’article 10 prévoit un marquage CE, qui est délivré en cas de conformité. Les articles 2, paragraphe 1, et 3 interdisent la mise sur le marché des machines qui ne répondent pas aux exigences. L’article 4, paragraphe 1, de la directive interdit aux États membres d’entraver la mise sur le marché de machines conformes à la directive. Ces interdictions reflètent l’objectif de la directive, qui ressort également des sixième et septième considérants: harmoniser les normes de sécurité et les procédures nationales pour éliminer les obstacles au libre échange des machines. L’article 2, paragraphe 2, le confirme puisqu’il stipule que les États membres ne sont pas habilités à établir des normes supplémentaires de sécurité relatives aux machines. C’est seulement si des risques apparaissent ultérieurement que les États membres prennent, en vertu de l’article 7, les mesures utiles.
71. Les règles de sécurité en vue de la mise sur le marché des machines, qui affectent la libre circulation des marchandises, sont donc harmonisées de manière exhaustive (15). La directive est par conséquent, comme M. Lehtinen l’a justement fait valoir à l’audience, le seul critère d’appréciation. Il n’y a pas lieu d’invoquer, même à titre supplétif, l’article 28 CE.
b) Violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive (première question)
72. La juridiction de renvoi interroge, certes, la Cour sur le point de savoir s’il existe, dans les circonstances de l’espèce, un comportement de l’État qui restreint la libre circulation des marchandises visée à l’article 28 CE. Cependant, en vue de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile (16), il convient, selon les constatations qui viennent d’être faites, d’examiner si l’on est en présence d’une violation de la directive (17). On recherchera, en l’occurrence, si des déclarations telles que celles de M. Lehtinen et du ministère sont contraires à l’article 4, paragraphe 1, de la directive.
73. Il est porté atteinte à l’article 4, paragraphe 1, de la directive lorsqu’un État membre prend une mesure qui restreint ou entrave la mise sur le marché d’une machine conforme à la directive.
i) La conformité de l’élévateur avec la directive
74. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, l’interdiction des restrictions qu’il édicte ne s’applique que si la machine est conforme aux dispositions de la directive. Or, selon les indications disponibles, on a tout lieu de penser qu’un élévateur tel que ceux d’AGM n’est objectivement pas conforme aux exigences de sécurité précédemment mentionnées.
75. La présomption de conformité établie à l’article 5, paragraphe 1, de la directive vaut, certes, ici. L’élévateur a en effet été certifié conforme à la directive et muni du marquage de conformité CE au titre de l’article 10 de la directive. Cela ne signifie pas pour autant que les États membres ne puissent pas prendre de mesures lorsque des risques apparaissent. Un État membre est au contraire tenu, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, de prendre toutes les mesures utiles pour retirer la machine du marché lorsqu’il constate que la machine, utilisée conformément à sa destination, risque de compromettre la sécurité des personnes ou des biens. En vertu du deuxième alinéa de ce même article, l’État membre informe immédiatement la Commission d’une telle mesure et indique les raisons de sa décision. Par conséquent, la constatation d’un risque fait tomber la présomption de conformité visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive.
76. Mais, selon les indications de la juridiction de renvoi, le ministère compétent n’a ni procédé à une telle constatation ni pris de mesures pour retirer les élévateurs du marché; il n’a pas non plus effectué de communication motivée à la Commission au titre de l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive. Les circonstances de l’affaire laissent donc à penser que la présomption de conformité de l’élévateur avec les règles de la directive existait encore à l’époque des faits, et que l’interdiction des restrictions imposée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive valait encore pour le modèle de pont élévateur d’AGM.
ii) Sur l’existence d’un comportement de l’État membre
77. La juridiction de renvoi estime possible que les déclarations de M. Lehtinen présentant l’élévateur d’AGM comme contraire aux normes et dangereux constitue une restriction étatique à sa mise sur le marché. Il convient donc d’examiner si des mises en garde publiques d’un fonctionnaire contre un produit peuvent être considérées comme un comportement de l’État membre. En d’autres termes, des déclarations telles que celles de M. Lehtinen peuvent-elles être attribuées à l’État membre?
78. Il convient tout d’abord de relever que la Cour n’a jamais encore statué sur un cas de figure tel qu’en l’espèce. La Cour a tout d’abord (naturellement) admis l’imputabilité d’un comportement pour le cas normal dans lequel des fonctionnaires agissent selon les instructions de leurs supérieurs hiérarchiques ou conformément à leurs lois nationales. En deuxième lieu, elle a attribué à des États membres le comportement de particuliers agissant sous la direction et sur instructions d’autorités de l’État membre (18). Enfin, dans un troisième temps, la Cour a en quelque sorte imputé à un État membre le comportement de particuliers qui n’avaient pas agi sous la direction de l’État, dès lors que l’État membre était tenu à une obligation positive de juguler ce comportement privé (19).
79. À l’exception d’AGM, toutes les parties en présence sont d’avis que le comportement de M. Lehtinen doit être considéré comme celui d’une personne privée. La raison en est que M. Lehtinen ne dispose pas d’un pouvoir de décision et que, dans les déclarations officielles du ministère, M. Lehtinen ne représente pas la position officielle du ministère. Elles estiment par conséquent que les actes du chef de service seul constituent un comportement étatique. La responsabilité de l’État finlandais n’entre donc en ligne de compte que si le chef de service, en s’abstenant d’agir à l’encontre de M. Lehtinen, a manqué aux obligations de protection incombant à l’État au sens de l’arrêt Commission/France (20) et du règlement (CE) n° 2676/98 (21). Toutefois, ces critères ne s’appliquent que si l’État doit réagir au comportement de particuliers, mais non lorsqu’il a lui-même agi, par exemple par le truchement de ses fonctionnaires (22). Il convient par conséquent de déterminer en premier lieu si M. Lehtinen a agi pour l’État ou à titre personnel.
80. Il convient à cet égard de considérer que – à l’encontre des interdictions de produits – les mises en garde (étatiques) contre des produits n’ont pas en elles-mêmes d’effet restrictif sur le marché. Ce sont les réactions des opérateurs concernés sur le marché à ces mises en garde qui peuvent ensuite entraîner de tels effets. L’imputabilité à l’autorité des prises de position d’un fonctionnaire dépend donc de façon décisive de la manière dont les opérateurs concernés perçoivent ces déclarations (23). En effet, si les circonstances amènent les opérateurs à penser que les déclarations d’un fonctionnaire constituent une mise en garde étatique contre un produit, ces déclarations influent sur leur comportement avec la même autorité étatique que si l’État avait lui-même fait cette mise en garde. De telles déclarations peuvent alors tout à fait avoir le même effet qu’une interdiction édictée par les autorités.
81. Ainsi que la juridiction de renvoi l’expose, l’impression domine aussi en l’espèce que la baisse du chiffre des ventes à un niveau proche de zéro est due aux déclarations de M. Lehtinen. Face à une telle baisse, l’effet de ces déclarations équivaut à celui d’une interdiction des ventes. Du reste, il ressort de la jurisprudence de la Cour sur la responsabilité des fonctionnaires en droit communautaire que, à côté des actes administratifs formels, des actes concrets (24) tels que des déclarations publiques (25) ou la publication d’informations de service (26) peuvent engager la responsabilité de la Communauté. Le rapport entre les déclarations et l’activité du service, qui est également exigé, existerait dans des circonstances telles qu’en l’espèce.
82. Il appartient aux États membres de garantir que leurs fonctionnaires n’émettent pas, avec l’autorité de leur fonction, des points de vue contredisant la ligne étatique officielle. Si l’impression de l’autorité de la fonction naît cependant, cette apparence doit immédiatement être dissipée par une information appropriée. Dans le cas contraire, le comportement est imputé à l’État, à moins que le fonctionnaire ne soit manifestement incompétent.
83. Contrairement à ce que soutiennent les gouvernements néerlandais et suédois, un État membre ne peut pas se soustraire à l’imputation du comportement en invoquant la répartition interne (au ministère) des compétences (27). En effet, seule compte, pour les effets des déclarations publiques, la perception que les destinataires en ont.
84. Cela est conforme au droit international public, auquel la Cour s’est référée (28). En droit international, le comportement n’est attribué à l’État que dans la mesure où il existe une apparence juridique de l’exercice de l’autorité étatique (29). Les autres cas de figure dans lesquels il lui est imputé sont analogues en droit international et en droit communautaire: action d’un organe (30), action sur ordre (31) et tolérance de l’État ou abstention répréhensible (32).
85. Conformément à ces principes, la Commission européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme ont, elles aussi, estimé que des fonctionnaires de tout niveau, aussi bas soit-il, pouvaient enfreindre la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cela vaut également lorsque les fonctionnaires agissent sans autorisation, voire en dehors ou à l’encontre des instructions (33).
86. La mise en œuvre des éléments du droit communautaire est, certes, opérée dans chaque cas d’espèce par les juridictions nationales (34). Mais la Cour peut, sur la base des circonstances de l’affaire, apporter des éclaircissements et indiquer des directions (35).
87. Ainsi qu’on l’a relevé (36), l’élément déterminant pour que les déclarations d’un fonctionnaire soient imputées à l’autorité réside dans le point de savoir si les destinataires des déclarations supposent, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions étatiques que le fonctionnaire compétent prend avec l’autorité de sa fonction, ou s’ils y voient l’expression d’une opinion personnelle. La juridiction de renvoi doit, pour statuer sur cette question, tenir compte de toutes les circonstances.
88. Certaines circonstances de l’affaire au principal, qui indiquent aux destinataires des déclarations que M. Lehtinen ne représentait que lui-même, plaident contre l’imputation de ses positions à l’État finlandais.
89. Ainsi, par exemple, la lettre de la fédération du commerce technique au ministère du 29 janvier 2001, relative aux déclarations de M. Lehtinen du 9 janvier 2001 dans le cadre d’une réunion de la confédération du commerce technique, montre qu’il était clair pour les participants à la réunion que le point de vue de M. Lehtinen n’était pas celui du ministère (37).
90. Il en va de même des articles parus dans des journaux régionaux les 17 février et 13 juin 2001. En effet, selon les informations fournies, ils exposaient les points de vue divergents de M. Lehtinen et du chef de service, et indiquaient également que le chef de service était le supérieur hiérarchique de M. Lehtinen investi du pouvoir de décision (38).
91. D’autres circonstances de l’affaire au principal, selon lesquelles les destinataires des déclarations pouvaient penser que M. Lehtinen exprimait, en qualité de fonctionnaire compétent, la position officielle de son administration, plaident en revanche pour l’imputabilité de son comportement à l’État finlandais.
92. Par exemple, les indications fournies par la juridiction de renvoi sur l’émission télévisée du 17 janvier 2001 laissent à penser que les téléspectateurs ont pu avoir l’impression que M. Lehtinen représentait, en qualité de fonctionnaire compétent, le point de vue du ministère. Le point de vue de M. Lehtinen a en effet été présenté dans l’émission comme celui des autorités finlandaises, et il est apparu comme représentant le ministère dans un entretien qui avait été enregistré avec l’autorisation de son supérieur hiérarchique direct, le conseiller ministériel, dans son bureau (39).
93. L’analyse de la juridiction de renvoi indique également que la confédération des métallurgistes et les responsables de la sécurité des entreprises (c’est-à-dire le groupe cible des acheteurs d’élévateurs pour véhicules) ont pu avoir l’impression que le point de vue de M. Lehtinen était le point de vue du ministère compétent. Ces groupes cible ont en effet reçu le rapport de M. Lehtinen du 12 février 2001 qui portait l’en-tête «Ministère des affaires sociales et sanitaires», «Service de l’inspection du travail» et «Ingénieur en chef Tarmo Lehtinen» (40).
94. En outre, selon l’exposé de la juridiction de renvoi, l’organisme suédois de la sécurité au travail a vu dans le rapport en langue anglaise de M. Lehtinen du 19 févier 2001 la position du ministère (41). Il est également apparu aux experts européens, selon ces indications, que le rapport exprimait le point de vue du ministère (42).
95. La juridiction de renvoi mentionne du reste ensuite, au sujet des déclarations de M. Lehtinen, que celui-ci s’est toujours présenté comme fonctionnaire du ministère et n’a à aucun moment manifesté que son point de vue lui était personnel. Selon les indications de la juridiction de renvoi, M. Lehtinen n’est pas non plus apparu au public comme manifestement incompétent. M. Lehtinen était en outre, jusqu’à ce que le chef de service lui ait retiré le dossier le 16 février 2001, chargé de la procédure de contrôle du marché.
96. Or, si des déclarations suscitent l’impression d’une autorité de la fonction qui n’existe en réalité pas, un État membre peut éviter que ces déclarations lui soient imputées en dissipant immédiatement cette impression par une information appropriée (43).
97. Mais, selon les indications de la juridiction de renvoi, le ministère n’a à aucun moment informé les destinataires des déclarations de M. Lehtinen des 17 janvier et 12 et 19 février 2001 sur la position divergente du ministère. Rien n’indique donc que le ministère ait pris soin, face à ces déclarations, de dissiper avec la diligence requise l’impression que M. Lehtinen défendait une position officielle. En outre, les deux articles de journaux régionaux n’ont sans doute pas eu une diffusion aussi large que l’entretien télévisé ni les mêmes cercles de destinataires que les déclarations de M. Lehtinen.
98. En résumé, les circonstances de l’affaire au principal laissent à penser que les déclarations de M. Lehtinen des 9 janvier, 17 février et 13 juin 2001 constituent plutôt un comportement purement privé de M. Lehtinen. En revanche, les circonstances de l’affaire au principal laissent plutôt à penser, en ce qui concerne ses déclarations des 17 janvier et 12 et 19 février 2001, que son comportement est imputable à l’État finlandais et qu’il s’agit donc d’un comportement de l’État membre (44).
99. La juridiction de renvoi devra cependant, pour porter une appréciation exhaustive sur les questions d’imputabilité, élucider complètement l’ensemble des circonstances de fait. En effet, sur des questions de la Cour, le gouvernement finlandais et M. Lehtinen ont pour la première fois déclaré à l’audience devant la Cour que la chaîne de télévision TV 1 avait aussi présenté, ultérieurement, la position du ministère. Le chef de service aurait en outre apporté peu après un rectificatif devant la confédération des métallurgistes et le gouvernement suédois, selon lequel M. Lehtinen avait exprimé son opinion personnelle. La juridiction de renvoi devra donc déterminer dans quelle mesure les mesures prises par le ministère sont parvenues en temps utile aux destinataires des déclarations de M. Lehtinen et ont dissipé l’impression qu’il s’agissait de déclarations officielles du ministère (45).
iii) Sur la restriction ou l’entrave à la mise sur le marché de l’élévateur
100. Il reste à déterminer si le comportement de M. Lehtinen a restreint ou entravé la mise sur le marché de l’élévateur.
101. L’article 4, paragraphe 1, de la directive, traduction en droit dérivé de la libre circulation des marchandises, interdit, au sens de la formule de l’arrêt Dassonville, toute mesure susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire des machines dans le domaine d’application de la directive (46).
– Les restrictions dues à un comportement imputable à l’État
102. À supposer que les déclarations publiques de M. Lehtinen des 17 janvier et 12 et 19 février 2001 soient imputables à l’État finlandais, il convient d’examiner si ces déclarations, dès lors étatiques, enfreignent l’article 4 de la directive.
103. Dans l’arrêt Buy Irish, la Cour a estimé que même une campagne publicitaire pour des produits nationaux, qui ne déconsidérait en rien les produits concurrents étrangers, avait un effet restrictif (47). Des déclarations étatiques qui présentent une machine dans les informations télévisées, dans des rapports largement diffusés ayant une apparence officielle et dans des entretiens accordés à des journaux, comme contraire à la norme et dangereuse, sont à plus forte raison susceptibles d’entraver au moins indirectement et potentiellement la mise sur le marché de la machine.
104. Les circonstances de l’affaire au principal laissent donc à penser que les déclarations de M. Lehtinen constituent des mesures étatiques qui restreignent ou entravent la mise sur le marché d’une machine certifiée conforme à la directive, et enfreignent donc l’article 4, paragraphe 1, de la directive.
105. Il convient par conséquent de répondre à la question préjudicielle comme suit:
Des déclarations non autorisées d’un fonctionnaire, dans lesquelles une machine certifiée conforme à la directive est présentée comme contraire à la norme et dangereuse, constituent un manquement à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, si le comportement du fonctionnaire est imputable à l’État membre. Sont imputables à l’État les déclarations qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État, et non pas d’opinions personnelles du fonctionnaire. Il y a lieu en particulier de tenir compte à cet égard du fait:
– que le fonctionnaire est, de manière générale, compétent dans le secteur en question,
– que le fonctionnaire diffuse ses déclarations écrites en utilisant le papier à en-tête officiel du service compétent,
– que le fonctionnaire accorde des entretiens télévisés dans les locaux de son service,
– que le fonctionnaire ne mentionne pas le caractère personnel de ses déclarations et n’indique pas qu’elles divergent de la position officielle du service compétent, et
– que les services étatiques compétents n’entreprennent pas immédiatement les démarches nécessaires pour dissiper chez les destinataires des déclarations du fonctionnaire l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État.
– Les restrictions dues à un comportement non imputable à l’État
106. Si la juridiction de renvoi voit dans les déclarations de M. Lehtinen, en vertu des critères susmentionnés, des positions personnelles non imputables à l’État, il y a lieu d’envisager une violation de l’article 4 de la directive du fait que l’État finlandais s’est indûment abstenu d’intervenir.
107. La Cour a ainsi jugé que les articles 28 CE et 10 CE imposent aux États membres de prendre toutes mesures nécessaires et appropriées pour assurer sur leur territoire le respect de la liberté fondamentale et d’adopter les mesures suffisantes pour empêcher les obstacles à la libre circulation des marchandises, créés notamment par des actions de particuliers sur leur territoire à l’encontre de produits originaires d’autres États membres (48). Les États membres jouissent d’une marge d’appréciation en ce qui concerne les mesures nécessaires et les mieux appropriées dans la situation donnée: il n’appartient pas aux institutions communautaires de se substituer aux États membres pour leur prescrire les mesures qu’ils doivent adopter et appliquer effectivement (49). La Cour est toutefois chargée, en tenant compte de ces pouvoirs d’appréciation, de vérifier si l’État membre a au moins pris les mesures appropriées (50).
108. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le ministère a été informé, en ce qui concerne les déclarations de M. Lehtinen du 9 janvier 2001, par la lettre ultérieure de la fédération du commerce technique, que cette dernière avait connaissance du point de vue divergent du ministère. Le chef de service a en outre adressé, le 8 février 2001, une télécopie au président de la fédération de l’industrie et du commerce, dans laquelle il prenait position contre les déclarations de M. Lehtinen. Les articles de journaux des 17 février et 13 juin 2001 (51) indiquent que la procédure de contrôle du marché n’était pas encore close, que le ministère partait à l’époque du principe que la machine était conforme à la directive, et qu’elle ne présentait, selon lui, aucun risque (52).
109. Ces circonstances permettent de penser que le ministère a pu estimer qu’aucune mesure supplémentaire n’était nécessaire. L’État finlandais se serait ainsi acquitté des obligations de protection lui incombant dans le cas d’atteintes par des particuliers à la libre circulation des marchandises. Aucune restriction au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive ne serait donc imputable à l’État membre.
c) L’article 10, deuxième alinéa, CE
110. La juridiction de renvoi souhaiterait encore savoir, par sa première question, si le comportement de M. Lehtinen et du ministère constitue un manquement aux obligations visées à l’article 10, deuxième alinéa, CE. Toutefois, l’article 10, deuxième alinéa, CE, en tant que lex generalis, doit s’effacer derrière des infractions à des normes plus concrètes (53). L’article 10, deuxième alinéa, CE ne peut fonder de droits propres que si, outre l’infraction concrète à la norme, un manquement aux obligations est établi (54). L’affaire au principal ne fournit aucun élément en ce sens.
d) Sur la justification (troisième et quatrième questions)
111. Compte tenu du critère d’appréciation et des conclusions qui précèdent, la juridiction de renvoi souhaiterait en substance savoir, par ses troisième et quatrième questions, si la violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par le comportement de M. Lehtinen peut être justifiée au titre de l’objectif de la protection de la santé ou de la liberté d’opinion.
i) Sur la justification au titre de l’objectif de protection de la santé (troisième question)
112. La directive réglemente précisément la protection de la santé humaine en ce qui concerne les machines visées. Pour des machines conformes à la directive, elle n’autorise donc de restrictions supplémentaires à la mise sur le marché pour des motifs de protection de la santé qu’en vertu de l’article 7, paragraphe 1.
113. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi sur l’affaire au principal, le ministère n’a pris aucune mesure au titre de l’article 7 de la directive. À l’époque des déclarations de M. Lehtinen, la procédure de contrôle du marché suivait son cours et, selon le chef de service investi du pouvoir de décision, précisément aucun risque au sens de l’article 7 pour la santé humaine n’avait été établi. La Commission n’a pas non plus été informée conformément à l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive. Une justification au titre des objectifs de la protection de la santé est donc problématique, ne serait-ce que parce que l’État membre ne poursuivait absolument pas ces objectifs.
114. On ne décèle du reste, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, aucune menace objective. Mais, même si une menace entrait en ligne de compte, il semble bien que les restrictions provoquées par M. Lehtinen seraient, en l’occurrence, disproportionnées.
115. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes adoptés ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause. Il est entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, les inconvénients causés ne devant en outre pas être démesurés par rapport aux buts visés (55).
116. On peut, certes, admettre que des mises en garde publiques telles que celles de M. Lehtinen à l’égard des risques présentés par l’élévateur d’AGM ont pu être appropriées en vue de réduire le «danger». Mais on peut douter de leur nécessité. Des mesures de substitution tout aussi appropriées et plus modérées auraient pu être envisagées, par exemple une lettre adressée aux distributeurs des élévateurs, qui les aurait informés de manière ciblée sur les risques persistants relevés par M. Lehtinen. Ce n’est pas par hasard que cette voie avait déjà été suivie en ce qui concerne le verrouillage de sécurité défectueux.
117. En tout état de cause, il ne semble pas que les déclarations soient proportionnées. En effet, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le «danger» que représentait, selon M. Lehtinen, la restriction relative au sens d’accès du véhicule ne peut pas avoir été spécialement élevé: la machine et les tableaux de charge étaient d’un maniement aisé et, pour le nombre assez considérable de modèles vendus, aucun accident dû à la restriction relative au sens d’accès du véhicule n’a été rapporté (56). Par rapport à cela, des déclarations publiques de ce type, sous la forme prise par les déclarations de M. Lehtinen, pourraient considérablement entraver la libre circulation des produits.
ii) Sur la justification tirée de la liberté d’opinion (quatrième question)
118. C’est surtout le gouvernement suédois qui, à juste titre, a souligné l’importance du droit fondamental à la liberté d’expression, qui est garanti par l’article 12 de la Constitution finlandaise, par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et en tant que principe général du droit communautaire. La liberté d’expression constitue un fondement essentiel d’une société démocratique, dont les fonctionnaires des États membres disposent tout comme les fonctionnaires de la Communauté (57).
119. En revanche, l’État membre lui-même ne dispose d’aucune liberté d’expression. Il est au contraire tenu – de même que les institutions communautaires – d’assurer cette garantie. L’État membre doit garantir à ses sujets de droit la liberté d’expression et ne peut pas la revendiquer à leur égard.
– Sur la justification d’un comportement imputable à l’État
120. Dans la mesure où le comportement de M. Lehtinen est imputable à l’État finlandais, une justification tirée de la liberté d’opinion est donc exclue. En effet, les déclarations de M. Lehtinen des 17 janvier et 12 et 19 février 2001, si elles sont imputées à l’État, constituent des prises de position étatiques, et non pas celles d’un particulier. Or l’État finlandais ne peut pas se prévaloir d’un droit propre tiré de la liberté d’expression et ne peut pas l’opposer à AGM. Il n’aurait pas eu non plus à cet égard à respecter un droit de son fonctionnaire, M. Lehtinen. En effet, si M. Lehtinen avait, au titre de la liberté d’expression, le droit de s’exprimer en son propre nom, il n’avait pas le droit de s’exprimer aux yeux du public en tant que représentant de l’État finlandais.
– Sur la justification du comportement non imputable à l’État
121. Une justification tirée de la liberté d’expression est en revanche en principe possible, dans la mesure où le comportement de M. Lehtinen n’est pas imputable à l’État finlandais. En effet, lorsqu’un fonctionnaire s’exprime en son propre nom, il se prévaut, à l’égard de son État, de sa liberté d’opinion. L’État membre doit respecter ce droit fondamental. Mais, comme l’État membre est simultanément tenu de garantir la libre circulation des marchandises et qu’il en découle éventuellement une obligation d’agir (58), il peut en résulter un rapport conflictuel.
122. En présence d’un tel rapport conflictuel, l’État membre doit pouvoir se prévaloir de la liberté d’expression de son fonctionnaire pour autant qu’il doit la respecter dans les circonstances de l’espèce. Il convient donc de pondérer les intérêts au regard de toutes les circonstances du cas d’espèce. L’État membre dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation. Il appartient toutefois à la Cour de contrôler si les restrictions aux libertés fondamentales sont proportionnées au regard de la protection des droits fondamentaux (59).
123. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, M. Lehtinen a exprimé son opinion avant toute décision du ministère. Ses critiques étaient très virulentes et dirigées contre l’élévateur d’une seule marque, mais il a étayé son point de vue avec des arguments concrets concernant le modèle d’élévateur et ne l’a pas, au delà, inutilement déconsidéré. Il poursuivait également, par ses déclarations, des objectifs de protection de la santé. M. Lehtinen a fait usage de son droit à la liberté d’expression dans un domaine dans lequel il possédait une expertise particulière et a poursuivi, par ses déclarations, d’importants objectifs d’intérêt public.
124. Le ministère a fait valoir à cet égard, précisément à l’attention des lecteurs des articles de journaux soucieux de s’informer, que M. Lehtinen exprimait son point de vue personnel, que la procédure de contrôle du marché suivait son cours et qu’il n’existait de preuve ni d’un risque émanant de l’élévateur ni d’une infraction à la norme. Le ministère a ainsi pris des mesures en vue de réduire autant que possible les effets des déclarations de M. Lehtinen sur la libre circulation des marchandises.
125. Dans de telles circonstances, il convient d’admettre que le ministère a pu estimer, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, que les restrictions résiduelles à la libre circulation des marchandises provoquées par les déclarations personnelles de M. Lehtinen étaient acceptables, parce qu’une protection plus étendue n’aurait pas été possible sans restreindre de manière disproportionnée la liberté d’expression de M. Lehtinen.
126. On ne peut en particulier pas envisager une interdiction préventive de s’exprimer adressée par le ministère à M. Lehtinen. Les interdictions préventives de s’exprimer nient la liberté d’opinion dans le cas considéré et ne se justifient donc que dans des circonstances exceptionnelles. Dans la mesure cependant où le droit finlandais (de la fonction publique) autoriserait une interdiction préventive, le droit communautaire ne peut nullement exiger cela en pareille circonstance, aux fins de la protection de la libre circulation des marchandises. La forme et le moment des déclarations n’indiquent pas non plus qu’une mesure plus sévère aurait été nécessaire et que les mesures effectivement prises aient excédé le pouvoir d’appréciation de l’État finlandais.
iii) Conclusion intermédiaire
127. Dans des circonstances telles qu’en l’espèce, une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par des déclarations d’un fonctionnaire qui sont imputables à son État ne peut être justifiée ni par des objectifs de protection de la santé ni par la liberté d’expression des fonctionnaires. Toutefois, un État membre n’est pas tenu, dans des circonstances telles qu’en l’espèce, d’interdire les déclarations personnelles d’un fonctionnaire qui peuvent affecter la libre circulation des marchandises.
3. Responsabilité de l’État et responsabilité des fonctionnaires (cinquième et sixième questions)
128. Dans le cas où, dans des circonstances telles qu’en l’espèce, on serait en présence d’une infraction aux articles 28 CE et 30 CE ou à l’article 10 CE, la juridiction de renvoi pose encore la question de savoir si les conditions fondant un droit à la responsabilité de l’État sur la base du droit communautaire sont réunies, si le droit communautaire permet ou exige aussi de mettre en jeu la responsabilité du fonctionnaire auteur de l’acte, et dans quelle mesure les conditions de la mise en œuvre de cette responsabilité exigent éventuellement une interprétation du droit finlandais conforme au droit communautaire.
129. Compte tenu des conclusions tirées de l’analyse qui précède, il convient cependant de répondre aux questions de la juridiction de renvoi, en ce qui concerne une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par les déclarations de M. Lehtinen des 17 janvier et 12 et 19 février 2001, pour lesquelles les circonstances de l’affaire au principal plaident en ce sens, qu’elles sont imputables à l’État finlandais et qu’elles constituent une mesure de l’État membre restreignant ou entravant la mise sur le marché de l’élévateur.
a) Sur la responsabilité de l’État
130. Selon la jurisprudence de la Cour, un État membre est tenu de réparer les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables sous trois conditions, à savoir que la règle de droit violée confère des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées (60).
131. Ces trois conditions sont exigées tant lorsque les dommages résultent d’une abstention d’agir de la part de l’État membre que lorsqu’ils reposent sur un acte législatif ou administratif violant le droit communautaire – qu’il ait été adopté par l’État membre lui-même ou par un organisme de droit public juridiquement indépendant de l’État (61).
i) Droits protégeant les particuliers [cinquième question, sous c)]
132. Par sa cinquième question, sous c), la juridiction de renvoi souhaiterait savoir si l’article 10 CE, et spécialement son deuxième alinéa, peut, dans les présentes circonstances, fonder des droits pour le particulier.
133. Puisque c’est l’application de la directive qui prévaut, l’article 10 CE ne peut pas fonder en lui-même de droits que le particulier puisse invoquer (62). L’article 4, paragraphe 1, de la directive confère en effet aux particuliers opérant sur le marché des droits qu’ils peuvent faire valoir à l’encontre des États membres (63).
ii) Violation suffisamment caractérisée [cinquième question, sous a) et b)]
134. Par sa cinquième question, sous a) et b), la juridiction de renvoi demande en substance si les violations du droit communautaire sont, dans les circonstances de l’espèce, suffisamment caractérisées, de manière à pouvoir engager une responsabilité de l’État.
135. Le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par un État membre, des limites de son pouvoir d’appréciation. La juridiction compétente peut être amenée à prendre à cet égard en considération, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marche d’appréciation laissée aux autorités nationales, le cas échéant le caractère intentionnel du manquement commis ou du préjudice causé et un éventuel caractère excusable d’une erreur de droit (64).
136. Mais si l’État membre, au moment où il commet l’infraction, n’est pas confronté à des choix normatifs et dispose d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (65).
137. L’article 4, paragraphe 1, de la directive ne laisse aux États membres, en ce qui concerne des machines simplement présumées conformes à la directive, aucune marge ou pouvoir d’appréciation ou d’action. Si des doutes apparaissent ultérieurement quant à la conformité d’une machine, la directive ne prévoit en effet que des mesures au titre de l’article 7. Mais, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le ministère compétent n’a délibérément pas fait usage de ces possibilités et a cependant laissé faire M. Lehtinen (66). Les circonstances de l’affaire au principal amènent donc à penser que le manquement dû aux déclarations de M. Lehtinen, pour autant qu’elles sont imputables à l’État, est suffisamment caractérisé.
iii) Conditions nationales supplémentaires [cinquième question, sous e), et sixième question, sous a), première et troisième phrases]
138. Par sa cinquième question, sous e), et sa sixième question, sous a), première et troisième phrases, la juridiction de renvoi souhaiterait en substance savoir si le droit national peut établir, en particulier pour d’autres dommages économiques que les préjudices corporels et matériels, des conditions supplémentaires en matière de réparation par l’État, ou si les dommages et intérêts doivent constituer une sanction efficace et dissuasive.
139. Dès lors que les conditions du droit à réparation fondé sur le droit communautaire sont réunies, il incombe à l’État membre, selon la jurisprudence de la Cour, de réparer dans le cadre du droit national de la responsabilité les conséquences du préjudice causé; à cet égard, les conditions ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (67). C’est du reste pourquoi on ne saurait admettre l’exclusion totale, par exemple, du manque à gagner ou d’autres modes de réparation du dommage réparable car, dans certains litiges, cela pourrait rendre en fait impossible la réparation du dommage (68).
140. Le droit communautaire impose en conséquence une réparation effective et n’admet aucune condition supplémentaire provenant du droit de l’État membre, qui compliquerait de manière non négligeable l’obtention de dommages et intérêts ou d’autres modes de réparation.
141. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le droit finlandais ne prévoit cependant de réparation pour les dommages purement économiques que lorsqu’ils résultent d’un acte sanctionné pénalement ou de l’exercice de la force publique, ou pour d’autres motifs particulièrement graves. De telles conditions supplémentaires de réparation doivent être aménagées de telle manière qu’elles ne compliquent pas de façon non négligeable l’obtention d’une réparation pour les dommages purement économiques. Les exigences du droit communautaire seraient cependant satisfaites si les dispositions du droit national pouvaient être interprétées conformément au droit communautaire de manière à exclure toute complication excessive. Cela serait par exemple envisageable si les infractions au droit communautaire étaient toujours considérées comme des motifs particulièrement graves.
142. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la responsabilité de l’État membre fondée sur le droit communautaire vise, non pas à une dissuasion ou à une sanction, mais à la réparation des dommages subis par les particuliers du fait des violations du droit communautaire par les États membres.
iv) Conclusion intermédiaire
143. L’article 4, paragraphe 1, de la directive confère aux particuliers des droits qu’ils peuvent invoquer à l’encontre des États membres. L’article 10 CE n’est pas applicable à côté de la directive. L’article 4, paragraphe 1, ne laisse aux États membres, en ce qui concerne les machines (même présumées) conformes à la directive, aucune marge ou pouvoir d’appréciation ou d’action. Le manquement à l’article 4, paragraphe 1, constitue une violation suffisamment caractérisée au sens des conditions de la responsabilité de l’État établies par le droit communautaire. Le droit communautaire ne tolère aucune condition supplémentaire émanant du droit national qui accroîtrait de manière plus que négligeable la difficulté d’obtenir effectivement une réparation, de manière générale ou en ce qui concerne certains types de dédommagement.
b) Sur la responsabilité des fonctionnaires
i) La possibilité en droit communautaire d’une responsabilité supplémentaire des fonctionnaires [cinquième question, sous d)]
144. La juridiction de renvoi souhaiterait savoir, par sa cinquième question, sous d), si, à côté de l’État, un fonctionnaire peut également être tenu de réparer ses violations du droit communautaire.
145. Le droit communautaire laisse les États membres libres d’aménager la responsabilité dans leur ordre juridique, dans la mesure où la mise en œuvre effective des droits conférés par le droit communautaire n’est pas rendue excessivement difficile et où l’obtention de la réparation est effectivement garantie. La Cour a, par exemple, également admis que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la responsabilité qui incombe à des organismes de droit public soit engagée en plus de celle de l’État membre lui-même (69).
146. Dans la mesure où la réparation du dommage causé par la violation du droit communautaire commise par un organisme d’un État membre est effectivement assurée, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un autre sujet de droit soit engagée à côté de celle de l’État membre. Dès lors, le droit communautaire ne s’oppose pas non plus à ce qu’une responsabilité supplémentaire du fonctionnaire qui a commis l’acte soit engagée.
ii) L’obligation de prévoir une responsabilité du fonctionnaire en droit communautaire [sixième question, sous a), première et deuxième phrases]
147. Par sa sixième question, sous a), première et deuxième phrases, la juridiction de renvoi souhaiterait d’abord savoir si le droit communautaire impose aux États membres une obligation de prévoir une responsabilité de leurs fonctionnaires du fait des violations du droit communautaire qu’ils ont commises.
148. La jurisprudence de la Cour (70) n’indique pas que le droit communautaire ferait obligation aux États membres d’engager la responsabilité personnelle de leurs fonctionnaires. Au contraire, le droit communautaire de la responsabilité ne porte précisément pas atteinte à la liberté d’organisation interne des États membres, et leur laisse le choix des modalités d’application de ces droits. La mise en œuvre effective des droits conférés par le droit communautaire ne doit toutefois pas, ce faisant, être rendue excessivement difficile, et l’obtention de la réparation doit être effectivement assurée. Ce qui est donc décisif, c’est que le droit de l’État membre prévoie au moins l’existence d’un sujet de droit aussi solvable que l’État, quel qu’il soit. Si donc le droit national prévoit déjà une responsabilité de l’État qui réponde aux exigences du droit communautaire, le droit communautaire n’impose aucune obligation d’instituer une responsabilité supplémentaire du fonctionnaire.
iii) Conditions ou limitations supplémentaires d’une responsabilité des fonctionnaires [sixième question, sous b)]
149. Par sa sixième question, sous b), la juridiction de renvoi demande enfin encore si les États membres peuvent prévoir des conditions ou des limitations supplémentaires en matière de responsabilité de leurs fonctionnaires.
150. Il ressort de la jurisprudence précitée (71) que, par rapport aux critères d’une responsabilité de l’État fondée sur le droit communautaire du fait des violations du droit communautaire, des conditions ou des limitations supplémentaires en matière de responsabilité des fonctionnaires sont possibles, dans la mesure où il s’agit d’une responsabilité supplémentaire des fonctionnaires. La responsabilité de l’État permet en effet déjà d’assurer une réparation effective.
151. En revanche, si, dans le droit de l’État membre, la responsabilité de l’État est aménagée de telle manière qu’elle prévoit uniquement une responsabilité des fonctionnaires, qui est prise en charge par l’État en cas de défaillance ou lui y est déléguée, les exigences du droit communautaire en vue d’une protection effective des droits des particuliers doivent aussi s’appliquer dans les modalités de la responsabilité des fonctionnaires. En effet, si la responsabilité de l’État découle de la responsabilité des fonctionnaires, aucune condition supplémentaire imposée par le droit de l’État membre ne peut accroître plus que de manière négligeable la difficulté d’obtenir une réparation.
iv) Conclusion intermédiaire
152. Le droit communautaire permet, mais n’exige pas, une responsabilité supplémentaire des fonctionnaires. Elle peut être assortie de conditions ou de limitations supplémentaires par rapport aux critères de la responsabilité de l’État fondée sur le droit communautaire. En revanche, si une responsabilité des fonctionnaires entraîne la responsabilité de l’État, le droit communautaire ne peut pas tolérer, en vue de la protection effective des droits des particuliers, de conditions supplémentaires imposées par le droit de l’État membre si elles accroissent plus que de manière négligeable la difficulté d’obtenir une réparation.
VI – Conclusion
153. Sur la base de l’analyse qui précède, je suggère à la Cour de répondre au Tempereen käräjäoikeus dans les termes suivants:
«1) La directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines doit être interprétée en ce sens que des élévateurs tels que ceux du cas d’espèce ne répondent aux exigences de sécurité de la directive que s’ils peuvent supporter des véhicules, quel que soit leur sens d’accès, jusqu’à leur charge maximale autorisée, ou s’il est au moins garanti, par des mesures de protection effective, que toute charge défectueuse ou surcharge est exclue.
2) Des déclarations non autorisées d’un fonctionnaire, dans lesquelles une machine certifiée conforme à la directive est présentée comme contraire à la norme et dangereuse, constituent un manquement à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37 si le comportement du fonctionnaire est imputable à l’État membre. Sont imputables à l’État les déclarations qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État, et non pas d’opinions personnelles du fonctionnaire. Il y a lieu en particulier de tenir compte à cet égard du fait:
– que le fonctionnaire est, de manière générale, compétent dans le secteur en question,
– que le fonctionnaire diffuse ses déclarations écrites en utilisant le papier à en-tête officiel du service compétent,
– que le fonctionnaire accorde des entretiens télévisés dans les locaux de son service,
– que le fonctionnaire ne mentionne pas le caractère personnel de ses déclarations et n’indique pas qu’elles divergent de la position officielle du service compétent, et
– que les services étatiques compétents n’entreprennent pas immédiatement les démarches nécessaires pour dissiper chez les destinataires des déclarations du fonctionnaire l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État.
3) Dans des circonstances telles qu’en l’espèce, une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37 par des déclarations d’un fonctionnaire qui sont imputables à son État ne peut être justifiée ni par des objectifs de protection de la santé ni par la liberté d’expression des fonctionnaires. Toutefois, un État membre n’est pas tenu, dans des circonstances telles qu’en l’espèce, d’interdire les déclarations personnelles d’un fonctionnaire qui peuvent affecter la libre circulation des marchandises.
4) L’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37 confère aux particuliers des droits qu’ils peuvent invoquer à l’encontre des États membres. L’article 10 CE n’est pas applicable à côté de la directive. L’article 4, paragraphe 1, ne laisse aux États membres, en ce qui concerne les machines (même présumées) conformes à ladite directive, aucune marge ou pouvoir d’appréciation ou d’action. Le manquement à l’article 4, paragraphe 1, constitue une violation suffisamment caractérisée au sens des conditions de la responsabilité de l’État établies par le droit communautaire. Le droit communautaire ne tolère aucune condition supplémentaire émanant du droit national qui accroîtrait de manière plus que négligeable la difficulté d’obtenir effectivement une réparation, de manière générale ou en ce qui concerne certains types de dédommagement.
5) Le droit communautaire permet, mais n’exige pas, une responsabilité supplémentaire des fonctionnaires. Elle peut être assortie de conditions ou de limitations supplémentaires par rapport aux critères de la responsabilité de l’État fondée sur le droit communautaire. En revanche, si une responsabilité des fonctionnaires entraîne la responsabilité de l’État, le droit communautaire ne peut pas tolérer, en vue de la protection effective des droits des particuliers, de conditions supplémentaires imposées par le droit de l’État membre si elles accroissent plus que de manière négligeable la difficulté d’obtenir une réparation.»
1 – Langue originale: l’allemand.
2 – JO L 207, p. 1.
3 – Voir norme européenne EN 1493 du CEN pour les élévateurs de véhicules, du 10 juillet 1998.
4 – JO 1999, C 165, p. 4.
5 – Voir point 31 des présentes conclusions.
6 – Voir points 31 et 36 des présentes conclusions.
7 – Arrêts du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a. (36/80 et 71/80, Rec. p. 735, points 5, 7 et 8); du 30 mars 2000, JämO (C-236/98, Rec. p. I‑2189, point 30), et du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659, points 39 et 41).
8 – Arrêts Schmidberger, précité (note 7), points 30 et 35 à 38; du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59), et du 20 janvier 2005, Salgado Alonso (C-306/03, Rec. p. I-705, points 40 à 42).
9 – Voir points 21 et 22 des présentes conclusions.
10 – Voir points 17 et 18 des présentes conclusions.
11 – Article 2, paragraphe 1, et annexe I, remarque préliminaire 1 et points 1.1.2, sous a), et 4.1.2.3, de la directive; voir points 6 et 13 et suiv. des présentes conclusions.
12 – Voir quatrième, septième et dixième considérants de la directive.
13 – Voir point 14 des présentes conclusions.
14 – Arrêts du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage (C-37/92, Rec. p. I-4947, point 9); du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler (C-324/99, Rec. p. I-9897, points 32 et 42); du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C-322/01, Rec. p. I-14887, point 64), et du 14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft et Spitz (C‑309/02, Rec. p. I-11761, point 53).
15 – Voir analyse analogue sur les directives 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1), et 81/852/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et chimiques en matière d’essais de médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 16), dans l’arrêt du 2 avril 1998, Norbrook Laboratories (C‑127/95, Rec. p. I-1531, points 33 à 35).
16 – Arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C-60/03, Rec. p. I-9553, point 24).
17 – Une analyse au regard de l’article 28 CE conduirait, au demeurant, à la même conclusion.
18 – Arrêts du 24 novembre 1982, Commission/Irlande, dit «Buy Irish» (249/81, Rec. p. 4005, points 27 et 28); du 18 février 1986, Bulk Oil (174/84, Rec. p. 559, point 9); du 12 décembre 1990, Hennen Olie (C-302/88, Rec. p. I-4625, points 15 et 16), et du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne, dit «Markenqualität aus deutschen Landen» (C-325/00, Rec. p. I-9977, points 17 à 20).
19 – Arrêts du 9 décembre 1997, Commission/France (C-265/95, Rec. p. I-6959, points 28 à 32), et Schmidberger, précité (note 7), points 58 et 59.
20 – Précité (note 19).
21 – Règlement du Conseil, du 7 décembre 1998, relatif au fonctionnement du marché intérieur pour ce qui est de la libre circulation des marchandises entre les États membres (JO L 337, p. 8).
22 – Voir point 78 des présentes conclusions.
23 – Voir, à cet égard, les craintes de la Commission dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 13 décembre 2001, Commission/Cwik (C-340/00 P, Rec. p. I-10269, points 4, 25 et 26).
24 – Arrêts du 7 octobre 1982, Berti/Commission (131/81, Rec. p. 3493, points 21, 22 et 24), et du 27 mars 1990, Grifoni/CEEA (C-308/87, Rec. p. I-1203, points 12 à 17).
25 – Arrêts du 4 février 1975, Compagnie Continentale France/Conseil (169/73, Rec. p. 117, points 18 à 21), et du 9 novembre 1989, Briantex et Di Domenico/Commission (353/88, Rec. p. 3623, points 2 et 8; la responsabilité n’a toutefois pas été retenue).
26 – Arrêts du 7 novembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539, points 35, 37, 42, 44 et 53), et du 5 octobre 1988, Hamill/Commission (180/87, Rec. p. 6141, points 10 à 13).
27 – Voir, sur le droit communautaire de la responsabilité, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 58), et du 4 juillet 2000, Haim (C-424/97, Rec. p. I-5123, point 44).
28 – Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (note 27), point 34.
29 – Voir article 7 («Excès de pouvoir ou comportement contraire aux instructions») du projet de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite:
«Le comportement d’un organe de l’État ou d’une personne ou entité habilitée à l’exercice de prérogatives de puissance publique est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international si cet organe, cette personne ou cette entité agit en cette qualité, même s’il outrepasse sa compétence ou contrevient à ses instructions.»
ainsi que le commentaire y afférent (tous deux disponibles en plusieurs langues sur <http://www.un.org/law/ilc/texts/State_responsibility/responsibilityfra.htm>, p. 95 et 96, point 13, et p. 104 et suiv., avec renvois).
30 – Voir point 78 des présentes conclusions et, sur le droit international, article 4 («Comportement des organes de l’État») du projet de la Commission du droit international, précité (note 29):
«1. Le comportement de tout organe de l’État est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’État, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’État.
2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’État.»
ainsi que le commentaire y afférent (p. 87 et suiv.), qui présente une synthèse de l’état du droit international (tous deux disponibles en plusieurs langues sur <http://www.un.org/law/ilc/texts/State_responsibility/responsibilityfra.htm>), et avis consultatif de la Cour internationale de justice du 29 avril 1999 sur le différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme (CIJ Recueil 1999, p. 62, 63, point 62, disponible sur <http://www.icj-cij.org>, sous «Décisions»).
31 – Voir point 78 des présentes conclusions et, sur le droit international, article 8 («Comportement sous la direction ou le contrôle de l’État») du projet de la Commission du droit international, précité (note 29):
«Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet État.»
ainsi que le commentaire y afférent, également précité (note 29), p. 109 et suiv., et arrêt de la Cour internationale de justice du 24 mai 1980 dans l’affaire du personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (CIJ, Recueil 1980, p. 3 et 4, point 58, également disponible sur <http://www.icj-cij.org>, sous «Décisions»).
32 – Voir point 78 des présentes conclusions et, sur le droit international, commentaire, précité (note 29), p. 70 et 81; arrêt précité de la Cour internationale de justice sur l’affaire des otages de Téhéran, points 61 à 67, et arrêt de la Cour internationale de justice du 9 avril 1949 dans l’affaire du détroit de Corfou (CIJ,Recueil 1949, p. 4, 22 et 23, également disponible sur <http://www.icj-cij.org>, sous «Décisions»).
33 – Voir rapport de la Commission européenne des droits de l’homme du 25 janvier 1976 dans l’affaire no 5310/71 (Irlande c. Royaume-Uni, vol. 19, p. 758):
«… [les] obligations existantes [de l’État] peuvent être violées également par une personne exerçant une fonction officielle qui lui est confiée, quel que soit le niveau, même le plus bas, sans autorisation expresse, voire en-dehors ou à l’encontre d’instructions.»
La Cour européenne des droits de l’homme a suivi la Commission européenne des droits de l’homme sur cette voie (voir Cour eur. D. H., arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, § 159) et expressément confirmé en 1999 la position de la Commission européenne des droits de l’homme à l’époque (voir Cour eur. D. H., arrêt Wille c. Liechtenstein du 28 octobre 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-VII, § 46).
34 – Arrêts précités (note 27), Haim, point 44, et Brasserie du pêcheur et Factortame, point 58.
35 – Arrêts du 26 mars 1996, British Telecommunications (C-392/93, Rec. p. I-1631, points 41 et suiv.); du 17 octobre 1996, Denkavit e.a. (C-283/94, C‑291/94 et C-292/94, Rec. p. I-5063, points 49 et suiv.); du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, point 38), et du 30 septembre 2003, Köbler (C-224/01, Rec. p. I-10239, points 101 et suiv.).
36 – Voir, en particulier, points 80 et 82 des présentes conclusions.
37 – Voir point 33 des présentes conclusions.
38 – Voir points 38 et 41 des présentes conclusions.
39 – Voir point 34 des présentes conclusions.
40 – Voir point 36 des présentes conclusions.
41 – Voir point 39 des présentes conclusions.
42 – Voir point 43 des présentes conclusions.
43 – Voir, en particulier, point 82 des présentes conclusions.
44 – Il n’y a donc pas de place ici pour l’application des critères retenus dans l’arrêt Commission/France, précité (note 19) et dans le règlement n° 2679/98, précité (note 21).
45 – La Cour doit en revanche, aux fins de la réponse aux questions préjudicielles, se fonder sur les faits tels qu’ils ressortent de l’ordonnance de renvoi. En effet, d’une part, ni le gouvernement finlandais ni M. Lehtinen n’ont apporté d’informations plus précises sur les interventions du ministère. D’autre part, les informations sont en contradiction avec celles de la juridiction de renvoi et ne peuvent donc, de ce seul fait, être prises en considération.
46 – Voir, sur cette formule, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837, point 5), et du 9 février 1999, Van der Laan (C-383/97, Rec. p. I-731, point 18).
47 – Arrêt précité (note 18), points 2, 3 et 25 à 29.
48 – Arrêts Commission/France, précité (note 19), points 31 et 32, et Schmidberger, précité (note 7), points 58 et 59.
49 – Arrêts Commission/France, précité (note 19), points 32 à 34, et Schmidberger, précité (note 7), point 64.
50 – Arrêt Commission/France, précité (note 19), point 35.
51 – L’article publié le 13 juin 2001 ne repose pas, selon les indications de M. Lehtinen, sur un entretien qu’il aurait accordé.
52 – Voir, à ce sujet, points 38 et 41 des présentes conclusions.
53 – Arrêts du 18 octobre 1979, Buys e.a. (5/79, Rec. p. 3203, point 30), et du 12 juillet 1990, Commission/Grèce (C-35/88, Rec. p I-3125, points 42 et 43).
54 – Arrêts du 19 février 1991, Commission/Belgique (C-374/89, Rec. p. I-367, points 13 et suiv.), et du 7 mai 1991, Vlassopoulou (C-340/89, Rec. p. I-2357, point 14).
55 – Arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C-189/01, Rec. p. I-5689, point. 81); du 12 mars 2002, Omega Air (C-27/00 et C-122/00, Rec. p. I-2569, point 62); Schmidberger, précité (note 7, point 79); du 3 juillet 2003, Lennox (C-220/01, Rec. p. I-7091, point 76), et du 10 mars 2005, Tempelman et Van Schaijk (C-96/03 et C‑97/03, Rec. p. I-1895, point 47).
56 – L’accident connu était dû au verrouillage de sécurité; voir point 27 des présentes conclusions.
57 – Arrêt de la Cour du 6 mars 2001, Connolly/Commission (C-274/99 P, Rec. p. I‑1611, points 39 et suiv.); Cour eur. D. H., arrêts Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A, no 323 § 43 et 53, et Ahmed e.a. c. Royaume-Uni du 2 septembre 1998 Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, § 41, 55 et 56).
58 – Voir points 78 et 106 et suiv. des présentes conclusions. Mais, comme on l’a mentionné sous ces points, il ne semble pas que cette obligation ait existé en l’espèce, même sans tenir compte de la liberté d’opinion.
59 – Arrêt Schmidberger, précité (note 7), points 71 à 82.
60 – Voir, sur la jurisprudence constante de la Cour, arrêt Haim, précité (note 27), point 36.
61 – Arrêt Haim, précité (note 27), point 37.
62 – Voir point 110 des présentes conclusions.
63 – Voir points 72 et suiv. et 100 et suiv. des présentes conclusions.
64 – Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (note 27), points 55 et 56.
65 – Arrêts du 23 mai 1996, Hedley Lomas (C-5/94, Rec. p I-2553, point 28); Haim, précité (note 27), point 38, et Stockholm Lindöpark, précité (note 35), points 40 et 41.
66 – Voir point 113 des présentes conclusions.
67 – Arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 14); du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, points 41 à 43), et Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (note 27), point 67.
68 – Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (note 27), point 87.
69 – Arrêts du 1er juin 1999, Konle (C-302/97, Rec. p. I-3099, points 63 et suiv.), et Haim, précité (note 27), points 30 à 32.
70 – Voir points 144 et 145 des présentes conclusions.
71 – Voir points 144 et 145 des présentes conclusions.