CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Antonio Tizzano

présentées le 9 février 2006 (1)

Affaires jointes C-442/03 P et C-471/03 P

P & O European Ferries (Vizcaya) SA

et

Diputación Foral de Vizcaya

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi contre un arrêt du Tribunal de première instance – Caractère prétendument tardif dudit pourvoi – Recevabilité – Autorité de la chose jugée – Exception – Caractère d’ordre public – Existence-Conditions – Aides d’État – Compatibilité – Conditions – Principe de l’investisseur privé – Portée – Nécessité de l’intervention des pouvoirs publics – Confiance légitime – Conditions»





1.     Les présentes affaires ont pour objet un pourvoi formé par P & O European Ferries (Vizcaya) SA (ci-après «P & O») et par la Diputación Foral de Vizcaya (le conseil provincial de Biscaye, ci-après la «Diputación») contre l’arrêt rendu le 5 août 2003 par le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans les affaires jointes P & O European Ferries et Diputación Foral de Vizcaya/Commission (2) (T‑116/01 et T‑118/01, ci-après l’«arrêt attaqué»), qui a confirmé dans son intégralité la décision 2001/247/CE de la Commission, du 29 novembre 2000 (3) (ci-après la «décision attaquée»), relative au régime d’aide appliqué par l’Espagne en faveur de la compagnie maritime P & O, dénommée à cette époque «Ferries Golfo de Vizcaya».

I –    Cadre juridique

2.     Comme on le sait, l’article 87, paragraphe 1, CE consacre, sauf dérogation prévue par ce même traité, l’incompatibilité avec le marché commun des aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence et affectent les échanges entre États membres en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

3.     L’article 88, paragraphe 3, CE prévoit quant à lui que les projets tendant à instituer ou à modifier des aides doivent être notifiés en temps utile à la Commission, et que les États membres ne peuvent mettre à exécution les mesures projetées avant qu’elle n’ait pris une décision.

4.     En outre, en adoptant le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil (4), la Communauté européenne s’est dotée d’un corps de règles procédurales détaillé aux fins de l’application des dispositions communautaires en matière de contrôle des aides d’État.

II – Faits et procédure

Les faits à l’origine du litige

5.     Eu égard à la complexité des faits faisant l’objet des présentes affaires, qui de surcroît ont déjà donné lieu à deux arrêts du Tribunal, ainsi qu’à leur déroulement sur une période relativement étendue, nous nous bornerons ici à résumer les principaux faits pertinents aux fins de la présente procédure.

6.     L’ensemble de cette affaire a pour origine un accord (ci-après l’«accord initial») conclu le 9 juillet 1992 entre la Diputación et le ministère du Commerce et du Tourisme basque, d’une part, et la compagnie de transport maritime aujourd’hui dénommée P & O, d’autre part. Cet accord portait sur l’établissement d’un service de transbordeurs entre Bilbao et Portsmouth et prévoyait l’acquisition, pour la période 1993-1996, d’un certain nombre de bons de voyage par les autorités signataires contre paiement d’une contrepartie fixée dans l’accord. Ce dernier n’a jamais été notifié à la Commission.

7.     Cependant, dès le 21 septembre de la même année, une société de transport maritime concurrente, la société Bretagne Angleterre Irlande (ci-après la «BAI»), a saisi la Commission d’une plainte dénonçant les subventions qui auraient été accordées à P & O par la Diputación et par le gouvernement basque. Après avoir recueilli les informations nécessaires, la Commission a décidé, le 29 septembre 1993, d’engager la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) (5).

8.     À l’issue d’un examen préliminaire, elle est parvenue à la conclusion que l’accord initial ne constituait pas une transaction commerciale normale, mais une aide d’État au sens de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE), aide qui ne semblait pas réunir les conditions requises pour être compatible avec le marché commun.

9.     Les considérations de la Commission se basaient notamment sur le fait que le prix convenu pour l’acquisition des bons de voyage par les autorités signataires était supérieur au tarif commercial ordinaire et que l’accord contenait un engagement public à éponger toutes les pertes subies par P & O au cours des trois premières années d’exploitation du nouveau service. La Commission a donc estimé que l’accord avait éliminé tout risque commercial pour P & O.

10.   À la suite de la notification de la décision d’ouverture de la procédure, le gouvernement basque a fait savoir à la Commission qu’il avait suspendu l’exécution de l’accord. À la même époque, P & O a entretenu une longue correspondance avec la Commission au cours de la procédure administrative d’examen de la mesure pour définir le type d’accord qui pouvait être conclu entre la compagnie de transport maritime et les pouvoirs publics sans violer les dispositions communautaires en matière d’aides.

11.   Dans ce contexte, P & O a communiqué, par lettre du 27 mars 1995 (ci‑après la «lettre du 27 mars 1995») adressée à un fonctionnaire de la direction générale (DG) «Transports» de la Commission (6), un nouvel accord (ci-après le «nouvel accord» ou la «mesure contestée»), conclu le 7 mars 1995 entre la Diputación et P & O. Cet accord, valable pour la période allant de 1995 à 1998, prévoyait que la Diputación s’engageait à acquérir un total de 46 500 bons de voyage à utiliser sur la ligne maritime Bilbao-Portsmouth, exploitée par P & O, et fixait la contrepartie financière ainsi que les autres conditions de cette acquisition.

12.   Le 7 juin 1995, la Commission a décidé de clôturer la procédure ouverte le 29 septembre 1993 (7) (ci-après la «décision du 7 juin 1995»), en relevant que le nouvel accord comportait de nombreuses modifications par rapport à la version précédente. En particulier, il prévoyait désormais que le gouvernement basque n’était plus partie à l’accord, que le prix des bons était déterminé selon de nouveaux paramètres et était donc moins élevé que celui convenu dans l’accord initial, et que de nombreux autres points dudit accord – qui avaient également suscité antérieurement des réserves de la part de la Commission – avaient été supprimés. Sur la base de ces considérations, la Commission a donc déclaré que le nouvel accord ne constituait pas une aide d’État.

13.   Toutefois, cette décision a été immédiatement attaquée devant le Tribunal par la BAI en sa qualité de concurrente de P & O et de plaignante, le Royaume d’Espagne et P & O intervenant dans la procédure juridictionnelle au soutien de la Commission.

14.   Par arrêt du 28 janvier 1999, BAI/Commission (8) (T‑14/96), le Tribunal a annulé la décision du 7 juin 1995 au motif que le nouvel accord ne constituait pas une transaction commerciale normale et que, par conséquent, la Commission avait fait une appréciation erronée de cet accord en application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

15.   En particulier, le Tribunal a observé que les sommes globales payées à P & O par l’autorité publique sur la base du nouvel accord non seulement n’avaient pas diminué par rapport à celles qui étaient prévues par l’accord initial, mais étaient même légèrement supérieures. En effet, malgré la réduction du prix unitaire de référence, le nombre total de bons de voyage acquis avait augmenté de manière significative (46 500 bons au lieu des 26 000 prévus à l’origine). En outre, le Tribunal a relevé que le nombre de bons acquis n’avait nullement été fixé en fonction des besoins réels de l’acquéreur. Enfin, cette augmentation du nombre de bons n’aurait entraîné pour P & O aucun coût supplémentaire puisqu’ils ne pouvaient être utilisés qu’en basse saison. Le juge de première instance en a conclu que les effets du nouvel accord sur la concurrence étaient en substance les mêmes que ceux qui étaient imputables à l’accord initial (9).

16.   À la lumière de cet arrêt, la Commission a décidé, le 26 mai 1999 (10), d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne le nouvel accord. Selon la Commission en effet, les autorités basques avaient artificiellement augmenté le nombre de bons à acheter à P & O afin de compenser la réduction de leur prix et donc de maintenir l’aide financière publique accordée à la compagnie maritime aux niveaux convenus dans l’accord initial.

17.   Par la décision attaquée (11), adoptée à l’issue de cette procédure, la Commission a déclaré que le nouvel accord constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun (article 1er) et a donc ordonné au Royaume d’Espagne de récupérer les sommes déjà versées (article 2).

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18.   Cette décision a été à son tour attaquée devant le Tribunal tant par la Diputación que par P & O; mais, alors que cette dernière s’est contentée de demander l’annulation de l’injonction faite au Royaume d’Espagne de récupérer les aides déjà versées, la Diputación a demandé l’annulation de la décision dans son intégralité.

19.   À l’appui de la légalité de l’accord rejeté par la Commission, les deux requérantes ont souligné à titre liminaire que l’aide litigieuse avait été dûment notifiée à la Commission par le bénéficiaire au moyen de la lettre du 27 mars 1995.

20.   Sur le fond, ensuite, elles ont invoqué une série de moyens relatifs tant à des éléments substantiels de la décision qu’à des vices qui se seraient prétendument produits durant la procédure administrative qui s’est déroulée devant les services de la Commission. Ces griefs portaient essentiellement sur les points suivants: a) la qualification de la mesure litigieuse d’aide d’État; b) la violation du droit de propriété et de l’article 295 CE; c) la non-application de l’exemption prévue à l’article 87, paragraphe 2, point a), CE; d) la violation des règles de procédure instituées par le traité CE et par le règlement n° 659/1999, en particulier pour ce qui est de l’absence de demande d’informations complémentaires aux pouvoirs publics; e) la violation des principes de confiance légitime, de sécurité juridique et de bonne administration; f) la violation de l’article 88 CE, dans la mesure où l’aide aurait dû être considérée comme implicitement autorisée; g) l’insuffisance ou l’absence de pertinence de la motivation requise en vertu de l’article 253 CE.

21.   La Commission quant à elle a non seulement contesté le bien-fondé de tous ces moyens, mais a soulevé également l’irrecevabilité du moyen tiré de la qualification d’aide d’État de la mesure litigieuse, au motif qu’il serait contraire à l’autorité de la chose jugée acquise par l’arrêt BAI/Commission.

22.   Le Tribunal a déclaré recevables les recours dans leur intégralité, mais a rejeté tous les moyens introduits par P & O et par la Diputación sur la base des considérations que nous allons maintenant reprendre brièvement, dans l’ordre suivi par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

23.   À titre liminaire, le Tribunal a jugé que le nouvel accord n’avait pas été accordé conformément à la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE et, partant, qu’il devait être réputé illégal.

24.   À cet égard, il a rejeté l’argumentation des requérantes selon laquelle le nouvel accord devait être considéré comme une aide nouvelle et qu’il avait donc été dûment notifié à la Commission par la société bénéficiaire. En réalité, selon le Tribunal, la communication de cet accord à la Commission par les avocats du bénéficiaire ne pouvait en aucune manière être considérée comme une notification formelle d’une aide nouvelle au sens du traité (12).

25.   En tout cas, a poursuivi le Tribunal, la nouvelle mesure ne constituait pas une aide nouvelle et distincte de l’aide accordée initialement (et jamais notifiée), parce que les modifications apportées à cette dernière n’avaient pas d’incidence sur sa substance. Comme l’accord initial et le nouvel accord devaient donc être considérés comme une seule aide, instaurée et mise en œuvre en 1992 et modifiée ultérieurement, l’absence de notification du premier a affecté également la légalité du second.

26.   S’agissant ensuite de la qualification de la mesure litigieuse d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, le Tribunal a rejeté au préalable l’exception d’irrecevabilité susmentionnée invoquée par la Commission, en observant que l’autorité de la chose jugée d’un arrêt antérieur ne peut être invoquée que si le recours qui a donné lieu à cet arrêt a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause. Ces conditions n’étaient pas toutes réunies en l’espèce (13).

27.   Sur le fond en revanche, l’analyse de la Commission a été confirmée.

28.   En premier lieu en effet, le Tribunal a estimé que de nombreux éléments établissaient que la Diputación n’avait pas conclu le nouvel accord pour satisfaire des besoins effectifs. À son avis, «le seul fait qu’un État membre achète des biens et services aux conditions du marché ne suffit pas pour que cette opération constitue une transaction commerciale effectuée dans des conditions qu’un investisseur privé aurait acceptées [...] s’il s’avère que l’État n’avait pas un besoin réel de ces biens et services [...]. La nécessité pour un État membre de démontrer qu’une acquisition par lui de biens ou de services constitue une transaction commerciale normale s’impose d’autant plus dans le cas où, comme en l’espèce, le choix de l’opérateur n’a pas été précédé d’une procédure d’appel d’offres ouvert ayant fait l’objet d’une publicité suffisante [...]» (14). Cette nécessité n’ayant pas été démontrée en l’espèce, la Commission était fondée à conclure que le nouvel accord était de nature à conférer un avantage économique à P & O (15).

29.   En outre, selon le Tribunal, la Commission avait correctement relevé l’effet de distorsion potentiel sur la concurrence de la mesure litigieuse, et son incidence possible sur le commerce entre États membres (16).

30.   S’agissant ensuite de la violation alléguée du droit de propriété visé à l’article 295 CE, la Diputación avait soutenu que la décision attaquée constituait une limitation injuste de sa capacité de conclure des contrats et la privait du droit de propriété sur les bons de voyage, qu’elle avait légalement acquis. Mais le Tribunal a répondu que l’article 295 CE n’a pas pour effet de faire échapper les régimes de propriété existant dans les États membres aux règles fondamentales du traité et, par conséquent, ne saurait limiter la portée de la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (17).

31.   Le juge de première instance a encore estimé que la mesure litigieuse ne pouvait pas être déclarée compatible avec le marché commun sur la base de l’article 87, paragraphe 2, sous a), CE, parce que l’aide n’avait pas été accordée aux consommateurs individuels et sans discrimination liée à l’origine des services, mais qu’elle favorisait uniquement P & O (18).

32.   Quant à la prétendue violation des règles de procédure, le Tribunal n’a pas souscrit au grief de la Diputación selon lequel la Commission n’avait pas demandé aux autorités espagnoles toutes les explications ou éclaircissements nécessaires pour adopter sa décision. À son avis en effet, ce grief se basait sur une lecture erronée de la décision attaquée, en ce sens que les passages contestés par la Diputación ne témoignaient pas d’une véritable insuffisance d’informations, mais révélaient plutôt une appréciation différente, par la Commission, des éléments de preuve fournis par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative (19).

33.   Le Tribunal a ensuite examiné, et rejeté, les thèses soutenues par les deux requérantes sur la prétendue violation des principes de confiance légitime et de bonne administration, en raison de l’ordre de restitution des aides contenu dans la décision attaquée.

34.   S’agissant de la prétendue violation de la confiance légitime, le Tribunal a relevé tout d’abord que l’on ne peut exclure a priori la possibilité pour le bénéficiaire d’une aide illégale d’invoquer des circonstances exceptionnelles sur lesquelles il a pu fonder sa confiance dans la licéité de cette aide. Toutefois, les autorités qui l’ont accordée en violant l’obligation de notification ne peuvent invoquer la confiance légitime du bénéficiaire pour se soustraire à l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour exécuter une décision négative de la Commission. Or, c’est précisément ce qu’avait fait, illégalement, la Diputación (20).

35.   Par ailleurs, a poursuivi le juge de première instance, hormis le fait que la Commission avait adopté initialement une décision positive, P & O n’avait invoqué aucune circonstance exceptionnelle susceptible de faire naître, dans son chef, une confiance légitime. Or, considérer qu’une décision positive antérieure de la Commission en matière d’aides – décision attaquée dans les délais de recours prévus à l’article 230 CE et annulée par le juge communautaire – empêche automatiquement la récupération d’une aide illégale priverait d’effet utile le contrôle de la légalité de telles décisions effectué par le juge communautaire. En particulier, a observé le Tribunal en se référant à l’arrêt que la Cour a rendu le 14 janvier 1997 dans l’affaire Espagne/Commission (21), les concurrents du bénéficiaire seraient privés du droit à un recours effectif contre les décisions de la Commission qui leur font grief (22). Par conséquent, les arguments avancés par P & O quant à la confiance légitime qui serait née dans son chef ont également été rejetés.

36.   Quant à la prétendue violation du principe de bonne administration, le juge de première instance a observé que par ce moyen la requérante a critiqué le comportement de la Commission lors de l’instruction du dossier alors que, en réalité, elle entendait remettre en cause l’illégalité de l’aide. Il a donc rejeté ce moyen en renvoyant à l’analyse effectuée dans le même arrêt sur ce point (23).

37.   Examinant ensuite le moyen tiré de la violation de l’article 88 CE, le Tribunal n’a pas accueilli l’argumentation soumise par la Diputación, selon laquelle la non-ouverture, dans les deux mois suivant le prononcé de l’arrêt BAI/Commission, de la procédure prévue à l’article 88 CE en ce qui concerne la mesure litigieuse devait le conduire à considérer que l’aide avait été implicitement autorisée. Le Tribunal s’est fondé sur la jurisprudence Lorenz (24) pour conclure que ses conditions d’application n’étaient pas réunies en l’espèce (25).

38.   Enfin, le juge de première instance a déclaré manifestement infondée la prétendue insuffisance de motivation invoquée par P & O (26).

La procédure devant la Cour

39.   Dans leurs pourvois déposés respectivement le 17 octobre 2003 et le 10 novembre 2003, P & O (affaire C‑442/03 P) et la Diputación (affaire C‑471/03 P) contestent les conclusions auxquelles le Tribunal est parvenu. P & O demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau sur l’article 2 de la décision attaquée. La Diputación demande quant à elle à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et, si l’état de l’affaire le permet, de statuer directement sur le fond en annulant la décision attaquée (ou, à titre subsidiaire, en annulant son seul article 2). Dans le cas contraire, la Diputación demande que, une fois l’arrêt de première instance annulé, l’affaire soit renvoyée devant le Tribunal.

40.   La Commission, qui s’est constituée partie défenderesse dans les deux litiges, s’est opposée à ces demandes en invitant la Cour à rejeter les recours et à condamner les requérantes aux dépens. En outre, il convient d’ajouter que la Diputación a été admise à intervenir dans le pourvoi formé par P & O au soutien des conclusions présentées par cette dernière et – parallèlement – que P & O est intervenue au soutien de la Diputación dans le pourvoi qu’elle a introduit.

41.   Par ordonnance du président de la Cour du 7 juin 2005, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt. Ultérieurement, les parties ont été entendues à l’audience du 22 septembre 2005.

III – Analyse juridique

Introduction

42.   Les requérantes ont soulevé divers moyens d’annulation de l’arrêt attaqué, sur lesquels nous nous arrêterons longuement plus loin. Auparavant, nous devons prendre position sur les doutes exprimés par la Commission quant à la recevabilité du pourvoi introduit par la Diputación, doutes qui ont été ensuite mieux précisés et qualifiés formellement à l’audience d’exception d’irrecevabilité pour dépôt tardif dudit pourvoi.

Sur le caractère prétendument tardif du pourvoi formé par la Diputación

43.   À cet égard, nous dirons tout d’abord que, dans le pourvoi, la Diputación n’a pas élu domicile à Luxembourg, mais en l’étude de ses avocats à Bilbao (Espagne), et qu’elle a consenti à recevoir les significations par télécopie. Cela étant, nous rappelons que l’arrêt attaqué a été rendu le 5 août 2003 et que, le même jour, la Diputación a publié un communiqué de presse dans lequel elle déclarait publiquement son intention d’attaquer ledit arrêt. Par ailleurs, à la suite du prononcé et conformément aux dispositions susmentionnées, le greffe du Tribunal a envoyé un exemplaire authentique du texte à la Diputación par une lettre recommandée avec accusé de réception qui a été déposée auprès de la poste luxembourgeoise le 11 août suivant. Toutefois, il résulte de l’accusé de réception que l’envoi n’a été signifié au domicile choisi par la requérante que le 1er septembre. La Diputación a donc estimé devoir faire courir le délai de dépôt de son pourvoi à compter de cette date; par conséquent, ce dernier a été déposé le 10 novembre suivant. En revanche, les exemplaires de l’arrêt attaqué signifiés à la Commission et à P & O ont été reçus respectivement les 13 et 14 août 2003, de sorte que le pourvoi de P & O, comme on l’a vu, a été déposé le 17 octobre.

44.   Cela étant, la Commission objecte que, à la lumière de l’article 100, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal (27), le pourvoi de la Diputación est tardif.

45.   À son avis, si nous avons bien compris, il est certes vrai que la dernière phrase de cette disposition édicte en même temps une présomption de signification dix jours après le dépôt de l’acte auprès des services postaux du Luxembourg et une dérogation à cette présomption («à moins qu’il soit établi par l’accusé de réception [...]»). Toutefois, cette dérogation ne jouerait que si la date de réception effective de l’acte est antérieure à celle qui découle de la présomption précitée. Autrement, on risquerait de créer une situation d’insécurité juridique, puisque le destinataire de la signification pourrait retarder à l’infini le retrait de l’envoi, et donc le moment à partir duquel commence à courir le délai d’introduction du pourvoi.

46.   Mais surtout, objecte la Commission, il était parfaitement évident en l’espèce que la Diputación avait connaissance de l’arrêt attaqué, bien avant le 1er septembre 2003. Du reste, tant le communiqué de presse publié par la Diputación le jour même de l’adoption de l’arrêt que la possibilité de consulter le texte de l’arrêt sur Internet l’attesteraient. La requérante aurait donc manqué à l’obligation de diligence à laquelle sont tenues les parties à une procédure juridictionnelle en retardant intentionnellement le retrait de l’envoi (et donc la signature de l’accusé de réception), de manière à pouvoir bénéficier d’un délai de pourvoi plus long.

47.   Pour sa part, la Diputación réplique que son pourvoi a été déposé dans les délais, compte tenu de la date de réception effective de l’exemplaire de l’arrêt et du délai de recours ordinaire (deux mois), ainsi que des jours supplémentaires accordés en raison de la distance du domicile élu par le requérant. À cet effet, la requérante se fonde précisément sur le texte de l’article 100, paragraphe 2, deuxième alinéa, dernière phrase, du règlement de procédure du Tribunal qui, à ses yeux, ferait prévaloir la date de réception effective de l’acte sur la date de réception présumée.

48.   Pour notre part, nous rappellerons à titre liminaire que l’article 100, paragraphe 2, premier alinéa, régit uniquement les modalités de signification des actes qui peuvent en principe être envoyés par télécopieur ou par d’autres moyens techniques, en excluant toutefois expressément de ces modalités la signification des arrêts et ordonnances du Tribunal.

49.   Ensuite, comme on l’a vu, le deuxième alinéa de cette disposition (cité tant par la requérante que par la Commission) prévoit que, dans les cas où, à cause – notamment – «de la nature [...] de l’acte» (arrêt ou ordonnance), il n’est pas possible de le transmettre par télécopieur ou par d’autres moyens techniques, la signification est effectuée selon la procédure pour ainsi dire ordinaire visée à l’article 100, paragraphe 1, c’est-à-dire par lettre recommandée avec accusé de réception, en avertissant en même temps le destinataire par télécopieur ou par tout autre moyen technique de communication. Dès lors que cela a été fait, on présume que la lettre recommandée a été remise à son destinataire le dixième jour suivant son dépôt auprès des services postaux du Luxembourg (en l’absence manifeste d’élection de domicile dans ce pays), à moins que l’accusé de réception n’atteste que la réception a eu lieu à une autre date.

50.   Par conséquent, la présomption visée à l’article 100, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal doit être réputée distincte de celle de l’article 44, paragraphe 2, troisième alinéa, du même texte, selon lequel la signification est réputée avoir été effectuée régulièrement par le dépôt de l’envoi recommandé auprès des services postaux du Luxembourg (28).

51.   En effet, la première s’applique au cas où, malgré le consentement à recevoir des actes de procédure par télécopieur ou par d’autres moyens techniques, la transmission ne peut avoir lieu, en raison notamment de la nature de l’acte (arrêt ou ordonnance) (29). Au contraire, la seconde joue au cas où le requérant n’a pas respecté les conditions de forme prescrites par l’article 44, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, c’est-à-dire s’il n’a pas élu domicile à Luxembourg, ni consenti à la transmission des actes de procédure par télécopieur ou par d’autres moyens techniques (30).

52.   En l’espèce, comme on l’a vu, la Diputación n’a pas élu domicile à Luxembourg, mais a consenti à recevoir les actes de procédure par télécopieur ou par d’autres moyens techniques. La règle applicable est donc l’article 100, paragraphe 2, deuxième alinéa.

53.   Cela précisé, il reste alors à établir, à la lumière de cette disposition, à quelles conditions il est possible d’écarter la présomption selon laquelle la lettre recommandée a été remise le dixième jour suivant son dépôt auprès des services postaux du Luxembourg, c’est-à-dire si elle doit être écartée chaque fois que l’accusé de réception atteste que la réception a eu lieu à une autre date (comme le soutient la requérante) ou seulement lorsque cette date est antérieure à celle qui résulte de ladite présomption (comme le suggère la Commission).

54.   De ces deux thèses, la plus convaincante à nos yeux est sans aucun doute celle de la Diputación. En premier lieu en effet, elle apparaît plus conforme à la lettre de la disposition susmentionnée, qui ne corrobore en rien les conclusions de la Commission. Par ailleurs et plus généralement, nous devons observer que, si les règles de procédure applicables accordent un délai au requérant, celui-ci a le droit de s’en prévaloir entièrement, sauf dérogations expresses à cet égard. En effet, la fixation de délais de recours est liée également à la protection des droits de la défense; par conséquent, pour proposer des solutions susceptibles de restreindre ces droits, il faudrait identifier une base juridique bien plus solide qu’une déduction indirecte et, qui plus est, obtenue en sollicitant le sens d’une phrase dont le libellé est tout autre.

55.   En tout état de cause, nous estimons, sur la base des principes généraux, que, même si quelques incertitudes subsistaient encore sur ce point, elles ne pourraient jouer au détriment de la requérante et des droits de la défense de cette dernière, et que, par conséquent, il faudrait faire prévaloir l’interprétation qui protège le mieux ces droits.

56.   En conséquence, nous estimons que le pourvoi de la Diputación doit être réputé avoir été formé dans les délais et qu’il est donc recevable.

Sur les moyens du pourvoi

57.   Cela précisé, nous allons examiner à présent les pourvois sur le fond, en relevant tout d’abord que P & O a invoqué sept moyens et la Diputación neuf, en partie identiques. Nous les examinerons donc dans la mesure du possible de manière conjointe.

58.   Nous analyserons dans un premier temps les moyens relatifs à la qualification d’aide de la mesure litigieuse (A) pour examiner ensuite ceux qui sont centrés sur l’interprétation prétendument erronée de l’article 88, paragraphe 3, CE (B) et, enfin, ceux relatifs à d’autres erreurs de droit que le juge de première instance aurait commises (C).

A –    Moyens relatifs au caractère d’aide de la mesure

59.   La Diputación invoque différents griefs pour contester avant tout les affirmations du Tribunal qui confirment les conclusions de la décision attaquée en ce qu’elle qualifie le nouvel accord d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

1. Sur la recevabilité de ces moyens

60.   Toutefois, avant d’examiner les griefs en question sur le fond, il convient de dissiper certains doutes quant à leur recevabilité.

61.   En particulier, il y a lieu de vérifier si la qualification d’aide de la mesure en question peut encore être contestée devant le juge communautaire. Dans l’arrêt BAI/Commission en effet, le Tribunal s’était d’une certaine manière déjà prononcé sur cette mesure, en annulant la décision du 7 juin 1995, qui l’avait approuvée. Les parties ne l’ayant pas attaqué ultérieurement, cet arrêt est devenu définitif et est passé en force de chose jugée. On peut donc se demander si la saisine du Tribunal par la Diputación a indirectement remis en question l’arrêt BAI/Commission, en violation de l’autorité de la chose jugée.

62.   À vrai dire, la Commission a formellement soulevé cette objection en première instance, mais sans succès, puisque le Tribunal a jugé que, selon une jurisprudence constante, «l’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause» (31). En l’espèce au contraire, toujours selon le Tribunal, le recours introduit par la Diputación était dirigé contre un acte autre que celui qui avait donné lieu à l’arrêt BAI/Commission (à savoir la décision attaquée et la décision du 7 juin 1995, respectivement); au surplus, le litige n’opposait pas les mêmes parties que celles qui étaient impliquées dans l’affaire BAI/Commission, puisque la Diputación n’était pas présente dans cette dernière affaire (32).

63.   Cette exception n’a pas été soulevée par la Commission dans le cadre du présent pourvoi, même si les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur cette question, et ont effectivement exposé à l’audience leurs thèses (opposées) à cet égard.

64.   Toutefois, malgré l’absence d’exception formelle de l’une des parties, nous estimons que rien n’interdit à la Cour de vérifier si, en l’espèce, il y a eu violation de l’autorité de la chose jugée. À notre avis en effet, nonobstant le silence des textes (33), la Cour peut, dans le cadre du pourvoi, soulever d’office une exception justifiée par des raisons d’ordre public à l’encontre de l’arrêt de première instance.

65.   Nous signalons du reste que ce pouvoir est clairement confirmé par la jurisprudence de la Cour et amplement justifié par l’avocat général Jacobs dans ses conclusions dans l’affaire Salzgitter/Commission, et nous nous contenterons ici de renvoyer à l’argumentation développée dans lesdites conclusions (34).

66.   Par ailleurs, il ne nous semble pas non plus douteux que le respect du principe de l’autorité de la chose jugée doit être considéré comme l’une des questions d’ordre public que la Cour peut précisément soulever d’office à tout moment. En effet, nous sommes ici en présence d’un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire (et pas seulement communautaire), dont le respect doit être garanti non seulement dans l’intérêt des parties, mais également dans l’intérêt général (35).

67.   Cela précisé, il reste alors à se demander si, en l’espèce, l’exception susmentionnée est fondée et si, par conséquent, en admettant la recevabilité du recours en première instance et en se prononçant à nouveau sur le point de savoir si la mesure litigieuse constitue une aide, le Tribunal a violé l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt BAI/Commission.

68.   À cet égard, nous commençons par rappeler qu’en première instance le Tribunal a rejeté l’exception soulevée par la Commission en jugeant que les conditions requises par la jurisprudence de la Cour pour que l’on puisse se prévaloir de l’autorité de la chose jugée n’étaient pas réunies. En particulier, il a exclu que les deux affaires opposent les mêmes parties et portent sur le même objet.

69.   Or, s’agissant du premier aspect, nous observons qu’effectivement dans l’affaire BAI/Commission la Diputación était absente et que les intérêts publics en cause étaient défendus par le gouvernement espagnol en sa qualité d’intervenant au soutien de la Commission, alors partie défenderesse. On pourrait donc souligner que, s’il est vrai qu’il s’agit dans les deux cas d’autorités publiques du même État qui ont défendu devant le Tribunal la position de l’organisme ayant versé l’aide, il n’en reste pas moins que l’on est toujours en présence de sujets de droit distincts. Nous avouons toutefois que nous ne sommes pas sûr que l’objection soit véritablement décisive, en particulier si la différence que nous venons d’indiquer était justifiée par d’éventuelles restrictions à la qualité pour agir de la Diputación dans le premier procès.

70.   Dès lors, la vérification de l’autre condition nous semble décisive. À vrai dire, le résultat peut paraître lui aussi évident, puisque les décisions attaquées dans les deux litiges étaient des actes formellement différents. Nous pensons toutefois que la question est plus complexe.

71.   En effet, il nous faut relever que la notion de «même objet» «ne [peut] être restreinte à l’identité formelle des deux demandes» (36) et en particulier, en l’espèce, de l’acte attaqué, parce qu’elle ne se rattache pas tant à cette identité, mais plutôt à l’identité de la question de droit soumise au juge. C’est sur cette dernière en effet que porteront l’arrêt et l’autorité de la chose jugée.

72.   Au demeurant, telle est également l’une des raisons pour lesquelles la Cour a déclaré que, lorsqu’elle prend, conformément à l’article 233 CE, les mesures nécessaires «pour se conformer [à un arrêt d’annulation] et lui donner pleine exécution, [la Commission] est tenue de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire [...]. Ce sont en effet ces motifs qui [...] font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé» (37).

73.   Or, dans chacun des deux litiges qui nous occupent ici, la question litigieuse se présentait en des termes sensiblement identiques. En effet, s’il est vrai que, comme dans l’affaire BAI/Commission, le nouveau litige portait également sur la validité de l’acte spécifique (et différent dans chacun des deux cas) soumis à l’appréciation du juge, le véritable point de droit controversé dans les deux affaires – sur lequel, à notre sens, a porté la décision de justice – résidait dans l’appréciation que la Commission avait portée sur la mesure litigieuse à la lumière de l’article 87, paragraphe 1, CE, pour déterminer, dans chacun des deux cas, si l’accord constituait ou non une aide d’État.

74.   Or, c’est précisément sur la base de cette appréciation que l’acte a été annulé par l’arrêt BAI/Commission, et les motivations juridiques qui sous-tendent cette décision auraient dû s’imposer en principe au Tribunal également dans le cadre du procès suivant, lorsqu’il a été invité à se prononcer sur une décision (le «nouvel accord») qui reprenait exactement les énonciations de l’arrêt BAI/Commission.

75.   Cela étant, nous devons relever toutefois qu’après l’arrêt BAI/Commission la Commission ne s’est pas contentée de reproduire tout court le même acte accompagné d’une nouvelle motivation conforme audit arrêt. Elle a ouvert la procédure d’enquête formelle visée à l’article 88, paragraphe 3, CE en ce qui concerne la mesure litigieuse «pour permettre aux personnes intéressées de formuler leurs propres observations sur la position que la Commission entend adopter [en ce qui concerne l’accord] à la lumière de l’arrêt du Tribunal» (38). Et de fait, ainsi qu’il résulte du texte de la décision attaquée, au cours de cette procédure P & O, les autorités basques et BAI ont présenté des observations et fourni des informations complémentaires relatives à la mesure litigieuse (39).

76.   Or, quel que soit le respect dû par la Commission à l’arrêt BAI/Commission, elle ne pouvait évidemment pas ne pas examiner attentivement d’éventuels faits nouveaux ou supplémentaires allégués par les participants à la procédure (par exemple de nouvelles modifications de la mesure, un changement du cadre économique et/ou juridique pertinent, etc.), faits que, pour des raisons évidentes, l’arrêt en question n’avait pas pu prendre en considération, et qui pouvaient cependant orienter différemment les appréciations finales de la Commission.

77.   Mais, si des éléments nouveaux ont été effectivement produits par les parties (40) et pris en considération (41) par la Commission au cours de l’enquête formelle susmentionnée, le Tribunal ne pouvait pas ne pas en tenir compte et se dispenser de réexaminer la question. Il en est ainsi malgré le précédent que constitue l’arrêt BAI/Commission parce que, ainsi que la Cour l’a rappelé à plusieurs reprises, «l’autorité de la chose jugée [d’un arrêt du juge communautaire] ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire» (42).

78.   Nous pensons donc que c’est à juste titre que le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, a été amené à réexaminer la nature de la mesure litigieuse. Il en est ainsi d’autant plus qu’une autre solution aurait signifié pour les parties à la présente procédure, et pour la Diputación en particulier, que la protection juridictionnelle leur était déniée dans la mesure où les appréciations portées par la Commission sur les éléments nouveaux présentés par les parties auraient été soustraites au contrôle du juge communautaire.

79.   Il nous semble donc que la décision prise par le Tribunal sur ce point a été correcte. En conséquence, nous proposons à la Cour de déclarer recevables les moyens en cause présentés par les requérantes.

2. Sur le fond

80.   Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’examiner sur le fond les moyens relatifs à l’interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE.

81.   À cet égard, nous rappelons que, selon la requérante, le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation de ces dispositions, dans la mesure où:

a) pour apprécier si les autorités espagnoles s’étaient comportées comme un investisseur privé opérant dans une économie de marché, il s’est fondé sur le critère de la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics, qui n’aurait rien à voir avec le principe de l’investisseur privé;

b) il a jugé à tort que la Diputación n’avait pas besoin d’acquérir les bons de voyage;

c) il n’a pas censuré l’absence, dans la décision attaquée, d’une analyse économique de l’avantage conféré par la mesure en ce qui concerne les sommes déjà versées à P & O;

d) il a déclaré qu’il n’était pas nécessaire que la Commission apprécie l’incidence réelle de la mesure étatique sur la concurrence et les échanges intracommunautaires.

82.   Nous procédons ci-après à l’analyse de ces griefs.

a) Sur le critère de la nécessité de l’intervention des pouvoirs publics

83.   Comme nous l’avons déjà indiqué, la Diputación soutient tout d’abord que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 87, paragraphe 1, CE, en estimant, aux fins de l’application du principe connu de l’investisseur privé, devoir vérifier si, en l’espèce, l’autorité publique concernée avait réellement besoin des biens ou des services qu’elle avait acquis.

84.   À son avis en effet, une appréciation correcte de ce principe implique que l’on se base uniquement sur le prix de ces biens et services et sur la correspondance entre ce prix et les prix du marché, qui sont des données objectivement vérifiables. Le critère critiqué, dont on ne trouve par ailleurs aucune trace dans la jurisprudence de la Cour, conduirait au contraire à un examen subjectif des raisons et des motifs à l’origine des interventions publiques. De plus, il obligerait les États membres à informer la Commission de tous leurs achats de biens et services et d’en prouver la nécessité.

85.   Pour sa part, la Commission considère au contraire que la constatation de l’inutilité manifeste d’une acquisition constitue un critère tout à fait pertinent aux fins de l’application du principe de l’opérateur privé. En effet, une acquisition de biens ou de services dont l’inutilité est flagrante serait de nature à conférer au fournisseur un avantage économique important au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

86.   Pour notre part, nous rappellerons en premier lieu que le principe bien connu de l’investisseur privé permet de déterminer si une intervention publique peut être réputée s’inscrire dans de pures logiques de marché et ne vise pas à favoriser certaines entreprises en provoquant des distorsions dans le marché commun. En effet, comme on le sait, une jurisprudence communautaire constante a précisé que, pour dire si une intervention publique constitue une aide d’État, il convient d’apprécier si, dans des circonstances similaires, un opérateur privé aurait procédé à l’opération économique en cause aux mêmes conditions que l’autorité publique (43).

87.   Or, rien ne prouve que, pour effectuer cette analyse de manière pleine et appropriée, la Commission doive se concentrer exclusivement sur le prix «correct» (ou de marché) d’un bien ou d’un service payé par l’acquéreur public, en faisant totalement abstraction des délais, conditions et autres circonstances dans lesquels l’acquisition est réalisée. Il nous semble au contraire que seule une appréciation de l’ensemble de ces éléments permet d’établir si l’opération économique en cause est correcte ou si elle vise à conférer au vendeur un avantage économique interdit par l’article 87, paragraphe 1, CE. En somme, ce qui importe aux fins du principe de l’investisseur privé, c’est que non (seulement) le prix, mais l’opération dans son ensemble réponde à une logique de marché.

88.   Il est par exemple évident que, même si le prix correspondait à première vue au prix du marché, la décision d’une autorité publique d’acquérir des biens à des délais (ou à d’autres conditions) de paiement beaucoup plus favorables pour le vendeur que ceux normalement offerts sur le marché serait contraire au principe de l’opérateur privé. Mais, pour en venir à notre cas, il en va également de même lorsque l’acquisition est certes effectuée au prix du marché, mais en quantités très supérieures aux besoins, les pouvoirs publics accordant ainsi au fournisseur une augmentation disproportionnée de son chiffre d’affaires. En effet, ainsi que l’a souligné la Commission, aucun opérateur privé n’achèterait des biens ou services dont il n’aurait pas véritablement besoin.

89.   Le Tribunal a donc eu raison, à notre sens, de considérer que «le seul fait qu’un État membre achète des biens et services aux conditions du marché ne suffit pas pour que cette opération constitue une transaction commerciale effectuée dans des conditions qu’un investisseur privé aurait acceptées, ou, autrement dit, une transaction commerciale normale, s’il s’avère que l’État n’avait pas un besoin réel de ces biens et services» (44).

90.   Certes, nous reconnaissons qu’il n’est pas toujours aisé de vérifier de manière objective la nécessité pour les pouvoirs publics d’acquérir certains biens ou services; toutefois, il est vrai également que, lorsque cela est possible, l’absence d’une telle nécessité est un indice clair de nature à établir que l’acquisition en question ne constitue pas une transaction commerciale normale.

91.   En l’espèce par exemple, les éléments pris en considération par le Tribunal (faible pourcentage d’utilisation des billets, renonciation par les autorités à acquérir des bons de voyage pour d’autres destinations géographiques potentiellement plus attrayantes en faveur de la seule ligne desservie par P & O) (45) confirment que la Diputación n’avait pas réellement besoin d’acheter à P & O autant de bons de voyage.

92.   S’agissant ensuite du fait, souligné par la requérante, que le critère en question imposerait une charge excessive aux États membres parce qu’il les obligerait à notifier à la Commission tous leurs achats de biens et services, nous objectons qu’en réalité la notification ne s’impose que si l’intervention, en raison des circonstances spécifiques, peut se traduire pour les entreprises contractantes en avantages économiques qu’elles n’auraient pu obtenir d’un cocontractant privé. En d’autres termes, les pouvoirs publics doivent apprécier au cas par cas si le contrat est basé ou non sur des conditions de marché. Mais cette appréciation ne nous semble pas différente de celle qu’ils doivent effectuer, par exemple, lorsqu’ils décident d’investir dans le capital d’une société ou de vendre un bien public à des personnes privées.

93.   Pour ces raisons, nous estimons que ce moyen doit être rejeté.

b) Sur la prétendue nécessité de l’accord

94.   Selon la Diputación, le Tribunal a ensuite estimé à tort qu’en l’espèce le nouvel accord ne répondait pas à une nécessité effective d’acquérir les bons de voyage.

95.   Toutefois, la Commission soulève l’irrecevabilité de ce grief en ce qu’il viserait à contester des appréciations de fait effectuées par le Tribunal.

96.   En effet, en application de l’article 225 CE et de l’article 51 du statut de la Cour de justice, les pourvois contre les arrêts du Tribunal «[sont limités] aux questions de droit», de sorte que, selon une jurisprudence constante, «la Cour n’est [...] pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis [...]. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour» (46).

97.   Or, il nous semble évident que le moyen en question a pour objet d’amener la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits constatés par le Tribunal, et des moyens de preuve invoqués devant lui, à propos de l’absence de nécessité pour la Diputación d’acquérir un nombre de billets aussi élevé.

98.   Nous ajouterons que la requérante n’a pas non plus invoqué une dénaturation des faits; en tout état de cause, il nous semble que l’analyse du Tribunal à cet égard est le fruit d’une évaluation rigoureuse des éléments allégués tant par les requérantes que par la Commission (47).

99.   Pour ces raisons, le moyen est à notre sens irrecevable.

c) Sur l’absence d’analyse économique relative aux sommes déjà versées par la Diputación

100. La Diputación a soulevé également un moyen tiré de l’interprétation erronée de l’article 87, paragraphe 1, CE, par le Tribunal au motif qu’il n’a pas sanctionné l’absence, dans la décision de la Commission, d’analyse économique pour vérifier si les sommes déjà versées à P & O en exécution de la mesure – en particulier celles relatives à des bons de voyage déjà utilisés – étaient de nature à lui conférer un avantage économique. En réalité, ces sommes seraient la contrepartie d’un service de transport effectivement fourni par P & O et ne pourraient donc être qualifiées de mesures de soutien.

101. Selon la Commission au contraire, la décision attaquée contient une analyse économique détaillée des effets de la mesure.

102. Nous disons d’emblée que nous ne pensons pas pouvoir partager le grief soulevé par la requérante. À bien voir en effet, celui-ci implique que la Commission aurait dû procéder, d’une part, à un examen ex post de la valeur économique de la mesure mise en œuvre en violation du traité (c’est-à-dire des sommes déjà versées) et, d’autre part, à une fragmentation artificielle dans l’évaluation des différentes composantes de la prétendue aide (acquisition de billets déjà payés et de billets non encore payés), alors que celle-ci constitue une seule et même mesure de soutien, bien qu’articulée en diverses parties.

103. Or, sur le premier point, nous relevons qu’en vertu d’une jurisprudence constante une mesure d’aide doit être analysée en règle générale compte tenu de la perspective qui s’offrait à l’organisme ayant versé l’aide avant l’exécution de cette dernière. En effet, la Cour a précisé que, «pour rechercher si l’État a adopté ou non le comportement d’un investisseur avisé dans une économie de marché, il y a lieu de se replacer dans le contexte de l’époque au cours de laquelle les mesures de soutien financier ont été prises pour évaluer la rationalité économique du comportement de l’État et donc de s’abstenir de toute appréciation fondée sur une situation postérieure» (48).

104. Sur le second point, nous nous bornerons à observer que l’achat par les pouvoirs publics de billets à P & O constitue une seule et même transaction commerciale. La valeur économique et la portée globale de cette transaction ne pouvaient donc être appréciées qu’en examinant la mesure dans sa totalité. On ne pouvait certainement pas demander à la Commission d’apprécier séparément les différentes composantes de l’aide pour déterminer si et dans quelle mesure les montants déjà versés, au demeurant en violation du traité, ont concrètement profité à l’entreprise destinataire.

105. Au vu de ces considérations, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de l’absence d’évaluation de l’avantage économique conféré à P & O par les sommes déjà versées.

d) Sur l’impact réel de la mesure litigieuse sur les échanges intracommunautaires et sur la concurrence

106. Enfin, la Diputación objecte que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 87, paragraphe 1, CE, pour n’avoir pas censuré l’absence, dans la décision attaquée, de toute analyse de l’incidence réelle de la mesure litigieuse sur les échanges intracommunautaires et sur la concurrence. Selon la requérante en effet, la Commission se serait contentée sur ce point de simples présomptions.

107. Nous pensons toutefois que la Commission soutient à juste titre que la décision contient une démonstration suffisante des effets de la mesure en cause.

108. En effet, selon une jurisprudence communautaire constante, il n’est pas nécessaire que les décisions en matière d’aides non notifiées examinent in concreto les conséquences effectives de ces aides sur la concurrence et sur les échanges entre États membres. En revanche, il incombe à la Commission de démontrer, à la lumière des circonstances de l’espèce, que les mesures menacent de fausser la concurrence et sont susceptibles d’avoir une incidence sur les échanges entre les États membres (49). Or, comme la Commission l’a souligné, certains passages de la décision attaquée (et en particulier les points 54 et 55) contiennent effectivement une analyse de cette nature.

109. Par ailleurs, ainsi que l’a justement relevé le Tribunal en se fondant sur une jurisprudence constante, si la Commission devait chaque fois démontrer dans sa décision les conséquences réelles des aides déjà accordées, cela aboutirait à favoriser les États membres qui versent des aides en violation du devoir de notification au détriment de ceux qui notifient régulièrement les aides à l’état de projet, parce que la charge de la preuve serait plus lourde dans le premier cas que dans le second (50).

110. À la lumière des considérations qui précèdent, il nous semble en définitive que les moyens tirés de l’interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE, effectuée par le Tribunal sont en partie irrecevables et en partie infondés.

B –    Moyens tirés de l’interprétation erronée de l’article 88, paragraphe 3, CE

111. Comme nous l’avons indiqué, les deux requérantes reprochent également au Tribunal une interprétation erronée de l’article 88, paragraphe 3, CE, pour avoir:

a) qualifié le nouvel accord d’aide illégale;

b) conclu que l’accord initial et le nouvel accord constituaient une seule aide, instaurée et mise en œuvre en 1992.

112. Nous procédons donc ci-après à l’analyse de ces moyens.

a) Sur la légalité de la mesure litigieuse

113. Par différents arguments, largement similaires, P & O et la Diputación reprochent au Tribunal d’avoir conclu que la lettre du 27 mars 1995 ne constituait pas une notification valable au sens du traité.

114. En effet, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a d’abord qualifié le nouvel accord de simple modification de l’accord initial, en concluant que les deux accords constituaient une seule aide, instaurée et mise en œuvre en 1992. En outre, il a identifié une série d’éléments qui feraient apparaître que la lettre du 27 mars 1995 n’avait pas été entendue comme une notification régulière du nouvel accord. En particulier, serait révélateur à cet égard le fait que cette lettre n’avait pas été envoyée au secrétaire général de la Commission, mais à un fonctionnaire de l’institution, qu’elle ne mentionnait pas spécifiquement l’article 88, paragraphe 3, CE, et qu’elle portait la référence «NN 40/93» utilisée par la Commission dans le dossier relatif à l’accord initial.

115. Comme nous l’avons dit, les requérantes contestent cette conclusion. À leur avis, non seulement elle ne reposerait que sur des éléments dépourvus de valeur probante, mais négligerait également des indices de sens opposé. En particulier, elle ne tiendrait pas compte, toujours selon les requérantes, d’un fait très important, à savoir que les avocats de P & O avaient envoyé la lettre en question avec l’approbation des autorités espagnoles.

116. Or, selon les requérantes, la notification de mesures d’aide par des personnes privées devait à cette époque être considérée comme admissible. En effet, d’une part, le traité reste muet quant aux personnes habilitées à engager la procédure visée à l’article 88, paragraphe 3, CE; d’autre part, la limitation instituée par l’article 2 du règlement n° 659/1999 en faveur des seuls États membres est postérieure aux faits litigieux et, partant, inapplicable en l’espèce.

117. Or, poursuit P & O, si l’aide avait été légalement notifiée, la jurisprudence Lorenz (51) aurait dû pleinement s’appliquer à la présente affaire. Par conséquent, puisque après l’annulation de la décision du 7 juin 1995 par le Tribunal la Commission n’avait pas pris position sur la mesure litigieuse dans les deux mois qui ont suivi l’arrêt, l’aide aurait dû être réputée implicitement autorisée.

118. Même si l’on admettait, poursuit P & O, qu’il n’y a pas eu de notification correcte du nouvel accord, la Commission n’aurait plus été en droit, en vertu du principe de l’«estoppel», d’opposer l’irrégularité de ladite notification. En effet, comme elle n’avait jamais soulevé cette irrégularité devant les autorités espagnoles durant la procédure administrative, ces dernières n’ont pas jugé nécessaire de la réparer, alors qu’elles auraient pu le faire aisément en procédant à une notification régulière.

119. La Commission, qui partage l’analyse du Tribunal, réplique que la nature même des procédures de contrôle des aides d’État et, implicitement, la jurisprudence de la Cour – en premier lieu l’arrêt Lorenz, précité – confirmeraient la thèse selon laquelle seuls les États membres sont habilités à notifier des projets d’aide (52). En outre, elle insiste sur le fait que les éléments décrits par le Tribunal aux points 64 à 68 de l’arrêt attaqué (mentionnés ci-dessus au point 114) confirment pleinement la conclusion selon laquelle la Commission n’aurait jamais traité la lettre du 27 mars 1995 comme une notification en bonne et due forme.

120. Pour notre part, nous devons dire que, une fois de plus, nous ne pouvons partager l’argumentation des requérantes.

121. Tout d’abord, en ce qui concerne la possibilité de réputer valable en application de l’article 88, paragraphe 3, CE une notification effectuée par des personnes autres que les pouvoirs publics, le problème est aujourd’hui résolu, comme nous l’avons déjà indiqué, par l’article 2 du règlement n° 659/1999, en vertu duquel «tout projet d’octroi d’une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l’État membre concerné» (53). Mais qu’en est-il avant l’entrée en vigueur de cette disposition, puisque l’article 88, paragraphe 3, CE se borne à prévoir que «[l]a Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides»?

122. Or, même à supposer que le libellé lapidaire de cette disposition ne résolvait pas le problème, il nous semble que, en revanche, une lecture complète et systématique de l’article 88 CE permettait déjà à l’époque d’exclure la notification par des personnes autres que les pouvoirs publics. En effet, à l’instar des autres dispositions du traité en matière d’aides d’État, l’article 88 CE est lui aussi totalement centré sur la relation État membre-Commission.

123. Du reste, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt SFE e.a., rendu avant l’adoption du règlement n° 659/1999, «l’obligation de notification et l’interdiction préalable de mise en œuvre des projets d’aide prévus par l’article [88], paragraphe 3, s’adressent à l’État membre [...]. Celui‑ci est également le destinataire de la décision par laquelle la Commission constate l’incompatibilité d’une aide et l’invite à la supprimer dans le délai qu’elle détermine» (54).

124. Par ailleurs, nous relevons que, dans la jurisprudence de la Cour, aujourd’hui largement codifiée dans le règlement n° 659/1999 (55), les bénéficiaires potentiels des aides ont été qualifiés de simples «parties intéressées» à la procédure, de manière assez semblable à la situation dans laquelle se trouvent d’autres tiers intéressés (par exemple les concurrents du bénéficiaire). Dans la récente affaire Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, la Cour a ainsi déclaré que, «dans la procédure de contrôle des aides d’État, les intéressés autres que l’État membre concerné n’ont que le rôle [de fournir des observations à la suite de l’ouverture d’une procédure d’enquête formelle] et, à cet égard, ils ne sauraient prétendre eux-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui ouvert au profit dudit État membre [...]. Aucune disposition de la procédure de contrôle des aides d’État ne réserve, parmi les intéressés, un rôle particulier au bénéficiaire de l’aide. À cet égard, il y a lieu de préciser que la procédure de contrôle des aides d’État n’est pas une procédure ouverte à ‘l’encontre’ du bénéficiaire ou des bénéficiaires des aides qui impliquerait que celui-ci ou ces derniers puissent se prévaloir de droits aussi étendus que les droits de la défense en tant que tels» (56).

125. Il nous semble donc que la nature même des procédures en matière de contrôle des aides exclut que celles-ci puissent être notifiées par des personnes privées.

126. Il s’ensuit, en l’espèce, que le nouvel accord ne pouvait être considéré comme une aide légalement notifiée au sens du traité. Et cette conclusion ne serait pas non plus modifiée si, comme le prétend la requérante, le nouvel accord avait été communiqué à la Commission avec l’approbation des autorités nationales. En effet, ces dernières n’auraient pu se soustraire à l’obligation de notification qui leur incombait en vertu du traité en tolérant que l’aide soit communiquée à la Commission par une personne privée à travers des canaux non officiels.

127. Pour ces raisons, il nous semble que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en confirmant l’analyse de la Commission sur ce point.

128. Quant aux objections des requérantes sur la valeur probante des éléments retenus par le Tribunal pour établir qu’à l’époque de la communication de l’aide à la Commission cette aide a été jugée illégale, nous nous contenterons d’observer qu’elles ont trait à l’appréciation d’éléments de fait effectuée par le Tribunal. Or, comme nous l’avons déjà noté (supra, point 96), dans le cadre d’un pourvoi de telles appréciations ne peuvent être contrôlées par la Cour à moins que les requérantes n’allèguent et ne démontrent une dénaturation des preuves, ce qui ne s’est pas produit en l’espèce.

129. Ensuite, il est à peine besoin de relever que le fait que l’aide n’a pas été notifiée exclut toute application éventuelle de la jurisprudence Lorenz dans le présent litige, puisqu’on sait que cette jurisprudence a trait à des aides dûment notifiées par les autorités nationales.

130. Enfin, s’agissant de l’argument fondé sur le principe de l’«estoppel» (57), c’est-à-dire la prétendue forclusion à laquelle se heurterait la Commission et qui lui interdirait d’opposer à P & O l’irrégularité de la notification pour les raisons exposées antérieurement (supra, point 118), nous estimons qu’il doit être rejeté lui aussi, et ce pour une double série de raisons.

131. En premier lieu, il n’apparaît pas que la Commission ait jamais affirmé que la lettre du 27 mars 1995 constituait une notification régulière de la mesure litigieuse. En second lieu, le fait que la Commission ait dûment tenu compte des informations contenues dans cette lettre ne signifie pas qu’elle ait considéré cette dernière comme une notification régulière. En effet, il est de pratique courante que, dans le cadre de l’examen d’une aide, la Commission reçoive et utilise toutes les informations utiles, quelle qu’en soit la provenance (autorités étatiques, bénéficiaires potentiels de l’aide, concurrents des bénéficiaires, etc.).

132. Nous ajouterons encore que la requérante n’a indiqué aucune raison pour laquelle la Commission aurait dû signaler aux autorités espagnoles qu’elle traitait le nouvel accord comme une aide non notifiée. En revanche, le fait que la lettre du 27 mars 1995 ne constituait pas une notification régulière devait sauter aux yeux de ces autorités à la lumière de toute une série d’éléments justement mis en évidence par le Tribunal (voir supra, point 114) (58).

133. On peut donc conclure que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que le nouvel accord constituait une aide non notifiée. Partant, nous proposons à la Cour de rejeter les moyens y afférents soit en tant qu’ils sont irrecevables, soit en tant qu’ils sont infondés.

b) Sur l’unicité de la mesure d’aide

134. Par différents griefs, en grande partie identiques, les requérantes cherchent en substance à démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le nouvel accord fait partie intégrante de l’accord initial. En effet, selon le juge de première instance, «l’accord initial et le nouvel accord constituent une seule aide, instaurée et mise en œuvre en 1992» (59).

135. Plus précisément, outre qu’elles contestent la pertinence de la jurisprudence évoquée par le Tribunal à l’appui de ses conclusions (60), les requérantes déduisent de l’article 88, paragraphe 3, CE que les projets destinés à modifier les aides doivent être considérés comme des «aides nouvelles». Il s’ensuit, à leur avis, que l’obligation de notification d’une aide modifiée doit être considérée de manière autonome par rapport à l’obligation de notification de l’aide initiale. Par conséquent, le fait qu’une aide n’ait pas été notifiée ne devrait avoir aucune incidence sur la légalité d’une modification de ladite aide, dès lors qu’elle a été régulièrement notifiée.

136. Les requérantes ajoutent que les différences considérables existant entre les deux accords ne permettaient pas de conclure, comme l’a fait le Tribunal, que «les modifications de l’accord initial, telles qu’elles résultent du nouvel accord, n’[affectaient] pas, dans sa substance, l’aide telle qu’instaurée par l’accord initial» (61).

137. Enfin, elles reprochent au Tribunal d’avoir dénaturé la décision du 7 juin 1995, et en particulier d’avoir négligé que cette décision avait une double portée: d’une part, elle clôturait la procédure ouverte en ce qui concerne l’accord initial et, d’autre part, elle déclarait que le nouvel accord ne constituait pas une aide d’État. Par conséquent, une lecture correcte de cette décision aurait révélé que les deux accords avaient été traités par la Commission comme des mesures différentes.

138. Pour notre part, nous nous contenterons d’observer que ces griefs se basent sur la prémisse erronée selon laquelle le nouvel accord a été dûment notifié. Cependant, comme nous avons précédemment réfuté cette prémisse (supra, points 122 à 126), nous devons en déduire que les moyens en question sont infondés. En effet, même s’il a été analysé séparément de l’aide précédente non notifiée, le nouvel accord n’en demeure pas moins une aide illégale, dans la mesure où il n’a pas été notifié conformément au traité.

139. À la lumière des considérations qui précèdent, nous estimons donc que les moyens en question doivent être rejetés.

C –    Moyens tirés d’autres prétendues erreurs de droit

140. Enfin, les requérantes ont soutenu que le Tribunal a commis également d’autres erreurs de droit, en particulier parce que la décision attaquée aurait:

a) rejeté les demandes des parties basées sur leur confiance légitime dans la régularité de l’aide;

b) dénaturé le moyen soulevé par la Diputación en ce qui concerne la prétendue violation de l’article 10 CE et du principe de bonne administration;

c) exclu l’applicabilité à l’aide en cause de l’exemption prévue à l’article 87, paragraphe 2, sous a), CE;

d) omis, en violation des droits de la défense de la Diputación et de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, de se prononcer sur la demande de la requérante tendant à ce que la Commission produise les documents en sa possession.

141. Dans les pages qui suivent, nous procéderons à l’analyse de ces griefs.

a) Sur la confiance légitime

142. La Diputación soutient que dans l’arrêt attaqué le Tribunal a dénaturé le moyen qu’elle avait formé en première instance sur ce point. En réalité, selon la requérante, l’argument qu’elle avait invoqué devant le Tribunal portait sur la protection de la confiance légitime de l’autorité ayant accordé l’aide, et non de celle du bénéficiaire; or, le juge de première instance se serait exclusivement concentré sur ce dernier.

143. Quant à P & O, elle affirme que l’injonction de restituer l’aide contenue dans la décision attaquée viole sa confiance légitime dans la licéité de la mesure initiale et que, par conséquent, le Tribunal a commis une erreur en rejetant son recours sur ce point. En effet, elle estime que la première décision de la Commission, qui excluait que la mesure litigieuse fût une aide d’État, aurait fait naître dans son chef une confiance légitime dans la possibilité de bénéficier de cette mesure.

144. La Commission conteste les deux griefs sur le fond. De plus, elle répond à la Diputación que son grief constitue en réalité un moyen nouveau contre la décision attaquée en première instance, mais qu’elle n’avait pas soulevé à ce stade. Devant le Tribunal en effet, la requérante aurait précisément invoqué la protection de la confiance légitime du bénéficiaire et non de la sienne propre. Ce grief ne serait donc, selon la Commission, qu’une manière de contourner l’interdiction faite par l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour de modifier dans le cadre du pourvoi l’objet du litige devant le Tribunal.

145. Toutefois, nous disons d’emblée que cette exception ne nous semble pas fondée. En effet, le recours introduit en première instance par la requérante faisait référence à la confiance légitime créée «en las partes en el Acuerdo de 1995» (62). Même si cette notion de «parties» n’a été développée ou explicitée dans aucun des mémoires déposés durant la procédure de première instance, nous pensons être fondé à conclure que la Diputación, en sa qualité de partie contractante, doit être englobée dans la définition susindiquée.

146. Ensuite, quant au fond des griefs en question, il nous semble opportun de distinguer selon que la confiance légitime a été invoquée par les pouvoirs publics ayant accordé l’aide ou par le bénéficiaire. La jurisprudence de la Cour est claire et constante dans les deux cas.

147. En ce qui concerne la première hypothèse, nous observerons que, s’il est vrai qu’une partie du moyen invoqué en première instance par la Diputación (c’est-à-dire celle qui a trait à sa propre confiance légitime) n’a pas été expressément rejetée par le Tribunal, son rejet nous semble toutefois ressortir implicitement du raisonnement global suivi par le juge de première instance qui – sur la base d’une jurisprudence constante – a exclu à bon droit que les autorités espagnoles puissent invoquer en l’espèce une quelconque confiance quant à la légalité d’une aide non notifiée pour s’opposer à sa récupération (63).

148. Nous observerons en outre que les arguments relatifs à la confiance légitime avancés en première instance par la Diputación étaient pour le moins sommaires et généraux. En effet, dans les mémoires déposés auprès du Tribunal, les raisons pour lesquelles la confiance de l’organisme ayant versé l’aide dans la régularité de l’aide en question aurait mérité protection n’ont été nullement précisées. Face aux arguments généraux invoqués par la requérante, on ne saurait à notre sens reprocher aucun manquement au Tribunal pour n’avoir pas discuté expressément cet aspect.

149. Abordant à présent le grief de P & O fondé sur la protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide, nous rappellerons d’emblée que, selon une jurisprudence constante, «les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. [...]» (64).

150. Toutefois, le juge communautaire a précisé également que «la possibilité, pour le bénéficiaire d’une aide illégale, d’invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s’opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait certes être exclue» (65).

151. Puisque, comme nous l’avons vu, l’aide en question n’a pas été notifiée, il est nécessaire d’examiner si l’annulation de la décision favorable de la Commission par le juge communautaire doit être considérée comme une «circonstance exceptionnelle» au sens de la jurisprudence précitée.

152. Il est clair que cette appréciation doit être effectuée à la lumière de la finalité de la protection de la confiance légitime. À cet égard, la Cour a déclaré que «le principe de la protection de la confiance légitime est le corollaire du principe de sécurité juridique [...] et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire» (66).

153. Or, il nous semble évident que le contrôle juridictionnel exercé par le juge communautaire sur les décisions en matière d’aides d’État ne peut être considéré comme un événement exceptionnel et imprévisible puisqu’il constitue une partie intégrante et essentielle du système institué par le traité en la matière. Un opérateur économique diligent devrait donc savoir qu’une décision de la Commission déclarant qu’une mesure étatique ne constitue pas une aide d’État est, jusqu’à l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article 230 CE, susceptible d’être attaquée devant le juge communautaire.

154. Du reste, la Cour elle-même a tout récemment affirmé: «Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 88 CE, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. [...] Il s’ensuit que, tant que la Commission n’a pas pris une décision d’approbation et même, tant que le délai de recours à l’encontre de cette décision n’est pas écoulé, le bénéficiaire n’a pas de certitude quant à la légalité de l’aide envisagée, seule susceptible de faire naître chez lui une confiance légitime» (67).

155. Ensuite, dans le même sens, la Cour a précisé dans l’arrêt Espagne/Commission que «la circonstance que la Commission a initialement décidé de ne pas soulever d’objections aux aides litigieuses ne peut pas être considérée comme susceptible d’avoir fait naître une confiance légitime de l’entreprise bénéficiaire dès lors que cette décision a été contestée dans les délais de recours contentieux, puis annulée par la Cour. Pour regrettable qu’elle soit, l’erreur ainsi commise par la Commission ne saurait effacer les conséquences du comportement illégal du Royaume d’Espagne» (68).

156. Par ailleurs – comme l’a noté le Tribunal –, la thèse des requérantes priverait d’effet utile le contrôle exercé par le juge communautaire sur la légalité d’une décision positive de la Commission en matière d’aides d’État. En effet, si l’on devait conclure qu’une telle décision fait naître automatiquement une confiance légitime des bénéficiaires, leurs concurrents ou d’autres tiers lésés par la décision n’auraient plus aucun intérêt à attaquer l’acte vicié. En effet, l’éventuelle annulation d’une décision positive de la Commission en matière d’aides déboucherait sur une authentique victoire à la Pyrrhus, puisque les effets négatifs de la décision ne pourraient jamais être éliminés.

157. Nous estimons donc que l’adoption d’une décision favorable de la Commission en matière d’aides ne peut être en soi considérée comme un événement faisant naître dans le chef des bénéficiaires potentiels une confiance légitime quant à la légalité desdites aides. C’est donc à juste titre que le Tribunal a rejeté les griefs des requérantes relatifs à une violation du principe de confiance légitime.

158. En conséquence, nous concluons que les griefs en cause ne peuvent être accueillis.

b) Violation de l’article 10 CE et du principe de bonne administration

159. La Diputación estime que le Tribunal a dénaturé les arguments qu’elle a invoqués en première instance en ce qui concerne la violation de l’article 10 CE et du principe de bonne administration dans la gestion du dossier par la Commission.

160. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal avait rejeté ces arguments parce qu’il avait estimé qu’ils visaient en réalité à remettre en cause l’illégalité de l’aide litigieuse. Sans donc les examiner au fond, le Tribunal s’était limité à renvoyer aux considérations qu’il avait déjà exposées à propos de l’absence de notification de l’aide.

161. La requérante objecte au contraire qu’elle avait soulevé ce grief non dans le but de contester le caractère illégal de l’aide, mais pour en empêcher la récupération.

162. Cela étant, nous devons observer avec la Commission que dans les mémoires présentés dans la présente procédure la requérante n’a pas expliqué de manière claire et précise en quel sens et de quelle manière la Commission aurait violé le principe de bonne administration ou l’article 10 CE. En revanche, il est vrai que, dans les mémoires présentés en première instance, la requérante avait fondé son grief à cet égard sur les mêmes arguments que ceux invoqués pour démontrer que l’aide avait été régulièrement notifiée. Au vu de ces éléments, ainsi que du fait que ces arguments ont été réfutés par le Tribunal, il nous semble que c’est à juste titre qu’il a renvoyé à ses énonciations relatives à l’illégalité de l’aide et, partant, qu’il a rejeté le grief.

163. Et c’est ce que nous proposons à notre tour.

c) Sur la non-application de l’exemption prévue à l’article 87, paragraphe 2, sous a), CE

164. La Diputación reproche encore au Tribunal d’avoir jugé inapplicable à la mesure litigieuse l’exemption prévue à l’article 87, paragraphe 2, sous a), CE (69).

165. Il nous semble toutefois que c’est à juste titre que le Tribunal a écarté l’existence des conditions requises pour bénéficier de cette exemption. En effet, d’une part, la mesure en cause avantageait directement une seule entreprise (et non les consommateurs) et, d’autre part, elle était discriminatoire parce qu’elle excluait les autres prestataires de services potentiels de son champ d’application.

166. Nous proposons donc à la Cour de rejeter également ce moyen.

d) Sur l’absence de réponse en ce qui concerne la demande de production de documents

167. Enfin, la Diputación reproche au Tribunal de ne pas avoir répondu à une demande de production de documents qu’elle avait présentée, et d’avoir violé de ce fait les droits de la défense de la requérante ainsi que l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal (70). Cette demande concernait la communication de certains documents du dossier administratif de la Commission relatif à l’affaire C‑32/93, qui auraient fait apparaître, selon la requérante, que dans cette phase la Commission avait traité l’accord de 1995 comme une aide légale.

168. Toutefois, nous rappelons qu’une jurisprudence constante établit qu’il «appartient au juge communautaire de décider de la nécessité de la production d’un document, en fonction des circonstances du litige, conformément aux dispositions du règlement de procédure applicables aux mesures d’instruction» (71). Dans un arrêt tout récent, la Cour a ensuite précisé que le Tribunal, lorsqu’il juge inutile l’adoption de mesures d’instruction demandées par les parties, peut rejeter ces demandes implicitement et sans avoir à motiver son refus dans l’arrêt (72).

169. Nous estimons donc que le présent moyen doit être rejeté.

170. En conclusion, aucun des griefs formulés par les requérantes ne nous semble fondé, de sorte que les présents pourvois doivent être rejetés.

IV – Sur les dépens

171. Au vu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure et des conclusions auxquelles nous sommes parvenu, nous estimons que les requérantes doivent être condamnées aux dépens.

V –    Conclusion

172. Pour les raisons qui précèdent, nous proposons en conséquence à la Cour de dire pour droit:

«1)      Les pourvois sont rejetés.

2)      P & O European Ferries (Vizcaya) SA et la Diputación Foral de Vizcaya sont condamnées aux dépens.»


1 – Langue originale: l’italien.


2 – Rec. p. II‑2957.


3 – JO 2001, L 89, p. 28.


4 – Règlement du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1).


5 – JO 1994, C 70, p. 5.


6 – Fonctionnaire chargé de la gestion du dossier relatif à l’aide en cause.


7 – JO C 321, p. 4.


8 – Rec. p. II-139.


9 – Points 74 à 80.


10 – JO C 233, p. 22.


11 – Voir note 3.


12 – Points 57 à 74.


13 – Points 75 à 82.


14 – Points 117 et 118.


15 – Points 121 à 140.


16 – Points 141 à 144.


17 – Points 148 à 153.


18 – Points 162 à 171.


19 – Points 176 à 187.


20 – Points 201 à 203.


21 – C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 53.


22 – Points 204 à 210.


23 – Points 211 à 212.


24 – Arrêt du 11 décembre 1973 (120/73, Rec. p. 1471). Cette jurisprudence pose la règle en vertu de laquelle, si la Commission, dans les deux mois qui suivent la notification d’une aide nouvelle, omet de prendre position sur cette dernière (en ouvrant la procédure contradictoire ou en adoptant une décision positive), l’État intéressé peut mettre cette mesure à exécution s’il en a informé la Commission au préalable.


25 – Points 216 à 219.


26 – Points 223 à 227.


27 – Nous rappelons que, si le paragraphe 1 de cette disposition dispose que, en principe, «les significations prévues au règlement sont faites par les soins du greffier au domicile et lieu du destinataire [...] par envoi postal recommandé, avec accusé de réception, d’une copie de l’acte à signifier», le paragraphe 2 ajoute toutefois que, «lorsque, conformément à l’article 44, paragraphe 2, deuxième alinéa, le destinataire a consenti à ce que des significations lui soient adressées par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication, la signification de tout acte de procédure, à l’exception des arrêts et ordonnances du Tribunal, peut être effectuée par transmission d’une copie du document par ce moyen» (premier alinéa, c’est nous qui soulignons); «si pour des raisons techniques ou à cause de la nature ou du volume de l’acte, une telle transmission ne peut avoir lieu, l’acte est signifié, en l’absence d’une élection de domicile du destinataire, à l’adresse de celui-ci selon les modalités prévues au paragraphe 1. Le destinataire en est averti par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication. Un envoi postal recommandé est alors réputé avoir été remis à son destinataire le dixième jour après le dépôt de cet envoi à la poste au lieu où le Tribunal a son siège, à moins qu’il soit établi par l’accusé de réception que la réception a eu lieu à une autre date [...]» (deuxième alinéa).


28 – Pour la commodité du lecteur, nous rappelons que l’article 44 susmentionné est ainsi rédigé: «la requête contient élection de domicile au lieu où le Tribunal a son siège» (premier alinéa); «en plus ou au lieu de l’élection de domicile visée au premier alinéa, la requête peut indiquer que l’avocat ou l’agent consent à ce que des significations lui soient adressées par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication» (deuxième alinéa); «si la requête n’est pas conforme aux conditions visées au premier et au deuxième alinéa, toutes les significations aux fins de la procédure à la partie concernée, tant que ce défaut n’a pas été régularisé, sont faites par envoi postal recommandé adressé à l’agent ou à l’avocat de la partie. Par dérogation à l’article 100, paragraphe 1, la signification régulière est alors réputée avoir lieu par le dépôt de l’envoi recommandé à la poste au lieu où le Tribunal a son siège» (troisième alinéa).


29 – Toutefois, comme nous l’avons dit, le destinataire doit avoir été averti du dépôt effectué, sinon la présomption ne peut s’appliquer.


30 – Voir, en ce sens, ordonnance du 29 octobre 2004, Ripa di Meana/Parlement (C‑360/02 P, Rec. p. I-10339).


31 – Arrêts du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission (172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 9), et du 22 septembre 1988, France/Parlement (358/85 et 51/86, Rec. p. 4821, point 12).


32 – Points 77 à 80.


33 – En effet, l’article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, qui traite précisément de la possibilité de soulever d’office des fins de non‑recevoir pour des raisons d’ordre public, n’est pas mentionné à l’article 118 du même règlement en ce qui concerne les pourvois.


34 – Arrêt du 13 juillet 2000 (C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, points 56 et 57), ainsi que les conclusions y afférentes, points 125 et suiv.


35 – Sur les critères d’appréciation des motifs d’ordre public, voir en ce sens, avec d’amples développements, les conclusions précitées de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Salzgitter/Commission, précitée, points 140 et suiv. Plus spécialement, en ce sens que les questions relatives à l’autorité de la chose jugée sont d’ordre public et donc susceptibles d’être soulevées d’office, voir conclusions de l’avocat général Roemer du 19 octobre 1965 dans l’affaire Société anonyme des laminoirs, hauts fourneaux, forges, fonderies et usines de la Providence e.a./Haute Autorité (arrêt du 9 décembre 1965, 29/63, 31/63, 36/63, 39/63 à 47/63, 5/63 et 51/63, Rec. p. 1123, 1153), et de l’avocat général Jacobs du 4 mai 1994 dans l’affaire Peterbroeck (arrêt du 14 décembre 1995, C‑312/93, Rec. p. I‑4599, I‑4601 et, en particulier, I‑4606, point 24).


36 – Arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, Rec. p. 4861, point 17).


37 – Arrêt du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission (97/86, 193/86, 99/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27).


38 – Décision du 26 mai 1999, précitée (note 10), paragraphe 1, point 6.


39 – Voir points 20 à 40 de la décision attaquée.


40 – Par exemple, le fait que les bons de voyage acquis pouvaient être utilisés également durant des périodes postérieures à la période couverte par le nouvel accord (voir point 25 de la décision attaquée), ou encore des informations complémentaires sur la méthode de calcul utilisée par les autorités pour déterminer le nombre de billets nécessaire (voir point 47 de la décision attaquée).


41 – Voir, par exemple, points 48 à 50 de la décision attaquée.


42 – Voir arrêt du 19 février 1991, Italie/Commission (C‑281/89, Rec. p. I‑347, point 14), et ordonnance du 28 novembre 1996, Lenz/Commission (C‑277/95 P, Rec. p. I‑6109, point 50).


43 – Voir, notamment, arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 29); du 3 octobre 1991, Italie/Commission (C‑261/89, Rec. p. I‑4437, point 8), et du 14 septembre 1994, Espagne/Commission (C‑42/93, Rec. p. I‑4175, point 13).


44 – Point 117 de l’arrêt attaqué.


45 – Voir points 128 à 137 de l’arrêt attaqué.


46 – Arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission (C‑7/95 P, Rec. p. I‑3111, points 21 et 22). Dans le même sens, voir notamment arrêt du 8 mai 2003, T. Port/Commission (C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 27), et ordonnance du 9 juillet 2004, Fichtner (C‑116/03, non publiée au Recueil, point 33).


47 – Voir points 121 à 137 de l’arrêt attaqué.


48 – Arrêt du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, Rec. p. I‑4397, point 71). Voir, également, arrêts du 14 février 1990, France/Commission (C‑301/87, Rec. p. I‑307, points 43 à 45), et du 3 octobre 1991, Italie/Commission (précité note 43, point 21).


49 – Voir, en particulier, arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission (730/79, Rec. p. 2671, points 11 et 12), et du 4 avril 2001, Regione autonoma Friuli Venezia Giulia/Commission (T‑288/97, Rec. p. II‑1169, points 49 et 50), ainsi que les conclusions de l’avocat général Saggio du 27 janvier 2000 dans l’affaire Allemagne/Commission (arrêt du 19 septembre 2000, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 24).


50 – Voir point 142 de l’arrêt attaqué, avec la jurisprudence qui y est citée.


51 – Arrêt précité (note 24).


52 – La Commission se fonde surtout sur les arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719), et du 15 février 2001, Autriche/Commission (C‑99/98, Rec. p. I‑1101, point 32), ainsi que sur l’arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission (T‑11/95, Rec. p. II‑3235, point 75).


53 – C’est nous qui soulignons.


54 – Arrêt du 11 juillet 1996 (C‑39/94, Rec. p. I‑3547, point 73). Voir, également, arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité (note 52), point 45. C’est nous qui soulignons.


55 – À propos du règlement n° 659/1999, la Cour a observé, dans son arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, Rec. p. I‑3657, point 23), qu’il «est dans une assez large mesure une codification détaillée de l’interprétation des dispositions procédurales du traité relatives aux aides d’État donnée par le juge communautaire antérieurement à l’adoption de ce règlement».


56 – Arrêt du 24 septembre 2002 (C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, points 80 à 83). C’est nous qui soulignons. Voir, également, arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité (note 52), points 58 et 59, et du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen (T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, points 122 à 125).


57 – Sur l’institution de l’«estoppel», voir arrêts du 10 février 1983, Luxembourg/Parlement (230/81, Rec. p. 255, points 22 à 26), et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil (C‑69/89, Rec. p. I‑2069, point 131).


58 – Points 64 à 68 de l’arrêt attaqué.


59 – Point 58.


60 – P & O se fonde en particulier sur l’arrêt du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309), cité par le Tribunal au point 60 de l’arrêt attaqué.


61 – Point 60.


62 – Voir point 53 du recours formé devant le Tribunal.


63 – Voir points 201 à 210.


64 – Voir arrêts du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne (C‑5/89, Rec. p. I‑3437, point 14), et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, précité (note 21), point 51.


65 – Arrêt Commission/Allemagne, précité (note 64), point 16.


66 – Arrêt du 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma (C‑107/97, Rec. p. I‑3367, point 66).


67 – Arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑91/01, Rec. p. I‑4355, points 65 et 66).


68 – Voir arrêt du 14 janvier 1997, précité (note 21), point 53.


69 – Cette disposition prévoit que sont compatibles avec le marché commun «les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu’elles soient accordées sans discrimination liée à l’origine des produits».


70 – Cette disposition prévoit que: «le Tribunal [...] fixe les mesures qu’il juge convenir par voie d’ordonnance articulant les faits à prouver [...]».


71 – Arrêt du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission (C‑182/99 P, Rec. p. I‑10761, point 41); voir, également, arrêt du 6 avril 2000, Commission/ICI (C‑286/95 P, Rec. p. I‑2341, points 49 et 50).


72 – Ordonnance du 15 septembre 2005, Marlines/Commission (C‑112/04 P, non publiée au Recueil, points 35 à 39).