CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO TIZZANO

présentées le 9 décembre 2004 (1)

Affaire C-228/03

The Gillette Company

et

 

Gillette Group Finland Oy

contre

LA-Laboratories Ltd Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Finlande)]

«Directive 89/104/CEE – Article 6, paragraphe 1, sous c) – Limitations de la protection conférée par la marque – Usage de la marque par un tiers – Conditions»





I –    Introduction

1.     La présente affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême) (Finlande) et portant sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (2) (ci‑après la «directive 89/104» ou simplement la «directive»). En résumé, la juridiction nationale demande à la Cour dans quelles circonstances l’usage de la marque d’autrui doit être considéré comme licite au regard de la directive.

II – Cadre juridique

 Le droit communautaire applicable

2.     La Communauté est intervenue dans la réglementation des marques en adoptant, pour ce qui nous intéresse ici, la directive 89/104, laquelle opère un rapprochement des législations des États membres sur certains aspects de cette matière, sans pour autant aboutir à une harmonisation complète.

3.     Rappelons tout d’abord le dixième considérant de la directive, où il est affirmé, entre autres, que le but de la protection conférée par la marque enregistrée «est notamment de garantir la fonction d’origine» de celle-ci.

4.     Il est utile, ensuite, aux fins de la présente affaire, de citer l’article 5, paragraphe 1, de la directive, en vertu duquel:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)       d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)       d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque».

5.     Est en outre fondamental aux fins du présent litige l’article 6, paragraphe 1, de la directive, qui dispose:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

[…]

c)       de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

6.     Il convient de rappeler, enfin, la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse (3), telle que modifiée par la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997, afin d’y inclure la publicité comparative (4) (ci après, respectivement, la «directive 84/450 modifiée» et la «directive 97/55»), qui a pour objet, en vertu de son article 1er, de «protéger les consommateurs, les personnes qui exercent une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ainsi que les intérêts du public en général contre la publicité trompeuse et ses conséquences déloyales et d’établir les conditions dans lesquelles la publicité comparative est considérée comme licite».

7.     Aux termes de l’article 3 bis, paragraphe 1, de la directive 85/450 modifiée:

«Pour autant que la comparaison est concernée, la publicité comparative est licite dès lors que les conditions suivantes sont satisfaites:

[…]

d)       elle n’engendre pas de confusion sur le marché entre l’annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l’annonceur et ceux d’un concurrent;

e)       elle n’entraîne pas le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités ou situation d’un concurrent;

[…]

g)       elle ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou de l’appellation d’origine de produits concurrents;

h)       elle ne présente pas un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d’un bien ou d’un service portant une marque ou un nom commercial protégés.»

 Le droit national

8.     En Finlande, le droit des marques est régi par la tavaramerkkilaki (5) (loi finlandaise relative aux marques, ci après la «tavaramerkkilaki»).

9.     À l’article 4, paragraphe 1, de la tavaramerkkilaki, les droits exclusifs du titulaire de la marque sont définis comme suit:

«Le droit, prévu aux articles 1er à 3 de la présente loi, d’apposer un signe distinctif sur ses marchandises implique que personne d’autre que le titulaire du signe ne saurait, dans la vie des affaires, utiliser comme signe pour ses marchandises des mentions pouvant créer une confusion, que ce soit sur les marchandises ou leur emballage, dans les publicités ou les documents d’affaires ou d’une autre manière, y compris dans l’usage oral.»

10.   Il est ensuite précisé à l’article 4, paragraphe 2, de la même loi:

«Est considéré comme une utilisation non autorisée au sens du paragraphe 1 entre autres le fait de mettre sur le marché des pièces détachées, des accessoires, etc. qui sont compatibles avec un produit fabriqué ou vendu par une autre personne et dont ils rappellent la marque d’une manière propre à créer l’impression que le produit mis sur le marché proviendrait du titulaire de la marque ou que celui-ci aurait autorisé l’utilisation de sa marque.»

11.   Il ressort de la décision de renvoi que cette dernière disposition s’entend comme une dérogation aux droits exclusifs du titulaire de la marque, en ce sens que la violation des droits de ce dernier est exclue dans l’hypothèse où une personne, en commercialisant ses propres produits, mentionnerait la marque d’un tiers d’une manière à ne pas laisser entendre que la marchandise vendue provient du titulaire de la marque ou que ce dernier ait consenti à son usage.

III – Faits et procédure

12.   La société américaine The Gillette Company est titulaire des marques «Gillette» et «Sensor», toutes deux enregistrées en Finlande pour un certain nombre de produits, dont les rasoirs. Sa filiale finlandaise Gillette Group Finland Oy (on parlera ci-après de «Gillette» pour désigner les deux sociétés conjointement) détient le droit exclusif d’utiliser ces marques en Finlande, où elle commercialise divers appareils de rasage, parmi lesquels des rasoirs composés d’un manche et d’une lame remplaçable ainsi que lesdites lames vendues séparément.

13.   La société LA Laboratories Ltd Oy (ci‑après «LA») vend, elle aussi, en Finlande des produits du même type, à savoir des rasoirs composés d’un manche et d’une lame remplaçable ainsi que des lames vendues séparément. Ladite société a commercialisé des lames sous la marque «Parason Flexor», en apposant sur leur emballage une étiquette rouge portant l’inscription «Tous les manches Parason Flexor et tous les manches gillette Sensor sont compatibles avec cette lame».

14.   Il ressort de la décision de renvoi que LA n’était pas autorisée par licence de marque ou par tout autre contrat à faire usage des marques de Gillette.

15.   Gillette a donc assigné LA devant le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance d’Helsinki) en faisant valoir que le comportement de la défenderesse constituait une atteinte aux marques enregistrées «Gillette» et «Sensor». D’après la requérante, les pratiques de LA donnaient la fausse impression que les produits de cette dernière étaient identiques ou comparables aux siens ou que LA avait le droit, en vertu d’une licence ou sur un autre fondement légitime, d’utiliser légalement lesdites marques.

16.   Cette thèse a été accueillie favorablement par le Helsingin käräjäoikeus, lequel, par décision du 30 mars 2000, a jugé que, en utilisant lesdites marques sur les emballages de lames de rasoir «Parason Flexor» commercialisées par elle, LA avait violé le droit exclusif conféré à Gillette en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la tavaramerkkilaki.

17.   Le Helsingin käräjäoikeus a exclu l’applicabilité, en l’espèce, de la dérogation de l’article 4, paragraphe 2, de la tavaramerkkilaki. Cette dérogation, qui doit s’interpréter de façon restrictive à la lumière de la directive 89/104, et notamment de son article 6, paragraphe 1, sous c), ne vise pas le produit principal, mais seulement les pièces détachées, les accessoires et les autres pièces de ce genre. Or, selon le käräjäoikeus, le manche comme la lame devaient être considérés comme les composantes principales du rasoir et ne relevaient donc pas du champ d’application de la dérogation.

18.   La juridiction finlandaise a donc interdit à LA de poursuivre ou de renouveler ses pratiques, en lui ordonnant en outre de retirer des emballages les mentions «Gillette» et «Sensor», de détruire les étiquettes utilisées en Finlande et comportant lesdites mentions, ainsi que de réparer le préjudice causé à Gillette.

19.   LA a fait appel de cette décision devant le Helsingin hovioikeus (Cour d’appel de Helsinki), lequel a rendu, le 17 mai 2001, une décision complètement opposée.

20.   La juridiction de deuxième instance a considéré, tout d’abord, que les lames constituent des pièces détachées au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la tavaramerkkilaki. En tout état de cause, le consommateur possédant déjà un manche «gillette Sensor» est informé, grâce à la mention figurant sur l’étiquette, que ledit manche peut être utilisé non seulement avec les lames vendues par Gillette, mais également avec les lames «Parason Flexor». Qui plus est, il a été constaté que sur les emballages de LA figuraient, de façon bien visible, les marques «Parason» et «Flexor» qui mettaient clairement en évidence l’origine des produits, alors que les marques «Gillette» et «Sensor» étaient indiquées en petits caractères sur des étiquettes de dimensions relativement modestes apposées sur les emballages des lames. Cela exclut que l’on soit ici en présence d’une exploitation commerciale de la marque d’autrui ou qu’il soit donné l’impression que les titulaires des différentes marques constituent une unité commerciale. La juridiction d’appel a donc conclu que LA avait utilisé les marques de Gillette dans des conditions admises à l’article 4, paragraphe 2, de la tavaramerkkilaki.

21.   Gillette s’est alors pourvue en cassation devant le Korkein oikeus, lequel a soulevé, à son tour, des doutes quant à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104.

22.   Il a donc décidé, par ordonnance du 23 mai 2003, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104,

1)      quels sont les critères

a)      qui permettent de déterminer si un produit est à considérer comme une pièce détachée ou un accessoire; et

b)      qui permettent de déterminer les produits, autres que ceux à considérer comme des pièces détachées ou des accessoires, qui sont susceptibles de relever aussi du champ d’application de la disposition précitée?

2)      Le caractère licite de l’utilisation d’une marque appartenant à une autre personne est-il à apprécier différemment selon que le produit est assimilable à une pièce détachée ou à un accessoire ou qu’il s’agit d’un produit susceptible pour quelque autre raison de relever du champ d’application de la disposition précitée?

3)      Comment faut-il interpréter l’exigence que l’utilisation soit ‘nécessaire’ pour indiquer la destination d’un produit? Le critère de la nécessité peut-il être satisfait alors qu’il serait possible en soi d’indiquer cette destination sans faire expressément référence à la marque appartenant à une autre personne, en s’en tenant par exemple au principe technique du fonctionnement du produit? Quelle est alors la pertinence du fait que la façon de présenter le produit est, peut-être, moins claire pour les consommateurs sans la mention expresse de la marque appartenant à l’autre personne?

4)      Quels sont les éléments à prendre en considération pour apprécier le respect des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale? Le fait de mentionner une marque appartenant à une autre personne lors de la commercialisation de ses propres produits est-il une indication que ces produits sont équivalents, tant par leur qualité que par leurs caractéristiques techniques ou autres, aux produits vendus sous la marque de l’autre personne?

5)      Le fait que l’opérateur économique qui se réfère à la marque appartenant à une autre personne commercialise non seulement des pièces détachées ou des accessoires, mais aussi le produit même avec lequel cette pièce détachée ou cet accessoire est prévu pour être utilisé a-t-il une incidence sur la régularité de l’utilisation de la marque appartenant à l’autre personne?»

23.   Dans le cadre de la procédure ainsi engagée, la requérante au principal, le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement finlandais et la Commission ont présenté des observations écrites.

24.            Les parties à la procédure au principal, le gouvernement finlandais et la Commission sont intervenus lors de l’audience du 21 octobre 2004.

IV – Analyse juridique

 Introduction

25.   Comme on le sait, la fonction essentielle de la marque, comme il ressort du dixième considérant de la directive 89/104 ainsi que d’une jurisprudence constante de la Cour, est de garantir l’origine des produits (6).

26.   Pour que cette fonction soit efficacement assurée, le titulaire de la marque doit pouvoir empêcher que des tiers en fassent un usage non autorisé, susceptible d’induire en erreur les consommateurs en leur faisant croire, à tort, qu’un produit déterminé a été fabriqué par le titulaire de la marque. L’article 5, paragraphe 1, de la directive confère donc à ce dernier un droit exclusif à l’usage de la marque.

27.   Ce droit n’a cependant pas une portée absolue. Il est en effet prévu à l’article 6 de la même directive que dans certains cas la marque peut être légalement apposée sur des produits qui ne sont pas réalisés par le titulaire de celle-ci.

28.   En particulier, aux termes de ladite disposition, l’usage de la marque d’autrui est permis lorsque: il sert à indiquer la destination d’un produit; il est nécessaire à cela; il est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale (ci-après également les «usages honnêtes»).

29.   Les raisons qui justifient une telle restriction à l’usage exclusif de la marque ont été précisées par la Cour elle-même. Selon une jurisprudence constante, en effet, «par une limitation des effets des droits que le titulaire d’une marque tire de l’article 5 de la directive 89/104, l’article 6 de cette directive vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir» (7).

30.   On peut donc affirmer que, en limitant le droit exclusif visé à l’article 5, l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 tend à assurer un équilibre entre l’intérêt du titulaire à ce que la marque puisse pleinement assumer sa fonction de garantie de l’origine des produits qu’il fabrique et l’intérêt des autres opérateurs à avoir plein accès au marché, sans exclure d’ailleurs – comme semblerait le confirmer l’ample référence faite, dans le passage précité de l’arrêt de la Cour, aux libertés de circulation, et comme nous le verrons plus loin – que d’autres intérêts puissent entrer en jeu.

 Sur la première et la deuxième question

31.   Cela étant dit, venons-en aux questions posées par la juridiction de renvoi.

32.   Par les deux premières questions, que nous examinerons conjointement, ladite juridiction demande, en substance, quels sont les critères pour distinguer, aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, les produits principaux et les pièces détachées, ainsi que pour établir quels autres produits, outre les pièces détachées et les accessoires, sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application de cette disposition. Le but est d’établir si, pour ces autres produits, la licéité de l’apposition de la marque d’autrui doit être appréciée différemment par rapport aux pièces détachées et aux accessoires.

33.   Comme nous l’avons vu plus haut, l’une des conditions pour que la marque d’autrui puisse être licitement apposée sur un produit est que ladite marque ait pour fonction d’indiquer la destination dudit produit et non son origine.

34.   Or, de ce point de vue, il nous semble que la possibilité d’utiliser la marque d’autrui pour indiquer la destination, sans rien ajouter quant à l’origine, se présente de façon similaire, pour l’essentiel, quel que soit le produit ou le service.

35.   Certes, ce sera plus souvent le cas pour les accessoires et les pièces détachées qui doivent être utilisés ensemble avec un produit principal, lequel, dans la plupart des hypothèses, ne pourra être désigné que par sa marque. Il suffit de penser, pour citer les exemples évoqués par le gouvernement du Royaume-Uni, à un pot d’échappement ou à un porte‑vélos spécialement prévus pour les voitures Volkswagen Polo. Mais il peut tout aussi bien se produire la même chose pour deux produits qui ne sont pas l’un l’accessoire ou la pièce détachée de l’autre. Imaginons, en nous inspirant encore une fois des exemples donnés par le gouvernement du Royaume-Uni, un calculateur fabriqué par une entreprise Alpha et un système d’exploitation produit par une entreprise Bêta, compatibles entre eux. Il ne s’agit donc ni d’accessoires ni de pièces détachées, chacun des produits ayant une existence autonome. Or, il peut être justifié que l’entreprise concernée communique au public que son produit peut avoir pour destination le produit de l’autre entreprise, et vice versa.

36.   Nous estimons, partant, qu’aucun produit ne saurait être exclu, en principe, du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive, sur la base de la condition examinée ici. Qu’il s’agisse donc d’un produit principal, d’un accessoire ou d’une pièce détachée, si la mention de la marque d’autrui est nécessaire pour en indiquer la destination, la condition dont nous parlons doit être considérée comme remplie.

37.   Cette interprétation nous paraît également confortée par d’autres arguments. En partant de la lettre même de la disposition en cause, nous observons que la référence aux accessoires et aux pièces détachées y est précédée de la locution «notamment». Il est dès lors légitime de penser que la limitation du droit exclusif peut également viser des produits qui ne sont pas des accessoires ou des pièces détachées, d’autant plus que, comme le rappelle la Commission, la proposition initiale de directive qu’elle avait présentée excluait clairement cette possibilité, mais elle fut modifiée précisément sur ce point (8).

38.   Par ailleurs, comme l’a constaté le gouvernement du Royaume-Uni, il est fait mention, à la disposition en cause, de la destination non seulement de produits, mais également de services, pour lesquels il serait difficile de s’imaginer des accessoires ou des pièces détachées.

39.   Tout cela confirme, selon nous, que, aux fins de l’applicabilité de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive, il n’est guère nécessaire que le produit soit préalablement qualifié comme principal, accessoire ou pièce détachée, puisque ce qui est déterminant dans tous les cas, c’est la question de savoir si l’indication de la marque d’autrui est nécessaire pour indiquer la destination du produit (ou du service) et si cela ne crée pas de confusion quant à son origine.

40.   Si tel est le cas, alors il ne nous semble pas nécessaire, ici, que la Cour se prononce sur les critères propres à identifier les produits principaux et à les distinguer des accessoires et des pièces détachées, comme il lui est demandé dans la première question.

41.   Nous proposons partant de répondre à la première et à la deuxième question dans le sens que, dans la mesure où, aux fins de l’applicabilité de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, il n’est à établir que si l’indication de la marque d’autrui est nécessaire pour indiquer la destination du produit (ou du service) et si cela ne crée pas de confusion quant à son origine, l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque d’autrui n’est pas différente qu’il s’agisse d’un produit principal, d’un accessoire ou d’une pièce détachée.

 Sur la troisième question

42.   Par la troisième question, la juridiction nationale veut savoir, en substance, quels éléments il faut prendre en considération pour apprécier si l’usage de la marque d’un tiers est «nécessaire», au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive, pour indiquer la destination d’un produit.

43.   Dans les observations présentées à la Cour, les intervenants soutiennent deux interprétations très différentes de la condition précitée de la nécessité de l’usage de la marque d’un tiers.

44.   Le gouvernement du Royaume-Uni suggère de considérer que la condition en cause est remplie lorsque la mention de la marque d’autrui représente «un moyen efficace [pour transmettre] correctement» (9) aux acquéreurs potentiels du produit les informations relatives à sa destination.

45.   Il rappelle à cet effet que l’objectif de la disposition en cause est de permettre le développement d’une concurrence non faussée et qu’une interprétation trop stricte de la condition précitée finirait par porter atteinte à l’effet utile de la disposition.

46.   De l’avis du Royaume-Uni, en effet, si la condition du caractère nécessaire de la mention de la marque d’autrui n’était considérée comme remplie qu’en cas d’impossibilité de communiquer d’une autre manière les informations dont l’acquéreur potentiel a besoin pour comprendre la destination du produit, la disposition en question risquerait, en pratique, de ne jamais trouver d’application. Dans la quasi-totalité des cas, il serait en effet possible de concevoir une autre façon que la mention de la marque d’autrui pour indiquer la destination d’un produit, par exemple au moyen d’une image ou d’une description technique du type de produit avec lequel utiliser le produit en question.

47.   Cette lecture est partagée par le gouvernement finlandais et par la Commission, pour lesquels il est important de prendre en considération également les caractéristiques des acquéreurs potentiels du produit portant la marque d’autrui. La définition de ce qu’il est «nécessaire» de communiquer est en effet différente selon que le produit est destiné aux consommateurs finaux ou à d’autres entrepreneurs. Ce n’est que dans la seconde hypothèse que des indications techniques pourraient transmettre de manière appropriée les informations relatives à la destination du produit, sans qu’il soit «nécessaire», donc, de mentionner la marque d’autrui. Pour le consommateur moyen, en revanche, en l’absence de cette mention, il serait plus difficile de comprendre la destination d’un produit, à moins qu’il n’existe des standards techniques universellement connus, rendant possible, pour ces consommateurs également, une compréhension aisée de la destination du produit qui les intéresse. Comme il a été observé lors de l’audience, cela pourrait être le cas des pneus, pour lesquels il existe des codes facilement compréhensibles qui permettent à l’acquéreur potentiel de comprendre quels sont les modèles destinés à son automobile.

48.   Au contraire, Gillette soutient une interprétation de la condition en cause en des termes strictement et exclusivement économiques. Selon elle, en effet, l’usage de la marque d’autrui ne saurait être considéré comme «nécessaire» que lorsque cet usage constitue la seule possibilité, pour l’utilisateur, de commercialiser son produit dans des conditions économiques raisonnables.

49.   En appliquant cette thèse au cas d’espèce, Gillette relève que les lames de LA ne sont pas destinées exclusivement aux manches de Gillette, mais également aux manches produits par la société LA elle‑même, ainsi que, comme cela a été constaté lors de l’audience, aux manches d’autres marques. Il s’ensuit, selon Gillette, que les lames de LA pourraient avoir accès au marché et être commercialisées dans des conditions économiquement acceptables même si l’on n’indiquait pas sur leurs emballages qu’elles peuvent être montées sur des manches fabriqués par Gillette.

50.   Il en irait autrement s’il n’était possible d’indiquer aucune destination pour les lames de LA sans mentionner les marques précitées, puisque dans cette hypothèse il n’y aurait aucune demande pour les lames en question, ce qui exclurait toute possibilité d’opérer dans des conditions économiquement acceptables. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce, comme le souligne Gillette, puisque LA produit elle aussi des manches, de sorte que ses lames ne se verraient pas privées de tout accès au marché, à la suite de l’interdiction de mentionner les marques de Gillette sur leurs emballages.

51.   Pour notre part, nous reconnaîtrons volontiers que la thèse proposée par Gillette semble être plus respectueuse de la lettre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive, laquelle ne parle pas d’«efficacité», mais de «nécessité» de l’usage de la marque d’autrui; or il va de soi que les deux termes ne sont pas synonymes.

52.   Par ailleurs, la confrontation entre le texte final de la disposition en cause et le texte de la proposition présentée par la Commission (10) semble plaider en ce sens. Ladite proposition prévoyait, en effet, que les tiers puissent utiliser la marque d’autrui «pour indiquer la destination d’accessoire ou de pièces détachées» (11); dans la version définitive, en revanche, on peut lire, comme nous l’avons vu, dans des termes plus restrictifs, qu’un tel usage de la marque n’est admis que «lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination […]».

53.   Cela étant, on peut cependant se demander si la discussion peut se limiter à une analyse philologique d’un passage isolé de la disposition en cause ou si, au contraire, elle doit s’étendre plus globalement au sens et à la portée de cette disposition et aux finalités qu’elle poursuit.

54.   Plus précisément, on peut se demander si la protection de la marque, qui constitue sans conteste l’objectif fondamental de la directive, doit s’apprécier uniquement eu égard aux exigences du titulaire de la marque et ne peut donc être soumise, comme l’affirme Gillette, qu’aux limitations absolument indispensables sur le plan économique, afin de permettre à d’autres entreprises d’être également présentes sur le marché, ou bien si la dérogation introduite en tout état de cause avec l’article 6, paragraphe 1, sous-tend également la prise en compte d’autres exigences.

55.   Or, il nous semble que cette disposition ouvre précisément la porte également à des valeurs et à des intérêts qui n’y sont pas expressément mentionnés, mais dont il serait difficile de faire abstraction dans une perspective plus générale. D’autant plus qu’il y est fait référence dans la jurisprudence de la Cour rappelée plus haut (voir, supra, point 29), lorsqu’elle affirme que l’article 6, paragraphe 1, «vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir».

56.   Il s’agit donc, comme le souligne précisément la Cour, de concilier deux intérêts en cause différents, mais qui visent tous deux à garantir un système de concurrence non faussée et donc, en dernière analyse, le droit des consommateurs de choisir entre plusieurs produits interchangeables. En d’autres termes, il y a lieu de considérer que, outre la protection des intérêts économiques du titulaire de la marque, la directive entend également garantir la possibilité de choix des consommateurs, en leur permettant non seulement de se voir garantir l’origine des produits, mais également de profiter pleinement des bénéfices de la concurrence entre des produits propres à satisfaire un même besoin.

57.   Or, si ces différents intérêts en cause font l’objet d’un accommodement, grâce à la dérogation introduite avec l’article 6, paragraphe 1, il s’ensuit que, dans le contexte d’une analyse plus globale de la disposition, évoquée plus haut, on ne peut se borner à invoquer des arguments textuels issus d’un passage de ladite disposition pour mettre en lumière l’un de ces intérêts et exclure la pertinence des autres, puisque le but de la disposition, selon la Cour elle-même, est de tous les concilier.

58.   Du reste, on trouve un témoignage significatif de l’exigence de prendre en considération et de concilier, autant que possible, les différentes exigences en cause, nous semble-t-il, encore une fois dans la jurisprudence communautaire et, notamment, dans l’arrêt BMW (12) bien connu, dans lequel la Cour a précisément concilié l’exigence de protéger le titulaire de la marque avec celle de protéger le consommateur, en particulier du point de vue de la plus ample concurrence et du caractère complet des informations qu’il convient de lui assurer.

59.   Nous rappelons, pour ce qui nous intéresse ici, que dans l’affaire que nous venons de citer le propriétaire d’un garage non affilié au réseau BMW effectuait des réparations sur des voitures de cette marque, en mentionnant dans les annonces publicitaires le fait qu’il était «spécialisé en BMW». BMW estimait que cette pratique ne pouvait pas bénéficier de la dérogation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive et devait donc être considérée comme une violation du droit exclusif dont elle était titulaire. Selon elle, en effet, dans la mesure où, du point de vue de la viabilité économique de son activité, l’entrepreneur pouvait utilement offrir des services de réparation également sans nommer spécifiquement un constructeur automobile (et donc sans nommer de marque), la mention de la marque BMW ne remplissait pas la condition de la nécessité prévue à la disposition précitée.

60.   Or, cette interprétation de la condition en question, qui ne nous semble pas différente de celle soutenue par Gillette dans la présente affaire, ne nous paraît pas avoir rencontré la faveur de la Cour. Cette dernière, en effet, au lieu de s’attarder à considérer la viabilité commerciale de l’activité du garagiste s’il avait omis les références à la marque BMW, a tenu compte exclusivement de la nécessité de fournir à ses clients potentiels les informations les plus complètes possibles.

61.   La Cour a observé, tout d’abord, que «l’usage [de la marque BMW] [était] fait pour identifier les produits qui [étaient] l’objet du service rendu [et était] nécessaire pour [en] indiquer la destination», et a ajouté, ensuite, que, «si un commerçant indépendant effectue l’entretien et la réparation de voitures BMW ou s’il est réellement spécialisé en cette matière, cette information ne peut en pratique pas être communiquée à ses clients sans faire usage de la marque BMW» (13).

62.   En agissant ainsi, la Cour s’est rangée à la thèse formulée par l’avocat général Jacobs dans les conclusions présentées dans cette affaire (14), lorsqu’il avait souligné que le problème qui se posait en l’espèce était de savoir, en substance, de quelle latitude un commerçant qui se trouvait dans les circonstances décrites ci‑dessus «devrait pouvoir disposer […] pour décrire la nature des services qu’il offre» (15). L’avocat général avait poussé le raisonnement jusqu’à affirmer qu’«interdire un tel usage de la marque [aurait constitué dans de telles hypothèses] une restriction injustifiée de la liberté du commerçant» (16).

63.   Or, il nous semble qu’il ressort de cette jurisprudence une interprétation de la condition en cause moins stricte que ne le prétend Gillette. En effet, ladite condition semble remplie du simple fait que l’usage de la marque d’autrui s’avère être le seul moyen efficace pour élargir la palette de produits parmi lesquels l’acquéreur potentiel peut choisir.

64.   Si l’on s’inspire de cette interprétation également aux fins de l’affaire qui nous occupe, on peut en déduire que, en l’absence de la mention des marques de Gillette sur les emballages des lames de LA, les consommateurs pourraient ne pas avoir d’autres moyens pour prendre connaissance de la compatibilité, qui existe objectivement, entre ces produits et les manches de Gillette, et risqueraient ainsi de perdre une information utile à leurs choix commerciaux. Par conséquent, s’il s’agissait du seul moyen pour fournir une telle information, l’usage des marques de Gillette devrait être considéré comme «nécessaire» au sens de la directive.

65.   Il incomberait, naturellement, au juge national de répondre à cette question et, partant, de vérifier si en l’absence de références aux marques de Gillette sur les emballages des lames de LA les acquéreurs potentiels pourraient être efficacement informés par d’autres biais de la possibilité d’utiliser lesdites lames sur des manches fabriqués par Gillette. L’usage des marques de cette dernière pourrait, par exemple, ne pas être nécessaire s’il existait des standards techniques connus des consommateurs et indiquant la compatibilité entre manches et lames (comme c’est précisément le cas, nous le disions, pour les pneus).

66.   Cela étant dit, et tout en manifestant notre préférence pour la solution que nous venons d’envisager, force est de reconnaître qu’en plus de ne pas balayer complètement les objections à caractère général (réduction excessive de la protection du titulaire de la marque) invoquées par Gillette, une telle solution est susceptible en tout état de cause de laisser une grande marge d’incertitude quant à son application. Toutefois, il s’agit là d’une conséquence à laquelle il est difficile d’échapper, à notre avis, si l’on continue à isoler le débat sur le test de la nécessité du reste des conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, en le réduisant, comme nous l’avons dit, à une dispute philologique sur le passage en question de cette disposition.

67.   Il en va autrement si l’on tient compte du fait que ledit test n’est pas le seul prévu par la disposition en question, mais s’accompagne précisément, voire y est strictement lié, d’une condition précise sur les modalités de l’usage de la marque censé être nécessaire (à savoir le respect des usages honnêtes). En d’autres termes, le fait que l’interprétation de cette condition fasse l’objet d’une question préjudicielle séparée ne saurait amener à scinder le discours au point de perdre de vue le lien direct qui existe entre les différentes parties de la disposition et qui, de ce fait précisément, peut avoir une incidence sur l’interprétation de chacune d’entre elles.

68.   Or, il nous semble que la marge d’incertitude qui, comme nous venons de le dire, accompagne inévitablement le test sur la nécessité, peut être dissipée précisément lors de la vérification des conditions et des modalités de l’usage de la marque, dans les termes indiqués à l’article 6, paragraphe 1, lui-même. C’est précisément lors de cette vérification que l’on peut également apporter une réponse aux préoccupations légitimes quant à l’atteinte à la protection de la marque qui pourrait découler d’une interprétation moins rigoureuse de la condition de la nécessité.

69.   En effet, plus la vérification des conditions précitées sera rigoureuse, plus une telle interprétation pourra être retenue. En même temps, c’est précisément sur le terrain plus concret de cette vérification qu’il est possible de mieux évaluer la «nécessité» effective de l’usage de la marque et dissiper, le cas échéant, les doutes qui, dans l’abstrait, pourraient toujours surgir à cet égard.

70.   À bien y voir, du reste, la Cour elle-même n’a pas procédé, sur cette question, par tests successifs et isolés, c’est-à-dire en «mesurant» d’abord le degré de nécessité de l’usage de la marque d’autrui, puis en vérifiant si cette utilisation était conforme aux «usages honnêtes». Au contraire, elle a adopté une démarche unitaire, en mettant l’accent, nous semble-t-il, moins sur la définition de la «nécessité» que sur le respect des usages honnêtes, ces derniers étant décisifs pour éviter toute confusion quant à l’origine du produit et, partant, pour assurer la protection du titulaire de la marque (17).

71.   C’est donc uniquement sur la base des précisions apportées ci-dessus que nous proposons à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle dans le sens que l’usage de la marque d’autrui est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit lorsque cet usage constitue le seul moyen pour fournir aux consommateurs des informations complètes sur les emplois possibles du produit en question.

 Sur la quatrième question

72.   Penchons-nous à présent sur l’interprétation, précisément, de l’expression «usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale», interprétation sollicitée à la Cour par la juridiction nationale dans sa quatrième question, étant donné que la possibilité pour un tiers d’utiliser la marque d’autrui est subordonnée, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104, à leur respect.

73.   À cet égard, nous rappelons que, selon une jurisprudence constante, «[l]a condition d’‘usage honnête’ constitue […] l’expression d’une obligation de loyauté à l’égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque» (18). Cela étant dit, il reste cependant à déterminer la portée de cette obligation, puisqu’elle n’est pas définie exactement dans la directive 89/104.

74.   Or, il nous semble qu’il est possible de répondre à cette question en examinant la jurisprudence pertinente de la Cour, dont on peut déjà tirer les éléments permettant de définir la portée de l’obligation en question. La Cour a en effet clarifié qu’un tiers ne peut utiliser la marque d’autrui «d’une manière telle qu’elle peut donner l’impression qu’il existe un lien commercial entre l’entreprise tierce et le titulaire de la marque, et notamment […] qu’il existe une relation spéciale entre les deux entreprises» (19). Elle a en outre observé que l’entreprise qui mentionne la marque d’autrui ne doit pas tirer «indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée». En particulier, l’avantage est indu lorsqu’il est tiré du fait que les acquéreurs potentiels sont amenés à croire qu’il existe un lien entre le titulaire de la marque et l’entreprise qui a fabriqué le produit (20).

75.   Au-delà de la jurisprudence, on peut en outre tirer des indications utiles, comme le proposent la juridiction de renvoi, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, des dispositions communautaires en matière de publicité trompeuse et comparative, et notamment de la directive 84/450 modifiée.

76.   Il ressort en effet des treizième à quinzième considérants de la directive 97/55 que le droit exclusif conféré au titulaire d’une marque par l’article 5 de la directive 89/104 n’est pas enfreint dans le cas où un tiers utilise ladite marque dans le respect des conditions établies par la directive 97/55.

77.   Il s’ensuit que, si le message transmis en mentionnant la marque est licite au sens des dispositions sur la publicité trompeuse et comparative, on peut considérer que les «usages honnêtes» visés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104 sont respectés.

78.   Or, les conditions posées à l’article 3 bis de la directive 84/450 modifiée (article inséré sur la base de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 97/55) pour la licéité de la publicité comparative (celles qui nous intéressent le plus en l’espèce) ne sont pas substantiellement différentes de celles qui découlent de la jurisprudence précitée de la Cour. Il faut, en somme, que la publicité en question n’engendre pas de confusion sur le marché entre l’annonceur et un concurrent [sous d)], et qu’elle ne tende pas à tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque d’un concurrent [sous g)].

79.   Il ressort donc de la jurisprudence rappelée ci-dessus et des dispositions de la directive 84/450 modifiée que l’usage d’une marque d’autrui selon des modalités propres à engendrer une confusion auprès des acquéreurs potentiels quant à l’origine du produit sera assurément considéré comme illicite. En particulier, lesdits acquéreurs potentiels ne doivent pas être amenés à croire que le produit soit lié au titulaire de la marque et présente donc la même qualité que les produits fabriqués par ce dernier.

80.   Les gouvernements finlandais et du Royaume-Uni objectent toutefois à cela que, lorsqu’une entreprise appose sur son produit la marque d’autrui, elle ne prétend pas nécessairement qu’il existe une équivalence qualitative entre ses produits et ceux du titulaire de la marque. Dans l’arrêt BMW, la Cour elle-même a reconnu, en substance, la licéité de l’usage d’une marque d’autrui par un entrepreneur souhaitant «conf[érer] à sa propre activité une aura de qualité» (21).

81.   Comme nous l’avons rappelé plus haut (voir supra, point 59), toutefois, cette décision portait, pour ce qui nous intéresse ici, sur l’exécution de réparations sur des automobiles de la marque BMW. L’activité de l’entrepreneur avait donc pour objet des produits qui portaient légalement la marque BMW; l’«aura de qualité» que l’entrepreneur tirait de l’objet de son activité ne devait pas être considérée comme illicite, puisqu’elle reflétait le fait qu’il était en mesure de travailler sur des produits dont la qualité était garantie par la présence de la marque BMW.

82.   Dans le cas qui nous occupe ici, en revanche, l’activité de production de lames exercée par LA est déjà terminée au moment où est communiquée l’information que lesdites lames sont utilisables avec les manches de Gillette. Aussi la compatibilité entre les deux produits ne devrait-elle pas avoir d’incidence sur l’appréciation de la qualité des lames de LA par les consommateurs. Cependant, si la mention de la marque devait amener ces personnes à croire que la qualité des deux types de lames est la même, la condition du respect des usages honnêtes devrait alors être considérée comme non remplie.

83.   Il incombe donc au juge national de vérifier si la mention des marques de Gillette sur les emballages des lames de LA vise à fournir aux acquéreurs potentiels des informations relatives uniquement à la possibilité de fixer lesdites lames sur les manches de Gillette, les emboîtements étant compatibles, ou bien si ladite mention laisse entendre, au contraire, que les lames de LA présentent les mêmes caractéristiques de coupe, et partant la même qualité, que les lames de Gillette.

84.   À ces fins, le contexte devra être «apprécié globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents» (22), par le juge national. C’est ce que la Cour a exigé en ce qui concerne les modalités d’appréciation du risque de confusion afin de délimiter la portée du droit exclusif dont jouit le titulaire de la marque en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104. Cependant, la définition de la condition du respect des usages honnêtes finissant inévitablement par avoir une incidence sur la portée dudit droit exclusif, en le limitant dans une mesure plus ou moins importante, il nous semble que l’appréciation de cette condition par le juge national doit dès lors également obéir à ce critère (23).

85.   Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la quatrième question préjudicielle dans le sens qu’un opérateur économique respecte les «usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale» dès lors qu’en utilisant la marque d’autrui il n’engendre pas l’impression qu’il existe un lien commercial entre lui-même et le titulaire de la marque et ne tire pas indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque. Le fait qu’un opérateur économique vende lui aussi ces produits et ajoute sur ces derniers la marque d’autrui n’implique pas nécessairement qu’il prétend qu’il y a une équivalence qualitative entre ses produits et ceux du titulaire de la marque. Le comportement de l’opérateur économique doit partant faire l’objet d’une appréciation globale de tous les facteurs pertinents.

 Sur la cinquième question

86.   Par la cinquième question, la juridiction nationale demande, en substance, si le fait que l’opérateur commercial qui appose la marque d’autrui sur son produit vende également le type de produit avec lequel le premier doit être utilisé a une incidence sur l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque d’autrui.

87.   Il nous semble que, pour répondre à cette question, il convient d’en isoler deux aspects différents qui se rapportent l’un à la condition de la nécessité et l’autre à celle du respect des usages honnêtes, conditions que nous avons examinées dans l’analyse des troisième et quatrième questions préjudicielles.

88.   Sur le premier aspect, force est de constater que si l’on avait accepté d’aborder la condition de la nécessité par l’approche économique défendue par Gillette, alors le fait que LA vende, outre des lames, également des manches qui constituent l’une des destinations possibles aurait pu faire naître des doutes quant au respect de la condition, puisque même sans mentionner les marques de Gillette il existerait en tout état de cause une demande du marché pour les lames de LA, représentée par les possesseurs des manches commercialisés par cette dernière.

89.   Cependant, étant parvenu, pour les raisons exposées ci-dessus, à la conclusion que la condition de la nécessité est respectée dès lors que la mention de la marque d’autrui sur un produit constitue le seul moyen pour fournir aux consommateurs des informations complètes sur les emplois possibles du produit en question, l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque ne nous semble pas influencée par le fait que le tiers vende également un produit qui constitue l’une des destinations possibles du produit sur lequel il appose la marque d’autrui.

90.   Pour ce qui concerne ensuite l’aspect relatif au respect des «usages honnêtes», nous nous bornerons à constater, à l’instar du Royaume-Uni, de la république de Finlande et de la Commission, que celui qui est indiqué dans la question qui nous occupe, pour important qu’il soit, n’est que l’un des éléments dont le juge national doit tenir compte en appréciant si l’usage de la marque par le tiers se fait dans le respect desdits usages.

91.   Nous proposons donc à la Cour de répondre à la cinquième question dans le sens que le fait que l’opérateur commercial qui appose la marque d’autrui sur son produit vende également le type de produit avec lequel le premier doit être utilisé constitue un élément important pour l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque, mais ne modifie pas les critères de cette appréciation.

V –    Conclusion

92.   À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles formulées par le Korkein oikeus comme suit:

«1)      Dans la mesure où, aux fins de l’applicabilité de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, il n’est à établir que, si l’indication de la marque d’autrui est nécessaire pour indiquer la destination du produit (ou du service) et si cela ne crée pas de confusion quant à son origine, l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque d’autrui n’est pas différente qu’il s’agisse d’un produit principal, d’un accessoire ou d’une pièce détachée.

2)      L’usage de la marque d’autrui est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit lorsque cet usage constitue le seul moyen pour fournir aux consommateurs des informations complètes sur les emplois possibles du produit en question.

3)      Un opérateur économique respecte les ‘usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale’ dès lors qu’en utilisant la marque d’autrui il n’engendre pas l’impression qu’il existe un lien commercial entre lui-même et le titulaire de la marque et ne tire pas indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque. Le fait qu’un opérateur économique vende lui aussi ces produits et ajoute sur ces derniers la marque d’autrui n’implique pas nécessairement qu’il prétend qu’il y a une équivalence qualitative entre ses produits et ceux du titulaire de la marque. Le comportement de l’opérateur économique doit partant faire l’objet d’une appréciation globale de tous les facteurs pertinents.

4)      Le fait que l’opérateur commercial qui appose la marque d’autrui sur son produit vende également le type de produit avec lequel le premier doit être utilisé constitue un élément important pour l’appréciation de la licéité de l’usage de la marque, mais ne modifie pas les critères de cette appréciation.»


1 – Langue originale: l'italien.


2  – JO 1989, L 40, p. 1.


3  – JO L 250, p. 17.


4  – JO L 290, p. 18.


5  – Loi n° 1964/7, du 10 janvier 1964, relative aux marques.


6  – Voir, parmi d'autres, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, Rec. p. 1139, point 7); du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, Rec. p. I‑10273, point 51); du 11 mars 2003, Ansul (C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 36), et du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch (C‑245/02, non encore publié au Recueil, point 59).


7  – Arrêt du 7 janvier 2004, Gerolsteiner Brunnen (C‑100/02, non encore publié au Recueil, point 16 et jurisprudence citée dans cet arrêt).


8  – À l'article 5 de la proposition de première directive du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques, présentée par la Commission le 25 novembre 1980, il était prévu que «[l]e droit conféré par la marque ne permet pas d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires: […] c) de la marque pour indiquer la destination d'accessoires ou de pièces détachées […]» (JO 1980, C 351, p. 1).


9  – Dans l'original en anglais des observations du Royaume-Uni, «[…] an efficient and accurate means».


10  – Article 5, sous c), précité dans la note 8.


11  – C'est nous qui soulignons.


12  – Arrêt du 23 février 1999 (C‑63/97, Rec. p. I-905).


13  – Arrêt BMW, précité, points 59 et 60.


14  – Dans les conclusions présentées le 2 avril 1998, l'avocat général Jacobs, estimant «irréaliste» la thèse selon laquelle le garagiste aurait pu offrir ses services sans avoir besoin de nommer une marque d'automobiles précise, avait affirmé que, «[s'il] se spécialise réellement dans l'entretien et la réparation de véhicules BMW, on voit difficilement comment il pourrait en pratique communiquer cette information à ses clients sans faire usage du signe BMW» (point 54).


15  – Conclusions précitées, point 54.


16  – Conclusions précitées, point 55.


17  – Voir arrêt BMW, précité, points 61 et suiv., ainsi que les conclusions dans la même affaire, points 55 et 56.


18  – Arrêts précités BMW, point 61, et Gerolsteiner Brunnen, point 24.


19  – Arrêt BMW, précité, point 64.


20  – Ibidem, points 52 et 53. Il convient de préciser que le raisonnement développé dans ce passage concernait l'article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104; cependant, la Cour a affirmé aux points 62 et 63 que les mêmes considérations «s'appliquent mutatis mutandis» à l'article 6, paragraphe 1.


21  – Arrêt précité, point 53.


22  – Arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode (C‑425/98, Rec. p. I-4861, point 40).


23  – Nous rappelons in limine que la même approche a été adoptée par la Cour pour l'appréciation du respect des conditions indiquées dans la directive 84/450 modifiée, lorsqu'elle a affirmé que, à ces fins, «il importe de prendre en considération la présentation globale de la publicité contestée» (arrêt du 25 octobre 2001, Toshiba Europe, C‑112/99, Rec. p. I-7945, point 60).