CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. GEELHOED
présentées le 21 octobre 2004 (1)
Affaire C-212/03
Commission des Communautés européennes
contre
République française
«Manquement d’État – Article 28 CE – Restriction quantitative à l’importation et mesure d’effet équivalent – Législation nationale qui prescrit une procédure d’autorisation préalable pour les importations personnelles, non réalisées par transport personnel, de médicaments – Procédure applicable aux médicaments régulièrement prescrits qui sont autorisés dans l’État d’exportation (médicaments à usage humain) ou qui sont enregistrés (médicaments homéopathiques)»
I – Introduction
1. La Commission des Communautés européennes demande à la Cour, en vertu de l’article 226 CE, de constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, compte tenu du fait qu’elle a, en violation du droit communautaire, soumis dans certains cas les médicaments à une procédure (disproportionnée) d’autorisation préalable. Selon la Commission, cette procédure prescrite en vertu du code français de la santé publique constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation interdite par l’article 28 CE. Cette procédure d’autorisation préalable ne pouvait pas être justifiée sur la base de l’article 30 CE.
2. Plus précisément, il s’agit de l’importation de certains médicaments à usage personnel par une autre voie que le transport personnel et pour lesquels le patient dispose d’une prescription régulière. Le patient qui, conformément à la prescription d’un médecin, importe un médicament ne peut subir d’obstacles (disproportionnés). Dans sa requête, la Commission distingue trois cas de manquements:
a) les médicaments qui, en application de la directive 65/65/CEE (2), ou, après son entrée en vigueur, la directive 2001/83/CE (3), sont autorisés à la fois en France et dans l’État membre où ils sont achetés;
b) les médicaments homéopathiques qui, en application de la directive 92/73/CEE (4) et ultérieurement de la directive 2001/83, sont enregistrés dans un État membre;
c) les médicaments qui ne sont pas autorisés en France, mais bien dans l’État membre où ils sont achetés.
Selon la Commission, dans les deux premiers cas, une procédure d’autorisation n’est pas justifiée en tant que telle. Dans le troisième cas, une procédure d’autorisation préalable peut en principe être justifiée sur la base de l’article 30 CE. Toutefois, la Commission considère que la procédure en vigueur en France est disproportionnée.
3. Ce qui a conduit à la présente procédure est une plainte émanant d’un fabricant espagnol qui a fait l’objet de poursuites judiciaires en France pour avoir expédié à des patients français des médicaments homéopathiques sans disposer de l’autorisation d’importation délivrée par les autorités françaises. Ces médicaments sont destinés à l’usage personnel des patients et non revendus en France.
4. Cette plainte a conduit la Commission à examiner plus longuement le régime français d’importation des médicaments à usage personnel, bien que la plainte concernait uniquement les médicaments homéopathiques. La législation française ne fait aucune distinction entre les produits homéopathiques et les autres.
5. Cette procédure n’est pas isolée. Dans deux autres cas récents, la Commission a en 2003 formé un recours à l’encontre de la République française devant la Cour pour violation de l’article 28 CE en ce qui concerne la sévérité des exigences procédurales applicables en France en cas d’importation de médicaments provenant d’autres États membres. Dans l’affaire Commission/France (C‑122/03) (5), la Cour a jugé que la République française avait manqué à ses obligations sur la base de l’article 28 CE. L’affaire Commission/France (C‑263/03) est encore pendante (6).
II – Cadre juridique
A – Droit communautaire
6. Cette affaire, qui concerne la violation éventuelle des articles 28 CE et 30 CE, a pour toile de fond le régime d’autorisation des médicaments tel qu’il est établi dans la réglementation communautaire.
7. Suivant l’article 3 de la directive 65/65 (7), modifiée à de nombreuses reprises, aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation ait été préalablement délivrée par l’autorité compétente de cet État membre. La deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (8), est venue s’ajouter à ce régime en prévoyant notamment une procédure de demande conformément aux exigences communautaires.
8. La directive 92/73 (9) vise à élargir le champ d’application des directives 65/65 et 75/319 à certains médicaments homéopathiques tels que décrits à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/73.
9. L’article 4 de cette directive énonce: «Les mesures de surveillance et les sanctions […] de la directive 75/319/CEE […] sont applicables aux médicaments homéopathiques. Toutefois, la preuve de l’effet thérapeutique […] n’est pas requise pour les médicaments homéopathiques enregistrés conformément à l’article 7 de la présente directive ou, le cas échéant, admis suivant l’article 6 paragraphe 2».
10. L’article 6, paragraphes 1 et 2, de la même directive prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que les médicaments homéopathiques fabriqués et mis sur le marché dans la Communauté soient enregistrés ou autorisés conformément aux articles 7, 8 et 9. Chaque État membre tient dûment compte des enregistrements ou des autorisations déjà délivrés par un autre État membre.
2. Un État membre peut s’abstenir de mettre en place une procédure d’enregistrement simplifiée spéciale de médicaments homéopathiques visés à l’article 7 […]»
11. L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive énonce: «Ne peuvent être soumis à une procédure d’enregistrement simplifiée spéciale que les médicaments homéopathiques qui satisfont à toutes les conditions énumérées ci-après:
– […]
– absence d’indication thérapeutique particulière sur l’étiquette ou dans toute information relative au médicament […]»
12. Nous citons enfin l’article 9 de cette directive:
«1. Les médicaments homéopathiques autres que ceux visés à l’article 7 de la présente directive sont autorisés et étiquetés conformément aux articles 4 à 21 de la directive 65/65/CEE, y compris les dispositions relatives à la preuve d’effet thérapeutique, et des articles 1er à 7 de la directive 75/319/CEE.
2. Un État membre peut introduire ou maintenir sur son territoire des règles particulières pour les essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques de médicaments homéopathiques autres que ceux visés à l’article 7 paragraphe 1, conformément aux principes et aux particularités de la médecine homéopathique pratiquée dans cet État membre […]»
13. Le législateur communautaire justifie la réglementation spécifique s’appliquant aux médicaments homéopathiques notamment comme suit (nous citons l’un à la suite de l’autre des extraits des troisième et huitième à onzième considérants de la directive 92/73:
– «considérant que, nonobstant la grande différence de statut des médecines alternatives dans les États membres, il convient de permettre l’accès des patients aux médicaments de leur choix, moyennant toutes garanties utiles quant à la qualité des produits et à leur sécurité d’utilisation;
– considérant qu’il convient de fournir en priorité aux utilisateurs de ces médicaments une indication très claire de leur caractère homéopathique et des garanties suffisantes quant à leur qualité et à leur innocuité;
– considérant que les règles relatives à la fabrication, au contrôle et aux inspections des médicaments homéopathiques doivent être harmonisées afin de permettre la circulation dans toute la Communauté de médicaments sûrs et de bonne qualité;
– considérant que, compte tenu des caractéristiques particulières de ces médicaments, telles leur très faible concentration en principes actifs et la difficulté de leur appliquer la méthodologie statistique conventionnelle relative aux essais cliniques, il apparaît souhaitable de prévoir une procédure d’enregistrement simplifiée spéciale pour les médicaments homéopathiques traditionnels, mis sur le marché sans indication thérapeutique et sous une forme pharmaceutique et dans un dosage ne présentant pas de risque pour le patient;
– considérant, par contre, que, pour un médicament homéopathique commercialisé avec des indications thérapeutiques ou sous une présentation susceptible de présenter des risques, à mettre en rapport avec l’effet thérapeutique espéré, les règles habituelles de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments devraient être appliquées; que notamment les États membres possédant une tradition homéopathique doivent pouvoir appliquer des règles particulières pour l’évaluation des résultats des essais visant à établir la sécurité et l’efficacité de ces médicaments, à condition de les notifier à la Commission».
14. Entre-temps, les directives communautaires relatives aux médicaments ont été remplacées par la directive 2001/83 (10). Le trentième considérant a trait à l’importation de médicaments à usage personnel. Nous citons: «à cet égard, toute personne qui se déplace dans la Communauté possède le droit d’emporter une quantité raisonnable de médicaments obtenus licitement pour son usage personnel. Il doit aussi être possible, pour une personne établie dans un État membre, de se faire envoyer d’un autre État membre une quantité raisonnable de médicaments destinés à son usage personnel».
B – Droit interne
15. Les directives mentionnées ci-dessus ont été transposées dans la législation française par le code de la santé publique. Les articles R 5142-12 à R 5142-15, tels qu’ils étaient libellés avant la modification du 23 janvier 2004 (11), sont pertinents dans la présente affaire.
16. L’article R 5142-12 énonce: «Tout médicament qui n’est pas pourvu de l’AMM mentionné à l’article L 601 […] doit, avant son importation dans le territoire douanier, faire l’objet d’une autorisation d’importation délivrée par le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ci-après l’’AFSSAPS’) […]. Cette autorisation peut être refusée si le médicament présente ou est susceptible de présenter un risque pour la santé publique.
[…]»
17. L’article R 5142-13 prévoit: «Les particuliers ne peuvent importer un médicament qu’en quantité compatible avec un usage thérapeutique personnel pour une durée de traitement n’excédant pas trois mois aux conditions normales d’emploi ou pour la durée de traitement prévue par l’ordonnance prescrivant le médicament. Lorsqu’ils transportent personnellement ce médicament, ils sont dispensés d’autorisation».
18. L’article R 5142-14 énonce: «La demande d’autorisation d’importation doit indiquer:
a. le nom ou la raison sociale et l’adresse de la personne physique ou morale responsable de l’importation;
b. le pays de provenance et, s’il est distinct, le pays d’origine du médicament;
c. sa dénomination, sa composition, sa forme pharmaceutique, son dosage et son mode d’administration;
d. les quantités importées.
Cette demande est accompagnée:
[…]
4. Pour un médicament importé par un particulier par une autre voie que le transport personnel, de l’ordonnance prescrivant le médicament, le cas échéant, établi conformément aux conditions particulières de prescription et de délivrance applicables à ce médicament en vertu de la réglementation française.
[…]
Dans tous les cas, le directeur général de l’AFSSAPS peut requérir du demandeur toute information complémentaire nécessaire pour se prononcer sur la demande.»
19. L’article R 5142-15 détermine quels documents doivent être présentés aux autorités douanières. Il s’agit soit de l’autorisation d’importation ou de l’autorisation temporaire d’importation telle que prévue à l’article R 5142-12, soit d’une copie certifiée de l’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») ou de l’enregistrement du médicament, délivré par l’AFSSAPS ou bien d’une preuve de l’autorisation au niveau communautaire.
III – Procédure étendue du litige
20. À la suite d’une longue correspondance et après une réunion avec les autorités françaises sur le manquement allégué aux obligations en vertu de l’article 28 CE, et après un avis motivé, la Commission a, le 15 mai 2003, introduit le présent recours auprès de la Cour (12). Après un échange des observations, la Cour a entendu les parties à l’audience du 9 septembre 2004.
21. Les griefs de la Commission ont trait à l’importation de certains médicaments à usage personnel par une voie autre que le transport personnel. Les questions suivantes restent en dehors du litige:
– Les médicaments qui ont été importés personnellement par un patient. À cet égard, la législation française a prévu une dispense dans l’article R 5142-13. Cette dispense ne s’applique pas, et cela n’est pas contesté par les parties, si un tiers (tel qu’un membre de la famille) importe les médicaments pour le compte du patient.
– Les médicaments qui sont importés par un opérateur (commercial). L’arrêt Commission/france avait trait à cette question. Dans cette affaire, la Cour avait constaté que les obligations résultant de l’article R 5142-15 de déposer des (copies conformes de) certains documents constituaient une violation de l’article 28 CE (13).
– Les médicaments importés pour l’usage personnel, mais pour lesquels le patient ne dispose pas de prescription médicale, alors que la législation française l’exige (14).
22. Nous attirons encore l’attention sur ce qui suit. Les obligations fondées sur l’article R 5142-15 s’appliquent de la même manière à l’importation personnelle autre que celle effectuée par le patient lui-même, qu’à l’importation commerciale. En ce qui concerne l’importation commerciale, il a déjà été dit ci-dessus que la République française a succombé en ces moyens. Si un intermédiaire agissant pour le compte d’un particulier importe un médicament, le gouvernement français reconnaît dans son mémoire en duplique que cette personne doit déposer une copie de l’autorisation. Le gouvernement français ajoute à cet égard qu’il souhaite supprimer cette dernière obligation de la réglementation, ce qui a été fait entre-temps. Nous laissons cette modification de la réglementation nationale en dehors du présent examen. Elle arrive trop tard pour pouvoir jouer un rôle dans la présente procédure.
23. Nous laissons également de côté la question de savoir s’il y a du sens de constater une nouvelle fois qu’une ancienne disposition entre-temps modifiée est contraire au droit communautaire. Il est acquis que la Commission est compétente à cet égard et que le principe non bis in idem ne s’oppose pas au recours de la Commission. La requête a un autre objet dans la présente affaire – l’importation de médicaments à usage personnel – que celui de la requête dans l’affaire Commission/France, précitée, qui concernait l’importation par des opérateurs économiques (15).
24. La question qui se pose plutôt est de savoir si en l’espèce il existe une violation systématique du droit communautaire par la République française. À première vue, la législation et la pratique administrative françaises semblent se préoccuper davantage de la protection de leur propre régime que de la liberté des patients de faire usage des acquis du marché intérieur et de se procurer des médicaments dans un autre État membre. Ainsi, un patient doit pouvoir poursuivre sans obstacles dans son propre pays un traitement qu’il a commencé à l’étranger. De surcroît, dans l’état actuel de l’intégration européenne, un patient ne doit pas être empêché de pouvoir acheter dans un autre État membre, sur prescription de son médecin traitant, un médicament qui constitue pour lui un meilleur remède contre le mal dont il souffre.
25. Nous n’affirmons pas ainsi que la législation et la pratique administrative françaises sont clairement contraires au droit communautaire – nous nous situons sur le terrain de la prestation de services médicaux dans lequel les États membres se sont gardés certaines compétences qui doivent pouvoir être également exercées de manière efficace –, mais il aurait été peut-être raisonnable que la Commission se penche sur le régime français dans son ensemble.
26. Il aurait fallu alors examiner également l’effectivité et les possibilités de maintien des mesures nationales. Nous attirons l’attention sur ce point en raison du fait que la présente procédure concerne un patient qui achetait des médicaments dans un autre État membre et qui ensuite en fait usage en France. S’il importe lui-même les médicaments en France, alors la législation française lui met peu d’obstacles. Il en va autrement s’il demande à un tiers de prendre les médicaments ou s’il les commande par la poste, par téléphone ou de manière électronique. En pareil cas, une autorisation d’importation est parfois requise et dans tous les cas les obligations douanières s’appliquent. Nous avons des doutes quant à l’effectivité et aux possibilités de maintenir de telles mesures nationales et, partant, en ce qui concerne l’aptitude de ces mesures à protéger la santé publique.
IV – Existe-t-il une restriction quantitative à l’importation ou une mesure d’effet équivalent?
27. La Commission précise la raison pour laquelle la procédure relative à l’importation de médicaments auprès de l’AFSSAPS peut constituer un obstacle à l’efficacité du marché intérieur et, partant, une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE. Elle nomme quatre effets: si l’autorisation est refusée, l’importation du médicament concerné est interdite, si l’autorisation est accordée, la procédure retarde l’importation et, à cet égard, le fait que la législation française ne prévoit pas de délais dans lesquels l’AFSSAPS doit adopter sa décision jouerait un rôle, le patient procédant à l’importation devrait établir un dossier qui constitue une charge pour lui et, enfin, la procédure découragerait le patient qui souhaite importer un médicament. Pour souligner la réalité concrète de ces effets, la Commission ajoute encore des données chiffrées.
28. En soi, il n’y a rien à ajouter à ce raisonnement de la Commission. La simple exigence d’une autorisation préalable lors de l’importation de médicaments d’un autre État membre, par une voie autre que le transport personnel, contient une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE. D’ailleurs, le gouvernement français ne conteste pas ce raisonnement de la Commission, mais soutient que la thèse de la Commission repose sur une lecture incorrecte de la législation française.
29. Le gouvernement français fait une distinction entre les médicaments pour lesquels une AMM est accordée en France [la situation mentionnée au point 2, sous a)] et les médicaments qui ne sont pas autorisés à être mis sur le marché en France [la situation mentionnée au point 2, sous c)].
30. Nous examinerons d’abord cette dernière situation. Compte tenu de ce qui est prévu aux articles R 5142-12 et suivants, il n’y a aucun doute qu’une autorisation préalable est requise lors de l’importation de médicaments d’un autre État membre par une autre voie que le transport personnel. D’ailleurs, le gouvernement français ne conteste pas ce point, mais se réfère à la pratique. En pratique, il ne serait pas question d’une mesure d’effet équivalent au motif que la procédure d’autorisation préalable en cas d’importation pour usage personnel est utilisée uniquement lors de l’importation par des résidents d’un État tiers (le plus souvent des Américains qui se trouvent temporairement en France). À cela, la Commission répond que le faible nombre de demandes d’autorisation pour l’importation d’un autre État membre constitue une preuve du caractère dissuasif d’une telle réglementation. Le gouvernement français conteste ce point: il n’y a que peu de personnes qui ont besoin de procéder à l’importation personnelle de médicaments d’un autre État. À cet égard, le gouvernement français renvoie dans son mémoire en défense également aux procédures applicables aux personnes ayant une maladie grave ou rare. En pareil cas, l’AFSSAPS accorderait une autorisation temporaire si certaines conditions particulières sont remplies. La Commission ferait peu de cas de cette procédure particulière, car celle-ci serait uniquement ouverte à un nombre très restreint de patients et en outre à des conditions très restrictives.
31. Quoi qu’il en soit, l’obligation légale de demande d’autorisation lorsqu’un particulier souhaite acheter un médicament dans un autre État membre constitue très clairement selon nous une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE. En affirmant cela, nous ne nous exprimons pas encore sur la question de la justification de cette mesure.
32. Cela nous conduit à la deuxième situation. Selon le gouvernement français, aucune autorisation préalable n’est requise lorsqu’une AMM est accordée en France pour un médicament. Il se réfère plus particulièrement aux articles R 5142-12 et R 5142-13 du code de la santé publique et à la référence que fait l’article R 5142-12 à l’article L 601. Dans une lettre type, l’AFSSAPS en informe d’ailleurs l’intéressé. Nous partageons la thèse du gouvernement français. Lors de l’importation d’un médicament autorisé en France, les articles R 5142-12 et R 5142-14 ne trouvent pas d’application.
33. Il existe toutefois un obstacle dans les obligations mentionnées à l’article R 5142-15. Si un intermédiaire importe un médicament pour le compte d’un particulier, alors, ainsi que le reconnaît également le gouvernement français dans son mémoire en duplique, cette personne doit soumettre aux autorités douanières une copie certifiée conforme de l’autorisation. Cette obligation s’applique également lorsque c’est un membre de la famille du patient qui procède à cette importation. Il est pour nous évident que cette obligation imposée au particulier (autre que le patient) constitue pour lui une charge très lourde.
34. Les arguments des parties divergent également en ce qui concerne la pratique administrative. La Commission précise que l’obstacle aux échanges ne se situe pas uniquement dans la loi, mais également dans la pratique administrative. Dans son mémoire en duplique, le gouvernement français relativise cet argument. Les particuliers qui achètent eux-mêmes des médicaments dans un autre État membre ne devraient pas présenter aux autorités douanières une copie certifiée conforme de l’AMM lors de l’importation. Les arguments par lesquels la Commission tend à démontrer que des charges insurmontables sont imposées aux patients seraient par conséquent dépourvus d’un réel fondement. Cette réponse ne nous convainc pas. En effet, l’obligation de présenter des copies certifiées conformes s’applique à l’ensemble des autres particuliers qui importent des médicaments, non pour eux-mêmes, mais pour un usage personnel. Par conséquent, cette obligation s’applique également de manière indirecte au patient, par exemple lorsque ce dernier n’est pas en mesure d’aller chercher lui-même des médicaments dans un autre État membre.
35. À cela s’ajoute ce qui suit. Le gouvernement français admet qu’il ressort d’un document qu’il a remis à la Commission, relatif à la pratique de l’AFSSAPS, un double sens certain. Ce document contient une liste non exhaustive des médicaments pour lesquels l’intervention de l’AFSSAPS est requise. Sur cette liste sont indiqués également les médicaments qui sont autorisés en France.
36. Nous constatons dès lors que, en cas d’importation de médicaments pour lesquels une AMM est requise en France, la législation française (l’article R 5142-15 du code de la santé publique) contient une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE. En outre, la pratique administrative est ainsi faite qu’elle complique l’importation personnelle de médicaments en France.
V – Existence d’une justification sur la base de l’article 30 CE
A – Remarque préalable
37. Les obstacles à l’importation en l’espèce devraient pouvoir trouver une justification dans la protection de la santé publique. Selon la jurisprudence constante de la Cour, parmi les biens ou les intérêts protégés par l’article 30 CE, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang et il appartient aux États membres, dans les limites imposées par le traité, CE, de décider du niveau auquel ils entendent en assurer la protection et, en particulier, du degré de sévérité des contrôles à effectuer (16). Toutefois, la manière dont les États membres protégent la santé publique est soumise au principe de proportionnalité. Cela apparaît également au trentième considérant de la directive 2001/83 dans lequel est reconnu le droit pour toute personne qui se déplace dans la Communauté d’emporter une quantité raisonnable de médicaments obtenus licitement pour son usage personnel.
38. Nous sommes d’accord avec la Commission pour dire que, si les autorités françaises ont autorisé un médicament en France, elles ne peuvent plus ensuite se prévaloir d’un risque pour la santé publique si ce médicament est importé d’un autre État membre par des particuliers et que les conditions sont fixées pour un usage normal. C’est à juste titre que, dans ce contexte, la Commission se réfère à l’arrêt Commission/Allemagne (17), dans lequel la Cour a jugé que la prescription d’un médicament par le médecin d’un autre État membre doit être regardée comme offrant une garantie équivalente à celle qui résulterait de la prescription du médicament par un médecin de l’État d’importation. De plus, le fait qu’un patient achète lui-même un médicament dans un autre État membre plutôt que de se le faire envoyer par la poste importe peu en principe (18).
39. Nous accordons beaucoup d’importance au principe de la reconnaissance mutuelle – ou, autrement formulé, à la confiance réciproque – qui constitue un fondement de la législation communautaire relative aux médicaments. Si un médicament est autorisé dans un État membre après avoir été analysé, les autres États membres ne peuvent pas simplement fixer davantage de restrictions à l’importation à partir de cet État membre. Il est de jurisprudence constante que «les États membres doivent se témoigner une confiance mutuelle en ce qui concerne les contrôles effectués sur leurs territoires respectifs. Un État membre ne saurait s’autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destinées à obvier à une méconnaissance éventuelle, par un autre État membre, des règles du droit communautaire» (19).
40. Nous examinons à présent la question de savoir s’il existe une cause de justification en faisant une distinction entre les trois cas de manquements faisant l’objet de la requête de la Commission.
B – Médicaments autorisés à la fois en France et dans l’État membre dans lequel ils ont été achetés
41. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué au point 36 ci-dessus, l’obstacle aux échanges résulte de la disposition prévue à l’article R 5142-15. Sur la base de cet article, toutes personnes autres que le patient qui importent en France des médicaments à usage personnel sont tenues de présenter à première demande aux autorités de contrôle soit une copie certifiée conforme de l’AMM délivrée par l’AFSSAPS ou de l’enregistrement du médicament, soit un document délivré par cette même agence duquel il ressort que la Communauté européenne a accordé une AMM pour le médicament importé.
42. Dans l’affaire Commission/France, la Commission a prétendu que cette obligation n’était pas justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, dans l’hypothèse où elle était imposée aux opérateurs économiques et, dans l’hypothèse où il existerait tout de même une cause de justification, elle contiendrait un obstacle aux échanges qui serait gravement disproportionné. Le gouvernement français n’a pas contesté cette thèse.
43. Nous considérons que cette thèse est correcte et s’applique également dans le cas de l’importation de médicaments à usage personnel. Si l’on ne peut même pas exiger d’une entreprise qui transporte à titre professionnel des médicaments qu’elle soit toujours en possession des documents certifiés, on ne peut alors certainement pas avoir la même exigence dans le cas d’un particulier qui importe en France des médicaments à usage personnel. En d’autres mots, en maintenant une règle telle que celle prévue à l’article R 5142-15 pour des médicaments qui, conformément à la directive 65/65 (remplacée par la directive 2001/83), sont autorisés à la fois en France et dans l’État membre dans lequel ils sont achetés, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.
C – Médicaments homéopathiques qui sont enregistrés dans un État membre
44. L’examen de la présente espèce doit se faire à la lumière de ce qui est prévu à la directive 92/73 et des objectifs poursuivis par le législateur communautaire d’après les considérants de cette directive. Nous distinguons deux objectifs. En premier lieu, il convient de permettre l’accès des patients aux médicaments de leur choix. Ils doivent donc être informés convenablement. En deuxième lieu, la qualité des produits et leur sécurité d’utilisation doivent être garanties.
45. La directive 92/73 prévoit une procédure d’enregistrement simplifiée spéciale pour les médicaments homéopathiques traditionnels, mis sur le marché sans indication thérapeutique et sous une forme pharmaceutique et dans un dosage ne présentant pas de risque pour le patient. Cette directive est notamment utile en raison de la grande différence de statut des médecines alternatives dans les États membres.
46. La question à laquelle la Cour doit répondre à présent a trait à la signification qu’a l’existence d’une procédure d’enregistrement simplifiée pour certains médicaments homéopathiques traditionnels et non dangereux par rapport aux obligations qui peuvent être imposées lors de l’importation de ces médicaments à usage personnel.
47. Selon la Commission, une autorisation préalable pour l’importation personnelle de médicaments homéopathiques déjà enregistrés dans un État membre est clairement injustifiée. À titre subsidiaire, la Commission conteste les modalités de la procédure française. En effet, selon les informations qui lui ont été communiquées, il apparaîtrait que l’effet thérapeutique des médicaments est examiné, ce qui n’est pas requis pour les médicaments homéopathiques en vertu de la directive 92/73.
48. Le gouvernement français soutient que la Commission se livre à une interprétation incorrecte de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 92/73. L’existence d’un degré de dilution suffisamment élevé serait une condition nécessaire pour l’enregistrement d’un médicament homéopathique. Par contre, la directive ne disposerait pas que l’existence d’un tel degré de dilution est suffisante pour rendre l’enregistrement obligatoire. De plus, le gouvernement français soutient que la réglementation communautaire ne prévoit pas de procédure de reconnaissance mutuelle des enregistrements des médicaments homéopathiques. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/73 exigerait uniquement qu’un État membre tienne dûment compte des enregistrements ou autorisations délivrés dans un autre État membre. Selon le gouvernement français, l’article 9, paragraphe 2, de la directive 92/73 permet à un État membre de maintenir sur son territoire des règles particulières pour les essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques des médicaments homéopathiques, conformément à ses principes et aux particularités de la médecine homéopathique qui est pratiquée. L’article 9, paragraphe 2, ne s’appliquerait d’ailleurs pas aux médicaments visés à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive.
49. À ce sujet, la Commission précise son point de vue. Tout d’abord un médicament homéopathique ayant un degré de dilution suffisamment élevé ne devrait pas être enregistré. Toutefois, il serait plus important que l’importation personnelle de médicaments homéopathiques ne soit pas soumise aux mêmes exigences lourdes que ce qui est prévu pour la mise sur le marché de tels médicaments. La disposition prévue à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 92/73 ne trouverait pas application. Enfin, la Commission examine les articles R 5142-12 et suivants du code de la santé publique pour établir que les autorités françaises examinent également l’efficacité des médicaments homéopathiques. Ce code n’opérerait aucune distinction entre les médicaments homéopathiques et les autres médicaments. La Commission se fonde en outre sur ce que les autorités françaises ont communiqué en collaboration avec l’AFSSAPS.
50. Dans son mémoire en duplique, le gouvernement français soutient que l’AFSSAPS ne procède à aucun nouvel examen des médicaments homéopathiques, mais se borne à effectuer un contrôle administratif sur les substances actives des médicaments pour s’assurer que les substances actives interdites en France ne puissent entrer sur le territoire. Pour appuyer sa thèse, le gouvernement français, lors de l’audience se réfère à la jurisprudence de la Cour et en particulier à l’arrêt récent Schreiber (20), dans lequel la Cour a justifié au titre de l’article 30 CE un système dans lequel une autorisation préalable est requise pour la mise sur le marché de tablettes de bois de cèdre rouge ayant des propriétés naturelles antimites.
51. Ces arguments demandent un examen plus précis de la réglementation spécifique relative aux médicaments homéopathiques.
52. D’un côté le régime spécial de l’enregistrement simplifié de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 92/73 met en place un assouplissement de la mise sur le marché des médicaments homéopathiques. La raison en est que ces médicaments, à partir du moment où ils satisfont à certains critères, sont considérés comme ne présentant pas de risques substantiels pour la santé publique. Les contrôles préalables à l’AMM peuvent dès lors être limités. Il serait contraire à cette idée qu’ensuite ces médicaments ne puissent pas être transportés librement sur le territoire des autres États membres pour l’usage personnel. En outre, il résulte de la directive 92/73 que certains tests ne peuvent être exigés dans le cadre de l’enregistrement. Il serait contraire à la finalité de la procédure simplifiée que ces tests puissent être exigés lors de l’importation d’un autre État membre.
53. D’un autre côté, la directive 92/73/CEE ne met en place qu’un degré limité d’harmonisation, ou en l’occurrence de coordination, des réglementations nationales. La directive reconnaît les conceptions différentes des États membres en ce qui concerne les médicaments homéopathiques, ainsi que cela apparaît notamment à l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive. On pourrait déduire de l’article 6, paragraphe 1, de cette même directive qu’un État membre n’est pas tenu de reconnaître l’enregistrement et l’autorisation accordés dans un autre État membre. Il doit simplement en tenir compte de manière appropriée.
54. Nous considérons qu’il est essentiel que la directive distingue deux types de médicaments homéopathiques. D’un côté il y a les médicaments visés à l’article 7 de la directive 92/73. Ces médicaments sont considérés (voir ci-dessus) comme ne présentant pas de risques substantiels pour la santé publique. L’enregistrement dans un État membre est simplifié. Une fois qu’ils sont enregistrés dans un État membre, ils peuvent alors en principe circuler dans la Communauté. Compte tenu du faible risque pour la santé publique, nous considérons que le fait que l’article 6, paragraphe 1, exige uniquement qu’il soit tenu compte de l’enregistrement de manière appropriée ne veut rien dire. Si l’on se place du point de vue de la libre circulation des marchandises, la directive présente pour ce type de médicaments homéopathiques un assouplissement du régime des médicaments. Il serait contraire au marché commun qu’une importation à titre personnel de tels médicaments non nocifs soit alors soumise à des restrictions. D’un autre côté, et conformément à l’article 9 de la directive 92/73, les autres médicaments homéopathiques tombent sous le régime habituel d’autorisations en ce sens que l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive reconnaît les spécificités existant entre les différents États membres. Dans cette perspective de libre circulation des marchandises, il en résulte un régime plus strict.
55. En résumé, les médicaments homéopathiques visés à l’article 7 de la directive 92/73 sont considérés comme ne présentant pas de risque substantiel pour la santé publique. Une réglementation créant des obstacles à l’importation de ces médicaments, une fois ceux-ci enregistrés dans un État membre, est dès lors contraire au droit communautaire. Nous considérons en conséquence que le manquement soulevé par la Commission est établi.
D – Médicaments qui ne sont pas autorisés en France, mais bien dans l’État dans lequel ils ont été achetés
56. Dans ce cas, la Commission a opté pour une approche nuancée. Un État membre peut lier l’importation de ces médicaments à usage personnel à une certaine procédure préalable afin d’éviter que son régime d’AMM des médicaments soit contourné.
57. La Commission soumet une telle procédure aux exigences suivantes (21):
– la procédure doit être facilement accessible;
– elle doit conduire à l’adoption rapide d’une décision, dans des délais raisonnables compte tenu des circonstances;
– si les médicaments ne présentent pas de danger pour la santé publique, une décision positive doit être adoptée pour la personne concernée;
– ces exigences doivent être formalisées dans la réglementation nationale.
58. Selon la Commission, la réglementation française ne répond pas à ces critères. Tout d’abord, la procédure ne serait pas facilement accessible au motif que la personne concernée doit fournir beaucoup d’informations, notamment en ce qui concerne la composition du produit, informations qui par définition se trouvent dans d’autres États membres. Ensuite, la décision de l’AFSSAPS ne serait soumise à aucun délai. Enfin, aucune décision positive ne serait garantie, car l’AFSSAPS examine si le médicament contient des substances actives qui sont déjà autorisées en France. Cette pratique rendrait impossible l’obtention d’une autorisation pour un médicament qui n’a pas été mis sur le marché en France.
59. Le gouvernement français conteste la thèse de la Commission. Il considère que la procédure est nécessaire afin de lutter contre la fraude et d’éviter que le mécanisme de l’AMM soit contourné. Il soutient qu’elle est accessible en raison du fait que l’information demandée est uniquement celle que l’AFSSAPS ne peut obtenir elle-même. Dans ce contexte, il serait important que les articles 105 et suivants de la directive 2001/83 prévoient un échange rapide des données entre les organismes chargés de l’autorisation des médicaments dans les États membres. Enfin, le caractère incomplet des informations ne suspendrait pas la procédure. Dans son mémoire en réplique, la Commission conteste les arguments de la République française. Elle soutient que cette thèse ne peut se déduire de l’article R 5142-14.
60. Selon le gouvernement français, les délais dans lesquels l’AFSSAPS doit rendre sa décision sont raisonnables. Le délai serait au maximum de deux mois mais, en pratique, l’AFSSAPS prendrait sa décision dans un délai de un à trois jours. L’intéressé disposerait d’un recours juridictionnel.
61. Pour commencer, nous pensons qu’il convient d’examiner les possibilités de fraude ou de contournement du régime de la directive, par lequel les États membres ont gardé la compétence de déterminer quels médicaments peuvent être commercialisés sur leur territoire. C’est à juste titre que, dans ses observations, la Commission opère une distinction importante entre la commercialisation des médicaments et l’importation à usage personnel. Le fait que les patients puissent acheter des médicaments dans les autres États membres s’inscrit dans l’harmonisation accompagnée en matière pharmaceutique et dans l’intérêt de la liberté de choix de ceux-ci. Dans ce contexte, nous rappelons que la Cour elle-même a reconnu qu’il existait des avantages dans les alternatives qui s’offrent aux patients lorsqu’ils veulent se procurer des médicaments, telle la possibilité de commander des médicaments par Internet (22). Nous renvoyons également à la jurisprudence en matière de protection des consommateurs. Dans le cadre de l’examen relatif à la protection du consommateur, la Cour a pris en considération l’attente présumée d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (23). Nous sommes d’avis qu’un tel consommateur doit en principe être en mesure d’acheter des médicaments dans d’autres États membres et d’utiliser ceux-ci conformément aux prescriptions du médecin.
62. L’intérêt de la protection de la santé publique n’est pas servi par le fait qu’un État membre soumette l’importation de médicaments à usage personnel à de très lourdes restrictions. En effet, les médecins et pharmaciens établis dans d’autres États membres sont également censés de prendre en considération l’intérêt de la santé du patient. Les autorités d’un État membre doivent pouvoir avoir confiance dans les décisions adoptées par un autre État membre. Cela constitue le point de départ de la réglementation communautaire. Bien entendu, l’autorisation de l’achat par des particuliers de médicaments à l’étranger comprend certains risques. Nous nous référons à cet égard à l’arrêt Deutscher Apothekerverband (24), dans lequel la Cour a indiqué qu’il pouvait être plus difficile de vérifier de manière efficace et responsable l’authenticité des ordonnances établies par les médecins. En outre, il existe, suivant la Cour, une possibilité réelle que l’étiquetage du médicament acheté auprès d’une pharmacie établie dans un État membre autre que celui dans lequel réside l’acheteur se présente dans une langue différente de ce dernier. Toutefois, nous considérons que ces risques ne sont pas de telle nature qu’une procédure puisse dissuader en pratique l’achat de médicaments dans un autre État membre. Cela serait contraire au principe fondamental de la confiance réciproque.
63. Nous soulignons également qu’il est imaginable, dans certaines circonstances, que l’importation de médicaments d’autres États membres mette en péril le fonctionnement d’un régime national d’octroi de l’AMM. Ce sont ces circonstances qui sont à la base de l’arrêt Ortscheit (25), dans lequel il était question d’une interdiction de publicité pour des médicaments non agréés en Allemagne. La Cour a jugé que, si les médicaments non agréés en Allemagne pouvaient y faire l’objet d’une publicité, il y aurait un risque que les fabricants fassent agréer les médicaments dans un État membre moins exigeant, puis les importent en Allemagne sur la base de commandes individuelles qu’ils auraient suscitées par des campagnes publicitaires. De telles circonstances peuvent également avoir pour conséquence que l’équilibre financier d’un régime national d’autorisation des médicaments soit mis en péril. Cette conséquence éventuelle s’est posée dans l’arrêt Deutscher Apothekerverband (26), dans lequel il s’agissait de la vente transfrontalière de médicaments. En revanche, ce risque ne se présente pas dans la présente espèce.
64. Un traitement sévère de l’importation à usage personnel ne sert d’ailleurs aucun intérêt de santé publique. Il en serait uniquement autrement si l’importation de certains médicaments faisait naître une menace relative à la diffusion d’une maladie qui ne se présente pas dans un État.
65. Cela nous conduit à examiner les exigences que la Commission formule. Voyons tout d’abord la dernière exigence, à savoir que les critères soient formalisés dans une législation. Nous considérons que cette exigence est la plus importante. Ce n’est que si une réglementation légale mentionne les critères en vigueur que le justiciable peut en avoir connaissance. Une pratique administrative flexible n’atténue cela en rien et ne peut pas sauver une réglementation légale contraire au droit communautaire. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement français n’a pas été en mesure d’établir l’existence d’une pratique administrative flexible.
66. Les trois autres critères posés par la Commission constituent en substance une expression de l’obligation générale des États membres d’assurer une exécution loyale et effective du droit communautaire découlant de l’article 10 CE. La procédure légale d’autorisation doit fournir au particulier qui souhaite importer un médicament la sécurité juridique:
– tout d’abord il doit avoir un accès facile à la procédure et pouvoir obtenir rapidement une décision;
– deuxièmement, les critères matériels que l’autorité nationale utilise doivent être clairs. L’autorisation ne peut être refusée qu’en cas de menace pour la santé publique.
67. Le libellé des articles R 5142-12 et suivants du code de la santé publique ne laisse aucun doute quant à la conception de la Commission. Ainsi, le particulier qui importe un médicament est tenu de fournir des informations relatives à la dénomination, à la composition, à la forme pharmaceutique, au dosage et au contexte administratif. Nous sommes d’avis qu’il est acceptable que de telles informations soient demandées lors de l’importation provenant d’États tiers, mais nous considérons que cette exigence est clairement disproportionnée en cas d’importation d’un autre État membre dans lequel le médicament est autorisé. Dans la mesure où l’AFSSAPS ne dispose pas elle-même de ces informations, elle peut facilement les obtenir auprès d’un organisme dans un autre État membre. Nous faisons référence à l’article 105 de la directive 2001/83. À cet égard, il n’est pas nécessaire d’examiner de quelle manière cette obligation du demandeur est appliquée en pratique. Il en est de même des délais pour rendre une décision: la législation française ne prévoit pas une garantie quant à une décision rapide.
68. Cela nous conduit à examiner les critères matériels que peut utiliser l’AFSSAPS sur la base de la législation française. À cet égard, nous ne sommes pas convaincu par la thèse de la Commission. L’article R 5142-12 offre en soi une garantie suffisante qu’une autorisation peut uniquement être refusée si le médicament porte un risque quant à la santé publique ou si un tel risque est possible. Nous comprenons la thèse de la Commission en ce sens que la pratique administrative de l’AFSSAPS peut également conduire à un refus en violation de cet article. S’il en est ainsi, la République française manque également sur ce point à ses obligations communautaires.
69. Nous considérons qu’il n’est pas nécessaire d’examiner ce dernier point compte tenu du fait que, en ce qui concerne les autres points, la Commission a démontré à suffisance que la République française a manqué à ses obligations en maintenant la procédure d’autorisation préalable résultant du code de la santé publique en ce qui concerne les médicaments non agréés en France, mais bien dans l’État membre dans lequel ils ont été achetés.
VI – Conclusion
70. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:
1) constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en raison de certaines exigences qui ont été fixées en vertu du code de la santé publique en ce qui concerne l’importation de médicaments à usage personnel par une voie autre que le transport personnel. Il s’agit de:
– l’obligation, prévue à l’article R 5142-15, de présenter les documents prévus à cet article à première demande des autorités de surveillance lors de l’importation sur le territoire français, en ce qui concerne des médicaments autorisés à la fois en France et dans l’État membre dans lequel ils ont été achetés,
– l’obligation, prévue à l’article R 5142-12, d’obtenir une autorisation d’importation avant l’importation sur le territoire douanier français de médicaments homéopathiques au sens de l’article 7, de la directive 92/73/CEE du Conseil, du 22 septembre 1992, élargissant le champ d’application des directives 65/65/CEE et 75/319/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments et fixant les dispositions complémentaires pour les médicaments homéopathiques, qui sont enregistrés dans un État membre,
– l’obligation, mentionnée aux articles R 5142-12 et R 5142-14, d’obtenir une autorisation d’importation avant l’importation sur le territoire douanier français de médicaments non autorisés en France, mais autorisés dans l’État membre dans lequel ils ont été achetés;
2) condamner la République française aux dépens.
1 – Langue originale: le néerlandais.
2 – Directive du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369).
3 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67).
4 – Directive du Conseil, du 22 septembre 1992, élargissant le champ d’application des directives 65/65 et 75/319/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments et fixant des dispositions complémentaires pour les médicaments homéopathiques (JO L 297, p. 8).
5 – Arrêt du 11 décembre 2003 (Rec. p. I-15093).
6 – Entre-temps, l’arrêt a été rendu le 12 octobre 2004 (non encore publié au Recueil).
7 – Note sans objet pour la version française.
8 – JO L 147, p. 13.
9 – Note sans objet pour la version française.
10 – Note sans objet pour la version française.
11 – Voir décret n° 2004-83, JORF du 27 janvier 2004, p. 1934.
12 – Certes, il y a eu également une discussion entre les parties en ce qui concerne le type et la méthode d’envoi d’une réponse de la République française à la suite de l’avis motivé et également en ce qui concerne la signification d’un projet visant à modifier les dispositions nationales contestées; mais il apparaît du mémoire en duplique du gouvernement français que ce dernier laisse tomber ce point dans la procédure.
13 – Arrêt précité, note 5.
14 – Lors de l’audience, la Commission a pu clarifier que ces cas restaient en dehors du litige.
15 – À titre d’exemple, voir la manière dont la Cour examine ce principe dans une procédure de manquement: arrêt du 8 novembre 2001, Commission/Italie (C-127/99, Rec. p. I-8305).
16 – Voir, par exemple, arrêt cité par la Commission, du 8 avril 1992, Commission/Allemagne (C‑62/90, Rec. p. I-2575, point 10).
17 – Précité, note 16, points 15 et suiv.
18 – Dans le respect des conditions citées à l’arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C-322/01, Rec. p. I-14887).
19 – Arrêt du 23 mai 1996, Hedley Lomas (C-5/94, Rec. p. I-2553, points 19 et 20).
20 – Arrêt du 15 juillet 2004 (C-443/02, Rec. p. I-7275).
21 – À cet égard, elle renvoie à l’arrêt du 16 juillet 1992, Commission/France (C-344/90, Rec. p. I‑4719), en ce qui concerne une réglementation nationale qui soumet à autorisation l’usage d’un additif alimentaire.
22 – Arrêt Deutscher Apothekerverband, précité note 18, point 113.
23 – Voir la jurisprudence abondante de la Cour résumée dans l’arrêt du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky (C-210/96, Rec. p. I-4657, point 31).
24 – Précité note 18, point 119.
25 – Arrêt du 10 novembre 1994 (C-320/93, Rec. p. I-5243, point 19).
26 – Précité note 18, points 122 et 123.