CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 7 septembre 2004 (1)

Affaire C-207/03

Novartis AG, University College London et Institute of Microbiology and Epidemiology

contre

Comptroller-General of Patents, Designs and Trade Marks for the United Kingdom

et affaire C-252/03

Ministre de l’économie

contre

Millenium Pharmaceuticals Inc.

[demandes de décision préjudicielle formées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) (Royaume-Uni) et par la Cour administrative (Luxembourg)]

«Espace économique européen – Médicaments – Règlement (CEE) n° 1768/92 – Certificats complémentaires de protection – Durée – Calcul – Interprétation de l’article 13 du règlement – Première autorisation de mise sur le marché ‘dans la Communauté’ – Autorisations suisses produisant automatiquement effet au Liechtenstein – Certificats dont la durée a été calculée de manière erronée – Rectification par les autorités nationales»





I –    Introduction

1.     Il existe depuis 1924 (2) entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein une union douanière qui, depuis le 1er avril 1980, s’étend aux brevets, domaine dans lequel un office unique a été institué, l’Office suisse des brevets. Celui-ci délivre des titres valables sur les deux territoires (3), de sorte que les autorisations de mise sur le marché de médicaments accordées par la Confédération suisse sont automatiquement reconnues au Liechtenstein (4).

2.     La principauté susmentionnée fait partie de l’Espace économique européen  (ci-après l’«EEE»), sur le territoire duquel s’applique le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (5).

3.     Les juridictions nationales qui ont formé les présentes demandes de décision préjudicielle souhaitent savoir si les autorisations de mise sur le marché de médicaments délivrées par les administrations suisses peuvent être qualifiées de «première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté» et, par conséquent, si leur date de délivrance doit être prise en considération dans le calcul de la durée du certificat complémentaire de protection. À cette première question, la High Court of Justice en ajoute une autre, tendant à savoir si les autorités des États membres de l’EEE sont tenues de rectifier les certificats dont la durée a été calculée de manière erronée.

II – Le cadre juridique

A –    Le règlement n° 1768/92

4.     Ce règlement crée un nouveau titre de propriété intellectuelle, accessoire à un brevet précédemment accordé (6), en vue de prolonger la durée des droits que ce dernier confère.

5.     Il a été adopté afin d’encourager la recherche pharmaceutique et d’éviter que les centres de recherche situés dans les États membres ne se déplacent vers des pays offrant une meilleure protection (deuxième et cinquième considérants). En effet, cette activité requiert d’importants investissements (7) qui ne peuvent être rentabilisés que si l’entreprise qui l’exerce obtient un monopole sur l’exploitation de ses résultats pour une durée suffisante. Toutefois, pour protéger le droit à la santé (8), la mise sur le marché d’un médicament est subordonnée à la délivrance d’une autorisation, au terme d’une procédure longue et complexe (9), de sorte que la période qui s’écoule entre le dépôt de la demande de brevet et l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché du produit réduit notablement la durée de l’exploitation exclusive (10), décourage les investisseurs et pénalise la recherche dans ce secteur (troisième et quatrième considérants) (11).

6.     La République française et la République italienne ont remédié à cette situation en créant des certificats complémentaires de protection (12). Pour écarter le risque d’une évolution hétérogène des législations des différents États membres, susceptible d’entraver la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur, le règlement  n° 1768/92 a prévu une solution uniforme au niveau communautaire par la création d’un certificat pour les médicaments ayant donné lieu à une autorisation de mise sur le marché. Ce certificat peut être obtenu selon les mêmes conditions dans tous les États membres par le titulaire du brevet, qu’il s’agisse d’un brevet national ou européen (sixième et septième considérants) (13).

7.     Peuvent bénéficier de ce document – qui confère les mêmes droits et impose les mêmes limitations et obligations que le titre qu’il complète (article 5) – les produits protégés sur le territoire d’un État membre dont la vente est soumise à une procédure préalable d’autorisation en vertu de la directive 65/65/CEE (14) ou de la directive 81/851/CEE (15) (article 2).

8.     Or, les conditions d’obtention d’un certificat sont les suivantes: 1) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur; 2) il a obtenu, en tant que médicament, sa première autorisation de mise sur le marché en cours de validité, conformément aux directives précitées et 3) il n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat (article 3).

9.     La demande doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le produit, en tant que médicament, a obtenu l’autorisation susmentionnée, à moins que celle-ci ne soit antérieure à la délivrance du brevet de base, auquel cas le délai commence à courir à compter de cette dernière date (article 7).

10.   Pour le législateur communautaire, l’objectif est d’accorder au titulaire de l’invention au maximum quinze années d’exclusivité à compter de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté (huitième considérant). À cet effet, l’article 13 réglemente la durée du certificat comme suit:

«1. Le certificat produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans [(16)].

2. Nonobstant le paragraphe 1, la durée du certificat ne peut être supérieure à cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet» (17).

11.   Les décisions concernant les demandes de certificats ainsi que celles rendues dans le cadre des actions en nullité dirigées contre ces demandes sont susceptibles de recours selon les conditions prévues par les législations nationales pour les décisions analogues prises en matière de brevets (article 17, lu conjointement avec les articles 10 et 15).

B –    L’accord sur l’Espace économique européen (18)

12.   Cet accord, conclu à Porto le 2 mai 1992 et en vigueur depuis le 1er janvier 1994, a pour objet de créer un espace économique homogène où les libertés de circulation (article 1er, paragraphes 1 et 2) sont garanties sur le territoire défini à l’article 126, paragraphe 1, qui correspondait à l’époque aux Communautés européennes et aux États membres de l’Association européenne de libre‑échange (AELE). Par conséquent, son champ d’application territorial comprenait en principe le Liechtenstein et la Suisse, associés à cette alliance, mais la Confédération helvétique a refusé de ratifier l’accord à l’occasion d’un référendum organisé en décembre 1992.

13.   Afin d’assurer que l’union régionale existant entre ces deux derniers pays n’entrave pas le bon fonctionnement de cet accord, son entrée en vigueur pour la Principauté de Liechtenstein a été reportée au 1er mai 1995 (19).

14.   Selon l’article 7, sous a), les règlements de la Communauté sont obligatoires pour les parties contractantes et sont entièrement intégrés dans leurs ordres juridiques respectifs. Aux termes de l’article 65, paragraphe 2, le protocole 28 (20) et l’annexe XVII (21) contiennent, à cet effet, des dispositions et des modalités particulières applicables à la propriété intellectuelle, industrielle et commerciale.

15.   La liste figurant à l’annexe XVII, dans la rédaction résultant de la décision du Comité mixte de l’EEE n° 7/94 (22), comprend le règlement n° 1768/92. Conformément à l’introduction de cette annexe, qui renvoie au protocole 1 concernant les adaptations horizontales (23), les références géographiques faites par le règlement sont réputées renvoyer aux territoires des parties contractantes, tels que définis à l’article 126.

16.    Quant à elle, l’annexe II (24) de l’accord EEE, telle que modifiée par la décision n°1/95 du Conseil de l’EEE, énonce le «principe de mise sur le marché parallèle»: elle prévoit en effet que, pour les produits couverts par les actes en question, la Principauté de Liechtenstein peut appliquer, outre la législation de l’EEE, les réglementations techniques et les normes suisses découlant de l’union régionale entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein. Toutefois, les dispositions  relatives à la libre circulation des marchandises ne sont applicables aux exportations en provenance du Liechtenstein à destination des autres pays contractants que si les produits respectent les exigences imposées par l’acquis juridique de l’EEE. Le chapitre XIII de cette annexe reprend la réglementation communautaire concernant les médicaments et fait référence aux directives 65/65 et 81/851.

C –    Les modifications du règlement n° 1768/92 résultant de l’accord EEE, pertinentes aux fins des présents litiges

17.   L’article 3, sous b), dispose que, «aux fins du présent point et des articles qui s’y rapportent, une autorisation de mise sur le marché du produit accordée conformément à la législation nationale de l’État AELE est traitée comme une autorisation accordée conformément à la directive 65/65/CEE ou à la directive 81/851/CEE suivant les cas» (25).

18.   Selon l’article 19, paragraphe 1, «tout produit qui, à la date du 2 janvier 1993, est protégé par un brevet en vigueur et pour lequel, en tant que médicament, une première autorisation de mise sur le marché dans les territoires des parties contractantes a été obtenue après le 1er janvier 1985 peut donner lieu à délivrance d’un certificat» (26).

19.   Conformément à l’introduction de l’annexe XVII, lue conjointement avec le point 8 du protocole 1, la référence que fait l’article 13, paragraphe 1, du règlement à la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté est réputée renvoyer à la date à laquelle cette autorisation a été accordée pour la première fois dans un des États de l’EEE.

20.   Enfin, la décision du Conseil de l’EEE n° 1/95 a modifié l’annexe XVII en ajoutant au point 6 une adaptation b), selon laquelle «en raison de l’union qui existe entre le Liechtenstein et la Suisse en matière de brevets, le Liechtenstein ne délivre aucun certificat complémentaire de protection pour les médicaments tel que prévu dans le règlement» (annexe 10).

III – Les faits, les litiges au principal et les questions préjudicielles

A –    Affaire C-207/03

21.   Novartis AG, le University College London et l’Institute of Microbiology and Epidemiology (ci-après «Novartis e.a.») sont titulaires de droits sur deux médicaments qui bénéficient de brevets en vigueur: un immunodépresseur utilisé lors des opérations chirurgicales de transplantations d’organes, dénommé «Basiliximab», et une composition antipaludéenne constituée d’une combinaison d’artemether et de lumefantrine(27).

22.   Les 7 avril 1998 et 22 janvier 1999, les autorités suisses ont accordé une autorisation de mise sur le marché pour chacun de ces deux produits, autorisations qui ont été automatiquement reconnues au Liechtenstein.

23.   Une autorisation de mise sur le marché a également été délivrée le 9 octobre 1998 pour le basiliximab par la Commission des Communautés   européennes en vertu de la procédure instituée par le règlement (CEE)  n° 2309/93 (28), tandis que la composition contre la malaria a fait l’objet d’une autorisation nationale de la British Medicines Control Agency le 30 novembre 1999.

24.   Le directeur adjoint du United Kingdom Patent Office (Office des brevets du Royaume-Uni), agissant pour le compte de l’examinateur, a décidé, le 12 février 2003, que la durée du certificat complémentaire de protection devait être calculée par référence aux dates d’octroi des autorisations suisses. Novartis e.a. ont formé un recours contre cette décision au motif que cette durée aurait dû être calculée par référence à la date d’octroi de la première autorisation par un État de l’EEE (29).

25.   Les termes du débat étant posés, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court), formule les questions suivantes:

«1)      La date de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché en Suisse, qui est automatiquement reconnue au Liechtenstein, doit-elle être considérée comme la première autorisation de mise sur le marché d’un médicament, aux fins du calcul de la durée d’un certificat complémentaire de protection conformément à l’article 13 du règlement n° 1768/92, dans sa rédaction modifiée par l’accord EEE?

2)       L’autorité compétente d’un État de l’Espace économique européen est-elle tenue de rectifier les certificats complémentaires de protection existants, dont la durée a été calculée de manière erronée?»

B –    Affaire C-252/03

26.   Lorsqu’elle a acquis Cor Therapeutics, Inc., Millenium Pharmaceuticals Inc. (ci-après «Millenium») est devenue titulaire des droits sur le médicament «Eptifibatide», destiné aux patients souffrant de maladies cardiovasculaires, qui est protégé par un brevet en cours de validité (30).

27.   Les autorités suisses ont accordé une première autorisation de mise sur le marché le 27 février 1997, tandis que la Commission, en application du règlement n° 2309/93, en a délivré une autre le 1er juillet 1999.

28.   Le 15 décembre 1999, Millenium a demandé au ministère de l’Économie luxembourgeois un certificat complémentaire de protection, délivré le 15 février 2000 et dont la durée a été déterminée par référence à la date d’octroi de l’autorisation suisse.

29.   La société susmentionnée a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif de Luxembourg qui, par jugement du 18 décembre 2002, a fait droit à sa demande, a modifié la décision attaquée et a ordonné de remplacer dans celle-ci la date du 27 février 1997 par la date du 1er juillet 1999 comme date de la première autorisation de mise sur le marché.

30.   En appel, la Cour administrative a suspendu la procédure et a adressé à la Cour de justice la question suivante:

«Une autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités suisses constitue-t‑elle une première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté au sens de l’article 13 du règlement (CEE) n° 1768/92?».

IV –  Les procédures devant la Cour de justice

31.   Dans l’affaire C-207/03 ont présenté des observations écrites, dans le délai prévu à l’article 20 du statut CE de la Cour de justice, Novartis e.a., les gouvernements islandais, liechtensteinois, norvégien, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission et l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre‑échange. Dans l’affaire C-252/03, outre les gouvernements susmentionnés, à l’exception du gouvernement norvégien et du gouvernement du Royaume-Uni, sont intervenus le gouvernement luxembourgeois, les deux institutions susvisées et Millenium.

32.   Le 8 juillet 2004, une audience commune s’est tenue, au cours de laquelle les représentants des comparants dans la procédure écrite ont été entendus en leurs observations orales, à l’exception du gouvernement néerlandais.

V –    Analyse des questions préjudicielles

A –    Sur les autorisations de mise sur le marché suisses et les certificats complémentaires de protection dans l’EEE (première question)

33.   La question déférée par la juridiction administrative luxembourgeoise, à l’instar de la première question de la High Court, tend à savoir quelle qualification il convient de retenir pour les autorisations de mise sur le marché accordées en Suisse qui, en vertu de l’union existant entre ce pays et la Principauté de Liechtenstein, produisent immédiatement effet dans cette principauté. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si elles peuvent constituer la première autorisation de mise sur le marché dans l’EEE et servir de point de départ pour le calcul de la durée du certificat complémentaire de protection, conformément à l’article 13 du règlement.

34.   Les parties aux présentes procédures préjudicielles ont adopté des positions bien définies et contraires. Les sociétés pharmaceutiques requérantes, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre‑échange et les gouvernements islandais, liechtensteinois, néerlandais et norvégien estiment que les autorisations délivrées en Suisse ne sauraient être qualifiées de premières autorisations de mise sur le marché, tandis que le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement luxembourgeois, comme la Commission, soutiennent le contraire.

35.   Ce dernier groupe fonde son argumentation sur une interprétation littérale et téléologique du règlement n° 1768/92 et sur la circonstance que, selon lui, l’élément décisif pour répondre à la question est que la distribution du produit est subordonnée à l’octroi d’une autorisation, indépendamment du point de savoir si cette autorisation permet ou non l’accès du médicament au territoire de l’EEE. Les autres comparants mettent au contraire l’accent sur ce dernier point, en faisant valoir que les autorisations accordées en Suisse ne satisfont pas aux exigences imposées par la réglementation applicable sur le territoire défini par l’accord EEE et que, dès lors, elles ne permettent pas la libre circulation du produit dans le marché intérieur. En conséquence, on ne saurait, selon eux, calculer la durée du certificat complémentaire par référence à la date d’octroi de ces autorisations. De manière surprenante, ils prétendent également que leur thèse est étayée par une exégèse fidèle à la lettre et aux objectifs du règlement susmentionné, sans préjudice de l’examen de ses travaux préparatoires.

36.   Les intéressés dans les présentes procédures préjudicielles emploient donc les mêmes armes pour proposer des résultats différents.

37.   Tous, sans exception, s’accordent néanmoins sur un point: les autorisations délivrées en Suisse ne donnent pas accès au territoire de l’EEE aux médicaments qu’elles protègent. À partir de là, leurs positions divergent, car ils attachent à cette circonstance des conséquences radicalement différentes: pour les uns, elle démontre que les autorisations suisses ne sauraient constituer un élément de référence pour calculer la période complémentaire de protection, tandis que pour les autres elle est dénuée de pertinence.

38.   Pour arbitrer ce débat et donner une réponse certaine aux questions posées, il convient d’analyser le principe de mise sur le marché parallèle applicable sur le marché du Liechtenstein.

1.      Les médicaments dans le double circuit commercial du Liechtenstein

39.   Le principe de mise sur le marché parallèle, consacré à l’annexe II de l’accord EEE, résulte de la participation de la Principauté de Liechtenstein à des zones économiques distinctes régies par des normes différentes. Deux régimes juridiques sont simultanément applicables dans le même domaine: l’un régit les rapports entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein; l’autre réglemente l’appartenance de ce dernier pays à l’EEE. En l’absence de conflit, les deux systèmes sont perméables et rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’un produit en provenance de la Suisse passe du territoire de son partenaire à celui d’un autre membre de l’EEE et vice versa. Dans le cas contraire, en revanche, les barrières se dressent et les circuits se ferment, de sorte que les marchandises autorisées au Liechtenstein ne peuvent être exportées à destination des autres États signataires de l’accord EEE que si elles en respectent les dispositions (31). En définitive, les marchandises qui circulent librement dans l’union douanière ne bénéficient pas, de ce simple fait, de la même liberté dans l’EEE.

40.   Par conséquent, sur le marché du Liechtenstein circulent simultanément des médicaments autorisés conformément aux dispositions de l’accord EEE et d’autres, protégés par le système helvétique. Toutefois, en vertu du principe susmentionné de mise sur le marché parallèle, les autorisations suisses, qui produisent immédiatement effet dans le cadre de l’accord conclu entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein, ne permettent l’entrée du médicament dans d’autres États membres de l’EEE que s’il satisfait aux exigences imposées par la réglementation applicable: les directives 65/65 et 81/851 (il s’agit à présent de la directive 2001/83, modifiée par les directives 2004/27 et 2004/24). On comprend bien, dès lors, que les produits originaires de Suisse ne peuvent être distribués ipsofacto dans l’EEE; comme je l’ai expliqué à la note 4, à partir du 1er mai 1998 et en vertu de la loi sur la commercialisation des médicaments dans l’EEE, la Principauté de Liechtenstein accorde des autorisations de mise sur le marché conformément au droit communautaire, ce qui confirme que les autorisations délivrées par la Confédération suisse ne sont pas valables au-delà du territoire de l’union qui lie ces deux pays.

41.   Or, l’existence de deux régimes juridiques distincts, que tous les intéressés ont reconnue dans leurs observations, permet-elle de ne pas tenir compte des autorisations suisses aux fins du calcul de la durée de la protection complémentaire? La réponse doit être cherchée dans les objectifs du règlement.

2.      La finalité du règlement n° 1768/92

42.   Il ressort de l’analyse de son préambule que le principal objectif qui a motivé son adoption n’était pas de garantir la libre circulation des médicaments, mais de créer les conditions nécessaires pour que la recherche pharmaceutique soit rentable et éviter que les entreprises du secteur ne quittent le territoire communautaire, tout en prenant en considération d’autres intérêts dignes de protection juridique, tels que ceux de la santé publique, des consommateurs ou de l’industrie des médicaments génériques (32). La libre circulation des médicaments au niveau communautaire est une conséquence de cet objectif essentiel, de sorte que, pour éviter une fragmentation du marché intérieur par des règles nationales hétérogènes, le législateur communautaire a adopté une réglementation uniforme. S’il est vrai que l’on a fait de cette motivation secondaire le principal argument pour justifier la compétence de la Communauté et fonder celle-ci sur l’article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), on ne saurait toutefois en déduire qu’il faut appliquer et interpréter les dispositions du règlement à la seule lumière de l’établissement et du fonctionnement du marché commun, sans tenir compte des autres raisons qui ont pu être déterminantes dans l’adoption de cette norme (33).

43.   La circonstance que les autorisations de mise sur le marché accordées en Suisse ne permettent pas la circulation des médicaments qu’elles protègent sur le territoire de l’EEE, à l’exception du Liechtenstein, n’est à l’évidence pas pertinente pour répondre aux juridictions de renvoi. Le fait que les autorisations accordées par un État membre dans le cadre des directives 65/65 et 75/319 ou de la nouvelle directive 2001/83, récemment modifiée, ne permettent pas non plus de distribuer librement le produit sur le marché des autres États membres vient d’ailleurs le confirmer.

44.   Ces directives ont certes pour objet de rapprocher les législations nationales concernant, notamment, les autorisations de mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques, par la création d’un comité ad hoc aux fonctions consultatives et la mise en place d’une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations octroyées. Il n’en reste pas moins qu’en tout état de cause la compétence pour autoriser la circulation d’un produit sur le territoire d’un État membre appartient aux autorités de ce dernier, qui ne sont pas liées par l’autorisation accordée dans un autre État membre (34). Dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Generics (UK) e.a., précitée, j’ai suggéré que «la plupart des médicaments sont commercialisés sur la base d’une autorisation nationale de mise sur le marché délivrée par l’autorité compétente d’un État membre et valide sur le territoire de celui-ci» (point 5). La Cour elle-même, dans son arrêt du 16 décembre 1999, Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker (35), a indiqué qu’en principe «aucun médicament ne peut être mis en vente dans un État membre sans qu’une AMM ait été délivrée conformément à la directive par l’autorité compétente de cet État membre» (point 23).

45.   Le débat sur ce point est donc dénué de pertinence car, comme la Commission l’a exposé dans ses observations, il n’existe pas de lien fonctionnel entre ces autorisations et la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur.

46.   La clé du problème se trouve ailleurs.

3.      La mise sur le marché sur une partie du territoire de l’EEE

47.   Le règlement n° 1768/92 prolonge la protection accordée aux innovations dans le secteur pharmaceutique afin d’encourager la recherche sur le territoire de l’Union, et ce de manière uniforme, de sorte que, comme l’a indiqué l’avocat général Jacobs au point 44 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Espagne/Conseil, précitées, la conséquence la plus importante de ce règlement est que la protection des produits couverts par un certificat se termine au même moment dans tous les États membres où le certificat a été délivré, et cela même si les demandes pour les brevets de base ont été déposées au cours d’années différentes (36). La Cour a confirmé ce raisonnement au point 34 de l’arrêt rendu dans cette même affaire, en jugeant que le règlement susmentionné prévoit «une durée uniforme de protection». Dans un autre arrêt, rendu deux années plus tard dans l’affaire Yamanouchi Pharmaceutical (37), elle avait exposé la même idée en soulignant que, en se référant à la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, le règlement entendait exclure que, dans les États membres dans lesquels l’autorisation de mettre un produit déterminé sur le marché n’a été délivrée que très tardivement, un certificat puisse encore être délivré alors qu’il ne serait plus possible de le délivrer dans les autres États membres. «Le règlement vise ainsi à éviter la délivrance de certificats ayant des durées de validité différentes en fonction des États membres» (point 25).

48.   C’est précisément l’égalité des durées de protection prévue par le règlement qui justifie le système et donne raison à ceux qui, comme la Commission, le gouvernement luxembourgeois et le gouvernement du Royaume-Uni, soutiennent que les autorisations accordées par les autorités suisses, qui produisent immédiatement effet au Liechtenstein, doivent être prises en considération pour calculer la durée de la protection complémentaire.

49.   Le règlement n’a pas pour objet d’uniformiser les autorisations de mise sur le marché, mais de créer un système unique de prorogation et, comme il s’agit d’assurer que le droit exclusif d’exploitation ait la même durée sur tout le territoire de l’EEE, l’élément décisif est la date à laquelle cette exploitation commence, c’est-à-dire la date à partir de laquelle le médicament peut être légalement distribué sur une partie de son territoire (38), quelle qu’elle soit (39), et indépendamment de l’habilitation obtenue, qui peut être soit une autorisation nationale délivrée par un État membre dans le cadre des directives précitées, soit une autorisation centralisée accordée en application du règlement n° 2309/93 [à présent, règlement  (CE) n° 726/2004 (40)], ou bien encore une autre autorisation qui permet la circulation du produit conformément à la réglementation applicable.

50.   Dans cette dernière catégorie figurent, comme je l’ai exposé aux points 17 à 19 des présentes conclusions, les autorisations que les États membres de l’Association européenne de libre‑échange ont accordées en vertu de leurs législations nationales respectives, non adaptées aux directives sectorielles, ainsi que celles délivrées par les autorités suisses – qui ne satisfont pas davantage, bien entendu, aux exigences de l’ordre juridique communautaire – car les unes et les autres permettent la distribution des médicaments sur une partie du territoire de l’EEE. L’analogie établie, dans un argument ad absurdum, par certaines parties entre les autorisations délivrées par la Confédération suisse et celles accordées par les autorités japonaises ou américaines est hors de propos, car ces dernières, à la différence des premières, ne permettent pas de distribuer un produit pharmaceutique sur le marché intérieur. L’élément de référence est le fait juridiquement pertinent que constitue la distribution légale des médicaments sur une partie du territoire de l’EEE (41) et il importe peu que celle-ci ait lieu en vertu d’un titre permettant la libre circulation sur l’ensemble de ce territoire (42).

51.   On écarte ainsi le risque, signalé par certaines parties, d’étendre les conséquences d’une convention – l’union douanière entre la Principauté de Liechtenstein et la Confédération suisse – au-delà de ses limites strictes (c’est‑à‑dire aux autres États membres de l’EEE), en violation des principes du droit international, car on ne donne pas effet à une norme d’un ordre juridique étranger, mais à un fait juridique intervenu sur le territoire de l’EEE.

52.   Ainsi, je suggère à la Cour de répondre aux juridictions de renvoi que les autorisations de mise sur le marché délivrées par les autorités suisses, qui produisent immédiatement effet au Liechtenstein, peuvent constituer «la première autorisation de mise sur le marché sur le territoire de l’EEE» au sens de l’article 13 du règlement n° 1768/92, dont la date d’octroi permet de calculer la durée des certificats complémentaires de protection.

4.      Les arguments contraires sont dénués de pertinence

53.   La Cour a reconnu dans l’arrêt Hässle, précité, que la «première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté» doit être délivrée conformément à la directive 65/65, dans l’un quelconque des États membres (points 58 et 78, ainsi que le point 2 du dispositif). Cette affirmation ne doit toutefois pas être détachée de son contexte: en premier lieu, la Cour souhaitait exclure de cette notion d’autres types d’autorisations ratione materiae, telles que celles relatives aux prix et aux remboursements de médicaments; et, en second lieu, les États membres de l’EEE impliqués dans le litige au principal étaient également membres de l’Union européenne, aussi n’était-il pas nécessaire de se référer à la rédaction du règlement n° 1768/92 résultant de l’accord EEE, de ses protocoles et de ses annexes, ainsi que des décisions adoptées par les organes directeurs de l’EEE.

54.   Comme la Cour l’a rappelé dans son arrêt Hässle (point 72), les termes «première autorisation de mise sur le marché» ou «première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté» ne doivent pas être interprétés différemment selon la disposition du règlement dans laquelle ils apparaissent. En somme, lorsque l’article 13 fait référence à cette notion, il y inclut également les autorisations accordées conformément aux législations nationales des États de l’Association européenne de libre‑échange, car c’est ce que prévoient les articles 3, sous b), et 19, paragraphe 1, du règlement, selon la rédaction de l’annexe XVII (point 6) de l’accord EEE, telle que modifiée par la décision n° 7/94 du Comité mixte de l’EEE (voir les points 17 et 18).

55.   Par ailleurs, la Principauté de Liechtenstein ne peut délivrer de certificats complémentaires de protection, circonstance qui, comme l’affirme la Commission, est la conséquence logique du fait qu’elle ne délivre pas de brevets et est dénuée de pertinence pour répondre à la question préjudicielle, car l’élément essentiel, comme je l’ai exposé, est la date à partir de laquelle un produit pharmaceutique peut être légalement commercialisé sur une partie du territoire de l’EEE, date qui permet de fixer le dies ad quem de la période servant au calcul de la durée complémentaire de protection. Par conséquent, si le titulaire d’un brevet couvrant le territoire de la principauté ne peut obtenir un certificat en vertu du règlement  n° 1768/92, la durée de la protection sur le marché de ce pays ne pourra jamais être prorogée d’une durée égale à celle existant dans les autres États de l’EEE (43). Cette circonstance, qui tient à la situation particulière de la Principauté de Liechtenstein, est toutefois la condition requise pour admettre dans l’EEE un partenaire spécial, qui a conclu une union en la matière avec un État tiers, et l’on ne saurait donc en tirer argument pour faire abstraction de l’un des objectifs du règlement, à savoir compenser la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet dans l’État où le certificat est ultérieurement demandé et la date à laquelle le produit a réellement pu être distribué pour la première fois sur le marché intérieur.

56.   La solution préconisée par Novartis e.a. (la non‑prise en compte des autorisations suisses) ignorerait l’objectif susmentionné, sans remédier au dysfonctionnement reproché car, en tout état de cause, les autorités liechtensteinoises demeureraient incompétentes pour délivrer les certificats.

57.   De surcroît, leur thèse méconnaîtrait un autre objectif du règlement  n° 1768/92, qui est de reconnaître au titulaire d’un brevet et d’un certificat le bénéfice dans la Communauté de quinze années d’exclusivité au maximum (huitième considérant). En effet, selon leur thèse, Novartis e.a.  disposeraient de ce monopole jusqu’au 8 octobre 2013 (voir la note 29) pour le basiliximab, par exemple, alors qu’ils ont pu le commercialiser sur le territoire de l’EEE dès le 7 avril 1998, en vertu de l’autorisation accordée à cette même date par les autorités suisses et valable au Liechtenstein.

58.   Selon les demanderesses au principal, la prise en considération des autorisations délivrées par la Confédération suisse implique que les entreprises pharmaceutiques se voient reconnaître le bénéfice d’une période pendant laquelle elles commercialisent le produit sur un marché, celui de la petite principauté, qui compte seulement 32 000 consommateurs potentiels. Or, outre que la même conséquence pourrait découler de la prise en compte des autorisations accordées par d’autres États membres faiblement peuplés (44), il convient de rappeler que le législateur communautaire a tenu compte, lors de l’adoption du règlement en question, de la protection d’autres intérêts légitimes, en particulier ceux de la santé publique, à savoir, selon l’arrêt Espagne/Conseil, précité, ceux des consommateurs et des fabricants de médicaments génériques. Il s’ensuit que la thèse des demanderesses au principal repose sur une prémisse erronée, selon laquelle la norme communautaire susmentionnée a pour objectif la libre circulation des médicaments.

59.   Les parties opposées à la solution que je préconise soutiennent que l’article 3, sous b), à l’instar de l’article 19, paragraphe 1, selon le libellé résultant de la décision n° 7/94 du Comité mixte, tentait de proposer une solution transitoire pour que les autorisations accordées par la République d’Autriche, la République de Finlande, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse avant leur adhésion à l’EEE puissent être prises en compte aux fins du calcul de la durée des certificats complémentaires de protection. Cette affirmation est une véritable ficta confessio car, outre que rien n’empêche de reconnaître un tel caractère provisoire à la situation de la Principauté de Liechtenstein,  au moins en partie, jusqu’en 1998 (45) – année au cours de laquelle elle a créé la Kontrollstelle für Arzneimitteln (Unité de contrôle des médicaments), organe compétent pour octroyer les autorisations de mise sur le marché, et adapté sa réglementation à l’acquis communautaire –, elle reconnaît implicitement que le règlement  n° 1768/92 ne prétend pas harmoniser les conditions de délivrance des autorisations, mais unifier sur l’ensemble du territoire de l’EEE la durée de la protection exclusive que confère un brevet sur un produit pharmaceutique et que l’on peut à cette fin tenir compte des autorisations délivrées par les membres de l’Association européenne de libre‑échange avant que ces derniers aient adapté leurs ordres juridiques respectifs aux exigences du système juridique communautaire.

60.   L’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre‑échange, ainsi que le gouvernement liechtensteinois et les gouvernements islandais et néerlandais font valoir que, lors de l’adoption de la décision n° 7/94 du Comité mixte de l’EEE, modifiant les articles 3, sous b), et 19, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, la Principauté de Liechtenstein ne faisait pas encore partie de l’EEE et que ces dispositions ne sauraient donc viser des autorisations qui, telles que celles  délivrées par la Confédération suisse, État membre de ladite Association, ouvrent le marché de la principauté aux produits pharmaceutiques. J’estime toutefois que cet argument est insuffisant à deux égards. En premier lieu, il ne faut pas oublier qu’à l’époque la Principauté de Liechtenstein avait le statut d’observateur et que son adhésion définitive à l’EEE était envisagée à terme, lorsque les difficultés résultant de son union douanière avec la Confédération suisse auraient été surmontées. De toute évidence, on ne saurait donc raisonnablement estimer qu’il n’a pas été tenu compte de la situation particulière de la Principauté de Liechtenstein au cours du processus d’adoption de la décision. 

61.   En second lieu, j’ai déjà exposé que la volonté des auteurs de la décision était manifestement de tenir compte des autorisations délivrées par les États de l’Association européenne de libre‑échange en application de règles non communautaires, ce qui vaut également pour les autorisations suisses qui, en vertu de la convention conclue avec la Principauté de Liechtenstein, produisent automatiquement effet dans ce dernier pays, membre de l’EEE. De surcroît, le Conseil de l’EEE, dans sa décision n° 1/95 (annexe 10), a précisé, après avoir fait référence à la décision  n° 7/94 du Comité mixte de l’EEE, que la Principauté de Liechtenstein délivrerait pas de certificats complémentaires de protection et n’a pas estimé nécessaire d’ajouter que les autorisations accordées en vertu des législations nationales des États de l’Association européenne de libre‑échange ne comprenaient pas les autorisations délivrées par un membre – la Confédération suisse – qui permettent la commercialisation de médicaments au Liechtenstein.

B –    Sur la rectification des certificats complémentaires de protection dont la durée a été incorrectement calculée (seconde question préjudicielle)

62.   La réponse proposée à la première question préjudicielle correspond à celle préconisée par le United Kingdom Patent Office. La seconde question, soulevée par la seule High Court of Justice, est donc hypothétique, puisqu’il n’y aurait pas erreur dans le calcul de la prorogation accordée à Novartis e.a. Dans ces conditions, l’interprétation de la Cour ne s’avère pas nécessaire.

63.   Toutefois, la Cour administrative (Luxembourg) pouvant statuer dans un sens différent et estimer que la décision à l’origine du litige au principal est incorrecte, j’analyse dans les points suivants cette seconde question, à titre simplement subsidiaire néanmoins.

64.   À titre liminaire, il convient de préciser que, telle qu’elle est formulée, la question est irrecevable, car elle n’a aucun lien avec l’objet du litige dont est saisie la juridiction britannique. En effet, l’action exercée par Novartis e.a. tend à obtenir la révision de la décision rendue par le United Kingdom Patent Office au motif que les autorisations suisses de mise sur le marché ne devraient pas être prises en considération dans le calcul de la durée des certificats complémentaires de protection et qu’il convient donc de prolonger la durée de ces derniers en prenant comme élément de référence les autorisations délivrées ultérieurement par la Commission et la British Medicines Control Agency (46). Pour trancher le litige, la High Court n’a nul besoin de savoir si une autorité nationale doit rectifier les termes de tout certificat dont la durée a été incorrectement calculée (47), il lui suffit de savoir si, après qu’une erreur de calcul a été judiciairement constatée, l’organe administratif compétent est tenu de la rectifier. C’est en ce sens, selon moi, qu’il convient d’entendre la question des juges de renvoi.

65.   Les parties qui ont formulé des observations sur ce point s’accordent sur l’essentiel, leurs divergences de vues étant de simples nuances.

66.   Un élément de réponse peut être trouvé dans les dispositions du règlement n° 1768/92, dont l’article 17 dispose que les décisions prises en application dudit règlement sont susceptibles des mêmes recours que ceux prévus par la législation nationale contre des décisions analogues prises en matière de brevets. Le règlement (CE) n° 1610/96 (48), concernant les produits phytosanitaires, contient une disposition identique puisque son article 17, paragraphe 2, permet d’introduire contre la décision de délivrance du certificat un recours visant à «rectifier» (49) sa durée lorsque la date de la première autorisation de mise sur le marché est incorrecte.  En outre, en vertu du dix-septième considérant, ledit article 17, paragraphe 2, vaut pour l’interprétation de l’article 17 du règlement n° 1768/92.

67.   Les autorités nationales sont donc tenues de corriger la date déterminant la durée du certificat si une erreur a été commise lors de sa fixation. La Cour s’est prononcée en ce sens dans l’arrêt Hässle (point 88) (50).

68.   Même en l’absence de telles dispositions, les principes qui président à l’ordre juridique communautaire conduiraient à un tel résultat.

69.   Si une autorité nationale fait une interprétation erronée du règlement  n° 1768/92, qui la conduit à effectuer un calcul erroné (par excès ou par défaut) de la durée du certificat complémentaire de protection, elle rompt l’uniformité à laquelle tend cette norme communautaire, laissant la porte ouverte à la disparité des durées complémentaires de protection existant dans les différents États membres, ce que le législateur a manifestement entendu éviter.

70.    Cette idée est liée à la primauté du droit communautaire (51) et a pour corollaire que, pour assurer son effet utile, plein et uniforme (52), les autorités nationales doivent, dans le cadre de leurs compétences, garantir le respect des normes qui composent ce corpus juridique, en particulier de ses règlements, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour de justice (53). Cette dernière, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 234 CE, éclaire et précise leur signification et leur portée, indiquant ainsi comment ils doivent ou auraient dû être compris et appliqués depuis leur entrée en vigueur (54).

71.   Par conséquent, en principe, toute autorité judiciaire est tenue, sauf dans des cas exceptionnels, d’appliquer la règle communautaire conformément à l’interprétation donnée par la Cour même aux rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, dès lors que les conditions requises pour accéder au contrôle juridictionnel se trouvent réunies (55). De la même manière et pour les mêmes raisons, la même obligation s’impose aux autorités administratives (56).

72.   Il existe néanmoins deux limites à ce principe. Selon la première, en l’absence de réglementation communautaire, il appartient aux ordres juridiques des États membres de régler les modalités procédurales des recours tendant à obtenir la rectification, par des normes qui, en tout état de cause, accordent aux droits découlant du système juridique communautaire un niveau de protection identique à celui dont bénéficient les droits fondés sur les normes nationales (principe d’équivalence) et aménagent des procédures qui ne rendent pas difficile ou impossible en pratique l’exercice des actions pertinentes (principe d’effectivité) (57).

73.   La seconde limite, qui découle de la première, réside dans l’obligation de respecter le principe de sécurité juridique, règle fondamentale de l’ordre juridique communautaire, qui interdit de réexaminer des décisions qui étaient insusceptibles de recours et de révision à la date à laquelle la décision préjudicielle a été connue. Selon l’arrêt Kühne & Heitz, précité, le droit communautaire n’exige pas qu’un organe administratif soit, en principe, obligé de revenir sur une décision ayant acquis un caractère définitif (par épuisement des voies de recours ou en raison de l’expiration des délais de recours raisonnables), à moins que l’ordre juridique national ne permette sa révision, sous réserve que, dans ce dernier cas, les conditions strictes énoncées dans cet arrêt soient réunies (58).

74.   Ces principes conduisent ainsi au même résultat que la lettre du règlement: la rectification doit être effectuée suivant les modalités procédurales prévues par les législations internes en matière de brevets nationaux, comme l’indiquent les articles 17 des deux règlements précités.

75.   Par conséquent, lorsque, selon les dispositions de l’ordre juridique interne, la décision administrative statuant sur une demande est susceptible d’être réexaminée, les autorités nationales sont tenues de rectifier, suivant les modalités procédurales nationales, les certificats complémentaires de protection dont la durée a été calculée de manière erronée.

VI – Conclusion

76.   Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court), et par la Cour administrative en ce sens que:

«1)      En vertu de l’article 13 du règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments, les autorisations de mise sur le marché délivrées en Suisse qui, dans le cadre de l’union douanière existant entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein, produisent immédiatement effet dans ce dernier pays, constituent une ‘première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté’.

2)      Les autorités des États de l’Espace économique européen sont tenues de corriger la date déterminant la durée des certificats complémentaires de protection si une erreur a été commise lors de sa fixation, dès lors que, conformément aux dispositions de l’ordre juridique pertinent, la décision est susceptible d’être réexaminée.»


1 – Langue originale: l'espagnol.


2  – Traité («Zollvertrag») du 29 mars 1923 entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein relatif au rattachement de la principauté de Liechtenstein au territoire douanier suisse (Liechtenstein Landesgesetzblatt – ci‑après «LGBl.» – 1923, n° 24).


3  – Traité («Patentschutzvertrag») du 22 décembre 1978 sur la protection des brevets (LGBl. 1980, n° 31), modifié par la convention additionnelle («Ergänzungsvereinbarung») du 2 novembre 1994 (LGBl. 1995, n° 80), qui est entrée en vigueur le 1er mai 1995. Selon ces dispositions, les deux pays forment un territoire unique dans la matière qui en est l'objet (article 1er), de sorte qu'un même titre produit des effets juridiques sur la totalité de son champ d'application territorial (article 4, paragraphe 1). Les tâches administratives d'exécution relèvent de la compétence des autorités suisses (article 7) et, plus précisément, de l’Eidgenössisches Amt für geistiges Eigentum (Office fédéral pour la protection de la propriété intellectuelle). Dans le rapport qu'il a produit dans le litige pendant devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court), M. Frick, Premier ministre du Liechtenstein entre décembre 1993 et avril 2001, explique que, en conséquence dudit traité, son pays ne dispose pas d'office des brevets et n'est pas compétent pour accorder ce type d'autorisations, celles délivrées en Suisse produisant ainsi immédiatement effet dans la principauté: il n'existe donc pas d'autorisations limitées à l'un ou l'autre de ces États (points 29 à 32).


4  – Depuis 1973, en vertu d'un échange de notes (LGBl. 1973, n° 20/1), la Principauté de Liechtenstein accepte sans autre condition les autorisations accordées par l’Interkantonale Kontrollstelle (Institut suisse de contrôle des médicaments), organisme régi par l’Interkantonale Vereinbarung (Amtliche Sammlung des Bundesrechts – ci-après «AS» – 1972, 1026; LGBl. 1973, n° 20/2). Entre 1990 et 2001, la loi sur les médicaments (Heilmittelgesetz), du 24 octobre 1990 (LGBl. 1990, n° 75) était applicable, dont l'article 7, paragraphe 2, prévoyait seulement que la commercialisation d'un médicament serait autorisée après l'enregistrement dudit produit auprès de l'organisme suisse susmentionné. Par la loi sur la commercialisation des médicaments dans l'EEE (Arzneimittelgesetz‑EEE), du 18 décembre 1997 (LGBl. 1998, n° 45), à compter du 1er mai 1998 la Principauté a mis en place un système d'autorisations conforme aux exigences communautaires, en conséquence des obligations résultant de son intégration dans l'EEE. Le 15 décembre 2000, la Confédération suisse a adopté la loi sur les médicaments (Heilmittelsgesetz) (Systematische Sammlung des Bundesrechts – ci-après «SR» – 812.21), entrée en vigueur le 1er janvier de l'année suivante, qui remplace l’Interkantonale Vereinbarung et crée un nouvel organisme (le SchweizerischesHeilmittelinstitut – Institut suisse des médicaments) qui succède à l’Interkantonale Kontrollstelle. Il résulte du jeu de ces deux dernières normes, ainsi que de l'échange de notes du 11 décembre 2001 (AS 2002, 2788), que deux régimes d’autorisation coexistent en Suisse: le régime suisse, qui produit effet dans l'union douanière avec la Principauté de Liechtenstein, et le régime propre au Liechtenstein, qui est conforme aux exigences de l'EEE.


5  – JO L 182, p. 1 (ci‑après, également, le «règlement»).


6  – Cette qualification est celle qu'a retenue J. C. Galloux, dans «Le certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques [Règlement (CE) n° 1610/96, du Parlement européen et du Conseil]», dans La Semaine juridique, n° 49, 1996, I 609, p. 499 à 504. Bien que cette étude soit consacrée au certificat pour les produits phytosanitaires,  ce qualificatif convient également au certificat prévu pour les médicaments. En réalité, ces deux règlements communautaires ont été adoptés pour les mêmes raisons, leur structure et leur contenu étant quasiment identiques.


7  – Dans les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 3 décembre 1998, Generics (UK) e.a. (C-368/96, Rec. p. I-7967), j'ai souligné l'effort d'innovation des entreprises, indispensable pour garantir la solidité de l'industrie pharmaceutique communautaire (point 50).


8  – La protection de la santé publique est la finalité essentielle des directives dont je traite plus loin aux notes 14 et 15, comme je l'ai indiqué dans les conclusions citées au point précédent et comme la Cour de justice elle-même l'a souligné au point 22 de l'arrêt rendu dans cette même affaire. Quelques années auparavant, la Cour s'était prononcée en ce sens dans son arrêt du 7 décembre 1993, Pierrel e.a. (C‑83/92, Rec. p. I-6419), tout en précisant néanmoins que la libre circulation des produits pharmaceutiques dans la Communauté doit également être garantie (point 7). La Cour a récemment rappelé que la sauvegarde de la santé publique est l'objectif essentiel de la réglementation communautaire en la matière dans les arrêts du 1er avril 2004, Kohlpharma (C-112/02, Rec. p. I‑3369, point 14), et du 29 avril 2004, Novartis Pharmaceuticals (C-106/01, Rec. p. I‑4403, point 30).


9  – Lorsqu'elle a présenté la proposition de règlement [COM (1990), JO C 114, p. 10], la Commission a estimé qu'il fallait en moyenne quatre ans pour obtenir une autorisation de mise sur le marché d'un produit pharmaceutique (point 51 du préambule de la proposition). Toutefois,  selon J. F. Bloch et P. Schmitt, ce délai est d'une dizaine d'années («Le certificat complémentaire de protection institué par le règlement n° 1768/92 du 18 juin 1992» dans la Gazette du Palais, 1993, p. 1280 à 1283).


10  – La convention sur la délivrance de brevets européens, conclue à Munich le 5 octobre 1973 et dont la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein sont signataires, prévoit une période de vingt ans à compter de la date du dépôt (article 63, paragraphe 1).


11  – Galloux, J. C., op. cit., indique qu'ainsi les titulaires de brevets sur des produits dont la mise sur le marché est soumise à une autorisation bénéficient d'un traitement moins favorable que celui réservé aux titulaires de brevets «communs».


12  – Lois du 25 juin 1990 (France) et du 19 octobre 1991 (Italie), établissant une période maximale de protection de 7et 18 ans respectivement.


13  – Sur les motifs qui ont présidé à l'adoption du règlement et les objectifs qu'il poursuit, voir les conclusions présentées par les avocats généraux Jacobs et Fennelly, les 9 mars 1995 et 3 octobre 1996 respectivement, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 13 juillet 1995, Espagne/Conseil (C-350/92, Rec. p. I-1985), et du 23 janvier 1997, Biogen (C-181/95, Rec. p. I‑357). Récemment, l'avocat général Jacobs a souligné l'importance de l'objectif consistant à éviter une évolution hétérogène des législations nationales (voir point 44 de ses conclusions du 29 avril 2004, dans l'affaire Pharmacia Italia, C-31/03, sur laquelle la Cour n'a pas encore statué).


14  – Directive du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), modifiée et complétée par  la directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, deuxième directive du même nom (JO L 147, p. 13). Ces deux textes ont été remplacés par la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), dont l'article 128, paragraphe 2, dispose que les références aux directives abrogées s'entendent comme faites à la nouvelle directive. Cette dernière a été modifiée à son tour par les directives 2004/27/CE et 2004/24/CE, toutes deux du Parlement européen et du Conseil, adoptées le 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34 et 85).


15  – Directive du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO 317, p. 1), abrogée et remplacée par la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO L 311, p. 1), dont l'article 96 est libellé dans les mêmes termes que l'article 128, paragraphe 2, de la directive 2001/83. La directive 2001/82 a été modifiée par la directive 2004/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 58).


16  –      Au point 8 des conclusions dans l’affaire Espagne/Conseil, précitées, l’avocat général Jacobs explique la portée de ce règlement à l’aide d’un exemple: «Supposons qu’une demande de brevet de base a été présentée en 1990, le brevet expirant en 2010. Si l’autorisation de mise sur le marché est donnée en 1997, le certificat prendra effet en 2010 pour une période de sept ans moins cinq, et expirera donc en 2012».


17  –      Cette limitation temporelle est destinée à protéger d’autres intérêts en jeu, tels que celui de la santé publique, visé au neuvième considérant du règlement, qui, pour cette même raison, indique également que la protection est strictement limitée au produit couvert par l’autorisation de mise sur le marché en tant que médicament.


18  – JO 1994, L 1, p. 3.


19  – Voir article 1er, paragraphe 2, du protocole du 17 mars 1993,  portant adaptation de l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 572), lu conjointement avec les articles 121, sous a), dudit accord et 7, paragraphe 1, de la décision du Conseil de l’EEE n° 1/95, du 10 mars 1995 (JO L 86, p. 58).


20  – JO 1994, L 1, p. 194. L'article 1er, paragraphe 1, de ce protocole précise que le terme «propriété intellectuelle» comprend la protection de la propriété industrielle et commerciale.


21  – JO 1994, L 1, p. 482.


22  – Décision du 21 mars 1994 (JO L 160, p. 1).


23  – JO L 1, p. 37.


24  – JO L 1, p. 263.


25  – Texte résultant des modifications introduites par l'annexe XVII (point 6), selon la rédaction de la décision n° 7/94 du Comité mixte de l'EEE.


26  – Il s'agit du libellé résultant des actes mentionnés à la note précédente.


27  – Basiliximab: brevet EP 0 449 769, dont la demande a été déposée le 13 mars 1991. Combinaison d’artemether et de lumefantrine: brevet EP 0 500 823, dont la demande a été déposée le 5 juin 1991.


28  – Règlement du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments (JO L 124, p. 1).


29  – Selon la thèse du Patent Office, le certificat délivré pour le basiliximab (CCP SPC/GB/00/012) expirerait le 6 avril 2013 et celui accordé à l’artemether et à la lumefantrine (CCP SPC/GB/00/13) le 21 janvier 2014. La thèse des requérantes reporterait  cette date aux 8 octobre 2013 et 29 novembre 2014 respectivement.


30  – Brevet EP 0 477 295 B1,  déposé le 15 juin 1990.


31  – Le gouvernement liechtensteinois explique dans ses observations écrites qu'il existe un système de contrôle destiné à surveiller le flux de marchandises à l'intérieur de son pays et à éviter que n'entrent dans un circuit des produits non conformes à la réglementation qui y est applicable (point 34 de ses deux observations écrites).


32  – Dans l'arrêt Espagne/Conseil, précité, la Cour les a pris en considération (points 38 et 39). L'avocat général Jacobs, dans les conclusions qu'il a présentées dans la même affaire, a également souligné que le règlement n'a pas pour objet de contribuer à la libre circulation des médicaments (points 44 et 45).


33  – En tout état de cause, comme l'a relevé l'avocat général Jacobs dans les conclusions citées à la note précédente, en se fondant sur l'arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil (C-300/89, Rec. p. I-2867), «il n'y a pas obligation que les mesures arrêtées sur la base de l'article 100 A du traité contribuent directement à  la libre circulation des produits» (point 45).


34  – Ainsi qu’il résulte des articles 3, 4 et 5 de la directive 65/65; 9, 10, 11 et 12 de la directive 75/319;  et 17 à 39 de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27.


35  – C-94/98, Rec. p. I-8789.


36  – L'avocat général illustre cette affirmation par l'exemple suivant: «Supposons que la demande de brevet ait été présentée en 1990 dans l'État membre A, et en 1991 dans l'État membre B, la protection liée au brevet expirant respectivement en 2010 et 2011. L’autorisation de mise sur le marché du produit est accordée tout d'abord dans l’État membre C, en 1998. Cela amène à calculer ainsi la durée du certificat: dans l’État membre A, cette durée est de huit (1990-1998) ans moins cinq, le certificat prenant effet en 2010 et expirant en 2013. Dans l’État membre B, la durée est de sept (1991-1998) ans moins cinq, le certificat prenant effet en 2011 et, de nouveau, expirant en 2013» (point 44 in fine). Des considérations similaires figurent dans les conclusions que l’avocat général Stix-Hackl a présentées le 26 février 2002 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 décembre 2003, Hässle (C-127/00, non encore publié au Recueil, point 85).


37  – Arrêt du 12 juin 1997 (C-110/95, Rec. p. I-3251).


38  – Dans les conclusions de l’affaire Pharmacia Italia, précitées, l’avocat général Jacobs explique que le règlement vise à étendre la protection que confère le brevet, c’est-à-dire à allonger la période d’exclusivité afin de compenser le laps de temps qui était perdu en raison de l’absence d’autorisation de commercialiser le produit. Il estime donc que l’élément essentiel est la première commercialisation des médicaments, date à laquelle les rentrées commerciales commencent à apparaître (point 45). Les considérations précédentes conduisent l’avocat général à affirmer qu’il est indifférent à cette fin que la première autorisation soit accordée pour des médicaments à usage humain ou à usage vétérinaire. Il convient d'appliquer cet argument à la présente affaire pour en conclure que la partie du territoire de l'EEE où a lieu la commercialisation est dénuée de pertinence; l’idée fondamentale est que le médicament peut être vendu et que le titulaire du brevet peut ainsi amortir les investissements consacrés à son obtention.


39  – Dans les conclusions de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hässle, précité, l’avocat général Stix‑Hackl a exprimé cette idée, en indiquant que la première autorisation n’est pas celle accordée par l’État membre où le certificat est demandé, mais celle qui a conduit à la première commercialisation du produit en tant que médicament dans l’un des pays communautaires (points 84 et 85).


40  – Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1), dont l’article 88 abroge le règlement n° 2309/93.


41  – La Cour a souligné ce point dans l’arrêt Yamanouchi Pharmaceutical, précité, en indiquant que le critère de la première autorisation n’est nécessaire que pour déterminer la durée du certificat (point 23) et en précisant que sa fonction est de caractère purement temporel (point 24).


42  – Preuve en est que l’article 13, paragraphe 1, fait référence à «la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté» (souligné par moi). Il se réfère donc à un élément  factuel, déterminé par un acte juridique qui permet de distribuer le produit sur un secteur du marché intérieur, et n’exige pas que cette autorisation s’applique à l’ensemble de ce marché. C’est pourquoi la décision n° 7/94 du Comité mixte a pu modifier l’article 3, sous b), et assimiler les autorisations accordées par les États de l’Association européenne de libre‑échange en application de leurs législations nationales à celles délivrées par les États membres de la Communauté en vertu des règles harmonisées établies par les directives 65/65 et 81/851.


43  – Bien entendu, les certificats complémentaires de protection délivrés par les autorités helvétiques produisent automatiquement effet sur le territoire du Liechtenstein (articles 2 à 4 de la convention additionnelle). Le régime suisse est identique à celui prévu par le règlement: la prorogation, qui débute à l’expiration de la période de protection conférée par le brevet, est d'une durée égale à la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et la délivrance de la première autorisation de mise sur le marché, réduite de cinq années, et ne peut excéder cinq ans [article 140e de la loi fédérale sur les brevets (Bundesgesetz über die Erfindungspatente) – SR 232.14].


44  – Il ne faut pas oublier que l’autorisation accordée par un État membre n’a pas pour conséquence automatique d’ouvrir le marché des autres membres de l'EEE.


45  – Situation que les organes de l’EEE ont reconnue dans la décision n° 1/95 du Conseil de l’EEE.


46  – Comme je l’ai exposé aux points 21 et suiv. des présentes conclusions.


47  – Ainsi qu’il ressort du point 44 de la décision de renvoi.


48  – Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 1996, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques (JO L 198, p. 30).


49  – La version espagnole du règlement emploie le terme «reducir»; toutefois, d'autres versions linguistiques utilisent des expressions correspondant au mot espagnol «rectificar»: «berichtigen» (allemande), «rectifier» (française), «rectifying» (anglaise), «ottenere la rectifica» (italienne) et «rectificar» (portugaise).


50  – Dans cet arrêt, la Cour a interprété les articles 15 et 19 du règlement, en précisant que ce dernier article est violé lorsque le certificat contient une erreur sur la date de la première autorisation de mise sur le marché et a souligné que cette date était en réalité antérieure à la date à partir de laquelle le régime transitoire était applicable, ce dont elle a conclu que le certificat était nul en application de l'article 15 (point 89). En revanche, si une erreur a été commise, mais que la date correcte est postérieure à celle indiquée à l’article 19, le certificat est valable et il suffit de rectifier la date d'expiration (point 88). L’avocat général Stix-Hackl, dans les conclusions précitées (point 105), a expliqué que le nouveau calcul de la durée à laquelle fait référence l’article 17, paragraphe 2, du règlement n° 1610/96 est conçu pour l’hypothèse où la durée du certificat a été déterminée en violation de l’article 13 du règlement, parce que, par exemple, la date mentionnée dans la demande de certificat est erronée.


51  – Consacré par l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141).


52  – Voir arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629). Kovar, R., «Rapports entre  le droit communautaire et les droits nationaux», dans l’œuvre collective Trente ans de droit communautaire, Ed. Commission des Communautés européennes, col. Perspectives européennes, 1981, p. 118, a souligné que les impératifs d’unité, d’uniformité et d’efficacité sont la traduction juridique de l’objectif politique de la construction européenne sur lequel repose le principe de primauté.


53  – L’interprétation donnée par la Cour à une disposition d’un règlement a des conséquences dans tous les États membres (arrêt du 17 avril 1986, Reed, 59/85, Rec. p. 1283, point 13).


54  – Ce principe a été formellement énoncé dans l'arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, Rec. p. 1205, point 16), et a été récemment repris par l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C-453/00, Rec. p. I‑837, point 21). La Cour y avait toutefois déjà fait référence dans l’arrêt du 27 mars 1963, Da Costa en Schaake e.a. (28/62 à 30/62, Rec. p. 59), dans lequel elle a déclaré que «[…] lorsqu'elle donne, dans le cadre concret d'un litige pendant devant une juridiction interne, une interprétation du traité, se borne à déduire de la lettre et de l'esprit de celui-ci la signification des normes communautaires, l'application au cas d'espèce des normes ainsi interprétées étant réservée au juge national […];  […] cette conception répond à la fonction attribuée à la Cour […] visant à assurer l’unité de l’interprétation du droit communautaire». L’obligation des autorités nationales, en particulier des juges, d’appliquer la réglementation conformément à l’exégèse de la Cour est donc le corollaire de la répartition des tâches justifiée par la procédure préjudicielle, qui, comme l’a précisé Robert Lecourt il y a quelques années (Le juge devant le Marché commun, 1970, p. 50), en distinguant entre l’interprétation et l’application, permet de concilier l’autorité légitime du juge avec la nécessaire uniformité du droit communautaire.


55  – Comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Denkavit italiana, précité, (points 16 et suiv.). Dans les conclusions présentées le 17 juin 2003 dans l’affaire Kühne & Heitz, précitée, l’avocat général Léger indique que cette obligation permet d’éviter que le droit communautaire ne subisse des distorsions d’application dans le temps, au détriment de son application uniforme et de sa pleine efficacité, et s’inscrit dans le cadre de l'objectif poursuivi par la procédure préjudicielle, consistant à assurer, grâce à un mécanisme de coopération juridictionnelle, cette interprétation homogène du droit communautaire (point 39).


56  – Selon le point 22 de l’arrêt Kühne & Heitz, précité, les organes administratifs nationaux doivent appliquer les règles de droit communautaire, même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt de la Cour statuant sur leur interprétation.


57  – On connaît la jurisprudence de la Cour sur ce point, concernant l’exercice de recours visant à obtenir le remboursement des impositions recouvrées par le Trésor public en infraction avec l’ordre juridique communautaire. Cette jurisprudence a été établie par deux arrêts du 16 décembre 1976, Rewe (33/76, Rec. p. 1989) et Comet (45/76, Rec. p. 2043), et récemment reprise par les arrêts du 10 septembre 2002, Prisco et Caser (C-216/99 et C-222/97, Rec. p. I‑6761), et du 2 octobre 2003, Weber's Wine World e.a. (C-147/01, Rec. p. I‑11365).


58  – Cet arrêt a pour toile de fond le droit néerlandais, qui admet le réexamen des actes définitifs sous réserve que les droits des tiers ne soient pas lésés. La Cour a jugé qu'en telle hypothèse le principe de coopération découlant de l’article 10 CE impose de réexaminer la décision attaquée si celle-ci est devenue définitive en conséquence d’un arrêt d’une juridiction statuant en dernier ressort, fondé sur une interprétation du droit communautaire qui, au vu de la jurisprudence communautaire postérieure, est erronée et a été adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel, à condition que l’intéressé se soit adressé à l’organe administratif immédiatement après avoir pris connaissance de ladite jurisprudence.