CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 8 juillet 2004 (1)

Affaire C-203/03

Commission des Communautés européennes

contre

République d’Autriche

«Égalité de traitement entre hommes et femmes – Interdiction d’employer des femmes aux travaux souterrains dans le secteur minier ainsi qu’aux travaux en surpression et en plongée»






1.     Dans le présent recours introduit en application de l’article 226 CE, la Commission soutient que la réglementation autrichienne interdisant de recruter des femmes à certains postes dans l’industrie minière et à des postes impliquant de travailler en atmosphère hyperbare et en tant que plongeurs est incompatible avec les articles 2 et 3 de la directive sur l’égalité de traitement (2) (ci-après la «directive»).

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

2.     L’article 2 de la directive dispose, dans la mesure où il est pertinent:

«1.      Le principe de l’égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial.

2.      La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application les activités professionnelles et, le cas échéant, les formations y conduisant, pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante.

3.       La présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité.

[...]»

3.     Dans la mesure où il est pertinent, l’article 3 dispose :

«1.       L’application du principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d’accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail, quel qu’en soit le secteur ou la branche d’activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle.

2.       À cet effet, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:  

a)       soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement;

[...]»

4.     En vertu du droit communautaire, la république d’Autriche était tenue de transposer la directive au 1er janvier 1995, date de son accession à la Communauté européenne. Toutefois, conformément à l’accord sur l’Espace économique européen (3), elle était tenue de transposer la directive au 1er janvier 1994, date à laquelle cet accord est entré en vigueur.

5.     Dans la mesure où il est pertinent, l’article 307 CE dispose:

«Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec le présent traité, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. [...]»

 Le droit international

6.     L’article 2 de la convention n° 45 de l’Organisation internationale du travail, du 21 juin 1935, concernant l’emploi des femmes aux travaux souterrains dans les mines de toutes catégories (ci-après la «convention n° 45 de l’OIT») dispose:

«Aucune personne du sexe féminin, quel que soit son âge, ne peut être employée aux travaux souterrains dans les mines.»

7.     L’article 3 dispose:

«La législation nationale pourra exempter de l’interdiction susmentionnée:

a) les personnes occupant un poste de direction qui n’effectuent pas un travail manuel;

b) les personnes occupées dans les services sanitaires et sociaux;

c) les personnes en cours d’études admises à effectuer un stage dans les parties souterraines d’une mine en vue de leur formation professionnelle;

d) toutes autres personnes appelées occasionnellement à descendre dans les parties souterraines d’une mine pour l’exercice d’une profession de caractère non manuel.»

8.     L’article 7 dispose:

«1. Tout Membre ayant ratifié la présente convention peut la dénoncer, à l’expiration d’une période de dix années après la date de la mise en vigueur initiale de la convention, par un acte communiqué au Directeur général du Bureau international du Travail et par lui enregistré. La dénonciation ne prendra effet qu’une année après avoir été enregistrée.

2. Tout Membre ayant ratifié la présente convention qui, dans le délai d’une année après l’expiration de la période de dix années mentionnée au paragraphe précédent, ne fera pas usage de la faculté de dénonciation prévue par le présent article, sera lié pour une nouvelle période de dix années et, par la suite, pourra dénoncer la présente convention à l’expiration de chaque période de dix années dans les conditions prévues au présent article.»

9.     La convention nº 45 de l’OIT est entrée en vigueur le 30 mai 1937. Par conséquent, elle aurait pu être dénoncée dans l’année qui a suivi le 30 mai 1997. La république d’Autriche est une partie contractante, qui a ratifié la convention en 1937.

 Le droit national

10.   L’article 16 de l’Arbeitszeitordnung (règlement sur la durée du travail) du 30 avril 1938 (4) (ci-après le «règlement de 1938»), qui était en vigueur, selon la Commission, jusqu’au 31 juillet 2001, mais qui, selon le gouvernement autrichien, a été abrogée par une loi du 19 août 1999 (5), disposait:

«1)       Les travailleurs de sexe féminin ne peuvent pas être employés sous terre dans les houillères, les salines, les usines de traitement, les mines souterraines, ni être employés à ciel ouvert pour l’extraction, à l’exception de la préparation (séparation, nettoyage), pour le transport et le chargement.

2)       Les travailleurs de sexe féminin ne peuvent pas non plus être employés dans les cokeries ni affectés au transport des matières premières, quel que soit le type de construction concerné.

3)      Le Reichsarbeitsminister (le ministre du Travail) peut interdire totalement ou subordonner à certaines conditions l’emploi des travailleurs de sexe féminin pour certains types d’exploitations ou de travaux qui présentent des risques particuliers pour la santé et la morale.»

11.   Depuis le 1er août 2001, l’emploi des femmes dans l’industrie minière souterraine est réglé par la Verordnung des Bundesministers für Wirtschaft und Arbeit über Beschäftigungsverbote und-beschränkungen für Arbeitnehmerinnen (règlement du ministre fédéral de l’Économie et du Travail concernant les interdictions et les restrictions d’emploi pour les travailleuses) du 4 octobre 2001 (6) (ci-après le «règlement de 2001»).

12.   L’article 2 du règlement de 2001 dispose:

«1)      Les travailleuses ne peuvent pas être employées dans l’industrie minière souterraine.

2)      Le paragraphe 1 ne s’applique pas:

1.      aux travailleuses qui assument des responsabilités de direction ou de type technique dont le travail n’est pas physiquement contraignant;

2.      aux travailleuses qui exercent une activité dans un service social ou de santé;

3.      aux travailleuses qui doivent accomplir une formation professionnelle dans le cadre de leurs études ou d’une formation comparable, pour la durée de cette formation;

4.      aux travailleuses qui ne sont employées qu’à titre occasionnel dans l’industrie minière souterraine dans le cadre d’une activité professionnelle non physiquement contraignante.»

13.   L’article 4 dispose:

«1)      Les travailleuses ne peuvent pas être affectées à des travaux les exposant à une contrainte physique particulière par le fait de lever, porter, pousser, tourner ou par tout autre type de transport de charges entraînant une sollicitation excessive de leur organisme.

2)      Lors de l’appréciation des travaux visés au paragraphe 1, les facteurs déterminants pour la sollicitation et la contrainte doivent être pris en considération, à savoir essentiellement le poids, le type et la forme de la charge, la voie et la vitesse de transport, la durée des travaux et leur fréquence ainsi que la condition physique des travailleuses.

3)      Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux travaux auxquels les travailleuses ne sont affectées que brièvement ou dans des conditions qui ne mettent pas en danger leur vie ou leur santé.»

14.   L’article 8 de la Druckluft- und Taucherarbeiten-Verordnung (règlement sur les travaux en atmosphère hyperbare et les travaux de plongée) du 25 juillet 1973 (7) (ci-après le «règlement de 1973») dispose, dans la mesure où il est pertinent:

«1)      Seuls les travailleurs de sexe masculin âgés d’au moins 21 ans qui sont aptes, du point de vue de la santé, pour ce type de travaux peuvent être employés pour les travaux à réaliser en atmosphère hyperbare.

2)      [...] Dans la mesure où la condition relative à la santé visée au paragraphe 1 est remplie, les travailleurs de sexe féminin âgés d’au moins 21 ans peuvent également être employés en qualité de personnel de surveillance ou exécuter d’autres travaux en atmosphère hyperbare pour autant qu’ils n’entraînent pas un effort physique plus grand.»

15.   Dans la mesure où il est pertinent, l’article 31 dispose:

«Seuls les travailleurs de sexe masculin âgés d’au moins 21 ans qui sont aptes, du point de vue de la santé, pour ce type de travail et possédant les connaissances spécialisées et l’expérience professionnelle nécessaires du point de vue de la protection des travailleurs peuvent être employés en qualité de plongeurs.»

 La procédure

16.   Par lettre du 29 septembre 1998, la Commission a écrit aux autorités autrichiennes pour leur demander des informations détaillées sur l’interdiction d’embaucher des femmes à certains postes dans l’industrie minière et pour des travaux à réaliser en atmosphère hyperbare.

17.   La république d’Autriche a répondu à cette demande par lettre du 2 mars 1999. Elle a communiqué à la Commission les dispositions pertinentes du règlement de 1938 et du règlement de 1973, a mentionné la dérogation figurant à l’article 2, paragraphe 3, de la directive et a explicitement déclaré qu’elle n’avait pas l’intention de modifier les règles applicables à l’emploi des femmes dans les mines.

18.   Considérant que les interdictions d’employer les femmes édictées par les règlements de 1938 et de 1973 étaient incompatibles avec la directive, la Commission a envoyé à la république d’Autriche une lettre de mise en demeure le 29 avril 1999.

19.   Dans sa réponse du 2 juillet 1999, la république d’Autriche s’est référée à sa précédente lettre. Elle a ajouté que l’article 16 du règlement de 1938 ne s’appliquait pas à toutes les opérations minières et que, de plus, l’autorité minière avait accepté l’introduction de plusieurs exceptions à cette disposition. La république d’Autriche a également déclaré qu’elle envisageait un examen de la réglementation relative à la santé et à la sécurité au travail dans le secteur de l’industrie minière, qui couvrirait les deux dispositions en cause.

20.   La Commission n’était pas satisfaite par cette réponse et a communiqué à la république d’Autriche un avis motivé le 7 février 2002. La république d’Autriche a répondu le 11 avril 2002, expliquant que cette réglementation relative à l’interdiction de l’emploi des femmes dans l’industrie minière avait été modifiée par le règlement de 2001.

21.   Étant d’avis que les interdictions d’employer les femmes édictées dans les règlements de 1973 et de 2001 étaient contraires au droit communautaire, la Commission a introduit le présent recours par lequel elle cherche à faire constater que la république d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 2 et 3 de la directive et des articles 10 CE et 249 CE.

 La recevabilité

22.   La république d’Autriche fait valoir que le recours est irrecevable en ce qui concerne l’interdiction d’employer les femmes dans l’industrie minière souterraine. Elle soutient que, conformément à la jurisprudence établie (8), l’avis motivé de la Commission et le recours devant la Cour de justice doivent être basés sur des griefs identiques et que ce n’est que lorsque que les mesures contestées dans la procédure précontentieuse ont été maintenues dans leur totalité que les modifications à la réglementation nationale adoptées entre l’envoi de l’avis motivé et l’introduction du recours devant la Cour n’affectent pas la recevabilité du recours. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les mesures n’ont pas été maintenues dans leur totalité.

23.   Il est certainement vrai que l’objet du recours introduit en application de l’article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition et que, par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent être fondés sur des griefs identiques (9).

24.   Cependant, la Cour a expressément déclaré que cette condition ne saurait aller jusqu’à exiger que les dispositions nationales citées dans l’avis motivé et dans la requête soient toujours complètement identiques. Lorsqu’un changement législatif est intervenu entre ces deux phases de la procédure, il suffit en effet que le système mis en place par la législation contestée au cours de la procédure précontentieuse ait été, dans son ensemble, maintenu par les nouvelles mesures adoptées par l’État membre postérieurement à l’avis motivé et qui sont attaquées dans le cadre du recours (10).

25.   Les modifications apportées à la réglementation autrichienne n’ont pas entraîné une modification matérielle significative de l’interdiction d’employer les femmes dans l’industrie minière souterraine. Le règlement de 1938 a établi une différence de traitement en ce qui concerne plusieurs types d’activité, qui équivalait à une interdiction large d’employer les femmes dans l’industrie minière, alors que le règlement de 2001 a édicté une interdiction unique et générale, et a prévu un nombre limité d’exceptions, qui visaient des activités très spécifiques, telles que une expérience professionnelle entreprise dans l’industrie minière. Il s’ensuit que le système établi par la réglementation contestée dans la procédure précontentieuse a, dans son ensemble, été maintenu par les nouvelles mesures adoptées par la république d’Autriche.

26.   De plus, la Cour a également souligné qu’il n’était pas nécessaire que le libellé de l’avis motivé et l’objet de la procédure soient exactement les mêmes dès lors que l’objet du litige n’a pas été étendu ou modifié mais a été simplement restreint (11). Dans la présente affaire, la république d’Autriche fait valoir, dans ses moyens de défense au fond, que le règlement de 2001 ne prévoit plus une interdiction absolue d’employer les femmes dans les mines, mais se contente de maintenir certaines interdictions et restrictions spécifiques relatives à ce type d’emploi. Il semblerait, par conséquent, que, dans la mesure où la réglementation a été modifiée, cela a eu pour effet que l’objet du recours de la Commission a été simplement restreint.

27.   Enfin, nous ajouterons qu’il ressort implicitement de l’argument de la république d’Autriche fondé sur l’article 307 CE (12) que le règlement de 2001 est essentiellement une nouvelle promulgation du règlement de 1938.

28.   À la lumière de ce qui précède, nous considérons que le grief d’irrecevabilité est infondé.

 L’interdiction d’employer les femmes dans l’industrie minière souterraine

 La directive

29.   La Commission fait valoir que l’interdiction d’employer des femmes dans l’industrie minière souterraine, édictée à l’article 2 du règlement de 2001, est contraire à la directive, dont l’article 3, paragraphe 1, interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d’accès à l’emploi. Elle ajoute que la république d’Autriche reconnaît implicitement le caractère disproportionné de l’interdiction, étant donné que, dans tous les autres secteurs, l’article 4 du règlement de 2001 prévoit d’apprécier au cas par cas si les femmes doivent être autorisées à réaliser des travaux physiquement pénibles.

30.   Il est constant que la réglementation en cause traite les hommes et les femmes différemment en ce qui concerne l’emploi dans l’industrie minière. Par conséquent se pose la question de savoir si, ainsi que le soutient la république d’Autriche, une telle différence de traitement est autorisée au motif qu’elle relève de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 3, de la directive.

31.   La république d’Autriche fait valoir en particulier qu’il est clair que, de manière générale et d’un point de vue biologique, les femmes n’ont pas la même constitution que les hommes et sont physiquement plus faibles. En conséquence, les travaux physiquement contraignants dans l’industrie minière souterraine impliquent un effort physique plus grand de leur part et les expose à des risques de santé plus grands que les hommes. La république d’Autriche soutient que ce n’est pas le cas pour le travail de nuit qui exige des femmes et des hommes le même effort physique. Par conséquent, la jurisprudence de la Cour, que cite la Commission et selon laquelle les interdictions du travail de nuit pour les femmes sont contraires à la directive,  n’est pas analogue (13).

32.   La république d’Autriche conclut qu’elle est donc autorisée, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, de la directive, à maintenir l’interdiction d’employer les femmes dans l’industrie minière, interdiction qui, soutient-elle, vise à protéger les femmes.

33.   Selon nous, cette disposition, ainsi que cela ressort effectivement de la jurisprudence de la Cour, vise les besoins qui sont spécifiques aux femmes et qui peuvent donc légitimement être protégés dans certaines situations. La Cour a notamment déclaré que, en réservant aux États membres le droit de maintenir ou d’introduire des dispositions destinées à protéger la femme en ce qui concerne «la grossesse et la maternité», la directive reconnaît la légitimité, par rapport au principe de l’égalité, de la protection de deux ordres de besoins de la femme. Il s’agit d’assurer, d’une part, la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci, jusqu’à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont normalisées à la suite de l’accouchement, et,  d’autre part, de protéger les rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle (14).

34.   L’article 2, paragraphe 3, ne permet donc pas d’exclure les femmes d’un emploi au motif qu’elles devraient être davantage protégées que les hommes contre des risques qui concernent les hommes et les femmes de la même manière et qui sont distincts des besoins de protection spécifiques de la femme tels que les besoins expressément mentionnés (15).

35.   On peut faire observer que, en dépit de l’utilisation du terme «notamment» à l’article 2, paragraphe 3, la Cour n’a pas admis le recours à la dérogation pour des raisons autres que des considérations liées à la grossesse et à la maternité. Bien que le terme «notamment» indique que des situations autres que la grossesse et la maternité peuvent relever de cette disposition, ces mots illustrent la portée de ces exceptions (16).

36.   Les types de situation envisagés par l’article 2, paragraphe 3, sont donc clairement différents de ceux visés par la réglementation autrichienne, qui exclut toutes les femmes de tels emplois quelles que soient leurs capacité et condition physiques.

37.   Le fait que, ainsi que le souligne la république d’Autriche, sa réglementation prévoit des exceptions à l’interdiction générale ne fait aucune différence à nos yeux. La Cour a clairement déclaré que le principe de l’égalité de traitement n’autorise pas une exclusion générale des femmes d’un certain type d’emploi, même s’il existe des exceptions, lorsque cet emploi n’est pas interdit aux hommes (17). En toute hypothèse, les exceptions prévues par la réglementation autrichienne ont une portée extrêmement limitée.

38.   Par conséquent, nous concluons que l’interdiction d’employer les femmes dans les mines ne relève pas de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 3, de la directive.

 La convention de l’OIT

39.   La république d’Autriche soutient que les restrictions à l’emploi des femmes sont justifiées par ses obligations de droit international découlant de la convention n° 45 de l’OIT, qui, puisqu’elle était antérieure à l’adhésion de la république d’Autriche au traité CE, continue à la lier en vertu de l’article 307 CE.

40.   L’article 307, premier alinéa, CE dispose que les droits et obligations résultant de conventions conclues avant l’entrée en vigueur du traité entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du traité. L’article 307 CE a une portée générale et s’applique à toute convention internationale, quel que soit son objet, susceptible d’avoir une incidence sur l’application du traité (18).

41.   La république d’Autriche soutient que, en vertu de cette disposition telle qu’interprétée par la Cour (19), les États membres ne sont pas tenus d’appliquer le droit communautaire lorsque son application serait incompatible avec leurs obligations découlant d’un traité ou d’une convention internationale conclu avec des pays tiers avant leur adhésion au traité CE. Elle se fonde notamment sur les arrêts de la Cour rendus dans les affaires Levy (20) et Minne (21), pour appuyer son argument selon lequel l’interdiction de l’emploi des femmes est autorisée en vertu de l’article 307 CE.

42.   Ces affaires soulevaient la question de savoir si le principe de l’égalité de traitement s’opposait à ce qu’un État membre interdise le travail de nuit aux femmes dans des circonstances où une autre convention de l’OIT antérieure au traité exigeait une telle interdiction. La Cour a déclaré en substance que, bien qu’une telle interdiction était contraire au principe d’égalité de traitement, la directive ne pouvait s’appliquer dans la mesure où les dispositions nationales ont été adoptées aux fins de garantir le respect par l’État membre des obligations qui lui incombaient en vertu d’un accord, dans le sens de l’article 307 CE.

43.   En revanche, la Commission invoque l’article 307, deuxième alinéa, CE, qui oblige les États membres à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer les incompatibilités entre un tel accord et le traité, et soutient que, par conséquent, la république d’Autriche aurait dû dénoncer la convention le 30 mai 1997, en application de son article 7 (22).

44.   La Cour a été saisie des affaires Levy et Minne par une demande de décision à titre préjudiciel. Dans aucune de ces affaires, la juridiction nationale de renvoi n’a demandé des indications quant à l’incidence de l’article 307, deuxième alinéa, CE. Cette question n’a pas non plus été soulevée par une des parties ayant présenté des observations à la Cour, bien que, dans l’affaire Minne, la Cour a fait observer que l’État membre concerné (le royaume de Belgique) avait en fait dénoncé la convention en cause (23).

45.   Dans la présente affaire, en revanche, il est demandé à la Cour de déclarer que la république d’Autriche a violé le droit communautaire. Nous avons déjà exprimé notre avis selon lequel le règlement de 2001 est effectivement contraire à la directive. Pour pouvoir déterminer si la république d’Autriche peut, ainsi qu’elle le soutient, invoquer l’article 307 CE aux fins de justifier sa réglementation, il est nécessaire de déterminer si, conformément au deuxième alinéa de cette disposition, elle a recouru à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités entre cette réglementation et les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire. Cette question a en outre été soulevée par les parties. Si la Cour était convaincue que la république d’Autriche aurait pu éliminer les incompatibilités entre les dispositions nationales et le droit communautaire applicable, mais qu’elle ne l’avait pas fait, la république d’Autriche ne pourrait plus invoquer l’article 307 CE.

46.   L’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Commission/Portugal (24) examine expressément le problème auquel est confronté un État membre lorsque les obligations qui lui incombent en vertu du droit international et du droit communautaire sont en conflit. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que, si, dans le cadre de l’article 307 CE, les États membres ont le choix quant aux mesures appropriées à prendre, ils n’en ont pas moins l’obligation d’éliminer les incompatibilités existant entre une convention précommunautaire et le traité. Si un État membre rencontre des difficultés rendant la modification d’un accord impossible, on ne saurait donc exclure qu’il lui incombe de dénoncer cet accord (25). La Cour a conclu que, en n’ayant ni dénoncé ni adapté un accord avec un pays tiers qui était en contradiction avec une réglementation communautaire, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette réglementation (26).

47.   Donc, l’article 307, deuxième alinéa, CE couvre, ainsi que le suggère son libellé, des situations dans lesquelles une convention peut être renégociée par les parties contractantes ou dénoncée unilatéralement conformément à ses dispositions. En ce qui concerne la présente affaire, on peut faire observer que treize parties contractantes, parmi lesquelles six États membres (27), ont déjà dénoncé la convention nº 45 de l’OIT. La majorité de ces parties qui ont dénoncé la convention ont avancé comme raison de leur dénonciation le fait que cette convention est incompatible avec le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes. De plus, en 1996, le conseil d’administration de l’OIT a invité les États qui sont parties à la convention nº 45 de l’OIT à envisager la ratification de la convention n° 176 de 1995 sur la sécurité et la santé dans les mines, qu’il décrit comme étant «la norme à jour [qui] englobe les sujets traités par la convention n° 45», et la possibilité de dénoncer la Convention nº 45 (28). La convention n° 176 s’applique également aux hommes et aux femmes.

48.   Il s’ensuit que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, dans lesquelles la république d’Autriche a eu la possibilité de dénoncer légalement la convention nº 45 de l’OIT au cours de l’année qui a suivi le 30 mai 1997 (29) et de garantir ainsi une égalité de traitement entre hommes et femmes conformément à la directive en ce qui concerne l’accès à l’emploi dans l’industrie minière souterraine, la république d’Autriche ne saurait invoquer, dans la présente procédure, l’article 307, premier alinéa, CE pour justifier une réglementation nationale qui est incompatible avec la directive.

49.   Toutefois, la république d’Autriche fait valoir qu’elle n’a pas pu savoir, au moment où elle aurait pu dénoncer la convention nº 45 de l’OIT, que sa réglementation était contraire au droit communautaire ou que la Commission considérait les dispositions en cause comme étant contraires au droit communautaire, la première communication de la Commission relative à ce sujet ayant été envoyée en septembre 1998.

50.   On ne saurait accueillir cet argument. Ainsi que nous l’avons mentionné ci-dessus (30), la directive est devenue applicable en Autriche à la date d’entrée en vigueur de l’accord sur l’Espace économique européen, le 1er janvier 1994, et, du point de vue du droit communautaire, la république d’Autriche était tenue de transposer la directive au 1er janvier 1995. Par conséquent, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la directive, la république d’Autriche était tenue d’abolir à la première opportunité toute règle contraire au principe d’égalité de traitement, et la date d’une quelconque communication de la part de la Commission n’est pas pertinente à cet égard.

51.   Il s’ensuit que la république d’Autriche ne saurait invoquer, dans la présente procédure, la convention nº 45 de l’OIT pour éviter de satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

 L’interdiction d’employer des femmes pour des travaux en atmosphère hyperbare et en tant que plongeurs

52.   La Commission fait valoir que l’interdiction d’employer des femmes pour des travaux en atmosphère hyperbare et en tant que plongeurs, édictée aux articles 8 et 31 du règlement de 1973, est contraire au droit communautaire.

53.   La république d’Autriche rétorque que cette interdiction est conforme aux exigences de la directive et qu’elle est notamment justifiée pour les mêmes raisons que l’interdiction du travail dans les mines, à savoir en raison du caractère physiquement pénible du travail et des capacités physiques généralement plus faibles des femmes, telles que leur capacité respiratoire inférieure.

54.   Il est vrai que, comme dans le cas du travail dans les mines, les activités visées par la réglementation autrichienne pourraient impliquer un certain effort physique pour la personne qui les exerce. Étant donné toutefois que la république d’Autriche n’a pas apporté de preuve qu’un tel travail fait naître des risques qui affectent les hommes et femmes différemment ou des risques qui sont spécifiques aux femmes et contre lesquels ces dernières ont besoin d’une protection particulière au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive, ce fait ne saurait justifier d’exclure toutes les femmes de l’exercice de telles activités (31).

55.   Le fait que l’interdiction du travail des femmes en atmosphère hyperbare a deux exceptions restreintes (par opposition à l’interdiction générale d’employer les femmes en tant que plongeurs, qui ne prévoit aucune exception) ne la rend pas compatible avec la directive. Premièrement, la Cour a explicitement déclaré que le principe de l’égalité de traitement n’autorise pas une exclusion générale des femmes d’un certain l’emploi, même s’il existe des exceptions, alors qu’un tel emploi n’est pas interdit pour les hommes (32). Deuxièmement, il est de toute façon manifeste que les exceptions ne sont pas objectivement justifiées au sens de l’article 2, paragraphe 3, étant donné qu’elles autorisent les femmes uniquement à assumer des fonctions de contrôle ou des travaux en atmosphère hyperbare qui n’impliquent pas un effort physique excessif. Elles ne relèvent donc pas de la catégorie des exceptions liées à la grossesse ou à la maternité, qui sont visées à l’article 2, paragraphe 3.

56.   De plus, on peut exclure l’application de l’article 2, paragraphe 2, de la directive, parce que la présence de travailleurs de sexe féminin à de tels postes n’a pas d’impact spécifique sur les autres travailleurs, ce qui justifierait de les exclure d’une telle activité simplement en raison de leur sexe. Il s’ensuit que le sexe ne constitue pas une condition déterminante de telles activités, au sens de l’article 2, paragraphe 2 (33).

57.   Par conséquent, nous considérons que l’interdiction d’employer des femmes pour des travaux en atmosphère hyperbare et en tant que plongeurs est incompatible avec la directive.

 Conclusion

58.   Par conséquent, nous sommes d’avis que la Cour devrait statuer comme suit :

1)      déclarer que la république d’Autriche, en maintenant les articles 8 et 31 du règlement du 25 juillet 1973 sur les travaux en atmosphère hyperbare et les travaux de plongée et en introduisant les articles 2 et 4 du règlement du ministre fédéral de l’Économie et du Travail concernant les interdictions et les restrictions d’emploi pour les travailleuses, du 4 octobre 2001, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail;

2)      condamner la république d’Autriche aux dépens.


1 – Langue originale: l'anglais.


2  – Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39 , p. 40).


3  – L'accord est annexé à la décision 94/1/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 13 décembre 1993 (JO 1994, L 1, p. 3). Voir, en particulier, l'article 70 et le point 18 de l'annexe XVIII.


4  – Deutsches RGBl. I, p. 447; GBlf.d.L.Ö 231/1939.


5  – Bundesgesetz zur Bereinigung der von 1946 kundgemachten einfachen Bundesgesetze und Verordnungen (loi fédérale abrogeant les lois et règlements fédéraux promulgués avant 1946), BGBl. I, 1991/191.


6  – BGBl. II, 2001/356.


7  – BGBl.501/1973.


8  – Arrêts du 17 novembre 1992, Commission/Grèce (C-105/91, Rec. p. I-5871), et du 10 septembre 1996, Commission/Belgique (C-11/95, Rec. p. I-4115).


9  – Point 73 de l'arrêt Commission/Belgique, précité à la note 8.


10  – Point 74 de l'arrêt Commission/Belgique, précité à la note 8, ainsi que la jurisprudence qui y est citée.


11  – Arrêt du 11 juillet 2002, Commission/Espagne (C-139/00, Rec. p. I-6407, point 19).


12  – Voir points 39 et suiv.ci-après.


13  – Arrêts du 25 juillet 1991, Stoeckel (C-345/89, Rec. p. I-4047); du 2 août 1993, Levy (C-158/91, Rec. p. I-4287), et du 13 mars 1997, Commission/France (C‑197/96, Rec. p. I-1489).


14  – Arrêt du 12 juillet 1984, Hofmann (184/83, Rec. p. 3047, point 25).


15  – Arrêts du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 44), et du 11 janvier 2000, Kreil (C-285/98, Rec. p. I-69, point 30).


16  – Conclusions présentées par l'avocat général Sir Gordon Slynn le 29 septembre 1988 dans l'affaire Commission/France (arrêt du 25 octobre 1988, 312/86, Rec. p. 6315).


17  – Arrêt Stoeckel, précité à la note 13, point 19.


18  – Arrêts du 14 octobre 1980, Burgoa (812/79, Rec. p. 2787, point 6), et du 4 juillet 2000, Commission/Portugal (C-84/98, Rec. p. I-5215, point 52).


19  – Arrêt Levy, précité à la note 13.


20  – Précitée à la note 13.


21  – Arrêt du 3 février 1994 (C-13/93, Rec. p. I-371).


22  – Énoncé au point 8 ci-dessus.


23  – Voir point 15 de l'arrêt.


24  – Arrêt précité à la note 18.


25  – Point 58 de l'arrêt précité.


26  – Point 61 de l'arrêt précité.


27  – La république de Finlande, l'Irlande, le grand-duché de Luxembourg, le royaume des Pays-Bas, le royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.


28  – Voir rapports du conseil d'administration de l’OIT pour la 267e session (novembre 1996), GB.267/LILS/WP/PRS/2, la 268e session (mars 1997), GB.268/LILS/WP/PRS/2, la 270e session (novembre 1997), GB.270/15, et la 274e session (mars 1999), GB.274/LILS/WP/PRS/1 (disponibles sur le site de l’OIT: www.ilo.org).


29  – Voir article 7 de la convention, exposé au point 8 ci-dessus.


30  – Voir point 4 ci-dessus.


31  – Voir discussion aux points 33 à 36 ci-dessus.


32  – Voir point 19 de l'arrêt Stoeckel, précité à la note 13.


33 Voir points 33 à 35 ci-dessus.