I –Introduction
1. Dans le cadre de ce recours en manquement fondé sur l’article 226 CE, la Commission des Communautés européennes soutient que
le royaume d’Espagne, en n’ayant pas transposé complètement dans son droit interne la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5
avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs
(2)
, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions du traité CE et de ladite directive.
2. Le recours de la Commission concerne deux points en particulier. Le premier point a trait au défaut du royaume d’Espagne de
transposer correctement dans sa législation interne la règle d’interprétation contenue dans l’article 5, troisième phrase,
de la directive. Le deuxième point a trait à la transposition incorrecte de l’article 6, paragraphe 2, de la directive, relatif
au droit applicable. Le délai de transposition de la directive est arrivé à échéance le 31 décembre 1994.
II –Le premier grief de la Commission: l’article 5, troisième phrase, de la directive
3. Le premier grief a trait à la transposition incorrecte de l’article 5, troisième phrase, de la directive dans la législation
espagnole. L’article 5 énonce comme règle principale que, lorsque dans les contrats conclus avec les consommateurs les clauses
sont rédigées par écrit, elles doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. Cet article contient ensuite
dans ses deuxième et troisième phrases la règle d’interprétation suivante:
«[…] En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle d’interprétation
n’est pas applicable dans le cadre des procédures prévues à l’article 7 paragraphe 2.»
Ces procédures prévues à l’article 7, paragraphe 2, constituent ce qu’il est convenu d’appeler les actions collectives en
cessation «[…] permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime
à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin
qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et
appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses». Selon l’article 3, paragraphe
1, de la directive, une clause est considérée comme «abusive» lorsque, «[…] en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée
au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat».
4. La directive a été transposée dans la législation espagnole par la loi n° 7/1998, du 13 avril 1998, relative aux conditions
générales applicables aux contrats
(3)
(ci-après la «loi n° 7/1998») et modifiant la loi générale n° 26/1984, du 19 juillet 1984, pour la défense des consommateurs
et des usagers
(4)
(ci-après la «loi générale n° 26/1984»). L’article 10, paragraphe 2, de la loi générale n° 26/1984 modifiée par la loi n°
7/1998 transpose l’article 5 de la directive dans les termes suivants:
«En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut.»
Une disposition équivalente à l’article 5, troisième phrase, de la directive n’a pas été adoptée dans la législation espagnole.
5. La Commission soutient que, en ne précisant pas que la règle relative à l’interprétation la plus favorable au consommateur
prévue à l’article 5, deuxième phrase, ne s’applique pas dans le cadre des actions collectives en cessation, le législateur
espagnol n’a pas correctement transposé cette disposition dans son droit interne. Elle prétend que cela pourrait compromettre
de telles actions en cessation dans la mesure où le professionnel, en recourant précisément à cette règle d’interprétation,
pourrait obtenir qu’une clause ne soit pas considérée comme abusive. Contrairement à ce que le gouvernement espagnol soutient,
on ne pourrait déduire de l’article 10, paragraphe 2, de la loi générale n° 26/1984 telle que modifiée que cette règle d’interprétation
s’applique exclusivement dans le cadre des actions individuelles. À défaut de dispositions explicites limitant l’application
de cette règle aux actions individuelles, il y aurait lieu de conclure qu’elles s’appliquent aux deux types d’actions.
6. Le gouvernement espagnol fait valoir que la législation espagnole prévoit à la fois les actions individuelles et les actions
collectives et que la règle d’interprétation de l’article 5, deuxième phrase, de la directive s’applique uniquement aux actions
individuelles. Il ajoute à cet égard que, lorsque des actions collectives ont pour effet qu’une clause est considérée comme
obscure ou abusive suivant les méthodes d’interprétation usuelles, cette action sera couronnée de succès, sans qu’une interprétation
plus étroite en faveur de tel ou tel consommateur puisse modifier quoi que ce soit. Le gouvernement espagnol soutient en outre
que la législation espagnole qui offre une protection supérieure à celle prévue par la directive, comporte une liste de clauses
qui, dans tous les cas, sont considérées comme abusives. Le caractère impératif de cette liste s’opposerait au recours à une
interprétation favorable au consommateur pour paralyser des actions collectives en cessation. S’agissant d’une évidence, le
gouvernement espagnol ne perçoit pas l’intérêt d’une reproduction littérale de l’article 5, troisième phrase, de la directive
dans la législation espagnole. Il considère que l’application de cette règle est suffisamment assurée dans l’ordre juridique
espagnol. À cet égard, il renvoie également à l’article 1228 du code civil espagnol qui dispose que «l’interprétation des
clauses obscures d’un contrat ne doit pas favoriser la partie qui est responsable de cette obscurité». Enfin, le Tribunal
Supremo aurait jugé que cette règle s’applique également aux contrats d’adhésion.
7. Ce qui oppose les parties quant au premier grief est moins le contenu de l’obligation résultant de l’article 5, mais plutôt
la façon dont il convient de traduire cette obligation en droit interne. La Commission considère que la restriction apportée
à la règle d’interprétation en faveur du consommateur prévue à l’article 5, troisième phrase, de la directive, également connue,
par reflet, comme l’interprétation contra preferentem, devrait résulter expressément du libellé de la loi. Le gouvernement
espagnol se fonde sur le fait qu’il résulte de l’économie de la loi espagnole que cette règle d’interprétation s’applique
uniquement aux actions individuelles et que, partant, il n’est pas nécessaire de prévoir explicitement qu’elle ne s’applique
pas dans le cadre des actions collectives en cessation au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive. Sur le fond,
le gouvernement espagnol soutient qu’il n’y a pas non plus de place pour appliquer l’interprétation en faveur du consommateur
(individuel) dans le cadre d’une action ayant pour objet l’interdiction de l’utilisation générale de certaines clauses abusives.
8. La liberté des États membres de choisir la forme et les moyens pour atteindre le résultat prescrit par une directive a été
définie avec précision par une jurisprudence abondante de la Cour. À cet égard, la Cour a jugé que la transposition en droit
interne d’une directive n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition
légale expresse et spécifique. Elle peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d’un contexte juridique général, dès lors
que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise, afin que,
au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître
la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales
(5)
. Ce dernier point est particulièrement important lorsqu’une directive reconnaît des droits à des ressortissants d’un autre
État membre, ce qui sera toujours le cas en matière de protection des consommateurs.
9. Par conséquent, le cadre juridique national doit garantir que le résultat visé par la directive est effectivement atteint.
De plus, son respect doit pouvoir être mis en œuvre de manière efficace devant les instances (judiciaires) nationales compétentes.
Dans la mesure où la législation laisse subsister une insécurité relative à la conformité nationale aux dispositions d’une
directive visant à reconnaître des droits aux particuliers, cette insécurité ne peut pas être levée en recourant à la possibilité
d’une interprétation systématique de ses dispositions ou en faisant usage de la possibilité d’une interprétation conforme
à la directive par les instances judiciaires nationales. Ainsi que la Cour l’a jugé, une jurisprudence nationale, à la supposée
établie, interprétant des dispositions de droit interne dans un sens estimé conforme aux exigences d’une directive ne saurait
présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique
(6)
.
10. Dans la mesure où l’article 5, deuxième phrase, de la directive a été transposé littéralement dans le droit espagnol, on peut
se demander en l’espèce s’il en résulte également de manière suffisamment claire que le champ d’application de cette règle
d’interprétation se limite aux actions individuelles et que partant, conformément à l’article 5, troisième phrase, de la directive,
elle ne s’applique pas aux actions collectives en cessation. Pour pouvoir apprécier si le résultat visé par la directive sur
ce point est atteint, il y a lieu tout d’abord d’examiner de plus près la ratio legis de cette disposition paradoxale au premier
regard.
11. La règle d’interprétation contenue dans l’article 5, paragraphe 2, de la directive a un caractère subsidiaire dans la mesure
où elle ne s’applique que s’il subsiste un doute quant à la signification de la clause après qu’elle a fait l’objet d’une
interprétation suivant les méthodes usuelles. Dans un litige entre un consommateur et un professionnel relatif à une clause
d’un contrat, cette dernière sera interprétée en faveur du consommateur. L’obscurité de cette clause et les conséquences qui
en résultent sont imputées au professionnel. Il s’agit des cas dans lesquels un contrat a déjà été conclu et qu’il convient
de juger postérieurement si la clause est abusive ou non. Cette règle d’interprétation est conforme à la finalité de la directive
qui est de protéger le consommateur lors des transactions (transfrontières).
12. Les actions collectives en cessation diligentées par des organisations de consommateurs se distinguent dans leur nature sur
un certain nombre de points essentiels des actions introduites par des consommateurs individuels contre leur vendeur. Ainsi,
par leur caractère préventif elles ont pour finalité de protéger le consommateur de manière générale contre l’utilisation
dans les conditions générales de clauses qu’il y a lieu de considérer comme abusives. De cette manière, la situation inégale
existant entre le consommateur et le professionnel est compensée par une intervention positive extérieure au consommateur
(7)
. L’appréciation de telles clauses s’effectue ici de manière abstraite sans que le demandeur ait un intérêt personnel au résultat.
13. Dans une action au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, l’instance judiciaire ou administrative compétente
doit, en se fondant sur les méthodes d’interprétation usuelles de son droit interne juger si la clause est abusive au sens
de l’article 3, paragraphe 1, de la directive et faire cesser l’utilisation de cette clause. S’il était possible d’interpréter
la clause litigieuse en faveur du consommateur, en cas de doute persistant et en faisant usage de la règle contra preferentem,
elle resterait applicable, ce qui ne serait pas nécessairement dans l’intérêt du consommateur. Pour pouvoir obtenir le résultat
le plus favorable pour le consommateur, il y a lieu de considérer, dans le cadre d’un examen in abstracto lors d’une action
collective en cessation, que la clause a des effets négatifs pour le consommateur. Par conséquent, le paradoxe réside en ce
que une interprétation défavorable au consommateur conduise à une protection accrue de celui-ci.
14. Cela est la raison pour laquelle la règle d’interprétation de l’article 5, deuxième phrase, n’est pas applicable dans le cadre
d’une action collective de cessation. Les clauses contenues dans les conditions générales destinées à s’appliquer à de nombreuses
relations contractuelles doivent, en vertu de l’article 5, première phrase, de la directive être rédigées de façon suffisamment
claires et compréhensibles pour le consommateur. Leur signification ne doit pas dépendre des différentes méthodes d’interprétation
auxquelles ces clauses peuvent être soumises.
15. Il s’ensuit qu’il y a lieu de garantir dans l’ordre juridique interne que l’examen des clauses destinées à un usage général,
dans le cadre des actions collectives en cessation au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, conduisent en fin
de compte à un résultat des plus favorables pour les consommateurs. Dans l’économie de la directive, ce résultat est atteint
en ce que, dans le cadre du présent examen, l’application de la règle contra preferentem est écartée, en sorte qu’il y a lieu
de recourir uniquement aux méthodes d’interprétation existant en droit national.
16. Le gouvernement espagnol soutient que le résultat prescrit par la directive est garanti, d’une part, par l’économie générale
de la réglementation relative à la protection des consommateurs et, d’autre part, par les conditions générales applicables
aux contrats. Le fait que l’article 5, deuxième phrase, de la directive est repris uniquement dans les dispositions concernant
les actions individuelles (article 10, paragraphe 2, de la loi générale n° 26/1984, modifiée par la loi n° 7/1998) indiquerait
que la règle d’interprétation qu’il contient ne s’appliquerait pas aux actions collectives en cessation, conformément à l’article
5, troisième phrase, de la directive. Ces dernières actions sont soumises au chapitre IV de la loi n° 7/1998 (articles 12
à 20). En outre, le gouvernement espagnol soutient que le droit espagnol offre une protection supérieure à celle de la directive
en ce qu’il contient une liste noire des clauses qui sont nulles de plein droit. De cette manière, un plein effet serait assuré
à la directive, également en ce qui concerne l’examen des clauses dans le cadre des actions collectives en cessation.
17. Cela s’oppose à ce que, comme le soutient la Commission, il y ait des éléments dans le droit espagnol indiquant que la règle
d’interprétation en faveur du consommateur soit d’application générale. Ainsi, l’article 10, paragraphe 3, de la loi générale
n° 26/1984, modifiée par la loi n° 7/1998, qui suit l’article contenant cette règle d’interprétation, énoncerait que les clauses
qui ont le caractère de conditions générales au sens de la loi relative aux conditions générales applicables aux contrats
sont soumises «de la même manière» aux dispositions de cette loi. Celle-ci contient elle aussi en son article 6, paragraphe
2, une règle d’interprétation en faveur du consommateur: les doutes relatifs à l’interprétation de conditions générales obscures
sont résolus en faveur de la partie adhérant au contrat. Si le législateur espagnol avait voulu limiter le champ d’application
de la règle d’interprétation aux actions individuelles, il aurait pu le faire expressément soit à l’article 10, paragraphe
3, de la loi générale n° 26/1984, soit à l’article 6 de la loi n° 7/1998. Dans la mesure où il n’a pas procédé de la sorte,
la conclusion logique est que cette règle s’applique aux deux types d’actions.
18.À défaut d’indications concrètes que la règle contra preferentem est utilisée en violation de la directive lors de l’examen
des clauses dans le cadre des actions collectives en cessation, il n’est pas certain que le résultat prescrit par la directive
n’est pas atteint dans l’ordre juridique espagnol. Il n’en reste pas moins que le champ d’application des dispositions pertinentes
de la loi indique qu’il existe une possibilité juridique que cette règle d’interprétation puisse être appliquée dans des cas
visés à l’article 7, paragraphe 2, de la directive. Lorsqu’une règle relative à l’interprétation des dispositions d’une réglementation
participe de manière déterminante au contenu de ces dispositions, elle doit être façonnée de la même manière que les dispositions
auxquelles elle se rapporte. Dans ces circonstances, nous considérons que le droit espagnol ne garantit pas suffisamment que
la règle d’interprétation contenue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive ne puisse être appliquée dans le cadre des
actions prévues à l’article 7, paragraphe 2, de la directive.
19. Par conséquent, le premier grief de la Commission est fondé.
III –Le deuxième grief de la Commission: l’article 6, paragraphe 2, de la directive
20. Le deuxième grief de la Commission a trait à la manière dont l’article 6, paragraphe 2, de la directive a été transposé en
droit espagnol. Cette disposition énonce:
«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par
la présente directive du fait du choix du droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente
un lien étroit avec le territoire des États membres.»
21. L’article 10 bis, troisième alinéa, de la loi générale n° 26/1984, modifiée par la loi n° 7/1998, qui transpose l’article
6, paragraphe 2, de la directive en droit espagnol, est rédigé comme suit: «les règles de protection des consommateurs contre
les clauses abusives sont applicables, quelle que soit la loi que les parties ont choisie pour régir le contrat, dans les
termes prévus à l’article 5, de la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles».
22. L’article 5, paragraphe 2, de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles (ci-après la «convention
de Rome de 1980») prévoit – en résumé – que le choix des parties ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de
la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle, si
une des situations mentionnées dans cet article se présente. Selon l’article 5, paragraphe 1, de la convention de Rome de
1980, cette disposition s’applique aux contrats conclus par des consommateurs ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers,
corporels ou de services ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle fourniture.
23. Dans ce contexte, l’article 3, deuxième alinéa, de la loi n° 7/1998 présentée également un intérêt, et il énonce:
«[La présent loi] s’applique également aux contrats soumis à une législation étrangère lorsque l’adhérent au contrat a manifesté
son consentement sur le territoire espagnol et y a sa résidence habituelle, sans préjudice des dispositions de traités ou
de conventions internationaux.»
24. La Commission fait valoir que l’article 6, paragraphe 2, de la directive vise la protection de tous les consommateurs dans
tous les contrats conclus avec un professionnel, tandis que l’article 10 bis de la loi générale n° 26/1984 modifiée ne prévoit
cette protection que pour certains types de contrats (à savoir ceux visés à l’article 5, paragraphe 1, de la convention de
Rome) et uniquement lorsque certaines conditions sont satisfaites (celles requises par l’article 5, paragraphe 2, de la convention
de Rome). Ces conditions seraient plus strictes que la seule condition prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive
qui requiert seulement que le contrat présente «un lien étroit avec le territoire des États membres».
25. Selon le gouvernement espagnol, il découle d’une interprétation cohérente («interpretación integradora») des dispositions
espagnoles relatives à la protection du consommateur face aux clauses abusives, que celles-ci revêtent un caractère impératif.
Elles s’appliquent quel que soit le droit choisi par les parties pour régir le contrat. Ces dispositions tiennent compte à
la fois de la directive et de la convention de Rome de 1980. Il souligne que l’article 3, alinéa 2, de la loi n° 7/1998 prévoit
l’application impérative du droit espagnol aux contrats régis par un droit étranger lorsqu’une partie a manifesté son consentement
sur le territoire espagnol et y a sa résidence. Ainsi, la notion de «lien étroit avec le territoire de l’État membre» se matérialiserait
pour les contrats ayant un lien avec le droit espagnol.
26. L’article 6, paragraphe 2, de la directive vise à assurer que l’effet protecteur de la directive ne soit pas vidé de sa substance
par le fait que les parties au contrat ont déclaré que ce dernier était régi par le droit d’un État tiers. Pour atteindre
cet objectif, la directive utilise un large critère comme lien de rattachement: il doit exister un lien étroit entre le contrat
et le territoire d’un État membre. Dans la mesure où l’article 10 de la loi générale n° 26/1984 modifiée fait référence à
l’article 5 de la convention de Rome de 1980, se pose la question de savoir si la finalité de protection de la directive n’est
pas affectée.
27. Nous considérons qu’il en est bien ainsi en l’espèce. Le critère utilisé dans la directive, à savoir l’existence d’un lien
étroit entre le contrat et le territoire d’un État membre laisse de l’espace pour une interprétation flexible. Il prévoit
ainsi un niveau bas pour activer l’effet protecteur de la directive lorsque les parties ont choisi d’appliquer le droit d’un
État tiers à leur contrat. En revanche, la référence que fait l’article 10 bis, paragraphe 3, de la loi générale n° 26/1984,
modifiée par la loi n° 7/1998, a pour effet d’introduire des critères qui ont pour conséquence que l’application des dispositions
de la directive n’est pas assurée en droit espagnol dans tous les cas visés à l’article 6, paragraphe 2, de la directive.
28. L’article 5, de la convention de Rome de 1980 prévoit en effet l’application du droit (impératif) de l’État de la résidence
habituelle du consommateur, quel que soit le choix des parties, en ce que il fait dépendre cette application de conditions
qui ne sont pas prévues par la directive. Ainsi, il convient a) que la conclusion d’un contrat dans cet État y soit précédée
d’une offre explicite ou d’une publicité et que le consommateur, avant de conclure le contrat, ait entrepris les actes nécessaires
à cet effet et b), que l’autre partie au contrat ait reçu dans cet État la commande du consommateur ou c) que le vendeur ait
organisé un voyage ayant pour objectif d’amener le consommateur à conclure le contrat. Ces restrictions réduisent la portée
de la protection prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive. De plus, le champ d’application de l’article 5 de la
convention de Rome de 1980 est limité aux contrats mentionnés au paragraphe 1 de cette disposition. Quelle que soit la portée
matérielle de cette disposition, la directive vise l’ensemble des contrats qu’un consommateur conclut avec un professionnel,
en sorte que l’on ne peut exclure que certaines catégories de contrats soient exclue injustement du champ d’application de
l’article 10 bis, troisième alinéa.
29. En ce qui concerne la référence que fait le gouvernement espagnol à l’article 3, troisième alinéa, de la loi n° 7/1998, il
y a lieu également d’observer que, outre le fait que cette disposition se réfère exclusivement aux conditions générales des
contrats et, partant, pas particulièrement aux contrats s’appliquant aux consommateurs, elle prévoit également deux conditions
restrictives qui sont incompatibles avec le système de protection de la directive. En effet, les conditions cumulatives s’appliquent
également en l’espèce, à savoir, d’une part que, le consommateur ait sa résidence habituelle sur le territoire espagnol et,
d’autre part, qu’il y ait également exprimé sa volonté contractuelle. Ces exigences limitent également la protection offerte
par l’article 6, paragraphe 2, de la directive.
30. Enfin, en ce qui concerne l’argument du gouvernement espagnol selon lequel le résultat poursuivi par la directive peut être
atteint par une interprétation systématique ou intégrée des dispositions pertinentes du droit espagnol, il y a lieu de renvoyer
à la jurisprudence de la Cour relative à cette directive
(8)
. Il en ressort clairement que les droits que les particuliers retirent de la directive doivent être ancrés dans la législation
nationale de manière claire et certaine. Considérant ce qui précède, en ce qui concerne l’article 6, paragraphe 2, de la directive,
il n’en est aucunement ainsi.
31. Par conséquent, le deuxième grief de la Commission est également fondé.
IV –Conclusions
32. En conséquence, nous suggérons à la Cour de:
–
constater que le royaume d’Espagne, en n’ayant pas transposé complètement dans son droit interne les articles 5 et 6, paragraphe
2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions du traité CE et de ladite directive;
Voir, notamment, arrêts du 30 mai 1991, Commission/Allemagne (C-361/88, Rec. p. I-2567, point 15), et du 11 août 1995, Commission/Allemagne
(C-433/93, Rec. p. I-2303, point 18).
Arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C‑244/98, Rec. p. I-4941, point 27), et du 24
janvier 2002, Commission/Italie (C‑372/99, Rec. p. I-819, points 14 et 15).