CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 17 février 2005(1)



Affaire C-40/03 P



Rica Foods (Free Zone) NV
contre
Commission des Communautés européennes




affaire C-41/03 P



contre
Rica Foods (Free Zone) NV






contre
Commission des Communautés européennes





«Pourvoi – Régime PTOM – Marché du sucre – Mesures de sauvegarde»






1.        En 1999 et en 2000, la Commission des Communautés européennes a adopté des mesures de sauvegarde à l’encontre de certaines importations de sucre et de cacao provenant des pays et territoires d’outre-mer (PTOM). La Commission a estimé que les importations litigieuses perturbaient le fonctionnement de l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre.

2.        Ces mesures de sauvegarde ont fait l’objet de plusieurs recours introduits, notamment, par la société Rica Foods (Free Zone) NV (ci‑après «Rica Foods») devant le Tribunal de première instance et par le Royaume des Pays-Bas devant la Cour de justice.

3.        Les recours formés par Rica Foods ont été rejetés par le Tribunal dans trois arrêts du 17 janvier 2002  (2) et du 14 novembre 2002  (3) . Deux de ces arrêts font maintenant l’objet d’un pourvoi, qui sera examiné dans les présentes conclusions.

4.        S’agissant des recours formés par le Royaume des Pays-Bas, la Cour en avait suspendu l’examen jusqu’au prononcé des arrêts du Tribunal dans les affaires précitées. Ils sont examinés dans les conclusions que nous présentons aujourd’hui dans les affaires Pays-Bas/Commission (C‑26/00, C‑180/00 et C‑452/00).

I –    Le cadre juridique

5.        Les règles pertinentes pour l’examen des affaires sont les règles relatives à l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (point A), les règles relatives au régime d’association des PTOM à la Communauté (point B) ainsi que les mesures de sauvegarde contestées en l’espèce (point C).

A –    L’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre

6.        Le règlement (CE) n° 2038/1999 du Conseil, du 13 septembre 1999, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre  (4) , a procédé à la codification du règlement (CEE) n° 1785/81, du 30 juin 1981  (5) , ayant institué cette organisation commune, après ses multiples modifications. Cette organisation commune vise à réguler le marché du sucre communautaire, afin d’augmenter l’emploi et le niveau de vie des producteurs communautaires de sucre.

7.        Le soutien à la production communautaire, effectué au moyen de prix garantis, est limité aux quotas nationaux de production (quotas A et B) attribués par le Conseil à chaque État membre, qui les répartit ensuite entre ses producteurs. Le sucre relevant du quota B (sucre B) est soumis, par rapport à celui du quota A (sucre A), à un prélèvement à la production plus élevé. Le sucre produit en excédent des quotas A et B est dénommé «sucre C» et ne peut être vendu à l’intérieur de la Communauté, sauf à être reversé dans les quotas A et B de la saison suivante.

8.       À l’exception des exportations de sucre C, les exportations en dehors de la Communauté bénéficient, en vertu de l’article 18 du règlement n° 2038/1999, de restitutions à l’exportation pour compenser la différence entre le prix sur le marché communautaire et le prix sur le marché mondial.

9.        La quantité de sucre pouvant bénéficier d’une restitution à l’exportation et le montant total annuel des restitutions sont régis par les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (ci-après les «accords OMC»), auxquels la Communauté est partie, conformément à la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994  (6) . Au plus tard à compter de la campagne 2000/2001, la quantité de sucre exportée avec restitution et le montant total des restitutions devaient être limités à 1 273 500 tonnes et à 499,1 millions d’euros, ce qui représente une diminution, respectivement, de 20 et de 36 % par rapport aux chiffres relatifs à la campagne 1994/1995.

B –    Le régime d’association des PTOM à la Communauté

10.      L’article 3, paragraphe 1, sous s), CE prévoit que l’action de la Communauté comporte l’association avec des PTOM, en vue d’accroître les échanges et de poursuivre en commun l’effort de développement économique et social.

11.      Aux termes de l’article 299, paragraphe 3, CE et de l’annexe II du traité CE, Aruba et les Antilles néerlandaises font partie des PTOM.

12.      Conformément à l’article 182 CE, l’association a pour but de promouvoir le développement économique et social des PTOM et d’instaurer des relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble. L’article 183, point 1, CE précise que les États membres appliquent à leurs échanges commerciaux avec les PTOM le régime qu’ils s’accordent entre eux en vertu du traité.

13.      En vertu de l’article 187 CE, le Conseil a adopté plusieurs décisions établissant les modalités et la procédure de l’association entre les PTOM et la Communauté. La décision pertinente en l’espèce est la décision 91/482/CEE du Conseil, du 25 juillet 1991  (7) , qui, selon son article 240, paragraphe 1, est applicable pour une période de dix ans à compter du 1 er  mars 1990.

14.      Différentes dispositions de cette décision ont été modifiées par la décision 97/803/CE du Conseil, du 24 novembre 1997, portant révision à mi‑parcours de la décision 91/482  (8) . En outre, le 25 février 2000, le Conseil a prorogé cette décision jusqu’au 28 février 2001  (9) .

15.      En vertu de l’article 101, paragraphe 1, de la décision PTOM, les produits originaires des PTOM sont admis à l’importation dans la Communauté en exemption de droits de douane. L’article 102 de ladite décision ajoute que, «[s]ans préjudice [de l’article] 108 ter, la Communauté n’applique pas à l’importation des produits originaires des PTOM de restrictions quantitatives, ni de mesures d’effet équivalent».

16.      L’article 108, paragraphe 1, premier tiret, de la décision PTOM renvoie à l’annexe II de celle-ci (ci-après l’«annexe II») pour la définition, notamment, de la notion de «produits originaires». En vertu de l’article 1 er de cette annexe, un produit est considéré comme originaire des PTOM, de la Communauté ou des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ci-après les «États ACP») s’il y a été soit entièrement obtenu, soit suffisamment transformé.

17.      L’article 3, paragraphe 3, de l’annexe II dresse une liste d’ouvraisons ou de transformations considérées comme insuffisantes pour conférer le caractère originaire à un produit en provenance, notamment, des PTOM.

18.      L’article 6, paragraphe 2, de l’annexe II dispose toutefois: «[l]orsque des produits entièrement obtenus dans la Communauté ou dans les États ACP font l’objet d’ouvraisons ou de transformations dans les PTOM, ils sont considérés comme ayant été entièrement obtenus dans les PTOM». Il s’agit des règles dites «de cumul d’origine CE/PTOM et ACP/PTOM».

19.      En vertu de l’article 6, paragraphe 4, de l’annexe II, ces règles de cumul d’origine CE/PTOM et ACP/PTOM sont applicables à «toute ouvraison ou transformation effectuée dans les PTOM, en ce compris les opérations énumérées à l’article 3, paragraphe 3».

20.      La décision 97/803 a cependant limité l’application de ces règles de cumul en insérant, dans la décision 91/482, l’article 108 ter. Le paragraphe 1 de ce texte dispose que «le cumul d’origine ACP/PTOM visé à l’article 6 de l’annexe II est admis pour une quantité annuelle de 3 000 tonnes de sucre». La décision 97/803 n’a toutefois pas limité l’application de la règle du cumul d’origine CE/PTOM.

C –    Les mesures de sauvegarde litigieuses

21.      L’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM permet à la Commission de prendre «les mesures de sauvegarde nécessaires» dans deux hypothèses. La première est celle où «l’application de la [décision PTOM] entraîne des perturbations graves dans un secteur d’activité économique de la Communauté ou d’un ou de plusieurs États membres, ou compromet leur stabilité financière extérieure». La seconde hypothèse est celle où «des difficultés surgissent, qui risquent d’entraîner la détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté ou d’une région de celle-ci».

22.      Dans les deux cas, la Commission doit cependant, en vertu de l’article 109, paragraphe 2, de la décision PTOM, choisir «les mesures qui apportent le minimum de perturbations au fonctionnement de l’association et de la Communauté». En outre, «[c]es mesures ne doivent pas avoir une portée dépassant celle strictement indispensable pour remédier aux difficultés qui se sont manifestées».

23.      Le 15 novembre 1999, la Commission a, sur le fondement de l’article 109 de la décision PTOM, adopté le règlement (CE) n° 2423/1999 instaurant des mesures de sauvegarde concernant le sucre du code NC 1701 et les mélanges de sucre et de cacao relevant des codes NC 1806 10 30 et 1806 10 90 originaires des PTOM  (10) . Par ce règlement, applicable jusqu’au 29 février 2000, la Commission a soumis les importations de sucre cumulant l’origine CE/PTOM à un régime de prix minimaux et a soumis les importations de mélanges de sucre et de cacao (ci‑après les «mélanges») originaires des PTOM à la procédure de surveillance communautaire prévue à l’article 308 quinquies du règlement (CEE) n° 2454/93  (11) , tel que modifié par le règlement (CE) n° 1427/97 de la Commission, du 23 juillet 1997  (12) .

24.      Le 29 février 2000, la Commission a adopté, également sur le fondement de l’article 109 de la décision PTOM, le règlement (CE) n° 465/2000 instaurant des mesures de sauvegarde concernant les importations à partir des PTOM de produits du secteur du sucre cumulant l’origine CE/PTOM  (13) .

25.      Le préambule de ce texte indique:

«(1)
La Commission a constaté que les importations de sucre (code NC 1701) et de mélanges [...] relevant des codes NC 1806 10 30 et 1806 10 90 en provenance des [PTOM] sont en très forte progression à partir de l’année 1997, notamment en l’état cumulant l’origine CE/PTOM. Ces importations se sont développées de 0 tonne en 1996 à plus de 48 000 tonnes en 1999 [...].

[...]

(4)
Des difficultés ont surgi les dernières années sur le marché du sucre communautaire. Ce marché est un marché excédentaire. La consommation de sucre est constante sur un niveau d’autour de 12,7 millions de tonnes. La production se situe entre 16,7 et 17,8 millions de tonnes. Donc, toute importation dans la Communauté de sucre déplace à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire qui ne peut être écoulée sur ce marché; des restitutions pour ce sucre – dans la limite de certains quotas – sont payées à la charge du budget communautaire (à ce jour d’environ 520 euros par tonne). Toutefois, les exportations avec restitutions sont limitées dans leur volume par l’accord sur l’agriculture conclu dans le cadre du cycle de l’Uruguay et réduites de 1 555 600 tonnes pour la campagne 1995/1996 à 1 273 500 tonnes dans la campagne 2000/2001.

(5)
Ces difficultés risquent de déstabiliser fortement l’OCM (organisation commune de marché) du sucre. Pour la campagne de commercialisation 2000/2001, qui commence le 1 er juillet 2000, il est envisagé, sur la base des estimations les plus prudentes actuellement disponibles, de réduire les quotas des producteurs communautaires d’environ 500 000 tonnes [...]. Chaque importation supplémentaire de sucre et de produits en forte concentration de sucre en provenance des PTOM nécessitera une réduction plus importante des quotas des producteurs communautaires et, donc, une perte plus grande de garantie de leur revenu.»

26.      La Commission a donc décidé de limiter le cumul d’origine CE/PTOM visé à l’article 6 de l’annexe II de la décision PTOM à une quantité de 3 340 tonnes de sucre pour le sucre et les mélanges.

27.      Conformément à son article 3, le règlement n° 465/2000 était applicable du 1 er mars au 30 septembre 2000.

28.      Le 29 septembre 2000, la Commission a adopté, toujours sur le fondement de l’article 109 de la décision PTOM, le règlement (CE) n° 2081/2000 continuant l’application des mesures de sauvegarde concernant les importations à partir des PTOM de produits du secteur du sucre cumulant l’origine CE/PTOM  (14) .

29.      Le préambule de ce texte indique:

«(1)
La Commission a constaté que les importations de sucre (code NC 1701) et de mélanges [...] relevant des codes NC 1806 10 30 et 1806 10 90 en provenance des [PTOM] ont été en très forte progression à partir de l’année 1997 jusqu’à l’année 1999 [...]. Ces importations se sont développées de 0 tonne en 1996 à 53 000 tonnes en 1999 [...].

[...]

(4)
Des difficultés ont surgi les dernières années sur le marché du sucre communautaire. Ce marché est un marché excédentaire. La consommation de sucre est constante sur un niveau d’autour de 12,8 millions de tonnes par an. La production sous quota est d’environ 14,3 millions de tonnes par an. Donc, toute importation dans la Communauté de sucre déplace à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire qui ne peut être écoulée sur ce marché: des restitutions pour ce sucre – dans la limite de certains quotas – sont payées à la charge du budget communautaire (à ce jour environ 520 euros par tonne). Toutefois, les exportations avec restitutions sont limitées dans leur volume par l’accord sur l’agriculture conclu dans le cadre du cycle de l’Uruguay […] et réduites de 1 555 600 tonnes pour la campagne 1995/1996 à 1 273 500 tonnes dans la campagne 2000/2001.

(5)
Ces difficultés risquent de déstabiliser fortement l’organisation commune de marché (OCM) du sucre. Pour la campagne de commercialisation 2000/2001, la Commission a décidé de réduire les quotas des producteurs communautaires d’environ 500 000 tonnes [...]. Chaque importation supplémentaire de sucre et de produits à forte concentration de sucre en provenance des PTOM nécessitera une réduction plus importante des quotas des producteurs communautaires et, donc, une perte plus grande de garantie de leur revenu.

(6)
Par conséquent, des difficultés comportant le risque d’une détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté continuent à exister [...]».

30.      La Commission a donc limité le cumul d’origine CE/PTOM à 4 848 tonnes de sucre pour les produits relevant des codes tarifaires NC 1701, 1806 10 30 et 1806 10 90.

31.      Conformément à son article 3, le règlement n° 2081/2000 était applicable du 1 er  octobre 2000 au 28 février 2001.

II –   Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

32.      Par requêtes déposées au cours de l’année 2000, plusieurs entreprises de transformation de sucre établies dans les PTOM (Aruba et Antilles néerlandaises) ont introduit des recours devant le Tribunal.

33.      Chacune de ces entreprises concluait à l’annulation, notamment, des règlements n os  465/2000 et 2081/2000 (ci-après les «règlements litigieux») ainsi qu’à la condamnation de la Communauté à réparer le préjudice qu’elles estimaient avoir subi en raison de l’adoption de ces mesures.

34.      Par ses arrêts Rica Foods II et Rica Foods III  (15) , le Tribunal a rejeté ces demandes et a condamné les requérantes aux dépens de l’instance.

III –   La procédure devant la Cour et les conclusions du pourvoi

35.      Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 29 janvier 2003 (affaires C‑40/03 P et C-41/03 P), Rica Foods a introduit un pourvoi contre ces arrêts.

36.      Rica Foods conclut à l’annulation des arrêts attaqués et à la condamnation de la Commission aux dépens. Elle demande, en outre, à la Cour d’évoquer les litiges et d’accueillir les demandes en annulation et en indemnité qu’elle avait formées en première instance.

37.      Dans les deux affaires, la Commission, partie défenderesse, et le Royaume d’Espagne, partie intervenante en première instance, concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens de l’instance. La République française, également partie intervenante en première instance, présente les mêmes conclusions dans l’affaire C-41/03 P.

IV –   Sur les pourvois

38.      Bien que les pourvois soient relativement confus, on peut considérer que Rica Foods invoque six moyens à l’appui de ses conclusions:

violation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM;

erreurs dans l’appréciation des effets des importations litigieuses; 

dénaturation des règlements litigieux;

erreurs dans l’interprétation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM;

violation de l’article 109, paragraphe 2, de la décision PTOM, et

violation du statut préférentiel des PTOM.

39.      Avant d’examiner ces différents moyens, on indiquera que la motivation de l’arrêt Rica Foods II est quasi identique à celle de l’arrêt Rica Foods III et que, en outre, la requérante avance les mêmes griefs à l’encontre des deux arrêts. Pour des raisons de pure commodité, nous nous référerons donc uniquement, dans la suite de nos conclusions, au premier arrêt et au pourvoi dirigé contre celui-ci sans rappeler, à chaque fois, que nos développements valent également pour la seconde affaire.

A –    Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM

40.      Le premier moyen est dirigé contre le point 86 de l’arrêt Rica Foods II.

41.      Dans ce point, le Tribunal a jugé que «les institutions communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour l’application de l’article 109 de la décision PTOM». Il a ajouté que, «[e]n présence d’un tel pouvoir, il incombe au juge communautaire de se limiter à examiner si l’exercice de ce pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si les institutions communautaires n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation».

42.      Rica Foods soutient que, en reconnaissant un tel pouvoir à la Commission, le Tribunal a méconnu l’article 109 de la décision PTOM. Elle estime, en effet, que cette disposition est une exception au principe, posé à l’article 101, paragraphe 1, de la décision PTOM, de l’interdiction des droits de douane à l’égard des produits originaires des PTOM et que, comme toute exception, elle aurait dû faire l’objet d’une interprétation stricte. Le Tribunal ne pouvait donc pas, selon elle, reconnaître à la Commission un large pouvoir d’appréciation dans ce domaine.

43.      Il faut souligner que, en reconnaissant un tel pouvoir à la Commission, le Tribunal s’est limité à appliquer une jurisprudence constante de la Cour. Celle-ci considère, en effet, que les institutions communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour l’application de l’article 109 de la décision PTOM et que, en présence d’un tel pouvoir, le contrôle du juge doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de l’absence de détournement de pouvoir  (16) .

44.      Contrairement à ce que soutient Rica Foods, la reconnaissance d’un tel pouvoir à une institution communautaire n’est pas liée au caractère dérogatoire ou non de la disposition en cause.

45.      En effet, au regard de la jurisprudence, il nous semble qu’il est possible de distinguer deux catégories de «pouvoir discrétionnaire». La première catégorie est celle de ce que l’on pourrait appeler le pouvoir discrétionnaire de nature «politique». Ce pouvoir est généralement reconnu aux institutions lorsqu’elles agissent en leur qualité d’autorités «politiques» et, notamment, lorsqu’elles légifèrent dans un domaine donné ou lorsqu’elles définissent les orientations d’une politique communautaire. Dans ce cas, la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire est justifiée par le fait que les institutions doivent généralement opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques qui relèvent de leurs responsabilités  (17) . Le pouvoir discrétionnaire de nature «politique» correspond ainsi aux responsabilités politiques qu’une disposition communautaire confie à une institution  (18) .

46.      La seconde catégorie couvrirait ce que l’on pourrait appeler le pouvoir discrétionnaire de nature «technique». Ce pouvoir est généralement reconnu aux institutions lorsqu’elles agissent en leur qualité d’autorités «administratives» et, notamment, lorsqu’elles adoptent des décisions individuelles en matière de concurrence ou d’aides d’État, ou encore lorsqu’elles prennent des mesures de protection antidumping concrètes. Dans ce cas, la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire aux institutions est justifiée par la complexité technique, économique et juridique des situations qu’elles doivent examiner et des appréciations qu’elles doivent porter  (19) .

47.      Il est constant que, dans les deux cas, la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire dans le chef d’une institution implique une limitation du contrôle juridictionnel. On l’a dit  (20) , la Cour considère que, en présence d’un tel pouvoir, le contrôle du juge doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de l’absence de détournement de pouvoir.

48.      Comme l’a souligné l’avocat général Poiares Maduro  (21) , la limitation ne porte donc pas sur l’étendue du contrôle juridictionnel: dans tous les cas, le contrôle s’attache aux différents vices énoncés à l’article 230 CE, à savoir l’incompétence, la violation de formes substantielles, la violation d’une règle de droit et le détournement de pouvoir. La limitation porte plutôt sur l’ intensité du contrôle, en ce sens que le juge se bornera à vérifier l’absence de violations évidentes et d’erreurs manifestes dans le respect du droit applicable et dans l’appréciation des faits pertinents.

49.      Cela dit, il nous semble que l’intensité du contrôle juridictionnel varie selon que l’on est en présence d’un pouvoir discrétionnaire de nature politique ou d’un pouvoir discrétionnaire de nature technique. En effet, même si, dans les deux cas, le contrôle du juge est clairement limité à l’«erreur manifeste», il nous semble, au regard de la jurisprudence, que le contrôle du juge est moins poussé lorsque l’acte en cause résulte de l’exercice, par une institution, d’un pouvoir discrétionnaire de nature politique.

50.      Quoi qu’il en soit, ces différents éléments suffisent largement pour constater que le premier moyen de Rica Foods n’est pas fondé. Il en résulte, en effet, que la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire dans le chef d’une institution n’est, en aucune manière, liée au caractère dérogatoire ou non de la disposition en cause. Ce pouvoir correspond, en l’espèce, aux responsabilités politiques que l’article 109 de la décision PTOM a confiées aux institutions  (22) . La jurisprudence offre, d’ailleurs, de nombreux exemples de cas où les institutions se sont vu reconnaître un large pourvoir d’appréciation dans le cadre de l’application de dispositions dérogatoires, telles que l’article 87, paragraphe 3, CE  (23) , l’article 81, paragraphe 3, CE avant l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1/2003  (24) , ou l’article 108, paragraphe 3, du traité CEE avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht  (25) .

51.      Compte tenu de ces éléments, nous proposons donc à la Cour de rejeter le premier moyen comme non fondé.

B –    Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation des effets des importations litigieuses

52.      Par son deuxième moyen, Rica Foods soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs dans l’appréciation des effets des importations litigieuses.

53.      En première instance, elle avait contesté plusieurs affirmations de la Commission. Elle avait soutenu, notamment, que les importations supplémentaires de sucre cumulant l’origine CE/PTOM n’augmentaient pas l’excédent de sucre sur le marché communautaire et qu’elles n’entraînaient pas de coûts additionnels pour le budget de la Communauté.

54.      Le Tribunal a rejeté ces arguments pour les raisons suivantes:

«95
[…] il ressort des statistiques de l’Office des statistiques des Communautés européennes (Eurostat) produites par la Commission que, en 1996, les importations de sucre originaire des PTOM étaient de 2 251,1 tonnes et qu’il n’y avait pas d’importation de mélanges originaires des PTOM. [Il est constant] que les 2 251,1 tonnes de sucre importées portaient sur du sucre cumulant l’origine ACP/PTOM [et que], en 1996, il n’y avait pas d’importations de sucre dans la Communauté sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM [...].

96
Ensuite, il ressort des statistiques d’Eurostat que, en 1999, les importations dans la Communauté de sucre sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM étaient de 35 791,8 tonnes alors que les importations de mélanges étaient de 12 420 tonnes.

97
C’est donc à juste titre que la Commission a constaté [...] que les importations dans la Communauté de sucre relevant du code NC 1701 et de mélanges de sucre et de cacao relevant des codes NC 1806 10 30 et 1806 10 90 en provenance des PTOM en l’état cumulant l’origine CE/PTOM ‘se sont développées de 0 tonne en 1996 à plus [de] 48 000 tonnes en 1999’ [et qu’il s’agissait] d’une ‘très forte progression’ [...].

98
Les parties requérantes contestent [...] l’affirmation [...] selon laquelle les importations dans la Communauté de sucre sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM entraîneraient une exportation avec restitution d’une quantité correspondante de sucre communautaire [...].

99
À cet égard, le Tribunal constate d’abord que les parties requérantes reconnaissent que le marché communautaire du sucre est excédentaire. La production communautaire des sucres A et B, à savoir le sucre qui peut être écoulé sur le marché communautaire et qui bénéficie à l’exportation d’une restitution, excède déjà la consommation communautaire de sucre [...].

100
En outre, comme l’a souligné la Cour dans son arrêt du 8 février 2000, Emesa Sugar ([précité,] point 56), la Communauté est tenue d’importer une certaine quantité de sucre de pays tiers en vertu des accords OMC.

101
Dans ces conditions, si la production de sucre communautaire n’est pas réduite, toute importation supplémentaire de sucre sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM augmentera l’excédent de sucre sur le marché communautaire et conduira à une augmentation des exportations subventionnées (voir arrêt Emesa Sugar, cité au point 100 ci-dessus, point 56).

102
Le Tribunal constate donc que la Commission a pu, à bon droit, considérer [...] que ‘toute importation dans la Communauté de sucre déplace à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire qui ne peut être écoulée sur ce marché’ […].

[...]

116
Enfin, les parties requérantes font observer que [...] les importations de sucre des PTOM ne grèveraient pas le budget communautaire. En effet, dans la mesure où ces importations déplaceraient à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire, les restitutions à l’exportation liées à ces exportations seraient supportées par les producteurs européens de sucre de betterave, par le biais du système d’autofinancement, et donc en fin de compte par les consommateurs européens [...].

[…]

118
Le Tribunal rappelle que les difficultés évoquées dans le règlement attaqué sont la forte croissance des importations de sucre ou de mélanges, bénéficiant du cumul d’origine CE/PTOM, la situation excédentaire du marché du sucre communautaire donnant lieu à des exportations subventionnées et les obligations découlant des accords OMC [...].

119
Or, vu la situation excédentaire du marché communautaire, le sucre d’origine PTOM importé se substituera au sucre communautaire, qui, afin de maintenir l’équilibre de l’organisation commune des marchés, devra être exporté.

120
Même si les exportations de sucre communautaire sont en grande partie financées par l’industrie sucrière communautaire et donc par le consommateur, le Tribunal constate que les accords OMC limitent les subventions à l’exportation, indépendamment du point de savoir qui supporte finalement le coût de ces subventions, et que chaque importation supplémentaire aggrave la situation sur un marché déjà excédentaire.

121
Il résulte de tout ce qui précède [que les] arguments soulevés [par Rica Foods] ne peu[ven]t prospérer.»

55.      Le deuxième moyen comporte deux branches, qu’il convient d’examiner successivement  (26) .

56.      Dans la première branche, Rica Foods avance plusieurs arguments visant à démontrer que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 99 à 102 de l’arrêt attaqué, les importations de sucre cumulant l’origine CE/PTOM n’ont pas eu pour effet d’augmenter l’excédent de sucre sur le marché communautaire  (27) .

57.      Sur ce point, on rappellera que, en vertu d’une jurisprudence constante  (28) , la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise au contrôle de la Cour.

58.      Or, en l’espèce, le Tribunal a constaté, sur la base des éléments du dossier, que, vu que la production communautaire de sucre est déjà excédentaire, «toute importation supplémentaire de sucre sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM augmentera l’excédent de sucre sur le marché communautaire et conduira à une augmentation des exportations subventionnées»  (29) .

59.      Dans ces conditions, la première branche du moyen est manifestement irrecevable. En effet, dans la mesure où la requérante n’a pas démontré, ni même soutenu, que le Tribunal avait dénaturé les éléments de fait et de preuve produits devant lui, son appréciation relative à l’augmentation de l’excédent de sucre sur le marché communautaire constitue une appréciation de fait qui ne peut être mise en cause dans le cadre des présents pourvois.

60.      Dans la seconde branche, Rica Foods soutient que le Tribunal a commis une erreur en jugeant, aux points 118 à 120 de l’arrêt attaqué, que les importations de sucre cumulant l’origine CE/PTOM engendraient des coûts supplémentaires pour le budget communautaire. Elle souligne que les restitutions à l’exportation de sucres A et B sont intégralement financées par les producteurs, au moyen de cotisations qu’ils répercutent sur les consommateurs. Dans la mesure où les importations litigieuses déplacent à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire, ces importations seraient donc sans incidence sur le budget de la Communauté.

61.     À cet égard, il suffit de constater que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas jugé que les importations litigieuses entraînaient des coûts supplémentaires pour le budget de la Communauté. Au contraire, il a souligné que, vu la situation excédentaire du marché communautaire et la limitation des exportations subventionnées prévue par les accords OMC, chaque importation supplémentaire de sucre aggrave la situation «indépendamment du point de savoir qui supporte finalement le coût de ces subventions» à l’exportation  (30) .

62.      En conséquence, le deuxième moyen de Rica Foods doit être rejeté.

C –    Sur le troisième moyen, tiré d’une dénaturation des règlements litigieux

63.      Le troisième moyen vise les points 107 et 108 de l’arrêt Rica Foods II. Le Tribunal y a jugé ceci:

«107
Les parties requérantes font valoir que ni l’augmentation des importations dans la Communauté de sucre et de mélanges sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM, ni l’excédent de production, ou les obligations découlant des accords OMC, ne constituent des difficultés, au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM, qui peuvent justifier l’adoption d’une mesure de sauvegarde.

108
Le Tribunal constate, à titre liminaire, que la Commission n’a jamais prétendu que chacune des difficultés qu’elle a identifiées pourrait justifier séparément l’adoption d’une mesure de sauvegarde. Au contraire, il ressort d[es] règlement[s] attaqué[s] que les difficultés évoquées par la Commission sont intimement liées. En effet, selon la Commission, la situation excédentaire du marché a pour effet que toute tonne supplémentaire importée conduira à une augmentation des subventions à l’exportation, augmentation qui, à son tour, est susceptible de se heurter aux limites prévues par les accords OMC.»

64.      Rica Foods soutient que, sur ce point, le Tribunal a dénaturé les règlements litigieux. En effet, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la Commission n’aurait jamais considéré, dans les règlements litigieux, que les «difficultés» visées à l’article 109 de la décision PTOM résultaient, en l’espèce, de la combinaison des trois éléments susvisés, à savoir la situation excédentaire du marché communautaire, l’augmentation des importations litigieuses et les limites imposées par les accords OMC. Le Tribunal aurait donc substitué sa propre motivation à celle des règlements litigieux.

65.      Il convient de rappeler que, si le Tribunal est seul compétent pour apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve produits devant lui (31) , la question de la dénaturation de ces éléments ou de la dénaturation de l’acte attaqué est une question qui peut être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi  (32) . Un moyen tiré de la dénaturation de l’acte attaqué vise à faire constater que le Tribunal a altéré le sens, le contenu ou la portée de l’acte contesté. La dénaturation peut ainsi résulter d’une modification du contenu de l’acte  (33) , d’une absence de prise en considération de ses aspects essentiels  (34) ou d’une absence de prise en compte de son contexte  (35) .

66.      Le présent moyen étant tiré d’une dénaturation des règlements litigieux, il est donc, contrairement à ce que suggère le gouvernement français  (36) , recevable en application de la jurisprudence de la Cour.

67.      Toutefois, nous pensons que ce moyen est manifestement non fondé.

68.      En effet, une simple lecture des règlements litigieux permet de s’apercevoir que la Commission a effectivement considéré que, en l’espèce, les «difficultés» visées à l’article 109 de la décision PTOM résultaient de la combinaison de trois facteurs.

69.      Ainsi, après avoir constaté que les importations de sucre et de mélanges en provenance des PTOM «sont en très forte progression»  (37) , la Commission indique que «[d]es difficultés ont surgi les dernières années»  (38) . Elle explique que «le marché du sucre communautaire [...] est un marché excédentaire [et que, en conséquence,] toute importation dans la Communauté de sucre déplace à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire»  (39) . Elle précise également que «des restitutions pour ce sucre […] sont payées [mais que] les exportations avec restitutions sont [désormais] limitées dans leur volume par l[es] accord[s OMC]»  (40) . La Commission en déduit que «[c]haque importation supplémentaire de sucre et de produits en forte concentration de sucre en provenance des PTOM nécessitera une réduction plus importante des quotas des producteurs communautaires et, donc, une perte plus grande de garantie de leur revenu»  (41) .

70.      Il en résulte que la Commission a effectivement considéré que les difficultés visées à l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM résultaient de la combinaison de plusieurs facteurs, à savoir l’augmentation des importations litigieuses, la situation excédentaire du marché communautaire et la limitation des restitutions à l’exportation découlant des accords OMC. Contrairement à ce que soutient Rica Foods, le Tribunal n’a donc pas dénaturé les règlements litigieux sur ce point.

D –    Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs dans l’interprétation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM

71.      Par son quatrième moyen, Rica Foods reproche au Tribunal d’avoir commis plusieurs erreurs dans l’interprétation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

72.      En première instance, elle avait soutenu que les éléments avancés par la Commission ne pouvaient pas être considérés comme des «difficultés» risquant d’entraîner la «détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

73.      Le Tribunal a écarté ces arguments. S’agissant, tout d’abord, de l’existence de «difficultés» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM, il a indiqué:

«108
[...] il ressort d[es] règlement[s] attaqué[s] que les difficultés évoquées par la Commission sont intimement liées. En effet, selon la Commission, la situation excédentaire du marché a pour effet que toute tonne supplémentaire importée conduira à une augmentation des subventions à l’exportation, augmentation qui, à son tour, est susceptible de se heurter aux limites prévues par les accords OMC.

[...]

112
Quant à l’excédent de production et aux obligations découlant des accords OMC, les parties requérantes font observer, d’une part, que l’excédent de production existe depuis une trentaine d’années et, d’autre part, que les accords OMC, qui prévoient des plafonds pour la subvention des exportations de sucre, ont été conclus en 1994. Il ne s’agirait donc pas de ‘difficultés’ au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

113
Le Tribunal rappelle que le volume des exportations de sucre qui peuvent bénéficier de subventions a été réduit par les accords OMC, et notamment par la liste CXL. Alors que, pour la campagne 1995/1996, le volume des exportations qui pouvaient être subventionnées était de 1 555 600 tonnes, ce volume a été réduit à 1 273 500 tonnes pour la campagne 2000/2001.

114
Or, vu la situation excédentaire du marché communautaire de sucre, toute importation supplémentaire de sucre dans la Communauté déplace à l’exportation une quantité correspondante de sucre communautaire [...]. L’augmentation des importations de sucre ou de mélanges, bénéficiant du cumul d’origine CE/PTOM, est donc de nature à poser des difficultés au regard des obligations qui découlent des accords OMC.

115
Même si le plafond pour la campagne 2000/2001 était déjà connu depuis 1994 et même si la situation excédentaire du marché communautaire existe déjà depuis des décennies, il n’en reste pas moins que la Commission a pu raisonnablement considérer que la forte croissance des importations de sucre et de mélanges sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM constituait, dans le contexte du marché communautaire excédentaire, une ‘difficulté’ au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM, d’autant plus que le plafond prévu dans les accords OMC rendait déjà nécessaire une réduction substantielle des quotas communautaires de production pour la campagne 2000/2001 [...]».

74.      S’agissant, ensuite, de l’existence d’un risque de «détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté», le Tribunal a développé le raisonnement suivant:

«123
Les parties requérantes font valoir qu’il y aurait détérioration ou menace de détérioration au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM en cas de chute des prix sur le marché du sucre ou en cas de détérioration radicale de la situation dans le secteur du sucre qui se traduirait par des pertes, des licenciements, etc. Toutefois, l’industrie sucrière européenne serait en pleine santé. Les prix du sucre ne seraient pas à la baisse.

124
Le Tribunal estime que les circonstances auxquelles se réfèrent les parties requérantes sont de nature à démontrer qu’il y a détérioration ou menace de détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM. Toutefois, une situation dans laquelle une réduction des quotas de production des producteurs communautaires est nécessaire est aussi révélatrice d’une détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté. En effet, une telle réduction affecte directement le revenu des producteurs communautaires.

125
Les parties requérantes contestent la nécessité de réduire les quotas communautaires de production de sucre à concurrence de 500 000 tonnes en raison des accords OMC [...].

126
À cet égard, le Tribunal rappelle que la production communautaire du sucre dépasse la consommation de sucre dans la Communauté [...]. En outre, comme la Cour l’a relevé dans son arrêt Emesa Sugar, [précité] (point 56), la Communauté est obligée ‘d’importer une certaine quantité de sucre de pays tiers, en vertu des accords conclus au sein de l’[OMC]’. À tout cela s’ajoutent encore ‘les importations de sucre de canne en provenance des États ACP pour faire face à la demande spécifique de ce produit’ (arrêt Emesa Sugar, [précité,] point 56).

127
Les parties requérantes ne contestent pas qu’il existe un lien entre le respect des obligations découlant des accords OMC, d’une part, et la réduction des quotas communautaires de production annoncée dans le règlement attaqué, d’autre part. Elles contestent toutefois le chiffre de 500 000 tonnes avancé dans le règlement attaqué.

128
Or, il ressort du règlement (CE) n° 2073/2000 de la Commission, du 29 septembre 2000, portant, pour la campagne de commercialisation 2000/2001, réduction dans le secteur du sucre de la quantité garantie dans le cadre du régime des quotas de production et des besoins maximaux supposés d’approvisionnement des raffineries dans le cadre des régimes d’importations préférentielles (JO L 246, p. 38), que la Commission a effectivement réduit les quotas de production pour la campagne 2000/2001 de 478 277 tonnes pour les sucres A et B [...].

129
Les parties requérantes soutiennent ensuite que le niveau des importations dans la Communauté de sucre et de mélanges sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM est négligeable lorsque le volume des importations de sucre originaire des PTOM est comparé à la production communautaire de sucre et aux quantités de sucre importées de certains pays tiers.

130
[Rica Foods] calcule que les importations de sucre et de mélanges, bénéficiant du cumul d’origine ACP/PTOM et CE/PTOM, représentaient, en 1999, 0,320 % (code NC 1701) et 0,102 % (code NC 1806) de la production communautaire. Les importations bénéficiant du cumul d’origine CE/PTOM auraient représenté, en 1999, 40 000 tonnes, c’est-à-dire moins que ce qu’un seul pays ACP comme la Barbade (49 300 tonnes) peut importer annuellement dans la Communauté.

131
Cet argument ne peut pas prospérer. Le Tribunal rappelle à cet égard que la Commission a pu raisonnablement considérer que la très forte progression des importations de sucre et de mélanges sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM dans le contexte spécifique du marché du sucre communautaire excédentaire et des obligations découlant des accords OMC était constitutive de ‘difficultés’ au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

132
Or, tenant compte des obligations découlant des accords OMC, qui limitent les subventions à l’exportation, il est raisonnable de considérer que ‘[c]haque importation supplémentaire de sucre et de produits en forte concentration de sucre en provenance des PTOM nécessitera une réduction plus importante des quotas des producteurs communautaires et, donc, une perte plus grande de garantie de leur revenu’ [...]. Le Tribunal souligne, à cet égard, que les importations de sucre ou de mélanges, bénéficiant du cumul d’origine CE/PTOM, représentaient, au moment de l’adoption du règlement attaqué, environ 10 % de la réduction des quotas de production communautaires annoncée dans le règlement attaqué et que la capacité de production de sucre dans les PTOM s’élevait à un niveau de 100 000 à 150 000 tonnes par an [...].

133
La Cour a déjà jugé qu’une réduction de la production communautaire pour faire face à une augmentation des importations de sucre originaire des PTOM ‘perturb[e] l’organisation commune de[s] marché[s] du sucre [...] et [serait] [...] contraire aux objectifs de la politique agricole commune’ (arrêt Emesa Sugar, [précité,] point 56).

134
Dans ce contexte, la Commission a pu raisonnablement considérer [dans les] règlement[s] attaqué[s] que les importations accrues de sucre originaire des PTOM risquaient de déstabiliser fortement l’organisation commune des marchés du sucre.»

75.      Dans l’arrêt Rica Foods III, le Tribunal a ajouté:

«127
Les parties requérantes soulignent encore qu’une réduction des quotas de production de sucres A et B ne conduit pas nécessairement à une perte de revenus pour les agriculteurs. Ceux-ci pourraient, en effet, décider de cultiver d’autres produits.

128
Toutefois, le Tribunal constate que, indépendamment de la question de savoir si d’autres cultures pouvaient s’avérer aussi rentables que la culture du sucre, la nécessité d’une réduction substantielle des quotas de production de sucres A et B établit, en tant que telle, l’existence d’une détérioration, ou à tout le moins d’une menace de détérioration, d’un secteur d’activité de la Communauté au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.»

76.      En conséquence, le Tribunal a conclu que la Commission n’avait commis aucune erreur manifeste d’appréciation en estimant que l’augmentation des importations litigieuses constituait des «difficultés» susceptibles d’entraîner la «détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté», au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

77.      Bien que les pourvois soient particulièrement confus sur ce point, on peut considérer que le quatrième moyen se compose de quatre branches, que nous examinerons successivement.

78.      Dans la première branche, Rica Foods souligne que les différents éléments avancés par la Commission – à savoir l’augmentation des importations litigieuses, l’excédent de la production communautaire et la limitation des restitutions à l’exportation – étaient non seulement prévisibles, mais également, dans une certaine mesure, souhaités par le législateur communautaire. Ainsi, aux termes de la décision PTOM, le développement des importations des produits PTOM constituerait le principal objectif de la coopération commerciale instaurée par cette décision. De même, la limitation des restitutions à l’exportation, figurant dans la liste CXL, résulterait d’un choix délibéré du législateur communautaire.

79.      Rica Foods ajoute que ces différents éléments existaient déjà à l’époque de l’adoption de la décision PTOM et, en tout cas, à l’époque de la révision de celle-ci en 1997. Ainsi, le marché communautaire du sucre connaîtrait une situation excédentaire depuis 1968. Dans ces conditions, le Tribunal n’aurait pas pu considérer ces éléments comme des «difficultés» risquant de provoquer la «détérioration d’un secteur d’activité de la Communauté» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

80.      Selon nous, cette première branche repose sur une prémisse incorrecte. En effet, il ressort clairement des arrêts attaqués que, jusqu’en 1997, il n’y avait pas d’importation dans la Communauté de sucre et de mélanges sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM. Au point 110 de l’arrêt Rica Foods II, le Tribunal a constaté que les importations en cause «sont passées de 0 tonne en 1996 à plus de 48 000 tonnes en 1999». Il est donc faux d’affirmer, comme le fait la requérante, que les «difficultés» identifiées par la Commission existaient déjà à l’époque de l’adoption de la décision PTOM, en 1991, ou même à l’époque de la révision de celle-ci, en 1997.

81.      Quant au caractère prévisible ou souhaité de certains de ces éléments, à supposer qu’il soit établi  (42) , il ne serait pas, en soi, de nature à empêcher la Commission, puis le Tribunal, de constater que ces éléments constituaient des «difficultés» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM. En effet, le fait même qu’une clause de sauvegarde ait été insérée dans la décision PTOM, alors que celle-ci a pour objectif de développer les échanges avec les PTOM, montre que, malgré leur caractère souhaité, ces échanges pouvaient très bien être considérés, un jour, comme créant des «difficultés» ou un risque de «détérioration» pour un secteur d’activité de la Communauté.

82.      Dans la deuxième branche, Rica Foods soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 128 de l’arrêt Rica Foods III, la réduction des quotas de production, qui serait provoquée par les importations litigieuses, n’entraînerait aucune diminution de revenus pour les producteurs communautaires. En effet, la seule conséquence de la réduction des quotas serait que les producteurs iront cultiver un autre produit et relèveront d’un autre régime agricole garanti.

83.      Cet argument doit également être rejeté. En effet, la requérante n’avance aucun élément permettant d’établir que, en cas de réduction des quotas de production, les producteurs communautaires auront effectivement la possibilité de se tourner vers d’autres cultures. Cette affirmation est, d’ailleurs, sérieusement contestée par la Commission  (43) .

84.      En tout état de cause, Rica Foods n’a pas établi, ni même soutenu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que, «indépendamment de la question de savoir si d’autres cultures pouvaient s’avérer aussi rentables que la culture du sucre, la nécessité d’une réduction substantielle des quotas de production de sucres A et B établit, en tant que telle, l’existence d’une détérioration, ou [...] une menace de détérioration, d’un secteur d’activité de la Communauté au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM»  (44) .

85.      Dans la troisième branche de son moyen, Rica Foods rappelle que les importations litigieuses constituaient un volume négligeable par rapport à la production communautaire. Ainsi, en 1999, les importations de sucre cumulant l’origine ACP/PTOM et CE/PTOM n’auraient représenté que 0,320 % (code NC 1701) et 0,102 % (code NC 1806) de la production communautaire. La requérante estime donc que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que des quantités à ce point minimes pouvaient constituer des «difficultés» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM.

86.     À cet égard, on rappellera que, dans l’arrêt Emesa Sugar, précité, la Cour a jugé, à propos de l’adoption du contingent de 3 000 tonnes annuelles pour les importations de sucre ACP/PTOM, que «toute quantité supplémentaire de sucre, même minime au regard de la production communautaire, accédant au marché de la Communauté aurait contraint les institutions de cette dernière à augmenter le montant des subventions à l’exportation [...] ou à réduire les quotas des producteurs européens, ce qui aurait perturbé l’organisation commune du marché du sucre [...] et aurait été contraire aux objectifs de la politique agricole commune»  (45) . On rappellera également que, en 1996 et en 1997, au moment de l’adoption du contingent susvisé, les importations de sucre PTOM dans la Communauté s’élevaient, respectivement, à 2 251,1 tonnes et à 10 372,2 tonnes  (46) .

87.      Or, au moment de l’adoption des règlements litigieux, en 1999, les mêmes importations s’élevaient à 51 969,5 tonnes  (47) .

88.      Dans ces conditions, on ne voit pas en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit. En effet, dès lors que, en février 2000, la Cour a estimé que des importations de sucre de l’ordre de 10 000 tonnes présentaient un risque de perturbation pour l’organisation commune de marché du sucre, il était logique que, en novembre 2002, le Tribunal considère que des importations cinq fois supérieures constituaient des «difficultés» et une menace de «détérioration» pour la même organisation commune de marché.

89.      Enfin, dans la dernière branche, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 112 à 115 de l’arrêt Rica Foods II, que les importations de sucre PTOM pour la campagne 1999/2000 avaient une incidence sur les obligations de la Communauté résultant de la liste CXL. Rica Foods estime, au regard des modalités d’application des plafonds prévus par cette liste, que la Communauté disposait d’une marge suffisante pour accueillir l’augmentation des importations de sucre et de mélanges cumulant l’origine CE/PTOM pendant la campagne 1999/2000.

90.     À cet égard, il suffit de relever que, aux points 112 à 115 de l’arrêt Rica Foods II, le Tribunal n’a pas examiné la question de savoir si les plafonds fixés par les accords OMC permettaient d’accueillir les importations litigieuses pour la campagne 1999/2000. Au contraire, il a examiné l’argument de la requérante selon lequel l’excédent de production et les obligations découlant des accords OMC ne constituaient pas des «difficultés» au sens de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM au motif que «l’excédent de production existe depuis une trentaine d’années» et que «les accords OMC [...] ont été conclus en 1994»  (48) .

91.      Compte tenu de ces différents éléments, nous proposons donc à la Cour de rejeter le quatrième moyen dans son intégralité.

E –    Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 109, paragraphe 2, de la décision PTOM

92.      Le cinquième moyen est dirigé contre l’appréciation du Tribunal relative à la proportionnalité des mesures litigieuses.

93.      En première instance, le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas méconnu le principe de proportionnalité exprimé à l’article 109, paragraphe 2, de la décision PTOM en limitant les importations de sucre et de mélanges cumulant l’origine CE/PTOM à 3 340 tonnes dans le règlement n° 465/2000, puis à 4 848 tonnes dans le règlement n° 2081/2000  (49) .

94.      Dans son cinquième moyen, Rica Foods soutient que cette appréciation est contraire au principe de proportionnalité. Elle formule deux griefs à l’encontre du Tribunal.

95.      Premièrement, elle estime que les plafonds fixés par la Commission dans les règlements litigieux, à savoir 3 340 tonnes et 4 848 tonnes, sont beaucoup trop bas par rapport aux quantités de sucre PTOM importées dans la Communauté.

96.      Selon nous, ce premier grief est manifestement irrecevable.

97.      En effet, aux termes d’une jurisprudence constante  (50) , il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de cette dernière qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.

98.      Or, en l’espèce, Rica Foods s’est limitée à indiquer, dans ses pourvois, que:

«[...] la [Commission] et le Conseil restent en défaut d’expliquer [...] d’une manière plausible ou compréhensible quels intérêts et motifs [...] existaient pour limiter les importations de sucre PTOM au niveau de 1997, c’est-à-dire à une quantité qui est:

tout à fait négligeable par rapport à la production européenne, aux importations ou exportations européennes, à l’excédent européen ou à tout autre élément de l’organisation européenne du sucre;

tout à fait insuffisante pour offrir à l’industrie sucrière des PTOM une base raisonnable pour l’avenir»  (51) .

99.      La requérante n’indique donc pas spécifiquement en quoi le Tribunal aurait méconnu le principe de proportionnalité figurant à l’article 109, paragraphe 2, de la décision PTOM.

100.    Deuxièmement, Rica Foods soutient que les quantités de sucre PTOM importées dans la Communauté étaient à ce point minimes qu’elles ne pouvaient justifier l’adoption des contingents litigieux  (52) .

101.    Cet argument ne concerne cependant pas la proportionnalité des règlements litigieux. Il concerne le point de savoir si les importations litigieuses pouvaient être considérées comme des «difficultés» justifiant l’adoption d’une mesure de sauvegarde au titre de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM. Il a, d’ailleurs, été examiné comme tel dans le cadre du quatrième moyen, tiré d’erreurs dans l’interprétation de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM  (53) .

102.    En conséquence, nous proposons à la Cour de rejeter le cinquième moyen.

F –    Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du statut préférentiel des PTOM

103.    Le dernier moyen est dirigé contre l’appréciation du Tribunal relative au statut préférentiel des produits originaires des PTOM.

104.    Cette appréciation est exposée de la manière suivante  (54) :

«198
Les parties requérantes font valoir que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous s), CE et des dispositions de la quatrième partie du traité CE [...], les institutions communautaires doivent tenir compte du principe de la hiérarchie des préférences. En vertu de ce principe, les institutions ne pourraient pas placer les marchandises originaires des PTOM dans une situation plus défavorable que celle des marchandises qui proviennent des pays ACP ou d’autres pays tiers [...].

199
En premier lieu, les parties requérantes relèvent que l’article 213 de la convention de Lomé exclut totalement l’adoption de mesures de sauvegarde pour le sucre. L’adoption d[es] règlement[s] attaqué[s] violerait donc le statut préférentiel dont jouissent les PTOM par rapport aux pays ACP.

200
[Rica Foods] compare encore l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM à d’autres dispositions de sauvegarde [...]. Cette partie requérante conclut que, dès lors que les PTOM bénéficient du degré de préférence le plus élevé, la Commission devrait éviter d’arrêter des mesures de sauvegarde en vertu de l’article 109, paragraphe 1, de la décision PTOM à l’encontre des importations en provenance des PTOM quand les conditions pour prendre de telles mesures ne sont pas réunies en ce qui concerne les importations provenant de pays tiers moins privilégiés.

201
En deuxième lieu, les parties requérantes font observer que, en vertu du protocole n° 8 de la convention de Lomé, la Communauté a accordé aux pays ACP un contingent de plus de 1,7 million de tonnes de sucre, que ceux-ci peuvent entièrement ou partiellement importer dans la Communauté en exemption de droits de douane et pour un prix garanti. En limitant les importations de sucre originaire des PTOM, sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM, à 3 340 tonnes pour 7 mois, la Commission aurait violé le principe selon lequel les marchandises originaires des PTOM ne peuvent pas être placées dans une situation plus défavorable que celle des marchandises qui proviennent des pays ACP ou d’autres pays tiers.

202
Le Tribunal rappelle que le juge communautaire, dans le cadre de son contrôle, doit se limiter à vérifier si la Commission, qui disposait en l’espèce d’un large pouvoir d’appréciation, a commis une erreur manifeste d’appréciation en adoptant le[s] règlement[s] attaqué[s] [...].

203
Même si les produits originaires des PTOM bénéficient en vertu de la quatrième partie du traité d’un statut préférentiel, la Cour et le Tribunal ont déjà jugé que l’article 109 de la décision PTOM, qui autorise la Commission à prendre des mesures de sauvegarde, ne viole, en tant que tel, aucun principe de la quatrième partie du traité [...]. Il ne saurait donc être déduit de la simple adoption d’une mesure de sauvegarde sur la base de l’article 109 de la décision PTOM une violation du statut préférentiel des produits originaires des PTOM.

204
Quant au statut du sucre dans la convention de Lomé, le Tribunal constate que, dans le protocole n° 8 annexé à cette convention, la Communauté s’engage vis-à-vis des pays ACP à acheter du sucre à des prix garantis et à importer une quantité spécifique annuelle de sucre (1,7 million de tonnes). Ces importations se font entièrement ou partiellement en exemption des droits de douane. En vue d’éviter que cette garantie ne devienne lettre morte, l’article 213 de la convention de Lomé prévoit que la clause de sauvegarde (article 177 de la convention de Lomé) ne s’applique pas dans le cadre du protocole n° 8.

205
En contraste, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, de la décision PTOM, tous les produits originaires des PTOM, et donc en principe le sucre également, sont admis à l’importation dans la Communauté en exemption de droits à l’importation. Le sucre originaire des PTOM bénéficie donc clairement d’un statut préférentiel par rapport au sucre ACP. Le fait que la Commission adopte une mesure de sauvegarde – mesure par nature temporaire – ne change rien à cet état de choses. Le Tribunal souligne encore, à cet égard, que le règlement attaqué ne concerne que le sucre et les mélanges importés sous le régime du cumul d’origine CE/PTOM. Il n’impose aucun plafond aux importations de sucre originaire des PTOM selon les règles d’origine ordinaires, si une telle production devait exister.

206
L’argument tiré du statut préférentiel du sucre originaire des PTOM par rapport au sucre originaire des États ACP doit donc être rejeté.

207
Pour les mêmes motifs, les parties requérantes ne sauraient tirer argument des clauses de sauvegarde contenues dans les accords que la Communauté a conclus avec certains pays tiers.

[...]

210
Eu égard à ces considérations, il convient de constater que le[s] règlement[s] attaqué[s] n’[ont] pas abouti à placer les États ACP et les pays tiers dans une position concurrentielle manifestement plus avantageuse que celle des PTOM.»

105.    Dans son dernier moyen, Rica Foods soutient que cette appréciation méconnaît le statut préférentiel des produits originaires des PTOM. En effet, selon elle, le Tribunal n’aurait pas pris en considération la grande différence de traitement, découlant des mesures de sauvegarde, entre, d’une part, les importations des produits originaires des PTOM et, d’autre part, les importations des produits originaires des États ACP et des nations les plus favorisées, et même les importations de certains autres pays tiers.

106.    Comme la Commission, nous pensons que ce moyen est manifestement irrecevable.

107.    En effet, aux points 198 à 210 de l’arrêt Rica Foods II, reproduits ci-dessus, le Tribunal a clairement exposé les raisons pour lesquelles, selon lui, les mesures de sauvegarde litigieuses n’aboutissaient pas à placer les États ACP et les pays tiers dans une position concurrentielle plus avantageuse que celle des PTOM.

108.    Or, dans ses pourvois, Rica Foods n’indique pas en quoi le raisonnement du Tribunal serait entaché d’une erreur de droit sur ce point. La requérante se limite à répéter que «[l]es produits des PTOM bénéficient d’une position privilégiée sur la base de leur statut ‘préférentiel’ dans la Communauté» et que, «[p]ar les mesures de sauvegarde [litigieuses], la défenderesse [a] appliqu[é] […] une grande différence de traitement entre, d’une part, les importations des ACP et des nations les plus favorisées [...] et, d’autre part, [celles] des PTOM»  (55) .

109.    Dans ces conditions, le moyen doit être rejeté comme manifestement irrecevable, conformément à la jurisprudence citée au point 97 des présentes conclusions.

V –   Conclusion

110.    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner la requérante aux dépens, à l’exception des dépens exposés par les parties intervenantes, conformément aux articles 69 et 118 du règlement de procédure de la Cour.


1
Langue originale: le français.


2
Arrêt Rica Foods/Commission (T‑47/00, Rec. p. II‑113).


3
Arrêts Rica Foods e.a./Commission (T‑94/00, T‑110/00 et T‑159/00, Rec. p. II-4677, ci‑après l’«arrêt Rica Foods II») et Rica Foods et Free Trade Foods/Commission (T‑332/00 et T‑350/00, Rec. p. II-4755, ci‑après l’«arrêt Rica Foods III»).


4
JO L 252, p. 1.


5
Règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4).


6
Décision relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).


7
Décision relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté économique européenne (JO L 263, p. 1).


8
JO L 329, p. 50 (ci-après, prise avec la décision 91/482, la «décision PTOM»).


9
Voir décision 2000/169/CE (JO L 55, p. 67).


10
JO L 294, p. 11.


11
Règlement de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1).


12
JO L 196, p. 31. La procédure instituée à l’article 308 quinquies de ce texte consiste à exiger des États membres qu’ils «fournissent à la Commission une fois par mois, ou à des intervalles plus fréquents […], le détail des quantités de produits mis en libre pratique ayant bénéficié des régimes tarifaires préférentiels au cours des mois précédents».


13
JO L 56, p. 39.


14
JO L 246, p. 64.


15
Autrement dénommés les «arrêts attaqués».


16
Voir, comme exemple récent, arrêt du 8 mai 2003, Italie et SIM 2 Multimedia/Commission (C‑328/99 et C‑399/00, Rec. p. I-4035, point 39). Dans le domaine précis de l’article 109 de la décision PTOM, la Cour utilise généralement une formule différente. Elle indique que, «[e]n présence d’un tel pouvoir, il incombe au juge communautaire de se limiter à examiner si l’exercice de ce pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si les institutions communautaires n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation» (voir arrêts du 22 novembre 2001, Pays-Bas/Conseil, C‑110/97, Rec. p. I-8763, point 62, et C‑301/97, Rec. p. I-8853, point 74. Voir, également, arrêt du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C‑390/95 P, Rec. p. I‑769, point 48). Cette formule nous paraît cependant moins correcte que celle reproduite au point 43 des présentes conclusions dans la mesure où elle omet de citer le contrôle de certains éléments, tels que l’exactitude matérielle des faits ou le respect des règles de procédure et de motivation. En outre, on ne voit pas clairement la différence qui est faite entre le cas d’une «erreur manifeste» et celui où l’institution a «manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation».


17
Voir, par exemple, arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C‑280/93, Rec. p. I-4973, points 90 et 91); du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a. (C‑44/94, Rec. p. I‑3115, point 37); du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil (C‑150/94, Rec. p. I‑7235, points 87); du 8 février 2000, Emesa Sugar (C‑17/98, Rec. p. I-675, point 53), et Pays-Bas/Conseil, précités (C‑110/97, point 63, et C‑301/97, points 64 à 68 et 75).


18
Voir également, en ce sens, arrêts du 21 février 1990, Wuidart e.a. (C‑267/88 à C‑285/88, Rec. p. I‑435, point 14); du 26 juin 1990, Zardi (C‑8/89, Rec. p. I‑2515, point 11), et du Tribunal du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission (T‑162/94, Rec. p. II‑427, point 70).


19
Voir, par exemple, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 501), et du Tribunal du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil (T‑118/96, Rec. p. II‑2991, point 32 et les références citées).


20
Point 43 des présentes conclusions.


21
Conclusions dans l’affaire Commission/max.mobil (C‑141/02 P, pendante devant la Cour, points 77 et 78).


22
Voir en ce sens, notamment, arrêts précités Emesa Sugar (point 53) et Pays-Bas/Conseil (C‑110/97, point 63, et C‑301/97, points 64 à 68 et 75).


23
Voir, par exemple, arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, Rec. p. I-959, point 56); du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑303/88, Rec. p. I-1433, point 34), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C‑225/91, Rec. p. I-3203, point 24).


24
Règlement du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1). Voir, par exemple, arrêts Consten et Grundig/Commission, précité (Rec. p. 501), et du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission (17/74, Rec. p. 1063, point 16).


25
Voir arrêt du 4 avril 1990, Grèce/Commission (C‑111/88, C‑112/88 et C‑20/89, Rec. p. I-1559, publication sommaire, point 1 du sommaire).


26
Dans son pourvoi (points 31 à 35), Rica Foods avance un troisième grief, qui sera examiné dans le cadre du troisième moyen (voir points 63 à 70 des présentes conclusions).


27
Pourvoi de Rica Foods (points 16 à 19 et 24 à 26).


28
Voir, comme exemples récents, arrêt du 8 mai 2003, T. Port/Commission (C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 27), et ordonnance du 9 juillet 2004, Fichtner/Commission (C-116/03, non publiée au Recueil, point 33).


29
Arrêt Rica Foods II (point 101).


30
Ibidem (point 120).


31
. Voir, notamment, arrêts du 1 er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 66); du 7 mai 1998, Somaco/Commission (C‑401/96 P, Rec. p. I-2587, point 54), et du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 24).


32
. Arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission (C‑53/92 P, Rec. p. I-667, point 42); du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission (C-362/95 P, Rec. p. I-4775, point 29); du 28 mai 1998, New Holland Ford/Commission (C‑8/95 P, Rec. p. I-3175, point 26); Baustahlgewebe/Commission, précité (point 24); du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, Rec. p. I-5251, points 45 à 47), ainsi que ordonnances du 6 octobre 1997, AIUFFASS et AKT/Commission (C‑55/97 P, Rec. p. I-5383, point 25); du 16 octobre 1997, Dimitriadis/Cour des comptes (C‑140/96 P, Rec. p. I-5635, point 35), et du 27 janvier 2000, Proderec/Commission (C‑341/98 P, non publiée au Recueil, point 28).


33
. Voir arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C‑164/98 P, Rec. p. I‑447, points 47 et 48), et du 11 septembre 2003, Belgique/Commission (C‑197/99 P, Rec. p. I‑8461, point 67).


34
. Voir, notamment, ordonnance du 11 avril 2001, Commission/Trenker [C‑459/00 P(R), Rec. p. I‑2823, point 71].


35
. Voir, notamment, arrêt du 3 avril 2003, Parlement/Samper (C‑277/01 P, Rec. p. I‑3019, point 40).


36
Mémoire en intervention (points 11 et suiv.).


37
Règlements litigieux (premier considérant).


38
Ibidem (quatrième considérant).


39
Idem.


40
Idem.


41
Règlements litigieux (cinquième considérant).


42
Dans ses conclusions dans l’arrêt Emesa Sugar, précité, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a indiqué que les conséquences de l’application de la règle du cumul d’origine n’étaient pas prévisibles au moment de l’adoption de la décision PTOM. Selon lui, en effet, «[l]a fiction instaurée par le mécanisme du cumul d’origine a été adoptée en son temps par le Conseil sans que celui-ci soit – et probablement sans qu’il puisse être – entièrement conscient des conséquences qu’elle pouvait avoir» (point 58).


43
Voir mémoires en réponse dans les affaires C-40/03 P (point 39) et C-41/03 P (point 45).


44
Arrêt Rica Foods III (point 128, souligné par nous).


45
Point 56 (souligné par nous).


46
Statistiques établies par Eurostat pour les exportations, des PTOM vers la Communauté, des produits relevant des codes NC 1806 10 30, 1806 10 90 et NC 1701 pour les années 1991-2000 (annexe 1 du mémoire en intervention du Royaume d’Espagne dans l’affaire T‑94/00).


47
Idem.


48
Point 112. En réalité, la question de la marge de manœuvre laissée par les accords OMC a été examinée par le Tribunal aux points 135 à 139 de l’arrêt Rica Foods II. Toutefois, à supposer même que l’on puisse comprendre le pourvoi de Rica Foods comme visant ces derniers points, plutôt que les points 112 à 115 de l’arrêt Rica Foods II qui sont expressément mentionnés dans le pourvoi, nous pensons que l’argumentation de Rica Foods serait, en tout état de cause, non fondée pour les raisons que nous avons exposées dans nos conclusions de ce jour dans les affaires Pays-Bas/Commission, précitées (C‑26/00, C‑180/00 et C‑452/00, points 76 à 79).


49
Voir arrêts Rica Foods II (point 157 à 197) et Rica Foods III (points 142 à 177).


50
Voir, comme exemples récents, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts (C‑234/02 P, non encore publié au Recueil, point 76), et ordonnance du 28 octobre 2004, Commission/CMA CGM e.a. (C‑236/03 P, non publiée au Recueil, point 43).


51
Pourvois dans les affaires C‑40/03 P (point 66) et C‑41/03 P (point 72).


52
Pourvois dans les affaires C‑40/03 P (point 68) et C‑41/03 P (point 74).


53
Voir points 85 à 88 des présentes conclusions.


54
Arrêt Rica Foods II.


55
Pourvois dans les affaires C‑40/03 P (point 88) et C‑41/03 P (point 99).