Affaire T-34/02 DEP

Le Levant 015 EURL e.a.

contre

Commission européenne

« Procédure — Taxation des dépens »

Sommaire de l'ordonnance

1.      Procédure — Dépens — Taxation — Dépens récupérables — Notion — Frais payés par une partie tierce au litige — Inclusion — Conditions

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 91)

2.      Procédure — Dépens — Taxation — Dépens récupérables — Notion — Frais exposés par les parties dans la phase préalable à l'introduction du recours — Exclusion

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 90 et 91)

3.      Procédure — Dépens — Taxation — Éléments à prendre en considération

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 91, b))

4.      Procédure — Dépens — Taxation — Éléments à prendre en considération

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 91, b))

1.      Il découle de l'article 91 du règlement de procédure du Tribunal que les dépens récupérables sont limités, d’une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins.

Par ailleurs, l’expression « frais exposés par les parties » désigne les frais engendrés par la procédure à laquelle ont participé les parties. Cette expression ne désigne donc pas uniquement les frais qui ont été effectivement supportés par les parties. Ainsi, sont récupérables les frais exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et qui ont été indispensables à cette fin, même s’ils ont été effectivement payés par une partie tierce au litige. Pour qu'il en aille autrement, la partie condamnée à supporter les dépens doit démontrer à suffisance de droit que les intérêts poursuivis par la partie tierce sont distincts de ceux de l'autre partie à la procédure principale.

(cf. points 25-27)

2.      Même si un travail juridique substantiel est généralement accompli au cours de la procédure précédant la phase juridictionnelle, par « procédure », l'article 91 du règlement de procédure du Tribunal ne vise que la procédure devant le Tribunal, à l'exclusion de la phase précédant celle-ci. Cela résulte notamment de l'article 90 du même règlement, qui évoque la « procédure devant le Tribunal ».

Doivent ainsi être rejetées la demande tendant au remboursement de dépens se rapportant à la période précédant la phase juridictionnelle, et notamment à l'intervention des avocats auprès de la Commission, ou celle visant la récupération auprès de la Commission des dépens se rapportant à une période pendant laquelle aucun acte de procédure n'a été adopté. En effet, lors d'une telle période, de tels dépens ne peuvent apparaître directement liés aux interventions de l'avocat devant le Tribunal et ne sauraient, par conséquent, être considérés comme des frais indispensables aux fins de la procédure, au sens de l'article 91 du règlement de procédure du Tribunal. Doit, de même, être rejetée la demande visant la récupération auprès de la Commission des dépens se rapportant à la préparation d'un recours devant une juridiction nationale.

(cf. points 31-33, 35)

3.      Le juge de l’Union n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces émoluments peuvent être récupérés auprès de la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils.

À défaut de disposition de droit de l’Union de nature tarifaire applicable, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou aux conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties.

(cf. points 37-38)

4.      S’agissant de l’appréciation de l’ampleur du travail qu'une procédure contentieuse a pu causer, il appartient au juge de l’Union de prendre en considération le travail objectivement indispensable à l’ensemble de la procédure judiciaire.

Toutefois, lorsque les avocats d’une partie ont déjà assisté celle-ci au cours de procédures ou de démarches qui ont précédé le litige s’y rapportant, il convient également de tenir compte du fait que ces avocats disposent d’une connaissance d’éléments pertinents pour le litige qui est de nature à avoir facilité leur travail et réduit le temps de préparation nécessaire pour la procédure contentieuse. Cette constatation reste, en principe, inchangée, lorsque le nombre de requérants est important, car toutes les actions à accomplir dans ce cas sont formelles et standardisées, et n’affectent pas le contenu juridique de l’affaire.

Par ailleurs, s'il est loisible aux parties de confier leur défense à plusieurs conseils à la fois, de manière à s’assurer les services d’avocats plus expérimentés, il convient toutefois de tenir principalement compte du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de la procédure contentieuse, indépendamment du nombre d’avocats entre lesquels les prestations effectuées ont pu être réparties.

(cf. points 42-44, 46)







ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

21 décembre 2010 (*)

« Procédure – Taxation des dépens »

Dans l’affaire T‑34/02 DEP,

Le Levant 015 EURL, établie à Paris (France)

Le Levant 271 EURL, établie à Paris,

A, établie à Paris,

B, demeurant à Versailles (France), et les 255 autres requérants dont les noms figurent en annexe,

représentés par MP. Kirch, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de taxation des dépens à la suite de l’arrêt du Tribunal (première chambre élargie) du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission (T‑34/02, Rec. p. II‑267),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, O. Czúcz et Mme I. Labucka (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Le 9 décembre 1996, A a constitué la copropriété du paquebot Le Levant, divisée en 740 parts de copropriété, ou « quirats ». Dans le courant de l’année 1997, des personnes physiques ont créé, chacune, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) à qui les quirats ont été vendus par A au moyen d’un appel public à l’épargne.

2        L’intérêt des investisseurs à entrer dans cette opération résidait dans la possibilité qui leur était accordée de déduire de leurs revenus imposables le prix de revient de l’investissement réalisé et les charges liées à son acquisition (intérêts financiers) et à sa détention (amortissements) ainsi que les déficits éventuels résultant de son exploitation.

3        Le 25 juillet 2001, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision 2001/882/CE concernant l’aide d’État mise à exécution par la France sous forme d’aide au développement pour le paquebot Le Levant construit par Alstom Leroux Naval et destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon (ci-après la « décision attaquée »). Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 12 décembre 2001 (JO L 327, p. 37).

4        Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué avoir examiné l’aide en cause à la lumière des dispositions de l’article 4, paragraphe 7, de la directive 90/684/CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27), « étant donné qu’il s’agi[ssait] d’une aide liée à la construction navale qui a[vait] été accordée comme aide au développement en 1996 dans le cadre d’un régime d’aide [loi française du 11 juillet 1986 (loi 86-824 portant loi de finances rectificative pour 1986, JORF du 12 juillet 1986, p. 8688), dite ‛loi Pons’] autorisé en 1992 » (considérant 16).

5        La Commission a également précisé dans la décision attaquée que, lors de cet examen, elle avait considéré que l’opération en cause ne comportait pas une véritable composante « développement » au sens de l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Allemagne/Commission (C‑400/92, Rec. p. I‑4701), compte tenu de l’insuffisance des retombées économiques et sociales constatées pour Saint-Pierre-et-Miquelon (France) (considérants 20, 22 à 33).

6        À l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a finalement déclaré l’aide au développement pour le paquebot Le Levant incompatible avec le marché commun.

7        Le 20 février 2002, l’EURL Le Levant 001 ainsi que d’autres EURL et des personnes physiques ont saisi le Tribunal d’un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

8        À la demande de la Commission, l’affaire principale a été suspendue jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire France/Commission, C‑394/01. Ledit arrêt est intervenu le 3 octobre 2002. À la suite de l’audience du 27 septembre 2005, la décision attaquée a été annulée par arrêt du Tribunal du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission (T‑34/02, Rec. p. II‑267). Dans cet arrêt, le Tribunal a également ordonné à la Commission de supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérants dans l’affaire principale, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

9        À la suite d’un échange de lettres entre, d’une part, la Commission et A et, d’autre part, la Commission et le conseil des requérants, la Commission a informé, par lettre du 29 novembre 2007, le conseil des requérants de son refus de régler la somme de 509 561,71 euros demandée au titre des frais et des honoraires qui ont dû être exposés pour défendre les intérêts de ceux-ci dans l’affaire principale en raison du fait que A, qui a supporté l’intégralité des dépens, n’était pas partie dans l’affaire principale.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 juillet 2008, les requérants ont introduit, en application de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la présente demande de taxation des dépens. Ils invitent le Tribunal à fixer, en application de cette disposition, le montant des dépens récupérables à 509 561,71 euros et à majorer ce montant par des intérêts.

11      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 11 novembre 2008, la Commission a présenté ses observations sur cette demande. Elle demande au Tribunal de rejeter comme irrecevable la présente demande de taxation des dépens en ce qui concerne A et de fixer le montant total des dépens à rembourser aux parties requérantes dans l’affaire principale à 0 euro.

 En droit

 Arguments des parties

12      Les requérants estiment que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission selon laquelle, A n’étant pas partie au litige principal, celle-ci ne peut réclamer le paiement des dépens, doit être rejetée.

13      Les requérants font également valoir que la somme de 509 561,71 euros, majorée des intérêts, dont ils demandent le paiement correspond à la période comprise entre le 1er août 2001, date à laquelle la décision attaquée leur a été communiquée et où ils ont commencé à préparer le recours en annulation, et le 27 septembre 2005, date de la dernière audience devant le Tribunal. Une telle somme intégrerait les dépens afférents à la procédure de référé et la taxe sur la valeur ajoutée non récupérable.

14      Les requérants précisent que, « [c]onformément à la jurisprudence de la Cour, les honoraires et frais sont limités à ceux du cabinet M, cabinet mandaté par les requérants pour agir devant le Tribunal, à l’exclusion de tout autre conseil, y compris Me C.-N., du cabinet AO ».

15      À titre principal, la Commission estime que la demande de taxation des dépens présentée par A est irrecevable. La question des dépens serait accessoire par rapport au litige principal, et il découlerait du libellé même de l’article 91, sous b), du règlement de procédure que seules les parties au litige principal peuvent réclamer le paiement des dépens et que les dépens exposés par les parties ne peuvent être réglés qu’en faveur des parties au litige principal.

16      Quant à l’argument de A selon lequel elle était une partie requérante dans l’affaire principale grâce à sa qualité d’associée unique de l’EURL Le Levant 132, la Commission rappelle qu’une EURL est une « forme spéciale » de société à responsabilité limitée créée par la loi 85-697, du 11 juillet 1985, qui a pour objet de restreindre les risques encourus par une personne agissant seule. En outre, une EURL serait une personne morale dotée d’une complète autonomie juridique.

17      La Commission fait observer que, si 259 personnes physiques étaient des parties requérantes dans le litige principal, c’était en leur nom propre. Elle soutient que cette qualité de partie requérante ne résulte pas du fait que ces personnes étaient l’associé unique d’une EURL ayant acquis un quirat du paquebot Le Levant, laquelle était également requérante, mais d’une expression de volonté expresse de chacune desdites personnes. En revanche, A n’aurait nullement manifesté la volonté d’assumer, en son nom propre, la qualité de partie requérante dans cette affaire, avant que ne soit discutée la question des dépens. L’autonomie des personnes juridiques en présence ne permettrait pas d’étendre la qualité de partie requérante dans le litige principal à A, au seul motif de sa qualité d’associé unique de l’EURL Le Levant 132.

18      Quant à l’argument des requérants selon lequel A était le seul membre de la « communauté des personnes intéressées » contre la décision attaquée qui était en mesure de mener à bien la procédure, la Commission rétorque que, même s’il est vrai qu’une action groupée et le choix d’un même défenseur leur facilitaient considérablement la tâche, toutes les difficultés invoquées par les parties requérantes pouvaient être résolues par A elle-même. A aurait pu en effet se contenter de fédérer les investisseurs privés en préservant leur anonymat. Elle aurait également pu leur communiquer l’information nécessaire concernant l’opération en cause et avancer aux investisseurs les fonds nécessaires à leur défense.

19      En outre, la Commission fait valoir que les EURL ayant acquis un quirat du paquebot Le Levant disposaient de la personnalité morale, et pouvaient, à ce titre, ester en justice, ce qu’elles ont, par ailleurs, fait. De la même manière, leurs associés personnes physiques pouvaient déposer un recours contre la décision attaquée et l’ont, par ailleurs, fait, pour un certain nombre d’entre eux.

20      La Commission affirme que A était parfaitement consciente, dès l’origine, des risques que l’opération en cause présentait au regard des règles applicables aux aides d’État, mais que celle-ci a néanmoins appelé les « investisseurs privés » à devenir copropriétaires exploitants du navire. Dans le contexte de l’affaire principale, A aurait donc eu des intérêts spécifiques, distincts de ceux des investisseurs requérants, liés aux engagements qu’elle avait pris auprès de ces « investisseurs privés » (notamment l’obligation de rachat des EURL ayant acquis un quirat du paquebot Le Levant au terme de l’opération en cause à un prix fixe).

21      La Commission soutient également que A, qui semble vouloir tirer argument de la structure de l’opération en cause, a elle-même conçu le schéma juridique et financier de ladite opération et a effectué un choix tactique concernant la manière dont elle entendait participer à l’affaire principale.

22      Enfin, selon la Commission, les parties requérantes dans l’affaire principale n’ont exposé aucun dépens n’ayant pas été pris en charge par A. Il ressortirait du dossier de l’affaire principale que toutes les notes d’honoraires présentées à la Commission et, dans le cadre de la présente demande, au Tribunal seraient adressées à A. Les frais et honoraires auraient été supportés à titre définitif par cette dernière, et les parties requérantes dans l’affaire principale ne se seraient pas endettées auprès d’elle pour assurer leur défense. Elles ne seraient, en aucune manière, débiteurs de ces frais et honoraires. Par conséquent, les parties requérantes dans le litige principal ne sauraient en réclamer le remboursement à la Commission.

23      À titre subsidiaire, la Commission fait observer que la somme de 509 561,71 euros excède manifestement ce qui est justifié pour la défense des requérants dans l’affaire principale, compte tenu, et ce en conformité avec la jurisprudence du Tribunal, de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union et des difficultés de la cause. Ladite somme comprendrait notamment des dépens non récupérables au sens de l’article 91 du règlement de procédure.

  Appréciation du Tribunal

24      Aux termes de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, s’il y a contestation sur les dépens récupérables, le Tribunal statue par voie d’ordonnance non susceptible de recours à la demande de la partie intéressée, l’autre partie ayant été entendue en ses observations.

 Sur la recevabilité

25      Selon l’article 91 du règlement de procédure, sont notamment considérés comme dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités, d’une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (voir ordonnance du Tribunal du 28 juin 2004, Airtours/Commission, T‑342/99 DEP, Rec. p. II‑1785, point 13, et la jurisprudence citée).

26      Par ailleurs, il a déjà été jugé que l’expression « frais exposés par les parties » désigne les frais engendrés par la procédure à laquelle ont participé les parties. Cette expression ne désigne donc pas uniquement les frais qui ont été effectivement supportés par les parties. Ainsi, sont récupérables les frais exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et qui ont été indispensables à cette fin, même s’ils ont été effectivement payés par une partie tierce au litige, telle que, en l’espèce, A (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 2 mars 2009, Fries Guggenheim/Cedefop, T‑373/04 DEP, non publiée au Recueil, point 24).

27      Or, en l’espèce, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que les intérêts poursuivis par A étaient à ce point distincts de ceux des personnes physiques et morales, parties à la procédure principale, et, par conséquent, que la situation présente pouvait être différente de celle qui a donné lieu à l’ordonnance Fries Guggenheim/Cedefop, précitée.

28      Par conséquent, il y a lieu d’écarter les arguments de la Commission relatifs à la recevabilité de la demande en taxation des dépens pour autant qu’elle émane de parties requérantes qui étaient également parties à la procédure au principal.

29      En revanche, il y a lieu de constater que les arguments soulevés par A afin de démontrer sa qualité de partie à la procédure principale doivent être rejetés. D’une part, la qualité d’associé unique d’une EURL, qui était une partie requérante au litige principal, doit être considérée au regard des particularités du droit des sociétés qui régit cette personne morale. Or, l’autonomie juridique de cette EURL fait obstacle à l’assimilation de l’associé unique à la personne morale qui, en l’espèce, a introduit le recours principal. D’autre part, le fait que, selon A, cette dernière était le seul membre de la « communauté des personnes intéressés » contre la décision attaquée, qui était en mesure de « fédérer les investisseurs privés contre [ladite] décision », n’enlève en rien la possibilité pour cette personne morale de participer en son nom propre à la procédure principale et relève des modalités pratiques du financement de l’action en justice qui n’a, dans le cas présent, aucune influence sur la qualité de partie au litige principal.

 Sur le fond

30      Il y a lieu de rappeler que seules les dépenses indispensables exposées aux fins de la procédure peuvent être récupérées (voir point 25 ci-dessus).

31      En outre, selon la jurisprudence, même si un travail juridique substantiel est généralement accompli au cours de la procédure précédant la phase juridictionnelle, il convient de rappeler que, par procédure, l’article 91 du règlement de procédure ne vise que la procédure devant le Tribunal, à l’exclusion de la phase précédant celle-ci. Cela résulte notamment de l’article 90 du même règlement, qui évoque la « procédure devant le Tribunal » (ordonnance du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T‑38/95 DEP, Rec. p. II‑217, point 29).

32      Il y a donc lieu de rejeter la demande des requérants pour autant qu’elle tend au remboursement de dépens se rapportant à la période précédant la phase juridictionnelle, et notamment à l’intervention des avocats auprès de la Commission.

33      De même, il convient de rejeter la demande des requérants pour autant qu’elle vise la récupération auprès de la Commission des dépens se rapportant à la période pendant laquelle aucun acte de procédure n’a été adopté. En effet, lors de cette période, de tels dépens ne peuvent apparaître directement liés aux interventions de leur avocat devant le Tribunal et ne sauraient, par conséquent, être considérés comme des frais indispensables aux fins de la procédure, au sens de l’article 91 du règlement de procédure (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 27 novembre 2000, Elder/Commission, T‑78/99 DEP, Rec. p. II‑3717, point 17, et Groupe Origny/Commission, précitée, point 31).

34      À cet égard, il convient de constater qu’aucun acte de procédure n’a été adopté, d’une part, entre le 30 avril 2002, date de l’ordonnance du président de la cinquième chambre suspendant la procédure principale jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑394/01, et le 3 octobre 2002, date à laquelle la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire C‑394/01, et, d’autre part, après l’audience dans l’affaire principale qui a eu lieu le 27 septembre 2005. Il y a néanmoins lieu d’inclure dans les dépens récupérables ceux liés à la procédure en référé devant le Tribunal intervenus entre le 23 avril et le 13 juin 2002 alors que la procédure principale avait été suspendue.

35      Par ailleurs, il convient de rejeter la demande des requérants pour autant qu’elle vise la récupération auprès de la Commission des dépens se rapportant à la préparation d’un recours devant une juridiction nationale.

36      Au surplus, il convient de rejeter la demande des requérants pour autant qu’elle concerne les dépens mentionnés dans les relevés de frais figurant à l’annexe 8 de la requête qui ne sont rattachables à aucun acte de la procédure dans l’affaire principale. En effet, ceux-ci ne peuvent être considérés comme indispensables aux fins de la procédure principale.

37      Enfin, s’agissant des autres dépens dont les requérants demandent la récupération, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le juge de l’Union n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces émoluments peuvent être récupérés auprès de la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils (voir ordonnance Airtours/Commission, précitée, point 17, et la jurisprudence citée).

38      Il est également de jurisprudence constante que, à défaut de disposition de droit de l’Union de nature tarifaire applicable, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou aux conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties (voir ordonnance Airtours/Commission, précitée, point 18, et la jurisprudence citée).

39      C’est en fonction de ces critères qu’il convient d’apprécier le montant des dépens récupérables en l’espèce. À cet égard, il y a lieu de tenir compte des éléments d’appréciation qui suivent.

 Sur l’objet et la nature du litige et son importance sous l’angle du droit de l’Union et les difficultés de la cause

40      Il y a lieu de relever que l’affaire principale a eu pour objet un recours en annulation d’une décision rendue par la Commission en matière d’aides d’État. Elle n’a soulevé aucune question de droit nouvelle et les questions soulevées ne présentaient pas de complexité tant en droit qu’en fait justifiant un examen détaillé de la législation ou des recherches particulières. En conséquence, au regard de ces critères, il y a lieu de constater que l’affaire principale ne justifiait pas que les représentants des requérants y consacrent un travail important.

 Sur l’intérêt économique que le litige a représenté pour les parties

41      Il convient de constater que, s’il semble que l’affaire principale présentait un intérêt économique certain pour les requérants bénéficiaires de l’avantage fiscal en cause, cet intérêt économique ne saurait être considéré comme étant d’une importance élevée. En effet, cette aide, d’un montant de 11,9 millions d’euros, était répartie entre un grand nombre d’investisseurs, ce qui réduit d’autant les intérêts économiques respectifs des requérants. L’affaire en question n’a donc impliqué aucun intérêt économique majeur pour les parties.

 Sur l’ampleur du travail fourni

42      S’agissant de l’appréciation de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer, il appartient au juge de l’Union de prendre en considération le travail objectivement indispensable à l’ensemble de la procédure judiciaire (ordonnance Airtours/Commission, précitée, point 30, et la jurisprudence citée).

43      Toutefois, lorsque les avocats d’une partie ont déjà assisté celle-ci au cours de procédures ou de démarches qui ont précédé le litige s’y rapportant, il convient également de tenir compte du fait que ces avocats disposent d’une connaissance d’éléments pertinents pour le litige qui est de nature à avoir facilité leur travail et réduit le temps de préparation nécessaire pour la procédure contentieuse (ordonnance du Tribunal du 13 janvier 20006, IPK-München/Commission, T‑331/94 DEP, Rec. p. II‑51, point 59).

44      Cette constatation reste, en principe, inchangée, lorsque le nombre de requérants est important, car toutes les actions à accomplir dans ce cas sont formelles et standardisées, et n’affectent pas le contenu juridique de l’affaire.

45      En outre, compte tenu du fait que A, qui était à l’origine de l’opération en cause, a pu transmettre toute information pertinente aux avocats intervenus dans l’affaire au principal, ceux-ci étaient, dès lors, en mesure d’offrir leurs services avec une efficacité et une rapidité accrues. Cette considération est en tout état de cause de nature à avoir, tout du moins en partie, facilité leur travail et réduit le temps consacré à la préparation des observations sur l’opposition (ordonnances du 6 mars 2003, Nan Ya Plastics et Far Eastern Textiles/Conseil, T‑226/00 DEP et T‑227/00 DEP Rec. p. II‑685, point 42, et Airtours/Commission, précitée, point 29).

46      Il convient de rappeler ensuite que, s’il était en l’occurrence loisible de confier la défense des parties requérantes au principal à plusieurs conseils à la fois, de manière à s’assurer les services d’avocats plus expérimentés, il convient toutefois de tenir principalement compte du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de la procédure contentieuse, indépendamment du nombre d’avocats entre lesquels les prestations effectuées ont pu être réparties (ordonnance du Tribunal du 30 octobre 1998, Kaysersberg/Commission, T‑290/94 DEP, Rec. p. II‑4105, point 20).

47      Or, il ressort du relevé détaillé des dépens joint à la présente demande de taxation des dépens que le nombre total d’heures de travail dont la rétribution est demandée, au taux horaire moyen pondéré global de 240 euros, s’élève à environ 1 889 heures.

48      Si ces heures de travail semblent dûment justifiées d’un point de vue comptable, il appartient cependant au Tribunal de tenir compte du critère rappelé au point 25 ci-dessus, à savoir le caractère objectivement indispensable de ces heures de travail.

49      Premièrement, ainsi qu’il a été constaté au point 34 ci-dessus, il y a lieu d’exclure du remboursement des frais qui ne correspondent pas à un stade de la procédure devant le Tribunal, c’est-à-dire les honoraires concernant la période allant du 13 juin au 4 octobre 2002. Il y a lieu d’exclure également les honoraires concernant la période allant du 20 mars 2003 au 22 octobre 2004 qui, ainsi qu’il ressort du dossier, ne correspondent à aucune étape de procédure devant le Tribunal.

50      Deuxièmement, il y a lieu de relever qu’il ressort du détail des heures de travail que certaines tâches n’apparaissent pas directement liées à la préparation du recours principal devant le Tribunal, en particulier en ce qui concerne les heures consacrées à la préparation d’un recours devant une juridiction nationale (voir point 35 ci-dessus).

51      Troisièmement, la répartition du travail de préparation des mémoires entre plusieurs avocats implique nécessairement une certaine duplication des efforts entrepris (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 8 octobre 2008, CDA Datenträger Albrechts/Commission, T‑324/00 DEP, non publiée au Recueil, point 91), de sorte que le Tribunal ne saurait reconnaître la totalité des heures de travail réclamées.

52      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des notes d’honoraires, quatre projets successifs de requête ainsi que de mémoire en réplique ont été élaborés dans l’affaire principale. Néanmoins, les honoraires relatifs à la rédaction de plusieurs projets successifs ne peuvent pas être considérés comme étant strictement indispensables à la procédure devant le Tribunal et leur remboursement ne peut donc être justifié.

53      De même, d’une part, le temps consacré à la rédaction de la requête en annulation et de la demande en référé, qui excède 1 000 heures, et, d’autre part, le temps consacré à la rédaction du mémoire en réplique, qui excède 450 heures, excèdent de manière considérable ce qui pourrait être considéré comme nécessaire à cette fin.

54      Quatrièmement, le Tribunal estime que le taux horaire réclamé pour les services de l’avocat associé, MK., à savoir de 380 à 400 euros, dépasse largement ce qui peut être considéré comme approprié pour rémunérer les services d’un professionnel particulièrement expérimenté, capable de travailler de façon très efficace et rapide (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 13 février 2008, Verizon Business Global/Commission, T‑310/00 DEP, non publiée au Recueil, point 44). De surcroît, la prise en compte d’une rémunération d’un tel niveau a pour contrepartie une évaluation nécessairement stricte du nombre total d’heures de travail indispensables aux fins de la procédure contentieuse (voir ordonnance du Tribunal du 17 octobre 2008, Infront WM/Commission, T‑33/01 DEP, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

55      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de fixer le total du temps de travail des avocats des parties requérantes dans l’affaire principale objectivement indispensable aux fins de la représentation de celles-ci durant la phase juridictionnelle à 600 heures.

56      Eu égard aux éléments qui précèdent, le coût de 509 561, 71 euros dont il est fait état dans la présente demande de taxation des dépens ne peut pas être considéré comme objectivement indispensable aux fins de la procédure principale.

57      Dans ces circonstances, il est approprié de fixer à 144 000 euros le montant des honoraires qui sont récupérables en tant que frais indispensables exposés par les parties requérantes aux fins de la procédure principale.

58      Il convient, par ailleurs, de fixer à un montant de 2 000 euros les dépens correspondant aux frais divers aux fins de la procédure devant le Tribunal, tels que les frais de déplacement ou les frais de photocopies.

59      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables par les parties requérantes dans l’affaire principale aux fins de remboursement à A des frais engagés pour la défense de ces dernières dans l’affaire T‑34/02 en fixant leur montant à 146 000 euros.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

Le montant total des dépens à rembourser par la Commission européenne aux parties requérantes dans la mesure où ces dernières étaient parties à la procédure au principal est fixé à 146 000 euros.

Fait à Luxembourg, le 21 décembre 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.