Affaire T-297/02

ACEA SpA

contre

Commission des Communautés européennes

«Aides d’État — Régime d’aides accordées par les autorités italiennes à certaines entreprises de services publics sous la forme d’exonérations fiscales et de prêts à taux préférentiel — Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché commun — Recours en annulation — Affectation individuelle — Recevabilité — Aides existantes ou aides nouvelles — Article 87, paragraphe 3, sous c), CE»

Arrêt du Tribunal (huitième chambre élargie) du 11 juin 2009   II ‐ 1687

Sommaire de l’arrêt

  1. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel

    (Art. 230, al. 4, CE)

  2. Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Examen d’un régime d’aides pris dans sa globalité – Admissibilité

    (Art. 88 CE)

  3. Aides accordées par les États – Affectation des échanges entre États membres – Atteinte à la concurrence – Critères d’appréciation

    (Art. 87, § 1, CE)

  4. Aides accordées par les États – Aides existantes et aides nouvelles – Qualification d’aide nouvelle

    [Art. 88 CE; règlement du Conseil no 659/1999, art. 1er, b), i) et v)]

  5. Aides accordées par les États – Décision de la Commission constatant l’incompatibilité d’un régime d’aides avec le marché commun – Obligation de récupération de tout montant perçu par les bénéficiaires dudit régime – Absence

    (Art. 88, § 2, CE)

  1.  Une personne physique ou morale autre que le destinataire d’une décision ne saurait prétendre être concernée individuellement par celle-ci que si la décision l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait.

    Une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard d’une telle entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

    Toutefois, une entreprise, qui n’est pas seulement concernée par la décision en cause en tant qu’entreprise du secteur en question, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides concerné, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission avait ordonné la récupération, est individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci est recevable.

    (cf. points 42-44)

  2.  Dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques générales et abstraites du régime en cause, sans être tenue d’examiner chaque cas d’application particulier, afin de vérifier s’il comporte des éléments d’aide.

    S’agissant d’un seul régime d’aides englobant une multitude de secteurs et non de divers régimes d’aides classifiés selon l’activité ou le marché concerné, la Commission n’est pas tenue de prendre en considération chaque type d’activité ou de marché afin d’apprécier les effets du régime en cause. De même, la Commission n’est pas obligée d’examiner un régime d’aide tout en appréciant en même temps les cas individuels d’application de celui-ci, d’autant plus qu’une telle obligation pourrait diminuer l’efficacité de son pouvoir de contrôle en matière d’aides d’État.

    (cf. points 62, 64, 65)

  3.  La Commission est tenue, lorsqu’elle vérifie si des aides affectent les échanges entre États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence, non pas d’établir une incidence réelle de ces aides sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence.

    Dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier dans les motifs de sa décision si, en raison des modalités que ce programme prévoit, celui-ci est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres.

    Par ailleurs, toute aide octroyée à une entreprise qui exerce ses activités sur le marché communautaire est susceptible de causer des distorsions de concurrence et d’affecter les échanges entre États membres. Il n’existe pas de seuil ou de pourcentage en dessous duquel il est possible de considérer que les échanges entre États membres ne sont pas affectés. En effet, l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas, a priori, l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés.

    S’agissant de la condition relative à l’affectation des échanges interétatiques, le fait qu’une entreprise bénéficiaire d’une mesure étatique opère seule sur son marché national ou sur son territoire d’origine n’est pas déterminant. En effet, les échanges interétatiques sont affectés par la mesure concernée lorsque les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de fournir leurs services sur le marché de l’État membre concerné sont diminuées.

    (cf. points 83-86, 96)

  4.  Il ressort tant du contenu que des finalités des dispositions de l’article 88 CE que doivent être regardées comme des aides existantes au sens du paragraphe 1 de cet article les aides qui existaient avant la date d’entrée en vigueur du traité CE et celles qui ont pu être mises régulièrement à exécution dans les conditions prévues à l’article 88, paragraphe 3, CE, tandis que doivent être considérées comme des aides nouvelles soumises à l’obligation de notification prévue par cette dernière disposition les mesures qui tendent à instituer ou à modifier des aides, étant précisé que les modifications peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission. Lorsque la modification affecte un régime initial dans sa substance même, ce régime se trouve transformé en un régime d’aides nouveau. Toutefois, il ne saurait être question d’une telle modification substantielle lorsque l’élément nouveau est clairement détachable du régime initial.

    S’agissant d’un régime d’aides institué postérieurement à l’entrée en vigueur du traité CE et visant une catégorie spécifique d’entreprises englobant plusieurs secteurs, il ne peut être exigé de la Commission d’effectuer un examen par secteur. En conséquence, la possibilité que certains cas particuliers soient considérés comme des aides existantes ne peut être exclue.

    (cf. points 113, 117, 127)

  5.  La suppression d’une aide illégale par voie de récupération, ainsi que le paiement des intérêts y afférents, est la conséquence logique de la constatation de son incompatibilité avec le marché commun. Il en va ainsi tant pour une aide individuelle que pour des aides versées dans le cadre d’un régime d’aides.

    Toutefois, l’analyse générale et abstraite d’un régime d’aides n’exclut pas que, dans un cas individuel, le montant octroyé sur la base de ce régime échappe à l’interdiction prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, par exemple, du fait que l’octroi individuel d’une aide relève des règles de minimis.

    Si le rôle des autorités nationales se limite, lorsque la Commission prend une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun, à exécuter cette décision et si celles-ci ne disposent, à cet égard, d’aucune marge d’appréciation, les autorités nationales peuvent, en exécutant ladite décision, tenir compte de ces réserves. Partant, la Commission ordonne seulement la récupération des aides au sens de l’article 87 CE et non des montants qui, bien que versés au titre du régime en cause, ne constituent pas des aides, ou constituent des aides existantes ou compatibles avec le marché commun en vertu d’un règlement d’exemption par catégorie ou des règles de minimis ou encore d’une autre décision de la Commission.

    Le juge national est compétent pour interpréter les notions d’aide et d’aide existante et pourra se prononcer sur les éventuelles particularités de tel ou tel cas d’application, le cas échéant en posant une question préjudicielle à la Cour.

    (cf. points 159-163)