Affaire T-93/02


Confédération nationale du Crédit mutuel
contre
Commission des Communautés européennes


« Aides d'État – Mesures prises par la République française en faveur du Crédit mutuel – Livret bleu – Décision 2003/216/CE – Obligation de motivation – Recours en annulation »

Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 18 janvier 2005
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision de la Commission en matière d’aides d’État – Contrôle juridictionnel

(Art. 87 CE et 253 CE)

2.
Droit communautaire – Interprétation – Actes des institutions – Motivation – Prise en considération

3.
Aides accordées par les États – Notion – Renonciation par un État membre à des recettes fiscales – Renonciation conduisant à un transfert indirect de ressources d’État en faveur d’une entreprise distincte du contribuable exonéré – Inclusion

(Art. 87, § 1, CE)

4.
Commission – Principe de collégialité – Portée – Motivation des décisions – Modification après adoption – Illégalité – Conséquence – Impossibilité de remédier à une insuffisance de motivation par des explications fournies devant le Tribunal

(Art. 253 CE)

1.
L’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, cette dernière question relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. La motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

S’agissant du point de savoir si une décision est suffisamment motivée au regard de l’identification de l’aide dont elle constate l’incompatibilité avec le traité, il y a donc lieu de vérifier si cette décision permet aux intéressés de connaître la ou les mesures étatiques considérées par la Commission comme constitutives d’une aide et au Tribunal d’exercer son contrôle sur l’appréciation de ces mesures. En revanche, il n’est pas pertinent de savoir, dans le cadre de l’examen de la motivation, si la qualification d’aide de ces mesures est justifiée.

(cf. points 67-69)

2.
Le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption.

(cf. point 74)

3.
Il n’est pas nécessaire, pour pouvoir constater l’existence d’une intervention au moyen de ressources d’État en faveur d’une entreprise, que celle-ci en soit le bénéficiaire direct. Le fait pour un État membre de renoncer à des recettes fiscales peut, en effet, impliquer un transfert indirect de ressources étatiques, susceptible d’être qualifié d’aide en faveur d’opérateurs économiques autres que ceux auxquels l’avantage fiscal est accordé directement.

(cf. point 95)

4.
Le dispositif et les motifs d’une décision, qui doit être obligatoirement motivée en vertu de l’article 253 CE, constituent un tout indivisible, de sorte que, lorsque son adoption relève de la compétence du collège des membres de la Commission, il appartient uniquement à ce dernier, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant de son ressort exclusif. Il s’ensuit que l’argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne saurait remédier à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée.

(cf. points 124, 126)




ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
18 janvier 2005(1)

« Aides d'État – Mesures prises par la République française en faveur du Crédit mutuel – Livret bleu – Décision 2003/216/CE – Obligation de motivation – Recours en annulation »

Dans l'affaire T-93/02,

Confédération nationale du Crédit mutuel, établie à Paris (France),représentée par Mes A. Carnelutti et J.-P. Gunther, avocats,

partie requérante,

soutenue parRépublique française, représentée par MM. G. de Bergues et F. Million, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 2003/216/CE de la Commission, du 15 janvier 2002, concernant l'aide d'État mise à exécution par la République française en faveur du Crédit mutuel (JO 2003, L 88, p. 39), sous la forme d'une surcompensation versée au titre des coûts de collecte et de gestion de l'épargne réglementée sous le mécanisme du « Livret bleu »,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),



composé de M. J. Pirrung, président, Mme V. Tiili, MM. A. W. H. Meij, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Par le présent recours, la Confédération nationale du Crédit mutuel demande au Tribunal d’annuler la décision 2003/216/CE de la Commission, du 15 janvier 2002, concernant l’aide d’État mise à exécution par la République française en faveur du Crédit mutuel (JO 2003, L 88, p. 39, ci-après la « décision attaquée »).

Crédit mutuel

2
Le Crédit mutuel est un groupe bancaire non centralisé, constitué d’un réseau de caisses locales de Crédit mutuel ayant le statut de sociétés coopératives. Chaque caisse locale de Crédit mutuel doit adhérer à une fédération régionale et chaque fédération doit adhérer à la Confédération nationale du Crédit mutuel, organe central du réseau au sens de l’article L511‑30 du code monétaire et financier français. Cet organisme, partie requérante dans la présente affaire, a le statut d’une association à but non lucratif.

3
Le nombre des caisses locales de Crédit mutuel, dont chacune peut avoir un ou plusieurs guichets, est passé de 2031 en 1991 à 1820 en 2001. Au moment de l’adoption de la décision attaquée, ces caisses étaient détenues par environ 5,7 millions de sociétaires. Entre 1999 et 2001, le Crédit mutuel était la cinquième banque française pour les dépôts et la troisième par son réseau de guichets.

Livret bleu

4
Le Livret bleu, créé par la loi 75‑1242, du 27 décembre 1975, portant loi de finances rectificative pour 1975 (JORF du 28 décembre 1975, p. 13435), est un produit d’épargne réglementée, destiné au grand public, dont le Crédit mutuel s’est vu accorder, par les pouvoirs publics, le droit de distribution exclusif.

5
Le taux de rémunération par le Crédit mutuel des dépôts sur le Livret bleu est réglementé par l’État. Le taux d’intérêt net d’impôt versé aux épargnants est identique à celui du Livret A (distribué par les Caisses d’épargne et par La Poste), qui est le principal produit concurrent d’épargne réglementée. Ce taux était de 3 % par an au moment de l’adoption de la décision attaquée. Le montant des dépôts par livret ne peut excéder un plafond, identique à celui fixé pour le Livret A, qui, à partir de 1991, était de 100 000 francs français (FRF) (15 245 euros) pour les particuliers et qui est de 15 300 euros depuis le 1er janvier 2002.

6
La rémunération des dépôts sur le Livret bleu fait l’objet d’un traitement fiscal dérogeant aux règles générales applicables à la fiscalité de l’épargne. Alors que la législation fiscale générale permet aux personnes physiques d’opter, en ce qui concerne notamment les intérêts de dépôts dont le débiteur est établi en France, pour un prélèvement libératoire à la place de l’impôt sur le revenu, un tel droit d’option n’existe pas pour la rémunération du Livret bleu qui est soumise, dans tous les cas, au prélèvement libératoire. Celui-ci n’est cependant assis que sur un tiers de cette rémunération.

7
Les fonds collectés sur le Livret bleu, dont le montant a fluctué au cours des années 90 de 80 à 100 milliards de FRF, ont, depuis l’origine, fait l’objet de plusieurs affectations possibles. Dans un premier temps, le Crédit mutuel avait l’obligation d’affecter 50 % des ressources (part relevée à 65 % en 1983) à des emplois d’intérêt général (ci-après les « EIG »), destinés notamment au financement des collectivités locales et à la souscription de valeurs émises par l’État et par ses établissements publics, le solde étant à la libre disposition de la banque.

8
À compter d’un arrêté du 27 septembre 1991 (JORF du 26 novembre 1991, p. 15383), une part croissante de l’encours a été affectée au financement du logement social, notamment par centralisation des ressources auprès de la Caisse des dépôts et consignations (ci-après la « CDC »), qui consacre les fonds qui lui sont affectés au financement du logement social, en consentant des prêts aux organismes gestionnaires d’habitations à loyer modéré, à l’instar de l’utilisation des fonds du Livret A des Caisses d’épargne et de la Poste. Depuis l’arrêté du 27 septembre 1991, la totalité de la nouvelle collecte sur Livret bleu est affectée au financement du logement social et l’encours existant au 31 décembre 1990 devait être progressivement centralisé auprès de la CDC par tranches annuelles de 10 % jusqu’en 2000. Aujourd’hui, la totalité des encours est centralisée à la CDC.

9
Depuis 1991, la CDC verse au Crédit mutuel, uniquement au titre des encours centralisés, une rémunération correspondant au taux d’intérêt brut fixé par les pouvoirs publics, rétrocédée aux épargnants, ainsi qu’une commission d’intermédiation égale à 1,3 % des encours (ci‑après la « commission de collecte »).

10
Pendant la période examinée par la décision attaquée, trois emplois des encours du Livret bleu peuvent donc être distingués :

les encours centralisés auprès de la CDC à partir de 1991 (destinés au financement du logement social et faisant l’objet du versement de la commission de collecte) ;

les autres EIG que les encours susmentionnés (constitués surtout de prêts à long terme aux collectivités publiques, ci-après les « autres EIG ») ;

les emplois libres.

Les deux dernières catégories d’emplois étaient cependant destinées à disparaître progressivement pendant cette période.

11
Le Livret bleu a joué un rôle important pour le Crédit mutuel. Son importance relative, en termes quantitatifs, s’est toutefois atténuée au cours des années précédant l’année 2002. La part du Livret bleu dans les dépôts du Crédit mutuel, qui était de 70 % en 1975 et encore de près de 60 % en 1985, a baissé à un niveau inférieur à 25 % depuis 1997.

Procédure administrative

12
Le 25 janvier 1991, la Commission a été saisie d’une plainte concernant les aides accordées par la République française au Crédit mutuel au titre du Livret bleu. Par lettre du 6 février 1998, la Commission a informé les autorités françaises de sa décision d’ouvrir la procédure d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE (JO C 146, p. 6).

13
Le Crédit mutuel a adressé le 18 juin 1998 à la Commission un courrier présentant des arguments visant à réfuter la qualification d’aides d’État pour les mesures visées par l’ouverture de la procédure, ainsi qu’un dossier de comptabilité analytique concernant le Livret bleu. De nombreuses parties intéressées, dont les plaignants, ont également fait parvenir leurs observations à la Commission.

14
Au vu du dossier présenté par le Crédit mutuel, la Commission a décidé de faire effectuer un audit de la comptabilité analytique du Livret bleu. Elle a pour cela recruté un consultant dont le rapport final a été soumis pour examen aux autorités françaises et au Crédit mutuel le 10 janvier 2000. En mai 2000, la requérante a mandaté un autre consultant pour une mission comprenant le contrôle de la méthodologie des travaux de comptabilité analytique du Crédit mutuel et l’établissement du compte d’exploitation du Livret bleu. Cette mission s’est conclue en septembre 2000 par la remise d’un rapport détaillé. La Commission a procédé en avril 2001 à une extension du contrat de son consultant pour qu’il identifie les écarts entre les deux études comptables et détermine les modifications de données ou de méthodologie qui pourraient, le cas échéant, être légitimement retenues et intégrées à son évaluation antérieure. Le rapport final du consultant a été remis aux autorités françaises le 23 juillet 2001. Le Crédit mutuel et son consultant ont fait part de leur désaccord avec les conclusions finales du consultant de la Commission.

Décision attaquée

15
Le 15 janvier 2002, la Commission a adopté la décision attaquée.

16
Après avoir résumé les faits et les observations reçues au cours de la procédure administrative, la Commission consacre le point V de la décision attaquée à l’appréciation des mesures de compensation accordées au Crédit mutuel. Ce point comporte cinq subdivisions.

17
Le point V.1 de la décision attaquée est consacré à « [l]a distorsion de concurrence et [à] l’effet sur les échanges entre les États membres » et mène, au considérant 92, à la conclusion suivante :

« Les aides potentielles octroyées au Crédit [m]utuel, compte tenu de leur caractère d’aides au fonctionnement, de la situation économique du secteur bancaire en Europe, des contraintes de solvabilité spécifiques au secteur bancaire, présentent un effet sur les échanges dès l’entrée en vigueur du Livret bleu et ont eu un effet de distorsion de la concurrence croissant au sein du secteur financier. Il faut, par conséquent, considérer que l’aide potentielle est une aide nouvelle lors de son introduction en 1975. »

18
Après avoir examiné, au point V.2 de la décision attaquée, la « qualification de ressources d’État », la Commission expose, au considérant 100, qui, à lui seul, forme le point V.3, intitulé « L’avantage concurrentiel » :

« Si la compensation reçue par le Crédit [m]utuel au titre de la mission de service public, sous la forme de la commission de collecte versée par la CDC, excède les coûts nets de ce service public (prenant en compte l’ensemble des bénéfices et coûts liés à l’accomplissement de cette mission), le Crédit [m]utuel bénéficie d’un avantage concurrentiel sur les autres banques dans la mesure où il obtient des ressources supplémentaires qui ne sont pas accordées aux autres banques. »

19
Au considérant 101 de la décision attaquée, figurant au point V.4, consacré à « [l]’évaluation du montant de l’aide d’État », la Commission définit son approche quant à la détermination du montant de l’aide dans les termes suivants :

« Dans la mesure où les autorités françaises ont invoqué l’existence d’un service d’intérêt économique général lié au mécanisme du Livret bleu, la Commission doit s’attacher à obtenir un bilan des produits et des charges liées à l’accomplissement dudit service, pour déterminer le niveau justifié de la compensation payée par l’État. »

20
À la suite des différentes expertises comptables, la Commission arrive aux constatations suivantes concernant les résultats du compte d’exploitation du Livret bleu :

la gestion des encours centralisés auprès de la CDC a entraîné des pertes tout au long des années 90, mais a dégagé un bénéfice en 1998 ;

la gestion des autres EIG a produit des bénéfices estimés, au cours des années 90, à un montant annuel compris entre 59 millions de FRF et 957 millions de FRF ;

la gestion des emplois libres a entraîné des pertes.

21
Ces résultats sont résumᄅs, au considérant 179 de la décision attaquée, dans le tableau suivant (en millions de FRF) :

Année

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Cumul

Encours centralisés

[...] 1 – Données confidentielles occultées.

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

-399

[Autres] EIG

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

2 592

Emplois libres

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

-1 119

Marge totale avant impôt

1 096

505

301

-471

-135

-87

-156

20

1 074

22
S’agissant de l’établissement du bilan global des produits et des charges liées à l’accomplissement du service d’intérêt économique général lié au mécanisme du Livret bleu, la Commission expose :

« [109] Les revenus des [autres] EIG sont à prendre en compte en tout état de cause puisqu’ils font partie intégrante des obligations imposées par l’État dans le cadre du système Livret bleu. Il est, en outre, à noter qu’exclure certains emplois bénéficiaires conduirait à une absurdité : l’État devrait compenser les pertes sur certains emplois, alors même que des bénéfices suffisants seraient réalisés sur d’autres emplois à l’intérieur du système Livret bleu et ne seraient pas pris en compte.

[110] La situation est moins évidente pour les emplois libres, qui ont enregistré une perte d’environ 1 [milliard de FRF] sur la période examinée. Ils pèsent de ce fait sur le budget de l’État qui, en [l’]absence de ces emplois, aurait connu une situation équilibrée nécessitant une commission de collecte réduite d’autant. La Commission a estimé toutefois que les coûts nets des emplois libres sont à inclure. »

23
À titre d’évaluation finale, la Commission indique au considérant 180 de la décision attaquée :

« Dans la mesure où la somme des avantages économiques comptables apportés par l’exploitation du Livret bleu (commission de collecte, bénéfices de la gestion des [autres] EIG, bénéfices de la gestion pour compte propre des fonds, c’est-à-dire emplois libres) excède les coûts engagés par le Crédit mutuel pour la gestion de la collecte et des encours, il y a transfert de ressources publiques constitutif d’aide d’État. »

24
La Commission évalue donc le montant de l’aide cumulée sur la période 1991‑1998 à la somme des résultats figurant au tableau reproduit au point 21 ci‑dessus, à savoir 1 074 millions de FRF.

25
Après avoir examiné, au point V.5, la compatibilité des aides au Crédit mutuel avec le traité, la Commission conclut, au point VI de la décision attaquée :

« [202] L’attribution au Crédit mutuel du droit de distribution du Livret bleu contient des aides d’État au sens visé à l’article 87, paragraphe 1, [CE]. Ces aides ne peuvent bénéficier d’aucune des dérogations prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, [CE].

[203] La dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, [CE] ne peut que partiellement être appliquée, puisque, ainsi que démontré par l’audit effectué pour le compte de la Commission, les compensations octroyées sur la période ne sont pas strictement limitées aux surcoûts afférents à la mission d’intérêt économique général qui peuvent être pris en compte. Comme il s’agissait de la seule dérogation possible permettant d’exempter les mesures en question des obligations prévues par les règles de concurrence, et notamment de l’interdiction prévue à l’article 87, paragraphe 1, [CE] il en résulte que la fraction des ressources d’État accordées au Crédit mutuel qui dépasse la couverture des coûts nets de gestion et collecte du Livret bleu compte tenu d’une marge normale de rentabilité constitue une surcompensation des coûts de la mission de service public et, de ce fait, une aide d’État incompatible avec le marché commun. »

26
L’article 1er de la décision attaquée dispose :

« 1. Les mesures prises par la France en faveur du Crédit mutuel au titre de la collecte et de la gestion de l’épargne réglementée sous le mécanisme du ‘Livret bleu’ comprennent des aides d’État incompatibles avec le marché commun.

2. Ces aides ne peuvent bénéficier d’aucune dérogation dans le cadre de l’article 87, paragraphes 2 et 3, [CE]. Elles peuvent en partie bénéficier de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, [CE], dans la mesure où elles sont indispensables en vue de l’accomplissement de la mission d’intérêt économique général impartie par l’État au Crédit mutuel. Les aides excédant les coûts de collecte et de gestion du Livret bleu ne peuvent être considérées comme compatibles avec l’intérêt commun. »

27
Selon l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée, « [l]a France procède auprès du Crédit mutuel à la récupération des aides incompatibles avec le marché commun qui lui ont été accordées depuis le 1er janvier 1991 ». Ce paragraphe contient également des indications visant à déterminer le montant des aides que la France est tenue de récupérer.

28
Les paragraphes 2 à 5 de l’article 2 disposent :

« 2. La France modifie le taux de rémunération des encours du Livret bleu versés par la [CDC] au Crédit mutuel en vue de supprimer à l’avenir toute aide dépassant les coûts de gestion et de collecte pouvant être pris en considération.

3. Les autorités françaises enjoignent au Crédit mutuel de mettre en place une comptabilité séparée du Livret bleu et de la publier.

4. Les autorités françaises adressent à la Commission le rapport annuel de la banque et un rapport triennal de la comptabilité du Livret bleu.

5. La Commission procède à toute vérification qu’elle juge utile en vue de contrôler que les aides au Crédit mutuel sont strictement proportionnées à la mission d’intérêt économique général qui lui est impartie. Elle mandate si elle le juge nécessaire des consultants afin d’auditer la comptabilité analytique du Livret bleu. »


Procédure et conclusions des parties

29
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 2002, la requérante a formé le présent recours.

30
Par ordonnance du 11 septembre 2002, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

31
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé par écrit des questions. Les parties ont fourni leurs réponses et produit les documents dans le délai imparti.

32
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience publique du 8 juin 2004. Elles ont été invitées à répondre, par écrit, à deux questions supplémentaires, ce qu’elles ont fait dans le délai imparti. La procédure orale a été close le 14 juillet 2004.

33
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

à titre subsidiaire, annuler l’article 2 de celle-ci en ce qu’il ordonne la récupération de l’aide identifiée ;

condamner la Commission aux dépens.

34
La République française, partie intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

condamner la Commission aux dépens.

35
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

Observations liminaires

36
Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante soulève sept moyens. Par le premier moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, elle fait valoir que les mesures visées par la décision attaquée ne peuvent pas être qualifiées d’aides. Les deuxième à quatrième moyens, soulevés à titre subsidiaire, visent à démontrer que, à supposer qu’il y ait aide, celle-ci ne pourrait être qualifiée que d’aide existante. Par le cinquième moyen, soulevé également à titre subsidiaire, la requérante fait valoir que la Commission a enfreint les dispositions de l’article 14 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), en ce qu’elle a ordonné le remboursement de l’aide prétendue. Par son sixième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir violé ses droits procéduraux et le principe de bonne administration. Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 253 CE.

37
Il résulte de l’ensemble des moyens des parties que la question principale posée par le présent litige est celle de l’identification, par la décision attaquée, de l’aide, c’est-à-dire de la mesure étatique ayant conféré un avantage au Crédit mutuel. Il y a donc lieu de vérifier si la décision attaquée indique, avec une clarté suffisante, les mesures et les avantages qualifiés, en l’espèce, d’aide incompatible avec le traité.

Sur la motivation de la décision attaquée au regard de l’identification de l’aide

Arguments des parties

38
Les griefs de la requérante concernant l’identification de l’aide figurent, en premier lieu, dans les troisième à cinquième branches du septième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation. En second lieu, la requérante avance, notamment dans le cadre de ses premier et quatrième moyens, des arguments visant à démontrer que la motivation de la décision attaquée est insuffisante et contradictoire en ce qui concerne différents aspects de la définition de l’aide. De même, la Commission expose des arguments concernant l’identification de l’aide dans le cadre de ses arguments concernant les premier, quatrième et septième moyens.

39
Les arguments des parties concernent, essentiellement, trois aspects de la définition de l’aide litigieuse, à savoir :

l’identification de la mesure susceptible d’avoir conféré un avantage au Crédit mutuel ;

l’identification des ressources d’État au moyen desquelles l’avantage en cause aurait été conféré ;

la qualification, en ce qui concerne le régime du Livret bleu, d’aide nouvelle dès 1975.

– Sur l’identification de la mesure ayant conféré un avantage

40
Dans le cadre de la première branche de son premier moyen, la requérante fait valoir que la décision attaquée est ambiguë et contradictoire en ce qui concerne l’identification des mesures qui, selon la Commission, ont conféré un avantage au Crédit mutuel.

41
La requérante fait tout d’abord valoir que, dans la décision attaquée, la Commission n’a identifié aucun avantage susceptible d’être qualifié en tant que tel d’aide d’État et d’être ensuite aisément quantifié.

42
Elle souligne que le seul élément identifié par la Commission comme susceptible de « conduire à une aide » (mais sans constituer en soi une aide) est la commission de collecte. La requérante est cependant d’avis que la Commission a considéré implicitement que l’avantage provenait tout autant des autres produits du Livret bleu, parce qu’elle a adopté une « méthode globale », selon laquelle tous les revenus tirés par le Crédit mutuel du Livret bleu et tous les coûts liés à la distribution de ce produit ont été pris en considération pour évaluer si la rémunération que le Crédit mutuel obtient pour sa mission de distribution du Livret bleu est appropriée. Elle estime que la décision attaquée est entachée d’un défaut de clarté à cet égard.

43
La requérante critique le raisonnement de la Commission, en premier lieu, en ce qui concerne l’appréciation de la défiscalisation partielle et de l’exclusivité de distribution du Livret bleu, en deuxième lieu, en ce qui concerne la prise en considération des emplois du Livret bleu et, en troisième lieu, en ce qui concerne l’évaluation de la commission de collecte.

44
S’agissant, en premier lieu, de la défiscalisation et de l’exclusivité, la requérante relève que la Commission, tout en ayant abandonné toute prétention relative à un éventuel « effet d’appel » du Livret bleu, persiste, par allusions, à prétendre qu’à raison de sa défiscalisation et du fait qu’il n’est distribué que par un seul établissement de crédit, le Livret bleu conférerait des avantages particuliers au Crédit mutuel. Dans sa réplique, la requérante relève qu’aucune démonstration de ce que l’exclusivité conférée serait un avantage n’a cependant été apportée dans la décision attaquée. Selon elle, il y a là un défaut caractérisé de motivation à soulever, au besoin, d’office.

45
En deuxième lieu, pour ce qui est des emplois du Livret bleu, la requérante fait valoir que la décision attaquée est entachée d’un défaut manifeste de motivation sur le point de savoir si les produits des autres EIG peuvent être qualifiés d’avantages. Selon elle, le seul fait que ces opérations aient constitué l’un des emplois des sommes déposées dans le cadre du système du Livret Bleu ne permet en aucun cas de déduire que le Crédit mutuel aurait obtenu des conditions plus favorables que celles découlant d’opérations normales de marché.

46
En troisième lieu, la requérante est d’avis qu’il n’est pas non plus possible de considérer la commission de collecte comme un avantage économique accordé à des conditions hors marché. Elle estime que la Commission méconnaît la nature de cette commission. La requérante fait, en outre, valoir qu’il n’apparaît pas clairement, à la lecture de la décision attaquée, si l’aide identifiée par la Commission est constituée par la commission de collecte dans son ensemble ou seulement par une fraction de celle-ci et, en ce cas, quelle fraction est susceptible d’être ainsi qualifiée.

47
Dans sa réplique, la requérante ajoute que l’application de la « méthode globale » dans la décision attaquée contient une contradiction manifeste et aboutit à un résultat incohérent. Elle expose que, à plusieurs endroits de la décision attaquée, seule la commission de collecte est identifiée comme aide potentielle, alors que les autres emplois (autres EIG et emplois libres) ne sont pris en compte que pour calculer le coût net du système. Elle n’exclut pas que la commission de collecte puisse être qualifiée d’aide si elle s’avérait supérieure aux coûts de gestion du Livret bleu et si toutes les autres conditions d’application de l’article 87 CE étaient remplies, puisque l’activité rémunérée serait alors bénéficiaire et qu’il n’y aurait pas lieu de la rémunérer. Selon la requérante, la Commission a cependant considéré que le montant de l’aide correspond non pas à la commission de collecte, mais au solde (positif) de l’activité du Crédit mutuel liée au Livret bleu. Ainsi, la Commission aurait inclus dans le montant de l’aide l’ensemble des bénéfices réalisés par le Crédit mutuel et notamment ceux provenant des autres EIG. La requérante affirme que cette contradiction ne permet pas de comprendre en quoi consiste l’aide identifiée par la Commission et justifie, à elle seule, l’annulation de la décision attaquée.

48
Enfin, la requérante qualifie d’aberrants les résultats que produit la démarche de la Commission du point de vue des montants devant être remboursés à l’État par le Crédit mutuel. Elle souligne que, lorsque l’on examine le bilan de l’exploitation du Livret bleu, entre 1991 et 1998, il résulte de la décision attaquée que seules les trois premières années ont dégagé un excédent d’exploitation qui s’est élevé à 1 096 millions de FRF en 1991, à 505 millions de FRF en 1992 et à 301 millions de FRF en 1993. Selon elle, ces excédents sont intégralement dus aux produits autres que la commission de collecte qui, pendant les mêmes années, a apporté respectivement des recettes de 8, 62 et 113 millions de francs. En revanche, au cours des années 1994 à 1997, un déficit d’exploitation aurait été enregistré alors que la part de la commission de collecte dans les produits du Livret bleu n’aurait cessé d’augmenter. La requérante souligne que la commission de collecte n’a pas pu contribuer aux excédents des trois premières années et qu’elle n’a pas non plus empêché un déficit au cours des quatre années suivantes. Selon la requérante, si les résultats positifs des trois premières années pouvaient, dans ces conditions, s’opposer au versement d’une commission de collecte pendant ces mêmes années, il n’est, en revanche, pas justifié d’aboutir, par une globalisation sur une longue période, à des remboursements dépassant significativement les montants provenant de la commission de collecte et de gestion les années où s’est dégagé un bénéfice net.

49
La Commission est d’avis que la rédaction de la décision attaquée n’est pas ambiguë. À l’appui de cette thèse, elle renvoie au considérant 203 de la décision attaquée (voir point 25 ci-dessus) et à l’article 1er, paragraphe 1, de son dispositif (voir point 26 ci-dessus).

50
En réponse aux questions du Tribunal, la Commission affirme que l’attribution de la commission de collecte est la seule mesure qui, selon la décision attaquée, a conféré au Crédit mutuel une aide d’État. Selon elle, cela résulte clairement des considérants 14, 28, 30, 66, 98, 167 et 168 et notamment de l’article 2, paragraphe 2, du dispositif de la décision attaquée.

51
En revanche, la Commission affirme que la décision attaquée n’a qualifié d’avantages ni l’exonération fiscale ni le droit exclusif de distribution du Livret bleu. Selon elle, il résulte clairement de la décision attaquée que la réduction de l’impôt, qui implique une mobilisation de ressources d’État, bénéficie directement aux consommateurs individuels et non à la banque.

52
Pour ce qui est des emplois du Livret bleu, la Commission affirme qu’il est erroné de soutenir que la décision attaquée aurait considéré des produits (« bénéfices ») normaux de la gestion du Livret bleu comme constitutifs d’une aide d’État incompatible avec le marché commun. Elle est d’avis que ce reproche résulte d’une confusion entre, d’une part, le concept d’avantage concurrentiel résultant d’une surcompensation par des ressources d’État des coûts nets de la mission d’intérêt économique général et, d’autre part, le concept d’avantages économiques pris en compte (tout comme sont également pris en compte les charges et les coûts engagés) pour établir les coûts nets de l’accomplissement de cette mission. La Commission est d’avis que le considérant 100 de la décision attaquée (reproduit au point 18 ci-dessus) expose sans ambiguïté la question de l’avantage concurrentiel. À l’audience, la Commission a expliqué, en réponse à une question du Tribunal, que certains passages de la décision attaquée qui mentionnent la notion d’avantages dans le contexte du coût des ressources du Livret bleu figurent dans la section consacrée à l’établissement du bilan de l’activité et visent donc exclusivement le deuxième concept susmentionné.

53
En ce qui concerne les arguments avancés dans la réplique, la Commission fait valoir que la requérante soulève une prétention profondément différente de la prétention initiale de la requête. Elle estime que la requérante méconnaît la définition de l’aide telle qu’elle résulte de l’article 1er de la décision attaquée et ne tient pas compte de ce que les travaux de comptabilité analytique ont permis d’établir un bilan non seulement des charges liées à l’accomplissement de la mission de service d’intérêt économique général impartie au Crédit mutuel, mais également un bilan de l’ensemble des ressources (produits d’exploitation commerciale et ressources d’État) obtenues à l’occasion de l’accomplissement de cette mission. La Commission rappelle que le solde de ce bilan représente « la fraction des ressources de l’État accordées au Crédit mutuel qui dépasse la couverture des coûts nets de gestion et de collecte du Livret bleu compte tenu d’une marge normale de rentabilité ».

54
Enfin, la Commission maintient que le montant de 1 074 millions de FRF visé au considérant 178 et à l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée constitue effectivement, pour la période 1991-1998, le montant des ressources publiques perçues au cours de cette période qui excède les coûts de collecte et de gestion du Livret bleu.

– Sur l’identification des ressources d’État

55
La requérante est d’avis que la Commission n’a pas suffisamment motivé la qualification de ressources d’État de certains éléments présents dans le régime du Livret bleu.

56
Premièrement, s’agissant de l’exonération fiscale partielle, aucune motivation ne serait donnée quant au fait que le régime du Livret bleu aboutit à la fiscalisation de personnes par ailleurs non imposables. La requérante rappelle que la décision attaquée a constaté que seuls les consommateurs profitent de cette exonération.

57
Deuxièmement, la motivation de la décision attaquée ne ferait pas ressortir si les produits des autres EIG sont qualifiés de ressources d’État. La décision attaquée se bornerait à considérer qu’ils font partie du système du Livret bleu, sans plus de précisions. La requérante est d’avis que, si cette observation signifie qu’il s’agit de ressources d’État, elle est ambiguë et, de ce fait, inadéquate. Dans la réplique, elle fait valoir qu’il est paradoxal que la Commission nie que les produits des autres EIG aient pu être qualifiés de ressources d’État alors même que, dans la décision attaquée, ces produits ont été intégrés dans le montant des sommes devant être remboursées par le Crédit mutuel à l’État. Selon elle, il n’est pas envisageable que des sommes aient fait l’objet d’une demande de remboursement à défaut d’avoir été qualifiées d’aides d’État et, partant, d’avoir été assimilées à des ressources d’État.

58
Troisièmement, la requérante et la partie intervenante sont d’avis que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa constatation selon laquelle la commission de collecte est une ressource d’État.

59
La Commission souligne que les dispositions de l’article 253 CE ne lui imposent de motiver que les positions prises dans un acte juridique. Elle est d’avis que la conclusion de la décision attaquée figurant au considérant 203 expose, sans la moindre ambiguïté, que, dans la mesure où l’intervention financière de l’État opère une surcompensation des coûts nets occasionnés par la mission de service d’intérêt économique général impartie au Crédit mutuel, cette surcompensation est constitutive d’une aide d’État incompatible avec le marché commun.

60
Elle affirme que l’exonération fiscale n’a pas été qualifiée, par la décision attaquée, de ressource d’État ou d’aide au bénéfice du Crédit mutuel.

61
La Commission conteste également la thèse selon laquelle la décision attaquée traiterait les produits des autres EIG comme des ressources d’État. Elle rappelle que l’argumentation de la requérante et de la partie intervenante à ce sujet résulte d’une confusion entre, d’une part, l’avantage concurrentiel résultant d’une surcompensation par l’État des coûts de la mission d’intérêt économique général dont le Crédit mutuel est investi et, d’autre part, les avantages économiques pris en considération pour établir les coûts nets de cette mission.

62
Dans la duplique, la Commission souligne que la décision attaquée n’incrimine comme ressource d’État que la commission de collecte, versée à partir de 1991. À l’audience, la Commission a ajouté, en réponse à une question du Tribunal, que cela résulte à l’évidence du considérant 14 et de l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée. Elle est d’avis que la motivation de la décision attaquée est suffisante en ce qui concerne la qualification de cette commission de ressource d’État.

– Sur la qualification du régime du Livret bleu d’aide nouvelle lors de son instauration en 1975

63
La requérante fait valoir que la décision attaquée affirme, au considérant 92, que le mécanisme du Livret bleu doit être qualifié d’aide nouvelle dès 1975, sans fournir aucune motivation à ce sujet. Les développements faits dans ce contexte, relatifs à l’appréciation de l’incidence sur les échanges et la concurrence, n’indiqueraient pas les raisons pour lesquelles ce mécanisme revêtait un caractère d’aide en 1975. Cette qualification serait, en outre, contredite par les affirmations de la décision concluant à l’impossibilité de remonter au-delà de 1991 pour déterminer l’existence éventuelle d’une aide. À l’audience, la requérante a fait valoir qu’une contradiction flagrante existe entre l’affirmation selon laquelle l’aide date de 1975 et celle selon laquelle le financement du Livret bleu est un régime d’aides ou une aide nouvelle depuis 1991. Selon elle, la Commission a opéré une confusion entre deux aides alléguées, celle de 1975 et celle de 1991, et cette confusion se retrouve également dans la méthode utilisée pour calculer l’aide alléguée. La requérante est d’avis que cette confusion rend la décision attaquée difficilement compréhensible.

64
Dans ce contexte, la requérante fait valoir que la Commission ne pouvait pas conclure à la qualification du régime du Livret bleu d’aide nouvelle sans avoir apporté, au préalable, la démonstration de l’existence d’une aide. La décision attaquée ne comporterait cependant aucune démonstration de l’existence d’une aide au moment de la création du Livret bleu.

65
La Commission est d’avis que la décision attaquée est suffisamment motivée en ce qui concerne la qualification d’aide du Livret bleu dès 1975. Elle rappelle que l’analyse critiquée est développée au point V.l de la décision attaquée, intitulé « La distorsion de concurrence et l’effet sur les échanges entre les États membres ». En réponse à une question du Tribunal, elle a précisé, à l’audience, qu’elle a procédé à l’analyse figurant dans cette section de la décision avant de se prononcer sur les autres éléments caractéristiques et constitutifs de la notion d’aide d’État, et notamment avant de prendre position sur la question des ressources d’État. L’analyse des effets du Livret bleu sur les échanges et sur la concurrence à partir de 1975 s’explique, selon la Commission, par le fait qu’elle était tenue de se prononcer sur les arguments des plaignants ayant invoqué, notamment, un élément d’aide résultant de l’« effet d’appel » du Livret bleu, cet effet, à supposer qu’il comporte un élément d’aide, ayant existé dès la mise en place du Livret bleu en 1975. En outre, elle invoque l’arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission (T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, points 142 à 148), selon lequel elle est obligée d’examiner si, au moment de l’institution d’une aide, le marché concerné était ouvert à la concurrence. Elle relève que le considérant 92 de la décision attaquée, qui contient la conclusion de cette section, parle d’une « aide potentielle », ce qui démontre que la mesure n’a pas encore été définitivement qualifiée à ce stade. Selon elle, le fait que l’adjectif « potentiel » a disparu ultérieurement dans la rédaction de la décision attaquée s’explique par un effort de rédaction succincte et par des raisons de contingence matérielle.

66
La Commission maintient que la décision attaquée indique que le fait pertinent dans le présent dossier résulte de l’utilisation opérée par le Crédit mutuel des fonds collectés par le biais du Livret bleu dont il avait la disposition. Selon elle, c’est à ce titre qu’il y a distorsion de la concurrence.

Appréciation du Tribunal

67
À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, cette dernière question relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, points 67, et du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 35).

68
La motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19, du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, points 15 et 16, du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, Commission/Sytraval et Brink’s France, point 67 supra, point 63, et France/Commission, point 67 supra, points 35 et 36).

69
S’agissant du point de savoir si la décision attaquée est suffisamment motivée au regard de l’identification de l’aide dont l’incompatibilité avec le traité est constatée, il y a donc lieu de vérifier si cette décision permet aux intéressés de connaître la ou les mesures étatiques considérées par la Commission comme constitutives d’une aide et au Tribunal d’exercer son contrôle sur l’appréciation de ces mesures. En revanche, il n’est pas pertinent de savoir, dans le cadre de l’examen de la motivation, si la qualification d’aide de ces mesures est justifiée.

– Dispositif et « Conclusion » de la décision attaquée

70
Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, selon lequel « les mesures prises par la [République française] en faveur du Crédit mutuel au titre de la collecte et de la gestion de l’épargne réglementée sous le mécanisme du ‘Livret bleu’ comprennent des aides d’État incompatibles avec le marché commun », n’indique pas explicitement quelles sont les mesures étatiques relatives au régime du Livret bleu qui sont considérées, par cette décision, comme ayant attribué des aides au Crédit mutuel.

71
La thèse de la Commission, selon laquelle l’article 2, paragraphe 2, du dispositif de la décision attaquée indique clairement que seule la commission de collecte a été retenue à cet effet, ne saurait être retenue.

72
Certes, cette disposition, qui oblige la République française à modifier le taux de la rémunération des encours du Livret bleu versée par la CDC en vue de supprimer à l’avenir toute aide dépassant les coûts de gestion et de collecte, se réfère à la seule commission de collecte. Elle n’identifie cependant pas l’aide, mais des mesures que la République française est tenue de prendre à l’avenir afin d’éviter de verser une aide sous forme de la commission de collecte. Or, il est constant que la centralisation des encours du Livret bleu auprès de la CDC a été accomplie en 1999 et que, à partir de ce moment, la commission de collecte est le seul produit tiré par le Crédit mutuel de la gestion du Livret bleu. Dès lors, ce point du dispositif ne permet aucune conclusion quant à la définition de l’aide dont l’incompatibilité avec le marché commun est constatée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée pour les années antérieures à la centralisation complète.

73
Il s’ensuit que la désignation de l’aide dans le dispositif de la décision attaquée n’est pas suffisante pour permettre aux intéressés et au Tribunal de connaître la ou les mesures considérées, en l’espèce, comme constitutives d’une aide.

74
Selon une jurisprudence bien établie, le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêt de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549, point 21 ; arrêts du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 104 ; du 11 mars 1999, Eurofer/Commission, T‑136/94, Rec. p. II‑263, point 171, et Alzetta e.a./Commission, point 65 supra, point 163).

75
À cet égard, au point VI de la décision attaquée, intitulé « Conclusion », la Commission constate, au considérant 202 : « [l]’attribution au Crédit mutuel du droit de distribution du Livret bleu contient des aides d’État au sens visé à l’article 87, paragraphe 1, [CE] ». Le considérant 203 invoqué par la Commission (reproduit au point 25 ci-dessus) se réfère aux « compensations octroyées » et aux « mesures en question » avant de constater que « la fraction des ressources d’État accordées au Crédit mutuel qui dépasse [les coûts de gestion et de collecte] du Livret bleu ‘compte tenu d’une marge normale de rentabilité’ constitue […] une aide d’État ».

76
Le considérant 202 des motifs n’apportant aucune précision par rapport au dispositif, et le considérant 203 n’identifiant pas expressément les mesures incriminées, il y a lieu d’examiner si l’analyse, par la décision attaquée, des conditions qui doivent être remplies pour qu’une intervention étatique puisse être qualifiée d’aide permet d’identifier avec précision les mesures considérées comme ayant conféré une aide au Crédit mutuel.

– Analyse au regard de la notion d’aide d’État

77
En vertu de l’article 87, paragraphe 1, CE, quatre conditions doivent être remplies à cet égard. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, point 75).

78
La Commission a procédé à l’examen de ces conditions aux points V.1 à V.4 (considérants 76 à 181) de la décision attaquée. Elle n’a cependant pas suivi, dans son analyse, l’ordre dans lequel ces conditions ont été évoquées ci-dessus. En effet, elle s’est tout d’abord penchée, au point V.1, sur « [l]a distorsion de concurrence et l’effet sur les échanges entre États membres », avant d’examiner, au point V.2, « [l]a qualification de ressources d’État ». Elle a poursuivi par le point V.3, intitulé « L’avantage concurrentiel », et, enfin, consacré le point V.4 à « [l]’évaluation du montant de l’aide d’État ». Ainsi qu’il résultera, ci-après, de l’examen du contenu de ces différents points, cet enchaînement est à l’origine de certains problèmes de compréhension que pose la décision attaquée. Dès lors, il convient d’examiner, en suivant l’ordre choisi par la Commission, si les développements que contiennent ces quatre points permettent d’identifier les mesures à l’origine de l’aide incriminée.

– Analyse de la distorsion de la concurrence et de l’effet sur les échanges

79
La Commission commence par l’examen, aux considérants 76 à 92 de la décision attaquée, de la deuxième et de la quatrième des conditions mentionnées au point 77 ci-dessus. Son analyse est divisée en trois étapes, dont la première constitue une étude détaillée de « [l]’effet de l’aide sur les échanges dès 1975 », la deuxième, une présentation de « [l]’achèvement de la libéralisation du secteur bancaire dans l’Union européenne depuis la fin des années 70 et le renforcement de la concurrence » et, la troisième, un rappel de « [l]a position du Crédit mutuel sur le marché bancaire français ».

80
S’agissant, en premier lieu, de l’analyse des effets sur les échanges dès 1975 (considérants 76 à 84 de la décision attaquée), force est de constater que cette partie de la décision attaquée crée l’impression que la Commission a considéré que les mesures instaurées en 1975 comportaient des aides au Crédit mutuel, sans préciser toutefois lesquelles de ces mesures ont été prises en compte à cet égard. Le fait, pour la Commission, de souligner au cours de la procédure devant le Tribunal que l’aide est constituée par la commission de collecte instaurée en 1991 n’est que susceptible d’augmenter la confusion à cet égard.

81
Les explications relatives à cette démarche avancées par la Commission à l’audience, en réponse aux questions du Tribunal, ne sont pas susceptibles d’écarter l’impression selon laquelle la Commission a pu considérer que l’aide litigieuse résulte, au moins en partie, des mesures adoptées en 1975.

82
Tout d’abord, l’affirmation selon laquelle l’examen des effets sur les échanges a précédé celui des ressources d’État fait apparaître un problème quant à la méthode suivie par la Commission en l’espèce. Certes, le critère de l’aptitude d’une mesure à affecter les échanges entre États membres trace la limite entre le champ d’application du contrôle des aides par la Commission et le champ réservé à l’action autonome des États membres, et la Commission ne dispose pas de pouvoirs d’intervention à l’égard d’une mesure étatique si ladite condition n’est pas remplie. Il est donc opportun, notamment dans le cadre d’une procédure d’examen portant sur un mécanisme complexe composé de différentes mesures étatiques, tel que le Livret bleu, que la Commission vérifie provisoirement, au moment de l’ouverture de la procédure et avant d’entamer l’analyse des mesures individuelles, si ce mécanisme dans son ensemble est susceptible d’affecter les échanges. Toutefois, dans la décision finale de la Commission, il y a lieu de remplacer cette appréciation provisoire par une appréciation définitive des effets potentiels sur les échanges entre États membres des mesures qualifiées définitivement d’aides. Cela vaut d’autant plus lorsque la décision finale ne qualifie d’aides qu’une partie des mesures visées par la procédure d’examen, ce qui, selon la Commission, est précisément le cas en l’espèce. L’argument avancé par la Commission n’est donc pas de nature à écarter l’ambiguïté créée, par le fait que l’examen des effets du Livret bleu sur les échanges en 1975 figure dans la décision attaquée, en ce qui concerne la qualification d’aides des mesures adoptées en 1975.

83
Ensuite, l’obligation de répondre aux plaignants ne saurait contraindre la Commission à la démarche qu’elle a suivie. S’il est vrai que les plaintes dont la Commission était saisie visaient les mesures adoptées en 1975, et qu’elle était donc tenue d’examiner ces dernières, rien ne l’obligeait à constater que ces mesures étaient susceptibles d’affecter les échanges, si elle estimait qu’elles ne pouvaient pas être qualifiées d’aides pour d’autres raisons.

84
Enfin, s’agissant des conséquences à tirer de l’arrêt Alzetta e.a./Commisssion (point 65, supra), la Commission relève à juste titre qu’elle est obligée, afin de déterminer si des aides accordées dans le cadre d’un régime d’aides sont à qualifier d’existantes ou de nouvelles, de vérifier si, au moment de l’instauration de ce régime, le marché concerné était ou non ouvert à la concurrence. Or, cette explication confirme l’impression que, selon la décision attaquée, le régime d’aides examiné a été instauré en 1975.

85
En deuxième lieu, l’examen des conséquences de la libéralisation du secteur bancaire aux considérants 85 à 89 de la décision attaquée aboutit à la constatation que « l’effet sur les échanges d’aides accordées à un établissement bancaire est devenu extrêmement sensible » à partir de 1990. Bien que la commission de collecte ne soit pas mentionnée aux considérants 85 à 89 de la décision attaquée, ceux-ci peuvent être compris comme visant à démontrer que cette mesure a pu avoir un effet considérable sur les échanges. Cette analyse n’apporte aucune clarification sur le point de savoir si, à côté de la commission de collecte, d’autres mesures ont été prises en considération comme étant à l’origine de l’aide litigieuse.

86
En troisième lieu, les développements qui figurent aux considérants 90 et 91 de la décision attaquée, concernant la position du Crédit mutuel sur le marché bancaire français, d’une part, visent à écarter, l’argument selon lequel la compétence territoriale limitée des caisses locales de Crédit mutuel exclut tout impact de l’aide sur les échanges et, d’autre part, contiennent quelques considérations succinctes quant à la distorsion de la concurrence, la Commission affirmant notamment :

« Le Crédit mutuel est une entreprise rentable [...] Une éventuelle surcompensation des coûts nets de collecte et de gestion des missions d’intérêt économique général lui permettrait d’accroître ses profits et d’accumuler des capitaux propres supplémentaires. Or, la contrainte de solvabilité [...] résultant de la réglementation bancaire européenne introduit une obligation qui limite les capacités de croissance des institutions de crédit. Toute aide au fonctionnement, dans la mesure où elle renforce les fonds propres, présente un effet de levier considérable pour s’affranchir de ces contraintes. Il résulte de ces mécanismes de contrainte de solvabilité que l’appréciation d’une distorsion de concurrence est plus facile dans le cas d’aides à des établissements de crédit. Si les aides ont pour effet direct ou indirect une augmentation des fonds propres, alors la distorsion de concurrence peut se traduire par l’accroissement des activités de la banque. »

87
Les considérants 90 et 91 de la décision attaquée ne se prononcent donc pas, de manière définitive, sur l’existence d’une distorsion de la concurrence en l’espèce, mais se bornent à fournir quelques précisions quant aux critères d’appréciation que la Commission entend retenir. Ce passage ne permet pas de déterminer si, à côté de la commission de collecte, d’autres mesures ont pu contribuer, selon la décision attaquée, à une surcompensation des coûts de collecte et de gestion, à une augmentation des fonds propres et, de ce fait, à une distorsion de la concurrence.

88
Enfin, la conclusion de ces développements, au considérant 92 de la décision attaquée (reproduit au point 17 ci-dessus), emploie des termes particulièrement imprécis pour ce qui concerne l’identification de l’aide, en se référant à des « aides potentielles octroyées au Crédit mutuel » qui ont un « caractère d’aides au fonctionnement » et en constatant que « l’aide potentielle [était] une aide nouvelle lors de son introduction en 1975 ». La commission de collecte n’est même pas mentionnée dans cette conclusion.

89
S’il est vrai que le considérant 92 de la décision attaquée qualifie de « potentielles » les aides dont les effets sont appréciés, il convient de relever que cette qualification est supprimée lorsqu’il est question, au considérant 130 de la décision attaquée, de l’« analyse juridique de la nature de l’aide provenant du Livret bleu ». Néanmoins, la Commission maintient qu’il « s’agissait d’une aide nouvelle depuis la fin de 1975 ». La Commission constate ensuite, certes, que le montant de cette aide ne peut pas être calculé pour la période antérieure à l’année 1991. Cela ne signifie pas pour autant que, selon la décision attaquée, il n’y avait aucune aide avant 1991. Les termes utilisés indiquent, plutôt, que la Commission a pu considérer qu’il existait, déjà avant l’année 1991, des mesures susceptibles de constituer une aide, mais qu’elle a renoncé à en calculer le montant.

90
En expliquant, à l’audience, la disparition de l’adjectif « potentiel » au considérant 130 de la décision attaquée par un effort de rédiger succinctement et par des raisons de « pure contingence matérielle », la Commission ne fait que reconnaître que la rédaction de la décision attaquée présente des faiblesses, sans écarter les incertitudes sur le contenu de cette décision qui en résultent.

91
Il s’ensuit que l’analyse de la distorsion de la concurrence et de l’effet sur les échanges dans la décision attaquée ne permet pas de déterminer clairement quelles sont les mesures relevant du mécanisme du Livret bleu considérées, dans la décision attaquée, comme ayant un effet sur les échanges et créant une distorsion de la concurrence.

– Analyse des ressources d’État

92
En deuxième lieu, la Commission a examiné, aux considérants 93 à 99 de la décision attaquée, la question des ressources d’État au moyen desquelles l’aide en cause a, selon elle, été accordée. Force est de constater que le raisonnement suivi dans la décision attaquée à cet égard n’est ni clair ni exhaustif.

93
Au considérant 94 de la décision attaquée, la Commission annonce le plan suivant :

« [Elle] vérifiera […] quelles sont les ressources d’État dont le Crédit mutuel est susceptible d’avoir bénéficié : 1) l’avantage fiscal accordé aux épargnants ; 2) la commission de collecte [...] ; 3) les produits tirés des [autres EIG] ; 4) les avantages et les coûts éventuels indirects tirés du système du Livret bleu. »

94
S’agissant, en premier lieu, de l’exonération fiscale, la décision attaquée indique que le système implique la mobilisation de ressources d’État et l’adoption d’un régime plus favorable pour l’épargnant par rapport à la situation normale, et qu’il a un coût pour l’État. Elle poursuit, au considérant 96 de la décision attaquée :

« Il apparaît que cette aide bénéficie directement aux consommateurs individuels et non à la banque, on ne peut donc pas considérer que le Crédit mutuel est le bénéficiaire direct de l’aide fiscale. Toutefois, cette aide fiscale à caractère social est associée à un produit distribué par un seul acteur, le Crédit mutuel. L’aide ne remplit donc pas la condition de compatibilité posée par l’article 87, paragraphe 2, [sous] a), [CE], qui prévoit que l’aide est accordée ‘sans discrimination liée à l’origine des produits’. »

95
Cette analyse ne permet pas de déterminer clairement si la Commission a considéré que l’exonération fiscale est susceptible de constituer un transfert de ressources d’État en faveur du Crédit mutuel. Une telle interprétation de la décision attaquée ne saurait toutefois être exclue, étant donné qu’il n’est pas nécessaire, pour pouvoir constater l’existence d’une intervention au moyen de ressources d’État en faveur d’une entreprise, que celle-ci en soit le bénéficiaire direct. En effet, il résulte de l’article 87, paragraphe 2, sous a), CE que des aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels sont susceptibles de relever du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. De même, le fait pour un État membre de renoncer à des recettes fiscales peut impliquer un transfert indirect de ressources étatiques, susceptible d’être qualifié d’aide en faveur d’opérateurs économiques autres que ceux auxquels l’avantage fiscal est accordé directement (arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I-6857, points 24 à 28).

96
La décision attaquée est, dès lors, ambiguë en ce qui concerne la qualification de l’exonération fiscale au regard du critère des ressources d’État.

97
En deuxième lieu, la Commission examine la « mission d’intérêt public attribuée au Crédit mutuel » et expose, au considérant 98 de la décision attaquée :

« Le Crédit mutuel a été investi d’une mission de distribution du Livret bleu liée à de strictes prérogatives et sujétions. Les prérogatives consistent en la distribution exclusive du Livret bleu et le versement [de la] commission de collecte [...] Les obligations portent sur l’utilisation des ressources collectées à l’aide du Livret bleu. Ces obligations ont évolué dans le temps [...] Aujourd’hui la totalité des encours est centralisée à la CDC. Celle-ci verse au Crédit mutuel, uniquement au titre des encours centralisés, une rémunération correspondant au taux d’intérêt brut fixé par les pouvoirs publics rétrocédée aux épargnants, ainsi qu’une commission d’intermédiation égale à 1,3 %. Il est à noter que la CDC étant une entreprise publique bénéficiant de ressources publiques pour l’accomplissement de missions d’intérêt général, la commission de collecte doit être considérée comme une ressource d’État. Les intérêts sont versés aux épargnants, donc seule cette commission bénéficie au Crédit mutuel. Cette commission fait partie intégrante de la mission de service public dont est chargé le Crédit mutuel et est donc imputable à l’État. »

98
La commission de collecte est donc clairement qualifiée de ressource d’État.

99
En troisième lieu, au sujet des produits des autres EIG, la Commission déclare, au considérant 99 de la décision attaquée :

« Sur la base des informations reçues, la combinaison du caractère obligatoire de ces emplois et du fait que les conditions de taux aient été réglementées par l’État et non librement déterminées par le marché confirme qu’il y a lieu de considérer que les [autres] EIG font partie intégrante du système du Livret bleu. Il sera montré plus loin que ces conditions réglementées ont permis au Crédit mutuel de réaliser de très importants bénéfices sur ces encours. La définition de ces [EIG] a été modifiée par l’arrêté du 27 septembre 1991 : les emplois visés sont désormais exclusivement les prêts de financement du logement à caractère social et l’affectation en compte auprès de la CDC [...] Mais ce n’est que très lentement au cours des années 90 que ces nouveaux emplois se sont substitués aux anciens : seule la nouvelle collecte a été immédiatement intégralement affectée à ces nouveaux emplois à partir de 1991. »

100
Il résulte des termes précités que la Commission ne qualifie pas explicitement les produits des autres EIG de ressources d’État. Une telle qualification ne paraît cependant pas non plus exclue. En effet, la signification, dans le présent contexte, de la constatation selon laquelle « les [autres] EIG font partie intégrante du système du Livret bleu » n’est pas claire, compte tenu du fait qu’une affirmation similaire avait été faite, au considérant 98 de la décision attaquée, pour justifier que la commission de collecte était imputable à l’État (voir point 97 ci-dessus).

101
Dès lors, le résultat de l’examen, dans la décision attaquée, de la question de savoir si les produits tirés par le Crédit mutuel de la gestion des autres EIG constituent un transfert de ressources d’État est également ambigu.

102
Pour ce qui est, en quatrième lieu, de l’examen des avantages et des coûts éventuels indirects tirés du système du Livret bleu, annoncé au considérant 94 de la décision attaquée, force est de constater qu’il n’est pas effectué dans cette partie de la décision. En revanche, des développements concernant les avantages et coûts indirects du mécanisme du Livret bleu figurent, d’une part, dans la partie consacrée à l’évaluation du montant de l’aide d’État, notamment aux considérants 119 à 127, où la Commission examine les éventuels « effets induits de produit d’appel » du Livret bleu, et, d’autre part, dans la partie consacrée à la compatibilité des aides avec le traité, notamment aux considérants 190 à 194 concernant la question de savoir si le Crédit mutuel était obligé de maintenir des guichets en zone rurale. Aucune appréciation des avantages indirects éventuels au regard de la condition des ressources d’État n’est cependant effectuée.

103
En résumé, force est de constater que, si l’analyse de la question des ressources d’État par la décision attaquée est claire en ce qui concerne la commission de collecte, elle est ambiguë en ce qui concerne la qualification de l’exonération fiscale et des produits des autres EIG et incomplète en ce qui concerne les autres avantages dont l’examen était envisagé par la Commission.

– Analyse de l’avantage concurrentiel

104
Le point V.3 de la décision attaquée, intitulé « L’avantage concurrentiel », ne contient que le considérant 100, reproduit au point 18 ci-dessus.

105
Ce point de la décision attaquée se borne à énoncer le critère que la Commission entend appliquer pour déterminer si un avantage concurrentiel peut être constaté en l’espèce et, ainsi, si les troisième et quatrième conditions de l’article 87, paragraphe 1, CE, exposées au point 77 ci-dessus sont remplies. Il y a lieu de souligner que ce critère est défini, au considérant 100 de la décision attaquée, par rapport à la seule commission de collecte et ne mentionne aucune des autres mesures faisant partie du mécanisme du Livret bleu.

106
L’analyse de ces deux conditions, concernant, d’une part, l’avantage conféré au bénéficiaire et, d’autre part, le point de savoir si la mesure sous examen fausse ou menace de fausser la concurrence figure également au point V.4 de la décision attaquée, intitulé « L’évaluation du montant de l’aide d’État », comprenant les considérants 101 à 181. Ces développements sont, eux encore, peu clairs sur le point de savoir si le versement de la commission de collecte est la seule mesure prise en compte qui a été considérée comme ayant conféré au Crédit mutuel un avantage concurrentiel ou si d’autres mesures adoptées dans le cadre du régime du Livret bleu ont également joué un rôle.

107
La Commission définit, dans un premier temps, les « modalités de la prise en compte de l’ensemble des produits et des charges liés aux encours du Livret bleu » et précise, à cet égard, au considérant 103 de la décision attaquée :

« Le mécanisme financier relatif au Livret bleu du Crédit mutuel doit être évalué au regard de l’économie d’ensemble de ce régime d’épargne, c’est-à-dire qu’il faut prendre en compte la totalité des coûts et des bénéfices résultant du système, en particulier des bénéfices tirés directement de l’utilisation des encours collectés grâce à la mission de distribution de ce produit d’épargne défiscalisé. »

108
Ces termes créent l’impression que la défiscalisation du Livret bleu a été prise en considération pour déterminer si ce mécanisme a attribué un avantage au Crédit mutuel.

109
L’impression selon laquelle la défiscalisation a été prise en considération est confirmée par le considérant 108, selon lequel « [l]es dépôts du Livret bleu ont permis au Crédit Mutuel de se procurer une ressource dans des conditions plus avantageuses que cela n’aurait été le cas par un simple refinancement sur les marchés financiers ». De plus, au considérant 111, la Commission relève que les « coûts des ressources » provenant du Livret bleu sont « différents [des] coûts normaux de marché ». Le considérant 117 mentionne la « singularité de ce mode de collecte de ressources ». Dans le même ordre d’idées, le considérant 175 justifie la prise en considération des emplois libres parce qu’ils sont « adossés à une ressource spécifique, les dépôts collectés grâce au monopole de distribution du Livret bleu ». Le même considérant relève également que, « [d]ans des conditions de marché concurrentielles, il est probable que le Crédit mutuel n’aurait pas été en mesure de se procurer cette ressource au même coût ».

110
Les passages cités sont ambigus quant à la définition de la mesure ou des mesures à l’origine de l’avantage concurrentiel attribué au Crédit mutuel.

111
L’explication de la Commission selon laquelle il importe de distinguer, d’une part, le concept « d’avantage concurrentiel résultant d’une surcompensation des charges causées par l’accomplissement d’une mission d’intérêt économique général » et, d’autre part, le concept « d’avantages économiques » pris en compte dans le cadre du bilan global du Livret bleu visant à vérifier s’il y a surcompensation n’apporte pas la clarification nécessaire.

112
Certes, plusieurs passages de la décision attaquée où il est question d’avantages, notamment les considérants 106, 107, 180 et 198, peuvent être compris comme se référant à l’avantage économique pris en considération dans le cadre du bilan global. En revanche, lorsqu’elle indique, à plusieurs reprises, notamment aux considérants 108, 111 et 175, que le Crédit mutuel a obtenu des ressources dans des conditions plus favorables que les conditions du marché, la décision attaquée fait allusion à un avantage concurrentiel résultant du régime du Livret bleu et non pas uniquement à un avantage économique à prendre en considération dans le cadre du bilan global de ce régime.

113
La Commission a affirmé à cet égard, à l’audience, qu’elle n’a pas tiré de conséquences juridiques des éléments autres que la commission de collecte. Cependant, à supposer que cette thèse soit exacte, le fait de mentionner à plusieurs endroits de la décision attaquée des « avantages » qui, en fin de compte, ne sont pas pris en considération aux fins de l’identification de l’aide, sans que cela soit explicitement indiqué, crée une confusion qui rend d’autant plus difficile la compréhension de la décision attaquée sur ce point.

114
De plus, la thèse selon laquelle seule la commission de collecte a été prise en considération n’est guère compatible avec l’examen effectué, aux considérants 119 à 127 de la décision attaquée, des « effets induits de produit d’appel » inhérents au régime du Livret bleu et invoqués par les plaignants. Selon ces derniers, le droit exclusif de distribution d’un produit d’épargne attractif par sa défiscalisation est susceptible de permettre au Crédit mutuel d’attirer et de fidéliser une clientèle, à laquelle le réseau est ensuite en mesure de proposer d’autres produits ou services bancaires. La Commission expose, aux considérants 126 et 127 de la décision attaquée, qu’elle n’a pas retenu ces effets dans le cadre de la décision attaquée, parce qu’il n’a pas été possible d’en évaluer précisément l’incidence financière. Or, ces « effets induits » du Livret bleu n’ont aucun lien avec le versement de la commission de collecte, mais sont uniquement liés au droit de distribution d’un produit d’épargne défiscalisé. L’examen de tels effets contribue donc à créer l’impression que le droit exclusif et la défiscalisation comptent parmi les mesures constitutives de l’aide constatée par la décision attaquée. Certes, la Commission était tenue de répondre aux arguments des plaignants à ce sujet et il était inévitable, dans ce cadre, qu’elle se prononce sur d’autres mesures que la commission de collecte. Toutefois, afin d’éviter que la décision attaquée soit comprise en ce sens qu’elle considère ces mesures comme ayant contribué à l’octroi de l’aide incriminée, il était d’autant plus nécessaire que la Commission indique clairement que seule la commission de collecte était considérée comme ayant attribué l’aide, si telle était effectivement sa position.

115
L’impression selon laquelle la commission de collecte n’a pas été la seule mesure prise en considération au titre de l’aide attribuée au Crédit mutuel est encore renforcée par le résultat de l’évaluation du montant de l’aide au point V.4 de la décision attaquée. Il est instructif à cet égard de compléter le tableau des résultats du compte d’exploitation du Livret bleu, reproduit au point 21 ci-dessus, par des données relatives à la commission de collecte, fournies par les parties en réponse aux questions du Tribunal :

Année

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Cumul

Commission de collecte

10

60

110

240

390

490

540

780

2 620

Encours centralisés

[...] 2 – Données confidentielles occultées.

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

-399

[Autres] EIG

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

2 592

Emplois libres

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

-1 119

Aide non capitalisée

1 096

505

301

-471

-135

-87

-156

20

1 074

116
Ce tableau confirme la thèse de la requérante selon laquelle le montant de l’aide constaté dans la décision attaquée s’explique essentiellement par la prise en considération des bénéfices réalisés par le Crédit mutuel entre 1991 et 1993, à une époque où la commission de collecte n’a pas encore contribué de manière significative aux résultats de la gestion du Livret bleu, alors que les bénéfices du régime du Livret bleu sont essentiellement provenus des revenus dégagés par les autres EIG.

117
La disproportion entre le montant de l’aide afférent à ces années et le montant de la commission de collecte versée pendant la même période est frappante et paraît difficilement justifiable, à première vue, si l’aide résulte effectivement du seul versement de cette commission sans qu’aucune des mesures antérieurement adoptées dans le cadre du Livret bleu ne soit retenue à ce titre. Dans ces conditions, l’analyse de l’avantage concurrentiel telle qu’elle ressort de la décision attaquée ne permet pas de confirmer la thèse de la Commission selon laquelle seule la commission de collecte a été qualifiée d’aide.

118
En conséquence, étant donné que la Commission n’a pas exprimé clairement, dans la décision attaquée, sa position sur l’identification des mesures ayant attribué l’aide litigieuse au Crédit mutuel, le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer son contrôle juridictionnel sur l’appréciation du régime du Livret bleu par la décision attaquée.

119
Enfin, le raisonnement suivi par la Commission dans la décision attaquée ne permet pas d’exclure la possibilité, évoquée par la requérante, que la décision attaquée vise, en substance, deux aides potentielles, octroyées en 1975 et en 1991, respectivement, sans les distinguer clairement dans son analyse.

120
Il y a lieu d’ajouter que la Commission n’a pas pu tenir compte, dans son analyse, des clarifications apportées par la Cour, postérieurement à l’adoption de la décision attaquée, au sujet des mesures étatiques destinées à compenser les charges liées à l’accomplissement de missions d’intérêt public, notamment dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 77 supra. Si certaines faiblesses dans l’exposé du raisonnement adopté dans la décision attaquée peuvent s’expliquer par le fait que la Commission n’avait pas encore pu bénéficier, à la date d’adoption de la décision attaquée, des enseignements résultant de cette jurisprudence, il était néanmoins nécessaire, compte tenu de la complexité du présent dossier, que le raisonnement de la Commission apparaisse avec une particulière clarté en ce qui concerne l’identification et l’appréciation des mesures ayant attribué l’aide litigieuse au Crédit mutuel.

121
Or, il résulte de l’analyse qui précède que le raisonnement suivi dans la décision attaquée, dans son ensemble, ne permet pas de déterminer si la Commission a retenu, en tant que mesures ayant octroyé au Crédit mutuel l’aide litigieuse, outre la commission de collecte, la défiscalisation, le droit de distribution exclusif et les conditions de rémunération des autres EIG, ou si tel n’a pas été le cas.

122
Il s’ensuit que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce qui concerne l’identification des mesures qualifiées d’aide.

123
Certes, la Commission a indiqué, au cours de la présente procédure, que, selon la décision attaquée, seule la commission de collecte est à l’origine de l’aide litigieuse. Il y a toutefois lieu de constater que ce raisonnement, développé par les agents de la Commission devant le Tribunal, ne figure pas dans la décision attaquée et est contredit par de nombreux passages des motifs de celle-ci, analysés ci-dessus.

124
Or, ainsi que la Cour l’a jugé dans son arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, points 66 à 68), le dispositif et les motifs d’une décision, qui doit être obligatoirement motivée en vertu de l’article 253 CE, constituent un tout indivisible, de sorte qu’il appartient uniquement au collège des membres de la Commission, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant du ressort exclusif du collège.

125
Ces considérations fondées sur le principe de collégialité sont tout aussi pertinentes pour la décision attaquée en l’espèce, qui devait également être motivée en vertu de l’article 253 CE, et par laquelle le collège des membres de la Commission exerçait le pouvoir spécifique de se prononcer sur la compatibilité des aides d’État avec le marché commun qui lui a été conféré par l’article 88 CE.

126
Il s’ensuit que l’argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne saurait remédier à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C‑329/93, C‑62/95 et C‑63/95, Rec. p. I‑5151, points 47 et 48, et du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, points 116 à 119).

127
Il s’ensuit qu’il convient d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu d’apprécier les autres moyens invoqués par la requérante.


Sur les dépens

128
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

129
La République française supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)
La décision 2003/216/CE de la Commission, du 15 janvier 2002, concernant l’aide d’État mise à exécution par la République française en faveur du Crédit mutuel, est annulée.

2)
La Commission supportera ses propres dépens et ceux exposés par la requérante.

3)
La République française supportera ses propres dépens.

Pirrung

Tiili

Meij

Vilaras

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung

Table des matières

Antécédents du litige
     Crédit mutuel
     Livret bleu
     Procédure administrative
     Décision attaquée
Procédure et conclusions des parties
En droit
     Observations liminaires
     Sur la motivation de la décision attaquée au regard de l’identification de l’aide
         Arguments des parties
             – Sur l’identification de la mesure ayant conféré un avantage
             – Sur l’identification des ressources d’État
             – Sur la qualification du régime du Livret bleu d’aide nouvelle lors de son instauration en 1975
         Appréciation du Tribunal
             – Dispositif et « Conclusion » de la décision attaquée
             – Analyse au regard de la notion d’aide d’État
             – Analyse de la distorsion de la concurrence et de l’effet sur les échanges
             – Analyse des ressources d’État
             – Analyse de l’avantage concurrentiel
Sur les dépens


1
Langue de procédure : le français.


2
 Données confidentielles occultées.


3
 Données confidentielles occultées.