Affaire T-38/02
Groupe Danone
contre
Commission des Communautés européennes
« Concurrence — Ententes — Amendes — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Communication sur la coopération »
Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 25 octobre 2005
Sommaire de l’arrêt
1. Concurrence — Procédure administrative — Accès au dossier — Objet — Respect des droits de la défense — Portée — Éléments à charge — Exclusion des éléments de preuve non communiqués
(Art. 81, § 1, CE)
2. Concurrence — Procédure administrative — Accès au dossier — Documents ne figurant pas au dossier d’instruction — Documents pouvant servir à la défense des parties — Obligation des parties d’en demander la communication
3. Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Communication des griefs — Contenu nécessaire
(Règlement du Conseil nº 17)
4. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Droits de la défense — Contrôle juridictionnel — Compétence de pleine juridiction du juge communautaire
(Art. 229 CE ; règlement du Conseil nº 17, art. 17)
5. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances aggravantes — Obligation pour la Commission de se tenir à sa pratique décisionnelle antérieure — Absence
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
6. Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Accès au dossier — Portée — Éléments à charge transmis verbalement par un tiers — Obligation de les rendre accessibles pour l’entreprise concernée, au besoin par la création d’un document écrit
7. Concurrence — Amendes — Montant — Caractère approprié — Contrôle juridictionnel — Éléments pouvant être pris en considération par le juge communautaire — Éléments d’information non contenus dans la décision infligeant l’amende et non requis pour sa motivation — Inclusion
(Art. 229 CE, 230 CE et 253 CE ; règlement du Conseil nº 17, art. 17)
8. Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée — Décision infligeant des amendes — Indication des éléments d’appréciation ayant permis à la Commission de mesurer la gravité et la durée de l’infraction — Indication suffisante
(Art. 253 CE ; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2, al. 2 ; communications de la Commission 96/C 207/04 et 98/C 9/03)
9. Concurrence — Ententes — Délimitation du marché — Objet — Détermination de l’affectation du commerce entre États membres
(Art. 81, § 1, CE)
10. Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Détermination — Critères — Élévation du niveau général des amendes — Admissibilité — Conditions
(Règlement du Conseil nº 17)
11. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Méthode de calcul définie par les lignes directrices arrêtées par la Commission — Obligation pour la Commission de s’y conformer — Conséquences — Obligation de motiver toute entorse
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 98/C 9/03)
12. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Infractions qualifiées de très graves sur le seul fondement de leur nature propre — Nécessité de déterminer leur impact et leur étendue géographique — Absence
(Règlement nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 98/C 9/03)
13. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Prise en considération du chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée et du chiffre d’affaires réalisé avec les ventes des marchandises faisant l’objet de l’infraction — Limites
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
14. Concurrence — Ententes — Participation à des réunions d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel — Circonstance permettant, en l’absence de distanciation par rapport aux décisions prises, de conclure à la participation à l’entente subséquente — Participation prétendument sous contrainte — Circonstance ne constituant pas un fait justificatif pour une entreprise n’ayant pas fait usage de la possibilité de dénonciation auprès des autorités compétentes
(Art. 81, § 1, CE ; règlement du Conseil nº 17, art. 3)
15. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions associée à la recherche d’un effet dissuasif
(Règlement nº 17, art. 15, § 2)
16. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction adoptée postérieurement à une autre décision de la Commission visant la même entreprise — Absence d’identité entre les infractions faisant l’objet des deux décisions — Violation du principe « non bis in idem » — Absence
17. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Évaluation au regard de la valeur absolue des ventes concernées — Admissibilité
(Règlement nº 17, art. 15, § 2)
18. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Éléments de preuve devant être réunis — Degré de force probante nécessaire
(Art. 81, § 1, CE)
19. Droit communautaire — Principes — Droits fondamentaux — Présomption d’innocence — Procédure en matière de concurrence — Applicabilité
20. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité et durée de l’infraction — Infraction commise par plusieurs entreprises — Gravité devant s’apprécier individuellement
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
21. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l’infraction — Circonstances aggravantes — Menace de représailles d’une entreprise à l’encontre d’une autre
22. Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Utilisation de déclarations d’autres entreprises ayant participé à l’infraction comme moyens de preuve — Admissibilité — Conditions
(Art. 81 CE et 82 CE)
23. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Introduction par la Commission de lignes directrices — Recours à un mode de calcul s’attachant à la gravité intrinsèque et à la durée de l’infraction et respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise — Légalité
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 98/C 9/03)
24. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances aggravantes — Récidive — Notion
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 98/C 9/03)
25. Concurrence — Amendes — Absence d’édiction d’un délai de prescription excluant la violation du principe de sécurité juridique
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15 ; communication de la Commission 98/C 9/03)
26. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances atténuantes — Non-application effective d’un accord — Appréciation au niveau du comportement individuel de chaque entreprise
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)
27. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances atténuantes — Absence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre de l’entente — Exclusion
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
28. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité des infractions — Circonstances atténuantes — Situation financière de l’entreprise concernée — Exclusion
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
29. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée — Nécessité d’un comportement ayant facilité la constatation de l’infraction par la Commission — Informations relatives à des actes ne pouvant donner lieu à des amendes au titre du règlement nº 17 — Absence de prise en compte
(Règlement du Conseil nº 17, art. 11, § 4 et 5, et 15 ; communication de la Commission 96/C 207/04)
30. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination- Critères — Attitude de l’entreprise durant la procédure administrative — Appréciation du degré de la coopération fournie par chacune des entreprises participant à l’entente — Respect du principe d’égalité de traitement — Degrés de coopération non comparables justifiant un traitement différencié
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 96/C 207/04)
31. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée — Réduction au titre de la non-contestation des faits — Conditions
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2 ; communication de la Commission 96/C 207/04, point D 2)
1. L’accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs. L’accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l’exercice effectif du droit d’être entendu.
La Commission a donc l’obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE l’ensemble des documents à charge et à décharge qu’elle a recueillis au cours de l’enquête, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de l’institution et d’autres informations confidentielles.
S’il s’avère que la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, sur des documents à charge ne figurant pas dans le dossier d’instruction et n’ayant pas été communiqués à la requérante, il y a lieu d’éliminer lesdits documents en tant que moyens de preuve.
(cf. points 33-35, 65)
2. Dans le cadre d’une procédure administrative en matière de concurrence, lorsque des documents qui auraient pu contenir des éléments à décharge figurent dans le dossier d’instruction de la Commission, le constat éventuel d’une violation des droits de la défense est indépendant de la manière dont l’entreprise concernée s’est comportée lors de la procédure administrative et de la question de savoir si cette entreprise était obligée de demander que la Commission lui accorde l’accès à son dossier ou lui fasse parvenir des documents déterminés.
En revanche, s’agissant des documents qui auraient pu contenir des éléments à décharge et qui ne figurent pas dans le dossier d’instruction de la Commission, l’entreprise concernée est obligée de présenter à l’institution une demande expresse d’accès à ces documents, l’omission d’agir ainsi au cours de la procédure administrative ayant un effet de forclusion sur ce point pour ce qui concerne le recours en annulation qui sera éventuellement introduit contre la décision définitive.
(cf. points 36-37, 42, 79)
3. Dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle indique également les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner l’imposition d’une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende.
(cf. point 50)
4. En ce qui concerne la détermination du montant des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de présenter des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l’infraction. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d’une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende, dans la mesure où le Tribunal statue, en vertu de l’article 17 du règlement nº 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende, et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, il incombe au Tribunal d’apprécier si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par l’entreprise.
(cf. points 51, 136)
5. Le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments ne constituaient pas une circonstance aggravante aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure. D’autre part, la possibilité donnée, dans le cadre d’une autre affaire, à une entreprise de se prononcer sur l’intention de constater à son égard une récidive n’implique nullement que la Commission a l’obligation de procéder de la sorte dans tous les cas ni que, en l’absence d’une telle possibilité, l’entreprise concernée est empêchée d’exercer pleinement son droit d’être entendue.
(cf. points 57, 153, 395)
6. Il n’existe aucune obligation générale, pour la Commission, d’établir des comptes rendus des discussions qu’elle a eues, dans le cadre de l’application des règles de concurrence du traité, avec certains seulement des participants à une infraction au cours de réunions tenues avec ceux-ci.
L’absence d’une telle obligation n’est toutefois pas de nature à soustraire la Commission aux obligations qui lui incombent en matière d’accès au dossier. Il ne saurait, en effet, être admis que le recours à la pratique des relations verbales avec les tiers porte atteinte aux droits de la défense. Ainsi, si la Commission entend utiliser, dans sa décision, un élément à charge transmis de manière verbale par un autre participant à l’infraction, elle doit le rendre accessible à l’entreprise concernée, afin que celle-ci puisse se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue sur la base de cet élément. Le cas échéant, elle doit créer à cette fin un document écrit destiné à figurer dans son dossier.
(cf. points 66-67)
7. S’agissant des recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation des règles de concurrence, le Tribunal est compétent à un double titre. D’une part, il est chargé de contrôler leur légalité, au titre de l’article 230 CE. Dans ce cadre, il doit notamment contrôler le respect de l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE, dont la violation rend la décision annulable. D’autre part, le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par l’article 229 CE et l’article 17 du règlement nº 17, le caractère approprié du montant des amendes. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision attaquée n’est pas comme telle requise en vertu de l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE.
(cf. point 95)
8. La portée de l’obligation de motivation concernant le calcul d’une amende infligée pour violation des règles communautaires de concurrence doit être déterminée au regard des dispositions de l’article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement nº 17, aux termes duquel, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ». Or, les exigences de la formalité substantielle que constitue cette obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. Par ailleurs, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, ainsi que la communication sur la coopération dans les affaires portant sur des ententes, contiennent des règles indicatives sur les éléments d’appréciation dont il est tenu compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l’infraction. Dans ces conditions, les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation dont elle a tenu compte en application de ses lignes directrices et, le cas échéant, de sa communication sur la coopération, et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction aux fins du calcul du montant de l’amende.
(cf. point 97)
9. Dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, c’est pour déterminer si un accord est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut définir le marché en cause. Par conséquent, l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81, paragraphe 1, CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.
(cf. point 99)
10. La Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence.
Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
(cf. points 134-135, 154, 395, 407, 415)
11. Dès lors que la Commission a adopté des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées. Pour établir la gravité des infractions, la Commission doit donc désormais obligatoirement prendre en compte, parmi une variété d’éléments, ceux qui sont contenus dans les lignes directrices, sauf à expliciter spécifiquement les motifs qui justifient, le cas échéant, de s’en écarter sur un point précis.
(cf. point 138)
12. La Commission a indiqué, dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, que seraient le plus souvent jugées comme très graves des restrictions horizontales de type « cartels de prix », quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur. Il résulte de cette description indicative que des accords ou pratiques concertées visant notamment la fixation des prix et la répartition de la clientèle peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, une telle qualification, sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description indicative des infractions ayant vocation à être considérées comme graves mentionne qu’il s’agira d’infractions du même type que celles définies comme peu graves « mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun », celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.
(cf. points 150-151)
13. Parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global.
(cf. points 158, 367)
14. Dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises au caractère manifestement anticoncurrentiel, il lui incombe d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur. En l’absence d’une telle preuve de distanciation, une participation, fût-elle passive, auxdites réunions permet de considérer que l’entreprise participe à l’entente en résultant. En outre, le fait que cette entreprise ne se conforme pas aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente. Enfin, une entreprise qui a participé à de telles réunions ne peut se prévaloir du fait qu’elle y aurait participé sous la contrainte des autres participants disposant éventuellement d’un pouvoir économique supérieur. En effet, elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement nº 17 plutôt que de participer aux activités en question.
(cf. points 164, 245, 423)
15. La recherche de l’effet dissuasif des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence fait partie intégrante de la pondération des amendes en fonction de la gravité de l’infraction, dans la mesure où elle vise à empêcher qu’une méthode de calcul conduise à des montants d’amendes qui, pour certaines entreprises, n’atteindraient pas le niveau approprié afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif.
(cf. point 170)
16. Le principe non bis in idem, également consacré par l’article 4 du protocole nº 7 de la convention européenne des droits de l’homme, constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect.
Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou pour lequel elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n’est plus susceptible de recours. L’application du principe non bis in idem est soumise à une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé.
(cf. points 184-185)
17. La gravité d’une infraction aux règles de concurrence ne saurait dépendre uniquement ni de son étendue géographique ni de la proportion que les ventes faisant l’objet de l’infraction représentent par rapport aux ventes réalisées dans l’ensemble de l’Union européenne. En effet, indépendamment des critères susmentionnés, la valeur absolue des ventes concernées est également un indicateur pertinent de la gravité de l’infraction, en ce qu’elle reflète fidèlement l’importance économique des transactions que l’infraction entend soustraire au jeu normal de la concurrence.
(cf. point 191)
18. En ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende.
II est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise.
Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence.
(cf. points 215, 217-218)
19. Le principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme, fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par le préambule de l’Acte unique européen et par l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne ainsi que par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont protégés dans l’ordre juridique communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes.
(cf. point 216)
20. Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles, ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci.
Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d’individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence.
(cf. points 277-278)
21. Le fait qu’une entreprise partie à une entente force une autre partie à ladite entente à étendre le champ de cette dernière en la menaçant de représailles en cas de refus peut être retenu en tant que circonstance aggravante. En effet, un tel comportement a pour effet direct d’aggraver des dommages créés par l’entente et une entreprise ayant adopté une telle conduite doit de ce fait porter une responsabilité particulière.
(cf. point 281)
22. Aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n’interdit à la Commission de se prévaloir à l’encontre d’une entreprise des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité. Toutefois, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Lorsque l’entente implique deux parties seulement, la contestation du contenu de la déclaration de l’une par l’autre suffit pour qu’il soit exigé que d’autres éléments de preuve viennent l’étayer. Tel est d’autant plus le cas s’agissant d’une déclaration tendant à atténuer la responsabilité de l’entreprise au nom de laquelle elle est faite, en mettant en exergue la responsabilité d’une autre entreprise.
En outre, s’agissant d’un document qui établirait la formulation d’une menace d’une entreprise sur l’autre et dont le caractère probant est contesté par la première, il faut, pour apprécier la valeur probante d’un tel document, en premier lieu vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable.
(cf. points 285-286)
23. Suivant la méthodologie énoncée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, le calcul du montant des amendes continue d’être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition.
Par conséquent, les lignes directrices ne peuvent pas être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition.
(cf. points 343-344)
24. Pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l’espèce, mais également le contexte dans lequel l’infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté.
À cet égard, l’analyse de la gravité de l’infraction commise doit tenir compte d’une éventuelle récidive. En effet, dans une optique de dissuasion, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende. Elle constitue en effet la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n’a pas été suffisamment dissuasive.
Par ailleurs, la circonstance de récidive, nonobstant le fait qu’elle se rapporte à une caractéristique propre à l’auteur de l’infraction, à savoir sa propension à commettre de telles infractions, est précisément, pour cette raison même, un indice très significatif de la gravité du comportement en cause et, partant, de la nécessité d’élever le niveau de sanction aux fins d’une dissuasion effective.
La notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires.
Toutefois, la notion de récidive, eu égard à l’objet qu’elle poursuit, n’implique pas nécessairement le constat d’une sanction pécuniaire préalable, mais seulement celui d’une infraction préalable. En effet, la prise en compte de la récidive vise, pour une infraction donnée, la sanction plus sévère de l’entreprise s’étant rendue coupable des faits la constituant dès lors qu’il s’avère qu’un précédent constat d’infraction de sa part n’a pas suffi à prévenir la réitération d’un comportement infractionnel. À cet égard, l’élément déterminant de la récidive n’est pas l’imposition préalable d’une sanction, mais le constat préalable d’une infraction de son auteur.
(cf. points 347-349, 362-363)
25. Un délai de prescription ne saurait assurer une fonction de protection de la sécurité juridique et sa violation constituer une méconnaissance dudit principe de sécurité juridique que si un tel délai de prescription a été fixé à l’avance, ce que ne prévoient, pour le constat d’une récidive à l’égard d’une entreprise, ni l’article 15 du règlement nº 17 qui constitue le cadre juridique des sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de concurrence, ni les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA.
(cf. points 352-353)
26. Les circonstances atténuantes visées au point 3 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA sont toutes fondées sur le comportement propre à chaque entreprise.
Il en résulte que, aux fins de l’évaluation des circonstances atténuantes, dont celle relative à la non-application des accords, il y a lieu de prendre en considération non pas les effets résultant de l’ensemble de l’infraction, qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de l’impact concret d’une infraction sur le marché aux fins de l’évaluation de sa gravité (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices), mais le comportement individuel de chaque entreprise, aux fins d’examiner la gravité relative de la participation de chaque entreprise à l’infraction.
(cf. points 383-384)
27. L’absence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre d’une entente ne saurait, en soi, constituer une circonstance atténuante.
(cf. point 393)
28. La Commission ne saurait être soumise à l’obligation de prendre en compte, pour la fixation du montant de l’amende à infliger pour infraction aux règles communautaires de concurrence, les difficultés financières d’une entreprise, ce qui reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché.
(cf. point 413)
29. Une réduction de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin.
À cet égard, la collaboration d’une entreprise à l’enquête ne donne droit à aucune réduction d’amende lorsque cette collaboration n’a pas dépassé ce qui résultait des obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 17. En revanche, dans le cas où une entreprise fournit, en réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement nº 17, des informations allant bien au-delà de celles dont la production peut être exigée par la Commission en vertu dudit article, l’entreprise en question peut bénéficier d’une réduction d’amende.
De même, ne constitue pas une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération dans les affaires portant sur les ententes, ni, à plus forte raison, du point D de celle-ci, le fait pour une entreprise de mettre à la disposition de la Commission, dans le cadre de son enquête sur une entente, des informations relatives à des actes pour lesquels, en tout état de cause, elle n’aurait pas dû acquitter d’amende au titre du règlement nº 17.
(cf. points 449, 451-452, 471)
30. La Commission ne saurait, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par des entreprises au cours de la procédure administrative engagée pour entente prohibée, méconnaître le principe d’égalité de traitement, principe général du droit communautaire, qui est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié.
À cet égard, l’appréciation du degré de la coopération fournie par des entreprises ne saurait dépendre de facteurs purement hasardeux. Une différence de traitement des entreprises en cause doit donc être imputable à des degrés de coopération non comparables, notamment dans la mesure où ils ont consisté en la fourniture d’informations différentes ou en la fourniture de ces informations à des stades différents de la procédure administrative, ou dans des circonstances non analogues.
En outre, lorsqu’une entreprise ne fait, au titre de la coopération, que confirmer, et ce de manière moins précise et explicite, certaines des informations déjà fournies par une autre entreprise au titre de la coopération, le degré de la coopération fournie par cette entreprise, quoiqu’il puisse ne pas être dénué d’une certaine utilité pour la Commission, ne saurait être considéré comme comparable à celui fourni par la première entreprise à avoir fourni lesdites informations. Une déclaration se limitant à corroborer, dans une certaine mesure, une déclaration dont la Commission disposait déjà ne facilite en effet pas la tâche de la Commission de manière significative et, partant, suffisante pour justifier une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération.
(cf. points 453-455)
31. Pour bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de la non-contestation des faits, conformément au point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération dans les affaires portant sur les ententes, une entreprise doit explicitement informer la Commission de ce qu’elle n’entend pas contester la matérialité des faits, après avoir pris connaissance de la communication des griefs.
Il ne suffit toutefois pas qu’une entreprise affirme d’une manière générale qu’elle ne conteste pas les faits allégués, conformément à la communication sur la coopération, si, dans les circonstances du cas d’espèce, cette affirmation ne présente pas la moindre utilité pour la Commission. En effet, pour qu’une entreprise puisse bénéficier d’une réduction d’amende au titre de sa coopération durant la procédure administrative, son comportement doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles communautaires de concurrence.
(cf. points 504-505)
ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
25 octobre 2005(*)
« Concurrence – Ententes – Amendes – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Communication sur la coopération »
Dans l’affaire T‑38/02,
Groupe Danone, établie à Paris (France), représentée par Mes A. Winckler et M. Waha, avocats,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et W. Wils, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2003/569/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/37.614/F3 PO/Interbrew et Alken-Maes) (JO 2003, L 200, p. 1), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée à la requérante à l’article 2 de ladite décision,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
composé de M. M. Vilaras, président, Mmes M. E. Martins Ribeiro et K. Jürimäe, juges,
greffier : M. J. Plingers, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 décembre 2004,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 Le règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 17, p. 204), dispose en son article 15, paragraphe 2 :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et d’un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, ou de l’article [82] du traité, ou
b) elles contreviennent à une charge imposée en vertu de l’article 8, paragraphe 1 [du règlement].
Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. »
2 Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») établissent une méthodologie applicable au calcul du montant desdites amendes, « qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte de circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes » (lignes directrices, deuxième alinéa). Selon les mêmes lignes directrices, « [c]e montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 » (lignes directrices, point 1).
3 La communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération ») « définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d’amende ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter » (point A 3 de la communication).
4 Le point D de la communication sur la coopération est ainsi libellé :
« D. Réduction significative du montant de l’amende
1. Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.
2. Tel peut notamment être le cas si :
– avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,
– après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »
Faits à l’origine du litige
5 À l’époque des faits, Interbrew NV (ci-après « Interbrew ») et Brouwerijen Alken-Maes NV (ci-après « Alken-Maes ») étaient respectivement numéro un et numéro deux sur le marché belge de la bière. Alken-Maes était une filiale du groupe Danone SA (ci-après la « requérante »), qui opérait également sur le marché français de la bière via une autre filiale, Brasseries Kronenbourg SA (ci-après « Kronenbourg »). En 2000, la requérante a cessé ses activités dans le domaine de la bière.
6 En 1999, la Commission a ouvert, sous le numéro d’affaire IV/37.614/F3, une enquête visant d’éventuelles infractions aux règles communautaires de concurrence dans le secteur brassicole belge.
7 Le 29 septembre 2000, dans le cadre de ladite enquête, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs à l’encontre de la requérante ainsi que des entreprises Interbrew, Alken-Maes, NV Brouwerij Haacht (ci-après « Haacht ») et NV Brouwerij Martens (ci-après « Martens »). La procédure ouverte à l’encontre de la requérante et la communication des griefs qui lui a été adressée visaient uniquement son implication présumée dans l’entente dite « Interbrew/Alken-Maes » concernant le marché belge de la bière.
8 Le 5 décembre 2001, la Commission a adopté la décision 2003/569/CE relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/37.614/F3 PO/Interbrew et Alken-Maes) (JO 2003, L 200, p. 1), visant la requérante ainsi que les entreprises Interbrew, Alken-Maes, Haacht et Martens (ci-après la « décision attaquée »).
9 La décision attaquée constate deux infractions distinctes aux règles de concurrence, à savoir, d’une part, un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées dans le domaine de la bière vendue en Belgique (ci-après l’« entente Interbrew/Alken-Maes ») et, d’autre part, des pratiques concertées dans le domaine de la bière vendue sous marque de distributeur. La décision attaquée constate que la requérante, Interbrew et Alken-Maes ont participé à la première infraction, alors qu’Interbrew, Alken-Maes, Haacht et Martens ont participé à la seconde.
10 Bien que la requérante fût, à l’époque des faits, la société mère d’Alken-Maes, la décision attaquée ne constate qu’une infraction dans son chef. En effet, compte tenu de son rôle actif dans l’entente Interbrew/Alken-Maes, la requérante a été tenue responsable tant de sa propre participation que de la participation d’Alken-Maes à ladite entente. En revanche, la Commission a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’attribuer à la requérante la responsabilité de la participation de sa filiale à la pratique concertée dans le domaine de la bière vendue sous marque de distributeur, étant donné qu’elle n’avait pas été elle-même impliquée dans cette entente.
11 L’infraction reprochée à la requérante consiste en sa participation, directement ainsi que par l’entremise de sa filiale Alken-Maes, à un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées portant sur un pacte général de non-agression, les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur « hôtels, restaurants, cafés » (ci-après l’« horeca »), y compris les clients dits « nationaux », la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca, une nouvelle structure tarifaire applicable au secteur horeca et au commerce de détail et l’échange d’informations sur les ventes dans le secteur horeca et dans le commerce de détail.
12 La décision attaquée constate que l’infraction précitée s’est étalée sur une période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998.
13 Estimant qu’un ensemble d’éléments lui permettait de conclure que l’infraction avait cessé, la Commission n’a pas jugé nécessaire d’obliger les entreprises concernées à mettre fin à l’infraction en vertu de l’article 3 du règlement nº 17.
14 En revanche, la Commission a estimé qu’il convenait d’infliger, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, une amende à Interbrew et à la requérante pour leur participation à l’entente Interbrew/Alken-Maes.
15 À cet égard, la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que tous les participants à l’entente Interbrew/Alken-Maes avaient commis l’infraction de propos délibéré.
16 Aux fins du calcul du montant des amendes à infliger, la Commission a suivi, dans la décision attaquée, la méthodologie définie dans les lignes directrices ainsi que la communication sur la coopération.
17 Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :
« Article premier
[Interbrew], [Alken-Maes] et [la requérante] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE], en participant à un ensemble complexe d’accords et/ou de pratiques concertées, portant sur un pacte général de non-agression, les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur horeca (comprenant l’horeca ‘classique’ et les clients nationaux), la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca, une nouvelle structure tarifaire applicable au secteur horeca et au commerce de détail et l’échange d’informations sur les ventes dans le secteur horeca et le commerce de détail, et cela pendant la période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998.
Article 2
Les amendes suivantes sont infligées à [Interbrew] et à [la requérante], en raison des infractions constatées à l’article 1er :
a) à [Interbrew] : une amende de 45,675 millions d’euros ;
b) [à la requérante] : une amende de 44,043 millions d’euros.
[…] »
Procédure et conclusions des parties
18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2002, la requérante a introduit le présent recours.
19 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Le Tribunal a invité, au titre de l’article 64 de son règlement de procédure, les parties à produire certains documents et à répondre à des questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.
20 Par lettre du 30 novembre 2004, la requérante a demandé au Tribunal, d’une part, de joindre au dossier la décision de la Commission du 29 septembre 2004 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire COMP/C.37750/B2 – Brasseries Kronenbourg, Brasseries Heineken), notifiée sous le numéro C (2004) 3597 final (ci-après la « décision Kronenbourg/Heineken »), et, d’autre part, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64, paragraphe 4, du règlement de procédure, d’inviter la Commission à se prononcer, avant ou au cours de l’audience, sur les résultats de son enquête concernant d’éventuels abus de position dominante d’Interbrew sur le marché belge de la bière.
21 Par décision du 3 décembre 2004, le Tribunal a, d’une part, versé au dossier la lettre susmentionnée et informé la Commission qu’elle serait invitée, lors de l’audience, à présenter ses observations sur la demande de la requérante tendant à ce que la décision Kronenbourg/Heineken soit versée au dossier. D’autre part, il a rejeté la demande de mesure d’organisation de la procédure visant à ce que la Commission se prononce sur les résultats de son enquête concernant d’éventuels abus de position dominante d’Interbrew sur le marché belge de la bière.
22 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience publique du 8 décembre 2004. La Commission a déclaré, lors de l’audience, qu’elle ne s’opposait pas à la demande de la requérante de verser au dossier la décision Kronenbourg/Heineken, ce qui a été fait par décision du Tribunal.
23 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée en vertu de l’article 230 CE et, à titre subsidiaire, réduire l’amende infligée à l’article 2 de ladite décision en vertu de l’article 229 CE ;
– condamner la Commission aux dépens.
24 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
25 À l’appui de son recours, la requérante soulève huit moyens. Deux moyens, soulevés à titre principal, visent l’annulation de la décision attaquée et sont tirés de la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration (premier moyen) ainsi que de la violation de l’obligation de motivation (deuxième moyen). Six autres moyens, soulevés à titre subsidiaire, visent la réduction du montant de l’amende infligée. Ils sont tirés, respectivement, d’une évaluation erronée de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de départ de l’amende en violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et non bis in idem (troisième moyen), d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction (quatrième moyen), du caractère infondé de la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte exercée sur Interbrew (cinquième moyen), de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la requérante (sixième moyen), de la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables (septième moyen) et d’une appréciation incorrecte de l’ampleur de la coopération de la requérante en violation du principe d’égalité de traitement et de la communication sur la coopération (huitième moyen).
A – Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée
1. Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration
26 Le moyen s’articule en trois branches. Dans la première, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas été mise en mesure d’examiner le contexte dans lequel un document utilisé à charge par la Commission a été établi. Dans la deuxième branche, elle fait observer que la Commission ne lui a pas permis de connaître, avant l’adoption de la décision attaquée, les éléments pris en compte dans le calcul de l’amende. Enfin, dans la troisième branche, la requérante fait valoir que le caractère non documenté de réunions tenues entre la Commission et Interbrew ainsi que le refus de la Commission de lui communiquer la réponse d’Interbrew à la communication des griefs constituent non seulement une violation des droits de la défense, mais également une violation du principe de bonne administration.
a) Sur la première branche, tirée de ce que la requérante n’aurait pas été mise en mesure d’examiner le contexte dans lequel un document utilisé à charge par la Commission a été établi
Arguments des parties
27 La requérante fait valoir que la décision attaquée doit être annulée, au motif qu’elle n’a pas été mise en mesure de commenter et de contester l’extrait d’un document initialement pris en copie par la Commission auprès de l’entreprise Heineken NV (ci-après « Heineken ») dans le cadre d’une enquête connexe aux Pays-Bas (ci-après le « document Heineken »). La Commission aurait invoqué ce document, au considérant 55 de la décision attaquée, à l’appui de la conclusion selon laquelle la requérante a exercé une contrainte sur Interbrew en la menaçant de représailles sur le marché français pour la forcer à élargir le champ de l’entente. Les autres éléments pris en compte à l’appui de cette conclusion, qui seraient mentionnés au considérant 54 de la décision attaquée, se limiteraient à des déclarations unilatérales d’Interbrew.
28 La requérante reconnaît que le document Heineken est cité dans la communication des griefs et qu’elle en a pris connaissance lors de l’accès au dossier. Toutefois, la Commission se serait contentée d’indiquer, dans la décision attaquée, le lieu et les circonstances de l’obtention du document Heineken, accordant foi à ce document sans autres formalités, et n’aurait pas donné à la requérante l’occasion d’examiner le contexte dans lequel il a été établi.
29 Ainsi, la requérante n’aurait pas eu accès, dans la mesure où elles ne font pas partie du dossier, aux lettres ou notes internes qui ont précédé ce document ou qui lui ont fait suite. Aucune pièce liée à ce document qui aurait pu être recueillie au cours de l’enquête aux Pays-Bas n’aurait été versée au dossier, en dépit de la demande faite par la requérante en ce sens. Les commentaires éventuels de Heineken et d’Interbrew concernant la portée dudit document n’auraient pas non plus été versés au dossier. Au surplus, la correspondance entre la Commission et Heineken concernant la confidentialité du document Heineken, qui a été communiquée par la Commission, n’apporterait aucune information additionnelle, ni ne démontrerait que la Commission a elle-même disposé des éléments nécessaires à l’interprétation de ce document.
30 La requérante formule, à cet égard, deux griefs alternatifs. Soit ces éléments d’interprétation existaient et n’ont pas été versés au dossier, et l’accès donné à ce dernier a été irrégulier, en violation des droits de la défense, soit ces éléments n’existaient pas, et il incombait à la Commission, en vertu de son devoir d’instruire également à décharge, de vérifier la vraisemblance des informations contenues dans le document Heineken, en cherchant à connaître le contexte dans lequel il a été établi.
31 La requérante soutient que, en toute hypothèse, sa connaissance de l’identité de l’auteur et du contexte de l’élaboration du document Heineken était susceptible de conduire la procédure administrative à un résultat différent, car elle aurait éventuellement pu démontrer l’absence d’authenticité ou de véracité dudit document. Dans un tel cas, les déclarations individuelles d’Interbrew n’auraient pu suffire à prouver la prétendue contrainte exercée sur celle-ci. Il y aurait donc eu violation des droits de la défense, conformément à la jurisprudence du Tribunal (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment », T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 247).
32 La Commission fait observer que la requérante a eu accès au document Heineken, dont elle a pu pleinement saisir le « contexte », et qu’elle n’a en outre jamais invoqué de violation des droits de la défense lors de la procédure administrative. En tout état de cause, le document Heineken ne serait pas le seul élément probant de la menace proférée par la requérante à l’égard d’Interbrew.
Appréciation du Tribunal
33 Selon une jurisprudence constante, l’accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 334, et la jurisprudence citée). L’accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l’exercice effectif du droit d’être entendu (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, précité, point 334, et la jurisprudence citée).
34 La Commission a donc l’obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE l’ensemble des documents à charge et à décharge qu’elle a recueillis au cours de l’enquête, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de l’institution et d’autres informations confidentielles (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 33 supra, point 335, et la jurisprudence citée).
35 S’il s’avère que la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, sur des documents à charge ne figurant pas dans le dossier d’instruction et n’ayant pas été communiqués à la requérante, il y a lieu d’éliminer lesdits documents en tant que moyens de preuve (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 24 à 30 ; arrêts Ciment, point 31 supra, point 382, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 33 supra, point 338).
36 S’agissant des documents qui auraient pu contenir des éléments à décharge, il y a lieu de relever que, lorsque lesdits documents figurent dans le dossier d’instruction de la Commission, le constat éventuel d’une violation des droits de la défense est indépendant de la manière dont l’entreprise concernée s’est comportée lors de la procédure administrative et de la question de savoir si cette entreprise était obligée de demander que la Commission lui accorde l’accès à son dossier ou lui fasse parvenir des documents déterminés (arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 96, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 33 supra, point 340).
37 En revanche, s’agissant des documents qui auraient pu contenir des éléments à décharge et qui ne figurent pas dans le dossier d’instruction de la Commission, la requérante est obligée de présenter à l’institution une demande expresse d’accès à ces documents, l’omission d’agir ainsi au cours de la procédure administrative ayant un effet de forclusion sur ce point pour ce qui concerne le recours en annulation qui sera éventuellement introduit contre la décision définitive (arrêts Ciment, point 31 supra, point 383, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 33 supra, point 340).
38 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le bien-fondé des griefs formulés par la requérante.
39 À titre préalable, il y a lieu de relever qu’il n’est nullement contesté que le document Heineken est initialement entré en possession de la Commission lors d’une vérification effectuée par cette dernière, au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 17, dans les locaux de Heineken aux Pays-Bas les 22 et 23 mars 2000, dans le contexte d’une affaire distincte de l’espèce. La Commission a ultérieurement réclamé à Heineken, le 14 avril 2000, dans le cadre de la procédure administrative relative à la présente affaire et par la voie d’une demande de renseignements, conformément à l’article 11 du règlement nº 17, la transmission d’une nouvelle copie du document, qui a été versée au dossier.
40 Il importe également de relever que la requérante reconnaît que le document Heineken est cité dans la communication des griefs et qu’elle en a pris connaissance lorsqu’elle a eu accès au dossier au cours de la procédure administrative. En ce qui concerne spécifiquement ce document, la requérante a donc pu effectivement exercer son droit d’être entendue.
41 La requérante fait toutefois valoir qu’elle n’a pas eu accès aux éventuelles lettres ou notes internes, qui ont pu précéder l’établissement du document Heineken ou lui faire suite et qui étaient susceptibles de contenir des éléments à décharge.
42 S’agissant du grief que la requérante tire de ce que la Commission se serait abstenue de lui communiquer de telles lettres ou notes internes en sa possession, il ne saurait être retenu. Il convient en effet de rappeler que, conformément à la jurisprudence, la requérante ne saurait se prévaloir d’une violation des droits de la défense que si elle a présenté à la Commission, au cours de la procédure administrative, une demande expresse d’accès aux documents en question (voir point 37 ci-dessus).
43 Or, la requérante n’a nullement formulé une telle demande. En effet, d’une part, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante se borne à affirmer au sujet du document Heineken que « la valeur prob[ante] de ce document apparaît douteuse [et que] [a]ucun élément dans la [communication des griefs] ou sur le document ne permet à [la requérante] d’identifier son auteur ou d’examiner son contexte ». Cette affirmation ne saurait être considérée comme une demande expresse d’accès aux lettres ou notes internes en question. Interrogée sur ce point, lors de l’audience, par le Tribunal, la requérante a d’ailleurs confirmé que la demande d’accès au dossier qu’elle avait faite au cours de la procédure administrative était de nature générale. D’autre part, dans ses lettres des 24 et 28 janvier 2002, la requérante se contente de formuler, en termes très généraux et sans aucune référence expresse aux documents en cause, une seconde demande d’accès au dossier, laquelle est, en tout état de cause, intervenue après la clôture de la procédure administrative.
44 S’agissant du grief que la requérante tire de ce que, dans l’éventualité où la Commission n’était en possession d’aucune lettre ou note interne ayant précédé l’établissement du document Heineken ou lui ayant fait suite, c’est en violation de son devoir d’impartialité qu’elle s’est abstenue de vérifier la véracité du contenu dudit document, il suffit de relever que ce grief ne concerne pas la problématique des droits de la défense. En effet, la requérante demande qu’il soit déterminé si la Commission a établi à suffisance ce qu’elle entendait prouver via, notamment, le document Heineken et si, dans la mesure où ledit document était nécessaire à l’établissement de cette preuve, la véracité des propos qu’il rapporte est suffisamment établie. La requérante met donc en doute le caractère probant du document Heineken, question dénuée de pertinence dans l’examen du présent moyen, tiré d’une violation des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑37/91, Rec. p. II‑1901, point 72), et qui sera analysée ci-après aux points 260, 261, 271 à 273 et 284 à 290.
45 La première branche du moyen doit donc être rejetée.
b) Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission n’aurait pas permis à la requérante de connaître, avant l’adoption de la décision attaquée, les éléments pris en compte dans le calcul de l’amende
Arguments des parties
46 La requérante invoque une violation des droits de la défense résultant du fait que, à aucun moment, la Commission ne lui a donné la possibilité de connaître ou de commenter les éléments qu’elle envisageait d’utiliser dans la détermination du montant de l’amende. La Commission se serait contentée, dans la communication des griefs, de résumer en quelques lignes la méthodologie préconisée dans les lignes directrices et rien dans ladite communication n’aurait permis à la requérante de prévoir le traitement particulièrement défavorable que la Commission lui réservait et l’inégalité de traitement en résultant par rapport à Interbrew.
47 En particulier, rien, dans la communication des griefs, ne lui aurait indiqué que la Commission entendait invoquer la récidive à son égard, alors que cette circonstance aggravante ne serait retenue que de façon erratique dans sa pratique décisionnelle. Ainsi, au cours de l’année 2001, la Commission aurait condamné à plusieurs reprises des entreprises récidivistes sans toutefois invoquer cette circonstance aggravante à leur égard lors de la détermination de l’amende. Il en serait ainsi de l’entreprise F. Hoffmann-La Roche AG (ci-après « Hoffmann-La Roche ») dans la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1, ci-après la « décision Vitamines »), et la décision 2002/742/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/36.604 – Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18, ci-après la « décision Acide citrique »), ainsi que de l’entreprise Stora Kopparbergs Bergslags AB (ci-après « Stora »), quoique destinataire de la décision sous un autre nom, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision 2004/337/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/36.212 – Papier autocopiant) (JO 2004, L 115, p. 1, ci-après la « décision Papier autocopiant »), ou encore de l’entreprise Volkswagen AG (ci-après « Volkswagen ») dans la décision 2001/711/CE de la Commission, du 29 juin 2001, dans une procédure prévue par l’article 81 du traité CE (Affaire COMP/F‑2/36.693 – Volkswagen) (JO L 262, p. 14, ci-après la « décision Volkswagen II »). Or, cette différence de traitement ne serait pas justifiée.
48 L’omission d’une telle indication serait d’autant plus préjudiciable que, dans l’affaire ayant abouti à la décision 2002/405/CE de la Commission, du 20 juin 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (COMP/E-2/36.041/PO – Michelin) (JO 2002, L 143, p. 1, ci-après la « décision Michelin II »), dans laquelle la Commission a également retenu, en tant que circonstance aggravante, la récidive, l’entreprise en question aurait été mise en mesure de faire valoir ses arguments sur ce point avant l’adoption de la décision.
49 La Commission fait valoir qu’elle dispose d’un pouvoir d’appréciation dans la fixation du montant d’une amende et qu’elle a mentionné dans la communication des griefs tous les éléments qu’elle envisageait de prendre en compte à cette fin, dont ceux requis au titre de l’exigence de motivation. Elle n’aurait, en outre, pas été tenue d’indiquer son intention de tenir compte de la circonstance aggravante de récidive. En tout état de cause, la requérante ne pouvait ignorer que les lignes directrices mentionnent explicitement la récidive comme circonstance aggravante, ni qu’elle avait déjà fait l’objet à deux reprises d’un constat d’infraction.
Appréciation du Tribunal
50 Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle indique également les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner l’imposition d’une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/9959, Rec. p. II‑1881, point 78).
51 En ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de présenter des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l’infraction. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d’une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende, dans la mesure où le Tribunal statue avec compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l’amende, en vertu de l’article 17 du règlement nº 17 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 235, et, en ce sens, arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 50 supra, point 79).
52 En l’espèce, il y a lieu de constater, en premier lieu, que la Commission a indiqué, au point 213 de la communication des griefs, eu égard aux faits reprochés, son intention d’infliger des amendes aux entreprises destinataires, dont la requérante. La Commission a ajouté, au point 214 de la communication des griefs, que, pour déterminer le montant des amendes à infliger, elle devait tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce et en particulier de la gravité et de la durée de l’infraction. La Commission a par ailleurs indiqué, au point 216 de cette communication, que, parmi les faits exposés dans la communication des griefs, elle tiendrait notamment compte du fait que les ententes visées constituaient une violation délibérée de l’article 81, paragraphe 1, CE.
53 La Commission a également indiqué, au même point 216, que les accords de répartition des marchés et de fixation de prix, tels que décrits dans la communication des griefs, constituaient, par leur nature même, le type de violation le plus grave de l’article 81, paragraphe 1, CE. Elle a précisé, au point 215 de la communication des griefs, qu’elle tiendrait compte, pour apprécier la gravité de l’infraction, de sa nature, de son incidence réelle sur le marché, lorsqu’elle est mesurable, ainsi que de l’étendue du marché géographique en cause. Elle a par ailleurs mentionné, au point 216 de ladite communication, qu’elle déterminerait le rôle de chaque entreprise ayant pris part à l’infraction, en tenant compte, entre autres éléments, du rôle joué par chacune dans les accords secrets visés et de la durée de chacune de ces participations à l’infraction.
54 La Commission a aussi précisé, au point 217 de la communication des griefs, que le montant de l’amende qui serait infligée à chaque entreprise refléterait les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes et qu’elle appliquerait, lorsqu’il y aurait lieu, la communication sur la coopération. Enfin, la Commission a indiqué, au point 218, qu’elle se proposait de fixer le montant des amendes à un niveau suffisant pour garantir leur effet dissuasif.
55 Il résulte de ce qui précède que la Commission a, conformément à la jurisprudence susmentionnée, indiqué expressément, dans sa communication des griefs (points 213 à 218), son intention d’infliger des amendes aux entreprises destinataires et les éléments de fait et de droit dont elle tiendrait compte pour le calcul du montant de l’amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, son droit à être entendue a été respecté.
56 En deuxième lieu, s’agissant plus particulièrement de la circonstance aggravante de récidive retenue à l’encontre de la requérante, il y a lieu de relever, d’une part, que les lignes directrices citent comme exemple de circonstance aggravante la récidive d’une même entreprise pour une infraction du même type et, d’autre part, que la Commission a indiqué dans la communication des griefs qu’elle tiendrait compte du rôle individuel joué par chaque entreprise dans les accords secrets visés et que le montant de l’amende refléterait les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes. La requérante ne pouvait donc ignorer que la Commission retiendrait cette circonstance aggravante si elle aboutissait à la conclusion que ses conditions d’application se trouvaient réunies.
57 En troisième lieu, s’agissant plus spécifiquement de l’argument selon lequel la requérante aurait fait l’objet d’un traitement discriminatoire vis-à-vis d’autres entreprises récidivistes à l’encontre desquelles cette circonstance aggravante n’aurait pas été retenue, il importe de souligner que le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments ne constituaient pas une circonstance aggravante aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (voir notamment, par analogie, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 357 ; du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 368, et du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, points 234 et 337). D’autre part, ainsi qu’il résulte des considérations exposées au point 56 ci-dessus, la possibilité donnée, dans le cadre d’une autre affaire, à une entreprise de se prononcer sur l’intention de constater à son égard une récidive n’implique nullement que la Commission a l’obligation de procéder de la sorte dans tous les cas ni que, en l’absence d’une telle possibilité, la requérante est empêchée d’exercer pleinement son droit d’être entendue.
58 Dans ces conditions, la deuxième branche du moyen doit être rejetée.
c) Sur la troisième branche, tirée du caractère non documenté de réunions tenues entre la Commission et Interbrew ainsi que du refus de la Commission de communiquer à la requérante la réponse d’Interbrew à la communication des griefs
Arguments des parties
59 La requérante fait valoir, d’une part, que ni la communication des griefs ni la décision attaquée ne contiennent d’éléments précis lui permettant d’apprécier le contenu et la portée de réunions tenues entre des agents de la Commission et des représentants d’Interbrew mentionnées au considérant 34 de la décision attaquée. Aucun procès-verbal de ces réunions, qui, en l’occurrence, n’auraient pas été portées à la connaissance de la requérante avant l’adoption de la décision attaquée, ne serait en outre joint au dossier de la Commission. D’autre part, en lui refusant, par lettre du 7 février 2002, l’accès à la réponse d’Interbrew à la communication des griefs, la Commission aurait violé ses droits de la défense ainsi que le principe de bonne administration.
60 La requérante estime, en premier lieu, ne pas avoir été mise en mesure de vérifier et, le cas échéant, de contester les déclarations éventuelles d’Interbrew lors des réunions susmentionnées, pourtant susceptibles d’avoir eu une influence importante sur l’appréciation par la Commission des faits en cause et de la coopération des entreprises faisant l’objet de l’enquête.
61 Sur ce point, la requérante soutient notamment que la Commission a fait preuve d’une attitude globalement bienveillante vis-à-vis d’Interbrew, contrastant avec la sévérité témoignée à son égard. Ainsi, l’absence d’évocation, durant la procédure, de la position dominante d’Interbrew, qui aurait pourtant été à l’origine de l’enquête, pourrait s’expliquer à la lumière du contenu des réunions informelles en cause. Par ailleurs, la mention, dans la décision attaquée, d’un entretien téléphonique entre M. L. B. (Alken-Maes) et M. A. B. (Interbrew) le 9 décembre 1996 ne serait pas étayée par le dossier. Il en irait de même du contenu rapporté d’une réunion interne à Interbrew le 5 mai 1994, lors de laquelle le Chief Executive Officer (ci-après le « CEO ») d’Interbrew (M. M.), c’est-à-dire son dirigeant suprême, aurait dévoilé un scénario, prétendument conforme à la demande de la requérante, selon lequel Interbrew devait transférer 500 000 hectolitres de bière à Alken-Maes.
62 La requérante fait valoir, en second lieu, qu’elle n’a pas eu accès à la réponse d’Interbrew à la communication des griefs, cet accès ayant été refusé par la Commission. En effet, la requérante aurait expressément sollicité de la Commission, par lettres des 24 et 28 janvier 2002, un nouvel accès au dossier, en particulier l’accès à la réponse d’Interbrew à la communication des griefs, ce que la Commission aurait refusé par courrier daté du 7 février 2002.
63 La Commission fait valoir que la requérante connaissait l’existence des réunions informelles et qu’elle n’a jamais demandé, durant la procédure administrative, l’accès à d’éventuels comptes rendus de ces réunions, au demeurant inexistants et qui auraient, en tout état de cause, été dépourvus d’utilité. Tous les éléments de faits contenus dans la décision attaquée seraient fondés sur des documents du dossier, auquel la requérante n’aurait jamais contesté avoir eu accès. Quant à la demande d’accès aux documents formulée en vertu du règlement (CE) nº 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), elle aurait été retirée.
Appréciation du Tribunal
64 En premier lieu, en ce qui concerne les réunions informelles avec les parties, il convient de relever que ni la requérante ni la Commission ne contestent dans leurs écritures le fait que de telles réunions n’ont pas donné lieu à la rédaction de comptes rendus. Dès lors, la présente branche du premier moyen concernant ces réunions revient à soutenir que le respect par la Commission du droit d’accès au dossier, dans les affaires de concurrence, l’oblige à établir et à rendre accessibles aux parties de tels comptes rendus.
65 À cet égard, il convient de rappeler que la jurisprudence citée aux points 33 et 34 ci-dessus établit que le droit d’accès au dossier dans les affaires de concurrence a pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant au dossier de la Commission, afin que le droit d’être entendu puisse être exercé utilement. La Commission a ainsi l’obligation de rendre accessible aux entreprises concernées l’ensemble des documents à charge ou à décharge qu’elle a recueillis au cours de l’enquête, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles.
66 Il résulte en outre de la jurisprudence qu’il n’existe, en revanche, aucune obligation générale, pour la Commission, d’établir des comptes rendus des discussions qu’elle a eues avec les autres parties, dans le cadre de l’application des règles de concurrence du traité, au cours de réunions tenues avec celles-ci (voir, en ce sens, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 3342 supra, point 351).
67 L’absence d’une telle obligation n’est toutefois pas de nature à soustraire la Commission aux obligations qui lui incombent en matière d’accès au dossier. Il ne saurait, en effet, être admis que le recours à la pratique des relations verbales avec les tiers porte atteinte aux droits de la défense. Ainsi, si la Commission entend utiliser, dans sa décision, un élément à charge transmis de manière verbale par une autre partie, elle doit le rendre accessible à l’entreprise concernée, afin que celle-ci puisse se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue sur la base de cet élément. Le cas échéant, elle doit créer à cette fin un document écrit destiné à figurer dans son dossier (voir, en ce sens, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 3342 supra, point 352).
68 En l’espèce, il y a lieu de constater que, à l’exception de deux allégations concrètes, l’argumentation de la requérante consiste à affirmer de manière générale, d’abord, que les réunions informelles ont pu avoir une influence importante sur l’appréciation des faits et de la coopération des entreprises faisant l’objet de l’enquête, ensuite, que la Commission a eu à l’égard d’Interbrew, au cours de la procédure, une attitude globalement bienveillante contrastant avec la sévérité avec laquelle la décision attaquée la considère et, enfin, que, si les informations communiquées lors des réunions formelles étaient utiles à Interbrew, elles ne pouvaient pas ne pas affecter sa position.
69 Cette argumentation générale, qui ne précise pas en quoi les éléments à charge retenus par la Commission dans la décision attaquée seraient fondés sur des éléments transmis lors des réunions informelles, n’est pas de nature à établir la réalité d’une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction de circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt Solvay/Commission, point 36 supra, point 60). En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 33 ci-dessus, le droit d’accès au dossier dans les affaires de concurrence est uniquement reconnu aux fins de permettre aux entreprises concernées de se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs. Or, la requérante n’ayant indiqué, sous réserve des deux allégations concrètes examinées ci-après, aucun grief retenu dans la communication des griefs puis dans la décision attaquée qui serait fondé sur des éléments transmis verbalement lors des réunions informelles auxquels elle n’aurait pas eu accès, elle ne saurait reprocher à la Commission une violation des droits de la défense sur ce point (voir, en ce sens, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 33 supra, points 353 et 354).
70 En ce qui concerne les deux allégations concrètes susmentionnées, selon lesquelles les références à un entretien téléphonique du 9 décembre 1996 et au contenu d’une réunion interne du 5 mai 1994 figurant dans la décision attaquée ne pourraient trouver leur source que dans le contenu des réunions informelles, il y a lieu d’examiner si les faits en question s’appuient sur des éléments précis figurant au dossier.
71 S’agissant, d’abord, de l’entretien téléphonique du 9 décembre 1996, mentionné au considérant 91 de la décision attaquée, il y a lieu de constater que le point 93 de la communication des griefs indique que, « à la suite d’une réunion qui [s’est tenue] le 19 septembre, M. L. B. (Alken-Maes) a le 9 décembre 1996 [eu] un entretien téléphonique avec M. A. B. (Interbrew) ». Cette phrase est assortie de la note 116 de bas de page indiquant : « Lettre d’Alken-Maes du 7 mars 2000 et ses annexes 42 et 44 ([pages] 7884, 8513, et 8528 à 8530 [du dossier de la Commission]), contenant des références aux documents ci-après : vérification effectuée chez Alken-Maes, document AvW19 ([pages] 150 à 153 [du dossier de la Commission]) et document MV17 ([pages] 532 à 541 [du dossier de la Commission]) ». Les mêmes références apparaissent dans la décision attaquée, dans la note 123 de bas de page, correspondant au considérant 91.
72 En réponse à une question écrite du Tribunal lui demandant de préciser les éléments qui l’ont conduite à conclure qu’un entretien téléphonique avait eu lieu le 9 décembre 1996, au sujet des tarifs d’Interbrew, entre M. L. B. (Alken-Maes) et M. A. B. (Interbrew), la Commission a répondu qu’elle était arrivée à cette conclusion sur le fondement de la page 8513 du dossier de la Commission, constituant la dernière page de l’annexe 42 de la lettre d’Alken-Maes à la Commission du 7 mars 2000.
73 L’analyse de ce document, qui consiste en des notes manuscrites de M. L. B. (Alken-Maes), révèle que, si aucune conversation téléphonique s’étant tenue le 9 décembre 1996 n’y est mentionnée, ce document laisse, en revanche, apparaître plusieurs annotations, visiblement portées ultérieurement à sa rédaction initiale, qui tiennent apparemment lieu de réponse à des questions, rédigées initialement, sur les conditions tarifaires d’Interbrew. Or, trois de ces annotations incluent la date « (9/12/96) » et deux d’entre elles l’abréviation « IB » (Interbrew), l’une incluant en outre les initiales de M. A. B. (Interbrew).
74 Il y a donc lieu de conclure, d’abord, que la mention de l’existence d’un contact, le 9 décembre 1996, entre Interbrew et Alken-Maes sur les conditions tarifaires d’Alken-Maes figure bien dans la communication des griefs et que l’existence du contact auquel se réfère la Commission est étayée par un document qui, figurant au dossier, a été accessible à la requérante, puisque son ancienne filiale Alken-Maes l’a elle-même fourni à la Commission. Le fait que le contact ait été téléphonique ou non est dénué d’importance du point de vue de l’exercice du droit d’être entendu, car, bien qu’il soit regrettable que l’affirmation de la Commission sur ce point ne soit pas étayée, c’est au sujet de l’existence d’un contact et, le cas échéant, de son contenu que la requérante devait bénéficier du droit d’être entendue et non au sujet du caractère téléphonique ou non d’un tel contact, ce point étant sans incidence sur la détermination de son caractère infractionnel ou non.
75 S’agissant, ensuite, de l’affirmation contenue au considérant 53 de la décision attaquée, à savoir que le « scénario » dévoilé par le CEO d’Interbrew lors d’une réunion interne le 5 mai 1994 était « conforme à la demande de Danone/Kronenbourg », c’est-à-dire qu’Interbrew cède 500 000 hectolitres à Alken-Maes (notamment dans le commerce de détail) », il y a lieu de constater que le point 55 de la communication des griefs indique que, « [l]ors d’une discussion interne au sein d’Interbrew, [M. M.] dévoile le scénario suivant, correspondant à la demande de Danone/Kronenbourg. Interbrew devrait céder 500 000 hectolitres à Alken-Maes (notamment dans le commerce de détail) et que si « Interbrew n’accédait pas à cette demande, Interbrew France serait détruit avec la complicité de Heineken, et Interbrew serait attaqué en Belgique avec des prix très bas ». Le point 56 qui suit précise que « [l]e scénario présenté par Kronenbourg [a] été examiné lors d’une réunion interne d’Interbrew le 5 mai 1994 ». Le point 55 de la communication des griefs est assorti des deux notes 35 et 36 de bas de page, qui se réfèrent à une lettre d’Interbrew du 28 février 2000 et à son annexe 18 (page 7683 du dossier de la Commission). On retrouve les mêmes références documentaires dans la décision attaquée, au considérant 53.
76 À cet égard, il y a lieu de relever que l’annexe 18 de la lettre d’Interbrew du 28 février 2000, qui consiste en une déclaration de M. C. d’Interbrew, contient à la page 2 de ladite déclaration la phrase suivante :
« [M. M.] a évoqué avec nous, au cours d’une réunion interne (le 5 mai 1994), le scénario qui était une demande de Kronenbourg. En substance, KRO exerçait du chantage pour que ITW transfère 500 000 [hectolitres] vers AM (surtout dans le ‘Food’). Sinon, ils détruiraient ITW-France avec la complicité de Heineken et ils attaqueraient ITW-Belgique avec des prix très bas. »
77 Force est donc de constater que l’affirmation contenue au considérant 53 de la décision attaquée et aux points 55 et 56 de la communication des griefs reprend, en substance, le contenu d’une information fournie par écrit par Interbrew, qui figure au dossier et a, à ce titre, été accessible à la requérante. Cette dernière ne saurait donc se prévaloir du fait que, s’agissant de l’affirmation contenue au considérant 53 de la décision attaquée, elle n’a pu effectivement faire valoir son droit d’être entendue.
78 Il résulte de ce qui précède, d’une part, que les affirmations prétendument issues des réunions informelles avec Interbrew figuraient dans la communication des griefs et, d’autre part, qu’elles trouvaient, en tout état de cause, leur fondement, en ce qu’elles étaient nécessaires à l’établissement de la preuve d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, dans des documents auxquels la requérante a eu accès. Il y a donc lieu de conclure que la requérante a pu utilement se prononcer sur ces affirmations et que son droit à être entendue a été respecté.
79 En second lieu, en ce qui concerne l’argument selon lequel la requérante s’est vu, en violation des droits de la défense, refuser l’accès aux pièces versées au dossier après qu’elle a eu accès à celui-ci le 5 octobre 2002, dont notamment la réponse d’Interbrew à la communication des griefs en ce qu’elle aurait pu contenir des éléments à décharge, il suffit de rappeler que la demande d’accès aux pièces additionnelles du dossier a été introduite par lettres des 24 et 28 janvier 2002, après la clôture de la procédure administrative. Or, l’omission de présenter une telle demande au cours de la procédure administrative a un effet de forclusion sur ce point pour ce qui concerne le recours en annulation formé ultérieurement (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 31 supra, point 383). Il y a donc lieu de rejeter cet argument.
80 Quant à la demande d’accès formulée le 4 mars 2002 en vertu du règlement nº 1049/2001, il suffit de constater que l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement dispose que, « [e]n cas de refus total ou partiel, le demandeur peut adresser, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de la réponse de l’institution, une demande confirmative tendant à ce que celle-ci révise sa position ». Or, à la suite du refus de la Commission, le 26 mars 2002, de donner une suite favorable à la demande d’accès de la requérante, il y a lieu de constater que celle-ci, en ne présentant pas de demande confirmative dans les délais prévus, ainsi qu’elle l’a confirmé lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, a retiré sa demande du 4 mars 2002.
81 Il s’ensuit que la troisième branche du moyen doit être rejetée ainsi que, partant, l’intégralité de celui-ci.
2. Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation
a) Arguments des parties
82 La requérante fait valoir que la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce que, d’une part, elle ne contient aucune définition des marchés pertinents, alors qu’il s’agit d’une condition nécessaire et préalable à toute appréciation d’un comportement anticoncurrentiel et, d’autre part, elle se borne à une simple référence, pour le calcul du montant de l’amende, aux lignes directrices, sans indiquer la portée exacte des critères utilisés pour la détermination du montant de l’amende qui lui est infligée.
83 Ainsi, en premier lieu, la décision attaquée serait insuffisamment motivée en ce que, contrairement à l’exigence posée par la jurisprudence du Tribunal (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, dit « Verre plat », T‑68/89, T‑77/89 et T‑78/89, Rec. p. II‑1403, point 159), elle ne serait pas fondée sur une définition adéquate du marché pertinent de l’espèce, mais uniquement sur la constatation de l’existence d’un « marché de la bière belge ». La Commission ferait à tort l’économie d’une analyse de l’étendue géographique exacte du ou des marchés en cause ainsi que de l’éventuelle substituabilité des divers produits brassicoles. La substitution par la Commission, dans sa défense, de l’expression « secteur de la bière en Belgique » à celle de « marché de la bière belge » ne répondrait pas à l’objection de la requérante selon laquelle, en l’espèce, la définition du marché était consubstantielle à la définition de l’infraction. Les marchés géographiques mentionnés, à savoir les marchés belges et français, seraient définis de manière insuffisamment documentée dans la décision attaquée.
84 Par ailleurs, la Commission aurait pris en compte des éléments de fait se rapportant au marché français sans que l’analyse de leur portée à l’aune des caractéristiques spécifiques de ce marché ait été considérée nécessaire. En particulier, la Commission s’appuierait sur l’argument d’une menace de représailles sur le marché français, prétendument proférée par la requérante à l’encontre d’Interbrew, alors que l’existence d’un tel comportement restrictif de la concurrence ne saurait être établie qu’au terme de la constatation d’une certaine puissance sur un marché correctement défini.
85 En l’espèce, certains faits utilisés à l’appui de la constatation de l’infraction faisant l’objet de la décision attaquée, dont la réunion du 11 mai 1994, l’entretien téléphonique du 6 juillet 1994 et la réunion du 17 avril 1997, avaient, selon la Commission, un objet plus large que la Belgique. En outre, l’interaction entre la France et la Belgique et la similitude des comportements dans ces deux pays auraient été, selon la Commission, des éléments importants de l’infraction, en particulier en ce qui concerne la menace alléguée.
86 À cet égard, le choix de la Commission de traiter dans des cadres distincts des comportements présentant des similitudes s’écarterait de sa pratique traditionnelle consistant à constater dans une seule décision différents comportements infractionnels, dès lors qu’il existe un lien entre ceux-ci du fait de l’identité des parties à l’entente, de la similarité des mécanismes de l’entente dans différents pays ou encore de l’interaction entre différents territoires ou produits [voir, par exemple, la décision 96/478/CE de la Commission, du 10 janvier 1996, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.279/F3 – ADALAT) (JO L 201, p. 1, ci-après la « décision ADALAT »), et les décisions Vitamines et Papier autocopiant).
87 Or, le choix d’adopter plusieurs décisions placerait la requérante dans une situation d’insécurité juridique et aurait pour effet de permettre à la Commission de gonfler artificiellement, du fait de l’application répétée de montants de départ et éventuellement de coefficients multiplicateurs, le montant total des amendes imposées au regard d’un ensemble donné de faits, sans que les entreprises en cause aient eu la possibilité de comprendre en quoi les comportements étaient distincts et pour quelles raisons ils constituaient des infractions séparées.
88 En second lieu, la décision attaquée serait également insuffisamment motivée s’agissant du calcul du montant de l’amende. En se contentant d’une simple référence, au considérant 294 de la décision attaquée, à la méthodologie définie par les lignes directrices, alors que celles-ci ont pour finalité de « permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice », la Commission aurait failli à l’obligation de motivation lui incombant et violé le principe de sécurité juridique.
89 La motivation du montant de l’amende se fondant sur une méthodologie consistant à prendre un point de départ chiffré et à lui appliquer des corrections, il serait essentiel que la Commission précise de manière suffisamment détaillée la portée des critères rentrant dans le calcul du montant de l’amende pour atteindre l’objectif assigné à l’obligation de motivation, à savoir de permettre à la requérante d’apprécier la cohérence et la légalité de la fixation du montant de l’amende afin de défendre ses droits, au Tribunal et à la Cour d’exercer leur contrôle, ainsi qu’à tout intéressé de connaître les conditions d’application par la Commission du traité CE.
90 En l’espèce, nonobstant le fait que la Commission n’est pas tenue à une formule arithmétique, la décision attaquée n’indiquerait ni le détail du calcul de l’amende infligée ni la portée exacte de chacun des critères énoncés pour déterminer son montant. Ainsi, contrairement à la démarche suivie dans d’autres décisions prises en matière d’ententes, telles les décisions Vitamines et Papier autocopiant, le choix arbitraire d’un montant forfaitaire de 25 millions d’euros et la portée de la recherche d’un effet dissuasif de l’amende, invoquée au considérant 305 de la décision attaquée, ne seraient pas justifiés par des critères quantifiés. L’absence de définition adéquate du marché pertinent mettrait également en évidence l’insuffisante motivation du calcul du montant de l’amende, puisque, selon les lignes directrices, le choix du montant de départ est lié à des considérations relatives à la taille du marché géographique en cause, à l’impact de l’entente sur ce marché et au chiffre d’affaires qui y est réalisé.
91 En particulier, la Commission n’aurait appliqué, sur le fondement des deux circonstances aggravantes retenues à l’égard de la requérante, à savoir l’exercice d’une contrainte sur Interbrew et la récidive, qu’un pourcentage unique d’augmentation de l’amende de 50 %, sans indiquer la portée respective de chaque circonstance aggravante retenue. L’absence de précisions concernant l’importance respective des différents critères utilisés dans le calcul du montant de l’amende n’aurait pas permis à la requérante d’évaluer dans quelles proportions l’amende imposée devrait être réduite.
92 Par ailleurs, cette absence d’éléments clairs et pertinents serait d’autant plus inexcusable que la Commission reconnaîtrait l’existence de documents préparés par ses services pour consultation et délibération internes concernant le calcul du montant de l’amende et que ces documents n’étaient pas accessibles. Or, une telle circonstance suggérerait que la Commission a pris en compte, dans la décision attaquée, d’autres éléments que ceux qui lui ont été accessibles, sans toutefois les mentionner dans celle-ci.
93 La requérante fait plus spécifiquement valoir l’absence de motivation suffisante par la Commission de la circonstance aggravante de récidive retenue à son égard. Ce défaut de motivation lui serait particulièrement préjudiciable dans la mesure où la Commission ne majorerait pas systématiquement le montant de l’amende pour récidive, mais ferait preuve, dans sa pratique décisionnelle, d’hésitations quant au rôle et à l’importance qui doivent lui être attribués dans la détermination du montant de l’amende, l’adoption des lignes directrices n’ayant pas suffi à lever l’incertitude qui en découle.
94 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.
b) Appréciation du Tribunal
95 S’agissant des recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation des règles de concurrence, le Tribunal est compétent à un double titre. D’une part, il est chargé de contrôler leur légalité, au titre de l’article 230 CE. Dans ce cadre, il doit notamment contrôler le respect de l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE, dont la violation rend la décision annulable. D’autre part, le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par l’article 229 CE et l’article 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant des amendes. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision attaquée n’est pas comme telle requise en vertu de l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C‑248/98 P, Rec. p. I‑9641, points 38 à 40, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 215).
96 En ce qui concerne le contrôle du respect de l’obligation de motivation, il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19 ; du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63 ; arrêt Cheil Jedang/Commission, point 95118 supra, point 216).
97 En ce qui concerne la portée de l’obligation de motivation concernant le calcul d’une amende infligée pour violation des règles communautaires de concurrence, il convient de rappeler, d’une part, que celle-ci doit être déterminée au regard des dispositions de l’article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement nº 17, aux termes duquel, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ». Or, les exigences de la formalité substantielle que constitue cette obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 73, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 463). D’autre part, les lignes directrices, ainsi que la communication sur la coopération, contiennent des règles indicatives sur les éléments d’appréciation dont il est tenu compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 217). Dans ces conditions, les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation dont elle a tenu compte en application de ses lignes directrices et, le cas échéant, de sa communication sur la coopération, et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction aux fins du calcul du montant de l’amende (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 218).
98 En l’espèce, la Commission a satisfait à ces exigences.
99 S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’une absence de définition préalable du marché pertinent par la Commission, il y a lieu de constater que la Commission n’avait, en l’espèce, aucune obligation d’opérer une délimitation du marché en cause. En effet, il résulte de la jurisprudence que, dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, c’est pour déterminer si un accord est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut définir le marché en cause (arrêts du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, point 74 ; Ciment, point 31 supra, point 1093, et du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 230). Par conséquent, l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81, paragraphe 1, CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, points 93 à 95 et 105, et Volkswagen/Commission, précité, point 230). Or, il n’est pas contesté par la requérante que les accords ou les pratiques concertées en cause étaient susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et avaient pour objet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Par conséquent, l’application faite par la Commission de l’article 81 CE n’exigeant pas, en l’espèce, une définition préalable du marché pertinent, aucune violation de l’obligation de motivation ne saurait être constatée sur ce point.
100 Pour les mêmes raisons, le constat par la Commission, aux fins de l’application des lignes directrices, d’une menace proférée par la requérante, s’il doit faire apparaître de façon claire et non équivoque, pour répondre aux exigences de l’article 253 CE, le raisonnement suivi, ne saurait, en revanche, avoir pour préalable indispensable la délimitation du marché en cause. La thèse inverse, développée par la requérante, doit donc être écartée.
101 Il en va de même du raisonnement relatif à la prise en considération de l’étendue du marché géographique. Dans la mesure où la requérante fait valoir que la motivation insuffisante du caractère national du marché permettrait à la Commission d’envisager de constater, de manière infondée, des infractions distinctes avec pour conséquence une augmentation artificielle du montant des amendes imposée à la requérante, il suffit de relever qu’une telle intention est prêtée à la Commission de manière parfaitement hypothétique, cette allégation se fondant sur de pures conjectures, puisqu’elle n’est étayée par aucun commencement de preuve. L’argument qui en est tiré doit donc être écarté.
102 S’agissant, en second lieu, du grief tiré d’une motivation insuffisante du calcul du montant de l’amende, il importe de relever que la Commission a exposé, aux considérants 296 à 328 de la décision attaquée, les éléments qu’elle a pris en considération pour calculer le montant des amendes de chacune des entreprises concernées. Or, il ressort des considérants susmentionnés de la décision attaquée que la Commission a fait apparaître de façon claire et détaillée le raisonnement qu’elle a suivi, permettant ainsi à la requérante de connaître les éléments d’appréciation pris en compte pour mesurer la gravité et la durée de l’infraction aux fins du calcul du montant de l’amende et au Tribunal d’exercer son contrôle. Il y a donc lieu de conclure que la décision attaquée satisfait à l’exigence de motivation qui incombe à la Commission au titre de l’article 253 CE.
103 Le présent moyen doit donc être rejeté, ainsi que, partant, l’ensemble des conclusions en annulation de la décision attaquée.
B – Sur les conclusions, soulevées à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende infligée
104 La requérante soulève six moyens visant la réduction du montant de l’amende infligée. Ils sont tirés, respectivement, d’une évaluation erronée de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de départ de l’amende en violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et du principe non bis in idem, d’une appréciation erronée de la durée constatée de l’infraction, du caractère infondé de la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte exercée sur Interbrew, de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la requérante, de la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables et, enfin, d’une appréciation incorrecte de l’ampleur de la coopération de la requérante en violation du principe d’égalité de traitement et de la communication sur la coopération.
1. Sur le moyen tiré d’une évaluation erronée de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de départ de l’amende, en violation des principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et non bis in idem
a) Arguments des parties
Arguments de la requérante
105 La requérante conteste le bien-fondé du montant de départ spécifique déterminé par la Commission au titre de la gravité de l’infraction sur le fondement de quatre griefs successifs, à savoir une appréciation erronée, en violation des lignes directrices et de certains principes généraux du droit communautaire, premièrement, du caractère de gravité de l’infraction, deuxièmement, de sa capacité économique effective à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, troisièmement, du niveau assurant un caractère suffisamment dissuasif à l’amende et, quatrièmement, de la prise en compte du fait qu’elle disposait de connaissances et des infrastructures juridico-économiques lui permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et des conséquences qui en découlaient du point de vue du droit de la concurrence.
106 Elle estime que, eu égard notamment à l’importance quantitative très limitée du produit visé par l’entente à l’aune de la consommation totale de bière dans l’Union européenne, à l’étendue géographique très limitée de ladite entente et au caractère très modeste du chiffre d’affaires qu’elle a réalisé pour le produit visé, le montant de départ la concernant n’aurait, en tout état de cause, pas dû dépasser huit millions d’euros.
– Sur l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction : violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité
107 S’agissant de l’évaluation par la Commission du caractère de gravité de l’infraction au sens du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, la requérante ne conteste pas les caractéristiques de l’infraction citées au considérant 297 de la décision attaquée, qu’elle affirme avoir, avec Alken-Maes, reconnues et portées à la connaissance de la Commission, mais uniquement la portée que la Commission attribue à l’ensemble des éléments de fait mentionnés dans la section de la décision attaquée consacrée à la gravité de l’infraction ainsi que la qualification finale de l’infraction de très grave qui en résulte. La requérante estime que, en retenant une telle qualification, alors même qu’elle n’a jamais qualifié de très graves des infractions comparables, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en traitant des situations comparables de façon différente (arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 57 supra, point 295).
108 La requérante fait, d’abord, valoir que, bien que se référant à la méthodologie de détermination de la gravité des infractions indiquée dans les lignes directrices, la Commission n’a pas examiné la question de l’impact concret de l’entente en cause sur le marché.
109 Elle soutient, ensuite, que la conclusion de la Commission sur le caractère très grave de l’infraction est en contradiction tant avec les exemples qu’elle cite dans les lignes directrices qu’avec la pratique décisionnelle qui a suivi leur publication. La qualification d’une entente de très grave serait normalement réservée à des ententes organisées, voire institutionnalisées, impliquant des mécanismes de vérification, d’organisation et de suivi sophistiqués, sans commune mesure avec le comportement reproché en l’espèce, et opérant à l’échelle mondiale ou de plusieurs grands États membres, le territoire le plus limité concerné par ces infractions jugées très graves ayant englobé quatre États membres de la Communauté, parmi les plus grands [décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/E‑1/35.860‑B – Tubes d’acier sans soudure) (JO 2003, L 140, p. 1, ci-après la « décision Tubes d’acier sans soudure »)].
110 La requérante estime, premièrement, que l’infraction, eu égard à son caractère peu formel, aurait dû être caractérisée comme grave et non comme très grave, d’autant plus que la Commission a caractérisé comme grave des infractions dont le degré de sophistication équivalait à tout le moins à celui de l’infraction visée en l’espèce [décision 2003/25/CE de la Commission, du 11 décembre 2001, relative à une procédure ouverte au titre de l’article 81 du traité CE – Affaire COMP/E‑1/37.919 (ex. 37.391) – Frais bancaires pour la conversion de monnaies de la zone euro – Allemagne (JO 2003, L 15, p. 1, ci-après la « décision Banques allemandes ») ; décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24, ci-après la « décision Transbordeurs grecs »), et décision 1999/210/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (Affaire IV/F‑3/33.708 – British Sugar plc, affaire IV/F‑3/33.709 – Tate & Lyle plc, affaire IV/F‑3/33.710 – Napier Brown & Company Ltd et affaire IV/F‑3/33.711 – James Budgett Sugars Ltd) (JO 1999, L 76, p. 1, ci-après la « décision British Sugar »)].
111 Deuxièmement, eu égard à l’étendue limitée du territoire belge, la Commission aurait fait preuve, en l’espèce, d’une sévérité excessive, en violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, sa pratique décisionnelle révélant qu’elle a retenu à plusieurs reprises comme circonstance justifiant la qualification d’une infraction de grave, et non de très grave, le fait qu’elle ne concernait qu’un marché d’importance modeste ou d’étendue géographiquement limitée (décisions Transbordeurs grecs, British Sugar et Banques allemandes).
112 Troisièmement, l’argument de la Commission selon lequel l’un des critères retenus pour l’évaluation de la gravité de l’infraction a été l’impact direct de celle-ci sur les consommateurs serait dépourvu de portée. Selon la requérante, d’une part, les ententes visées dans les décisions Banques allemandes et British Sugar avaient les mêmes caractéristiques, sans que la Commission les ait qualifiées pour autant de très graves et, d’autre part, la structure, en l’espèce, de la distribution des produits en cause, tant en ce qui concerne la grande distribution que le secteur horeca – vu la taille des entrepositaires –, aurait joué un rôle de contrepoids puissant à l’entente, permettant de mitiger en partie ses effets négatifs sur les consommateurs.
113 La requérante conclut que la Commission ne pouvait, sous peine de violer le principe d’égalité de traitement, qualifier l’infraction constatée dans la décision attaquée de très grave, alors qu’elle n’a pas revêtu la forme d’une entente organisée dotée de structures ou de mécanismes sophistiqués assurant le respect d’engagements entre entreprises et qu’elle n’a concerné qu’un territoire limité et une proportion modeste de la production de bière dans l’Union européenne. Le montant de l’amende devrait donc s’en trouver réduit de manière substantielle.
114 En tout état de cause, quand bien même la Commission n’aurait pas violé le principe d’égalité de traitement en qualifiant l’infraction de très grave, il conviendrait néanmoins de réduire le montant de départ de l’amende pour tenir compte du très faible impact de l’infraction sur le marché communautaire et du faible volume de vente des produits visés par l’entente, à l’instar de ce que la Commission aurait fait dans la décision Tubes d’acier sans soudure. En effet, dans cette décision, la Commission aurait, sans changer la qualification de l’infraction, retenu un montant de départ inférieur de moitié à celui qu’elle prévoit de retenir pour les infractions très graves dans les lignes directrices, au motif que les ventes des produits en question par les participants à l’entente dans les quatre États membres concernés ne représentaient qu’environ 19 % de la consommation communautaire. Or, en l’espèce, les produits visés par l’entente représentaient moins de 2,5 % de la consommation totale dans l’Union européenne. Le montant de départ spécifique retenu par la Commission serait donc disproportionné par rapport au volume et à la valeur de ces produits et devrait, dès lors, être réduit.
– Sur l’évaluation de la capacité économique effective de la requérante à créer un dommage important aux autres opérateurs : violation du principe de proportionnalité
115 S’agissant de l’appréciation par la Commission de sa capacité économique à porter atteinte à la concurrence, la requérante fait valoir qu’elle doit prendre comme cadre de référence le marché sur lequel l’infraction s’est manifestée, le montant de l’amende devant présenter une relation raisonnable avec le chiffre d’affaires réalisé sur ce marché (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 94).
116 Par ailleurs, il importerait de prendre en compte la position des entreprises en cause sur le marché de référence pour juger de leur capacité à influencer la concurrence.
117 Or, ces deux principes, quoique énoncés dans la décision attaquée, n’auraient pas été suivis par la Commission. Alors qu’Interbrew aurait réalisé, durant la période en cause, un chiffre d’affaires relatif aux ventes sur le marché quatre fois plus élevé que celui de la requérante, le montant de départ spécifique déterminé pour Interbrew serait moins de deux fois plus élevé que celui retenu à l’encontre de la requérante. Cette absence de proportionnalité serait contraire à la pratique récente de la Commission, telle qu’illustrée par sa décision 2003/674/CE, du 2 juillet 2002, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.37.519 – Méthionine) (JO 2003, L 255, p. 1, ci-après la « décision Méthionine »), dans laquelle elle aurait considéré que la différence entre les amendes prononcées devait refléter la disproportion entre la part de marché du premier producteur mondial sur le marché et l’un de ses concurrents dont les parts de marché étaient cinq fois inférieures.
118 En outre, la Commission aurait omis de prendre en compte la position dominante d’Interbrew sur le marché belge de la bière, qui aurait rendu nécessairement très limitée la capacité économique effective de la requérante à influencer le marché ou même à porter gravement atteinte à la concurrence. Au demeurant, la requérante se serait limitée à tenter d’endiguer sa marginalisation progressive.
119 En considérant qu’elle était en droit de déterminer le montant de départ de l’amende au regard du chiffre d’affaires global de la requérante, qui constituerait un indice de sa « capacité de nuire », plutôt que sur la base du chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause, la Commission aurait perdu de vue le critère de la « capacité à porter gravement atteinte à la concurrence » énoncé dans la décision attaquée. Aux fins de la prise en compte d’un chiffre d’affaires plus vaste que celui réalisé sur le marché de la bière en Belgique, la Commission aurait dû à la fois définir les marchés concernés et démontrer en quoi les activités de la requérante sur ces autres marchés lui permettaient de porter atteinte à la concurrence sur le marché de la bière.
120 Les montants d’amendes respectivement retenus à l’encontre d’Interbrew et de la requérante, loin de refléter le déséquilibre flagrant caractérisant leur situation respective, témoigneraient au contraire du caractère manifestement disproportionné du montant de départ spécifique retenu à l’encontre de la requérante au regard de sa capacité réelle à influencer le marché.
121 Ainsi, alors que le montant de 45 millions d’euros retenu contre Interbrew correspondrait à moins de 6,6 % de son chiffre d’affaires réalisé en 1998, la Commission aurait, en retenant un montant de 25 millions d’euros, infligé à la requérante un montant supérieur à 20 % du chiffre d’affaires réalisé en 2000 par l’entreprise réellement impliquée dans l’entente, Alken-Maes, en sorte que, si cette dernière avait été condamnée pour son propre comportement, la limite des 10 % du chiffre d’affaires total établie par le règlement nº 17 aurait été largement dépassée.
– Sur la détermination du montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif : violation du principe de proportionnalité
122 La requérante fait valoir, d’une part, que la Commission n’a pas individualisé l’élément de dissuasion retenu dans le calcul du montant de l’amende et que, bien qu’ayant relevé, dans la décision attaquée, que la requérante et Interbrew sont de grandes entreprises internationales et que la première est, en outre, une entreprise multiproduits, la Commission n’aurait pas explicité les principes qui ont servi à l’application du critère de dissuasion.
123 D’autre part, l’augmentation du montant de l’amende retenue par la Commission au titre de la finalité dissuasive de la sanction serait fondée sur des motifs dépourvus de pertinence et disproportionnée.
124 Ainsi, la détermination du niveau dissuasif de l’amende devrait répondre à un objectif de concurrence et ne saurait, selon la requérante, être opérée qu’au regard de la taille de l’entreprise sur le marché concerné et de ses espoirs de retirer des bénéfices du comportement incriminé sur ledit marché. Des facteurs tels que la dimension internationale de l’entreprise ou son état de récidiviste ne sauraient être pertinents. Contrairement à ce que la Commission a constaté à l’égard de l’entreprise ABB Asea Brown Boveri dans la décision 1999/60/CE, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1, ci-après la « décision Conduites précalorifugées »), il ne serait pas même allégué en l’espèce que la structure de la requérante et la présence de filiales étrangères au secteur de la bière ont facilité le comportement litigieux.
125 La théorie économique établirait, par ailleurs, que le montant d’une amende est suffisant dès lors qu’il dépasse les bénéfices escomptés par les parties à l’entente. Or, en l’espèce, un montant d’amende substantiellement inférieur aurait rempli cette condition, puisque la rentabilité de la requérante sur le marché concerné a été négative durant toute la période incriminée.
126 En outre, même si, comme le prétend la Commission, il importait, aux fins de la dissuasion, que l’amende soit d’autant plus élevée que la probabilité de détection d’une infraction est faible, ce qui est le cas en matière d’ententes secrètes, la requérante soutient que son montant aurait dû demeurer très significativement inférieur à celui retenu par la Commission. D’ailleurs, l’entente en question n’aurait pas été secrète, plusieurs réunions afférentes à celle-ci s’étant tenues en présence de concurrents – comme les réunions du groupe de travail « Vision 2000 » – ou de distributeurs – comme la réunion du 28 janvier 1993 – ces derniers ayant suivi de très près les agissements des parties à l’entente, comme l’illustrerait une lettre adressée aux brasseurs par la fédération des négociants.
127 Enfin, la prise en compte même d’un quelconque objectif de dissuasion aurait été inutile, l’effet de dissuasion – illustré par l’arrêt immédiat de l’échange de données de vente – ayant en l’occurrence été atteint dès le commencement de l’enquête et de la coopération dans laquelle la requérante s’est engagée.
– Sur la prise en compte des connaissances et des infrastructures juridico-économiques dont disposent en général les grandes entreprises : violation du principe non bis in idem
128 La requérante soutient que, en prenant en compte le fait qu’elle disposait des connaissances et des infrastructures juridico-économiques lui permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et des conséquences en résultant du point de vue du droit de la concurrence, la Commission a violé le principe non bis in idem en ce qu’elle a également augmenté le montant de l’amende au titre de la récidive dans la décision attaquée.
Arguments de la Commission
129 S’agissant de l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction, la Commission invoque la gravité des faits en cause et fait valoir que la qualification de très graves d’infractions limitées à un seul État membre n’est pas contraire à sa pratique décisionnelle. Par ailleurs, la taille d’un secteur ne se mesurerait pas uniquement à l’aune de son étendue géographique, mais devrait également l’être en termes d’importance économique. Le secteur de la bière en Belgique représentant quelque 1 200 millions d’euros, l’infraction aurait été commise dans un secteur très important. Enfin, l’infraction aurait eu un impact direct sur les consommateurs, que les caractéristiques de la distribution de la bière n’auraient aucunement atténué.
130 S’agissant du critère de la capacité économique effective à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, la Commission fait valoir que le chiffre d’affaires global de la requérante dépasse largement celui d’Interbrew. En outre, la Commission serait libre de déterminer le type de chiffre d’affaires à prendre en compte, à savoir le chiffre d’affaires global ou celui réalisé dans le secteur en cause, voire de combiner ces derniers le cas échéant. Enfin, le fait que le montant de départ spécifique retenu corresponde à 20 % du chiffre d’affaires annuel total d’Alken-Maes serait dépourvu de signification, puisque la limite fixée par le règlement nº 17 s’appliquerait, en l’espèce, au chiffre d’affaires de la requérante.
131 S’agissant de la recherche d’un caractère suffisamment dissuasif de l’amende, la Commission fait observer que, en présence d’une infraction secrète, le montant de l’amende doit être fixé à un niveau beaucoup plus élevé que le bénéfice escompté, la taille et le caractère multiproduits des activités de la requérante étant des critères pertinents aux fins de la détermination du caractère dissuasif. Ni la cessation de l’infraction ni la coopération de la requérante ne sauraient, par ailleurs, permettre de conclure qu’un niveau approprié de dissuasion a été atteint.
132 S’agissant, enfin, de la prise en compte des connaissances et des infrastructures juridico-économiques dont disposent en général les grandes entreprises, l’argument tiré d’une violation du principe non bis in idem manquerait en fait. Pour la détermination du montant de départ spécifique, la Commission se serait basée sur l’appréciation par la requérante du caractère infractionnel de son comportement, tandis que la récidive aurait été retenue eu égard à la persistance du comportement infractionnel de la requérante.
b) Appréciation du Tribunal
133 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, « [l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence […] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, […] du traité ». Il est prévu, dans la même disposition, que, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci » (arrêt du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 223).
134 Il est par ailleurs de jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59 ; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T‑49/95, Rec. p. II‑1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127).
135 En outre, le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, point 109 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, point 309, et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T‑304/94, Rec. p. II‑869, point 89). L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, point 109, et LR AF 1998/Commission, point 57 supra, points 236 et 237).
136 Il importe toutefois de relever que le Tribunal statue, en vertu de l’article 17 du règlement nº 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, il incombe au Tribunal d’apprécier si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction (voir, en ce sens, arrêts Deutsche Bahn/Commission, point 134 supra, points 125 et 127, et Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 93) et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par la requérante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951, point 48).
137 Il y a lieu de rappeler ensuite que, selon une jurisprudence constante, la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54 ; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T‑334/94, Rec. p. II‑1439, point 328, et LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 236). En particulier, l’appréciation de la gravité de l’infraction doit être effectuée en tenant compte de la nature des restrictions apportées à la concurrence (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Boehringer/Commission, 45/69, Rec. p. 769, point 53 ; arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 246). La Commission doit aussi veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 5062 supra, points 105 et 106, et ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 50 supra, point 166).
138 Cependant, selon la jurisprudence, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, point 57 supra, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, point 75). Pour établir la gravité des infractions, la Commission doit donc désormais obligatoirement prendre en compte, parmi une variété d’éléments, ceux qui sont contenus dans les lignes directrices, sauf à expliciter spécifiquement les motifs qui justifient, le cas échéant, de s’en écarter sur un point précis (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, dit « FETTCSA », T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 271).
139 Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant de départ général déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les « infractions peu graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les « infractions graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables peut varier entre 1 million et 20 millions d’euros, et les « infractions très graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret).
140 La Commission précise, à cet égard, que les infractions peu graves pourront, par exemple, être des restrictions, le plus souvent verticales, visant à limiter les échanges mais dont l’impact sur le marché reste limité, ne concernant en outre qu’une partie substantielle mais relativement étroite du marché communautaire (point 1 A, deuxième alinéa, premier tiret). Quant aux infractions graves, la Commission précise qu’il s’agira le plus souvent de restrictions horizontales ou verticales de même nature que dans le cas des infractions peu graves, mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun. Elle indique également qu’il pourrait s’agir de comportements abusifs de position dominante (point 1 A, deuxième alinéa, second tiret). S’agissant, enfin, des infractions très graves, la Commission indique qu’il s’agira pour l’essentiel de restrictions horizontales de type « cartels de prix » et de quotas de répartition des marchés, ou d’autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux ou d’abus caractérisés de position dominante d’entreprise en situation de quasi-monopole (point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret).
141 Les lignes directrices énoncent que, à l’intérieur de chacune des catégories d’infractions précitées, et notamment pour les catégories dites « graves » et « très graves », l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). De plus, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridiques et économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).
142 À l’intérieur de chacune des trois catégories définies ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature et d’adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).
143 Les lignes directrices précisent également que le principe d’égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l’exigent, à l’application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation n’obéisse à un calcul arithmétique (point 1 A, septième alinéa).
144 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner, d’abord, si, dans son application, en l’espèce, de la méthodologie définie dans les lignes directrices aux fins de la détermination de la gravité de l’infraction, la Commission a violé les principes invoqués par la requérante. Il convient de déterminer, ensuite, si – à supposer, comme l’invoque la requérante à titre subsidiaire, que l’infraction doive être qualifiée de très grave – le montant de départ spécifique de 25 millions d’euros finalement retenu en ce qui concerne la requérante est lui-même approprié par rapport aux circonstances invoquées par cette dernière, à savoir le très faible impact de l’infraction sur le marché communautaire et le faible volume de vente des produits visés par l’entente.
Sur l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction
145 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a évalué le caractère de gravité de l’amende sur la base des éléments suivants : la nature même de l’infraction, le fait que l’entente a porté sur l’ensemble des segments du marché de la bière, que les discussions litigieuses ont eu lieu au plus haut niveau et que les accords et concertations ont porté sur un large éventail de paramètres de la concurrence, le fait que l’on ne puisse conclure à une absence d’impact ou à un impact réduit sur le marché et le fait que le marché géographique couvrait la totalité du territoire belge.
146 En premier lieu, s’agissant de la conformité de l’évaluation de la gravité de l’infraction aux lignes directrices et au principe de proportionnalité, il importe d’examiner la manière dont la Commission a évalué ladite gravité au regard des trois critères pertinents, à savoir la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (voir point 139 ci-dessus).
147 En ce qui concerne, d’abord, la nature propre de l’infraction, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas les éléments cités au considérant 297 de la décision attaquée, à savoir que l’entente comprenait notamment un pacte général de non-agression, un échange d’informations sur les ventes, des accords et une concertation directs et indirects sur les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle sur le marché horeca ainsi que, sur ce même marché, la limitation des investissements et de la publicité. Or, il est de jurisprudence constante que les ententes horizontales en matière de prix font partie des infractions les plus graves au droit communautaire de la concurrence et peuvent donc, à elles seules, être qualifiées de très graves (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 103, et FETTCSA, point 138178 supra, point 262). Les mécanismes décrits par la Commission au considérant 297 de la décision attaquée, outre qu’ils décrivent une entente en matière de prix, relèvent des formes les plus graves d’atteinte à la concurrence, en ce qu’ils tendent à l’élimination pure et simple de cette dernière entre les entreprises qui les mettent en œuvre. Il s’ensuit que la conclusion de la Commission selon laquelle les accords et concertations en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave ne saurait être contestée. Cette constatation ne saurait d’autant moins être remise en cause que la Commission a relevé, en outre, que les accords et concertations ont porté sur un large éventail de paramètres de la concurrence et concernaient l’ensemble des segments du marché de la bière, constatations résultant directement et logiquement des éléments de fait cités au considérant 297 de la décision attaquée et non contestés par la requérante. Quant à la tenue de réunions relatives à l’entente au plus haut niveau de responsabilités, à savoir celui des directions générales de la requérante et de sa filiale, dont l’existence n’est pas non plus contestée, elle ne saurait non plus atténuer le caractère de très grande gravité de la nature propre de l’infraction.
148 Ensuite, s’agissant du critère de l’impact de l’entente, il y a lieu de constater que, si la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que certaines composantes de l’entente n’ont pas, ou pas entièrement, été appliquées, elle a, en revanche, constaté l’impossibilité de conclure à une absence d’impact ou à un impact réduit sur le marché. À l’appui de ce constat, la Commission a non seulement invoqué la preuve documentaire représentée par les notes prises par un représentant d’Interbrew lors de la réunion du 28 janvier 1998, qui prennent acte de certaines réalisations, mais aussi le fait, établi par la Commission, que l’échange d’informations sur les ventes entre Alken-Maes et Interbrew a effectivement été mis en œuvre. Or, la mise en œuvre, fût-elle partielle, d’un accord dont l’objet est anticoncurrentiel suffit à écarter la possibilité de conclure à une absence d’impact dudit accord sur le marché.
149 L’argument de la requérante selon lequel l’entente a revêtu un caractère peu élaboré et peu formel, ce qui témoignerait d’une faible intention infractionnelle, est démenti par les faits. La multiplicité et la simultanéité des objectifs poursuivis par l’entente, qui ne sont pas contestées par la requérante, témoignent en effet d’un véritable plan anticoncurrentiel, qui témoigne non pas d’une faible, mais au contraire d’une forte intention infractionnelle. Quand bien même l’entente aurait été caractérisée par un faible degré de formalisme, elle n’en témoignerait donc pas moins d’un niveau élevé d’élaboration.
150 S’agissant, enfin, du critère de l’étendue du marché géographique concerné, la Commission a constaté, dans la décision attaquée, que l’entente couvrait la totalité du territoire belge, ce que la requérante ne conteste pas. Or, il ressort de la jurisprudence qu’un marché géographique de dimension nationale correspond à une partie substantielle du marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 28). Par ailleurs, la Commission a indiqué, dans les lignes directrices, que seraient le plus souvent jugées comme très graves des restrictions horizontales de type « cartels de prix » et de quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur (voir point 140 ci-dessus). Il résulte de cette description indicative que des accords ou pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, la fixation des prix et la répartition de la clientèle peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, une telle qualification, sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description indicative des infractions ayant vocation à être considérées comme graves mentionne qu’il s’agira d’infractions du même type que celles définies comme peu graves « mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun », celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.
151 Il résulte de ce qui précède que, en attribuant, au sens du point 1 A des lignes directrices, la qualification de très grave à l’infraction, la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité.
152 Il importe à cet égard de relever que le Tribunal a jugé, s’agissant d’un cartel de prix ayant opéré sur un marché géographique restreint, que la qualification de l’entente de grave en raison de son impact limité sur le marché représentait déjà une qualification atténuée par rapport aux critères généralement appliqués dans la fixation des amendes en cas de cartels de prix, qui auraient dû amener la Commission à qualifier l’entente de très grave (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 147 supra, point 103).
153 En second lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission se serait, en l’espèce, écartée de sa pratique décisionnelle en violation du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (arrêt LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 234) et, d’autre part, que, selon une jurisprudence constante (voir point 134 ci-dessus), la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. Il appartient donc à la Commission, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et à la lumière des indications contenues au point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, de déterminer si les circonstances propres à l’affaire qu’elle est amenée à traiter permettent de retenir la qualification d’infraction très grave. Or, il résulte des points 146 à 152 ci-dessus que tel était le cas.
154 Ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 134 et 135 ci-dessus, le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique. Un tel comportement ne saurait caractériser une violation par la Commission du principe d’égalité de traitement par rapport à sa pratique antérieure (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 1232).
155 Il y a dès lors lieu de conclure que, en constatant le caractère très grave, au sens du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, de l’infraction en cause, la Commission s’est conformée à ses lignes directrices et n’a violé ni le principe de proportionnalité ni le principe d’égalité de traitement.
Sur l’appréciation de la capacité économique effective de la requérante à créer un dommage important aux autres opérateurs
156 Il résulte des lignes directrices que, pour une infraction de gravité donnée, il peut convenir, dans les cas impliquant plusieurs entreprises comme les cartels, de pondérer le montant de départ général pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature (point 1 A, sixième alinéa, voir point 142182 ci-dessus). En particulier, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs (point 1 A, quatrième alinéa, voir point 141181 ci-dessus).
157 Il résulte, en outre, de la jurisprudence que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s’opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent. En particulier, le chiffre d’affaires peut rentrer en ligne de compte lors de la prise en considération des différents éléments énumérés aux points 141 à 143 ci-dessus (arrêts LR AF 1998/Commission, point 57 supra, points 283 et 284, et Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 82).
158 Il est par ailleurs de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, points 120 et 121 ; arrêts du Tribunal Parker Pen/Commission, point 115 supra, point 94 ; du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 176, et Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 83).
159 En l’espèce, il importe de constater, en premier lieu, la portée limitée de l’argument de la requérante selon lequel la différence existant entre les rapports de proportion caractérisant, d’une part, les montants de départ respectivement retenus pour chaque entreprise et, d’autre part, les parts de marché de ces mêmes entreprises sur le marché belge de la bière témoignent du fait que la Commission a fait fi du principe selon lequel la capacité effective à porter un dommage est adéquatement reflétée par le volume et la valeur des marchandises vendues par chaque partie. En effet, il convient de relever que les montants de départ auxquels se réfère la requérante intègrent non seulement l’ajustement opéré au regard de la capacité effective à porter atteinte à la concurrence sur le marché, mais également l’ajustement opéré au titre de l’objectif de dissuasion effective.
160 Sur ce point, il résulte du considérant 305 de la décision attaquée que l’ajustement du montant des amendes au titre de l’objectif de dissuasion effective a été opéré par la Commission en deux étapes. Dans un premier temps, la requérante et Interbrew ont été placées sur un pied d’égalité en ce que, dans la fixation de leur montant de départ spécifique respectif, la Commission a pris en compte le fait qu’elles « [étaient] de grandes entreprises multinationales ». Dans un second temps, la Commission a indiqué qu’il convenait de « tenir compte du fait que [la requérante était] une entreprise multiproduits », indiquant ainsi à l’égard de celle-ci un besoin additionnel de dissuasion. Il en résulte que, au titre de l’objectif de dissuasion et sans préjudice à ce stade de la validité des conclusions tirées par la Commission en la matière, le montant de départ spécifique de l’amende déterminé pour la requérante tenait compte d’une nécessité de dissuasion plus importante qu’à l’égard d’Interbrew.
161 Or, force est néanmoins de constater que le montant de départ spécifique retenu à l’encontre de la requérante est environ 45 % moins élevé que celui retenu à l’encontre d’Interbrew. En outre, la Commission a souligné, d’une part, au considérant 303 de la décision attaquée, sa prise en considération de la capacité économique effective des auteurs d’infraction à porter gravement atteinte à la concurrence et, d’autre part, au considérant 304, qu’il existait une différence de taille considérable entre Interbrew, leader du marché belge avec environ 55 % de parts de marché, et Alken-Maes, numéro deux sur ce marché avec environ 15 %.
162 Il apparaît donc que la Commission a pris en compte, conformément aux lignes directrices, la capacité économique effective relative des deux entreprises à créer un dommage aux autres opérateurs en pondérant significativement à la baisse, aux fins de la détermination du montant de départ spécifique de la requérante, le montant de départ général correspondant à la gravité de l’infraction commise, au sens du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices. Le fait que le considérant 303 de la décision attaquée se réfère à la capacité à « porter gravement atteinte à la concurrence », au lieu de reprendre à la lettre l’expression figurant dans les lignes directrices, est sans incidence. De même, le fait que le rapport de proportion entre les montants de départ retenus pour chaque entreprise diffère du rapport de proportion exact entre leurs parts de marché respectives est sans incidence sur la validité de la méthode suivie par la Commission. En effet, cette dernière a indiqué, au point 1 A, septième alinéa, des lignes directrices, que l’application de montants différenciés n’obéit pas nécessairement à un calcul arithmétique.
163 S’agissant, en second lieu, des arguments de la requérante selon lesquels les montants de départ spécifiques définis ne refléteraient pas le déséquilibre flagrant résultant de la position dominante d’Interbrew sur le marché de la bière en Belgique, qui aurait acculé Alken-Maes à tenter d’endiguer sa marginalisation progressive et serait, en tout état de cause, la preuve de l’incapacité de la requérante à avoir porté atteinte à la concurrence, il y a lieu de rappeler que l’infraction constatée dans la décision attaquée n’est pas contestée par la requérante. Or, cette infraction, qui consiste en un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées, implique, d’une part, un accord de volontés entre les parties et, d’autre part, que le dommage qui a été causé à la concurrence résultait de cet accord et, partant, de la volonté de chacune des parties. La requérante ne saurait, dès lors, invoquer une contrainte qui se serait exercée sur elle pour s’exonérer du dommage qu’elle a causé à la concurrence.
164 À titre surabondant, il y a par ailleurs lieu de souligner qu’il est de jurisprudence établie qu’une entreprise qui participe avec d’autres à des activités anticoncurrentielles ne peut se prévaloir du fait qu’elle y participerait sous la contrainte des autres participants. En effet, elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement nº 17 plutôt que de participer aux activités en question (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T‑9/89, Rec. p. II‑499, points 123 et 128 ; du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T‑141/89, Rec. p. II‑791, point 58, et LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 142).
165 S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel le montant de départ spécifique retenu contre la requérante représente un pourcentage du chiffre d’affaires d’Alken-Maes bien supérieur à celui que représente le montant retenu contre Interbrew au regard de son chiffre d’affaires, il convient d’abord de rappeler que lesdits montants, comme déjà indiqué aux points 159 et 160 ci-dessus, ne reflètent pas uniquement le dommage effectif causé par chacune des parties à la concurrence, puisqu’ils intègrent également l’objectif de dissuasion visé par les lignes directrices. Quant à l’argument tiré du fait que le montant retenu est supérieur, s’agissant d’Alken-Maes, à la limite établie par le règlement nº 17 en termes de pourcentage du chiffre d’affaires, il est en tout état de cause dénué de toute pertinence, puisque c’est la requérante qui a été destinataire de la décision attaquée.
166 Il y a donc lieu de rejeter l’ensemble des arguments tirés d’une évaluation incorrecte par la Commission, en violation du principe de proportionnalité, de la capacité effective des participants à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs.
Sur la détermination du montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif
167 Il résulte des lignes directrices que, dans les cas impliquant plusieurs entreprises comme les cartels, le montant de départ général peut être pondéré pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature (voir point 142182 ci-dessus). En particulier, il est nécessaire de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (voir point 141 ci-dessus).
168 La prise en compte, pour la détermination du montant de l’amende retenu au titre de la gravité, de cet objectif de dissuasion s’inscrit dans le contexte d’une jurisprudence bien établie selon laquelle l’effet dissuasif des amendes constitue un des éléments dont la Commission peut tenir compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et, par conséquent, dans la détermination du niveau de l’amende, étant donné que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 137 supra, point 54 ; arrêts Ferriere Nord/Commission, point 137 supra, point 33, et du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, point 137 supra, point 328).
169 De même, selon la jurisprudence, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire, mission qui comprend le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s’ensuit que, pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, points 105 et 106, et ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 50 supra, point 166).
170 Au vu de ce qui précède, la Commission était fondée à prendre en considération l’objectif de dissuasion dans la fixation du montant de départ spécifique de son amende, qui reflète précisément la gravité de l’infraction commise. En effet, la recherche de l’effet dissuasif des amendes fait partie intégrante de la pondération des amendes en fonction de la gravité de l’infraction, dans la mesure où elle vise à empêcher qu’une méthode de calcul conduise à des montants d’amendes qui, pour certaines entreprises, n’atteindraient pas le niveau approprié afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif (arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 5059 supra, point 167).
171 S’agissant de l’argument de la requérante tiré d’une absence d’individualisation de l’élément de dissuasion retenu dans le calcul de l’amende, il importe de relever que, aux fins de la prise en compte de l’objectif de dissuasion, la Commission n’a pas défini dans les lignes directrices de méthodologie ou de critères individualisés dont l’exposition spécifique serait susceptible d’avoir force obligatoire. Cet argument doit donc être rejeté.
172 Il en va de même de l’argument selon lequel les principes qui ont servi en l’espèce à l’évaluation du besoin de dissuasion n’ont pas été explicités. En effet, il y a lieu de relever que la requérante reconnaît elle-même que la Commission a indiqué, au considérant 305 de la décision attaquée, que la requérante et Interbrew sont de grandes entreprises internationales et que la requérante est en outre une entreprise multiproduits. La Commission a ajouté, au considérant 306, qu’elle a pris en considération le fait que la requérante dispose de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques qui lui permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. Il apparaît donc que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, les principes sur lesquels a été basée l’évaluation du besoin de dissuasion ont été explicités.
173 Il convient, enfin, d’analyser les différents arguments invoqués par la requérante selon lesquels le raisonnement suivi par la Commission à l’appui de son constat d’un besoin d’effet dissuasif spécifique est sans pertinence et disproportionné.
174 L’argument selon lequel l’état de récidiviste ne saurait être retenu comme pertinent doit être écarté d’emblée, dans la mesure où la Commission n’a pas fondé son raisonnement relatif à la dissuasion sur un tel grief.
175 En ce qui concerne l’argument selon lequel la taille globale de l’entreprise et sa dimension internationale seraient dénuées de pertinence au regard de l’objectif de concurrence que devrait poursuivre la Commission, il importe, d’abord, de souligner que le fait que la requérante disposait des connaissances et des infrastructures juridico-économiques lui permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et les conséquences qui en découlaient du point de vue du droit de la concurrence peut être considéré comme résultant des ressources globales de l’entreprise et donc de sa taille, dont la dimension internationale est un indice parmi d’autres. C’est donc à bon droit que la Commission en a tenu compte. En effet, le fait que la requérante a participé à l’entente constatée en dépit des moyens qu’elle avait d’apprécier son caractère infractionnel et ses conséquences dénote objectivement un besoin additionnel de dissuasion par rapport à une entreprise qui ne disposerait pas de tels moyens.
176 L’argument selon lequel la prise en compte, aux fins de la détermination du niveau de dissuasion nécessaire, du caractère secret de l’entente est dépourvue de pertinence, puisque ladite entente n’était pas tenue secrète, ou du moins pas de son fait, s’appuie sur l’affirmation selon laquelle, dans le cadre de l’entente, plusieurs réunions ont eu lieu en présence de concurrents – par exemple les réunions du groupe de travail « Vision 2000 » – ou de distributeurs, comme la réunion du 28 janvier 1993 qui a inclus les négociants en bière. Par ailleurs, une lettre du 4 août 1997 adressée aux brasseurs par la fédération des négociants établirait que ces derniers suivaient de très près les agissements des parties à l’entente.
177 En ce qui concerne, d’abord, les réunions du groupe de travail « Vision 2000 », il importe de relever que, aux considérants 128 à 155 de la décision attaquée, la Commission ne soutient pas que lesdites réunions – officielles puisque tenues dans le cadre de la confédération des brasseries de Belgique (ci-après la « CBB ») et réunissant une grande partie de la profession – ont été, en tant que telles, constitutives de l’infraction. La Commission constate que, dans le cadre de leurs contacts bilatéraux, Interbrew et Alken-Maes ont adopté une démarche commune et pris conscience des avantages qu’il y avait à prendre certaines initiatives dans le cadre de la CBB et que Interbrew et Alken-Maes avaient convenu qu’une partie de l’entente, à savoir celle relative aux investissements et à la publicité sur le marché horeca et au nouveau système de tarification, pouvait être mise en œuvre dans le cadre de la CBB. La Commission évoque donc une instrumentalisation de la CBB aux fins de la mise en œuvre, à l’insu des autres participants aux réunions en question, d’un accord entre Interbrew et la requérante pour infléchir certaines réflexions tarifaires conduites dans le cadre de cette enceinte dans un sens conforme aux objectifs de leur entente, sans suggérer que les autres participants ont été informés de l’existence de cette dernière. Par ailleurs, il convient de relever que les objectifs qu’Interbrew et la requérante se sont attachés à mettre en œuvre par l’entremise de la CBB et des réunions du groupe de travail « Vision 2000 », à savoir la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca et le développement d’une nouvelle structure tarifaire, ne représentaient en tout état de cause qu’un aspect limité de l’entente, qui englobait d’autres éléments secrets, tels qu’un pacte général de non-agression, un accord sur les prix et les promotions dans le commerce de détail, un partage de la clientèle dans le secteur horeca ou encore un échange d’informations sur les ventes. La tenue des réunions du groupe de travail « Vision 2000 » ne saurait donc permettre de conclure que l’entente n’était pas secrète.
178 En ce qui concerne, ensuite, la réunion du 28 janvier 1993 (voir points 126 et 131 ci-dessus), il y a lieu de relever que, si le compte rendu de ladite réunion, établi par un représentant d’Interbrew, se réfère en effet à une « réunion des négociants en bière » et rapporte les termes d’une entente visant à faire augmenter les prix et à imposer des prix minimaux concernant la bière vendue par certains canaux de distribution, l’on ne saurait aucunement déduire dudit compte rendu que les propos anticoncurrentiels qui y sont tenus ont été portés tels quels à la connaissance des négociants en bière lors de la réunion du 28 janvier 1993. Si ces propos confirment qu’il existait une coordination étroite de la politique commerciale d’Alken-Maes et d’Interbrew, ils ne permettent pas, en revanche, de conclure que les négociants en bière étaient informés de l’existence de l’entente.
179 Quant à la lettre du 4 août 1997 adressée par la fédération des négociants à Alken-Maes, force est de constater qu’elle se contente de dénoncer la politique de distribution d’Alken-Maes en ce qu’elle hypothèquerait l’avenir des distributeurs indépendants. Elle ne permet donc aucunement de conclure à la connaissance de l’entente par les négociants en bière.
180 Il y a donc lieu de rejeter l’argument selon lequel l’entente constatée par la décision attaquée n’aurait pas été secrète.
181 Dès lors, il était loisible à la Commission, dans le cadre de sa mission telle qu’elle a été définie par la jurisprudence citée aux points 134 et 135 ci-dessus et dans le respect du cadre juridique, fixé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, de prendre en compte ces éléments dans l’évaluation du besoin d’effet dissuasif à prendre en considération.
182 Quant à l’argument de la requérante selon lequel la prise en compte d’un objectif de dissuasion devient superflu dès lors que l’intervention de la Commission a mis fin à l’infraction, il convient de le rejeter en soulignant que la recherche d’un effet dissuasif vise à orienter le comportement futur de l’entreprise et que le fait qu’une entreprise mette fin à un comportement infractionnel dès lors qu’il a été mis à jour par la Commission, cette initiative résultant ainsi d’une contrainte objective, ne suffit pas à conclure que l’entreprise en cause sera effectivement dissuadée de réitérer un tel comportement à l’avenir.
183 L’ensemble des arguments tirés d’une détermination incorrecte du niveau dissuasif de l’amende en violation du principe de proportionnalité doivent donc être écartés.
Sur la prise en compte des connaissances et des infrastructures juridico-économiques dont disposent en général les grandes entreprises
184 Il ressort de la jurisprudence que le principe non bis in idem, également consacré par l’article 4 du protocole nº 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ci-après le « CEDH », signée à Rome le 4 novembre 1950, constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect (arrêts de la Cour du 5 mai 1966, Gutmann/Commission, 18/65 et 35/65, Rec. p. 149, 172, et du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, 7/72, Rec. p. 1281, point 3 ; arrêt PVC II, point 154 supra, point 96, confirmé, sur ce point, par l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 97 supra, point 59).
185 Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou pour lequel elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n’est plus susceptible de recours. L’application du principe non bis in idem est soumise à une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 338).
186 En l’espèce, il y a lieu de constater que, au considérant 306 de la décision attaquée, la Commission a retenu, à l’appui d’une élévation du niveau de l’amende à infliger à la requérante, le fait qu’elle disposait de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques lui permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et les conséquences qui en découlaient du point de vue du droit de la concurrence. Par ailleurs, au considérant 314 de la décision attaquée, la Commission a retenu, à l’appui d’une élévation du niveau de l’amende à infliger à la requérante, le fait qu’elle avait déjà été condamnée à deux reprises pour avoir enfreint l’article 81 CE.
187 À cet égard, force est de constater, d’abord, que les conditions d’applicabilité du principe non bis in idem tel qu’il a été défini par la jurisprudence en matière de concurrence (voir point 185 ci-dessus) ne sont pas réunies en l’espèce, puisque la Commission s’est limitée à retenir, aux fins du calcul du montant de l’amende, des considérations factuelles, à savoir, d’une part, que la requérante était, de par ses connaissances et ses infrastructures juridico-économiques, en mesure d’apprécier le caractère infractionnel de son comportement et ses conséquences et, d’autre part, qu’elle avait déjà été condamnée à deux reprises pour infraction à l’article 81 CE. En tout état de cause, c’est en raison de considérations distinctes que la Commission a, aux considérants 306 et 314 de la décision attaquée, procédé à une élévation du niveau de l’amende. Partant, la quatrième branche du moyen doit être rejetée.
Sur le caractère approprié du montant de départ spécifique eu égard aux circonstances invoquées par la requérante
188 À titre subsidiaire, la requérante soutient que, quand bien même la Commission n’aurait pas violé le principe d’égalité de traitement en qualifiant l’infraction de très grave, il conviendrait néanmoins de réduire le montant de départ de l’amende pour tenir compte du très faible impact de l’infraction sur le marché communautaire et du faible volume de vente des produits qui faisaient l’objet de l’entente.
189 Il convient de rappeler que, conformément à la méthode définie dans les lignes directrices (voir points 139 à 143 ci-dessus), la Commission a d’abord pris comme point de départ, dans le calcul du montant des amendes, un montant de départ général déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, qu’elle a ensuite pondéré ledit montant de départ général en fonction, premièrement, de la capacité effective des entreprises en cause à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, deuxièmement, de la nécessité de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif et, troisièmement, de la nécessité de prendre en compte le fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps des connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue de la concurrence.
190 Il a été considéré aux points 133 à 187 ci-dessus que la Commission, en qualifiant l’infraction commise de très grave, d’une part, et en procédant aux ajustements successifs susmentionnés, d’autre part, n’a violé aucun des principes invoqués par la requérante. Par ailleurs, il importe de rappeler que, s’agissant des infractions très graves, les lignes directrices envisagent des montants d’amendes se situant au-delà de 20 millions d’euros.
191 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le montant de départ spécifique retenu était en tout état de cause disproportionné eu égard au fait que les produits faisant l’objet de l’entente représentaient moins de 2,5 % de la consommation totale de ces produits dans l’Union européenne, il y a lieu de relever que la gravité d’une infraction ne saurait dépendre uniquement ni de son étendue géographique ni de la proportion que les ventes faisant l’objet de l’infraction représentent par rapport aux ventes réalisées dans l’ensemble de l’Union européenne. En effet, indépendamment des critères susmentionnés, la valeur absolue des ventes concernées est également un indicateur pertinent de la gravité de l’infraction, en ce qu’elle reflète fidèlement l’importance économique des transactions que l’infraction entend soustraire au jeu normal de la concurrence. Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que la valeur des ventes concernées pouvait être évaluée à quelque 1 200 millions d’euros, ce qui dénote une importance économique considérable du secteur. À cet égard, le montant de départ spécifique de 25 millions d’euros retenu pour la requérante ne saurait être considéré comme excessif.
192 Quant à l’invocation de la pratique de la Commission dans la décision Tubes d’acier sans soudure, il suffit de constater qu’elle est dénuée de pertinence au regard de la jurisprudence citée au point 153 ci-dessus.
193 Au demeurant, il convient de relever que la Commission a tenu compte, dans ladite décision, du fait que le type de tubes sans soudure visé par l’infraction ne représentait que 19 % de l’ensemble des tubes sans soudure pouvant être utilisés par l’industrie pétrolière et gazière, en sorte que l’impact de l’infraction se trouvait limité dès lors que l’industrie pouvait se tourner vers d’autres produits non affectés par l’entente. Or, en l’espèce, l’infraction couvrait une part bien plus importante de la bière disponible en Belgique, puisque la Commission a indiqué au considérant 4 de la décision attaquée, sans être contredite sur ce point, que, en 1998, les parties à l’entente ont produit près de 70 % de la bière vendue en Belgique.
194 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante quant au caractère prétendument inapproprié du montant de l’amende infligée.
195 Le moyen doit donc être rejeté dans son intégralité.
2. Sur le moyen tiré d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction
a) Arguments des parties
196 Tout en indiquant ne pas contester la matérialité des faits retenus à son égard, la requérante soutient que la Commission a attribué une portée erronée à certains faits dans la détermination de la durée de l’infraction. La Commission se réfèrerait notamment à un contact téléphonique et à deux réunions entre la requérante et Interbrew, postérieurs à juillet 1996 et espacés de plusieurs mois, invoqués à l’appui de la conclusion selon laquelle l’infraction s’est poursuivie jusqu’au 28 janvier 1998. Ce faisant, la Commission n’aurait pas établi que l’infraction s’est poursuivie après le mois de juillet 1996. Il conviendrait, dès lors, de reconnaître que le comportement incriminé n’a pas dépassé trois ans et six mois, ce qui justifierait une augmentation du montant de départ spécifique de l’amende bien inférieure à 45 %. Le Tribunal devrait dès lors, conformément à sa jurisprudence, réduire l’amende infligée à la requérante eu égard à la durée réelle de l’infraction.
197 S’agissant, en premier lieu, du contact téléphonique du 9 décembre 1996 entre Interbrew et la requérante, cette dernière relève que, contrairement à ce que laisse supposer la référence de la Commission à d’autres pièces du dossier, les notes manuscrites et annotées du contrôleur de gestion d’Alken-Maes, M. L. B., datées du 27 novembre 1996, constituent le seul document sur lequel la Commission fonde ses conclusions.
198 La requérante ne conteste pas que ces notes manuscrites ont été rédigées lors d’une réunion interne qui a eu lieu en novembre 1996, dont l’objet était, selon elle, d’analyser la nouvelle tarification d’Interbrew à la suite de l’obtention par Alken-Maes, via ses clients, des nouvelles conditions générales de vente d’Interbrew. La requérante conteste, en revanche, l’interprétation par la Commission des trois ensembles d’annotations portées ultérieurement sur ces notes, contenant chacun la date « 9/12/96 » et tenant visiblement lieu de réponse à trois questions formulées dans les notes initialement prises, concernant des points encore non éclaircis de la politique tarifaire d’Interbrew. Ce serait à tort que la Commission a conclu que l’avis de M. A. B., d’Interbrew, devait être sollicité à ce sujet, ce qui aurait été fait le 9 décembre 1996, Interbrew ayant donné une réponse positive et deux réponses négatives. Selon la requérante, les autres éléments du dossier cités dans la décision attaquée ne permettent pas d’asseoir cette interprétation. Les annotations portées sur les notes du 27 novembre 1996 auraient pu résulter d’une vérification indépendante de tout contact direct avec Interbrew, effectuée, par exemple, auprès des distributeurs, qui n’auraient fait que répercuter l’interprétation leur ayant été donnée par M. A. B. Or, en sa qualité de distributeur partiel des produits d’Interbrew, il aurait été normal qu’Alken-Maes essaie de comprendre le nouveau tarif d’Interbrew s’agissant des conditions logistiques. Le document en question ne suffirait donc pas à démontrer la thèse défendue par la Commission.
199 S’agissant, en deuxième lieu, de la réunion du 17 avril 1997, la requérante fait valoir que cette rencontre ne constitue pas une preuve de l’entente concernant le marché belge, car elle aurait eu pour objet, selon la déclaration de M. J. D., d’Interbrew, citée au considérant 96 de la décision attaquée, les synergies potentielles entre les deux groupes et l’augmentation de la rentabilité des entreprises, dans une hypothèse de rachat par Interbrew d’Alken-Maes, filiale de la requérante.
200 La requérante conteste l’interprétation de la Commission selon laquelle la déclaration susmentionnée de M. J. D. démontre le caractère anticoncurrentiel de cette réunion. Cette déclaration contiendrait un résumé de l’ensemble des contacts entre Interbrew et Alken-Maes. S’agissant spécifiquement de la réunion du 17 avril 1997, M. J. D. indiquerait uniquement que les participants à la réunion ont effectué une analyse ligne par ligne du compte de résultat d’Alken-Maes, exercice obligé dans toute négociation sur la cession éventuelle d’une entreprise. Quant aux cinq points cités dans le document, ils seraient tous des éléments influençant le résultat d’exploitation d’Alken-Maes ou son mode de calcul.
201 La requérante conteste également la conclusion de la Commission selon laquelle la présence à la réunion en question de M. R. V., dirigeant d’Alken-Maes, est peu plausible dans l’hypothèse d’une discussion portant sur la cession d’Alken-Maes, compte tenu du caractère potentiellement défavorable à son égard d’une telle opération. Selon la requérante, cette présence n’avait rien d’anormal, surtout si le dirigeant en question souhaitait conserver un rôle au sein de la société. En outre, elle aurait été d’autant plus justifiée qu’Interbrew envisageait une acquisition par « management buy out » – technique impliquant un rôle important de la direction en place – ainsi que l’attesteraient deux déclarations versées au dossier, à savoir les déclarations de M. C. et de M. T.
202 S’agissant, en troisième lieu, de la réunion du 28 janvier 1998 impliquant notamment M. A. D., d’Interbrew, et M. N. V., d’Alken-Maes, la requérante fait valoir que la discussion a porté essentiellement sur un rappel des relations passées. Elle fait également observer que, selon le représentant d’Interbrew, le représentant d’Alken-Maes n’avait aucune connaissance de ces événements.
203 Rien, d’après la requérante, ne vient confirmer la thèse de la Commission sur la portée des notes manuscrites de M. A. D. datées du 28 janvier 1998, à savoir que ces dernières attestent de l’existence de l’entente à cette date. Rien ne permettrait, en particulier, de conclure que le contenu desdites notes peut être attribué aux deux parties, ce que ferait à tort la Commission, en identifiant le contenu des notes de M. A. D. comme étant celui d’une prétendue conversation, alors que le contenu de ces notes pourrait ne refléter que le point de vue d’Interbrew. Il serait, en l’occurrence, surprenant que le représentant d’Alken-Maes, non informé, ait pu décrire en détail les accords conclus en 1994. En outre, il ne serait pas contesté, dans la décision attaquée, que la réunion du 28 janvier 1998 n’a eu aucune suite. Il en résulterait donc que les notes en question n’établissent pas l’existence ou l’application d’un accord ou d’une pratique concertée à la date visée, mais seulement une appréciation positive par Interbrew de l’entente conclue en 1994 ainsi que sa volonté de la renouveler.
204 La requérante en conclut donc que le comportement incriminé n’a pas dépassé trois ans et six mois et qu’il convient, dès lors, de réduire l’augmentation de l’amende retenue au titre de la durée.
205 La Commission souligne d’abord que, en soutenant que l’entente a pris fin en juillet 1996, la requérante conteste sa durée alors qu’elle prétend ne pas contester la matérialité des faits. Ensuite, la Commission aurait établi à suffisance de droit l’existence de contacts anticoncurrentiels entre la requérante et Interbrew jusqu’au 28 janvier 1998. Enfin, la requérante ne s’étant pas publiquement distanciée de réunions dont l’objet anticoncurrentiel serait établi et auxquelles elle reconnaîtrait avoir participé, sa responsabilité jusqu’au 28 janvier 1998 serait en tout état de cause engagée.
b) Appréciation du Tribunal
206 Conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.
207 Les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).
208 Au considérant 281 de la décision attaquée, la Commission a indiqué disposer d’éléments de preuve concernant l’entente Interbrew/Alken-Maes pour la période allant au moins du 28 janvier 1992 au 28 janvier 1998. Elle a indiqué que « [l]e 28 janvier 1993, il est rendu compte d’une première réunion ayant un objectif clairement anticoncurrentiel » et que « [l]e 28 janvier 1998 a eu lieu la dernière réunion tenue dans le cadre de l’entente au sujet de laquelle la Commission dispose de documents ». La Commission a conclu que « [l’]infraction a donc duré cinq ans et un jour ». Cette conclusion a été reprise dans le dispositif de la décision attaquée, dans lequel la Commission a indiqué que l’infraction s’est poursuivie « pendant la période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998 ».
209 Au considérant 282 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la durée de l’infraction était contestée par la requérante et que cette dernière soutenait que les discussions entre Alken-Maes et Interbrew n’ont commencé que le 12 octobre 1994 et ont pris fin dès le mois de juillet 1996. La Commission a cependant rejeté cette argumentation en considérant que la durée de l’infraction constatée était établie à suffisance de droit.
210 Dans le cadre du présent moyen, l’argumentation développée par la requérante vise à nouveau le fait que la Commission n’aurait pas correctement déterminé la durée de l’infraction. La requérante ne conteste la majoration de l’amende que pour autant que l’infraction n’a, selon elle, pas perduré au-delà de juillet 1996.
211 Il y a par ailleurs lieu de constater que la requérante ne sollicite pas explicitement l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée, qui définit la durée de sa participation à l’entente. En effet, la requérante n’a invoqué le moyen relatif à la durée de l’infraction qu’à titre subsidiaire, au soutien d’une demande de réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.
212 Néanmoins, en l’occurrence, il résulte des écritures de la requérante que celle-ci conteste, en substance, la légalité de la décision attaquée en ce qu’elle constate, ainsi qu’il est indiqué dans l’article 1er de son dispositif, que l’infraction s’est étalée sur une période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998. Ainsi, la requérante a indiqué, dans sa requête introductive d’instance, que « la décision [attaquée] n’est pas fondée en ce qu’elle constate que l’infraction a duré du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998 » et que la Commission « n’[a pas établi] […] à suffisance de droit que l’infraction ait duré au-delà de juillet 1996 ». Dans son mémoire en réplique, la requérante a poursuivi en indiquant qu’« une lecture correcte du dossier aurait dû […] amener [la Commission] à constater la moindre durée du comportement infractionnel et à en tirer les conséquences au niveau du montant de l’amende ». Par ailleurs, il est constant que la requérante a contesté la durée de l’infraction durant la procédure administrative, notamment dans sa réponse à la communication des griefs, ainsi qu’il est exposé au point 512 ci-après.
213 Eu égard à ce qui précède, il y a donc lieu de considérer que, par le présent moyen relatif à la durée, la requérante vise non seulement la réduction de l’amende, mais également l’annulation partielle de la décision attaquée et notamment de l’article 1er de son dispositif, en ce que la Commission y constaterait à tort que l’infraction s’est poursuivie jusqu’au 28 janvier 1998.
214 Dès lors, il y a lieu de déterminer, dans le cadre du présent moyen, si la Commission a établi à suffisance de droit, sur le fondement des éléments de fait rapportés, que l’infraction s’est poursuivie jusqu’au 28 janvier 1998.
215 À cet égard, il convient de rappeler que, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86). L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende.
216 En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par le préambule de l’Acte unique européen et par l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne ainsi que par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), sont protégés dans l’ordre juridique communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176).
217 Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise (voir arrêt Volkswagen/Commission, point 99 supra, points 43 et 72, et la jurisprudence citée).
218 Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt PVC II, point 154 supra, points 768 à 778, en particulier, le point 777, confirmé sur le point pertinent par la Cour, sur pourvoi, dans l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 97120 supra, points 513 à 523).
Sur le contact téléphonique du 9 décembre 1996
219 S’agissant du prétendu contact infractionnel du 9 décembre 1996, il y a d’abord lieu de constater que la Commission affirme, au considérant 91 de la décision attaquée, que, « [à] la suite d’une réunion qui se tient le 19 septembre [1996], le contrôleur de gestion d’Alken-Maes a [eu], le 9 décembre 1996, un entretien téléphonique avec le directeur ‘Food’ d’Interbrew concernant un certain nombre de questions qu’Alken-Maes se pose au sujet de l’étude des tarifs ». Au soutien de cette conclusion, la Commission s’appuie sur la dernière page d’un document constituant l’annexe 42 de la lettre d’Alken-Maes à la Commission du 7 mars 2000 (voir point 72 ci-dessus), reprise à la page 8513 de son dossier. Il est constant entre les parties que ledit document contient des notes manuscrites prises par M. L. B. d’Alken-Maes, le 27 novembre 1996, lors d’une réunion interne dont l’objet était d’analyser la nouvelle tarification d’Interbrew, et que des annotations ont été portées ultérieurement sur ce document par son auteur, qui tiennent lieu de réponse à des questions qu’il avait formulées initialement dans ses notes.
220 Invitée par le Tribunal, par voie de question écrite, à préciser les éléments qui l’ont conduite à conclure, au considérant 91 de la décision attaquée, qu’un entretien téléphonique avait eu lieu le 9 décembre 1996, au sujet des tarifs d’Interbrew, entre M. L. B. (Alken-Maes) et M. A. B. (Interbrew), la Commission a d’abord indiqué que la toile de fond de la réunion interne du 27 novembre 1996, lors de laquelle les notes manuscrites ont été prises, est constituée par une réunion tenue le 29 juillet 1996 entre Interbrew et Alken-Maes, durant laquelle les intentions d’Interbrew en ce qui concerne la composante logistique de sa politique commerciale telle qu’elle devait être modifiée et appliquée par l’entrée en vigueur du nouveau tarif à partir du 1er janvier 1997, ont été discutées en détail.
221 La Commission a indiqué avoir déduit de l’examen des notes prises le 27 novembre 1996, qui contiennent six tirets suivis d’un texte manuscrit d’une ou deux lignes contenant chaque fois un point d’interrogation, que lesdites notes contenaient des questions que M. L. B. (Alken-Maes) s’est posées ce jour-là au sujet du tarif d’Interbrew et que les annotations portées ultérieurement sur le document mentionnaient soit l’endroit où il y avait lieu de trouver la réponse, soit la réponse auxdites questions. En l’occurrence, les annotations tenant lieu de réponse à certaines questions permettraient d’établir que les réponses aux questions ont été obtenues d’Interbrew en date du 9 décembre 1996.
222 Compte tenu de la contestation formelle de cette interprétation par la requérante, il convient d’examiner dans quelle mesure ces ajouts résultent, et, partant, constituent la preuve, d’un contact anticoncurrentiel entre Alken-Maes et Interbrew.
223 À cet égard, il y a lieu de relever que le document, daté du 27 novembre 1996 et intitulé « Tariefstudie », se présente, en sa dernière page, comme une liste de six questions sur la tarification d’Alken-Maes.
224 Or, il apparaît que chacune des six questions formulées appelait, dans l’esprit de l’auteur des notes initiales, une réponse encore en suspens à la date de leur rédaction. Le document suggère, en effet, que des dispositions avaient été prises à l’égard de chacune des six questions, en vue de leur trouver une réponse. Ainsi, les première et sixième questions, qui ont trait à des aspects juridiques, renvoient explicitement à une personne dénommée « [P. V. D.] » et se réfèrent, selon toute vraisemblance, au conseiller juridique d’Alken-Maes à cette date. De même, la troisième question invite à une vérification auprès des clients via la distribution (checken bij klanten via distributie).
225 S’agissant des deuxième, quatrième et cinquième questions, en face desquelles ont été portées ultérieurement les trois annotations en discussion, il importe de relever que la deuxième question commence par les mots « check IB », où « IB » signifie de toute évidence Interbrew. Or, c’est précisément en face de cette deuxième question que la mention manuscrite postérieure « Ja, volgen [M. A. B.] (IB) 9/12/96 » a été portée. Cette annotation suggère que, conformément à la disposition prise à l’égard de cette question pour obtenir une réponse, M. L. B. (Alken-Maes) a contacté Interbrew, le 9 décembre 1996, en la personne de M. A. B., qui a donné une réponse positive. Il y a donc lieu d’interpréter de la même manière les deux autres ajouts manuscrits portant la date du 9 décembre 1996.
226 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il est plausible que les réponses mentionnées aient été obtenues auprès des distributeurs, il y a lieu de constater que cette thèse est contredite par le fait que les notes relatives à la troisième question invitent spécifiquement à ce qu’une réponse soit obtenue auprès des clients et de la distribution, et qu’il n’a précisément pas été porté, en face de cette troisième question, d’ajout du type de ceux qui figurent au regard des deuxième, quatrième et cinquième questions.
227 Il apparaît donc établi que les réponses apportées, d’une part, à la troisième question et, d’autre part, aux deuxième, quatrième et cinquième questions l’ont été par les canaux d’information mentionnés. Dans ce contexte, le fait que la troisième question ait eu spécifiquement vocation à être éclaircie par les clients et que la formulation de la deuxième question invite explicitement à une vérification auprès d’Interbrew confirme qu’il était prévu de contacter cette dernière en vue d’obtenir la réponse à certaines questions. En outre, le fait que trois mentions constituant des réponses aux questions portent de façon identique la date du 9 décembre 1996 et que l’une d’entre elles se réfère explicitement à Interbrew et à l’un de ses représentants permet de confirmer, au-delà du doute raisonnable, qu’un contact anticoncurrentiel a bien été établi le 9 décembre 1996, qu’il ait été téléphonique ou non.
228 Il y a donc lieu de conclure que la preuve d’un contact infractionnel le 9 décembre 1996 a été rapportée.
Sur la réunion du 17 avril 1997
229 S’agissant de la réunion prétendument infractionnelle du 17 avril 1997, la Commission affirme, au considérant 95 de la décision attaquée, que des dirigeants d’Interbrew, de la requérante et d’Alken-Maes se sont rencontrés à Paris le 17 avril 1997. La requérante ne conteste pas qu’une telle rencontre a eu lieu.
230 La Commission rapporte en outre, au considérant 96 de la décision attaquée, la déclaration du directeur général d’Interbrew de l’époque, M. J. D., relative au contenu de cette réunion et en conclut, comme il ressort du considérant 284, que cette réunion a eu pour objet la coordination des comportements d’Interbrew et de la requérante sur le marché, ce que conteste formellement la requérante.
231 À cet égard, il importe de relever, à titre liminaire, que la requérante ne conteste pas le caractère probant de la déclaration d’Interbrew en ce qu’elle consisterait uniquement en la déclaration unilatérale d’une entreprise, mais seulement dans la mesure où le compte rendu qui est fait de la réunion n’établirait pas son objet anticoncurrentiel.
232 Le passage de la déclaration d’Interbrew concernant la réunion du 17 avril 1997 se présente comme suit :
« Des réunions au sommet, auxquelles je n’ai pas participé, ont eu lieu avec Kronenbourg. Se tenaient ensuite des ‘réunions d’instruction’, auxquelles nous assistions tous (directeurs généraux et directeurs ‘Food’ et ‘Horeca’).
[…]
La réunion du [17 avril 1997] n’était rien d’autre qu’une de ces réunions d’instruction avec [la requérante] (M. K. était présent pour [la requérante]). Nous (‘Belgique’ et ‘France’, mais chacun séparément) devions rendre compte à propos des synergies. Au cours de cette réunion, nous avons passé en revue le P &L [Profit & Loss account ou compte de résultat] ligne par ligne et examiné de façon systématique comment diminuer les coûts et augmenter la rentabilité. Les thèmes étaient les suivants : 1) production ; 2) plateformes communes de distribution ; 3) ristournes sur le prix avant ou après accises (c’était également un sujet traité par la CBB) ; 4) marketing et investissements publicitaires (share of voice) ; 5) croissance du marché de la bière et méthodes d’accroissement du volume, fondées sur le succès obtenu par le marché des eaux en France.
Sur le plan des réalisations, nous avons accompli pas mal de choses dans le secteur Food ; bien davantage que dans le secteur Horeca, où rien ou presque ne s’est passé.
Dans le secteur Food, des accords sont intervenus sur :
– des réductions via des promotions à destination du consommateur (p. ex 5 + 1 gratuite)
– les questions commerciales (p. ex. valeur du coupon lors d’animations)
– la fréquence des folders (p. ex. max ; 10 folders chez GIB pour les bacs de bière)
[…] »
233 Il convient de relever que la référence, dans ladite déclaration, à un passage en revue du compte de résultat « ligne par ligne » ne permet pas de déterminer avec certitude si elle se réfère à un examen commun du compte de résultat de Kronenbourg/Alken-Maes ou bien à un examen parallèle du compte de résultat de cette dernière, d’une part, et d’Interbrew, d’autre part.
234 Il convient de relever par ailleurs que, indépendamment du caractère divergent des explications fournies par les parties en réponse à une question écrite du Tribunal, il résulte du passage de la déclaration concernant la réunion du 17 avril 1997 que cette dernière a eu, au-delà du doute raisonnable, un caractère infractionnel.
235 L’objet anticoncurrentiel de la réunion transparaît, en premier lieu, des thèmes spécifiques de discussion abordés. Le simple fait que des sujets tels que la « production », les « ristournes sur les prix » ou le « marketing et [les] investissements publicitaires » aient fait l’objet d’une concertation entre les plus hauts dirigeants des deux principaux concurrents sur le marché de la bière permet de conclure à un objet anticoncurrentiel.
236 En deuxième lieu, il résulte clairement de l’extrait de la déclaration d’Interbrew, repris au considérant 96 de la décision attaquée, que la réunion du 17 avril 1997 est présentée comme un exemple des « réunions d’instructions » visant à donner suite à d’autres réunions de l’entente à plus haut niveau, en sorte que son caractère anticoncurrentiel ne fait pas de doute.
237 En troisième lieu, et dans ce contexte, l’emploi du terme « synergie », dans l’extrait de la déclaration repris au considérant 96, suggère que celui-ci se réfère de manière générique aux résultats que les responsables au plus haut niveau du cartel attendaient des « réunions d’instructions », dont la réunion du 17 avril 1997 est donnée en exemple, et non à la question spécifique du rachat de Kronenbourg/Alken-Maes. D’ailleurs, comme le souligne justement la Commission dans sa duplique, ce terme est préalablement employé par l’auteur de la déclaration pour désigner non pas les discussions sur la reprise éventuelle de Kronenbourg/Alken-Maes, mais certains aspects de la collaboration entre Interbrew et Alken-Maes en France. Ces éléments plaident également en faveur du constat du caractère anticoncurrentiel de la réunion du 17 avril 1997.
238 En quatrième lieu, il convient, comme l’indique la Commission, d’analyser l’ensemble des éléments susmentionnés à la lumière d’autres déclarations faites par Alken-Maes au cours de la procédure administrative. Or, il y a lieu de relever que, dans sa réponse du 27 décembre 1999 à la demande de renseignements de la Commission du 11 novembre 1999, Alken-Maes a indiqué, en demandant dans le même temps le bénéfice de la communication sur la coopération, qu’« il y a[vait] eu de nombreuses réunions entre des collaborateurs d’Alken-Maes et principalement M. R. V., alors administrateur délégué, entre 1992 et 1998 avec des collaborateurs d’Interbrew, principalement M. T. et M. J. D., durant lesquelles la distribution et la vente de bière en Belgique [avaient] fait l’objet d’un[e] concertation ».
239 Quant à l’argument tiré de la présence de M. R. V. à la réunion du 17 avril, il y a lieu de considérer qu’une telle présence n’est pas susceptible d’entraîner une quelconque présomption dans un sens ou dans l’autre, en sorte qu’il y a lieu de l’écarter.
240 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le caractère infractionnel de la réunion du 17 avril 1997 a été établi à suffisance de droit par la Commission.
Sur la réunion du 28 janvier 1998
241 S’agissant du contenu de la réunion du 28 janvier 1998, dont la tenue n’est pas contestée par la requérante, la portée à attribuer aux notes manuscrites du directeur commercial pour la Belgique d’Interbrew, M. A. D., dépend des conclusions que l’on peut tirer de deux éléments, à savoir la nature de ce qu’elles contiennent et leur degré d’actualité.
242 En ce qui concerne, d’abord, la nature de leur contenu, le caractère homogène et structuré des notes du représentant d’Interbrew, M. A. D., qui sont dépourvues de ratures, conduit à conclure qu’il s’agit non pas d’un compte rendu d’une conversation, mais d’un aide-mémoire.
243 En ce qui concerne, ensuite, le degré d’actualité du contenu des notes, il apparaît qu’un certain nombre d’éléments ont été perçus comme actuels par leur auteur. Il en va ainsi, par exemple, des deux premiers points intitulés respectivement « organisation, concertation » et « dossiers actuels » figurant sous la première rubrique intitulée « Sujets ». De la même manière, la troisième rubrique « Concertation horeca » semble viser l’organisation future de la concertation en cause. Par ailleurs, la deuxième rubrique intitulée « Rétroaction 1.1.1994 » fait état de « réalisations » et ne permet pas d’écarter le fait que de telles réalisations produisaient encore, dans l’esprit de l’auteur, leurs effets.
244 Sachant que la tenue de la réunion du 28 janvier 1998 entre Interbrew et la requérante n’est pas contestée, il y a lieu d’analyser, à l’instar de ce qui a été fait s’agissant de la réunion du 17 avril 1997 (voir point 237 ci-dessus), la portée à attribuer à ces notes à la lumière de la réponse d’Alken-Maes du 27 décembre 1999 à la demande de renseignements de la Commission du 11 novembre 1999, selon laquelle « il y a eu de nombreuses réunions entre des collaborateurs d’Alken-Maes et principalement [M. R. V.], alors administrateur délégué, entre 1992 et 1998 avec des collaborateurs d’Interbrew, principalement [M. T.] et [M. J. D.], durant lesquelles la distribution et la vente de bière en Belgique ont fait l’objet d’un[e] concertation ». Cette déclaration constitue, à elle seule, une reconnaissance de la part de la requérante du fait que des réunions anticoncurrentielles l’impliquant se sont déroulées jusqu’en 1998. Partant, son contenu permet d’attribuer aux notes manuscrites de M. A. D. une portée établissant le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 28 janvier 1998.
245 En outre, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence que, dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises au caractère manifestement anticoncurrentiel, il lui incombe d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur (arrêts Hüls/Commission, point 216 supra, point 155 ; Montecatini/Commission, point 216 supra, point 181, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 185 supra, point 81). En l’absence d’une telle preuve de distanciation, une participation, fût-elle passive, auxdites réunions permet de considérer que l’entreprise participe à l’entente en résultant (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 185 supra, point 84, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487164, point 223). En outre, le fait que cette entreprise ne se conforme pas aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 185 supra, point 85 ; Mayr-Melnhof/Commission, point 57 supra, point 135, et Ciment, point 31 supra, point 1389).
246 En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas avancé d’indices de nature à établir que sa participation, non contestée, à la réunion du 28 janvier 1998 était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel en démontrant notamment qu’elle a indiqué au représentant d’Interbrew qu’elle y participait dans une optique différente de la sienne.
247 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que l’infraction en cause s’est poursuivie jusqu’au 28 janvier 1998.
248 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le moyen.
3. Sur le moyen tiré du caractère infondé de la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte exercée sur Interbrew
a) Arguments des parties
249 Selon la requérante, en concluant qu’elle a exercé, lors de la réunion du 11 mai 1994, une contrainte sur Interbrew qui, consistant en une menace de l’évincer du marché français au cas où elle refusait de lui octroyer un quota de ventes de 500 000 hectolitres sur le marché belge, a conduit à une extension de l’entente à compter de cette date, la Commission se méprend sur la portée des faits en cause.
250 En premier lieu, s’il est vrai que, durant la période antérieure à la réunion du 11 mai 1994, les discussions ont essentiellement porté sur les prix, l’introduction d’éléments additionnels après cette période, à savoir le respect de la clientèle de chacun et une nouvelle tarification, ne pourrait être interprétée comme une extension significative du champ de l’infraction. En particulier, le souci du respect des clientèles mutuelles n’aurait été dicté que par les problèmes posés par le manque de respect par Interbrew des accords exclusifs liant Alken-Maes à certains de ses clients. En outre, d’autres sujets auraient été mis à l’ordre du jour des réunions, tant avant qu’après la réunion du 11 mai 1994, en sorte qu’il serait excessif de qualifier les sujets discutés par les parties d’extension de la coopération en mai 1994.
251 En deuxième lieu, s’il y a bien eu évolution des relations vers une entente plus structurée après 1994, cette évolution aurait répondu aux intérêts des deux parties, voire, pour ce qui est de la tarification, à ceux d’Interbrew en particulier, aucun aspect de l’entente n’étant dans l’intérêt exclusif de la requérante.
252 Ainsi, l’intérêt d’Interbrew à conclure, avant mai 1994, un pacte de non-agression serait démontré par sa crainte que les prix ne soient cassés sur le marché belge. Comme le reconnaîtrait la Commission dans la décision attaquée, Interbrew aurait ardemment souhaité une concertation sur les prix en Belgique afin de se soustraire à la politique agressive de la requérante en la matière, tout en poursuivant une politique agressive eu égard aux accords exclusifs liant Alken-Maes à certains de ses clients, et d’éviter les importations parallèles à bas prix depuis la France. Quoique sa puissance lui eût permis, moyennant une guerre commerciale, d’éliminer Alken-Maes du marché, Interbrew se serait fixé pour objectif de pacifier un marché belge qu’elle dominait afin de pouvoir financer son expansion internationale grâce aux bénéfices réalisés en Belgique, où les prix étaient supérieurs. Or, Alken-Maes aurait opposé à cette volonté de pacification, au moins dans un premier temps, une concurrence féroce dans le but avoué d’atteindre son seuil de rentabilité. Interbrew aurait donc eu un intérêt immédiat à la conclusion d’un pacte de non-agression.
253 Interbrew aurait, en outre, eu intérêt à s’entendre avec la requérante en vue du rachat de sa branche « bière ». Son entente avec Alken-Maes s’expliquerait aussi par son souhait de disposer d’un partenaire dans l’imposition au marché d’une nouvelle structure tarifaire. De plus, risquant une condamnation pour abus de position dominante, Interbrew aurait pu avoir un intérêt à s’entendre avec Alken-Maes plutôt qu’à l’éliminer du marché.
254 Par ailleurs, les prétendues réticences d’Interbrew avant 1994, sur lesquelles la Commission s’appuierait dans la décision attaquée et dans son mémoire en défense, en se référant notamment à une note interne à Interbrew de mars 1993, résulteraient d’un contresens opéré par la Commission sur la portée de ce document. Si l’extrait cité par la Commission fait bien état de « réserves », son utilisation serait toutefois tendancieuse dans la mesure où ce même document ferait ressortir non seulement que ces réserves étaient relatives à une censure au titre de l’article 82 CE, mais également que le CEO d’Interbrew de l’époque avait contraint l’auteur de ladite note à discuter avec Alken-Maes, témoignant au contraire d’une participation volontaire et sans réserve à l’entente, décidée à l’époque par le plus haut dirigeant d’Interbrew. Enfin, la Commission aurait omis de relever que l’auteur de la note faisant état de réserves en mars 1993 est celui qui, six mois plus tard, devenu le CEO d’Interbrew, aurait pris des initiatives forçant Alken-Maes à une coopération pour atteindre le prix souhaité par Interbrew.
255 La Commission aurait également perdu de vue le fait qu’Interbrew a fixé des objectifs clairs à l’entente dès 1994, comme en témoigneraient plusieurs considérants de la décision attaquée, ce qui accréditerait son rôle moteur dans l’entente avant 1994 tel qu’il est également mentionné dans la décision attaquée. La désignation de l’entente par Interbrew sous un nom de code confirmerait, en outre, son approche structurée des pratiques en cause. Enfin, la déclaration de l’ancien administrateur délégué d’Alken-Maes selon laquelle la grande majorité des dirigeants d’Interbrew souhaitaient une entente dès avant 1994 viendrait également démontrer l’inexistence des prétendues réticences d’Interbrew.
256 En troisième lieu, si la requérante reconnaît, d’une part, qu’elle a bien mis en garde Interbrew, lors de la réunion du 11 mai 1994, au sujet de sa complicité dans la violation de ses contrats de distribution en France, elle n’aurait toutefois pas veillé au respect scrupuleux desdits contrats, n’exerçant dès lors aucune contrainte dans les faits. La thèse de la menace proférée à l’encontre d’Interbrew serait au demeurant contredite, dans la décision attaquée, par le constat selon lequel Interbrew n’aurait pas prêté attention à l’exigence de la requérante relative au transfert de 500 000 hectolitres à Alken-Maes.
257 D’autre part, l’asymétrie des rapports de force de la requérante et d’Interbrew respectivement en France et en Belgique aurait été très forte. Du fait de l’absence de position dominante de la requérante en France, celle-ci aurait, en tout état de cause, été incapable d’évincer Interbrew de ce territoire. Les points de vente faisant l’objet de conventions de distribution conclus avec la requérante n’ayant représenté que 16 % des débouchés en France, il serait manifestement infondé de croire qu’Interbrew pouvait accorder du crédit à un quelconque risque d’éviction. En outre, les conséquences éventuelles d’une application stricte par la requérante de ses contrats de distribution en France auraient été sans commune mesure avec le risque encouru par la filiale de la requérante en Belgique, au regard de l’influence réelle du poids d’Interbrew en Belgique. Il existerait, dès lors, une disproportion manifeste entre l’existence prétendue d’une menace qui n’aurait pas été mise à exécution et la majoration du montant de l’amende effectuée au titre de cette circonstance.
258 Par ailleurs, alors qu’elle aurait attribué de l’importance à la mise en garde adressée à Interbrew, qui ne visait selon elle que l’usage de moyens légaux – en l’occurrence non mis en œuvre – pour faire cesser la complicité d’Interbrew concernant la violation de ses contrats en France, la Commission aurait négligé les menaces et représailles exercées par Interbrew contre Alken-Maes durant toute la période. Ainsi, la réaction démesurée d’Interbrew à la politique commerciale agressive d’Alken-Maes en 1994, la désinvolture avec laquelle elle entendait convaincre Alken-Maes de suivre sa politique de hausse de prix en 1993 ou encore les attaques conduites par Interbrew sur les cafés liés à Alken-Maes, que cette dernière subissait, seraient autant de preuves de l’agression constante dont la requérante aurait fait l’objet de la part d’Interbrew, entreprise dominante qui aurait « terrorisé le marché », se trouvant ainsi en passe d’exclure Alken-Maes.
259 Quant à la satisfaction exprimée par Interbrew, en janvier 1998, à l’égard des résultats de l’entente, comme en témoigneraient les notes prises par son directeur commercial pour la Belgique, elle s’accorderait mal avec la thèse d’une contrainte exercée par Alken-Maes sur Interbrew.
260 En quatrième et dernier lieu, la requérante soutient que, en tout état de cause, la preuve de la menace qu’elle aurait formulée n’a pas été rapportée. Toutes les déclarations d’Interbrew auraient été établies en l’an 2000 et communiquées à la Commission à un stade avancé de la procédure d’enquête. Elles seraient conformes à la stratégie de défense d’Interbrew et ne sauraient, dès lors, êtres considérées par la Commission comme des éléments probants. Quant au seul document émanant d’un tiers et venant à l’appui de la thèse de la Commission, à savoir le document Heineken, il ne saurait non plus constituer une preuve valable.
261 Ce document, en ce qu’il rapporte des déclarations d’Interbrew, ne serait pas une constatation indépendante de la contrainte alléguée. Ni son auteur ni sa date n’étant connus, il y aurait lieu, en outre, de mettre en doute la sincérité des propos rapportés, d’autant plus qu’il serait impossible de déterminer si le document a été rédigé par un responsable d’Heineken ou d’Interbrew. Sa nature serait en outre difficile à appréhender et son contenu serait sibyllin. Le document ne serait en effet ni une lettre ni une note, mais plutôt un extrait de liste sur laquelle figurerait le nom mal orthographié d’un dirigeant d’Interbrew en poste dans les années 90 (M. C.) et au regard duquel se trouveraient trois membres de phrases assortis de tirets, semblant faire partie d’une énumération. Le deuxième tiret serait suivi des mots suivants écrits en néerlandais : « [M. K.] a il y a trois ans mis Interbrew devant le choix de [donner] 500 000 [hectolitres] [à Maes] ou il les mettrait hors de France ». Or, le terme « donner » ne serait pas exprimé dans le texte néerlandais et les mots « à Alken-Maes » auraient été ajoutés de manière manuscrite. Il serait donc impossible de donner un sens clair aux quatre lignes, isolées de leur contexte propre, constituant le document Heineken. Dans la mesure où la Commission n’a pas cherché à obtenir de plus amples informations sur le document Heineken et sur la signification de son contenu, celui-ci serait dépourvu de toute valeur probante.
262 Selon la Commission, il ressort des considérants 45 et 46 de la décision attaquée, qui ne seraient pas contestés par la requérante, d’une part, qu’avant la réunion du 11 mai 1994 Interbrew était réticente à étendre sa coopération avec la requérante en Belgique et qu’elle se fixait comme approche « de ne pas commencer une guerre » et, d’autre part, qu’après cette date un pacte de non-agression a été conclu. La thèse développée par la requérante d’une volonté d’Interbrew, avant 1994, de s’entendre avec Alken-Maes pour faire cesser la politique commerciale agressive de cette dernière ne serait que spéculative, alors que le caractère agressif de la politique d’Alken-Maes à l’encontre d’Interbrew serait avéré. Au vu de l’évolution marquée de l’attitude d’Interbrew, il y aurait lieu d’en déduire l’existence d’un lien causal entre la menace proférée par la requérante, qui admet d’ailleurs la réalité de l’extension de la coopération à partir du 11 mai 1994, et l’évolution de l’attitude d’Interbrew.
263 Le fait qu’Interbrew soit l’acteur le plus important sur le marché de la bière en Belgique ne permettrait pas d’exclure qu’elle ait eu des réticences à l’égard d’un élargissement de l’entente, ni qu’elle ait fait l’objet de menaces de guerre commerciale de la part d’un acteur économique globalement plus important qu’elle et particulièrement puissant en France, pays où Interbrew était en revanche en position de faiblesse. Un tel scénario serait d’autant plus crédible que la menace en cause consistait en une action concertée de la requérante et d’Heineken et qu’Alken-Maes n’était pas une entreprise isolée, mais une filiale de la requérante, donc d’un groupe international. Enfin, le fait qu’Interbrew ait pu se déclarer satisfaite, vers la fin de l’entente, des résultats obtenus, ne saurait permettre de conclure à l’absence de réticences initiales.
264 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la citation extraite de la note de M. M. du 12 mars 1993 est une présentation tendancieuse de la réalité, la Commission fait, d’abord, valoir que l’utilisation de cette citation au considérant 45 de la décision attaquée n’occulte aucunement les pressions opérées par la hiérarchie d’Interbrew. Au surplus, il ressortirait de la même citation que la requérante souhaitait renforcer cette coopération et qu’elle avait davantage à y gagner qu’Interbrew, ce que la requérante se garderait bien de mentionner. Le fait que les réticences d’Interbrew aient pu être motivées par la crainte de poursuites pour infraction au droit de la concurrence serait sans conséquence sur l’existence de telles réticences. Il en irait de même de l’initiative dont l’auteur des réserves initiales d’Interbrew (M. M.) se serait rendu coupable par la suite pour forcer Alken-Maes à atteindre le prix souhaité par Interbrew. Quant à la déclaration de l’ancien administrateur d’Alken-Maes, selon laquelle la grande majorité des managers d’Interbrew souhaitaient la conclusion d’une entente avant 1994, elle serait postérieure aux faits et l’utilisation qui en serait faite serait très sélective, passant sous silence certains de ses passages faisant référence à la menace proférée à l’encontre d’Interbrew.
265 La Commission réitère qu’elle n’a jamais mis en doute l’intérêt d’Interbrew à conclure une entente, mais simplement démontré que l’extension de celle-ci a été le résultat de la menace proférée par la requérante.
266 L’argument de la requérante selon lequel, avant 1994, Interbrew souhaitait s’entendre sur les prix afin de faire cesser la politique commerciale agressive d’Alken-Maes et de prévenir des importations parallèles à bas prix depuis la France ne serait étayé par aucune preuve. Les documents censés prouver la politique de prix agressive d’Alken-Maes feraient état d’une rencontre entre des responsables d’Alken-Maes et d’Interbrew (M. R. V. et M. C.) postérieure à mai 1994, ce qui ne permettrait pas de déduire que l’extension de l’entente à cette date a résulté d’une volonté d’Interbrew. Les pièces relatives aux importations parallèles ne seraient quant à elles pas conclusives, pas plus que celles censées démontrer la volonté d’Interbrew de financer son expansion internationale grâce aux bénéfices réalisés en Belgique. Quant aux pourparlers relatifs à un éventuel rachat de Kronenbourg par Interbrew, ils ne démontreraient pas un intérêt spontané de cette dernière pour l’entente, pas plus que la crainte de poursuites pour abus de position dominante ne serait susceptible d’avoir incité Interbrew à étendre une entente, tout aussi illégale du point de vue du droit de la concurrence.
267 La Commission fait valoir, ensuite, que l’explication de la réunion du 11 mai 1994 et de l’évocation des 500 000 hectolitres par la requérante n’est pas crédible, tout en notant que celle-ci ne conteste pas qu’il ait effectivement été fait allusion à cette quantité, ainsi qu’à une certaine forme de menace.
268 S’agissant de la contestation par la requérante de la preuve de cette menace, la Commission fait, d’abord, valoir que la requérante a mentionné, dans sa réponse à la communication des griefs, qu’un responsable d’Alken-Maes (M. R. V.) a informé Interbrew, « qui était irritée de sa politique agressive, qu’il ne comptait pas gagner plus de 500 000 hectolitres, ce qui correspondait à son seuil de rentabilité ». En outre, il aurait été signifié à Interbrew, eu égard aux pratiques prédatrices dans le secteur horeca en Belgique, que la requérante « pourrait adopter une politique plus ferme vis-à-vis d’Interbrew en France si Interbrew ne mettait pas fin à ses abus en Belgique ». Il ressortirait de ces deux assertions une certaine menace, car le fait de demander à un concurrent de mettre fin à certaines pratiques tout en l’informant de la nécessité de disposer d’un certain volume pour devenir rentable reviendrait à demander la cession de ce volume sous la menace de rétorsions.
269 La Commission note par ailleurs qu’un représentant d’Interbrew (M. C.) a déclaré qu’un représentant de Alken-Maes [M. K.] « a réitéré ses exigences de transférer 500 000 [hectolitres] vers [Alken-Maes] sous la menace de la destruction d’[Interbrew] en France ». Il aurait de plus « préconisé un comportement [Interbrew]/[Alken-Maes] en Belgique qui serait calqué sur ‘les accords en France’ », notant que le « mécanisme français se résume à ce que les [d]irecteurs de vente alimentaire (Food) de Heineken et Kronenbourg se concertent très fréquemment afin de contrôler les parts de marché respectives en manipulant – les promotions, – les prix, – les conditions ».
270 La Commission produit également dans sa duplique, en réponse à l’affirmation de la requérante selon laquelle elle ne se serait basée, pour démontrer l’existence d’une menace, que sur le document Heineken, une déclaration d’Interbrew du 14 janvier 2000, dans laquelle l’auteur de la déclaration écrit : « [l]a position de [la requérante] était que la situation de [Alken-Maes] était très difficile et que [Interbrew] devait l’aider. Le gros bâton qu’ils avaient pour nous convaincre était que Kronenbourg pouvait nous rendre la vie très difficile en France ».
271 La menace serait, en outre, démontrée de façon indépendante par le document Heineken, cité dans la communication des griefs ainsi que dans la décision attaquée. Ce document, non daté et non signé mais découvert dans un tiroir du bureau d’un membre du conseil d’administration d’Heineken, rapporterait que, trois ans auparavant, un responsable de Alken-Maes, M. K., « a placé Interbrew devant le choix de céder 500 000 hectolitres à Alken-Maes ou d’être éjecté de France. Il a fait référence aux modalités de coopération entre Heineken et Kronenbourg en France ».
272 La Commission considère que la force probante de ce document, auquel la requérante a eu accès dans sa version non confidentielle, n’est pas altérée par l’absence de date et d’identification de son auteur ou des personnes qui en ont eu connaissance. Compte tenu du lieu où il a été découvert, tout porterait à croire que le document a été rédigé pour ou par un membre du conseil d’administration d’Heineken. En outre, le conseil d’Heineken aurait confirmé que sa cliente est bien à l’origine du document.
273 D’après la Commission, le caractère cohérent des admissions de la requérante, des déclarations d’Interbrew et du contenu du document Heineken démontrerait le fait qu’une menace a effectivement été proférée à l’encontre d’Interbrew.
274 S’agissant des arguments développés par la requérante, dans sa réplique, à l’appui de la thèse selon laquelle la menace a été dépourvue d’effets, la Commission fait observer, à titre liminaire, qu’ils présupposent implicitement qu’une menace a été proférée. Les déclarations, invoquées par la requérante, d’un de ses directeurs de l’époque seraient par ailleurs incohérentes. Si ce dernier indique, en effet, que « Kronenbourg n’était nullement en mesure d’évincer Interbrew », cela serait contradictoire avec le fait qu’il a signalé « que Danone pourrait adopter une politique plus ferme vis-à-vis d’Interbrew en France si Interbrew ne mettait pas fin à ses abus en Belgique ». Il ne serait pas vraisemblable qu’une menace ait été proférée en pleine connaissance de l’impossibilité de sa concrétisation. Quant à la prétendue absence d’attention portée à la menace de la part d’Interbrew, la requérante ne serait pas en mesure de l’établir, alors qu’il ressortirait en revanche du dossier qu’Interbrew a pris au sérieux ses menaces.
275 Une contre-attaque éventuelle d’Interbrew à la suite des initiatives d’Alken-Maes sur les débits de boissons ne saurait par ailleurs permettre d’exclure qu’Interbrew ait pris au sérieux ce qu’il aurait perçu comme une menace. Quant aux pièces invoquées à l’appui de la démonstration de la « terreur » qu’Interbrew aurait fait régner sur le marché, elles ne seraient pas conclusives. Il ne ressortirait d’aucune d’entre elles qu’Interbrew aurait systématiquement attaqué les points de vente d’Alken-Maes.
276 Enfin, la Commission souligne que la requérante, tout en contestant avoir proféré une menace, ne semble pas contester qu’une menace, fût-elle restée sans suite, constitue une circonstance aggravante.
b) Appréciation du Tribunal
277 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 623), ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 215 supra, point 150 ; arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 264).
278 Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d’individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence (voir, en ce qui concerne l’imputation d’une amende, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 63).
279 Conformément à ces principes, les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée. Le point 2 établit, en particulier, une liste non exhaustive des circonstances aggravantes susceptibles d’être prises en compte.
280 En l’espèce, la Commission a retenu à l’encontre de la requérante, au considérant 315 de la décision attaquée, le fait qu’elle a « forcé Interbrew à étendre leur coopération en la menaçant de représailles au cas où elle refuserait ».
281 À titre liminaire, il y a lieu de relever que c’est à bon droit que la Commission a considéré que le fait qu’une entreprise partie à une entente force une autre partie à ladite entente à étendre le champ de cette dernière en la menaçant de représailles en cas de refus peut être retenu en tant que circonstance aggravante. En effet, un tel comportement a pour effet direct d’aggraver des dommages créés par l’entente et une entreprise ayant adopté une telle conduite doit de ce fait porter une responsabilité particulière (voir, par analogie avec l’appréciation du rôle de « chef de file » d’une entente, arrêts de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 57 et 58, et du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 45 ; arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 57 supra, point 291).
282 La Commission établit à l’appui du constat de la circonstance aggravante précitée un lien de causalité entre l’extension de la coopération, telle qu’elle est notamment résumée aux considérants 236, 239, 243 et 244 de la décision attaquée, s’appuyant eux-mêmes sur les faits concernant l’année 1994 décrits aux considérants 51 à 68, et la menace, proférée par la requérante, de représailles à l’encontre d’Interbrew dans l’hypothèse d’un refus d’extension de la coopération.
283 Afin de déterminer le bien-fondé du constat par la Commission de la circonstance aggravante retenue à l’égard de la requérante, il convient d’examiner successivement la réalité de la formulation d’une menace de représailles, celle de l’extension de la coopération et, dans l’hypothèse où ces deux éléments de fait seraient confirmés, si la menace proférée a effectivement eu pour effet l’extension de la coopération.
284 S’agissant, en premier lieu, de la preuve de la formulation d’une menace, il y a lieu de constater que la Commission a conclu en ce sens sur le fondement, d’une part, de la déclaration de M. C., d’Interbrew, du 12 janvier 2000, jointe en annexe 18 de la lettre d’Interbrew à la Commission du 28 février 2000, et, d’autre part, du contenu du document Heineken (voir point 271 ci-dessus). Selon la Commission, la véracité de la déclaration d’Interbrew selon laquelle une menace a été proférée lors de la réunion du 11 mai 1994 est confirmée par le document Heineken, qui rapporte la formulation de ladite menace.
285 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la déclaration d’Interbrew ne saurait être considérée comme probante, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n’interdit à la Commission de se prévaloir à l’encontre d’une entreprise des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE (arrêt PVC II, point 154 supra, point 512). Toutefois, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d’autres éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94, Rec. p. II‑1571, point 91). L’entente impliquant, en l’espèce, deux parties seulement, la contestation du contenu de la déclaration d’Interbrew par la requérante suffit à ce qu’il soit exigé que d’autres éléments de preuve viennent l’étayer. Tel est d’autant plus le cas s’agissant d’une déclaration tendant à atténuer la responsabilité de l’entreprise au nom de laquelle elle est faite, en mettant en exergue la responsabilité d’une autre entreprise. Il y a donc lieu de déterminer si la déclaration d’Interbrew est corroborée par d’autres éléments de preuve.
286 La Commission s’étant également appuyée, pour conclure à la véracité de la déclaration d’Interbrew, sur le document Heineken, qui établirait la formulation de ladite menace et dont le caractère probant est également contesté par la requérante, il convient de déterminer si ledit document établit, de manière suffisamment probante, la formulation d’une menace pour que, sur le fondement dudit document et de la déclaration d’Interbrew, la formulation d’une menace soit considérée comme établie. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut en premier lieu vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec. p. II‑867, II‑869, II‑956 ; arrêt Ciment, point 31 supra, point 1838).
287 En l’occurrence, il y a d’abord lieu de constater que le document Heineken attribue au directeur général de la division « bière » de la requérante à l’époque des faits en cause le fait d’avoir « placé Interbrew devant le choix de céder 500 000 [hectolitres] à Maes ou d’être éjecté de France [et] […] fait référence aux modalités de coopération entre Heineken et Kronenbourg en France ». À cet égard, en ce qu’il se réfère à la formulation d’une exigence assortie de mesures éventuelles de représailles, il rapporte une menace.
288 S’agissant, ensuite, du degré de fiabilité du document, il y a lieu de relever, premièrement, que, quoique non daté, le document Heineken a nécessairement été établi avant le 22 mars 2000, puisqu’il a été initialement pris en copie chez Heineken, lors d’une vérification conduite au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 17, à cette date (voir point 39 ci-dessus), et qu’il préexiste donc à l’engagement de la procédure et à l’envoi de la communication des griefs aux entreprises en cause. Deuxièmement, il y a lieu de considérer que, bien que le document Heineken ne soit pas signé, sa découverte dans le tiroir d’un membre du conseil d’administration de Heineken, à savoir dans le bureau d’un haut dirigeant d’une entreprise tierce, permet de conclure que le contenu du document est digne de foi. Troisièmement, le fait que les propos en question aient pu être rapportés à Heineken par Interbrew, comme le suggère la requérante, n’est pas de nature à remettre en cause la véracité de leur contenu. L’on ne saurait, en effet, accorder un quelconque crédit à la seule thèse qui pourrait étayer une telle mise en doute de la véracité du contenu du document, à savoir qu’Interbrew ait pu relater à dessein des faits imaginaires à Heineken dans le seul but d’asseoir, dans la perspective d’une décision de la Commission imposant une amende, une thèse de la contrainte lui permettant de minimiser son rôle dans l’entente.
289 Enfin, il importe de relever que, si la requérante conteste le fait que la réunion du 11 mai 1994 a donné lieu à la formulation d’une menace, elle ne conteste cependant ni qu’une mise en garde a été formulée à cette occasion (voir point 256 ci-dessus), ni qu’il a été question, lors de la réunion, d’un volume de 500 000 hectolitres, ni, enfin, que le document Heineken se réfère à la réunion du 11 mai 1994.
290 Il résulte de ce qui précède que le document Heineken a une valeur probante élevée et que, eu égard aux éléments contextuels que la requérante s’abstient de contester, la combinaison de la déclaration de M. C. d’Interbrew du 12 janvier 2000 et du document Heineken établit que la requérante a effectivement formulé une menace à l’encontre d’Interbrew le 11 mai 1994.
291 S’agissant, en deuxième lieu, de la question de la réalité de l’extension de la coopération constatée, il y a d’abord lieu de relever que, si la requérante considère qu’il est excessif de qualifier d’extension de la coopération la modification des sujets discutés entre les parties, elle admet néanmoins qu’il y a eu évolution des discussions après mai 1994, même si cette évolution n’a, selon elle, porté, dans un premier temps, que sur le « respect de la clientèle de chacun » en tant que celle-ci était liée par des engagements d’exclusivité.
292 Il y a également lieu de relever que la requérante ne conteste pas les conclusions contenues dans la décision attaquée, selon lesquelles l’entente a inclus un accord de partage de marché sous la forme d’un pacte de non-agression. En effet, elle a elle-même indiqué à la Commission l’existence d’un pacte de non-agression, comme en témoigne la lettre d’Alken-Maes à la Commission du 7 mars 2000, qui indique :
« Il semble en particulier qu’à la fin de l’année 1994 un accord ait été passé entre les deux sociétés couvrant l’ensemble des circuits de distribution en Belgique mais avec un détail particulier concernant les circuits de l’horeca. L’accord aurait comporté notamment […] un pacte de non-agression […] »
293 Enfin, force est de constater que, notamment aux considérants 56, 59 à 65, 73 et 104 de la décision attaquée, la Commission établit à suffisance de droit que l’entente a inclus dès le second semestre de l’année 1994 une composante de partage de marché. Il résulte par ailleurs des considérants 53 à 58 de la décision attaquée que le processus conduisant à cette inclusion a été amorcé à partir de mai 1994.
294 Il y a donc lieu de conclure qu’il y a effectivement eu extension de la coopération à un partage du marché de la bière par le biais d’un pacte de non-agression à partir de mai 1994.
295 Il convient, en troisième lieu, d’examiner si la menace proférée le 11 mai 1994 par la requérante a, de manière décisive, contraint Interbrew à consentir une extension de ladite entente à un pacte de non-agression. Cet examen doit se fonder sur une analyse comparative de l’attitude adoptée, d’une part, par la requérante et sa filiale Alken-Maes et, d’autre part, par Interbrew, tant avant que pendant et après le second semestre de l’année 1994, durant lequel le processus d’extension de l’entente a abouti au pacte de non-agression scellé le 12 octobre 1994. L’examen de l’attitude d’Interbrew revêt à cet égard une importance particulière.
296 À titre liminaire, il convient de relever que, au considérant 313 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que tant la requérante qu’Interbrew ont pris des initiatives relatives à différents éléments de l’entente, en sorte qu’aucune des parties impliquées n’a joué de rôle dirigeant pour l’ensemble de l’entente.
297 S’agissant, premièrement, de l’attitude respective des parties à l’entente avant et pendant le second semestre de l’année 1994, il convient d’abord de constater qu’il résulte de la décision attaquée que la requérante et sa filiale Alken-Maes ont bien été à l’origine de l’extension de l’entente à un pacte de non-agression, impliquant une concertation sur les parts de marché ou, à tout le moins, sur la répartition de la clientèle.
298 Si l’entente a porté en effet initialement sur les prix et la réduction des investissements commerciaux, la position exprimée par la requérante, telle qu’elle a été, selon les déclarations d’Interbrew, rapportée lors d’une réunion interne à Interbrew le 5 mai et réitérée lors de la réunion du 11 mai 1994, ce dernier point étant avéré par le document Heineken, consistait à réclamer pour la première fois la prise en compte de critères de volumes de vente, ce qui peut être assimilé à une proposition d’extension de l’entente au partage du marché. En outre, il résulte de la déclaration d’Interbrew citée aux considérants 54 et 57 de la décision attaquée, corroborée par le contenu d’une note interne de l’auteur de cette déclaration datée du 5 octobre 1994 et citée au considérant 58 de ladite décision, que la volonté d’un partage du marché était présentée par Alken-Maes et comprise par Interbrew comme une volonté de transposer en Belgique des mécanismes de concertation auxquels la requérante participait en France. Il résulte par ailleurs des mêmes documents qu’Interbrew était réticente vis-à-vis d’une telle proposition.
299 Il convient cependant de relever que l’attitude d’Interbrew témoigne, jusqu’en mai 1994, d’un comportement actif dans l’entente. Ainsi, la Commission affirme au considérant 310 de la décision attaquée qu’Interbrew a pris l’initiative de l’échange d’informations engagé en 1992 et qu’il ressort de preuves écrites que, en août et en novembre 1993, Interbrew a joué un rôle déterminant concernant les accords de prix dans le commerce de détail. Il y a également lieu de conclure de la note interne à Interbrew du 12 mars 1993 que le plus haut dirigeant de cette entreprise avait pris une part active à la première phase de l’entente, en imposant à ses subordonnés de participer à la concertation. La note contient en effet le passage suivant : « [i]ls souhaitent vraisemblablement renforcer la ‘coopération’ en Belgique. [L’ex-CEO d’Interbrew] nous a contraint à discuter ‘parce que nous avions besoin d’un peu d’argent’, mais nous sommes très réservés à ce propos, parce que nous voulons éviter tout problème lié aux articles 8[1] et 8[2] [CE]. »
300 Il apparaît en outre que, cinq mois plus tard, le rédacteur de la note précitée, devenu le CEO d’Interbrew, a repris à son compte cette attitude active vis-à-vis de l’entente. Dans une note interne à Interbrew du 19 août 1993, M. M. signale en effet sa disponibilité à aider à convaincre Alken-Maes en vue de la réalisation d’une hausse des prix de 4 %. Il rend, par ailleurs, compte, dans une note du 3 novembre 1993, des contacts qu’il a eus avec la grande distribution en ces termes :
« […] apprécierait fortement qu’Interbrew prenne l’initiative de se mettre en rapport avec […] et […] [NB : Les trois plus grandes chaînes de supermarchés belges] en vue d’arriver à une augmentation graduelle des prix de la bière […] de façon à atteindre le niveau souhaité par [Interbrew]. […] Lorsqu’un consensus commencera à se dégager, on pourra envisager une réunion à [trois] […]. Je crois que ce ne serait pas une mauvaise idée de m’inviter à la réunion au sommet avec […] et […]. […] L’initiative de Maes de l’année passée ne s’est pas révélée praticable : a) la confiance manquait, mais aussi et sûrement b) Maes était trop petit. Seul [Interbrew] peut y parvenir. »
301 Il résulte de ce qui précède que, si le comportement de la requérante et de sa filiale Alken-Maes durant le second semestre de l’année 1994 témoignent de leur volonté d’étendre la coopération à un partage du marché, le comportement d’Interbrew durant la première phase de l’infraction a été actif, comme en témoigne la prise d’initiatives dont l’objet restrictif ne saurait être contesté.
302 S’agissant, deuxièmement, de l’attitude des parties à l’entente entre le 11 mai 1994, date à laquelle la menace est formulée, et le 24 novembre 1994, date à laquelle le pacte de non-agression scellé le 12 octobre 1994 a été à nouveau discuté entre les parties, il y a d’abord lieu de constater que, malgré la menace proférée par la requérante, l’attitude d’Interbrew ne correspond pas à celle d’une entreprise obligée d’accepter, sous l’effet d’une contrainte, l’extension de l’accord restrictif auquel elle est partie.
303 Ainsi, il y a lieu de relever que le CEO d’Interbrew a indiqué, le 7 juillet 1994, avoir convenu avec le plus haut dirigeant de la requérante « de ne pas commencer une guerre, mais d’essayer de gagner du temps » (considérant 56 de la décision attaquée). Or, la posture adoptée par la requérante et Alken-Maes durant la première phase de l’entente, qui s’étend du début de l’année 1993 à la fin du premier semestre de l’année 1994, était agressive vis-à-vis d’Interbrew, et la position prise par la requérante le 11 mai 1994, nonobstant qu’elle était empreinte de menace, avait pour arrière-plan la possibilité du déclenchement d’une guerre commerciale en France. L’attitude d’Interbrew peut donc s’analyser non pas uniquement comme une obtempération à la menace de la requérante, mais également comme un refus assumé d’engager une guerre commerciale, à savoir d’adopter un comportement concurrentiel. À cet égard, il y a également lieu de relever que la Commission a indiqué au considérant 51 de la décision attaquée, après avoir fait référence à la formulation de la menace, que « bien qu’elle ne prête pas attention à l’exigence de [la requérante] relative au transfert de 500 000 hectolitres à Alken-Maes, Interbrew ne souhaite pas déclencher un conflit et les deux parties restent en contact étroit ».
304 Il apparaît donc, d’une part, qu’Interbrew n’a accordé qu’une attention modérée à la menace proférée et, d’autre part, que le comportement d’Interbrew constitue le résultat de sa volonté de ne pas rentrer en conflit avec la requérante, ce qui suggère que l’extension de l’entente a pu être non pas le résultat d’une contrainte, mais plutôt la conséquence d’un choix opéré par Interbrew. En outre, la Commission indique au considérant 235 de la décision attaquée qu’aucune suite n’a été donnée à l’exigence du transfert de 500 000 hectolitres au profit d’Alken-Maes, même si elle tempère immédiatement cette constatation en affirmant qu’Interbrew s’est toutefois montrée disposée, à partir de ce moment, à élargir la portée des accords avec Alken-Maes et à ne plus se limiter à un échange d’informations et à des accords concernant les prix applicables au commerce de détail.
305 Par ailleurs, la note préparée par le directeur commercial du secteur horeca pour la Belgique d’Interbrew en vue de la réunion du 12 octobre 1994 durant laquelle le pacte de non-agression a été scellé ne témoigne pas d’une réticence de principe à la perspective d’un tel accord sur le partage du marché ou de la perception d’une contrainte qui conduirait à cette perspective. Elle reflète davantage une évaluation raisonnée par son auteur des avantages et des inconvénients d’une telle entente pour Interbrew, y compris comparativement aux avantages qu’Alken-Maes serait susceptible d’en tirer. On peut ainsi y lire que, « en raison de sa position dominante et de la loi d’avril 1993 portant sur ce sujet, [Interbrew] encourt un risque additionnel », ou encore que « de telles ententes offrent plus d’avantages pour le challenger que pour le leader du marché ». La note ne présente pas la perspective de l’accord avec Alken-Maes de manière positive, puisque son auteur écrit : « Appréciation personnelle : je ne crois pas en de tels accords puisqu’ils ne peuvent jamais être mis en pratique et parce qu’ils n’apportent pas d’avantage fondamental pour [Interbrew]. » Elle ne témoigne toutefois pas nécessairement d’une contrainte subie par Interbrew, puisque les propos tenus peuvent également être interprétés comme relevant d’un processus de réflexion entrepris au sein d’Interbrew quant à la manière dont des accords anticoncurrentiels pourraient être mis en œuvre de manière efficace.
306 En outre, il convient de relever que la note interne d’Interbrew du 14 octobre 1994, qui rapporte les résultats de la réunion du 12 octobre 1994, ne suggère pas qu’Interbrew s’est vu imposer le pacte de non-agression sous l’effet de la contrainte, mais plutôt qu’Interbrew a pris toute sa part à la discussion, en allant jusqu’à soumettre à Alken-Maes sa propre approche. Le directeur général pour la Belgique d’Interbrew écrit en effet dans ladite note : « [v]euillez trouver ci-joint un document de nos amis et l’approche en une page que j’ai proposée. Le principe en a été accepté par nos amis». Or, l’« approche en une page » proposée par Interbrew, qui est reproduite par la Commission au considérant 60 de la décision attaquée, fait précisément référence à un « [g]entlemen’s agreement », incluant notamment les points suivants : « pas d’attaque des obligations » (à savoir les points de vente du secteur horeca avec lesquels un contrat d’achat exclusif a été conclu) et « pas d’attaque systématique des marques dans le cadre des obligations de chacun ».
307 S’agissant, troisièmement, de l’attitude des parties après le second semestre de l’année 1994, il y a d’abord lieu de constater que la Commission relève au considérant 77 de la décision attaquée, sur la base de documents de juillet 1995, internes à Interbrew, que ses dirigeants estiment avoir respecté l’accord en Belgique. La Commission souligne par ailleurs au considérant 310 de la décision attaquée qu’Interbrew a pris l’initiative, en 1995, d’engager des discussions en matière de tarification. La description, aux considérants 83 à 92, des discussions conduites par les deux parties en 1996 à propos de leurs projets de nouvelle tarification confirme l’existence d’un esprit de coopération spontanée. Au considérant 92, la Commission cite, par exemple, le contenu d’une télécopie du 11 octobre 1996 d’un dirigeant d’Interbrew à un actionnaire de l’entreprise, qui précise : « [c]ela fait un an maintenant que nous discutons ensemble de concurrence constructive en Belgique. Fondamentalement, il ne s’est rien passé. Et vraisemblablement, les responsabilités sont, à cet égard, partagées. Nous allons tenter la semaine prochaine de faire redémarrer ce processus ».
308 Enfin, force est de constater que les notes du directeur commercial du secteur horeca pour la Belgique d’Interbrew établies à l’occasion de la réunion du 28 janvier 1998 témoignent d’une attitude positive vis-à-vis de l’entente et intègrent, au titre des objectifs de l’entente, en ce qui concerne l’horeca, le « respect des obligations et droits de livraison ». Les notes mentionnent également au titre de la concertation horeca un « contact direct pour les dossiers importants et la concurrence concernant les clients nationaux » (considérant 104 de la décision attaquée).
309 Il résulte de ce qui précède que, sur l’ensemble de la période infractionnelle, les parties à l’entente ont chacune pris des initiatives dont l’objet était anticoncurrentiel et, en particulier, que l’on ne saurait conclure, sur le fondement des éléments du dossier, que c’est sous le seul effet d’une contrainte qu’Interbrew a consenti à l’extension de l’entente à un pacte de non-agression. Nonobstant le fait que la Commission précise, dans ses écritures, que la circonstance aggravante retenue à l’encontre de la requérante n’exonère pas Interbrew de sa responsabilité dans l’entente, l’attitude dont témoigne cette dernière tout au long de la période infractionnelle ne permet pas de conclure à l’existence d’un lien de causalité direct entre la menace formulée par la requérante le 11 mai 1994 et l’extension de l’entente.
310 Il s’ensuit que, au regard de l’attitude des parties vis-à-vis de l’entente avant et après le second semestre de l’année 1994, ainsi que de la portée qu’a pu avoir cette menace eu égard au contexte dans lequel elle a été formulée, la Commission n’a pas établi à suffisance le lien de causalité existant entre la menace proférée et l’extension de l’entente, les causes de cette dernière pouvant ne pas avoir été circonscrites à une menace, mais avoir résulté plus généralement de l’objectif de suppression de la concurrence poursuivi de concert par les deux parties à l’entente.
311 Il résulte donc de ce qui précède que c’est à tort que la Commission a retenu à l’encontre de la requérante la circonstance aggravante selon laquelle elle aurait forcé Interbrew à étendre leur coopération en la menaçant de représailles au cas où elle refuserait.
312 Interrogée, lors de l’audience, sur les pourcentages d’augmentation respectifs qu’elle a déterminés au titre de chacune des deux circonstances aggravantes retenues contre la requérante, sachant qu’une augmentation globale de 50 % du montant de base de l’amende a été opérée, la Commission a indiqué que, eu égard, d’une part, à l’importance relative donnée à chacune de ces deux circonstances aggravantes dans les motifs de la décision attaquée et, d’autre part, à sa pratique décisionnelle en la matière, il y a lieu de considérer que la circonstance aggravante de récidive a joué un rôle prépondérant et que la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte a donc joué un rôle moindre.
313 Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’il convient d’exercer le pouvoir de pleine juridiction qui lui est conféré en vertu de l’article 17 du règlement n° 17 en fixant l’augmentation globale du montant de base de l’amende retenue au titre des circonstances aggravantes à 40 %.
4. Sur le moyen tiré de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la requérante
a) Arguments des parties
314 En premier lieu, la requérante fait valoir que la prise en compte, par la Commission, d’une prétendue récidive de sa part constitue une violation de la délégation de pouvoir conférée par l’article 15 du règlement nº 17, dans la mesure où la Commission n’a le pouvoir de déterminer le montant des amendes qu’elle impose qu’au regard de la gravité intrinsèque de l’infraction et de sa durée.
315 Il résulterait des législations nationales des États membres que l’état de récidive relève non pas des circonstances aggravant l’infraction, c’est-à-dire de l’appréciation objective de la gravité des faits, mais de la reconnaissance d’un fait propre à l’auteur de l’infraction, à savoir sa tendance à commettre de telles infractions.
316 En réponse à l’argument de la Commission selon lequel la récidive figure dans les lignes directrices en tant que circonstance aggravante, la requérante indique ne pas remettre en cause la faculté pour la Commission d’annoncer par la voie d’une communication interprétative sa méthodologie en matière d’imposition d’amendes. En revanche, elle dénonce ce qu’elle considère être un détournement de pouvoir, à savoir le fait que la Commission s’arroge la faculté d’aggraver une peine pour récidive, sans habilitation légale, ainsi que de décider discrétionnairement des modalités d’application de ce concept.
317 En ce qui concerne l’observation de la Commission selon laquelle la requérante n’a pas soulevé d’exception d’illégalité au titre de l’article 241 CE, celle-ci fait valoir que l’existence d’une telle voie de droit ne s’oppose pas à ce qu’elle invoque l’illégalité de la décision attaquée au regard du règlement nº 17, quand bien même celle-ci ferait application des lignes directrices. Quant au rejet par le Tribunal, également invoqué par la Commission, de l’exception d’illégalité soulevée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt HFB e.a./Commission, point 245 supra, la requérante souligne que l’arrêt en question ne portait que sur un point précis des lignes directrices et n’a donc pas la portée générale que la Commission voudrait lui attribuer.
318 À l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait reconnu dans plusieurs affaires le concept de récidive, la requérante répond que, dans aucune de celles-ci, le Tribunal ne s’est explicitement prononcé sur la légalité de l’application du concept de récidive au regard du règlement nº 17, ni d’ailleurs au regard des principes généraux du droit communautaire. Ainsi, dans l’arrêt PVC II, point 154 supra, le Tribunal se serait appuyé sur le fait qu’une entreprise avait déjà commis une infraction similaire non pas pour augmenter le montant de l’amende infligée, mais uniquement pour constater le bien-fondé du rejet par la Commission de l’application d’une circonstance atténuante. Le Tribunal n’aurait donc pas consacré le principe de récidive.
319 S’il est vrai, selon la requérante, que la Commission peut prendre en considération, aux fins de la détermination du montant de départ de l’amende, des infractions antérieures pour justifier son constat du caractère conscient d’une nouvelle infraction de sa part, cela n’implique pas que l’existence d’une infraction antérieure puisse conduire à l’application d’une peine plus lourde pour récidive sans habilitation légale expresse. Une telle augmentation reviendrait, en effet, à créer un nouveau type de peine venant s’ajouter à la peine principale, ce qui expliquerait que le concept de récidive soit considéré dans les ordres juridiques nationaux comme relevant de la loi et comme étant d’interprétation stricte. Or, le règlement nº 17 ne contiendrait aucune habilitation expresse qui permette à la Commission d’alourdir une amende pour récidive.
320 Quant aux arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission (T‑141/94, Rec. p. II‑347), et Enichem Anic/Commission, point 277 supra, la requérante fait valoir que, si le Tribunal y a en effet cité la récidive comme circonstance aggravante, l’illégalité de la mise en oeuvre de ce concept au regard du règlement nº 17 n’avait pas été soulevée par les parties requérantes.
321 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la Commission a violé le principe nulla poena sine lege, car la prise en considération de la circonstance aggravante de récidive n’a pas de base légale dans l’ordre juridique communautaire. Or, la Cour aurait énoncé que le principe général de droit nulla poena sine lege impose une limite au pouvoir discrétionnaire des institutions en ce qu’une sanction, fût-elle de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë (arrêt de la Cour du 25 septembre 1984, Könecke, 117/83, Rec. p. 3291, point 11). La Cour européenne des droits de l’homme aurait, par ailleurs, également conclu que les principes généraux et les garanties attachés aux droits de la défense s’appliquent à toute sanction dont le but est à la fois préventif et répressif, quelle que soit la qualification donnée à l’infraction en droit interne (voir Cour eur. D. H., arrêt Ostürk du 21 février 1984, série A nº 73). Seuls le Conseil et le Parlement disposeraient, en vertu de leur pouvoir législatif, de la faculté de conférer au concept de récidive la base légale nécessaire à son application en tant que circonstance aggravante par la Commission.
322 La requérante fait également valoir que la Cour n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur la légalité du principe de récidive au regard du principe nulla poena sine lege dans les affaires citées par la Commission dans sa défense, à savoir les arrêts PVC II, point 154 supra, Thyssen Stahl/Commission, point 320 supra, et Enichem Anic/Commission, point 277 supra.
323 L’analyse des législations nationales mettrait par ailleurs en lumière l’application très stricte du concept de récidive dans les États membres ainsi que le caractère législatif des actes l’instituant.
324 En troisième lieu, la requérante soutient que la Commission a violé le principe de sécurité juridique ainsi que les principes de la légalité des sanctions et du respect des droits de la défense (arrêt de la Cour du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 103, point 159), étant donné que, en l’absence de toute base légale fixant notamment le délai maximal entre deux condamnations permettant l’application de la notion de récidive, elle a pris en considération des infractions sanctionnées respectivement en 1984 et en 1974.
325 L’analyse des législations nationales mettrait en évidence, au nombre des conditions strictes d’application du concept de récidive, l’existence d’un délai maximal, ne dépassant en général pas dix ans, séparant l’infraction examinée d’une condamnation antérieure. L’absence, dans les lignes directrices, de limitation dans le temps de la faculté de retenir la récidive, dont la Commission se prévaut dans sa défense, serait précisément ce qui fait pour la requérante le caractère intenable de la situation qu’elle dénonce, raison pour laquelle elle estime que la Commission aurait dû définir une telle limitation dans ses lignes directrices. L’on ne saurait, en effet, admettre que la Commission puisse prendre en considération des infractions commises 40 ans auparavant, voire par une entité juridique différente.
326 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la décision attaquée viole à deux reprises le principe général de droit communautaire non bis in idem. En effet, l’application d’une sanction plus lourde en cas de récidive s’appuierait sur deux motifs essentiels, à savoir la nécessité de dissuader le récidiviste de commettre une nouvelle infraction à l’avenir et le fait que le récidiviste connaissait le caractère illégal de ses actes du fait de sa condamnation antérieure. Or, la Commission, tout en admettant que ces deux motifs viennent à l’appui de son constat de récidive, commettrait l’erreur de les invoquer chacun pour la deuxième fois dans la décision attaquée et d’augmenter ainsi le montant de l’amende à deux reprises pour les mêmes raisons.
327 Ainsi, la Commission aurait déjà pris en considération, dans la décision attaquée, d’une part, la recherche d’un effet dissuasif au titre de l’évaluation de la gravité de l’infraction et, d’autre part, la connaissance par la requérante du caractère illégal de son comportement, lorsque la Commission déclare prendre en compte le fait que la requérante disposait des connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui lui permettaient de mieux apprécier le caractère intentionnel de son comportement et les conséquences qui en découlaient du point de vue du droit de la concurrence. En augmentant ensuite, au titre de la récidive, le montant de l’amende pour les deux mêmes raisons que celles ayant sous-tendu la fixation du montant de l’amende eu égard à la gravité de l’infraction, la Commission aurait donc violé le principe non bis in idem.
328 En cinquième lieu, la requérante fait valoir que, en prenant en considération la récidive sur la base de faits remontant à près de 40 ans, et donc antérieurs au délai de cinq ans prévu par l’article 1er du règlement (CEE) nº 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), la Commission viole les règles de prescription applicables en matière de poursuites et d’exécution dans le domaine de la concurrence.
329 En sixième et dernier lieu, la requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a adopté une conception manifestement excessive du concept de récidive.
330 D’une part, le raisonnement de la Commission ne serait pas entièrement fondé en fait dans la mesure où la décision 74/292/CEE de la Commission, du 15 mai 1974, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/400 – accords entre fabricants de verre d’emballage) (JO L 160, p. 1, ci-après la « décision Verre d’emballage »), n’aurait pas constitué une condamnation de l’entreprise Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) SA (prédécesseur de la requérante), mais simplement le refus, à la suite de la notification d’accords, d’exempter ceux-ci au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE. La Commission l’aurait d’ailleurs implicitement reconnu en signalant, dans sa défense, que, même si cette décision ne devait pas être prise en compte, la décision Verre plat Benelux suffirait à constater l’existence d’une récidive.
331 Or, une sévérité excessive à l’égard de la requérante transparaîtrait du fait même de prendre en compte, aux fins d’un constat de récidive, une décision prise sur la base d’une notification, dont le principe même est d’assurer une sécurité juridique aux entreprises aussi longtemps que la Commission ne s’est pas prononcée. Il serait, dès lors, tendancieux de qualifier la décision précitée de « constat d’infraction » pour justifier l’augmentation du montant de l’amende imposée à la requérante.
332 D’autre part, quand bien même il n’existerait pas de limite temporelle au pouvoir de la Commission de constater une récidive, l’augmentation de l’amende résultant de la prise en compte de faits très anciens – remontant en l’espèce à près de 40 ans –, outre l’insécurité juridique créée, serait manifestement excessive. Elle aboutirait, en effet, à imposer à celle des deux entreprises qui était la plus petite sur le marché une amende équivalente à celle infligée à l’entreprise qui en était l’acteur dominant. Elle tendrait également à faire croire que la requérante est une entreprise multirécidiviste qui enfreint le droit communautaire depuis 40 ans.
333 La Commission soutient que la récidive est mentionnée dans les lignes directrices comme circonstance aggravante et qu’elle pouvait valablement être prise en compte. La Commission aurait à plusieurs reprises retenu cette circonstance aggravante sans être contredite par le Tribunal.
334 Le principe nulla poena sine lege relèverait du droit pénal et ne serait pas applicable en l’espèce. La requérante perdrait, en outre, de vue que la base légale des sanctions des infractions au droit de la concurrence est l’article 15 du règlement nº 17 et que la Commission dispose, dans ce cadre, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises. En faisant de la récidive une circonstance aggravante, les lignes directrices n’auraient en rien créé une sanction additionnelle dépourvue de base légale.
335 S’agissant de la violation alléguée du principe de sécurité juridique, les exemples nationaux cités par la requérante seraient confinés à la sphère pénale et les lignes directrices ne comporteraient pas de limitation du délai maximal susceptible de s’écouler entre le constat d’une précédente infraction et la prise en compte du fait de récidive. Enfin, la requérante ferait à tort état d’une récidive pour des faits vieux de 40 ans, alors que les deux constats d’infraction datent respectivement de 19 et 9 ans avant le début de l’infraction en cause, et tenterait d’accréditer que ces constats visaient d’autres entités juridiques que la requérante, alors que seul le nom de cette dernière a changé.
336 S’agissant de la violation alléguée du principe non bis in idem, la Commission fait valoir que la prise en compte du fait de récidive ne fait pas double emploi avec celle du fait, afférent à la gravité, que la requérante pouvait, au vu de ses connaissances juridico-économiques, apprécier le caractère infractionnel de ses agissements.
337 S’agissant de la violation alléguée du règlement nº 2988/74, les faits en cause ne tomberaient pas sous le coup des règles de prescription en matière d’imposition d’amendes et il serait absurde d’appliquer la prescription eu égard à la date des faits qui ont été l’objet d’un précédent constat d’infraction. Le point de départ des faits relatifs aux précédentes infractions ne serait, en tout cas, pas pertinent, puisque, en matière de récidive, c’est le constat de l’infraction résultant des faits en cause qui serait déterminant.
338 Enfin, la Commission conteste avoir eu une conception manifestement excessive de la récidive et fait observer que celle-ci est, en tout état de cause, constituée eu égard à la décision Verre plat Benelux.
b) Appréciation du Tribunal
339 S’agissant de la violation alléguée du règlement nº 17, il y a d’abord lieu de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, « [l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et d’un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence […] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, […] du traité ». Il est prévu, dans la même disposition, que, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci » (arrêt LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 223).
340 Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 224).
341 Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d’exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication sur la coopération (arrêt LR AF 1998/Commission, point 5742 supra, point 229).
342 À titre de remarque générale, les lignes directrices précisent que le résultat final du calcul de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)] (arrêt LR AF 1998/Commission, point 5742 supra, point 230).
343 Il s’ensuit que, suivant la méthodologie énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d’être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, point 5742 supra, point 231).
344 Par conséquent, les lignes directrices ne peuvent pas être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, point 57 supra, point 232).
345 Au point 2, premier tiret, des lignes directrices, la Commission a indiqué la possibilité d’augmenter le montant de base de l’amende au titre de la circonstance aggravante que constitue la récidive d’une ou plusieurs entreprises pour une infraction du même type.
346 Il est de jurisprudence constante que l’effet dissuasif des amendes constitue un des éléments dont la Commission peut tenir compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et, par conséquent, dans la détermination du niveau de l’amende, étant donné que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir, en ce sens, ordonnance SPO e.a./Commission, point 137 supra, point 54 ; arrêts Ferriere Nord/Commission, point 137 supra, point 33 ; du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, point 137 supra, point 328, et HFB e.a./Commission, point 245 supra, point 443).
347 Il ressort également de la jurisprudence que, pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l’espèce, mais également le contexte dans lequel l’infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, points 105 et 106, et ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 50 supra, point 166).
348 À cet égard, l’analyse de la gravité de l’infraction commise doit tenir compte d’une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 185 supra, point 91). En effet, dans une optique de dissuasion, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende. Elle constitue en effet la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n’a pas été suffisamment dissuasive (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 293).
349 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance de récidive, nonobstant le fait qu’elle se rapporte à une caractéristique propre à l’auteur de l’infraction, à savoir sa propension à commettre de telles infractions, est précisément, pour cette raison même, un indice très significatif de la gravité du comportement en cause et, partant, de la nécessité d’élever le niveau de sanction aux fins d’une dissuasion effective.
350 Il y a, dès lors, lieu de constater que, en ce que la recherche d’un effet suffisamment dissuasif incombe à la Commission, s’agissant notamment des infractions les plus nuisibles et dans la mesure où l’objectif de dissuasion relève de l’évaluation de la gravité d’une infraction par la Commission dans le cadre de l’article 15 du règlement nº 17, la Commission n’a commis aucune violation dudit article en retenant la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la requérante.
351 La Commission ne saurait non plus avoir violé, en constatant une récidive de la requérante, le principe nulla poena sine lege, dès lors qu’il est constant que cette possibilité est inscrite au point 2, premier tiret, des lignes directrices et que celles-ci ne peuvent être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, point 5742 supra, points 231 et 232).
352 S’agissant de la violation alléguée du principe de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler qu’un délai de prescription ne saurait assurer une fonction de protection de la sécurité juridique et sa violation constituer une méconnaissance de ce principe que si un tel délai de prescription a été fixé à l’avance (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 19).
353 Or, ni l’article 15 du règlement nº 17, qui constitue le cadre juridique des sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de concurrence (voir points 133 à 135 supra), ni les lignes directrices ne prévoient de délai maximal pour le constat d’une récidive à l’égard d’une entreprise. Aucune violation du principe de sécurité juridique ne saurait, dès lors, être constatée en l’espèce.
354 En tout état de cause, il y a lieu de relever que la Commission s’est à tout le moins fondée, pour retenir la récidive, sur le fait qu’une infraction avait préalablement été constatée à l’égard de la requérante le 23 juillet 1984, dans la décision Verre plat Benelux. Or, eu égard à l’objectif que poursuit la Commission lorsqu’elle augmente l’amende pour récidive, à savoir dissuader l’auteur d’une infraction de commettre à nouveau une infraction similaire, le fait d’avoir retenu à cette fin une infraction constatée dix-sept ans auparavant ne saurait violer le principe de sécurité juridique. Il en est d’autant plus ainsi que, en l’espèce, l’infraction a débuté le 28 janvier 1993, à savoir seulement huit ans et six mois après l’adoption de la décision Verre plat Benelux. En effet, une politique de sanction de la récidive n’a d’effet utile sur l’auteur d’une première infraction que dans la mesure où la menace d’une sanction plus sévère en cas de nouvelle infraction déploie ses effets dans le temps, disciplinant ainsi son comportement.
355 La validité de ce raisonnement ne saurait être infirmée par le fait que la Commission a également mentionné, dans la décision attaquée, qu’une première infraction similaire avait été constatée à l’égard de la requérante le 15 mai 1974, dans la décision Verre d’emballage, à savoir 27 ans avant le constat de l’infraction en l’espèce. Tel est d’autant plus le cas que, comme l’a fait justement observer la Commission lors de l’audience, le fait que, à deux reprises, il se soit écoulé moins de dix ans entre les constats d’infraction respectivement intervenus le 15 mai 1974 et le 23 juillet 1984 et la répétition par la requérante d’un comportement infractionnel témoigne d’une propension de cette dernière à ne pas tirer les conséquences appropriées d’un constat dans son chef d’une infraction aux règles communautaires de concurrence.
356 S’agissant de la violation alléguée du principe non bis in idem, il importe de relever, d’une part, que la Commission a indiqué, au point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, son intention de prendre en considération, dans la fixation du montant de départ de l’amende déterminé au titre de la gravité, la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif. D’autre part, la Commission a ajouté au cinquième alinéa du même point des lignes directrices qu’il peut être également tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. Enfin, la Commission a cité au point 2 des lignes directrices, à titre d’exemple des circonstances aggravantes susceptibles de conduire à une augmentation du montant de base, la récidive de la même entreprise pour une infraction de même type.
357 En l’espèce, la Commission a indiqué, au considérant 305 de la décision attaquée, prendre en considération, eu égard à la nécessité de fixer le montant des amendes à un niveau leur assurant un caractère suffisamment dissuasif, le fait que la requérante est une grande entreprise internationale et, de surcroît, une entreprise multiproduits. La Commission a ensuite indiqué, au considérant 306, prendre en considération le fait que la requérante et, à la date d’adoption de la décision, sa filiale Alken-Maes disposaient des connaissances et des infrastructures juridico-économiques leur permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlaient du point de vue du droit de la concurrence. Enfin, au considérant 314 de la décision attaquée, la Commission a relevé, dans le cadre des développements consacrés à l’augmentation de l’amende au titre des circonstances aggravantes, que la requérante avait déjà été condamnée à deux reprises pour des infractions analogues à l’article 81 CE.
358 À cet égard, il y a lieu de constater, d’abord, que les conditions d’applicabilité du principe non bis in idem tel qu’il a été défini par la jurisprudence en matière de concurrence (voir point 185 ci-dessus) ne sont pas réunies en l’espèce, puisque la Commission s’est limitée à retenir, aux fins du calcul du montant de l’amende, un ensemble de considérations factuelles considérées comme pertinentes aux fins de la fixation de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.
359 En tout état de cause, il apparaît que la prise en considération de chacun de ces critères d’évaluation de la gravité relève de motifs distincts. Ainsi, d’abord, la prise en compte de la qualité d’entreprise internationale et multiproduits de la requérante se justifie par la nécessité de fixer l’amende à un niveau qui soit suffisamment dissuasif au regard de sa puissance économique et financière (voir points 167 à 182 ci-dessus). Ensuite, la prise en compte de la possession, par la requérante, de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques lui permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel de son comportement et ses conséquences se justifie, quant à elle, par le besoin additionnel de dissuasion dont témoigne le fait qu’elle a commis l’infraction en cause en dépit des moyens qu’elle avait, eu égard à sa capacité spécifique d’analyse, d’apprécier le caractère infractionnel de son comportement et ses conséquences (voir point 175 ci-dessus). Enfin, la prise en compte de la récidive se justifie par le besoin de dissuasion supplémentaire dont témoigne le fait que deux constats d’infraction antérieurs n’ont pas suffi à empêcher la réitération d’une troisième infraction.
360 S’agissant de la prétendue violation du règlement n° 2988/74, il suffit de constater que celui-ci vise le délai de prescription applicable au pouvoir de la Commission de prononcer des amendes à l’égard d’une infraction aux règles de concurrence, mais qu’il ne contient, en revanche, aucune disposition limitant le pouvoir de la Commission de prendre en compte, en tant que circonstance aggravante et pour la détermination du montant d’une amende pour infraction aux règles de concurrence, le fait qu’une entreprise a déjà été condamnée pour violation des mêmes règles de concurrence. Aucune violation du règlement n° 2988/74 ne saurait, dès lors, résulter du constat par la Commission d’une telle circonstance aggravante à l’égard de la requérante.
361 En ce qui concerne l’argument selon lequel la Commission aurait fait sienne une conception manifestement excessive du concept de récidive, il y a lieu de relever que, au point 2 des lignes directrices, la Commission a défini la circonstance aggravante pour récidive comme « la récidive de la même ou des mêmes entreprises pour une infraction du même type ».
362 Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que la notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêts Thyssen Stahl/Commission, point 320381 supra, point 617, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 348 supra, point 284).
363 Il importe toutefois de préciser que la notion de récidive, eu égard à l’objet qu’elle poursuit, n’implique pas nécessairement le constat d’une sanction pécuniaire préalable, mais seulement celui d’une infraction préalable. En effet, la prise en compte de la récidive vise, pour une infraction donnée, la sanction plus sévère de l’entreprise s’étant rendue coupable des faits la constituant dès lors qu’il s’avère qu’un précédent constat d’infraction de sa part n’a pas suffi à prévenir la réitération d’un comportement infractionnel. À cet égard, l’élément déterminant de la récidive n’est pas l’imposition préalable d’une sanction, mais le constat préalable d’une infraction de son auteur.
364 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision Verre d’emballage, dont elle a été destinataire en 1974, ne saurait être prise en compte pour la détermination de la circonstance de récidive en l’espèce, au motif que cette décision avait pour origine une notification et qu’elle n’a pas imposé d’amendes, il y a lieu de relever que la décision précitée dispose en son article 3 que « les entreprises participant aux accords visés à l’article 1er sont tenues de mettre fin immédiatement aux infractions constatées ».
365 La requérante a donc déjà fait l’objet d’un constat d’infraction pour des faits analogues à ceux de l’espèce. Or, cette circonstance n’a pas empêché la requérante de réitérer son comportement infractionnel. C’est donc à bon droit que la Commission a retenu la récidive à son égard.
366 En tout état de cause, force est de constater que la décision Verre plat Benelux de 1984 a, quant à elle, donné lieu à une sanction pécuniaire et que la récidive est constituée à cet égard. Or, rien n’indique dans la décision attaquée que le constat par la Commission que la récidive découle de deux précédents a donné lieu à une augmentation du montant de l’amende pour circonstance aggravante supérieure à celle qui aurait été déterminée au cas où un seul précédent aurait été identifié.
367 S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel l’augmentation de l’amende pour récidive est excessive en ce qu’elle aboutit à ce que la requérante se voie infliger une amende équivalente à Interbrew, malgré sa plus petite taille sur le marché, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction, mais qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 50 supra, points 120 et 121 ; Parker Pen/Commission, point 115 supra, point 94, et SCA Holding/Commission, point 158, point 176).
368 Par ailleurs, l’effet dissuasif des amendes constitue un des éléments dont la Commission peut tenir compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et, par conséquent, dans la détermination du niveau de l’amende, étant donné que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 137 supra, point 54 ; arrêts Ferriere Nord/Commission, point 137 supra, point 33, et du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, point 137 supra, point 328).
369 Il s’ensuit que le fait que la requérante se voie infliger une amende non proportionnelle à son importance sur le marché en cause ne résulte pas d’une conception manifestement excessive du contexte de récidive, mais de l’ensemble des considérations que la Commission a pu, à bon droit, prendre en compte pour déterminer le montant de l’amende à infliger à la requérante.
370 L’ensemble des griefs formés par la requérante dans le cadre du présent moyen ayant été rejetés, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.
5. Sur le moyen tiré de la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables
371 Le moyen s’articule en quatre branches. Dans la première branche, la requérante invoque le refus de prise en compte par la Commission de l’absence d’effets de l’infraction sur le marché. Dans la deuxième branche, elle fait valoir que la Commission n’a pas, à tort, tenu compte de l’influence sur les comportements en cause du régime de contrôle des prix et de la tradition corporatiste séculaire caractérisant le secteur brassicole. Dans la troisième branche, la requérante invoque la situation de crise qui prévalait à l’époque des faits. Enfin, dans la quatrième branche, elle invoque le caractère menaçant de la position d’Interbrew.
a) Sur la première branche, tirée du refus de la Commission de prendre en compte l’absence d’effets de l’infraction sur le marché
Arguments des parties
372 La requérante fait valoir que, en vertu des lignes directrices, qui ont consacré sur ce point une pratique courante de la Commission, cette dernière doit prendre en compte, en tant que circonstance atténuante, le fait que l’entente n’a eu qu’un effet limité sur la concurrence. Dans de nombreuses affaires, la Commission aurait en effet pris en compte, comme circonstance atténuante, l’absence d’effets sur le marché des accords litigieux, ainsi que le fait que lesdits accords n’avaient pas été mis en pratique, ou ne l’avaient été qu’en partie seulement. Le fait que la Commission ne soit pas liée par sa pratique antérieure ne pourrait justifier qu’une telle pratique soit ignorée en présence de faits similaires.
373 La Commission opérerait, en outre, une confusion entre l’appréciation de la gravité de l’entente et la prise en compte de circonstances atténuantes. Nonobstant la nécessité pour la Commission de prendre en considération les effets de l’infraction sur le marché aux fins d’apprécier sa gravité, il lui incomberait de tenir compte, au titre des circonstances atténuantes, de la non-application effective des accords ou des pratiques infractionnelles en cause.
374 En concluant que le fait que les parties n’ont pas appliqué tous les accords particuliers relevant de l’entente ne signifie pas pour autant que celle-ci, en tant que telle, n’a pas été mise en œuvre et que le fait que certains éléments de l’infraction ne se soient pas concrétisés ne suffisait pas en soi pour conclure à l’existence d’une circonstance atténuante, la Commission aurait ignoré la réalité des faits.
375 Ces derniers témoigneraient, d’abord, d’une mise en pratique très partielle des discussions intervenues entre Interbrew et la requérante sur la structure tarifaire et la politique promotionnelle, qui n’auraient dès lors eu qu’un effet très limité sur le marché.
376 Ensuite, Alken-Maes et Interbrew auraient à maintes reprises indiqué, y compris dans les documents internes contemporains des concertations, que les discussions sont restées à l’état de tentatives et n’ont produit aucun effet sur la concurrence. Plusieurs documents et déclarations cités par la Commission dans la décision attaquée mettraient en évidence l’inefficacité des discussions en pratique. De nombreux aspects du jeu concurrentiel seraient restés intacts, comme en témoignerait notamment la lutte acharnée des parties à l’entente pour la conclusion des contrats avec les cafés liés. Le dossier de la Commission contiendrait d’ailleurs de nombreux autres documents faisant état de l’absence d’effets sur la concurrence.
377 Les statistiques de vente démontreraient, en outre, à suffisance l’absence d’effets concrets ou, à tout le moins, le faible impact des discussions entre Interbrew et Alken-Maes sur le marché. Les parties auraient continué à se livrer une concurrence féroce dans tous les segments du marché. Il ressortirait en particulier du dossier qu’Alken-Maes a mené une politique agressive de ristournes commerciales dans le secteur de la distribution alimentaire en 1992 et en 1993. Alken-Maes aurait d’ailleurs continué à perdre des parts de marché entre 1993 et 1998 et aurait été la principale perdante durant la période incriminée, tant dans le segment des bières pils que dans le segment des bières sans alcool.
378 Au cours de l’année 1994, Alken-Maes aurait par ailleurs continué à procéder, pour la conduite de sa politique commerciale, à des études d’élasticité des prix établissant qu’Interbrew aurait été la principale perdante dans le cas d’une baisse des prix. Alken-Maes aurait donc poursuivi une politique concurrentielle dont le principal objectif était de prendre des parts de ventes à Interbrew, nonobstant l’existence de discussions sur la structure des tarifs, initiées par Interbrew.
379 La requérante fait valoir, enfin, l’absence de mécanismes de contrainte susceptibles d’assurer le respect et la mise en œuvre pratique de l’accord, circonstance qui aurait été prise en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante dans la décision Polypropylène.
380 La Commission soutient que les précédents cités par la requérante sont dépourvus de pertinence, car ils sont antérieurs à la publication des lignes directrices et visent des situations qui ne sont pas toujours comparables à la présente espèce. En l’espèce, les arrangements anticoncurrentiels auraient été mis en application et la mise en oeuvre partielle de certains aspects aurait été dûment prise en compte pour l’évaluation de la gravité de l’entente.
381 L’argument selon lequel la lutte acharnée des parties pour la conclusion de contrats avec les cafés témoignerait de l’existence d’un jeu concurrentiel resté ouvert serait sans pertinence. Quant aux doutes exprimés par un responsable d’Interbrew quant à l’efficacité de l’entente, ils ne suffiraient pas à minimiser la portée du constat effectué par les parties à l’entente, lors de leur réunion du 28 janvier 1998, de la réalisation de certains objectifs. Enfin, la baisse de la part de marché d’Alken-Maes ne démontrerait pas l’absence d’effets puisque cette baisse aurait pu être plus importante encore en l’absence d’entente. Quant aux études d’Alken-Maes sur l’élasticité des prix, elles ne seraient que des avant-projets ne jetant aucun doute sur le caractère infractionnel de la concertation.
Appréciation du Tribunal
382 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux point 277 et 278 ci-dessus, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles, ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci.
383 Le point 3 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l’amende. Ainsi est-il fait référence au rôle exclusivement passif ou suiviste d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction, à la non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif, au fait que l’infraction a été commise par négligence et non de propos délibéré, ainsi qu’à la collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération. Les circonstances ainsi visées sont donc toutes fondées sur le comportement propre à chaque entreprise.
384 Il en résulte que, aux fins de l’évaluation des circonstances atténuantes, dont celle relative à la non-application des accords, il y a lieu de prendre en considération non pas les effets résultant de l’ensemble de l’infraction, qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de l’impact concret d’une infraction sur le marché aux fins de l’évaluation de sa gravité (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices), mais le comportement individuel de chaque entreprise, aux fins d’examiner la gravité relative de la participation de chaque entreprise à l’infraction.
385 En l’espèce, il importe donc de vérifier si les arguments avancés par la requérante sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 31 supra, points 4872 à 4874).
386 La requérante invoque, en substance, cinq arguments à l’appui de son invocation de la circonstance atténuante pour non-application effective des accords.
387 S’agissant du premier argument, tiré d’une mise en pratique très partielle des discussions intervenues entre Interbrew et la requérante, il y a lieu de constater que cette dernière n’invoque pas la non-application des résultats de la concertation sur la structure tarifaire et la politique promotionnelle, mais seulement leur mise en pratique partielle. Par ailleurs, il importe de souligner que ladite concertation ne représente qu’une partie de l’infraction constatée, laquelle incluait notamment un pacte général de non-agression, un accord sur les prix dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur horeca, la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca ainsi qu’un échange d’informations sur les ventes dans le secteur horeca et le commerce de détail.
388 S’agissant du second argument, tiré du fait que les discussions sont restées à l’état de tentative et n’ont produit aucun effet sur la concurrence, il suffit de relever que, quand bien même il serait avéré, un tel fait témoignerait non pas de la non-application effective des accords, mais au contraire d’une volonté, fût-elle demeurée vaine, de les mettre en œuvre. Il en va de même de la portée qu’il convient d’attribuer à la correspondance entre Interbrew et Alken-Maes relative aux cafés liés. La formulation de récriminations mutuelles à ce sujet doit se lire à la lumière du pacte général de non-agression passé entre ces deux entreprises (voir point 147 ci-dessus) et témoigne, à cet égard, davantage d’une volonté de faire respecter ledit accord que de sa non-application effective. En tout état de cause, la correspondance censée illustrer une lutte acharnée pour les contrats conclus avec les cafés liés s’étale uniquement sur une période de six mois, à savoir d’août 1996 à janvier 1997.
389 S’agissant du troisième argument, à savoir celui de la démonstration statistique d’absence d’effets sur le marché, il y a lieu de constater que, quand bien même cette démonstration serait faite, elle serait sans pertinence, puisqu’elle ne prouverait aucunement la non-application effective des accords. Il en va de même de la politique agressive de ristournes prétendument conduite, la requérante n’ayant pas démontré que ladite politique puisse s’analyser comme une soustraction de sa part aux accords auxquels elle était partie. En tout état de cause, force est de constater qu’un tel comportement n’affecterait l’application des accords que dans une mesure limitée, puisque ces derniers dépassent par leur ampleur, tant en substance qu’en durée, les épisodes de lutte concurrentielle invoqués. Ainsi, la politique prétendument agressive de ristournes commerciales qu’Alken-Maes aurait conduite dans la distribution alimentaire se cantonnerait, selon la requérante elle-même, aux années 1992 et 1993.
390 S’agissant du quatrième argument, il y a lieu de relever que le fait qu’Alken-Maes a continué en 1994 à procéder à des études d’élasticité, quand bien même celles-ci démontreraient qu’Interbrew avait plus à perdre d’une baisse du prix de la bière Maes, n’établit en rien que la requérante et sa filiale se sont effectivement soustraites aux accords en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché.
391 Aucun des quatre premiers arguments avancés par la requérante ne permet donc de conclure que celle-ci s’est effectivement soustraite, pendant la période durant laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché.
392 En outre, il y a lieu de relever que la conclusion que la requérante tire elle-même de ses arguments, à savoir l’impact limité des concertations sur le marché, témoigne à elle seule du fait que ces arguments ne relèvent pas de la problématique des circonstances atténuantes, mais de la gravité d’ensemble de l’infraction, laquelle n’est pas l’objet du présent moyen.
393 Il en va de même en ce qui concerne le cinquième argument avancé par la requérante, à savoir l’absence de mécanismes de contrainte susceptibles d’assurer le respect et la mise en oeuvre pratique de l’accord, puisque cette caractéristique, fût-elle avérée, devrait être prise en compte, en vertu des lignes directrices, au titre de la gravité de l’infraction et ne saurait constituer une circonstance atténuante tirée du comportement spécifique de la requérante. Il est, en effet, de jurisprudence établie que l’absence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre d’une entente ne saurait, en soi, constituer une circonstance atténuante (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T‑348/94, Rec. p. II‑1875, point 318).
394 Il convient d’ailleurs de relever que, dans la décision Polypropylène, invoquée par la requérante, la Commission n’a pas considéré l’absence de mécanismes de contrainte comme une circonstance atténuante susceptible d’être retenue à titre individuel à l’égard des entreprises destinataires, mais au contraire comme un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la gravité d’ensemble de l’infraction.
395 Enfin, il y a lieu de préciser, s’agissant de l’argument selon lequel tant l’absence d’effets sur le marché que celle de mécanismes de contrainte auraient par le passé été prises en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante, que le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (voir point 57 ci-dessus). La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert en effet pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir la jurisprudence citée au point 153 ci-dessus). Or, il ressort de la jurisprudence citée aux points 134 et 135 ci-dessus que la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence et que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait dès lors la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
396 La première branche du moyen doit donc être rejetée.
b) Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de prise en considération par la Commission de l’influence du régime de contrôle des prix et de la tradition corporatiste séculaire caractérisant le secteur brassicole
Arguments des parties
397 La requérante fait valoir que, à l’instar de la position que la Commission a adoptée dans la décision Transbordeurs grecs, cette dernière étant, contrairement à ce qui est affirmé au considérant 320 de la décision attaquée, comparable à la présente affaire, la Commission aurait dû tenir compte de l’influence de pratiques traditionnelles de détermination du prix sur le marché brassicole en tant que circonstance atténuante.
398 Ainsi, la Commission aurait ignoré que la loi sur les prix, en vigueur de 1945 à 1993, imposait à toute entreprise sous contrôle – dont la requérante et les autres brasseurs – l’introduction de demandes d’autorisation d’augmentation des prix, soit individuellement, soit collectivement, et ce jusqu’en mai 1993, s’inscrivant ainsi dans la ligne d’une tradition séculaire de concertation et d’échange d’informations entre brasseurs. La requérante rappelle, en outre, que, malgré l’existence de deux procédures distinctes, les demandes de hausses de prix étaient introduites collectivement par la CBB, cette procédure correspondant à la préférence exprimée par le ministre des Affaires économiques pour des raisons de facilité administrative. Par ailleurs, en exigeant que la demande collective introduite par la CBB concernant les prix et les autres conditions de ventes soit très détaillée, le régime de contrôle des prix aurait nécessairement favorisé la concertation sur les prix entre brasseurs.
399 Quant à la perpétuation du comportement incriminé après le mois de mai 1993, elle s’inscrirait dans la continuité d’une réglementation qui n’aurait fait que conforter une tradition séculaire de concertation entre brasseurs. Cette tradition expliquerait les difficultés rencontrées par les parties pour sortir immédiatement de ce schéma traditionnel. C’est à ce titre que le régime de contrôle des prix, générateur d’habitudes propices à l’inertie, devrait être pris en compte en tant que circonstance atténuante comme l’aurait fait la Commission dans ses décisions 82/896/CEE, du 15 décembre 1982, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/29.883 – UGAL/BNIC) (JO L 379, p. 1, ci-après la « décision BNIC », considérant 77), et 86/596/CEE, du 26 novembre 1986, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/31.204 – MELDOC) (JO L 348, p. 50, ci-après la « décision MELDOC », considérant 77).
400 Par ailleurs, la Commission aurait considéré à tort que, si elle devait l’admettre, l’influence exercée par le contrôle des prix sur la concertation ne se serait exercée que jusqu’au 23 décembre 1992, date de la dernière demande de hausse de prix collective introduite par la CBB, alors que les brasseurs étaient en fait et en droit incités jusqu’au 1er mai 1993, date de l’entrée en vigueur de l’arrêté ministériel abrogeant le régime de contrôle des prix, à se concerter sur les prix de certaines bières. La Commission aurait donc conclu à tort, au considérant 247 de la décision attaquée, que la réunion du 28 janvier 1993, étant postérieure à la date du 23 décembre 1992, ne pouvait être considérée comme une réunion entre brasseurs dans le cadre de la CBB concernant une déclaration collective de hausse de prix.
401 Enfin, en se référant, au considérant 247 de la décision attaquée, à la tenue d’une réunion avec les négociants en bière à l’appui de son refus de prendre en compte le contrôle des prix comme circonstance atténuante, la Commission méconnaîtrait le fait que le régime de contrôle des prix visait non seulement les producteurs, mais également les importateurs de bière.
402 La Commission fait valoir qu’elle a indiqué dans la décision attaquée que, contrairement aux faits visés dans la décision Transbordeurs grecs, la démarche collective des brasseurs aux fins de la notification d’une hausse de prix n’était qu’une faculté et non une obligation. Il serait, à cet égard, sans incidence que le ministre des Affaires économiques ait exprimé sa préférence pour des mesures collectives. La Commission ajoute que, si la réglementation sur les prix avait eu l’impact que la requérante lui prête, tous les brasseurs auraient été impliqués dans la concertation, alors que seuls les deux principaux brasseurs l’ont été.
403 La Commission ajoute que, si le contrôle des prix a pris fin le 1er mai 1993, la dernière déclaration collective de hausse des prix a, en tout état de cause, été introduite le 23 décembre 1992, et que les premiers faits de concertation pris en compte, datant du 28 janvier 1993, sont postérieurs à cette date. Or, fût-elle avérée, la « tradition corporatiste » ne saurait constituer une éternelle circonstance atténuante. Quant aux décisions BNIC et MELDOC, elles seraient antérieures à la publication des lignes directrices et n’auraient pas retenu l’existence d’un régime de contrôle des prix comme circonstance atténuante.
Appréciation du Tribunal
404 À titre préalable, il y a lieu de relever, d’abord, que la requérante ne remet pas en cause le constat par la Commission de l’existence d’une infraction dès le 28 janvier 1993. Ensuite, il résulte de la décision attaquée, sans que cela ne soit non plus contesté, qu’un mécanisme de contrôle des prix était applicable au secteur brassicole belge jusqu’au 1er mai 1993, date à laquelle il a pris fin. Il convient donc de déterminer si l’existence dudit mécanisme jusqu’à cette date constituait une circonstance atténuante que la Commission aurait dû prendre en considération. À cet égard, il y a lieu de relever que l’argumentation de la requérante revient en substance à invoquer l’applicabilité de la circonstance atténuante mentionnée au point 3, quatrième tiret, des lignes directrices, à savoir l’« existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif ».
405 En premier lieu, il convient de relever que, en réponse aux questions du Tribunal, lors de l’audience, sur la portée exacte du mécanisme de contrôle des prix en vigueur jusqu’au 1er mai 1993, la requérante a indiqué qu’il résulte clairement des textes relatifs au contrôle des prix que les brasseurs pouvaient soumettre à l’approbation du ministre des Affaires économiques soit une demande collective, préservant, le cas échéant, la confidentialité des prix, par l’entremise de la CBB, soit des demandes individuelles.
406 En deuxième lieu, il convient de constater que, compte tenu, d’une part, de la très grande gravité, de par leur nature, des faits en cause (voir points 145 à 155 ci-dessus) et, d’autre part, des ressources matérielles et intellectuelles dont disposaient la requérante et sa filiale Alken-Maes, leur permettant d’apprécier les caractéristiques de leur environnement réglementaire et les conséquences susceptibles de découler, à cette aune, de leur comportement du point de vue du droit communautaire de la concurrence, il ne saurait être valablement soutenu que le mécanisme de contrôle des prix en vigueur jusqu’au 1er mai 1993 a fait naître à l’égard de la requérante un doute raisonnable quant au caractère infractionnel du comportement restrictif. Il en est, en outre, d’autant plus ainsi que la requérante a fait l’objet, par le passé, de constats d’infractions au droit communautaire de la concurrence similaires.
407 En troisième lieu, s’agissant des décisions qui, selon la requérante, constitueraient des précédents de la prise en compte par la Commission de l’existence d’un régime de contrôle des prix en tant que circonstance atténuante, il y a lieu de constater que, en vertu de la jurisprudence citée au point 395 ci-dessus, le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure. En effet, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Or, la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence et le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait dès lors la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
408 L’existence d’un mécanisme de contrôle des prix n’étant pas, en l’espèce, susceptible de constituer une circonstance atténuante pour la période allant du 28 janvier au 1er mai 1993, il y a lieu d’en conclure qu’une telle circonstance ne saurait, a fortiori, être constatée à l’égard de la requérante pour la période postérieure au 1er mai 1993.
409 Il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.
c) Sur la troisième branche, tirée du refus de la Commission de prendre en compte la situation de crise du secteur
Arguments des parties
410 Selon la requérante, la Commission aurait dû, conformément à sa pratique jusqu’en 1998 et à la jurisprudence de la Cour, tenir compte du fait que l’entente s’est développée dans un contexte de crise du marché et considérer ce contexte comme une circonstance atténuante. Or, la Commission se serait contentée de considérer que la situation de l’espèce n’était pas comparable aux situations visées dans les décisions où la situation de crise a été prise en compte, en renvoyant sans plus de précisions aux décisions Ciment, PVC II et Tubes d’acier sans soudure.
411 Les brasseurs belges auraient pourtant été confrontés à une baisse continue de la demande et à une capacité de production excédentaire ainsi qu’à des pressions de la grande distribution sur le prix des bières pils. La Commission aurait d’ailleurs elle-même reconnu, dans la décision attaquée, les difficultés enregistrées sur le marché durant les années 90. En l’occurrence, les activités de la filiale de la requérante en Belgique auraient été financièrement très fragiles en 1993. La requérante ajoute que, s’il est vrai que c’est la situation de crise du secteur et non celle de l’entreprise prise dans son individualité qui est susceptible d’être prise en compte, elle a néanmoins voulu souligner que la situation financière délicate à laquelle a dû faire face Alken-Maes procédait directement de la récession du marché brassicole sur lequel, loin d’être « léger » comme l’affirme la Commission, le recul de la consommation a été de 15 % sur la période 1993-1998, générant une surcapacité qui aurait également dû être prise en compte par la Commission, à l’instar de ce qu’elle a fait dans les décisions PVC II et Ciment.
412 La Commission fait d’abord valoir que la situation financière d’une entreprise ne témoigne pas d’une crise du secteur économique en cause, susceptible d’être prise en compte au titre des circonstances atténuantes, et que la jurisprudence de la Cour a toujours refusé de prendre en compte à ce titre la situation déficitaire d’une entreprise. En outre, les décisions invoquées par la requérante seraient pour la plupart antérieures à la publication des lignes directrices et, dès lors, dépourvues de pertinence. En tout état de cause, la situation de crise invoquée ne serait en rien comparable à celles que la Commission a jusqu’ici prises en compte.
Appréciation du Tribunal
413 Il y a d’abord lieu de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, la Commission ne saurait être soumise à l’obligation de prendre en compte, pour la fixation du montant de l’amende, les difficultés financières d’une entreprise, ce qui reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (voir, en ce sens, arrêt IAZ e.a./Commission, point 281 supra, points 54 et 55 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T‑319/94, Rec. p. II‑1331, points 75 et 76, et Enso Española/Commission, point 393 supra, point 316). Les arguments tirés de la fragilité financière d’Alken-Maes en 1993 ne sauraient donc être retenus dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une circonstance atténuante.
414 En outre, des circonstances, telles qu’une baisse continue de la demande – qui, en tout état de cause, ainsi que l’a relevé la Commission, a été initialement évaluée par la requérante, dans sa réponse à la communication des griefs, à 15 % sur dix ans et non sur cinq ans, la capacité de production excédentaire qui en aurait résulté ou encore les pressions que la grande distribution aurait exercées sur les prix relèveraient, quand bien même elles seraient avérées, des risques inhérents à toute activité économique qui, en tant que tels, ne caractériseraient pas une situation structurelle ou conjoncturelle exceptionnelle susceptible d’être prise en compte pour la fixation du montant de l’amende.
415 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la pratique antérieure de la Commission lierait cette dernière, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 395 ci-dessus, le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure. En effet, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Or, la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence et le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait dès lors la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
416 Il y a donc lieu de rejeter la troisième branche du moyen.
d) Sur la quatrième branche, tirée de la position menaçante d’Interbrew
Arguments des parties
417 Selon la requérante, la Commission aurait dû, conformément à sa pratique décisionnelle et à la jurisprudence de la Cour, tenir compte, en tant que circonstance atténuante, de la position de faiblesse et de dépendance dans laquelle se trouvait Alken-Maes vis-à-vis d’Interbrew à l’époque de l’entente, cette dernière jouissant depuis 1987 d’une position dominante sur le marché.
418 La position menaçante d’Interbrew serait clairement démontrée par le dossier. Ainsi, dans une note du 19 août 1993 à M. C., M. M., alors le CEO d’Interbrew, affirmait être prêt à « convaincre » Alken-Maes de suivre Interbrew après que celle-ci eut unilatéralement décidé d’une hausse de prix. Par ailleurs, la correspondance échangée entre Interbrew et Alken-Maes à la suite de la protestation de cette dernière contre le démarchage par Interbrew des débits de boissons liés contractuellement à Alken-Maes, lors duquel Interbrew proposait de prendre en charge des indemnités de rupture des contrats en contrepartie de la signature d’un nouveau contrat avec elle, témoignerait de la stratégie d’exclusion d’Interbrew, renforcée par son intégration verticale grandissante. En outre, la réaction démesurée dont aurait témoigné Interbrew face à la nouvelle politique d’Alken-Maes en 1994 aurait dénoté un pouvoir de nuisance tel que Alken-Maes craignait pour sa survie.
419 Par ailleurs, la requérante estime que c’est à tort que la Commission soutient que la position menaçante d’Interbrew vis-à-vis d’Alken-Maes est illogique et contraire à la nature de l’infraction. La Commission perdrait de vue l’intérêt qu’avait Interbrew à conclure et à poursuivre l’entente. Il serait en outre étonnant que la Commission ne voie aucune incompatibilité entre le fait de soutenir, d’une part, que la requérante avait une position menaçante à l’égard d’Interbrew et, d’autre part, qu’elle s’est, dans le même temps, accordée avec Interbrew.
420 Enfin, en accusant la requérante de négliger, en alléguant du caractère menaçant d’Interbrew, sa propre participation à l’entente, la Commission exagérerait à tort son influence sur Alken-Maes, alors que, loin de jouer un rôle actif dans Alken-Maes, la requérante cherchait au contraire à se désengager de son activité « bière » dans les moins mauvaises conditions possibles.
421 Selon la Commission, en invoquant la position menaçante d’Interbrew, la requérante perdrait de vue non seulement sa propre taille et son poids sur le marché français de la bière, mais aussi le fait qu’un accord aurait été dénué d’objet dans l’hypothèse d’une dépendance totale de la requérante ou de sa filiale vis-à-vis d’Interbrew. Il existerait, par ailleurs, une différence de nature entre la menace exercée par la requérante, qui visait l’extension de l’entente sur le marché belge, et la prétendue menace exercée par Interbrew, censée avoir concerné le même marché que celui de l’entente. Alors qu’il serait logique qu’une menace en France conduise Interbrew à accepter d’étendre l’entente en Belgique, il serait peu logique, en revanche, qu’Interbrew ait accepté de s’entendre avec une entreprise placée sous son emprise.
Appréciation du Tribunal
422 Il y a d’abord lieu de rappeler que, en l’espèce, la requérante ne conteste pas avoir pris part à une infraction à l’article 81 CE, consistant notamment dans un ensemble d’accords à objet anticoncurrentiel. Or, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, implique que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour ACF Chemiefarma/Commission, point 352 supra, point 112, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 86 ; arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, point 57 supra, point 256 ; du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T‑41/96, Rec. p. II‑3383, point 67, et du 14 octobre 2004, Bayerische Hypo- und Vereinsbank/Commission, T‑56/02, non encore publié au Recueil, point 59). Il s’ensuit que la notion d’accord, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, telle qu’elle a été interprétée par la jurisprudence, est axée sur l’existence d’une concordance de volontés entre deux parties au moins (arrêts Bayerische Hypo- und Vereinsbank/Commission, précité, point 61, et Bayer/Commission, précité, point 69, et la jurisprudence citée). La requérante ne saurait donc prétendre avoir agi exclusivement sous la contrainte d’Interbrew.
423 En outre, il est de jurisprudence établie qu’une entreprise qui participe à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel, même sous la contrainte d’autres participants ayant un pouvoir économique supérieur, dispose toujours de la possibilité d’introduire une plainte auprès de la Commission afin de dénoncer les activités anticoncurrentielles en cause plutôt que de poursuivre sa participation auxdites réunions (arrêt HFB e.a./Commission, point 245164 supra, point 226).
424 Il en résulte que ni la prétendue situation de dépendance dans laquelle se serait trouvée placée la requérante vis-à-vis d’Interbrew ni la position menaçante prétendument adoptée par cette dernière à l’égard de la requérante ne sauraient caractériser une situation susceptible d’être prise en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante.
425 Il y a donc lieu de rejeter la quatrième branche du moyen et, partant, l’intégralité de ce dernier.
6. Sur le moyen tiré d’une appréciation incorrecte de l’ampleur de la coopération de la requérante en violation du principe d’égalité de traitement et de la communication sur la coopération
426 La requérante fait valoir qu’elle aurait dû bénéficier, en application du point D de la communication sur la coopération, d’une réduction de 50 % de l’amende qui lui a été infligée. Le moyen comporte deux branches. La requérante soutient, dans la première branche, que la Commission a procédé à une appréciation erronée de sa coopération au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, en sous-estimant son ampleur au regard de sa pratique décisionnelle et en violation du principe d’égalité de traitement. Dans la seconde branche, la requérante affirme ne pas avoir contesté, après réception de la communication des griefs, la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations et invoque la violation de la communication sur la coopération en ce que la Commission aurait considéré que la requérante n’était pas éligible à une réduction d’amende au titre du point D 2, second tiret, de celle-ci.
a) Sur la première branche, tirée d’une appréciation erronée par la Commission de l’ampleur de la coopération de la requérante, eu égard notamment à sa pratique décisionnelle et en violation du principe d’égalité de traitement
Arguments des parties
427 En premier lieu, la requérante fait valoir que la Commission a sous-estimé l’ampleur de sa coopération avant l’envoi de la communication des griefs. Elle soutient que la Commission a elle-même reconnu qu’Alken-Maes lui a fourni des informations allant au-delà de la réponse à la demande de renseignements la concernant. En outre, la requérante fait valoir que, afin d’éclairer la Commission sur l’historique et les mécanismes de la coopération entre Alken-Maes et Interbrew, sa filiale a fourni le 7 mars 2000 un récapitulatif des faits de la cause basé sur les archives en la possession de l’entreprise à cette date, incluant un résumé chronologique des réunions et des contacts intervenus entre elle et Interbrew depuis 1990, renvoyant à tous les documents pertinents et incluant des documents fournis par elle. Des informations auraient également été fournies dans les lettres des 10 et 27 décembre 1999, passées sous silence par la Commission.
428 À l’argument de la Commission selon lequel celle-ci connaissait déjà la plupart des informations fournies, la requérante oppose non seulement que ce motif n’est pas repris dans la décision attaquée, mais également qu’il reflète une application erronée du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération. Cette disposition n’entendrait pas limiter le bénéfice de la clémence aux seules entreprises ayant transmis à la Commission des éléments qui lui étaient inconnus, mais tendrait également à réserver un traitement favorable à celles qui, en facilitant l’investigation de la Commission, lui ont permis de procéder à une meilleure allocation de ses ressources et, partant, de poursuivre davantage d’infractions. En effet, le point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération déclarerait éligibles à une réduction d’amende les entreprises ayant transmis non seulement des éléments inconnus de la Commission, mais également des éléments qui « contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise ». Or, en l’occurrence, les documents et informations transmis par Alken-Maes auraient grandement aidé la Commission à établir ou à confirmer l’existence de l’infraction.
429 La requérante considère que la réduction qui lui a été accordée est manifestement inférieure aux réductions que la Commission accorde habituellement, comme l’attesterait l’analyse de certaines décisions prises par la Commission depuis janvier 1998.
430 Ainsi, la Commission aurait accordé des réductions d’amendes allant de 40 à 50 % aux entreprises qui, à l’instar de la requérante, ont été les premières à reconnaître l’existence de l’infraction, qui ont transmis les déclarations d’anciens employés et qui ont passé leurs dossiers en revue. La Commission aurait accordé des réductions allant de 20 à 50 % aux entreprises lui ayant transmis des éléments lui permettant de confirmer l’existence de l’infraction ou de compléter la connaissance qu’elle avait de celle-ci – allant jusqu’à accorder, dans la décision Conduites précalorifugées, une réduction de 20 % à deux entreprises au simple motif qu’elles n’avaient pas contesté la matérialité des faits – et même une réduction de 50 % à une entreprise lui ayant expliqué les documents déjà en sa possession afin de lui permettre d’avoir une image plus claire des faits en cause.
431 Or, Alken-Maes aurait non seulement été la première à reconnaître formellement l’existence d’une infraction dans sa note du 27 décembre 1999, mais elle aurait procédé à un examen minutieux de ses archives, ce qui lui a permis de produire certains documents nouveaux. Par ailleurs, alors que la Commission contesterait, à tort, que la requérante a apporté des éléments nouveaux, elle n’aurait en revanche jamais contesté que les éléments fournis dans la lettre du 10 décembre 1999 et, en particulier, dans la lettre du 7 mars 2000, qui consistait en un récapitulatif chronologique et complet des faits, dont la décision attaquée se serait inspirée, ont confirmé de manière détaillée les faits en cause.
432 En second lieu, la requérante fait valoir que, en lui octroyant une réduction d’amende moindre que celle dont a bénéficié Interbrew, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement.
433 Elle fait observer que, immédiatement après le déroulement des vérifications des 26 et 27 octobre 1999, dans le but d’aider la Commission dans sa tâche, sa filiale Alken-Maes a engagé une enquête interne, interrogé chacun des membres de son comité de direction sur d’éventuels contacts avec Interbrew et entamé l’examen de ses archives. Or, alors que ce travail aurait été rendu particulièrement difficile du fait du remplacement intégral, peu avant le début de l’enquête, de son équipe dirigeante, la réponse du 10 décembre 1999 serait intervenue dans le délai fixé par la Commission et Alken-Maes aurait transmis à la Commission les déclarations de tous les responsables et anciens collaborateurs visés dans ladite demande.
434 Ainsi, dans la lettre de couverture de sa réponse du 10 décembre 1999 à la demande de renseignements du 11 novembre 1999, qui ferait explicitement référence à l’examen de ses archives, Alken-Maes aurait confirmé de manière circonstanciée les faits sur lesquels portait la demande, joignant en annexe des tableaux et notes relatifs aux réunions visées par celle-ci. La réponse d’Interbrew à la même demande, treize jours plus tard, le 23 décembre 1999 aurait également confirmé des éléments déjà connus de la Commission.
435 En revanche, Interbrew, dont l’équipe dirigeante était pourtant en place à l’époque des faits incriminés, n’aurait fourni sa réponse à la Commission que le 23 décembre 1999, après le refus de cette dernière de lui accorder un délai supplémentaire jusqu’au 10 janvier 2000. La réponse d’Interbrew n’aurait inclus, à cette date, aucune déclaration des responsables visés par la demande de la Commission, Interbrew n’ayant transmis les déclarations de sept des seize personnes visées par ladite demande que par lettre du 14 janvier 2000.
436 Par ailleurs, Alken-Maes aurait fourni la première, dès le 27 décembre 1999, une note contenant une déclaration officielle de son ancien administrateur délégué reconnaissant formellement l’existence et la teneur de l’infraction visée par l’enquête de la Commission et plus particulièrement : a) le fait que l’entente a eu sa source au sein de la commission « Vision 2000 » instituée par la CBB ; b) le fait qu’un accord a été conclu à la fin de l’année 1994 entre Alken-Maes et Interbrew, visant l’ensemble des circuits de distribution en Belgique ; c) le fait que cet accord englobait un pacte de non-agression, la limitation des investissements commerciaux dans l’horeca et la publicité et une concertation tarifaire et, d) le fait que la bonne application de l’accord reposait sur une concertation régulière entre les dirigeants d’Alken-Maes et Interbrew. Or, si la Commission avait déjà connaissance du point d), les documents obtenus à l’occasion des vérifications et des demandes de renseignements ne lui auraient pas encore permis d’établir à suffisance de droit les points a) à c).
437 La requérante fait observer, à cet égard, que si, en janvier et février 2000, Interbrew a également fourni des déclarations et des documents complémentaires, cette entreprise n’aurait pas été en mesure, malgré la prétendue qualité de sa coopération, de fournir une déclaration étayant la thèse de la menace formulée par la requérante, malgré la participation à la réunion du 11 mai 1994 de son CEO. (M. M.)
438 En outre, le 7 mars 2000, la requérante aurait fourni une déclaration complétant les renseignements donnés le 10 décembre 1999, portant spécifiquement, conformément à la réunion avec la Commission le 14 janvier 2000, sur le contexte dans lequel les documents communiqués par Alken-Maes en réponse à la demande de renseignements du 11 novembre 1999 avaient été établis ainsi que sur le projet « Vision 2000 » de la CBB. De nouveaux documents, retrouvés entre-temps dans les dossiers de l’ancien responsable marketing de la société, auraient aussi été fournis.
439 Il résulterait de ces faits, d’une part, que la coopération de la requérante et d’Alken-Maes, quoique rapide et complète, s’est vu accorder excessivement peu de crédit par la Commission au regard du traitement accordé à Interbrew et, d’autre part, que la Commission n’a nullement tenu compte du fait que la requérante et sa filiale ont, malgré leurs efforts, été pénalisées par la présence d’une équipe dirigeante nouvelle au moment de l’enquête, alors qu’Interbrew aurait bénéficié du maintien en fonction des responsables des pratiques anticoncurrentielles en cause. Une telle attitude caractériserait une violation du principe d’égalité de traitement.
440 Enfin et en troisième lieu, alors que, dans la décision attaquée, la Commission aurait justifié les différences de réduction du montant des amendes au titre de la coopération par la prétendue contestation des faits par la requérante après réception de la communication des griefs et non pas par l’existence d’une différence de qualité de la coopération des parties avant l’envoi de la communication des griefs, elle ferait valoir, dans sa défense, une telle différence, essayant ainsi de suppléer à la carence de motivation de la décision attaquée. Il s’agirait là d’une reconnaissance implicite de l’inégalité de traitement dont la requérante aurait été victime.
441 La Commission ne saurait, sans se contredire, affirmer dans sa défense qu’Interbrew lui a transmis des informations décisives avant la requérante, en citant, en particulier, les lettres d’Interbrew des 14 et 19 janvier, 2, 8 et 28 février 2000, alors que ces lettres sont postérieures à la lettre du 27 décembre 1999 d’Alken-Maes contenant une déclaration de son ancien administrateur délégué établissant formellement les points essentiels de l’infraction.
442 Par ailleurs, la Commission affirmerait à tort qu’une partie des informations fournies portaient sur une période antérieure au 28 janvier 1993, non couverte par l’infraction, alors que les documents fournis en annexes 3 à 23 et 26 à 29 de sa lettre du 10 décembre 1999 porteraient sur une période postérieure au 28 janvier 1993.
443 En tout état de cause, la Commission commettrait une erreur en considérant que les éléments portant sur la période antérieure au 28 janvier 1993 ne sont pas éligibles au bénéfice de la communication sur la coopération, alors que la demande de renseignements du 11 novembre 1999 portait sur la période allant de septembre 1992 à décembre 1999. Ce faisant, la Commission confondrait la période pour laquelle elle a constaté une infraction avec la période couverte par son enquête. Or, c’est cette dernière période qui, selon la requérante, aurait dû être considérée comme pertinente au titre de la coopération. En l’occurrence, la requérante aurait fourni des informations relatives à la période allant de septembre 1992 à janvier 1993, qui auraient permis d’éclairer le rôle capital d’Interbrew et l’influence de la réglementation des prix.
444 La Commission fait valoir que l’ampleur de la coopération de la requérante n’a pas été sous-estimée et conteste que la réduction qui lui a été accordée soit manifestement inférieure aux réductions qu’elle accorde habituellement. Le degré de coopération de la requérante ne saurait être comparé à ceux visés dans les affaires invoquées par la requérante à l’appui de ses arguments. Quant à la prétendue violation du principe d’égalité de traitement, la Commission fait valoir que la coopération d’Interbrew a été quantitativement et qualitativement plus importante que celle de la requérante, comme en témoigne l’analyse comparative des documents fournis par chacune des parties qui ont été évoqués à l’appui de la décision attaquée. La différenciation des pourcentages de réduction accordés au titre de la coopération serait donc parfaitement justifiée et serait loin de s’expliquer uniquement par la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante a contesté les faits.
Appréciation du Tribunal
445 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter (point A 3 de la communication sur la coopération).
446 En ce qui concerne l’application de la communication sur la coopération au cas de la requérante, il n’est pas contesté que son comportement doit être apprécié au titre du point D de ladite communication, intitulé « Réduction significative du montant de l’amende ».
447 Aux termes du point D 1 de cette communication, « [l]orsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération ».
448 Le point D 2 de la communication sur la coopération précise :
« Tel peut notamment être le cas si :
– avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,
– après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »
449 Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, une réduction de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (arrêts SCA Holding/Commission, point 158 supra, point 156, et Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 278 supra, point 270).
450 Il importe par ailleurs de rappeler que, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 17, la Commission peut notamment, dans l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l’article 85 CE et par les prescriptions arrêtées en application de l’article 83 CE, recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises, qui sont tenues, en vertu du paragraphe 4 dudit article, de fournir les renseignements demandés. Si une entreprise ou association d’entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de manière incomplète, la Commission peut, conformément à l’article 11, paragraphe 5, du règlement nº 17, les demander par voie de décision, l’entreprise ou l’association d’entreprises s’exposant dès lors, en cas de refus persistant de fournir les renseignements visés, à une amende ou à des astreintes.
451 À cet égard, selon la jurisprudence, la collaboration d’une entreprise à l’enquête ne donne droit à aucune réduction d’amende lorsque cette collaboration n’a pas dépassé ce qui résultait des obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 17 (arrêt du 10 mars 1992, Solvay/Commission, point 135175 supra, points 341 et 342). En revanche, dans le cas où une entreprise fournit, en réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement nº 17, des informations allant bien au-delà de celles dont la production peut être exigée par la Commission en vertu dudit article, l’entreprise en question peut bénéficier d’une réduction d’amende (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 262).
452 Il y a également lieu de relever que ne constitue pas une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération, ni, à plus forte raison, du point D de celle-ci, le fait pour une entreprise de mettre à la disposition de la Commission, dans le cadre de son enquête sur une entente, des informations relatives à des actes pour lesquels, en tout état de cause, elle n’aurait pas dû acquitter d’amende au titre du règlement n° 17.
453 Il convient en outre de relever que, selon la jurisprudence, la Commission ne saurait, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par des entreprises, méconnaître le principe d’égalité de traitement, principe général du droit communautaire, qui, selon une jurisprudence constante, est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du Tribunal Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 278 supra, point 237).
454 Il est établi, à cet égard, que l’appréciation du degré de coopération fournie par des entreprises ne saurait dépendre de facteurs purement hasardeux. Une différence de traitement des entreprises en cause doit donc être imputable à des degrés de coopération non comparables, notamment dans la mesure où ils ont consisté en la fourniture d’informations différentes ou en la fourniture de ces informations à des stades différents de la procédure administrative, ou dans des circonstances non analogues (voir, en ce sens, arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 278 supra, points 245 et 246).
455 En outre, il y a lieu de considérer que lorsque une entreprise ne fait, au titre de la coopération, que confirmer, et ce de manière moins précise et explicite, certaines des informations déjà fournies par une autre entreprise au titre de la coopération, le degré de coopération fournie par cette entreprise, quoiqu’il puisse ne pas être dénué d’une certaine utilité pour la Commission, ne saurait être considéré comme comparable à celui fourni par la première entreprise à avoir fourni lesdites informations. Une déclaration se limitant à corroborer, dans une certaine mesure, une déclaration dont la Commission disposait déjà ne facilite en effet pas la tâche de la Commission de manière significative et, partant, suffisante pour justifier une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération.
456 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner, en l’espèce, si la réduction du montant de l’amende, octroyée par la Commission à la requérante au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, résulte d’une appréciation erronée de l’ampleur de la coopération de la requérante, notamment au regard de sa pratique décisionnelle, et viole le principe d’égalité de traitement.
457 En premier lieu, il importe de relever, d’une part, que, dans la communication sur la coopération, la Commission a indiqué que, lorsqu’une entreprise coopère au titre du point D de ladite communication, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération et, d’autre part, que la requérante ne conteste pas que l’ampleur de sa coopération devait être évaluée dans le cadre du point D de la communication sur la coopération. Or, la Commission a indiqué, s’agissant de la requérante, qu’une réduction de 10 % de l’amende au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération était appropriée, eu égard au fait que la filiale de la requérante a fourni des informations sur l’existence et sur le contenu de l’infraction qui allaient au-delà d’une simple réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement nº 17. Il y a donc lieu de constater que, en octroyant à la requérante une réduction de 10 % de l’amende au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, la Commission ne s’est pas écartée de la fourchette des réductions d’amendes applicable au type de coopération fournie par la requérante.
458 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument tiré de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, il suffit de rappeler que le seul fait que celle-ci a accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n’implique pas qu’elle est tenue d’accorder la même réduction proportionnelle lors de l’appréciation d’un comportement similaire dans le cadre d’une procédure administrative ultérieure (arrêts Mayr-Melnhof/Commission, point 57 supra, point 368, et ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 50 supra, point 239). Cet argument doit donc être rejeté.
459 En troisième lieu, il convient d’examiner si la réduction du montant de l’amende octroyée par la Commission à la requérante au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération viole le principe d’égalité de traitement.
460 À cet égard, il y a lieu de constater qu’il résulte d’une lecture combinée des considérants 324 et 325 de la décision attaquée que la Commission a octroyé une réduction de 30 % de l’amende imposée à Interbrew sur le fondement de deux éléments cumulatifs, à savoir, d’une part, le fait que sa coopération à l’établissement des faits est allée au-delà de ses obligations résultant de l’article 11 du règlement nº 17 (point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération) et, d’autre part, le fait qu’elle n’a pas contesté la matérialité des faits constitutifs de l’infraction constatée (point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération).
461 En revanche, la lecture combinée des considérants 326 et 327 permet de conclure que la Commission n’a octroyé à la requérante une réduction de 10 % que dans la mesure où sa coopération à l’établissement des faits est allée au-delà de ses obligations résultant de l’article 11 du règlement nº 17 (point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération). La Commission a, en effet, estimé que la requérante a contesté la matérialité des faits sur lesquels elle a fondé ses accusations et qu’elle n’était donc éligible à aucune réduction au titre du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération.
462 Il en résulte que la différence entre la réduction d’amende accordée respectivement à Interbrew et à la requérante au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération est moindre que ne le suggèrent les pourcentages finaux respectifs de 30 et 10 % de réduction d’amende octroyés, puisque les 30 % de réduction accordés à Interbrew incluent la réduction que cette dernière s’est vu octroyer au titre du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération.
463 S’agissant des réductions octroyées respectivement à la requérante et à Interbrew sur le fondement de leur coopération au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, il convient de relever que la Commission a implicitement fait état, dans la décision attaquée, d’une différence de qualité entre la coopération d’Interbrew et celle de la requérante. En effet, si la Commission a reconnu que chacune des deux entreprises a fourni, en réponse à la demande de renseignements du 11 novembre 1999, des informations allant au-delà d’une simple réponse à celle-ci, la Commission a toutefois relevé qu’Interbrew a « grandement contribué à établir les éléments de fait », alors qu’elle a mentionné que la requérante a seulement « fourni sur l’existence et le contenu de l’infraction des informations qui allaient au-delà de la réponse à la demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement nº 17 ».
464 Afin de déterminer s’il existe une différence significative entre les degrés de coopération qu’ont respectivement fournie Interbrew et la requérante, il y a lieu de comparer l’ampleur de leur coopération tant d’un point de vue chronologique que qualitatif.
465 En ce qui concerne, en premier lieu, l’analyse comparative de la coopération des entreprises en cause d’un point de vue chronologique, il y a lieu de relever, d’une part, s’agissant de la requérante et de sa filiale Alken-Maes, d’abord que cette dernière a répondu à la demande de renseignements du 11 novembre 1999 par lettre du 10 décembre 1999. Ensuite, Alken-Maes a transmis à la Commission, le 27 décembre 1999, une déclaration dans laquelle elle invoquait la communication sur la coopération, qu’elle a complétée et précisée le 7 mars 2000. Alken-Maes a en outre répondu, le 5 avril 2000, à une nouvelle demande de renseignements de la Commission au titre de l’article 11 du règlement nº 17 datée du 22 mars 2000. Enfin, la requérante a répondu, le 10 mai 2000, à une nouvelle demande de renseignements qui lui avait été adressée le 14 avril 2000.
466 D’autre part, s’agissant de la coopération fournie par Interbrew, il convient de relever d’abord que celle-ci a répondu à la demande de renseignements du 11 novembre 1999 en date du 23 décembre 1999. Ensuite, par lettres datées des 14 et 19 janvier 2000, Interbrew a fourni des informations destinées à compléter celles que contenait son courrier du 23 décembre 1999. Comme suite à ces informations, la Commission a transmis par télécopieur à Interbrew, le 21 janvier 2000, une demande de renseignements complémentaire et informelle. Interbrew y a répondu par courrier daté du 2 février 2000 et a envoyé des informations supplémentaires les 8 et 28 février 2000. Le 29 février 2000, Interbrew a, en outre, transmis à la Commission une déclaration portant sur le marché belge, en se référant à la communication sur la coopération. Enfin, Interbrew a encore communiqué à la Commission, le 21 décembre 2000, à savoir après l’engagement de la procédure et l’envoi de la communication des griefs adoptée le 20 septembre 2000, deux documents concernant deux réunions tenues avec Alken-Maes dans le cadre des accords bilatéraux existant entre elles.
467 Il résulte de ce qui précède que l’argument de la Commission selon lequel les informations transmises par la requérante ont été de moindre valeur que celles transmises par Interbrew dans la mesure où elles ont été communiquées plus tardivement ne peut être retenu. En effet, toutes les informations transmises par les parties l’ont été dans un intervalle de temps assez bref, à un stade sensiblement identique de la procédure administrative. Aucune considération d’ordre chronologique ne saurait, dès lors, être retenue comme déterminante aux fins de l’appréciation comparative de la valeur de la coopération de la requérante et de celle d’Interbrew.
468 En ce qui concerne, en second lieu, l’analyse comparative de la coopération des parties d’un point de vue qualitatif, il y a lieu de constater, d’une part, en ce qui concerne la requérante et sa filiale Alken-Maes, que, dans sa réponse du 10 décembre 1999 à la demande de renseignements du 11 novembre 1999, Alken-Maes n’a pas explicitement invoqué le bénéfice de la communication sur la coopération. Alken-Maes y indique néanmoins que « la réponse est fondée sur les efforts de la [s]ociété pour coopérer pleinement avec la Commission sur la base des documents conservés à cette date et des informations disponibles auprès du personnel concerné encore présent dans la [s]ociété ». Elle indique également que « Alken-Maes a, de plus, tenté de contacter les anciens employés de la [s]ociété et les réponses obtenues sont jointes », et que, « [m]algré ces efforts importants, Alken-Maes ne peut garantir l’exhaustivité de sa réponse et se réserve de la compléter ou de l’amender ». La référence aux efforts déployés pour collecter des informations auprès d’anciens employés de la société tend à accréditer l’idée que la coopération d’Alken-Maes est allée au-delà des obligations qui lui étaient imposées par l’article 11 du règlement nº 17. Toutefois, force est de constater que les informations et les documents transmis par Alken-Maes ne peuvent être considérés comme sortant du champ des obligations précitées. Les éléments fournis ne constituent en effet en rien, à l’exception éventuelle de ceux relatifs à l’échange d’informations intervenu entre Alken-Maes et Interbrew, un exposé de comportements ayant un objet manifestement anticoncurrentiel, exposé dont la transmission à la Commission revêtirait un caractère incriminant excluant que ladite transmission s’inscrive dans le cadre des obligations de l’article 11 du règlement nº 17.
469 Dans sa lettre du 27 décembre 1999, Alken-Maes inscrit pour la première fois explicitement sa coopération dans le cadre de la communication sur la coopération. Dans cette lettre, elle reconnaît en outre l’existence de pratiques infractionnelles, puisque l’administrateur délégué d’Alken-Maes écrit que cette dernière ne conteste pas la matérialité des faits tels que décrits par la Commission dans sa demande de renseignements du 11 novembre 1999 et que, en particulier, il a existé une pratique concertée entre Interbrew et Alken-Maes en vertu de laquelle, d’une part, des informations ont été échangées chaque mois concernant leurs ventes respectives de bière en Belgique et, d’autre part, de nombreuses réunions entre des collaborateurs d’Alken-Maes et d’Interbrew ont eu lieu, durant lesquelles la distribution et la vente de bière en Belgique ont fait l’objet d’une concertation. Enfin, en annexe à cette lettre, Alken-Maes joint une note dans laquelle elle indique qu’il semble qu’à la fin de l’année 1994 « un accord ait été passé entre les deux sociétés cou[v]rant l’ensemble des circuits de distribution en Belgique mais avec un détail particulier concernant le circuit de l’horeca ». Cet accord « aurait comporté notamment […] un pacte de non-agression, de limitation des investissements commerciaux dans le domaine de l’horeca et de la publicité extérieure, et une concertation tarifaire » et « [l]a bonne application de l’accord aurait fait l’objet d’une procédure de consultation régulière directement entre les dirigeants des deux sociétés ».
470 Dans la déclaration du 7 mars 2000, il y a lieu de relever qu’Alken-Maes a reconnu l’existence de faits pouvant être analysés comme des pratiques anticoncurrentielles et qui ont, à ce titre, contribué à la confirmation de l’existence de l’infraction, comme la Commission le reconnaît elle-même. Toutefois, force est de constater que la déclaration s’appuie essentiellement sur des documents ou des informations déjà en possession de la Commission. Ainsi, si la pièce fournie par Alken-Maes, en annexe 42 de la déclaration du 7 mars 2000, s’est révélée très utile à la Commission, puisque c’est notamment sur son fondement qu’elle a pu établir que l’entente, contrairement à ce que soutient la requérante, s’est poursuivie au-delà de juillet 1996, il y a lieu de relever que ladite pièce avait déjà été fournie à la Commission en annexe 37 de la réponse d’Alken-Maes du 10 décembre 1999 à la demande de renseignements du 11 novembre 1999, ce qui réduit la valeur contributive, au titre de la coopération, de la communication de cette pièce par Alken-Maes, puisque ladite communication relevait des obligations de cette entreprise au titre de l’article 11 du règlement nº 17 (voir point 451 ci-dessus).
471 Force est également de constater qu’une part importante des informations transmises par Alken-Maes dans sa déclaration du 7 mars 2000 concerne une période antérieure à celle pour laquelle l’infraction est constatée. Ces informations ne sauraient, dès lors, être considérées, contrairement à ce que prétend la requérante, comme ayant permis à la Commission de constater l’infraction visée dans la décision attaquée avec moins de difficulté. À cet égard, le fait pour une entreprise de mettre à la disposition de la Commission, dans le cadre de son enquête, des informations relatives à des actes pour lesquels elle ne doit pas acquitter d’amende au titre du règlement n° 17 ne saurait constituer une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération (voir, en ce sens, la jurisprudence citée au point 451 ci-dessus).
472 Quant aux réponses des 5 avril et 10 mai 2000 aux demandes de renseignements datées, respectivement, des 22 mars et 14 avril 2000, il convient de constater, s’agissant de la première réponse, qu’elle a visiblement porté sur l’entente relative à la bière vendue sous marque de distributeur et, s’agissant de la seconde réponse, que si elle est citée à six reprises dans la décision attaquée, il n’est pas possible d’identifier, en l’absence de prise de position des parties au litige à ce sujet, une contribution étant allée au-delà des obligations résultant de l’article 11 du règlement nº 17.
473 D’autre part, en ce qui concerne la coopération fournie par Interbrew, il y a lieu de constater que, si sa réponse du 23 décembre 1999 à la demande de renseignements du 11 novembre 1999 s’inscrit pour partie dans le cadre des obligations de l’entreprise au titre de l’article 11 du règlement nº 17, elle le dépasse néanmoins significativement et contribue clairement à établir la matérialité de faits constituant une infraction à l’article 81 CE. Interbrew y a en effet décrit et explicité l’entente dans une mesure qui dépasse largement l’obligation qui lui incombait au titre de l’article 11 du règlement nº 17.
474 S’agissant des lettres d’Interbrew des 14 et 19 janvier 2000, des lettres transmises les 2, 8 et 28 février 2000, en réponse à la demande de renseignements informelle du 21 janvier 2000, de la déclaration du 29 février 2000 et, enfin, des deux derniers documents transmis le 21 décembre 2000, il y a lieu de relever que ces lettres et leurs annexes fournissent des informations détaillées sur des contacts intervenus entre Interbrew, Alken-Maes et la requérante, qui s’inscrivent clairement dans le cadre de la communication sur la coopération.
475 Il résulte de ce qui précède que, d’un point de vue qualitatif, Interbrew a contribué de manière plus décisive à l’établissement et à la confirmation de l’existence de l’infraction commise.
476 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la différence caractérisant les pourcentages de réduction d’amende octroyés par la Commission au titre du point D 2, premier tiret, de la communication sur la coopération ne constitue pas une violation du principe d’égalité de traitement.
477 La première branche du moyen doit donc être rejetée.
b) Sur la seconde branche, tirée du caractère erroné de la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante aurait contesté la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations
Arguments des parties
478 La requérante fait valoir que la Commission a interprété de manière manifestement erronée l’objet et la teneur de la réponse à la communication des griefs, en la considérant comme une mise en doute de l’existence de l’infraction telle qu’elle a été décrite dans la communication des griefs. Or, dans sa réponse à ladite communication, elle n’aurait fait que relever des éléments qu’elle jugeait nécessaires à une appréciation correcte des faits par la Commission et se serait bornée à contester non pas la matérialité des faits, mais la portée ou la qualification que leur a donnée la Commission. La requérante aurait indiqué que, sans contester la matérialité des faits établis par la Commission, elle souhaitait clarifier certains points et remettre en perspective les faits litigieux, afin de montrer qu’ils n’avaient pas la portée que leur attribuait la Commission. À cet égard, la requérante estime qu’il serait contraire aux droits les plus élémentaires de la défense que la Commission puisse exiger des entreprises sollicitant le bénéfice de la communication sur la coopération une renonciation à contester non seulement les faits, mais aussi leur qualification, l’importance de l’amende ou encore le raisonnement juridique utilisé par la Commission. Cette dernière aurait elle-même reconnu le bien-fondé de cette distinction dans sa décision Conduites précalorifugées, dans laquelle elle n’aurait pas pénalisé une entreprise qui, tout en ne niant pas la matérialité des faits, avait contesté la portée que leur donnait la Commission, à savoir qu’ils étaient constitutifs d’une infraction. La requérante s’étant contentée de fournir une qualification différente des faits, la conclusion de la Commission selon laquelle sa coopération n’aurait pas été continue et complète serait donc erronée (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 147 supra, point 162).
479 Ainsi, d’abord, dans sa requête, la requérante met en exergue les cinq points qu’elle aurait relevés dans sa réponse à la communication des griefs, sans que cela doive s’interpréter comme une mise en doute de l’existence de l’infraction telle qu’elle a été décrite par la Commission dans ladite communication.
480 Premièrement, la requérante aurait souligné l’absence de prise en compte par la Commission des abus de position dominante d’Interbrew en Belgique, alors qu’il aurait existé un lien entre ceux-ci et la coopération qui s’est développée entre la requérante et Interbrew et que leur prise en compte aurait permis de clarifier le contexte de l’infraction et les rapports de force qui existaient entre les parties en présence.
481 Deuxièmement, elle aurait rappelé la particularité du cadre réglementaire belge de l’époque, ce qui, loin de mettre en cause la réalité de l’infraction, permettrait une meilleure appréciation de la gravité des faits et de l’existence de circonstances atténuantes.
482 Troisièmement, elle aurait fait valoir le rôle d’instigateur joué par Interbrew, qui aurait pris l’initiative de différents entretiens et accords avec Alken-Maes.
483 Quatrièmement, elle aurait réfuté la portée attribuée aux propos qu’elle a tenus vis-à-vis d’Interbrew, lesquels n’auraient eu aucun caractère contraignant sur celle-ci.
484 Cinquièmement, la requérante aurait précisé la portée et la qualification que, selon elle, il convenait de donner aux faits reprochés qui, quoique constitutifs d’une infraction à l’article 81 CE, n’auraient pas dû être qualifiés d’accord bilatéral sur les prix et le partage du marché, mais seulement de pacte de non-agression et de limitation des investissements et de la publicité.
485 Ensuite, dans son mémoire en réplique, la requérante répond point par point à l’argumentation développée par la Commission, dans son mémoire en défense, quant aux éléments de fait que la Commission estime qu’elle a contestés durant la procédure administrative. Parmi ces éléments, deux seraient, selon la Commission, encore contestés devant le Tribunal alors que cinq autres ne semblent plus contestés. Eu égard à chacun de ces points, la requérante réaffirme n’avoir pas contesté la matérialité des faits en cause, mais seulement la portée ou la qualification que leur a donnée la Commission.
486 En premier lieu, en ce qui concerne les deux éléments de fait contestés devant le Tribunal, à savoir la menace formulée à l’encontre d’Interbrew et la durée de l’infraction, la requérante affirme, s’agissant de la première, que, si elle ne conteste pas que, dans le cadre de discussions entre les parties à l’entente sur leurs politiques respectives en France, elle a, à la suite des abus constatés en Belgique dans le chef d’Interbrew, adressé à celle-ci une mise en garde légale et commercialement légitime, elle persiste en revanche à contester que ces propos, bien qu’ils aient fait référence au chiffre de 500 000 hectolitres, puissent être considérés comme une contrainte au sens où l’entend la Commission, eu égard en particulier à l’absence d’effet coercitif de ladite mise en garde.
487 S’agissant de la durée de l’infraction, la requérante confirme persister à contester que l’entente a continué au-delà de juillet 1996. Il ne s’agirait toutefois pas de la réfutation vigoureuse de certains faits établis, comme le soutiendrait à tort la Commission, mais de la contestation de la portée attribuée par celle-ci aux contacts entre les parties après juillet 1996, qui serait incompatible avec le contexte et les effets desdits contacts, ceux-ci n’ayant plus eu, après cette date, d’objet anticoncurrentiel. Interbrew ayant distribué aux clients son tarif au cours de l’année 1996 et l’ayant appliqué au 1er janvier 1997, de telles discussions n’auraient plus eu lieu d’être.
488 En second lieu, s’agissant des cinq autres éléments de fait que la Commission considère comme ayant été contestés dans la réponse à la communication des griefs alors qu’ils ne le seraient plus dans la requête, la requérante formule les observations suivantes.
489 Premièrement, s’agissant de sa prétendue contestation du fait que l’entente portait également sur la répartition de la clientèle et en particulier sur les niveaux de prix, la requérante affirme reconnaître l’existence des faits et ne pas contester qu’ils constituent une infraction à l’article 81 CE, mais souligne qu’ils ne peuvent pas être qualifiés d’accord bilatéral sur les prix, ce qui a une influence non sur l’existence de l’infraction, mais sur sa gravité. En particulier, si la tenue de discussions sur les prix lors de la réunion du 9 novembre 1994 n’est pas contestée, la requérante persiste à considérer que, en les jugeant constitutives d’un réel accord sur les prix, la Commission a procédé à une qualification extrêmement sévère des faits. La requérante aurait entendu en particulier contester la portée attribuée par la Commission à la formule manuscrite « J=SA=A‑M=275,- ».
490 Deuxièmement, s’agissant du début de l’entente, la requérante admet qu’il est exact que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle soutenait que l’entente n’avait commencé qu’en octobre 1994. La Commission omettrait toutefois de signaler que cette réponse couvrait les discussions entre les parties depuis la fin de l’année 1992. Or, sans nier l’existence de contacts et d’échanges d’informations avec ses concurrents relatifs à sa structure tarifaire dès la fin de l’année 1992, la requérante soutient que ceux-ci doivent être replacés dans leur contexte et considérés pour ce qu’ils sont réellement, notamment dans le cadre du rôle de la CBB dans la réglementation des hausses de prix.
491 Troisièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel l’objet de la réunion du 11 mai 1994 ne se serait pas limité à la présentation du nouveau directeur de la division « bière » de la requérante, la requérante relève qu’elle a, certes, indiqué que la réunion avait essentiellement pour but ladite présentation, mais aussi que l’objet de cette réunion, plus large, s’inscrivait dans le cadre de la proposition d’Interbrew de conclure un pacte de non-agression incluant la France.
492 Quatrièmement, en ce qui concerne les discussions du 6 juillet 1994, la requérante soutient que, contrairement à ce qu’allègue la Commission, elle n’a pas contesté que ces discussions concernaient la coopération entre Interbrew et Alken-Maes. Elle aurait indiqué que les discussions portaient principalement sur la situation commerciale d’Interbrew en France, mais néanmoins précisé immédiatement que la conclusion d’un accord de non-agression concernant la France et la Belgique a été proposé par Interbrew dans le cadre de ces discussions.
493 Cinquièmement, quant à la question de l’influence d’Interbrew au sein de la CBB, la requérante n’aurait pas contesté le fait établi par la Commission qu’Interbrew ne déterminait pas la politique de la CBB. En outre, quand bien même elle l’aurait contesté, il se serait agi de la contestation d’une interprétation par la Commission de l’influence exercée par Interbrew, et non de la contestation d’un fait établi.
494 Enfin, s’agissant de l’allégation de la Commission selon laquelle la requérante aurait déclaré s’abstenir de contester uniquement les faits contenus dans la communication des griefs qu’elle a elle-même reconnus, la requérante fait valoir que la Commission a interprété erronément la teneur même de ses déclarations, en les déformant.
495 Ainsi, la Commission aurait déformé les propos de la requérante en apposant l’adverbe « uniquement » à sa déclaration, c’est-à-dire en écrivant que la requérante « ne contestait pas les éléments de fait contenus dans [la communication des griefs] uniquement dans la mesure où ces éléments reposaient en partie sur des informations fournies par Alken-Maes à la Commission ». La requérante avait en effet écrit qu’elle ne contestait pas « l’existence des faits intervenus dans la période en cause dans la mesure où ceux-ci [étaient] en partie fondés sur des informations fournies par les représentants d’Alken-Maes à la Commission ».
496 En outre, la Commission se méprendrait sur la signification de la locution « dans la mesure où ». L’usage de cette formule n’aurait pas résulté d’une volonté de limiter – ne serait-ce que partiellement – la portée de la reconnaissance de la matérialité des faits, mais au contraire de souligner qu’il aurait été particulièrement malvenu de la part de la requérante de contester la réalité des faits établis par la Commission dès lors qu’ils l’ont été en partie sur la base d’éléments fournis par elle. Ce contresens aurait conduit la Commission à conclure, à tort, à la mise en doute par la requérante de l’existence de l’infraction.
497 La requérante soutient, dans sa réplique, que la Commission persiste dans son mémoire en défense à retenir une interprétation inexacte, voire tendancieuse, des termes de la réponse de la requérante à la communication des griefs, en écrivant que la requérante « s’est bornée à accepter les faits ‘dans la mesure où ceux-ci sont en partie fondés sur des informations fournies par les représentants d’Alken-Maes elle-même à la Commission’ ». En utilisant l’expression « s’est bornée à », la Commission aurait introduit une limitation là où le texte original n’en contenait pas. En effet, si la locution « dans la mesure où » peut avoir un sens restrictif lorsqu’elle s’accompagne d’une négation ou d’un verbe limitatif, elle devrait en revanche s’entendre dans un sens explicatif lorsqu’elle est utilisée indépendamment de toute négation ou verbe limitatif.
498 La requérante fait valoir par ailleurs qu’il serait d’autant plus dommageable qu’une prétendue contestation des faits ait été retenue à son égard qu’il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission qu’une simple non-contestation des faits, sans apport d’éléments nouveaux, est susceptible d’entraîner une réduction de près de 20 % de l’amende, comme l’illustreraient les décisions Transbordeurs grecs et Conduites précalorifugées. La Commission aurait même accordé par le passé une réduction égale à celle obtenue en l’espèce par la requérante à une entreprise n’ayant pas collaboré [considérant 98 de la décision 98/247/CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA, IV/35.814 – Extra d’alliage (JO L 100, p. 55)].
499 La Commission fait d’abord observer que, selon la jurisprudence, une réduction d’amende pour non-contestation de la matérialité des faits implique une acceptation expresse des faits tels qu’établis dans la communication des griefs. Or, il ressortirait aussi bien de la réponse de la requérante à la communication des griefs que de la requête que celle-ci a vigoureusement tenté de réfuter – et persiste encore à le faire – le fait qu’une menace ait été proférée contre Interbrew ainsi que le fait que l’entente a continué au-delà du mois de juillet 1996. Par ailleurs, la requérante aurait initialement contesté dans sa réponse à la communication des griefs certains faits essentiels, qu’elle n’a pas persisté à nier dans sa requête.
500 Quant à l’argument selon lequel la Commission analyserait comme une contestation de faits ce qui relèverait, en réalité, de la contestation de la portée qu’elle leur attribue ou de la qualification juridique qu’elle leur donne, la Commission fait observer que la contestation vise au contraire la matérialité de plusieurs faits.
501 Il serait, en tout état de cause, erroné de prétendre que la non-contestation des faits justifierait généralement une réduction du montant de l’amende de 20 %, la réduction habituellement accordée à ce titre étant de l’ordre de 10 %. Quant à l’allégation selon laquelle des parties n’ayant pas collaboré avec la Commission auraient obtenu une réduction analogue à celle accordée à la requérante, elle serait infondée.
502 Enfin, la Commission fait valoir que, sauf à méconnaître la grammaire, la prétendue reconnaissance des faits par la requérante n’a été que conditionnelle. En effet, dans la réponse à la communication des griefs, la requérante se serait bornée à accepter les faits « dans la mesure où ceux-ci sont en partie fondés sur des informations fournies par les représentants d’Alken-Maes elle-même aux agents de la Commission ».
Appréciation du Tribunal
503 Il résulte du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération (voir point 448 ci-dessus), que, lorsqu’une entreprise coopère, au titre du point D, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération si, après avoir reçu la communication des griefs, elle informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.
504 Pour bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de la non-contestation des faits, conformément au point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération, une entreprise doit explicitement informer la Commission de ce qu’elle n’entend pas contester la matérialité des faits, après avoir pris connaissance de la communication des griefs (arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 57 supra, point 309).
505 Il ne suffit toutefois pas qu’une entreprise affirme d’une manière générale qu’elle ne conteste pas les faits allégués, conformément à la communication sur la coopération, si, dans les circonstances du cas d’espèce, cette affirmation ne présente pas la moindre utilité pour la Commission (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, non encore publié au Recueil, point 193). En effet, pour qu’une entreprise puisse bénéficier d’une réduction d’amende au titre de sa coopération durant la procédure administrative, son comportement doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 57 supra, point 309).
506 À la lumière de ces principes, il y a lieu de déterminer si, comme le prétend la requérante, c’est à tort que la Commission a considéré, au considérant 326 de la décision attaquée, que les termes de sa déclaration de non-contestation des éléments de faits ainsi que sa mise en doute de l’existence de l’infraction telle que décrite dans la communication des griefs ne justifiaient pas une réduction de l’amende au titre du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération.
507 À cet égard, il y a lieu de constater, s’agissant, en premier lieu, des déclarations générales de la requérante concernant la non-contestation de la matérialité des faits, que, avant l’envoi de la communication des griefs, dans sa lettre à la Commission du 27 décembre 1999, Alken-Maes a indiqué qu’« [elle] ne contest[ait] pas la matérialité des faits tels que décrits par la Commission dans sa demande de renseignements envoyée le 11 novembre 1999, et qu’en particulier […] il a[vait] existé un[e] pratique concertée entre Interbrew et Alken-Maes en vertu de laquelle des informations [avaient] été échangées chaque mois concernant leurs ventes respectives de bière en Belgique ; […] il y a[vait] eu de nombreuses réunions entre des collaborateurs d’Alken-Maes et principalement M. Vaxelaire, alors administrateur délégué, entre 1992 et 1998 avec des collaborateurs d’Interbrew, principalement MM. T. et J. D., durant lesquelles la distribution et la vente de bière en Belgique [avaient] fait l’objet d’un[e] concertation ». Elle a ajouté que « [s]ous réserve des circonstances atténuantes qui ont été exposées [aux] services [de la Commission], Alken-Maes reconnaît et ne contestera pas que ces faits sont constitutifs d’une infraction à l’article 81 […] CE ».
508 Il y a également lieu de constater que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a indiqué que «[s]ans contester l’existence des contacts et pratiques entre Interbrew et Alken-Maes dans la mesure où ceux-ci sont en partie fondés sur les informations fournies par les représentants d’Alken-Maes elle-même aux agents de la Commission, [elle] souhait[ait] […] clarifier certains points et remettre en perspective les faits litigieux afin de montrer qu’ils n’ont pas la portée que leur attribue la Commission ». À la page 1 de sa réponse à ladite communication, la requérante a reformulé ses propos d’une manière légèrement différente en indiquant que « [s]ans contester l’existence des faits intervenus dans la période en cause dans la mesure où ceux-ci sont en partie fondés sur les informations fournies par les représentants d’Alken-Maes aux agents de la Commission, sur instruction conforme de [la requérante], [la requérante] souhaite dans la présente réponse clarifier certains points et remettre en perspective les faits litigieux afin de montrer qu’ils n’ont pas la portée que leur attribue la Commission, ou même, dans certains cas, que les conclusions juridiques de la Commission résultent d’une qualification erronée des circonstances litigieuses ».
509 Force est donc de constater, au vu de la réponse de la requérante à la communication des griefs, que si celle-ci soutient ne pas contester l’existence de « contacts et pratiques entre Interbrew et Alken-Maes » ou de « faits intervenus pendant la période en cause », elle n’a pas affirmé expressément et de manière claire et précise ne pas contester la matérialité des faits sur lesquels la Commission a fondé ses accusations. La requérante a, au contraire, assorti son affirmation de réserves relatives à son intention de « clarifier certains points », de « remettre en perspective les faits litigieux » afin de montrer qu’ils « n’ont pas la portée que leur attribue la Commission » ou que les conclusions juridiques de la Commission « résultent d’une qualification erronée des circonstances litigieuses ».
510 S’agissant, en second lieu, des observations de la requérante concernant des faits spécifiques rapportés par la Commission dans sa communication des griefs (voir points 486 à 493 ci-dessus), il s’avère que la requérante ne s’est pas limitée à clarifier la portée que leur attribuait la Commission, mais a contesté le contenu ou l’existence de certains d’entre eux.
511 Ainsi, en ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a indiqué dans la communication des griefs qu’elle disposait d’éléments de preuve concernant l’entente pour la période allant au moins du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998 et que celle-ci s’était donc poursuivie jusqu’au 28 janvier 1998. Pour la période postérieure au mois de juillet 1996, la Commission s’est appuyée, aux fins de cette conclusion, sur trois éléments de fait, à savoir, premièrement, qu’un entretien téléphonique a eu lieu, le 9 décembre 1996, entre Alken-Maes (M. L. B) et Interbrew (M. A. B) ; deuxièmement, que la réunion entre Interbrew, la requérante et Alken-Maes à Paris le 17 avril 1997 avait un objet anticoncurrentiel et, troisièmement, que la réunion du 28 janvier 1998 entre Interbrew et Alken-Maes a porté sur l’entente.
512 Or, il y a lieu de relever que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a indiqué qu’elle « s’étonn[ait] que la Commission retienne [la date du 28 janvier 1998] comme marquant la fin des pratiques incriminées, alors que tous les éléments du dossier d’enquête démontrent que toute discussion bilatérale a cessé depuis le deuxième semestre de 1996 ». En particulier, la requérante a affirmé que « les discussions sur la structure des tarifs se sont arrêtées avec la décision d’Interbrew en juillet 1996 de mettre ses nouveaux tarifs en application au 1er janvier 1997 » et que « l’absence de discussions après juillet 1996 » transparaissait par exemple de l’existence d’une note d’un consultant auprès d’Alken-Maes comparant les nouvelles conditions générales d’Interbrew avec le projet d’Alken-Maes, laquelle aurait été superflue « s’il y avait eu des contacts entre les deux entreprises à ce sujet », que « la réunion [du 17 avril 1997] ne s’est pas tenue dans le cadre des discussions couvertes par la [communication des griefs] » et que la réunion du 28 janvier 1998 n’avait pas pour objet de « rétablir les anciennes pratiques ».
513 Eu égard à ce qui précède, et en particulier aux observations formulées par la requérante en ce qui concerne la durée de l’infraction, il y a lieu de considérer que ses déclarations selon lesquelles elle ne conteste pas la matérialité des faits ne sauraient justifier une réduction de l’amende au titre du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération.
514 En effet, premièrement, s’agissant en l’espèce d’une entente ayant un objet anticoncurrentiel, il importe de relever que le seul établissement des faits suffit, en principe, à établir deux des éléments essentiels d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, soit l’existence d’un accord et de l’objet anticoncurrentiel de celui-ci. Dès lors, force est de constater que la requérante ne pouvait, dans sa réponse à la communication des griefs, contester la portée des faits litigieux au mois de juillet 1996, que la Commission a valablement établis et qui sont par eux-mêmes constitutifs de l’infraction en cause, sans contester la matérialité des faits au sens du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération (voir, par analogie, arrêt Corus UK/Commission, point 505 supra, points 195 et 197).
515 En second lieu, une déclaration de non-contestation de la matérialité des faits assortie, comme en l’espèce, d’un ensemble d’observations par lesquelles la requérante vise prétendument à clarifier la portée de certains faits mais qui, en réalité, se traduisent par une contestation de ces faits ne saurait être considérée comme facilitant la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression de l’infraction en cause aux règles de concurrence.
516 À cet égard, force est de constater que, contrairement à ce qu’elle affirme, ce n’est pas la portée erronée attribuée par la Commission à certains faits, à savoir les contacts des 9 décembre 1996, 17 avril 1997 et 28 janvier 1998, que la requérante conteste, mais la nature même de ces faits. Ainsi, dans sa réponse à la communication des griefs (voir point 512 ci-dessus), la requérante ne s’est pas contentée de nier la portée du contact ayant eu lieu le 9 décembre 1996 entre Alken-Maes et Interbrew, mais a contesté le fait même qu’un contact avait eu lieu entre les deux concurrents à cette date. De même, la requérante a nié le fait même que la réunion du 17 avril 1997 avait eu un objet anticoncurrentiel et non la portée ou l’appréciation juridique que la Commission a attribuée à ce fait. Enfin, s’agissant de la rencontre du 28 janvier 1998, la requérante ne s’est pas contentée de soutenir que le fait que l’entente soit perçue comme actuelle, comme l’a valablement établi la Commission, n’aurait pas la portée ou la qualification juridique que lui attribue la Commission, à savoir celle d’une infraction, mais le fait même que la teneur de la discussion sur l’entente conférait à cette dernière un caractère actuel.
517 Il y a donc lieu de conclure, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments développés par la requérante, que c’est à bon droit que la Commission a constaté, au considérant 326 de la décision attaquée, que la requérante avait mis en doute l’existence de l’infraction telle qu’elle avait été décrite dans la communication des griefs et qu’elle a estimé que cela ne justifiait pas une réduction d’amende au sens du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération.
518 Il y a donc lieu de rejeter la seconde branche et, partant, le moyen dans son intégralité.
Sur la méthode de calcul et le montant final de l’amende
519 Ainsi qu’il résulte du point 313 ci-dessus, il y a lieu de réduire l’augmentation du montant de base de l’amende retenue au titre des circonstances aggravantes de 50 à 40 %.
520 S’agissant du calcul du montant final de l’amende tel qu’il résulte de cette modification, il y a lieu de relever que, en procédant au calcul de l’amende infligée à la requérante, la Commission s’est écartée de la méthodologie indiquée dans les lignes directrices.
521 En effet, eu égard au libellé des lignes directrices, les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, et non au résultat de la mise en oeuvre d’une première majoration ou réduction au titre d’une circonstance aggravante ou atténuante (voir, en ce sens, arrêt Cheil Jedang/Commission, point 95 supra, point 229).
522 Or, en l’espèce, force est de constater que, alors que la Commission a ajusté le montant de l’amende eu égard, d’une part, à deux circonstances aggravantes et, d’autre part, à une circonstance atténuante, il ressort du montant final de l’amende infligée que la Commission a appliqué l’un de ces deux ajustements au montant qui résultait de la mise en œuvre d’une première majoration ou réduction. Cette méthode de calcul a pour conséquence de modifier le montant final de l’amende par rapport à celui qui résulterait de l’application de la méthode indiquée dans les lignes directrices.
523 À cet égard, si la méthode de calcul du montant des amendes contenue dans les lignes directrices n’est certes pas la seule méthode envisageable, elle est de nature à assurer une pratique décisionnelle cohérente en matière d’imposition des amendes, laquelle permet, à son tour, de garantir l’égalité de traitement des entreprises qui sont sanctionnées pour infractions aux règles du droit de la concurrence. Dans le cas présent, le Tribunal constate que la Commission s’est écartée des lignes directrices, en ce qui concerne la méthode de calcul du montant final des amendes, sans fournir aucune justification.
524 Il y a donc lieu, en l’espèce, d’appliquer, au titre du pouvoir de pleine juridiction dévolu au Tribunal en vertu de l’article 17 du règlement nº 17, l’augmentation de 40 %, retenue au titre de la circonstance aggravante liée à la récidive, au montant de base de l’amende infligée à la requérante.
525 Le montant final de l’amende infligée à la requérante est donc calculé comme suit : au montant de base de l’amende (36,25 millions d’euros) sont d’abord ajoutés 40 % de ce montant de base (14,5 millions d’euros) et soustraits 10 % dudit montant (3,625 millions d’euros), ce qui aboutit à un montant de 47,125 millions d’euros. Ensuite, ce montant est réduit de 10 % au titre de la coopération, ce qui aboutit à un montant final d’amende de 42,4125 millions d’euros.
Sur les dépens
526 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions. En l’espèce, il y a lieu de décider que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens exposés par la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) Le montant de l’amende infligée à la requérante est fixé à 42,4125 millions d’euros.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La requérante supportera ses propres dépens et les trois quarts de ceux de la Commission. La Commission supportera un quart de ses propres dépens.
Vilaras |
Martins Ribeiro |
Jürimäe |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2005
Le greffier |
Le président |
E. Coulon |
M. Vilaras |
Table des matières
Cadre juridique
Faits à l’origine du litige
Procédure et conclusions des parties
En droit
A – Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée
1. Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense et du principe de bonne administration
a) Sur la première branche, tirée de ce que la requérante n’aurait pas été mise en mesure d’examiner le contexte dans lequel un document utilisé à charge par la Commission a été établi
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission n’aurait pas permis à la requérante de connaître, avant l’adoption de la décision attaquée, les éléments pris en compte dans le calcul de l’amende
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
c) Sur la troisième branche, tirée du caractère non documenté de réunions tenues entre la Commission et Interbrew ainsi que du refus de la Commission de communiquer à la requérante la réponse d’Interbrew à la communication des griefs
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
2. Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
B – Sur les conclusions, soulevées à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende infligée
1. Sur le moyen tiré d’une évaluation erronée de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de départ de l’amende, en violation des principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et non bis in idem
a) Arguments des parties
Arguments de la requérante
– Sur l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction : violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité
– Sur l’évaluation de la capacité économique effective de la requérante à créer un dommage important aux autres opérateurs : violation du principe de proportionnalité
– Sur la détermination du montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif : violation du principe de proportionnalité
– Sur la prise en compte des connaissances et des infrastructures juridico-économiques dont disposent en général les grandes entreprises : violation du principe non bis in idem
Arguments de la Commission
b) Appréciation du Tribunal
Sur l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction
Sur l’appréciation de la capacité économique effective de la requérante à créer un dommage important aux autres opérateurs
Sur la détermination du montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif
Sur la prise en compte des connaissances et des infrastructures juridico-économiques dont disposent en général les grandes entreprises
Sur le caractère approprié du montant de départ spécifique eu égard aux circonstances invoquées par la requérante
2. Sur le moyen tiré d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
Sur le contact téléphonique du 9 décembre 1996
Sur la réunion du 17 avril 1997
Sur la réunion du 28 janvier 1998
3. Sur le moyen tiré du caractère infondé de la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte exercée sur Interbrew
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
4. Sur le moyen tiré de la prise en compte infondée de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la requérante
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
5. Sur le moyen tiré de la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables
a) Sur la première branche, tirée du refus de la Commission de prendre en compte l’absence d’effets de l’infraction sur le marché
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de prise en considération par la Commission de l’influence du régime de contrôle des prix et de la tradition corporatiste séculaire caractérisant le secteur brassicole
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
c) Sur la troisième branche, tirée du refus de la Commission de prendre en compte la situation de crise du secteur
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
d) Sur la quatrième branche, tirée de la position menaçante d’Interbrew
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
6. Sur le moyen tiré d’une appréciation incorrecte de l’ampleur de la coopération de la requérante en violation du principe d’égalité de traitement et de la communication sur la coopération
a) Sur la première branche, tirée d’une appréciation erronée par la Commission de l’ampleur de la coopération de la requérante, eu égard notamment à sa pratique décisionnelle et en violation du principe d’égalité de traitement
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur la seconde branche, tirée du caractère erroné de la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante aurait contesté la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
Sur la méthode de calcul et le montant final de l’amende
Sur les dépens
* Langue de procédure : le français.