Affaire C-414/02


Spedition Ulustrans, Uluslararasi Nakliyat ve. Tic. A.S. Istanbul
contre
Finanzlandesdirektion für Oberösterreich



(demande de décision préjudicielle, formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche))

«Code des douanes communautaire – Article 202 – Naissance de la dette douanière – Introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté – Notion de débiteur d'une telle dette – Extension à l'employeur d'une dette d'un employé ayant commis des irrégularités dans l'exécution des obligations douanières»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 6 mai 2004
    
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 23 septembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Union douanière – Naissance d'une dette douanière à la suite de l'introduction irrégulière de marchandises – Notion de débiteur – Employeur de la personne ayant procédé à l'introduction – Inclusion par une réglementation nationale – Conditions d'admissibilité

(Règlement du Conseil nº 2913/92, art. 202, § 3)

L’article 202, paragraphe 3, du règlement nº 2913/92 établissant le code des douanes communautaire doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, en cas d’introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d’une marchandise soumise à des droits à l’importation, rend l’employeur codébiteur de la dette douanière de l’employé qui a procédé à ladite introduction dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées par l’employeur, sous réserve que cette réglementation exige que l’employeur ait pris part à l’introduction des marchandises en sachant ou en devant raisonnablement savoir que ladite introduction était irrégulière.

(cf. point 45 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
23 septembre 2004(1)


«Code des douanes communautaire – Article 202 – Naissance de la dette douanière – Introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté – Notion de débiteur d'une telle dette – Extension à l'employeur d'une dette d'un employé ayant commis des irrégularités dans l'exécution des obligations douanières»

Dans l'affaire C-414/02,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE,introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), par décision du 6 novembre 2002, parvenue le 19 novembre 2002, dans la procédure

Spedition Ulustrans, Uluslararasi Nakliyat ve. Tic. A.S. Istanbul

contre

Finanzlandesdirektion für Oberösterreich,



LA COUR (deuxième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. C. Gulmann, J.-P.  Puissochet (rapporteur) et R  Schintgen, et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,considérant les observations présentées:

pour la Finanzlandesdirektion für Oberösterreich, par M. F. Brenneis, en qualité d'agent,

pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d'agent,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. J.-C. Schieferer, en qualité d'agent,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1
La demande préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 202, paragraphe 3, du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «code des douanes»).

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Spedition Ulustrans, Uluslararasi Nakliyat ve. Tic. A.S. Istanbul (ci-après «Spedition Ulustrans») à la Finanzlandesdirektion für Oberösterreich (administration des finances pour la Haute-Autriche, ci-après la «Finanzlandesdirektion») au sujet du paiement d’une dette douanière née du fait de l’introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de la Communauté.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
Aux termes de l’article 201 du code des douanes:

«1. Fait naître une dette douanière à l’importation:

a)
la mise en libre pratique d’une marchandise passible de droits à l’importation

            ou

b)
le placement d’une telle marchandise sous le régime de l’admission temporaire en exonération partielle de droits à l’importation.

2. La dette douanière naît au moment de l’acceptation de la déclaration en douane en cause.

3. Le débiteur est le déclarant. En cas de représentation indirecte, la personne pour le compte de laquelle la déclaration en douane est faite est également le débiteur.

Lorsqu’une déclaration en douane pour un des régimes visés au paragraphe 1 est établie sur la base de données qui conduisent à ce que les droits légalement dus ne soient pas perçus en totalité ou en partie, les personnes qui ont fourni ces données, nécessaires à l’établissement de la déclaration, en ayant ou en devant avoir raisonnablement connaissance que ces données étaient fausses, peuvent également être considérées débiteurs conformément aux dispositions nationales en vigueur.»

4
L’article 202 du code des douanes dispose:

«1. Fait naître une dette douanière à l’importation:

a)
l’introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d’une marchandise passible de droits à l’importation

            ou

b)
s’agissant d’une telle marchandise se trouvant dans une zone franche ou un entrepôt franc, son introduction irrégulière dans une autre partie de ce territoire.

Au sens du présent article, on entend par introduction irrégulière, toute introduction en violation des articles 38 à 41 et [de l’article] 177 deuxième tiret.

2. La dette douanière naît au moment de l’introduction irrégulière.

3. Les débiteurs sont:

la personne qui a procédé à cette introduction irrégulière,

les personnes qui ont participé à cette introduction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu’elle était irrégulière,

ainsi que celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause et qui savaient ou devaient raisonnablement savoir au moment où elles ont acquis ou reçu cette marchandise qu’il s’agissait d’une marchandise introduite irrégulièrement.»

5
L’article 203 du même code prévoit:

«1. Fait naître une dette douanière à l’importation:

la soustraction d’une marchandise passible de droits à l’importation à la surveillance douanière.

2. La dette douanière naît au moment de la soustraction de la marchandise à la surveillance douanière.

3. Les débiteurs sont:

la personne qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière,

les personnes qui ont participé à cette soustraction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu’il s’agissait d’une soustraction de la marchandise à la surveillance douanière,

celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause et qui savaient ou devaient raisonnablement savoir au moment où elles ont acquis ou reçu cette marchandise qu’il s’agissait d’une marchandise soustraite à la surveillance douanière

ainsi que

le cas échéant, la personne qui doit exécuter les obligations qu’entraîne le séjour en dépôt temporaire de la marchandise ou l’utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée.»

6
L’article 213 du code des douanes prévoit:

«Lorsqu’il y a plusieurs débiteurs pour une même dette douanière, ils sont tenus au paiement de cette dette à titre solidaire.»

7
Aux termes de l’article 221, paragraphe 1, du même code:

«Le montant des droits doit être communiqué au débiteur selon des modalités appropriées dès qu’il a été pris en compte.»

La réglementation nationale

8
L’article 79, paragraphe 2, du Zollrechts-Durführungsgesetz (loi d’application relative au droit douanier, BGBl. 1994/659, ci-après le «ZollR-DG») dispose:

«Une dette douanière qui prend naissance pour un employé ou tout autre préposé d’un entrepreneur parce qu’il a eu un comportement illicite en matière d’obligations douanières alors qu’il exécutait les tâches qui lui avaient été confiées par son employeur ou son donneur d’ordre, naît aussi au même moment pour l’employeur ou le donneur d’ordre, pour autant que ce dernier ne soit pas devenu débiteur dans la même affaire en vertu d’une autre disposition.»


Le litige au principal et la question préjudicielle

9
Le 5 décembre 1996, un employé de Spedition Ulustrans a introduit sur le territoire douanier de la Communauté quatre machines servant à embobiner les matières textiles. Venant de Suisse, il a franchi le poste douanier de Höchst (Autriche), au volant d’un poids lourd immatriculé au nom de Spedition Ulustrans, sans procéder à la présentation en douane prévue par les textes pour les marchandises transportées.

10
Par décision du 11 décembre 1996, prise conformément à l’article 221, paragraphe 1, du code des douanes, le Hauptzollamt Feldkirch (bureau des douanes de Feldkirch, ci-après le «Hauptzollamt») a communiqué à cet employé le montant des droits à l’importation afférents aux marchandises irrégulièrement importées, à savoir 770 684 ATS (dont 83 770 ATS de droits de douane et 686 914 ATS au titre de la taxe sur le chiffre d’affaires à l’importation).

11
Par décision du 27 avril 2000, revêtue de l’autorité de la chose jugée, la Finanzlandesdirektion a constaté que l’importation irrégulière de ces marchandises avait fait naître, en vertu de l’article 202, paragraphe 1, sous a), du code des douanes, une dette douanière dans le chef du conducteur, d’un montant identique à celui établi par le Hauptzollamt.

12
Par décision du 27 février 1997, prise en vertu des dispositions combinées de l’article 202, paragraphe 1, sous a), du code des douanes et de l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG, le Hauptzollamt avait également communiqué à Spedition Ulustrans le montant des droits dus par celle-ci, en qualité de codébitrice des mêmes droits que ceux réclamés à son employé.

13
Spedition Ulustrans a introduit un recours contre cette décision. Il a été rejeté comme non fondé par une décision du 11 septembre 1997. Elle a alors formé, devant la quatrième chambre d’appel de la Finanzlandesdirektion un recours, qui a lui aussi été rejeté, par décision du 21 novembre 2000. La Finanzlandesdirektion a considéré que c’était à bon droit que, en première instance, le Hauptzollamt avait, conformément à l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG, adressé l’ordre de paiement non seulement au chauffeur mais aussi à Spedition Ulustrans, en sa qualité de codébitrice solidaire, tenue, en tant qu’employeur, de veiller à ce que le comportement du conducteur salarié respecte les exigences spécifiques liées au transport international de marchandises.

14
Spedition Ulustrans a alors saisi le Verwaltungsgerichtshof, en faisant notamment valoir que, dans la mesure où elle n’avait pas participé à la commission des fautes du chauffeur, elle ne pouvait légalement être considérée comme débitrice des droits.

15
La juridiction de renvoi formule deux séries de remarques.

16
En premier lieu, elle indique que la doctrine actuelle n’est pas unanime sur la conception de la notion de débiteur. Elle précise que, selon certains auteurs, l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG, en étendant très largement la notion de débiteur à tous les employeurs ou commettants d’un salarié ou d’un préposé qui enfreint la réglementation douanière, sans prendre en compte les conditions subjectives énumérées à l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes, est incompatible avec cette dernière disposition. La juridiction de renvoi ajoute que, selon d’autres auteurs, la notion de débiteur, en cas d’introduction irrégulière d’une marchandise, dépend de la définition de la «personne qui a procédé à cette introduction irrégulière» au sens de l’article 202, paragraphe 3, premier tiret, du même code. Cette personne serait toujours, au moins indirectement, l’entrepreneur, car celui-ci posséderait la garde juridique de la marchandise transportée, tandis que le conducteur n’en serait que le détenteur précaire. Dans cette seconde conception, l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG serait, non pas incompatible avec l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes, mais simplement superflu par rapport à l’article 202, paragraphe 3, premier tiret, dudit code.

17
En second lieu, précise la juridiction de renvoi, Spedition Ulustrans soutient que l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG est une «norme relative à la responsabilité». Selon la requérante au principal, le législateur national demeurerait libre d’édicter une telle norme, sans être limité par le droit communautaire.

18
C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’extension de la notion de débiteur opérée par le biais de l’article 79, paragraphe 2, du [ZollR-DG] (selon lequel la naissance d’une dette douanière à la charge d’un salarié ou de tout autre préposé d’un entrepreneur, parce qu’il a eu un comportement illicite en matières d’obligations douanières alors qu’il exécutait les tâches qui lui avaient été confiées par son employeur ou son donneur d’ordre, entraîne également, au même moment, la naissance d’une dette douanière à la charge de l’employeur ou du donneur d’ordre) est-elle illicite au regard de l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes et donc en conflit avec le droit communautaire?»


Sur la question préjudicielle

Observations soumises à la Cour

19
Selon la Finanzlandesdirektion, le code des douanes habiliterait les autorités douanières à avoir recours à toutes les possibilités que leur accordent les «dispositions en vigueur», y compris des mesures législatives nationales, pour assurer le recouvrement de la dette douanière. Les articles 201 et suivants du code des douanes n’opéreraient donc qu’une harmonisation minimale de la notion de débiteur et ne feraient pas obstacle à l’adoption d’autres dispositions par les États membres, telles que l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG, pour poursuivre le recouvrement de la dette auprès de l’employeur. Cet article ne s’appliquerait que si le comportement illicite s’est manifesté dans le cadre de l’activité de l’entrepreneur, c’est-à-dire si l’intention du salarié ou du préposé était d’agir dans l’intérêt de l’entrepreneur et non dans son propre intérêt.

20
Le gouvernement autrichien souligne que, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2000/597/CE, Euratom du Conseil, du 29 septembre 2000, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO L 253, p. 42), les droits du tarif douanier commun, qui constituent des ressources propres des Communautés, sont perçus par les États membres conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales qui sont, le cas échéant, adaptées aux exigences de la réglementation communautaire. Le législateur communautaire aurait donc souhaité laisser aux États membres le choix des moyens qu’ils estiment les plus efficaces pour assurer la perception des droits de douane.

21
L’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG s’inscrirait dans ce cadre. En rendant codébiteurs les employeurs ou les donneurs d’ordre, qui tirent un avantage économique des actes de leurs employés ou préposés, cette disposition permettrait d’assurer plus efficacement le recouvrement de la dette douanière que si ces derniers, parties économiquement faibles et souvent insolvables, étaient seuls visés. Par ailleurs, l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG serait parfaitement respectueux des principes généraux du droit communs à tous les États membres, notamment le principe de proportionnalité. Il n’opérerait donc pas une extension de la notion de débiteur incompatible avec l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes.

22
Selon la Commission, une imputation automatique de tout comportement d’un employé à son employeur, qui ne prendrait pas en compte la «participation» effective de l’employeur, au sens de l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, s’écarterait de cette dernière disposition. S’il était interprété par les juridictions nationales en ce sens qu’il établit une présomption irréfragable d’imputabilité du comportement de l’employé à l’employeur, l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG devrait être déclaré incompatible avec les dispositions du code des douanes.

Réponse de la Cour

23
Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, sur la compatibilité des dispositions d’une loi nationale avec le droit communautaire. Par contre, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre de juger de cette compatibilité (arrêts du 17 décembre 1970, Scheer, 30/70, Rec. p. 1197, point 4; du 6 juin 1984, Melkunie, 97/83, Rec. p. 2367, point 7, et du 29 novembre 2001, De Coster, C-17/00, Rec. p. I‑9445, point 23).

24
Dans cette perspective, il convient de considérer que la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur le fondement de l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG, un employeur soit considéré comme codébiteur d’une dette douanière de son salarié, lorsque ce dernier a eu un comportement illicite en matière d’obligations douanières dans l’exécution des tâches qui lui étaient confiées par son employeur.

25
En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes que le législateur communautaire a entendu définir de façon large les personnes susceptibles d’être reconnues débitrices de la dette douanière, en cas d’introduction irrégulière d’une marchandise passible de droits à l’importation, sans pour autant rendre l’employeur automatiquement codébiteur de la dette douanière de son employé.

26
D’abord, l’article 202, paragraphe 3, premier tiret, du code des douanes vise la «personne» qui a procédé à ladite introduction, sans préciser s’il s’agit d une personne physique, telle que le salarié d’une entreprise, ou d’une personne morale, telle que la société à l’origine de l’introduction irrégulière des marchandises. Par suite, si cette disposition peut s’appliquer en toute hypothèse à un employé qui effectue les opérations matérielles d’introduction, un employeur peut également être regardé comme débiteur de la dette douanière, s’il est une «personne» au sens de ladite disposition, c’est-à-dire s’il peut être considéré comme ayant été, par ses agissements à l’origine de l’introduction irrégulière de la marchandise.

27
Ensuite, l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, vise, au pluriel, les «personnes», sans préciser davantage s’il s’agit de personnes physiques ou de personnes morales, qui ont «participé» à l’introduction irrégulière des marchandises, c’est-à-dire celles qui ont pris une quelconque part dans cette introduction. La qualification de débiteur au sens de cette disposition est cependant subordonnée à la condition que lesdites personnes aient participé à ladite introduction «en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu’elle était irrégulière». Une telle condition repose donc sur des éléments d’appréciation subjective qui sont de nature à exclure, dans certains cas, la qualification de débiteur.

28
Enfin, l’article 202, paragraphe 3, troisième tiret, du code des douanes envisage également la qualification de débiteur pour des personnes, là encore sans précision sur leur nature de personne physique ou de personne morale, qui, après l’introduction irrégulière de la marchandise, c’est-à-dire après l’opération qui a fait naître la dette douanière, ont acquis ou détenu la marchandise en sachant ou devant raisonnablement savoir, au moment de l’acquisition ou de la réception, que cette marchandise avait été irrégulièrement introduite. L’extension de la notion de débiteur est donc dans ce cas, comme pour l’application de l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du même code, subordonnée à une condition subjective.

29
Il résulte de l’examen de l’article 202, paragraphe 3, premier, deuxième et troisième tirets, du code des douanes que le législateur communautaire a distingué entre les hypothèses visées au premier de ces tirets et celles énoncées aux deuxième et troisième tirets. Dans les hypothèses prévues au premier tiret, l’employeur peut être regardé comme ayant lui-même procédé à l’introduction irrégulière des marchandises et devenant, de ce fait, débiteur de la dette douanière, seul ou solidairement avec son employé. Dans les hypothèses visées aux deuxième et troisième tirets, l’employeur n’a fait que «participer» à cette introduction et ne peut être considéré comme débiteur solidaire que si des conditions subjectives sont remplies.

30
Dans ces conditions, lorsqu’il apparaît que l’introduction irrégulière de la marchandise n’est pas attribuable à l’employeur mais est le fait d’un employé, l’employeur peut être débiteur de la dette douanière s’il a participé à ladite introduction, ce qui peut être le cas notamment si l’introduction irrégulière a été effectuée avec les moyens ou le personnel de son entreprise, et, d’autre part, s’il savait ou devait raisonnablement savoir que cette opération d’introduction était irrégulière.

31
L’article 202, paragraphe 3, du code des douanes cherche à définir de façon large la notion de débiteur, de façon cohérente avec la règle de solidarité des débiteurs tenus au paiement d’une même dette douanière, telle qu’énoncée à l’article 213 du même code. Cependant, il ne rend pas l’employeur automatiquement codébiteur de la dette douanière de l’employé qui a procédé à l’introduction irrégulière de la marchandise.

32
En second lieu, il ressort de l’évolution de la réglementation communautaire applicable en la matière que le législateur communautaire a souhaité procéder à la détermination des personnes débitrices de la dette douanière dans des conditions garantissant chaque fois un degré plus élevé d’harmonisation.

33
Une directive est d’abord intervenue, la directive 79/623/CEE du Conseil, du 25 juin 1979, relative à l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de dette douanière (JO L 179, p. 31). La seconde phrase du cinquième considérant de cette directive énonçait déjà qu’«il est […] nécessaire de fixer les règles communes pour la détermination du moment où prend naissance la dette douanière en vue d’assurer une application uniforme des dispositions communautaires en vigueur à l’importation et des droits à l’exportation». Toutefois, ladite directive ne prévoyait pas encore de règles particulières relatives à la détermination de la personne tenue au paiement de la dette douanière. Tout au plus son article 1er, paragraphe 2, sous a), disposait-il qu’il fallait entendre par dette douanière: «l’obligation d’une personne physique ou morale de payer le montant des droits [à l’importation ou à l’exportation]».

34
Cette directive a été ultérieurement remplacée par des règlements, à savoir le règlement (CEE) nº 2144/87 du Conseil, du 13 juillet 1987, relatif à la dette douanière (JO L 201, p. 15) et le règlement (CEE) nº 1031/88 du Conseil, du 18 avril 1988, concernant la détermination des personnes tenues au paiement d’une dette douanière (JO L 102, p. 5).

35
Le règlement nº 2144/87 précisait, à son deuxième considérant, que «les règles relatives à la naissance de la dette douanière, à la détermination de son montant et de son exigibilité et à son extinction sont tellement importantes pour le bon fonctionnement de l’union douanière qu’il importe d’assurer au mieux leur application uniforme dans la Communauté» et que «à cette fin, il y a lieu de remplacer les dispositions actuelles de la directive 79/623/CEE par un règlement», permettant d’atteindre «une plus grande sécurité juridique pour les particuliers».

36
Quant au règlement nº 1031/88, il prévoyait, à son cinquième considérant que, «s’il s’agit d’une dette douanière résultant de l’introduction irrégulière d’une marchandise dans le territoire douanier de la Communauté […], il convient de prévoir que sont tenus au paiement de cette dette l’auteur de l’acte qui a fait naître la dette douanière, ainsi que toute autre personne dont la responsabilité est également engagée, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres, du fait de cet acte». L’article 3 du règlement nº 1031/88 disposait ainsi, en substance, que les personnes tenues au paiement de la dette douanière en cas d’introduction irrégulière de la marchandise étaient la personne ayant introduit la marchandise et, «à titre solidaire, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres», les personnes ayant participé à ladite introduction, les personnes ayant acquis ou détenu la marchandise et toutes autres personnes dont la responsabilité est engagée du fait d’une telle introduction.

37
L’article 202, paragraphe 3, du code des douanes, qui s’est substitué aux dispositions précitées des règlements n°s 2144/87 et 1031/88, est plus précis encore que ces derniers textes. Il ne fait plus référence «aux dispositions en vigueur dans les États membres» et pose lui-même les conditions de fond auxquelles est subordonnée l’extension de la qualité de débiteur aux personnes «participant» à l’introduction irrégulière de la marchandise.

38
Certes, l’ensemble de ces modifications réglementaires n’ont pas eu pour objet ni davantage pour effet de priver les États membres de la possibilité de prendre les mesures de nature à contribuer efficacement à la mise en œuvre des objectifs de la réglementation douanière, notamment, le recouvrement de la dette douanière. Il n’a pas davantage empêché ces mêmes États de fixer, le cas échéant, des règles précisant, dans le respect de ces objectifs et conformément au principe de proportionnalité, les conditions d’application des textes communautaires (à propos d’une disposition nationale majorant les droits de douane en cas de violation de la réglementation douanière communautaire, voir arrêt du 16 octobre 2003, Hannl + Hofstetter, C‑91/02, non encore publié au Recueil, points 18 à 20).

39
Toutefois, il résulte clairement de l’examen des textes susmentionnés que le législateur communautaire a, depuis l’entrée en vigueur du code des douanes, entendu fixer de façon complète les conditions de détermination des personnes débitrices de la dette douanière.

40
Entreraient en contradiction avec cette intention clairement manifestée du législateur communautaire, ainsi qu’avec la lettre et l’objet mêmes de l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes, tels qu’ils ont été rappelés par le présent arrêt, les dispositions d’une loi nationale qui, en méconnaissance des conditions subjectives énoncées aux deuxième et troisième tirets dudit paragraphe 3, opéreraient une extension automatique à l’employeur de la qualité de débiteur de l’employé de ce dernier, sans qu’il soit établi que l’employeur a pris part à l’introduction des marchandises, en particulier en sachant ou en devant raisonnablement savoir que ladite introduction était irrégulière.

41
Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG opère une telle extension automatique de la qualité de débiteur de la dette douanière. En procédant à cette analyse, il appartiendra à cette juridiction d’interpréter ladite disposition, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes. Les éléments suivants devront, notamment, être pris en compte dans cette appréciation.

42
D’abord, si l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG était interprété en ce sens qu’il établit une présomption irréfragable selon laquelle l’employeur est codébiteur de la dette de son employé, cet article serait incompatible avec l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes. Il en irait ainsi même si ledit article ne s’appliquait qu’à des hypothèses dans lesquelles l’employé agit dans le cadre de l’exécution des tâches que son employeur lui confie. En effet, il ne saurait être exclu que, dans de telles hypothèses, l’employeur ne soit pas à l’origine de l’introduction irrégulière de la marchandise et qu’il puisse donc faire valoir qu’il ne savait pas ou ne devait pas raisonnablement savoir que cette introduction était irrégulière.

43
Ensuite, s’il est exact qu’il est généralement opportun de procéder au recouvrement de la dette douanière auprès de l’employeur et qu’il est possible pour celui-ci, conformément à l’article 239 du code des douanes, d’obtenir le bénéfice d’un remboursement ou d’une remise de droits de douane, ces considérations ne permettent pas d’établir que l’extension de la qualité de débiteur de la dette douanière à l’employeur est dans tous les cas proportionnée aux objectifs poursuivis. En effet, l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes permet à l’employeur, dans certaines conditions, d’échapper à la qualification de débiteur de la dette douanière, tandis qu’une possibilité de remise ou de remboursement de droits pour le débiteur n’intervient qu’a posteriori, sur le fondement d’autres conditions (sur les possibilités de remise de droits en cas de «situation particulière», en l’absence de toute faute du redevable, voir arrêt du 7 septembre 1999, De Haan, C-61/98, Rec. p. I‑5003).

44
Enfin, s’il était analysé comme une disposition précisant les conditions d’application de l’article 202, paragraphe 3, premier tiret, du code des douanes, l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG ne serait pas davantage compatible avec ce code. Une telle interprétation, en reconnaissant très largement que l’employeur est la «personne qui a procédé à l’introduction irrégulière de la marchandise» au sens dudit premier tiret, priverait d’objet l’article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, dudit code et ne permettrait pas à l’employeur de se soustraire à la dette douanière, alors qu’il n’aurait pas pris part à cette introduction et n’en aurait pas eu connaissance.

45
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 202, paragraphe 3, du code des douanes doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que l’article 79, paragraphe 2, du ZollR-DG qui, en cas d’introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d’une marchandise soumise à des droits à l’importation, rend l’employeur codébiteur de la dette douanière de l’employé qui a procédé à ladite introduction dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées par l’employeur, sous réserve que cette réglementation exige que l’employeur ait pris part à l’introduction des marchandises en sachant ou en devant raisonnablement savoir que ladite introduction était irrégulière.


Sur les dépens

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La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

L’article 202, paragraphe 3, du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que l’article 79, paragraphe 2, du Zollrechts-Durführungsgesetz (loi d’application relative au droit douanier) qui, en cas d’introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d’une marchandise soumise à des droits à l’importation, rend l’employeur codébiteur de la dette douanière de l’employé qui a procédé à ladite introduction dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées par l’employeur, sous réserve que cette réglementation exige que l’employeur ait pris part à l’introduction des marchandises en sachant ou en devant raisonnablement savoir que ladite introduction était irrégulière.

Signatures.


1
Langue de procédure: l'allemand.