Affaire C-284/02


Land Brandenburg
contre
Ursula Sass



(demande de décision préjudicielle, formée par le Bundesarbeitsgericht)

«Politique sociale – Travailleurs masculins et féminins – Article 141 CE – Égalité des rémunérations – Directive 76/207/CEE – Égalité de traitement – Congé de maternité – Passage à une catégorie de rémunération supérieure – Non prise en compte de la totalité d'un congé de maternité pris en vertu de la législation de l'ancienne République démocratique allemande»

Conclusions de l'avocat général M. L. A. Geelhoed, présentées le 27 avril 2004
    
Arrêt de la Cour (première chambre) du 18 novembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accès à l'emploi et conditions de travail – Égalité de traitement – Convention collective prévoyant le classement dans une catégorie de rémunération supérieure après l'accomplissement d'une période requise – Prise en compte des périodes de congé de maternité – Refus de prise en compte, à raison de sa durée, de la totalité d'un congé de maternité pris en vertu de la législation de l'ancienne République démocratique allemande – Inadmissibilité

(Directive du Conseil 76/207)

La directive 76/207, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, s’oppose à ce qu’une convention collective exclue de l’imputation sur une période requise pour permettre le classement dans une catégorie de rémunération supérieure la partie de la période pendant laquelle le travailleur féminin a bénéficié, conformément à la législation de l’ancienne République démocratique allemande, d’un congé de maternité qui dépasse la période de protection, prévue par la législation de la République fédérale d’Allemagne, visée par ladite convention, dès lors que les objectifs et la finalité de chacun de ces deux congés répondent aux objectifs de protection de la femme en ce qui concerne la grossesse et la maternité, protection consacrée à l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive.

(cf. point 59 et disp)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
18 novembre 2004(1)


«Politique sociale – Travailleurs masculins et féminins – Article 141 CE – Égalité des rémunérations – Directive 76/207/CEE – Égalité de traitement – Congé de maternité – Passage à une catégorie de rémunération supérieure – Non prise en compte de la totalité d'un congé de maternité pris en vertu de la législation de l'ancienne République démocratique allemande»

Dans l'affaire C-284/02,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Allemagne), par décision du 21 mars, parvenue à la Cour le 2 août 2002, dans la procédure

Land Brandenburg

contre

Ursula Sass,



LA COUR (première chambre),,



composée de M. P. Jann, président de chambre, M. A. Rosas, (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 mars 2004,considérant les observations présentées:

pour le Land Brandenburg, par Me J. Borck, Rechtsanwalt,

pour Mme Sass, par Me Th. Becker, Rechtsanwalt,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. Martenczuk et Mme N. Yerrell, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 avril 2004,

rend le présent



Arrêt



1
La demande préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 141 CE et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Sass à son employeur, le Land Brandenburg, au sujet de la non prise en compte par ce dernier, lors du calcul de la période requise («Bewährungszeit», ci-après la «période requise») avant de pouvoir être classée dans une catégorie de rémunération supérieure, de la totalité d’un congé de maternité pris par celle-ci en vertu de la législation de la désormais ancienne République démocratique allemande (ci-après l’«ancienne RDA»).


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
L’article 141 CE consacre le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

4
La directive 76/207 vise à l’élimination, dans les conditions tant de travail que d’accès aux emplois ou postes de travail, à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, de toute discrimination fondée sur le sexe, tout en précisant qu’elle ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité.

5
Par ailleurs, la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (JO L 348, p.1), établit certaines exigences minimales en matière de protection de celles-ci.

6
En ce qui concerne le congé de maternité, la directive 92/85 garantit, à son article 8, le droit à un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, dont une période obligatoire d’au moins deux semaines. En outre, elle prévoit, à son article 11, que le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate ainsi que les autres droits liés au contrat de travail doivent être assurés pendant le congé visé à l’article 8.

7
Toutefois, il convient de relever que la directive 92/85 ne devait être transposée par les États membres que le 19 octobre 1994 au plus tard, soit à une date postérieure à celle des faits au principal.

La réglementation nationale

8
La situation de la femme ayant accouché était régie, dans l’ancienne RDA, par l’Arbeitsgesetzbuch der Deutschen Demokratischen Republik (code du travail de l'ancienne RDA, ci-après l’«AGB-DDR»), du 16 juin 1977 (GBl. I, p. 85).

9
L’article 244 de l’AGB-DDR prévoyait, pour les femmes, un congé de maternité d'une durée de vingt semaines après l'accouchement. Pour la durée dudit congé, l'assurance sociale versait aux femmes une allocation de maternité correspondant au montant de leur rémunération moyenne nette.

10
La situation de la femme ayant accouché est régie, en République fédérale d’Allemagne, par le Mutterschutzgesetz (ci-après le «MuSchG»).

11
L’article 6, paragraphe 1, première phrase, du MuSchG interdit aux femmes de travailler pendant les huit semaines suivant l’accouchement. Au cours de cette période de congé de maternité, la femme perçoit un versement de l’employeur qui s’ajoute à l’allocation de maternité.

12
Le Bundes-Angestelltentarifvertrag-Ost (convention collective des agents contractuels du secteur public de l’Allemagne de l’Est), du 10 décembre 1990 (ci-après le «BAT-O»), prévoit à son article 23 bis, relatif à l’avancement à l’issue d’une période requise:

«L'employé [...] est classé dans une catégorie de rémunération supérieure dès lors qu'il a accompli la période requise.

La période requise est régie par les règles ci-après:

1.       La condition de la période requise est considérée comme remplie lorsque l'employé s'est montré à la hauteur des exigences en relation avec l'activité qui lui a été confiée pendant la période requise. À cet égard, l'activité qui correspond à la catégorie de rémunération dans laquelle est classé l'employé est déterminante. [...]

4.       La période requise doit être effectuée sans interruption. Les interruptions d'une durée maximale de six mois sont sans incidence; par ailleurs, indépendamment de cela, sont également sans incidence les interruptions pour les motifs suivants:

[...]

c)        périodes de protection prévues par le [MuSchG];

[...]

Toutefois, les périodes d'interruption ne sont pas imputées sur la période requise, à l'exception:

[...]

e)       des périodes de protection prévues par le [MuSchG].»

13
Le BAT-O a été modifié, le 8 mai 1991, par la convention modificative no 1, qui prévoit, à son article 2, l’incorporation de la grille des rémunérations de la convention collective des agents contractuels du secteur public, selon les critères suivants:

«1.     Dans la mesure où des périodes requises, des périodes d'activité, des périodes d'exercice d'une profession, etc. sont exigées parmi les caractéristiques d'une activité, il convient de prendre en compte les périodes effectuées avant le 1er juillet 1991 et reconnues comme périodes d'activité en vertu de l'article 19, paragraphes 1 et 2 du BAT-O et des dispositions transitoires, dans le cas où elles auraient dû être prises en compte si la section VI et la grille des rémunérations du BAT-O avaient déjà été en vigueur avant le 1er juillet 1991. […]

Dans la mesure où des caractéristiques d'une activité autorisent l'imputation de périodes effectuées en dehors du champ d'application du BAT-O, lesdites périodes sont prises en compte dès lors qu'elles auraient dû l'être en vertu du premier alinéa si elles avaient relevé du champ d'application du BAT-O.»


Le cadre factuel et le litige au principal

14
Mme Sass, ressortissante allemande, travaille depuis le 1er juillet 1982 à la Hochschule für Film und Fernsehen (École supérieure du film et de la télévision) «Konrad Wolf» de Potsdam comme chef de production.

15
Il ressort du dossier que la relation de travail de Mme Sass était régie par l’AGB-DDR au moment de la naissance de son deuxième enfant, à savoir en janvier 1987. Après cet accouchement, et conformément à l’article 244 de ce texte, Mme Sass a pris un congé de maternité du 27 janvier 1987 au 16 juin 1987, soit vingt semaines.

16
Il ressort également du dossier que, suite à la réunification de l’Allemagne, la relation de travail de Mme Sass a été transférée au Land Brandenburg. Cette relation était dès lors régie par le BAT-O en vertu d'une stipulation des parties en ce sens. La période de travail effectuée par Mme Sass depuis son entrée en fonction, à savoir le 1er juillet 1982, a été prise en compte lors de ce transfert.

17
Jusqu’au 7 mai 1998, la rémunération de Mme Sass correspondait à la catégorie II a) du BAT-O. Le 8 mai 1998, elle a été classée dans la catégorie supérieure, à savoir la catégorie I b), groupe 2. En calculant les quinze ans requis selon les modalités d’avancement du BAT-O, le Land Brandenburg a imputé sur cette période requise les huit premières semaines du congé de maternité que Mme Sass avait pris en vertu de l’article 244 de l’AGB-DDR, mais pas les douze semaines suivantes. Il ressort du dossier que ceci résultait du fait que la disposition pertinente, à savoir l’article 23 bis, paragraphe 4, troisième phrase, du BAT-O, ne faisait mention que des périodes de protection prévues par le MuSchG, à savoir huit semaines, et non de la période du congé de maternité prévu par l’AGB-DDR.

18
Mme Sass a introduit un recours devant la juridiction nationale de première instance prétendant que la totalité du congé de maternité, soit vingt semaines, aurait dû être prise en compte. Selon elle, l’interprétation de l’article 23 bis du BAT-O adoptée par le Land Brandenburg entraînerait une discrimination illicite envers les femmes. Ce dernier devrait être condamné à lui verser la différence de rémunération pour les douze semaines allant du 12 février 1998, date à laquelle elle aurait eu droit à l’augmentation du salaire si toute la période du congé de maternité avait été imputée sur la période requise, au 7 mai 1998, à savoir 1 841,16 DEM bruts, ainsi que 4 % d’intérêts calculés sur le montant net depuis le 16 mars 1999.

19
Le Land Brandenburg a conclu au rejet du recours. En vertu du BAT-O, seules les périodes de protection prévues par le MuSchG devraient être imputées sur la période requise et non le congé de maternité plus long prévu à l’article 244 de l’AGB-DDR.

20
Les juridictions inférieures ont fait droit au recours. La juridiction de renvoi, tout en estimant que le BAT‑O est compatible avec le droit communautaire, admet que Mme Sass est désavantagée par rapport à un collègue de sexe masculin puisque, en prenant un congé de maternité qui n’est destiné qu’aux femmes, elle n’atteindra la catégorie de rémunération supérieure que douze semaines plus tard que ledit collègue.

21
Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L'article 119 du traité CE (actuellement l'article 141 du traité CE) et la directive 76/207/CEE font-ils obstacle à ce qu'une convention collective, en vertu de laquelle les périodes de suspension de la relation de travail ne sont pas imputées sur la période requise, exclue également de l'imputation la période pendant laquelle la relation de travail a été suspendue parce que le travailleur féminin a bénéficié, à l'expiration de la période de protection de huit semaines, quant à elle imputable, prévue à l'article 6 du MuSchG [...], d'un congé de maternité jusqu'à la fin de la vingtième semaine après l'accouchement, conformément à l'article 244, paragraphe 1, de l'AGB-DDR [...]?»


Appréciation de la Cour

22
Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 141 CE et/ou la directive 76/207 s’opposent à ce qu’une convention collective, telle que le BAT‑O, exclue de l’imputation sur une période requise la partie de la période pendant laquelle le travailleur féminin a bénéficié, conformément à la législation de l’ancienne RDA, d’un congé de maternité qui dépasse la période de protection de huit semaines, prévue par la législation de la République fédérale d’Allemagne, visée par ladite convention.

23
Mme Sass propose d’apporter une réponse affirmative à cette question. Le Land Brandenburg et la Commission des Communautés européennes soutiennent la thèse inverse. Cette dernière estime, en particulier, que le droit communautaire ne trouve pas à s’appliquer au cas d’espèce.

24
À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que le traité du 31 août 1990 relatif à l’établissement de l’unité allemande étant entré en vigueur le 3 octobre 1990 (BGBl. 1990 II, p. 889), le droit communautaire s’appliquait lors de l’adoption, le 10 décembre 1990, du BAT‑O. Dès lors, les dispositions adoptées suite à la réunification allemande pour régler la situation des travailleurs désormais soumis à la législation de la République fédérale d’Allemagne doivent respecter la réglementation communautaire pertinente.

25
En deuxième lieu, il convient de rappeler que la Cour a déjà, dans le contexte de l’article 141 CE, dit pour droit que, ayant un caractère impératif, la prohibition de discrimination entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s’impose non seulement à l’action des autorités publiques, mais s’étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié (voir, notamment, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, Rec. p. 455, point 39; du 7 février 1991, Nimz, C‑184/89, Rec. p. I‑297, point 11, et du 21 octobre 1999, Lewen, C‑333/97, Rec. p. I‑7243, point 26). Le BAT-O ayant vocation à régir les relations des agents contractuels avec les collectivités publiques, il n’en irait pas autrement dans le contexte de la directive 76/207 (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 1997, Gerster, C‑1/95, Rec. p. I‑5253, point 18).

26
Ainsi, les rédacteurs du BAT‑O auraient été en mesure d'examiner la situation des femmes subissant la transition dans leur relation de travail en raison de la réunification allemande par rapport aux travailleurs masculins venant, eux aussi, de l’ancienne RDA.

27
Partant, c’est à juste titre que Mme Sass invoque le droit communautaire afin de faire valoir ses droits.

28
Quant à la question posée dans la présente affaire et afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de vérifier d’abord si la non prise en compte, lors du calcul d’une période requise prévue par le BAT‑O, de la totalité d’un congé de maternité, pris en vertu de la législation de l’ancienne RDA, relève de l’article 141 CE ou si, en revanche, elle relève de la directive 76/207.

29
À cet égard, il résulte du dossier que le litige au principal porte sur les périodes requises à accomplir afin de pouvoir être classé dans une catégorie de rémunération supérieure et sur la nature des périodes d’interruption pouvant être imputées sur une telle période en dépit de la règle générale que celle-ci est accomplie sans interruptions et que les périodes d'interruption permises ne sont, en tout état de cause, pas imputées sur cette dernière.

30
Il est vrai que le résultat recherché par Mme Sass est son passage anticipé à la catégorie de rémunération supérieure. Or, pour aboutir à un tel résultat, la question déterminante est celle de savoir si la totalité du congé de maternité de celle-ci peut être imputée sur la période requise à accomplir afin de pouvoir être classée dans une nouvelle catégorie, en l'occurrence une catégorie de rémunération supérieure. Ainsi, il y a lieu de constater que, dans la présente affaire, la rémunération accrue ne serait que la conséquence d'une prise en compte dudit congé de maternité.

31
Dès lors, les dispositions en cause dans le litige au principal établissent des règles relatives au passage d'un travailleur à une catégorie supérieure, à l'issue d'une période requise. Il s’ensuit que la question posée en l’espèce vise à préciser les conditions d'accès à un niveau supérieur de la hiérarchie professionnelle et, partant, relève du champ d’application de la directive 76/207.

32
Il y a lieu de rappeler que, au regard du principe de l’égalité de traitement, cette directive reconnaît la légitimité, d’une part, de la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et, d’autre part, de la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement (voir, notamment, arrêts du 12 juillet 1984, Hofmann, 184/83, Rec. p. 3047, point 25, et du 18 mars 2004, Merino Gómez, C‑342/01, non encore publié au Recueil, point 32).

33
À cet effet, l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive permet les dispositions nationales qui garantissent aux femmes des droits spécifiques en raison de la grossesse et de la maternité. Le droit à un congé de maternité relève de cet article (voir arrêt du 30 avril 1998, Thibault, C‑136/95, Rec. p. I‑2011, point 24).

34
De surcroît, l’exercice des droits conférés à une femme conformément audit article ne peut faire l’objet d’un traitement défavorable en ce qui concerne les conditions nécessaires pour qu’elle puisse accéder à un niveau supérieur de la hiérarchie professionnelle. Dans cette perspective, la directive 76/207 vise à déboucher sur une égalité substantielle et non formelle (voir, en ce sens, arrêts précités Merino Gómez, point 37, et Thibault, point 26).

35
Il découle de ce qui précède qu’un travailleur féminin est protégé, dans sa relation de travail, contre tout traitement défavorable motivé par le fait qu’il est ou a été en congé de maternité.

36
En effet, une femme qui subit un traitement défavorable en raison d’une absence pour congé de maternité est discriminée du fait de sa grossesse et de ce congé. Un tel comportement constitue une discrimination fondée directement sur le sexe au sens de la directive 76/207 (voir arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, Rec. p. I‑475, point 22; Thibault, précité, points 29 et 32, et du 30 mars 2004, Alabaster, C‑147/02, non encore publié au Recueil, point 47).

37
Dans ce contexte, il y a lieu de constater que Mme Sass est désavantagée par rapport à un collègue de sexe masculin ayant commencé son travail dans l'ancienne RDA le même jour qu'elle puisque, en prenant son congé de maternité, elle n’atteindra la catégorie de rémunération supérieure que douze semaines plus tard que ledit collègue.

38
Cependant, la juridiction de renvoi prend pour prémisse de son raisonnement que le désavantage subi par Mme Sass n’est pas fondé sur le sexe, mais réside plutôt dans le fait que sa relation de travail a été suspendue pendant les douze semaines en question.

39
À cet égard, il importe de relever que le travailleur féminin continue à être lié à son employeur par le contrat de travail durant le congé de maternité (voir arrêts précités Gillespie e.a., point 22; Thibault, point 29, et Alabaster, point 47). La façon dont le travailleur féminin perçoit une rémunération au cours dudit congé ne change rien à cette conclusion.

40
La Commission, en revanche, invoque la directive 92/85, pour le cas où il s’agirait d’une question de discrimination fondée sur le sexe, afin d’examiner les incidences éventuelles sur les droits liés au contrat de travail que pourrait avoir un congé de maternité plus long que la période minimale prévue par ladite directive. Elle fait état, à cet égard, de l’arrêt du 27 octobre 1998, Boyle e.a. (C‑411/96, Rec. p. I‑6401, point 79) et semble en conclure que, les droits du travailleur féminin étant susceptibles d’être affectés par un congé de maternité allant au-delà des prescriptions minimales visées par l’article 8 de ladite directive, les vingt semaines dont Mme Sass a librement décidé de bénéficier, en vertu de l’article 244 de l’AGB-DDR, ne constitueraient qu’un avantage proposé à cette dernière.

41
Ce raisonnement ne saurait être retenu.

42
S’agissant d’abord de la directive 92/85, il convient de rappeler que celle-ci ne devait être transposée par les États membres que le 19 octobre 1994 au plus tard, soit à une date postérieure à celle des faits au principal.

43
Du reste, à supposer même que l’on puisse s’inspirer de cette directive, il convient de relever que, selon son article 11, elle dispose, en vue de garantir la protection de la femme enceinte, accouchée ou allaitante, que les droits liés au contrat de travail doivent être assurés «dans le cas visé à l’article 8». Or, cet article 8 prévoit «un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues».

44
Par conséquent, le fait qu’une législation accorde aux femmes un congé de maternité de plus de quatorze semaines n’empêche pas que ce dernier puisse néanmoins être considéré comme un congé de maternité visé à l’article 8 de la directive 92/85 et, partant, une période pendant laquelle les droits liés au contrat de travail doivent, selon l’article 11 de la même directive, être assurés.

45
De surcroît, la nature obligatoire ou non d’un tel congé ne saurait être décisive pour la question soulevée en l’espèce. À cet égard, il importe de relever que, selon la directive 92/85, l’interdiction de travailler ne concerne qu’une période d’au moins deux semaines dudit congé de maternité de quatorze semaines minimum.

46
Dès lors, le fait que Mme Sass a choisi de bénéficier de la totalité des vingt semaines de congé prévues par l'AGB-DDR alors que les huit semaines de congé prévues par le MuSchG impliquent une interdiction de travailler ne fait pas obstacle à ce que son congé puisse être intégralement considéré comme étant un congé légal destiné à la protection de la femme ayant accouché.

47
S’agissant ensuite de l’arrêt Boyle e.a., précité, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que semble conclure la Commission, celui-ci ne préjuge en rien de la réponse à la question posée dans la présente affaire, en ce qu’il s’agissait, dans l'arrêt Boyle, non pas d’un congé légal, mais d’un congé supplémentaire accordé par l’employeur.

48
Il découle de tout ce qui précède que, si la législation nationale prévoit un congé de maternité visant à protéger, au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement, aussi bien la condition biologique de la femme que les rapports particuliers avec son enfant, le droit communautaire exige que la prise de ce congé légal de protection, d’une part, n’interrompe ni la relation de travail de la femme concernée ni l’application des droits y afférents et, d’autre part, ne saurait entraîner un traitement défavorable de cette dernière.

49
Or, le BAT‑O aurait pris comme seul point de référence à cet égard la législation nationale de la République fédérale d’Allemagne, tandis que le congé en question relève de la législation de l’ancienne RDA.

50
Il convient, dès lors, de s’interroger en dernier lieu sur la nature du congé effectivement pris par Mme Sass afin de vérifier si ce dernier peut être assimilé à une période de protection, telle que celle prévue par le MuSchG, destinée à assurer la protection de la femme ayant accouché.

51
Dans l’affirmative, ce congé aurait dû être pris en compte, lors du calcul de la période requise, de la même façon qu’une telle période de protection, à savoir en sa totalité. À défaut d’une telle prise en compte, Mme Sass aurait subi un traitement défavorable à cause de son absence pour congé de maternité et, partant, une discrimination fondée directement sur le sexe, au sens de la directive 76/207, en ce qu'elle atteindra la catégorie de rémunération supérieure seulement douze semaines après un collègue de sexe masculin ayant commencé son travail en ancienne RDA le même jour qu'elle.

52
À cet égard, il apparaît significatif qu’il découle des réponses du gouvernement allemand aux questions écrites de la Cour que les finalités, d’une part, du congé de maternité de huit semaines, prévu à l’article 6 du MuSchG, et, d’autre part, du congé de maternité de vingt semaines, prévu à l’article 244 de l’AGB-DDR et pris par Mme Sass, se recoupaient dans une large mesure. Selon ce gouvernement, chacun de ces deux régimes de congé visait au rétablissement physique de la mère après l’accouchement et à lui permettre de s’occuper personnellement de son enfant.

53
Ainsi que la Cour a déjà jugé à maintes reprises, l’objectif de la directive 76/207, et plus particulièrement de son article 2, paragraphe 3, est précisément cette double protection de la femme (voir, notamment, la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt).

54
Dès lors, il apparaît que le congé de maternité de vingt semaines, prévu à l’article 244 de l’AGB-DDR, poursuivait les mêmes objectifs et la même finalité que la période de protection de huit semaines, prévue à l’article 6 du MuSchG et, partant, ce congé de vingt semaines doit être considéré comme un congé légal destiné à la protection de la femme ayant accouché et doit également être imputé sur une période requise donnant accès à une catégorie de rémunération supérieure.

55
Cependant, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour d’interpréter la législation nationale, seul le juge national étant compétent pour ce faire. Or, en cas de violation de la directive 76/207 par des dispositions législatives introduisant une discrimination contraire à celle-ci, les juridictions nationales sont tenues d’écarter ladite discrimination, par tous les moyens possibles, et notamment en appliquant lesdites dispositions au bénéfice du groupe défavorisé (voir arrêts du 20 mars 2003, Kutz-Bauer, C‑187/00, Rec. p. I‑2741, point 75, et du 11 septembre 2003, Steinicke, C‑77/02, Rec. p. I‑9027, point 72).

56
Dans ces conditions, il incombe au juge national de vérifier, à la lumière des faits au principal, que le congé pris par Mme Sass et la période de protection visée par le BAT‑O soient assimilables entre eux, du point de vue de leurs objectifs et de leur finalité, afin de pouvoir imputer sur la période requise par cette dernière la totalité du congé légal pris en vertu de la législation de l’ancienne RDA.

57
Toutefois, il convient de préciser que, en examinant les objectifs et la finalité de chacun de ces deux régimes, ni la nature obligatoire du congé, ni la façon dont le travailleur féminin perçoit une rémunération au cours de celui-ci, ne saurait être un critère déterminant.

58
Dès lors, si le juge national parvient à la conclusion que le congé de maternité prévu à l'article 244 de l'AGB-DDR est un tel congé légal destiné à la protection de la femme ayant accouché, il conviendra d'imputer la totalité dudit congé sur la période requise à accomplir afin de pouvoir être classé dans une catégorie de rémunération supérieure pour éviter qu'une femme ayant pris ledit congé soit désavantagée, du fait de sa grossesse et de son congé de maternité, par rapport à un collègue de sexe masculin ayant commencé son travail en ancienne RDA le même jour qu'elle.

59
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 76/207 s’oppose à ce qu’une convention collective, telle que le BAT‑O, exclue de l’imputation sur une période requise la partie de la période pendant laquelle le travailleur féminin a bénéficié, conformément à la législation de l’ancienne RDA, d’un congé de maternité qui dépasse la période de protection, prévue par la législation de la République fédérale d’Allemagne, visée par ladite convention, dès lors que les objectifs et la finalité de chacun de ces deux congés répondent aux objectifs de protection de la femme en ce qui concerne la grossesse et la maternité, protection consacrée à l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont remplies.


Sur les dépens

60
La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre), dit pour droit:

La directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, s’oppose à ce qu’une convention collective, telle que le Bundes-Angestelltentarifvertrag-Ost (convention collective des agents contractuels du secteur public de l’Allemagne de l’Est), exclue de l’imputation sur une période requise la partie de la période pendant laquelle le travailleur féminin a bénéficié, conformément à la législation de l’ancienne République démocratique allemande, d’un congé de maternité qui dépasse la période de protection, prévue par la législation de la République fédérale d’Allemagne, visée par ladite convention, dès lors que les objectifs et la finalité de chacun de ces deux congés répondent aux objectifs de protection de la femme en ce qui concerne la grossesse et la maternité, protection consacrée à l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont remplies.

Signatures.


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Langue de procédure: l'allemand.