CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE. KOKOTT

présentées le 25 mai 2004 (1)

Affaire C-302/02

Nils Laurin Effing

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Prestations familiales – Octroi d’avances sur pension alimentaire à des enfants mineurs – Enfant de détenu – Conditions liées au séjour – Détenu purgeant sa peine dans un autre État membre»






I –    Introduction

1.     Par la présente demande de décision à titre préjudiciel, l’Oberster Gerichtshof (Autriche) soulève la question de savoir si, dans le cadre de l’octroi de prestations en faveur d’enfants de détenus, le fait d’opérer une distinction selon que la détention est purgée sur le territoire national ou dans un autre État membre est compatible avec l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité édictée par les dispositions combinées des articles 12 CE et 3 du règlement (CEE) nº 1408/71 (2). D’après le droit autrichien, une avance sur pension alimentaire est octroyée à un enfant lorsque le parent débiteur de la pension alimentaire purge une peine de prison en Autriche, mais non pas lorsque ce parent est transféré dans un autre État aux fins d’y purger sa peine de prison.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

2.     En vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71, ce dernier s’applique aux travailleurs salariés et aux travailleurs non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l’un ou de plusieurs des États membres et qui sont des ressortissants de l’un des États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.

3.     L’article 1er, sous a), i), du règlement nº 1408/71 définit le travailleur comme étant une personne qui est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d’un régime de sécurité sociale, s’appliquant aux travailleurs salariés.

4.     Le système juridique à appliquer est déterminé dans la présente affaire par l’article 13, paragraphe 2 :

«Sous réserve des dispositions des articles 14 à 17:

a)       le travailleur occupé sur le territoire d’un État membre est soumis à la législation de cet État […];

[…]

f)      la personne à laquelle la législation d’un État membre cesse d’être applicable, sans que la législation d’un autre État membre lui devienne applicable en conformité avec l’une des règles énoncées aux alinéas précédents ou avec l’une des exceptions ou règles particulières visées aux articles 14 à 17, est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, conformément aux dispositions de cette seule législation.»

5.     L’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71 règle le principe d’égalité de traitement dans le cadre du champ d’application du règlement. Des règles particulières relatives aux prestations familiales découlent notamment des articles 73 et 74.

6.     En vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) nº 1612/68 (3), un travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie sur le territoire des autres États membres des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

7.     En vertu de l’article 12 du règlement nº 1612/68, les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire.

B –     Convention sur le transfèrement des personnes condamnées

8.     En application de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées (4), les personnes condamnées peuvent être transférées avec leur consentement vers le territoire de leur pays d’origine pour y purger une peine de prison qui résulte d’une condamnation dans un autre État. Ce faisant, la peine de prison de l’État de condamnation peut être commuée en une peine de prison selon le droit de l’État d’exécution.

9.     Depuis son entrée en vigueur pour l’Irlande le 1er novembre 1995, la convention lie tous les États membres. Pour la république d’Autriche, elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1987, pour la République fédérale d’Allemagne le 1er février 1992. Entre-temps, les nouveaux États membres ont également ratifié la convention.

C –    Droit national

10.   L’Unterhaltsvorschussgesetz autrichien (loi relative à l’octroi d’avances pour l’entretien des enfants) prévoit que des avances sur pension alimentaire sont octroyées aux enfants mineurs lorsque le parent débiteur d’aliments ne satisfait pas à ses obligations d’entretien. En vertu, entre autres, de l’article 4, point 3, de cette loi, cela vaut notamment lorsque le débiteur d’aliments se voit privé de liberté sur le territoire national pendant une période de plus d’un mois en raison d’une décision judiciaire prise dans une procédure pénale et qu’il ne peut pour cette raison satisfaire à son obligation d’entretien.

11.   En vertu de l’article 29, paragraphe 1, de l’Unterhaltsvorschussgesetz, le débiteur d’aliments doit rembourser les avances octroyées en application de l’article 4, point 3, dans la mesure où des motifs d’équité semblent l’exiger compte tenu de sa situation salariale et patrimoniale, de ses obligations d’entretien et de la finalité de l’exécution de la peine et dans la mesure où cela n’affecte pas sa capacité économique à indemniser le préjudice.

12.   En Allemagne également, il existe un Unterhaltsvorschussgesetz (5). Les prestations sont limitées à un maximum de 72 mois jusqu’à la douzième année de l’enfant concerné. Il n’y a pas de règles particulières pour les détenus.

13.   Les détenus sont obligés de travailler tant en Autriche qu’en Allemagne.

III – Les faits et la question préjudicielle

14.   M. Nils Laurin Effing (ci-après le «fils»), né le 22 avril 1992, est le fils naturel du ressortissant allemand M. Ingo Effing (ci-après le «père»). Le fils est citoyen autrichien et vit à Vienne au foyer de sa mère qui en a la garde. Bien que la juridiction de renvoi parte de l’hypothèse que le père était travailleur, le gouvernement autrichien a fait savoir à la Cour de justice que ce dernier avait été couvert par la sécurité sociale en Autriche jusqu’au 30 juin 2001 en tant que commerçant. Le 7 juin 2000, il a été placé en détention préventive en Autriche et a été ensuite condamné à une peine de prison. À partir du 1er juin 2000, le fils s’est vu octroyer une avance mensuelle sur pension alimentaire en application de l’article 4, point 3, de l’Unterhaltsvorschussgesetz.

15.   Le père a purgé la peine privative de liberté à laquelle il avait été condamné tout d’abord en Autriche. D’après les informations fournies par le gouvernement autrichien, il était couvert par une assurance chômage. Le 19 décembre 2001, il a été transféré vers l’Allemagne pour y purger le reste de sa peine.

16.   D’après les renseignements fournis par le gouvernement allemand, sa peine de prison a été commuée en une peine de prison allemande en application de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la convention. Le gouvernement allemand a fait savoir que, au cours de son emprisonnement, pendant les mois de février à juillet 2002 ainsi que pendant les mois de septembre 2002 à mars 2003, il a travaillé contre rémunération. Des montants ont été déduits tout d’abord au titre de l’assurance chômage, ensuite également au titre de l’assurance maladie. Le 3 avril 2003, il a été libéré. Nous n’avons pas d’information quant à son emploi depuis cette date.

17.   Les autorités autrichiennes compétentes ont cessé de payer les avances sur pension alimentaire à la fin du mois de décembre 2001. Selon la jurisprudence constante des juridictions autrichiennes, les avances sur pension alimentaire due par un détenu débiteur d’aliments ne doivent être versées que si la peine est purgée en Autriche.

18.   Cependant, l’Oberster Gerichtshof pense qu’il est possible que cette application de la règle relative aux avances sur pension alimentaire due par les détenus constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité. En raison de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, les ressortissants d’autres États membres auront tendance à purger une éventuelle peine de prison dans un autre État membre. La nationalité (étrangère) serait donc régulièrement déterminante pour savoir si une personne débitrice d’aliments qui a été condamnée en Autriche purge sa peine privative de liberté dans son pays d’origne, c’est-à-dire à l’étranger. Elle serait donc aussi indirectement déterminante pour savoir si l’enfant de la personne condamnée créancier d’aliments peut faire valoir un droit à une avance en application de l’article 4, point 3, de l’Unterhaltsvorschussgesetz. Par conséquent, l’Oberster Gerichtshof saisit la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

«Les dispositions combinées des articles 12 et 3 du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition nationale qui désavantage des ressortissants de la Communauté percevant une avance sur pension alimentaire lorsque le père qui est débiteur de l’obligation d’entretien purge une peine de prison dans son pays d’origine et (non en Autriche) et l’enfant d’un ressortissant communautaire vivant en Autriche est-il discriminé du fait qu’une avance sur pension alimentaire ne lui est pas accordée, au motif que son père purge dans son pays d’origine (et non en Autriche) une peine privative de liberté à laquelle il a été condamné en Autriche ?»

IV – Appréciation en droit

A –    Sur le règlement nº 1408/71

1.      Arguments des parties

19.   En se fondant sur les arrêts Offermanns (6) et Humer (7), les parties partent du principe que les avances sur pension alimentaire sont des prestations familiales au sens de l’article 4, sous h), du règlement nº1408/71.

20.   De l’avis du gouvernement autrichien, le règlement nº 1408/71 ne serait toutefois pas applicable rationae personae, étant donné que les détenus ne seraient pas des travailleurs. Si la Cour de justice ne devait pas suivre cet avis, la république d’Autriche ne serait en tout cas pas compétente pour l’octroi de prestations familiales, mais bien la République fédérale d’Allemagne. En vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1408/71, ce serait le pays d’emploi qui serait déterminant. À titre subsidiaire, l’article 13, paragraphe 2, sous f), du règlement nº 1408/71 prévoirait d’appliquer la réglementation de l’État de résidence. De plus, il ressortirait des articles 73 et 74 du règlement nº 1408/71 que le droit aux prestations familiales des membres de la famille des travailleurs ne se fonde pas sur le droit du lieu de résidence du membre de la famille, mais sur le droit du pays d’emploi du travailleur.

21.   De l’avis du gouvernement allemand, le père était un travailleur au sens du règlement nº 1408/71 après son transfert en Allemagne, étant donné que les détenus sont couverts par une assurance chômage tant qu’ils satisfont à leur obligation de travail en prison. Pour la période de son emprisonnement en Autriche également, il y aurait des indices militant en faveur de la qualité de travailleur, étant donné que la réglementation autrichienne en matière d’application des peines exigerait aussi que l’on tende vers la couverture sociale des détenus.

22.   Il ressortirait des dispositions combinées des articles 3, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71 et 12 CE une interdiction de discrimination fondée sur la nationalité. Ces dispositions seraient applicables au cas d’espèce, étant donné que l’on serait en présence d’un rapport transfrontalier. Le critère du lieu d’emprisonnement constituerait une discrimination indirecte, étant donné que l’on recourt régulièrement à la possibilité de transférer des ressortissants d’autres États membres. Cette discrimination ne serait pas non plus justifiée par des considérations objectives, indépendantes de la nationalité. La fiction d’une contrepartie par le travail du détenu ne serait pas applicable en l’espèce, étant donné que l’avance sur pension alimentaire est octroyée dans d’autres circonstances, indépendamment de l’existence d’une contrepartie, dans l’intérêt de la personne créancière d’aliments. L’arrêt Mora Romero (8) militerait également à l’encontre d’une justification, étant donné que, dans cette affaire, la Cour de justice aurait exigé de prendre en considération les périodes de service militaire accomplies à l’étranger pour l’octroi d’une rente d’orphelin. En soutenant l’idée que le lieu de résidence de l’ayant droit ne devrait faire aucune différence pour l’octroi d’aides familiales, le gouvernement allemand affirme que le lieu d’emprisonnement devrait également ne pas importer au cas où l’emprisonnement se poursuit. Enfin, en vertu de l’arrêt Humer, le fils pourrait aussi invoquer indirectement l’interdiction de discrimination, en faisant abstraction de son père.

23.   De l’avis de la Commission également, l’application du règlement nº 1408/71 dans la présente affaire aboutirait à l’octroi d’avances sur pension alimentaire. À cet égard, elle fait observer, en particulier, que le père doit être considéré comme un travailleur du fait qu’il était couvert par une assurance chômage au cours de sa période d’emprisonnement en Allemagne et que, par conséquent, le fils doit être reconnu comme un membre de la famille d’un travailleur. En ce qui concerne la réglementation applicable, il faudrait se placer du point de vue du fils, étant donné que les dispositions de l’Unterhaltsvorschussgesetz autrichien s’appliqueraient de façon discriminatoire dans son chef. Cette discrimination serait indirectement fondée sur la nationalité, étant donné que, de manière typique, les étrangers seraient transférés à l’étranger aux fins d’y purger des peines de prison et que leurs enfants ne percevraient plus d’avances sur pension alimentaire. Ne s’opposerait pas non plus à cette solution le fait que, le cas échéant, des droits naîtraient dans le même temps vis-à-vis de la République fédérale d’Allemagne. Pour cette hypothèse, le règlement nº 1408/71 prévoirait en effet des règles anti-cumul, notamment l’article 76, qui entraîne la suspension du droit allemand.

2.      Prise de position

24.   L’application de l’interdiction d’une différence de traitement fondée sur la nationalité édictée par l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71 suppose en premier lieu que le règlement est applicable rationae personae et que le droit autrichien est applicable.

a)      Sur l’applicabilité rationae personae du règlement nº 1408/71

25.   En vertu de l’article 2 du règlement nº 1408/71, ce dernier est applicable rationae personae lorsque le fils doit être considéré comme un membre de la famille d’un travailleur salarié ou d’un travailleur non salarié (9). Dans la présente affaire, nous ne savons rien de la situation de la mère. Par conséquent, il faut examiner si le père peut être considéré comme un travailleur.

26.   La notion de travailleur du règlement nº 1408/71 n’est pas identique à celle du règlement nº 1612/68 et de l’article 39 CE (10). Dans le cadre de l’article 39 CE et du règlement nº 1612/68, doit être considérée comme un travailleur la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (11). En revanche, l’article 1er, sous a), i), du règlement nº 1408/71 définit le travailleur comme une personne qui est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d’un régime de sécurité sociale, s’appliquant aux travailleurs salariés.

27.   Le gouvernement allemand et la Commission considèrent à juste titre que le père est un travailleur, étant donné que – d’après les renseignements communiqués par le gouvernement allemand – au cours de la majeure partie de son emprisonnement en Allemagne, il a été couvert par une assurance chômage. Certes, le gouvernement autrichien doute que les détenus puissent être des travailleurs au sens du règlement nº 1408/71, toutefois cette opinion contredit la définition claire de l’article 1er,  sous a), i), du règlement nº 1408/71. Le renvoi par cette disposition au statut du point de vue de l’assurance est également justifié, étant donné que le règlement nº 1408/71 a pour objet en premier lieu la coordination des régimes de sécurité sociale des États membres. Un régime de coordination conséquent doit également viser les droits acquis au cours de l’emprisonnement.

28.   L’application du règlement nº 1408/71 n’est pas non plus exclue par le fait que le père, en tant que détenu, ne peut pas exercer son droit à la libre circulation. Selon une jurisprudence constante, le règlement nº 1408/71 s’applique à tout travailleur, au sens de son article 1er, ayant la nationalité d’un État membre, placé dans l’une des situations à caractère international prévues par ledit règlement, ainsi qu’aux membres de sa famille (12). Dans la présente affaire, le nécessaire rapport transfrontalier découle déjà de la circonstance que le père et le fils se trouvent dans des États membres différents (13).

29.   Par conséquent, au cours de son emprisonnement, le père était un travailleur au sens du règlement nº 1408/71, étant donné qu’il émargeait à une assurance contre le chômage. D’éventuelles brèves interruptions de la période d’assurance, par exemple pour les mois de janvier et d’août 2002, ne sont pas susceptibles de remettre en cause le statut de travailleur, étant donné que, d’un point de vue qualitatif, elles sont assimilables à des périodes de vacances et de maladie.

b)      Sur le droit applicable

30.   Il est toutefois douteux que l’Unterhaltsvorschussgesetz autrichien soit applicable au fils d’un travailleur employé en Allemagne et que ce ne soit pas plutôt l’Unterhaltsvorschussgesetz allemand qu’il conviendrait d’appliquer. Le droit applicable est déterminé par les règles de conflit de lois des articles 13 et suivants du règlement nº 1408/71. Si le droit applicable au fils découlait de sa propre situation, ce serait le droit autrichien qui lui serait applicable – ainsi que le soutient la Commission – en vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous f), étant donné qu’il vit en Autriche et qu’aucune autre règle de conflit de lois ne lui est applicable. Si, toutefois, le droit applicable devait être déterminé selon la situation du père – ainsi que le soutient le gouvernement autrichien –, ce serait le droit allemand qui trouverait à s’appliquer, étant donné que le père travaillait en Allemagne depuis février 2002 et que, à tout le moins, il vivait en Allemagne en janvier 2002.

31.   La jurisprudence comporte des éléments allant dans le sens d’une application du droit découlant de la situation du père. Dans l’arrêt Humer (14), la Cour de justice a déclaré que, sur la base du règlement nº 1408/71, la fille résidant en France pouvait demander des avances en application de l’Unterhaltsvorschussgesetz autrichien sur la base de la créance d’aliments qu’elle avait vis-à-vis du père travaillant en Autriche, qui est devenu ensuite chômeur. Si c’était la personne de la fille qui avait été déterminante, ce serait le droit français qui aurait trouvé à s’appliquer. Dans l’arrêt Hoever et Zachow (15), la Cour de justice a reconnu aux épouses vivant aux Pays-Bas de travailleurs employés en Allemagne un droit à des prestations familiales allemandes. Cela n’aurait pas été possible si le droit néerlandais avait été applicable.

32.   En principe, un rattachement aux travailleurs soumis à l’assurance obligatoire est aussi objectivement justifié dans le cadre du règlement nº 1408/71. La majeure partie des prestations sociales visées se fonde en effet sur les régimes d’assurance.

33.   Par conséquent, dans les considérations qui suivent, il faut partir de l’hypothèse que, en principe, trouve à s’appliquer le droit de l’État membre dans lequel le travailleur salarié ou le travailleur non salarié qui fonde l’application du règlement nº 1408/71 travaille. Tout rattachement, de quelque type que ce soit, au lieu de résidence du fils aurait pour conséquence, dans la présente affaire, qu’il faudrait appliquer les réglementations de deux États membres – outre le droit du pays d’emploi du père, également le droit du pays de résidence du fils.

34.   Toutefois, la règle fondamentale édictée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71, selon laquelle toute personne ne doit relever des règles que d’un seul État membre, s’oppose à un rattachement au droit de deux États membres. À ce sujet, dans une jurisprudence constante, la Cour de justice défend l’opinion selon laquelle les dispositions du titre II du règlement nº 1408/71, dont fait partie l’article 13, constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de lois. Ces dispositions doivent éviter, entre autres, l’application simultanée des dispositions juridiques de plusieurs États membres ainsi que les difficultés qui pourraient en découler (16). Un tel rattachement double serait donc incompatible avec les objectifs de l’article 13 du règlement nº 1408/71. Par conséquent, il est logique, lorsqu’on détermine les droits des membres de la famille, de n’appliquer que le droit qui vaut pour l’ayant droit originel – en l’espèce, le père.

35.   Cependant, la Commission indique que, dans la présente affaire, tant le droit autrichien que le droit allemand devraient trouver à s’appliquer. À cet égard, elle se réfère à l’article 76 du règlement nº 1408/71, qui règle le cumul des droits aux prestations familiales. Cette disposition serait superflue si, sur la base des règles de conflit de lois, seul un ordre juridique trouverait toujours à s’appliquer.

36.   L’arrêt McMenamin (17) semble confirmer la thèse de l’applicabilité de deux ordres juridiques, du moins en ce qui concerne les prestations familiales. Cette affaire concernait des prestations familiales au profit d’une travailleuse qui travaillait en Irlande du Nord et qui habitait en Irlande. Elle percevait déjà des prestations de la part de l’Irlande et réclamait des prestations complémentaires en vertu du droit britannique. Sur la base de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1408/71, seul le droit britannique aurait trouvé à s’appliquer dans cette affaire. La Cour de justice a toutefois souligné que le principe de l’article 13, selon lequel un travailleur était soumis uniquement aux dispositions de l’État d’emploi, n’exclut pas que, pour des prestations particulières, certaines dispositions de ce règlement s’appliquaient. Elle en a déduit que les dispositions anti-cumul des articles 76 du règlement nº 1408/71 et 10 du règlement (CEE) nº 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71 (JO L 74, p. 1 étaient applicables) (18).

37.   Par conséquent, dans l’affaire McMenamin, le renvoi à un ordre juridique déterminé en application des règles de conflit de lois du règlement nº 1408/71 n’a pas eu pour conséquence d’éviter l’application des dispositions d’un autre ordre juridique. Cela ne constitue toutefois pas une annulation des règles de conflit de lois. La Cour de justice s’est plutôt contentée de reconnaître que, indépendamment du règlement nº 1408/71, l’État de résidence pouvait octroyer des prestations dont il fallait tenir compte dans le cadre des dispositions anti-cumul. En revanche, les règles anti-cumul et l’arrêt McMenamin n’entraînent pas de conséquences juridiques pour le droit applicable sur la base des règles de conflit de lois du règlement nº 1408/71. Par conséquent, il faut toujours se référer exclusivement au droit allemand.

38.   De même, l’opinion de la Commission selon laquelle il faut se placer du point de vue du fils, puisque les dispositions de l’Unterhaltsvorschussgesetz autrichien auraient des effets indirectement discriminatoires dans son chef est erronée. Le droit à appliquer ne peut pas découler d’éventuelles conséquences juridiques dans un cas particulier, étant donné que l’existence de conséquences juridiques suppose que les dispositions correspondantes soient applicables. Cela apparaît notamment dans l’interdiction de discrimination. Une discrimination n’est possible que si l’autorité publique traite différemment deux situations analogues, ou si elle soumet au même traitement des situations différentes. Si toutefois la république d’Autriche n’est pas compétente, du point de vue du droit social, pour le fils, ce dernier ne subit pas non plus une discrimination de la part de la république d’Autriche.

39.   Par conséquent, ce n’est pas le droit autrichien, mais le droit allemand qui doit s’appliquer (19), si, sur la base du règlement nº 1408/71, on réclame des prestations familiales qui sont fondées sur la personne du père.

c)      Conclusion intermédiaire

40.   Dans la mesure où la demande de décision à titre préjudiciel vise le règlement nº 1408/71, il convient de répondre en ce sens que l’article 3 ne s’oppose pas à une disposition nationale qui exclut les citoyens communautaires créanciers d’aliments du bénéfice d’une avance sur pension alimentaire, lorsque le père débiteur d’aliments purge une peine de prison non pas dans l’État dans lequel il a travaillé avant l’emprisonnement, mais dans son pays d’origine.

B –    Sur le règlement nº 1612/68

1.      Sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68

a)      Arguments de la Commission

41.   La Commission propose de reformuler la question préjudicielle pour pouvoir examiner une violation de l’interdiction de discrimination édictée par les dispositions combinées des articles 39 CE et 7 du règlement nº 1612/68.

42.   Elle se réfère à l’arrêt Nazli (20) pour démontrer qu’un emprisonnement temporaire n’entraîne pas la perte de la qualité de travailleur dans le chef du père, au sens des dispositions combinées des articles 39 CE et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68. Le fils pourrait également invoquer l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68. L’avance sur pension alimentaire serait un avantage social au sens de cette disposition. Étant donné que le transfert n’entre en ligne de compte que pour des détenus qui ne sont pas de nationalité autrichienne, il y aurait une discrimination indirecte. L’objection relative à la contrepartie du détenu qui travaille ne serait qu’une considération purement fiscale, qui ne saurait justifier la discrimination.

43.   Les autres parties n’ont pas présenté d’observations sur le règlement nº 1612/68.

b)      Prise de position

44.   Certes, l’ordonnance de renvoi ne mentionne pas le règlement nº 1612/68. Toutefois, étant donné que la Cour de justice s’efforce de fournir à la juridiction de renvoi toutes les indications nécessaires pour que cette dernière puisse statuer dans le litige au principal conformément au droit communautaire (21), cette suggestion de la Commission mérite un examen plus détaillé.

45.   En vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68, un travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Ce principe d’égalité de traitement interdit toute discrimination manifeste ou déguisée fondée sur la nationalité lors de l’octroi desdits avantages.

46.   L’application de cette interdiction de discrimination suppose qu’un travailleur travaille dans un autre État membre. À cet égard, seule la personne du père entre en ligne de compte. Or, à l’époque litigieuse, le père ne se trouvait plus dans l’État d’accueil, l’Autriche, mais dans son pays d’origine, l’Allemagne.

47.   De plus, il est douteux que le père, en tant que détenu, était un travailleur. Dans le cas du règlement nº 1612/68, s’applique – à l’inverse du règlement nº 1408/71 – la définition générale du travailleur au sens de l’article 39 CE, qui ne se rattache pas à la qualité d’assuré. D’après cette disposition doit être considérée comme un travailleur la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (22).

48.   Les détenus des prisons allemandes accomplissent, il est vrai, en principe des prestations sous la direction d’une personne et obtiennent une rémunération réduite en contrepartie, le statut de détenu est néanmoins incompatible avec la notion de libre circulation des travailleurs. La libre circulation matérialise la liberté pour un particulier d’exercer l’activité de son choix au lieu de son choix. Les détenus sont en toute hypothèse limités quant au lieu de leur activité et, en pratique, la plupart du temps aussi quant au type d’activité. De plus, la Cour de justice a déjà rejeté la qualité de travailleur lorsqu’il était question d’activités dans le cadre d’un emploi en vue d’obtenir, de récupérer ou de favoriser une aptitude au travail de personnes qui, pour une durée indéterminée, n’étaient pas en mesure, en raison de circonstances qui tiennent à leur état, de travailler dans des conditions normales (23). À cet égard, ce qui était déterminant pour la Cour de justice, c’était que ces activités ne pouvaient être considérées comme effectives et réellement économiques, étant donné qu’elles n’étaient qu’un moyen de réhabilitation ou de réintégration du travailleur dans la vie professionnelle. L’emploi des détenus a une fonction comparable de resocialisation (24). Par conséquent, il ne fallait pas considérer le père, au cours de son emprisonnement, comme un travailleur au sens du règlement nº 1612/68.

49.   Étant donné qu’une application directe de l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 est exclue, seul un éventuel statut de travailleur antérieur du père en Autriche pourrait constituer un point de rattachement pour l’application de cette interdiction de discrimination.

50.   Selon la jurisprudence, une fois que la relation de travail a pris fin, l’intéressé perd en principe la qualité de travailleur, étant entendu cependant que cette qualité peut produire certains effets après la cessation de la relation de travail (25), effets qui, pour l’essentiel, sont exposés dans l’arrêt Lair (26). Ils concernent les conditions de séjour dans l’État d’emploi après la cessation de la relation de travail en raison de l’âge, d’une incapacité de travail ou en cas d’emploi dans un autre État membre (27). En cas de chômage, il existe également un droit de séjour (28) ainsi qu’une interdiction de discrimination par rapport à la main-d’œuvre nationale en ce qui  concerne la réintégration professionnelle ou le réemploi (29) et l’accès aux écoles professionnelles ou aux centres de réadaptation ou de rééducation (30). En outre, dans l’arrêt Lair, la Cour de justice a également étendu l’interdiction de discrimination relative aux avantages sociaux généraux à la poursuite d’une activité professionnelle grâce à des études supérieures (31).

51.   Aucun de ces cas relatifs à l’effet du statut de travailleur ne concerne toutefois les avances sur pension alimentaire octroyées aux membres de la famille d’un détenu. Nous ne sommes pas en présence d’un cas de départ à la retraite, et ni le droit de séjour ni la réinsertion professionnelle ne sont en cause. À la différence de l’affaire Lair, la situation d’un détenu n’est pas non plus caractérisée en règle générale (32) par une continuité avec la relation de travail antérieure, mais plutôt par une rupture.

52.   La Commission suggère une autre forme d’effet découlant d’une relation de travail antérieure. De manière analogue à l’affaire Nazli (33), la détention devrait être considérée comme une simple suspension temporaire d’une activité en tant que travailleur migrant, qui ne justifierait pas de suspendre les droits du travailleur migrant et des membres de sa famille. Dans cette affaire, il était question du droit d’un travailleur turc, après une certaine période d’emploi, d’obtenir un accès libre à tout emploi salarié ou non salarié et, par conséquent, d’obtenir une position stable du point de vue du droit de séjour. À cet effet, la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, prévoit comme condition l’appartenance continue au marché régulier du travail de l’État d’emploi. Dans cette affaire, la Cour de justice est partie de l’hypothèse que le travailleur n’était plus disponible pour le marché du travail au cours d’une détention préventive provisoire. Elle a toutefois considéré que cela était sans importance pour autant que cette circonstance restait temporaire (34).

53.   Cette affaire n’est toutefois guère comparable à la situation de l’espèce. L’affaire Nazli ne concernait pas les droits sociaux des travailleurs, mais plutôt le droit de séjour et l’accès au marché du travail. De plus, M. Nazli n’était pas en prison, mais en détention préventive. Ne serait-ce qu’en raison de la présomption d’innocence, une détention préventive doit être considérée comme une suspension temporaire d’une activité professionnelle. En revanche, l’emprisonnement a un effet beaucoup plus radical, en toute hypothèse lorsque sa durée est telle qu’elle exclut le maintien d’une relation de travail.

54.   Par conséquent, il convient de constater que, dans le chef du père, il n’y a pas une relation de travail actuelle ou antérieure en Autriche qui entraînerait l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68.

2.      Sur l’article 12 du règlement nº 1612/68

55.   L’application de l’interdiction de discrimination visée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 pourrait toutefois découler indirectement de la circonstance que le fils poursuit vraisemblablement une forme de scolarité, ce dont, jusqu’à ce jour, ni l’Oberster Gerichtshof ni les parties n’ont tenu compte dans leurs considérations. D’après l’article 12 du règlement nº 1612/68, les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire. Bien que cette disposition semble viser en premier lieu uniquement l’accès à l’enseignement, la Cour de justice l’a développée en un droit propre des enfants des travailleurs migrants, alors qu’une scolarité dans l’État d’accueil doit être traitée de la même manière que celle des enfants des ressortissants de cet État lorsqu’on invoque des avantages sociaux. Étant donné qu’il s’agit d’un droit propre de l’enfant et non pas d’un droit du travailleur au profit de son enfant, il n’y a pas non plus de contradiction avec l’idée fondamentale des règles de conflit de lois des articles 13 et suivants du règlement nº 1408/71, selon laquelle, en principe, seules les dispositions d’un État s’appliquent.

56.   La Cour de justice fonde sa jurisprudence relative à l’article 12 du règlement nº 1612/68 sur la considération que l’objectif du règlement n° 1612/68, à savoir la libre circulation des travailleurs, exige, pour que celle-ci soit assurée dans le respect de la liberté et de la dignité, des conditions optimales d’intégration de la famille du travailleur communautaire dans le milieu de l’État membre d’accueil (35). Par conséquent, la règle figurant à l’article 12 du règlement nº 1612/68 n’est pas limitée strictement à l’accès à l’enseignement, mais s’étend à toutes les mesures qui doivent faciliter la participation à l’enseignement, également dans la mesure où elles visent à subvenir aux besoins (36). Dans l’arrêt Baumbast et R, la Cour de justice a même déduit les droits de séjour des parents des droits des enfants à suivre un enseignement (37).

57.   Dans la présente affaire, ce qui est plus intéressant c’est que, dans l’arrêt Echternach et Moritz, la Cour de justice a étendu l’interdiction de discrimination prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 aux enfants des travailleurs migrants qui, en application de l’article 12 de ce règlement, entreprenaient une scolarité dans l’État d’accueil, étant donné que toute autre interprétation de cette disposition serait souvent totalement dénuée d’effet (38). Par conséquent, ces enfants bénéficient dans l’État d’accueil, en vertu de leur propre droit, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les enfants de travailleurs nationaux.

58.   Aux fins de l’application au cas d’espèce, il conviendrait tout d’abord d’examiner si le fils peut être considéré comme le fils d’un travailleur migrant au sens de l’article 12 du règlement nº 1612/68. Étant donné que l’article 12 du règlement nº 1612/68 avantage également les enfants de l’ancien travailleur migrant, il importe peu que le travailleur migrant, au moment de la mise en oeuvre de cette disposition par l’enfant, se trouve encore dans l’État d’accueil ou soit encore travailleur (39). De même, les conditions de l’article 10 ne doivent pas continuer à être remplies. Cette disposition définit le groupe de personnes qui peut vivre auprès du travailleur dans l’État d’accueil en tant que membres de sa famille. Elle exige notamment que les personnes concernées soient à charge du travailleur. Les droits découlant de l’article 12 du règlement nº 1612/68 dépendent toutefois uniquement de la circonstance qu’une telle situation a existé une fois dans le passé. Ils ne dépendent pas de la situation présente (40). Par conséquent, il suffit que l’enfant ait vécu avec ses parents ou avec un de ses parents dans un État membre à l’époque où au moins un de ses parents y résidait en qualité de travailleur (41). Toutefois, ces constatations doivent être faites par la juridiction de renvoi, étant donné que la Cour de justice ne dispose pas d’informations suffisantes, que ce soit sur la cohabitation de l’enfant et de son père ou sur la qualité de travailleur que le père avait auparavant en Autriche (42).

59.   En revanche, dans la présente affaire, la Cour de justice peut examiner si une avance sur pension alimentaire est un avantage social au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 et si, le cas échéant, un refus est compatible avec cette disposition.

60.   On conçoit la définition de l’avantage social de façon large. D’après l’arrêt Lair, elle inclut tout avantage garantissant au travailleur migrant, aux termes du troisième considérant du règlement, la possibilité d’améliorer ses conditions de vie et de travail et de faciliter sa promotion sociale (43). En font partie tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison, principalement, de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres États membres apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l’intérieur de la Communauté (44).

61.   La Cour de justice en a notamment conclu qu’une aide garantissant un minimum d’existence (45), certaines prestations de soutien pour l’entretien des étudiants (46) ou même l’allocation d’éducation allemande(47), une prestation familiale au sens du règlement n° 1408/71 (48) doivent être considérées comme étant des avantages sociaux.

62.   L’avance sur pension alimentaire est sans aucun doute un avantage pour la personne à charge, étant donné que cette dernière perçoit une pension alimentaire même si le débiteur d’aliments ne satisfait pas à ses obligations. Il existe également une concordance fonctionnelle avec les prestations en vue de couvrir les besoins, que la Cour de justice a déjà reconnues. Ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, l’avance sur pension alimentaire doit donc également être considérée comme un avantage social.

63.   Par conséquent, il convient d’examiner si la distinction selon le lieu d’emprisonnement du débiteur d’aliments est compatible avec l’interdiction de discrimination édictée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68. Cette distinction ne se rattache pas directement à la nationalité. Toutefois, le principe d’égalité de traitement édicté à l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 ne vise pas uniquement les discriminations ostensibles des ayants droit fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (49).

64.   Dans l’arrêt O’Flynn, la Cour de justice a défini la discrimination indirecte comme suit : 

«[…] [D]oivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions du droit national qui, bien qu’indistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement […] ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants […], ainsi que les conditions […] qui risquent de jouer, en particulier, au détriment des travailleurs migrants […]. Il n’en va autrement que si ces dispositions sont justifiées par des considérations objectives, indépendantes de la nationalité des travailleurs concernés, et que si elles sont proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national […]» (50).

65.   Le critère déterminant pour refuser l’avance sur pension alimentaire résulte, dans la présente affaire, de la nationalité du père. Seuls les ressortissants étrangers condamnés peuvent en effet purger en dehors de l’Autriche une peine d’emprisonnement prononcée en Autriche. À cela s’ajoute le fait que, à l’inverse, les ressortissants autrichiens condamnés dans un autre État membre peuvent être transférés en Autriche en application de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées. Dans cette hypothèse, leurs enfants peuvent bénéficier de l’avance sur pension alimentaire. Par conséquent, le refus de l’avance sur pension alimentaire au cas où la peine d’emprisonnement est purgée en dehors de l’Autriche désavantage particulièrement les citoyens ressortissants d’autres États membres.

66.   Cette inégalité de traitement ne saurait être justifiée par la fiction d’un rapport entre la prestation sous la forme du travail du détenu et la contrepartie sous la forme de l’avance sur pension alimentaire. À cet égard, le gouvernement allemand se réfère à juste titre à l’arrêt Mora Romero, dans lequel la Cour de justice avait rejeté un argument correspondant. Dans cette affaire, il était question de l’octroi d’une rente d’orphelin qui avait été prolongée pendant la période de service militaire accomplie dans l’État membre qui la versait, mais non pas pendant les périodes de service militaire accomplies dans d’autres États membres. La Cour de justice a vu dans cette différence une discrimination illégale fondée sur la nationalité, qui ne pouvait être justifiée par un éventuel caractère indemnitaire de la prolongation de la prestation (51).

67.   Dans la présente affaire, le rapport entre la prestation de travail et l’avance sur pension alimentaire est encore plus ténu. L’avance sur pension alimentaire vise avant tout l’entretien de la famille et, notamment, de l’enfant. La contrepartie première est le droit de l’État autrichien, vis-à-vis du débiteur d’aliments, au remboursement de l’avance en application de l’article 29 de l’Unterhaltsvorschussgesetz. En revanche, la valeur de la prestation de travail du détenu pourrait déjà être entièrement absorbée par les coûts de sa détention (52), qui, si la peine est purgée à l’étranger, ne grèvent plus le budget autrichien.

68.   Il semblerait toutefois objectivement justifié, lors de l’octroi d’avances sur pension alimentaire, de tenir compte d’éventuelles prestations similaires que le fils percevrait de l’Allemagne, en application du règlement nº 1408/71, en raison du travail de son père. Dans cette mesure, les dispositions anti-cumul, prévues aux articles 76 du règlement nº 1408/71 ou 10, paragraphe 1, sous a), i), du règlement nº 574/72 (53), devraient trouver à s’appliquer et attribuer, indépendamment d’autres circonstances, la responsabilité première pour l’octroi de prestations soit à la république d’Autriche, soit à la République fédérale d’Allemagne, l’autre État devant octroyer des prestations complémentaires si le montant de ses prestations est supérieur aux prestations de l’État responsable en premier lieu (54).

69.   En résumé, il convient de constater que les dispositions combinées des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 s’opposent à une disposition qui refuse une avance sur pension alimentaire à l’enfant d’un travailleur migrant débiteur d’aliments si ce dernier purge une peine de prison non pas dans l’État qui octroie cette prestation, mais dans son pays d’origine à condition que :

–       l’enfant poursuive des cours d’enseignement général, d’apprentissage ou de formation professionnelle dans l’État qui accorde cette prestation, et que

–       cet enfant vivait avec ses parents, ou avec un de ses parents, dans l’État membre qui octroie cette prestation au cours de la période pendant laquelle au moins un des parents y vivait en tant que travailleur.

C –    Sur l’article 12 CE

70.   L’article 12 CE interdit les discriminations exercées en raison de la nationalité, sous réserve de certaines dispositions du traité. Dans la réserve relative à certaines dispositions, qui vise également la concrétisation, par des dispositions du droit dérivé, de certaines interdictions de discrimination prévues par le traité (55), est exprimé le principe de spécialité. On peut répondre aux questions préjudicielles déjà sur la base des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de prendre également position sur l’article 12 CE.

D –    Sur le droit à être entendu des parties à la procédure

71.   Enfin, il convient de faire observer que les présentes considérations relatives aux dispositions combinées des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 pourraient être considérées comme un argument qui n’a pas été débattu par les parties à la procédure. Par conséquent, il convient d’examiner si le principe du contradictoire exige de rouvrir la procédure orale en application de l’article 61 du règlement de procédure.

72.   D’après la définition de la Cour de justice, la finalité du principe du contradictoire est d’éviter que la Cour puisse être influencée par des arguments qui n’auraient pu être discutés par les parties (56). Ce faisant, on cherche à éviter une décision surprise.

73.   Certes, jusqu’à ce jour, aucune des parties à la procédure n’a vu la possibilité d’appliquer les dispositions combinées des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68, mais il ne leur était pas impossible de présenter des observations sur cette solution. Elle ressort en effet des dispositions d’un règlement – qui plus est utilisé par la Commission – ainsi que de la jurisprudence établie. Aucun nouvel élément juridique ne vient s’ajouter. Par conséquent, les parties à la procédure auraient pu reconnaître la pertinence des dispositions combinées des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 pour la présente affaire et auraient pu présenter des observations à ce sujet. Pour ces motifs, on peut défendre la solution de renoncer à la réouverture de la procédure orale.

V –    Conclusion

74.   Par conséquent, nous proposons à la Cour de justice de répondre comme suit à la demande de décision à titre préjudiciel :

«1)      L’article 3 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, ne s’oppose pas à une disposition nationale qui exclut les citoyens communautaires créanciers d’aliments du bénéfice d’une avance sur pension alimentaire, lorsque le père débiteur d’aliments purge une peine de prison non pas dans l’État dans lequel il a travaillé avant l’emprisonnement, mais dans son pays d’origine.

2)      Les dispositions combinées des articles 12 et 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, s’opposent à une disposition qui refuse une avance sur pension alimentaire à l’enfant d’un travailleur migrant débiteur d’aliments si ce dernier purge une peine de prison non pas dans l’État qui octroie cette prestation, mais dans son pays d’origine à condition que :

–       l’enfant poursuive des cours d’enseignement général, d’apprentissage ou de formation professionnelle dans l’État qui accorde cette prestation, et que

–       cet enfant vivait avec ses parents, ou avec un de ses parents, dans l’État membre qui octroie cette prestation au cours de la période pendant laquelle au moins un des parents y vivait en tant que travailleur.


1 – Langue originale: l'allemand.


2  – Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1386/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2001 (JO L 187, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»).


3  – Règlement du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 2434/92 du Conseil, du 27 juillet 1992 (JO L 245, p. 1, ci-après le «règlement n° 1612/68»).


4  – Strasbourg, le 21 mars 1983, STE n° 112.


5  – Nouvelle version dans la publication du 2 janvier 2002, BGBl.2002, p. 615.


6  – Arrêt du 15 mars 2001 (C-85/99, Rec. p. I-2261).


7  – Arrêt du 5 février 2002 (C-255/99, Rec. p. I-1205).


8  – Arrêt du 25 juin 1997 (C-131/96, Rec. p. I-3659).


9  – Arrêt Humer (précité à la note 7, point 35).


10  – Arrêt du 12 mai 1998, Martínez Sala (C-85/96, Rec. p. I-2691, point 31).


11  – Arrêt Martínez Sala (précité à la note 10, point 32).


12  – Arrêt du 11 octobre 2001, Khalil e.a. (C-95/99 à C-98/99 et C-180/99, Rec. p. I-7413, point 55) ; voir également, en ce qui concerne l'ancien règlement nº 3 du Conseil, concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO 1958, 30, p 561), l'arrêt du 12 novembre 1969, Compagnie belge d'assurances générales sur la vie et contre les accidents (27/69, Rec. p. 405, point 4).


13  – Dans le même sens, voir la situation dans les arrêts du 16 mars 1978, Laumann (115/77, Rec. p. 805, point 5); du 5 mars 1998, Kulzer (C-194/96, Rec. p. I-895, point 30), et Humer (précité à la note 7, point 48).


14  – Précité à la note 7.


15  – Arrêt du 10 octobre 1996 (C-245/94 et C-312/94, Rec. p. I-4895).


16  – C'est ce que souligne également l'arrêt du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 28).


17  – Arrêt du 9 décembre 1992 (C-119/91, Rec. p. I-6393).


18  – Arrêt McMenamin (précité à la note 17, points 14 et suiv.).


19  – Pour le cas de l'examen de droits invoqués sur la base de l’Unterhaltsvorschussgesetz allemand, nous faisons observer que les arrêts Offermans (précité à la note 6) et Humer (précité à la note 7) semblent permettre une application correspondant à cette prestation.


20  – Arrêt du 10 février 2000 (C-340/97, Rec. p. I-957).


21  – La Cour de justice a procédé à un examen du règlement n° 1612/68, par exemple, dans l'arrêt du 20 juin 1985, Deak (94/84, Rec. p. 1873, points 18 et suiv.); le règlement nº 1408/71 a été examiné dans l'arrêt Mora Romero (précité à la note 8, points 21 et suiv.), bien qu'il n’ait pas été mentionné dans la décision de renvoi.


22  – Arrêt Martínez Sala (précité à la note 10, point 32).


23  – Arrêt du 31 mai 1989, Bettray (344/87, Rec. p. 1621, points 17 et suiv.).


24  – Voir arrêt du Bundesverfassungsgericht, 2 BvR 441/90 du 1er juillet 1998, points 137 et suiv.


25  – Arrêt Martínez Sala (précité à la note 10, point 32).


26  – Arrêt du 21 juin 1988 (39/86, Rec. p. 3161, points 31 et suiv.). Voir, également, arrêts du 24 septembre 1998, Commission/France (C-35/97, Rec. p. I-5325, point 41), et du 6 novembre 2003, Ninni-Orasche (C-413/01, non encore publié au Recueil, point 34).


27  – Article 39, paragraphe 3, sous b), CE et règlement (CEE) n° 1251/70 de la Commission, du 29 juin 1970, relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d'un État membre après y avoir occupé un emploi (JO L 142, p. 24).


28  – Article 7 de la directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13).


29  – Article 7, paragraphe 1, du règlement nº 1612/68.


30  – Article 7, paragraphe 3, du règlement nº 1612/68.


31  – Précité à la note 26, points 37 et suiv.


32  – La poursuite d'une relation de travail ne semble toutefois pas être exclue à titre exceptionnel, lorsque le détenu exerce son ancienne activité également en prison selon les conditions du marché, par exemple sous la forme de la relation de travail libre prévue à l'article 39, paragraphe 1, du Strafvollzugsgesetz allemand.


33  – Arrêt précité à la note 20.


34  – Arrêt Nazli (précité à la note 20, points 41 et suiv.).


35  – Voir, par exemple, arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R. (C-413/99, Rec. p. I-7091, point 50) et du 3 juillet 1974, Casagrande (9/74, Rec. p. 773, points 3 et suivants).


36  – Voir, entre autres, les arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz (389/87 et 390/87, Rec. p. 723, points 32 et suiv.), et Casagrande (précité à la note 35, point 3).


37  – Arrêt précité à la note 35, points 68 et suiv.


38  – Arrêts Echternach et Moritz (précité à la note 36, point 34); du 13 novembre 1990, Di Leo (C-308/89, Rec. p. I-4185, points 14 et suiv.), et du 4 mai 1995, Gaal (C-7/94, Rec. p. I-1031, point 30).


39  – Arrêt Echternach et Moritz (précité à la note 36, points 20 et suiv.).


40  – Arrêt Gaal (précité à la note 38, points 20 et suiv.).


41  – Arrêts du 21 juin 1988, Brown (197/86, Rec. p. 3205, point 30), et Gaal (précité à la note 38, point 27).


42  – Si le père n'a jamais été un travailleur autrichien, en faveur de quoi pourrait militer une assurance en tant que commerçant, il faudrait examiner si la liberté d'établissement ou l'interdiction générale de discrimination fonde directement des droits comparables pour les enfants des travailleurs non salariés, tels que ceux qui découlent du règlement n° 1612/68 pour les enfants de travailleurs migrants.


43  – Arrêt précité à la note 26, point 20.


44  – Arrêts du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, Rec. p. 973, point 20), et Martínez Sala (précité à la note 10, point 25).


45  – Arrêt Hoeckx (précité à la note 44, point 22).


46  – Arrêts Lair (précité à la note 26, point 23), Echternach et Moritz (précité à la note 36, point 34), Di Leo (précité à la note 38, points 14 et suiv.) et Gaal (précité à la note 38, point 30).


47  – Arrêt Martínez Sala (précité à la note 10, point 26).


48  – Arrêt Hoever et Zachow (précité à la note 15, points 16 et suiv.).


49  – Arrêt du 23 mai 1996, O’Flynn (C-237/94, Rec. p. I-2617, point 17 et les autres références).


50  –      Arrêt précité à la note 49, points 18 et suiv.


51  – Arrêt Mora Romero (précité à la note 8, point 35).


52  – D’après Meyer S., «Die Tageshaftkosten der deutschen Strafvollzugsanstalten: Ein Überblick», Darmstadt Discussion Papers in Economics/Arbeitspapiere des Instituts für Volkswirtschaftslehre, Technische Universität Darmstadt, Nummer 121 (2003), les frais de détention journaliers en Allemagne se situent entre 61,09 euros par jour de détention en Bavière et 91,40 euros à Hambourg. Des chiffres correspondants doivent valoir pour l'Autriche.


53  – Tel que modifié par le règlement 1386/2001.


54  – Voir arrêt McMenamim (précité à la note 17).


55  – Arrêt Mora Romero (cité à la note 8, point 11).


56  – Ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar (C-17/98, Rec. p. I-665, point 18).