CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTONIO TIZZANO
présentées le 15 janvier 2004(1)



Affaire C-278/02



Herbert Handlbauer GmbH




[demande de décision préjudicielle formée par le Berufungssenat I der Region Linz bei der Finanzlandesdirektion für Oberösterreich remplacé, à compter du 1er janvier 2003, par l'Unabhängiger Finanzsenat Außenstelle Klagenfurt (Autriche)]

«Viande bovine – Restitutions à l'exportation – Délai de prescription – Acte interruptif de la prescription»






1.        Par ordonnance du 11 juillet 2002, le Berufungssenat I der Region Linz bei der Finanzlandesdirektion für Oberösterreich (première chambre d’appel de la région de Linz auprès de la direction des finances pour la Haute‑Autriche, ci‑après le «Berufungssenat I» ou la «première chambre d’appel») a soumis à la Cour, en vertu de l’article 234 CE, plusieurs questions préjudicielles portant sur l’interprétation du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes  (2) . En résumé, la première chambre d’appel a demandé si l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement est directement applicable dans les États membres et si le délai de quatre ans de prescription qu’il prévoit peut être interrompu par la notification d’un contrôle décidé, conformément au règlement (CEE) n° 4045/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif aux contrôles, par les États membres, des opérations faisant partie du système de financement par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, section «garantie», et abrogeant la directive 77/435/CEE, en raison de facteurs de risque d’irrégularité et, notamment, de la fréquence des actes portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés.

2.        Les questions soumises par le Berufungssenat I ont été maintenues par l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Klagenfurt (Autriche) (ci‑après l’«Unabhängiger Finanzsenat» ou la «chambre fiscale indépendante»), devenu, à compter du 1er janvier 2003, compétent pour trancher le litige au principal.

I –   Cadre juridique

A –   Réglementation communautaire

Le règlement (CEE) n° 3665/87 et les modifications ultérieures

3.        Comme on le sait, dans le cadre de la politique agricole commune, ont été instituées des organisations communes de marché qui incluent, entre autres, des mesures visant à la réglementation des prix des produits agricoles. Étant donné que les prix pratiqués sur le marché commun sont constamment supérieurs à ceux du marché mondial, pour permettre les exportations des produits agricoles d’origine communautaire vers des pays tiers, des subventions particulières aux exportateurs ont été prévues, dénommées «restitutions à l’exportation», destinées à couvrir la différence entre les prix communautaires et les prix mondiaux.

4.       À la date des faits litigieux, les modalités d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles étaient régies par le règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987  (3) .

5.        Afin de poursuivre les nombreuses irrégularités et fraudes au budget communautaire qui sont apparues dans l’application du régime précité, l’article 11 de ce règlement, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94  (4) , a prévu l’obligation de remboursement des restitutions indûment perçues ainsi que des sanctions de nature à amener les exportateurs à respecter les dispositions communautaires.

6.        Le règlement n° 3665/87 a été récemment abrogé par le règlement (CE) n° 800/1999 de la Commission  (5) , postérieur aux faits litigieux et non applicable à la présente espèce. Pour ce qui nous intéresse ici, il faut rappeler que ce règlement prévoit, pour le remboursement des restitutions à l’exportation indûment perçues, un délai de prescription de quatre ans qui court à partir de la notification au bénéficiaire de la décision définitive d’octroi de la restitution [article 52, paragraphe 4, premier alinéa, sous b)].

Le règlement n° 4045/89

7.        Toujours dans le but de prévenir et de constater les irrégularités et les fraudes, le règlement (CEE) n° 4045/89 du Conseil, du 21 décembre 1989  (6) , oblige les États membres à élaborer et à mettre en œuvre annuellement des programmes de contrôle sur un échantillon d’entreprises qui effectuent des opérations relevant du système de financement du Fonds européen agricole d’orientation et de garantie (ci‑après le «FEOGA»), section «garantie». Cet échantillon doit être sélectionné en fonction de l’importance des entreprises dans le cadre du système de financement du FEOGA et d’autres facteurs de risques d’irrégularités (article 2).

Le règlement n° 2988/95

8.        Bien que dans le cadre de plusieurs politiques, telles que la politique agricole commune, il existait déjà des dispositions aux fins de protéger les intérêts financiers des Communautés européennes et de combattre efficacement dans tous les domaines les atteintes à ces intérêts (troisième et quatrième considérants), le Conseil a approuvé le règlement n° 2988/95 qui contient «une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire» (article 1er, paragraphe 1).

9.        En vertu de l’article 1er, paragraphe 2:

«Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles‑ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.»

10.      Pour ce qui nous intéresse ici, il faut toutefois rappeler en particulier l’article 3 de ce règlement qui énonce:

       «1. Le délai de prescription des poursuites [ (7) ] est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s’étend en tout cas jusqu’à la clôture définitive du programme.

        La prescription des poursuites [ (8) ] est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif.

Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6 paragraphe 1.

2. Le délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative est de trois ans. Ce délai court à compter du jour où la décision devient définitive.

Les cas d’interruption et de suspension sont réglés par les dispositions pertinentes du droit national.

3. Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2.»

B –   Dispositions nationales

11.      Il ressort du dossier que l’Ausfuhrerstattungsgesetz  (9) (loi autrichienne sur les restitutions à l’exportation, ci‑après l’«AEG») ne prévoit pas directement un délai de prescription pour le remboursement des restitutions indûment perçues, mais renvoie sur ce point aux dispositions applicables en matière douanière (article 1er, paragraphe 5).

12.      En cette matière, l’article 74, paragraphe 2, du Zollrechts‑Durchführungsgesetz  (10) (loi de mise en application du droit douanier, ci‑après le «ZollR‑DG») prévoit, pour la perception des droits de douane à l’importation et à l’exportation, un délai de prescription de trois ans à compter de la date de naissance de la dette douanière  (11) .

II –  Les faits et les questions préjudicielles

13.      Le litige au principal est né de la décision du Zollamt Salzburg/Erstattungen (bureau des douanes de Salzbourg/restitutions, ci‑après le «Zollamt Salzburg») de demander à la société Herbert Handlbauer GmbH (ci‑après «Handlbauer» ou la «demanderesse au principal») le remboursement d’une restitution à l’exportation jugée indue et de lui infliger, pour ce motif, une sanction.

14.      Il ressort de l’ordonnance de renvoi que, le 3 septembre 1996, Handlbauer a exporté en Hongrie un lot de 958 pièces de viande bovine congelées pour un poids total de 19 912,36 kilos. Pour cette opération, elle a bénéficié le 24 septembre 1996 d’une avance sur restitution de 202 769 ATS. La garantie accordée pour l’avance a été libérée le 12 décembre 1996.

15.      Après l’octroi de ce concours, le 20 décembre 1999, Handlbauer a été informée que le service de contrôle externe et de contrôle d’entreprises du Hauptzollamt (bureau principal des douanes) Linz allait procéder à un contrôle des exportations de l’année 1996 dans le domaine des organisations des marchés de la viande bovine et de la viande porcine. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que Handlbauer a été incluse parmi les entreprises à contrôler en vertu du règlement n° 4045/89 parce que plusieurs irrégularités étaient déjà apparues lors des exportations de 1995.

16.      Au cours du contrôle, effectué en l’an 2000, il a été constaté que, dans de nombreux cas, l’origine communautaire de la viande exportée n’était pas établie.

17.      Partant, par décision du 20 janvier 2001, le Zollamt Salzburg a exigé de Handlbauer, en application des dispositions combinées de l’article 5 de l’AEG et de l’article 11, paragraphe 3, du règlement n° 3665/87, le remboursement de la restitution à l’exportation précédemment accordée. En outre, il lui a infligé une sanction de 101 384 ATS, en application de l’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement précité.

18.      Handlbauer a introduit un recours administratif contre cette décision qui a été toutefois rejeté. Le 17 août 2001, elle a alors saisi le Berufungssenat I, en faisant valoir que le remboursement de la restitution à l’exportation et la sanction correspondante n’avaient été décidés que le 20 janvier 2001, c’est‑à‑dire après l’expiration du délai de prescription triennal prévu à l’article 74, paragraphe 2, du ZollR‑DG et à l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire.

19.      En répondant à cette exception, le Zollamt Salzburg a soutenu que, pour le remboursement de restitutions à l’exportation, c’est le délai de prescription quadriennal prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 qui s’appliquerait. En outre, il a précisé que, en vertu de cette disposition directement applicable, l’écoulement du délai pourrait être interrompu par des contrôles, tels que ceux effectués auprès de Handlbauer.

20.      Le Berufungssenat I, éprouvant des doutes quant à l’interprétation du règlement n° 2988/95, a soumis à la Cour, en vertu de l’article 234 CE, les questions préjudicielles suivantes:

«1)
Est-ce qu'en présence d’irrégularités, le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est directement applicable dans les États membres, en particulier dans le domaine des organisations de marché (restitution à l’exportation)?

a)
L’article 3, paragraphe 1, du règlement précité, qui établit un délai de prescription de quatre ans pour les poursuites menées contre les irrégularités, est-il directement applicable par les autorités douanières des États membres?

2)
La notification d'un contrôle douanier sur une entreprise aux responsables de celle-ci constitue-t-elle un acte visant à l’instruction ou à la poursuite d’une irrégularité, qui interrompt le délai de prescription de quatre ans visé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement précité, lorsque le contrôle a lieu conformément au règlement (CEE) n° 4045/89 en raison du risque notoire ou de la fréquence des actes portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté commis à l’occasion de la mise en oeuvre de la politique agricole commune?»

III –  Procédure devant la Cour

21.      Dans la procédure qui s’est engagée devant la Cour, des observations écrites ont été déposées par la partie demanderesse au principal, la république d’Autriche et la Commission. Elles sont ensuite intervenues à l’audience du 4 novembre 2003 à laquelle a participé également le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord.

22.      Au cours de la procédure, la Cour a été informée que l’Unabhängiger Finanzsenat, à la suite de l’entrée en vigueur de l’Abgaben‑Rechtsmittel‑Reformgesetz  (12) (loi portant réforme des voies de recours en matière fiscale, ci‑après la «loi de réforme»), est devenu la juridiction compétente dans la procédure au principal.

23.      Au cours de l’instruction de l’affaire, la Cour a demandé à l’Unabhängiger Finanzsenat quelques explications sur sa qualification en tant que juridiction au sens de l’article 234 CE et quelques précisions à propos du cadre juridique introduit par la loi de réforme précitée.

IV –  Analyse juridique

A –   Sur la qualification de juridiction de l’Unabhängiger Finanzsenat

24.      Au cours de la procédure, comme on l’a dit, sont apparus des doutes quant à la qualification de juridiction de l’Unabhängiger Finanzsenat et, de ce fait, sur la compétence de la Cour à répondre aux questions qui lui ont été soumises. Avant de nous prononcer sur ces questions, nous examinerons donc brièvement le problème.

25.      Les interrogations sont suscitées par le fait que l’Unabhängiger Finanzsenat a succédé à un organe assimilable à bien des aspects aux chambres d’appel qui, dans l’arrêt Schmid  (13) , n’avaient pas été retenues par la Cour comme une juridiction au sens de l’article 234 CE  (14) .

26.      Il faut en effet rappeler que dans l’ordre juridique autrichien, avant la création de l’Unabhängiger Finanzsenat, les compétences juridictionnelles en matière fiscale et douanière étaient exercées par des organes des directions régionales de l’administration fiscale autrichienne dénommées «chambres d’appel». Ces chambres étaient de deux types: celles prévues par la Bundesabgabenordnung (code fédéral des impôts, ci‑après la «BAO»), compétentes pour se prononcer sur les décisions adoptées en matière fiscale, et celles régies par le ZollR‑DG, compétentes en matière douanière.

27.      Les chambres d’appel prévues par la BAO présentaient un rapport étroit, non seulement organique, mais également fonctionnel, avec l’administration dont provenaient les décisions qu’elles étaient amenées à juger. En effet, deux des cinq membres de ces chambres appartenaient à l’administration fiscale et l’un d’entre eux continuait à exercer ses activités au sein de cette administration en restant donc soumis, à ce titre, aux instructions de ses supérieurs hiérarchiques. En outre, la désignation des membres des chambres d’appel incombait au président de la direction régionale des finances, composante de droit et président des chambres. Qui plus est, aucune disposition de la loi ne l’empêchait de modifier la composition de ces dernières au cours de l’instruction d’une réclamation. Enfin, le président lui‑même pouvait introduire un recours à l’encontre des décisions des chambres.

28.      Dans ce contexte juridique, la Cour, dans l’arrêt Schmid, a retenu que les chambres d’appel prévues par la BAO «présent[aient] avec la direction régionale des finances dont éman[aient] les décisions contestées devant elle, un lien organique et fonctionnel qui s’opposait à ce que [leur] soit reconnue la qualité de tiers par rapport à cette administration»  (15) .

29.      Pour cette raison, elle a dénié à ces chambres la qualité de juridiction vu que, d’après la Cour, cette qualité ne peut être reconnue qu’à «une autorité qui a la qualité de tiers par rapport à celle qui a adopté la décision attaquée»  (16) .

30.      Des doutes sur la qualité de tiers par rapport à l’administration avaient été soulevés dans la présente affaire également à propos de la première chambre d’appel, régie par le ZollR‑DG, qui avait à l’origine soumis les questions préjudicielles.

31.      Comme on l’a dit, toutefois, à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme précitée (point 22), l’organe compétent pour trancher le litige au principal n’est plus la première chambre d’appel, mais l’Unabhängiger Finanzsenat qui lui a succédé et qui a maintenu devant la Cour les questions que ladite chambre avait déjà déférées. En conséquence, il n’est plus nécessaire de résoudre les problèmes relatifs à la nature de cette dernière; il faut par contre apprécier, à la lumière des modifications introduites par la récente réforme, la qualification de juridiction de l’organe qui lui a succédé.

32.      Or, comme il a été souligné dans les explications fournies à la Cour, la récente réforme vise justement à corriger ces aspects du système préexistant des chambres d’appel qui, dans l’arrêt Schmid, avaient amené la Cour à refuser à ces dernières la qualification de «juridiction».

33.      Avec la loi de réforme, en effet, les compétences juridictionnelles en matière fiscale et douanière ont été attribuées à un nouvel organe (l’Unabhängiger Finanzsenat) qui, à la différence des chambres d’appel, ne fait pas partie de l’administration fiscale (article 1er du Bundesgesetz zur Errichtung eines unabhängigen Finanzsenats  (17) ci‑après la «loi institutive»).

34.      De plus, à la différence des membres des chambres d’appel, les membres des chambres de l’Unabhängiger Finanzsenat ne peuvent pas participer à l’activité de cette administration. En particulier, en application du nouvel article 85c, paragraphe 4, du ZollR‑DG, les chambres compétentes en matière douanière du nouvel organisme sont constituées «de trois membres à temps plein», lesquels, en vertu de la loi institutive, ne peuvent exercer aucune activité qui puisse faire obstacle à l’exercice de leur mission, qui affecte les intérêts essentiels du service ou qui puisse d’une façon quelconque susciter des doutes quant à leur impartialité ou leur indépendance (article 5, paragraphes 1 et 2, de la loi institutive).

35.      Enfin, les membres à temps plein de l’Unabhängiger Finanzsenat jouissent de solides garanties «contre des interventions ou pressions indues du pouvoir exécutif»  (18) . Ils sont en effet nommés auprès de cet organe pour une durée illimitée et ne peuvent être démis de leurs fonctions que par une décision de l’assemblée plénière de la chambre fiscale indépendante ou par un comité créé par celle‑ci (article 6, paragraphe 3, de la loi institutive).

36.     À la lumière de ces innovations, il nous semble que les raisons qui avaient amené la Cour dans l’arrêt Schmid à mettre en doute la nature juridictionnelle de l’organe de renvoi ne sont plus réunies dans la présente affaire.

37.      Nous estimons donc que l’Unabhängiger Finanzsenat constitue une juridiction au sens de l’article 234 CE et que, en conséquence, la Cour est compétente pour répondre aux questions qui lui sont soumises, que nous abordons à présent.

B –   Sur le fond

38.      Comme on l’a vu, dans la présente affaire, deux questions sont déférées à la Cour par lesquelles on demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement est directement applicable dans les États membres et si le délai de prescription de quatre ans qui y est prévu peut être interrompu par la notification d’un contrôle douanier décidé, conformément au règlement n° 4045/89, sur la base de facteurs de risque d’irrégularité et, en particulier, compte tenu de la fréquence des actes portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté.

1. Préambule: le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95

39.      Nous relevons à titre préliminaire que, d’après l’ordonnance de renvoi, les questions qui viennent d’être résumées semblent partir de la prémisse selon laquelle, en prévoyant que «le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité», l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 se réfère à tous les actes de nature administrative adoptés par les autorités nationales ou communautaires, destinés à poursuivre les irrégularités, qu’il s’agisse tant des sanctions administratives au sens strict, conformément à l’article 5, que des mesures de retrait d’un avantage indûment obtenu, au titre de l’article 4 de ce règlement  (19) .

40.      Puisque cette prémisse a été contestée par Handlbauer et par la Commission, il convient d’apprécier, avant de traiter directement les questions, si la disposition précitée couvre également les actes, tels que la décision du Zollamt Salzburg, par lesquels non seulement des amendes sont infligées, mais en outre le remboursement de sommes indûment perçues est demandé.

41.      Handlbauer fournit une réponse négative à cette question, parce qu’elle estime que l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 concerne exclusivement les sanctions pénales. Plus précisément, la disposition fixerait le délai dans lequel des mesures de cette nature peuvent être infligées pour sanctionner les irrégularités au regard du droit communautaire.

42.      La réponse de la Commission est différente, mais également négative: selon elle, le délai en question s’appliquerait en revanche aux actes administratifs, toutefois non pas à tous, mais seulement à ceux qui infligent une sanction au titre de l’article 5 du règlement n° 2988/95. Il ne s’appliquerait donc pas aux mesures, telles que le remboursement d’un avantage financier indûment perçu, visé à l’article 4 de ce règlement, et ce parce que, selon la Commission, les dispositions qui prévoient des délais de prescription correspondant à ces mesures présentent une structure différente: elles font courir lesdits délais à partir de l’acte d’octroi de la somme indue et non, comme la disposition en question, à partir de la commission de l’irrégularité; en outre, à la différence de la disposition précitée, elles ne font aucune distinction entre la prescription des poursuites et la prescription de l’exécution des sanctions.

43.     À notre avis, la thèse qui semble se dégager de l’ordonnance de renvoi est correcte et il faut en revanche exclure celles qui viennent d’être évoquées.

44.      Cela vaut tout d’abord à propos de la thèse de Handlbauer selon laquelle la disposition précitée contiendrait un délai pour sanctionner pénalement les irrégularités au regard du droit communautaire. À cet égard, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’existence d’une compétence de la Communauté pour fixer des délais de prescription dans le domaine pénal, nous nous bornons à relever que le règlement n° 2988/95 édicte «une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives[ (20) ] portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire» (article 1er, paragraphe 1). En outre, il «s’applique sans préjudice de l’application du droit pénal des États membres» (douzième considérant).

45.      Le règlement précité est donc destiné à régir, également du point de vue de la prescription, les mesures et les sanctions de nature administrative adoptées par les autorités compétentes en cas d’actes portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté. En conséquence, si, en vertu des dispositions nationales du droit pénal, ces irrégularités donnent lieu également à des délits, pour fixer les délais dans lesquels ils doivent être poursuivis, on devra faire exclusivement référence à la réglementation pertinente des États membres qui, comme on vient de le dire, s’applique sans préjudice du règlement en question.

46.      Il faut toutefois, à notre avis, rejeter également la thèse de la Commission, selon laquelle le délai de prescription en question concernerait seulement les actes qui infligent une sanction administrative au titre de l’article 5 et non également les mesures de retrait d’un avantage indûment obtenu, visées à l’article 4 du règlement n° 2988/95.

47.     À cet égard, nous rappelons que l’article 3, paragraphe 1, du règlement précité fixe un délai de prescription des poursuites qui court «à partir de la réalisation de l’irrégularité». Nous rappelons également que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, la notion d’irrégularité inclut «toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles‑ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue».

48.      Or, comme le Tribunal a déjà eu l’occasion de le préciser dans l’arrêt Peix/Commission «[à] défaut d’indication en sens contraire, il y a lieu de considérer que la notion d’irrégularité définie à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 par référence au sens large qui lui a été conféré à l’article 1er dudit règlement couvre aussi bien les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence, pouvant, conformément à l’article 5 de ce règlement, conduire à une sanction administrative, que les irrégularités justifiant uniquement l’adoption d’une mesure administrative visée à l’article 4 du règlement»  (21) . En conséquence, comme l’a précisé le Tribunal lui‑même, en présence d’une irrégularité, l’applicabilité de l’article 3 du règlement précité est admise en toute hypothèse, indépendamment de la qualification de «sanction administrative» au sens strict ou de «mesure» de l’acte adopté par l’autorité compétente.

49.      Comme l’ont observé à juste titre les gouvernements autrichien et du Royaume-Uni, cette solution est conforme à l’objectif du règlement n° 2988/95 d’établir, pour les mesures et les sanctions administratives, une «réglementation générale» qui permette de combattre efficacement «dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers des Communautés» (article 1er et troisième et quatrième considérants). Suivant cette interprétation, en effet, dans tous les domaines est prévu un délai général de quatre ans pour la récupération des sommes indues. À l’inverse, en accueillant la thèse soutenue par la Commission, dans les secteurs où il n’est pas prévu un délai de prescription spécifique, la protection de l’intérêt communautaire pour la récupération desdites sommes serait renvoyée aux appréciations des différents États membres, lesquels pourraient même, comme en l’espèce, prévoir des délais inférieurs.

50.      La Commission objecte encore toutefois que l’interprétation proposée serait démentie par le fait que la disposition en question fait courir le délai de prescription du jour où l’irrégularité est commise plutôt qu’à partir de celui, plus précis, d’octroi du concours à l’opérateur économique.

51.      L’objection ne nous semble toutefois pas pertinente parce que, à y bien regarder, l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 permet de déterminer le dies a quo de la prescription également dans le cas du remboursement d’une somme indue. Il coïncide en réalité dans cette hypothèse, comme on peut le déduire de la définition de l’irrégularité figurant à l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, avec le jour où l’opérateur économique accomplit l’action ou l’omission qui rend la somme reçue indue et qui porte ainsi atteinte aux intérêts financiers des Communautés.

52.      Cette interprétation, enfin, ne semble pas être contredite par le fait que l’article 3 du règlement n° 2988/95 prévoit, au paragraphe 1, un délai de prescription des poursuites et, au paragraphe 2, un délai de prescription de l’exécution des sanctions. Au contraire, il nous semble que le recours, dans la première disposition, à une expression plus large que le terme «sanctions» confirme que cette disposition s’applique à une catégorie d’actes plus large que celle considérée dans la disposition suivante. Le délai de prescription visé à l’article 3, paragraphe 1, ne concerne donc pas seulement les «sanctions» proprement dites mais, d’une façon plus générale, toutes les actions qui, en vertu du règlement, peuvent être engagées pour poursuivre les agissements qui portent atteinte aux intérêts financiers des Communautés.

53.      Pour les raisons illustrées ci‑dessus, nous estimons donc qu’il faut appliquer le délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 à une décision du type de celle adoptée par le Zollamt Salzburg.

54.      Cela dit, nous pouvons à présent passer à l’analyse des deux questions soumises à la Cour portant sur l’applicabilité directe de cette disposition et la notion d’acte interruptif de la prescription qu’elle prévoit.

2. Sur l’applicabilité directe de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95

Arguments des parties

55.      Handlbauer estime que le règlement n° 2988/95 ne serait pas directement applicable aux opérateurs économiques. Il se limiterait, en effet, à définir «un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques communautaires» que les institutions communautaires et les États membres devraient respecter quand ils approuvent de nouvelles réglementations sectorielles pour la protection des intérêts financiers des Communautés.

56.      L’article 3, paragraphe 1, serait donc une disposition programmatique privée d’effet direct. En tant que telle, elle ne pourrait pas avoir la primauté sur les réglementations nationales et communautaires déjà existantes à la date de l’entrée en vigueur du règlement n° 2988/95. En l’espèce, ne serait donc pas appliqué le délai quadriennal, susceptible d’interruption, prévu par cette disposition, mais le délai triennal résultant du renvoi de l’article 1er, paragraphe 5, de l’AEG à l’article 74, paragraphe 2, du ZollR‑DG et à l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire.

57.      Selon Handlbauer, cette conclusion serait confirmée par la disposition sur la prescription introduite récemment, pour le domaine des restitutions à l’exportation, par le règlement n° 800/1999. En effet, ce règlement prévoit lui aussi, à l’article 52, paragraphe 4, un délai de prescription de quatre ans. Au cas où le même délai quadriennal prévu par le règlement n° 2988/95 aurait été d’application directe, observe Handlbauer, l’introduction d’une nouvelle disposition aurait été inutile et dépourvue de sens.

58.      Les conclusions du gouvernement autrichien et de la Commission sont en revanche totalement opposées. À leur avis, en effet, le règlement n° 2988/95 serait, en tant que tel, «directement applicable dans tout État membre» (article 249, deuxième alinéa, CE et article 11, dudit règlement). En conséquence, les dispositions sur la prescription qu’il prévoit prévaudraient sur les dispositions nationales contraires.

59.     À cet égard, le gouvernement autrichien et la Commission rappellent que l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 réserve aux seules institutions communautaires le pouvoir de prévoir, dans les réglementations sectorielles, des délais de prescription inférieurs à quatre ans. À l’inverse, en vertu du paragraphe 3 de la disposition précitée, les États membres ne pourraient fixer que des délais plus longs. Pour cette raison, précise le gouvernement autrichien, le délai de trois ans en vigueur dans le droit douanier et rappelé par l’AEG en matière de restitutions à l’exportation ne pourrait trouver application en l’espèce.

Appréciation

60.      De notre côté, nous rappelons tout d’abord que, comme on le sait, d’après l’article 249, deuxième alinéa, CE, «le règlement a une portée générale» et il est «directement applicable dans tout État membre». En raison de sa nature et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, il a donc, «en général, [un] effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu’il soit besoin pour les autorités nationales de prendre des mesures d’application»  (22) .

61.      Il est vrai que, dans des cas exceptionnels, la Cour de justice elle‑même admet que certaines dispositions d’un règlement «[puissent] […] nécessiter, pour leur mise en œuvre, l’adoption de mesures d’application par les États membres»  (23) . Il ne nous semble toutefois pas que cela soit le cas de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95. En effet, l’application du délai de prescription de quatre ans qu’il prévoit ne laisse aucune marge d’appréciation aux États membres et n’implique de ce fait l’adoption de leur part d’aucune mesure d’exécution.

62.      Peu importe le fait que le règlement admette la possibilité de prévoir, dans les réglementations communautaires sectorielles, des délais de prescription plus brefs, mais non inférieurs à trois ans (article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dernière phrase) et, dans les réglementations nationales, des délais supérieurs à quatre ans (article 3, paragraphe 3). Si cette possibilité est utilisée, ce seront évidemment les dispositions spécifiques, communautaires ou nationales, qui s’imposeront; dans un autre cas, la disposition en question est en soi suffisamment claire et précise pour être appliquée immédiatement par les autorités nationales afin de vérifier si les mesures ou les sanctions prises pour poursuivre une irrégularité ont été adoptées en temps utile.

63.      En conséquence, des dispositions nationales, telles que l’article 1er, paragraphe 5, de l’AEG (et les dispositions auxquelles il renvoie), qui prévoient un délai de prescription inférieur à quatre ans et, partant, qui sont contraires au règlement précité, doivent être écartées, même si elles préexistent au règlement.

64.      Cela dit, il ne nous semble pas qu’il puisse exister des doutes sur le fait que toutes les autorités nationales, y compris les autorités douanières, doivent s’en tenir au délai quadriennal précité dans tous les domaines du droit communautaire, y compris celui qui nous intéresse ici, des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles.

65.      Le règlement n° 2988/95 introduit en effet, au titre de l’article 1er, paragraphe 1, une «réglementation générale» qui a été adoptée justement dans le but de «combattre dans tous les domaines [ (24) ] les atteintes aux intérêts financiers des Communautés» (troisième considérant). Elle doit par conséquent s’appliquer dans tous les domaines prévus par les politiques communautaires. Son application générale ne disparaît que lorsque, dans un domaine donné, il existe une réglementation spéciale qui, dans les limites admises par le règlement lui‑même, adapte les modalités de protection des intérêts précités aux exigences spécifiques du domaine réglementé et de ce fait une réglementation communautaire sectorielle qui fixe un délai plus court ou une réglementation étatique qui en prévoit un plus long.

66.      Or, à la date des faits litigieux, dans le domaine des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles, il n’existait aucune disposition spéciale sur la prescription du remboursement des sommes indues. Ce n’est que par la suite que l’article 52, paragraphe 4, premier alinéa, sous b), du règlement n° 800/1999 a introduit un délai de prescription, mais celui‑ci, comme on l’a vu, ne s’applique pas au cas d’espèce.

67.      En effet, à la différence de ce que semble retenir Handlbauer, cette disposition ne transpose pas la règle, prétendument privée d’applicabilité directe, de l’article 3 du règlement n° 2988/95. Elle édicte en revanche pour le secteur considéré un régime spécial de prescription qui, en tant que tel, prévaut certainement sur le régime général, mais seulement pour les cas d’espèce auxquels il s’applique ratione temporis.

68.      En concluant sur ce point, nous retenons donc que l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 est directement applicable dans les États membres. En particulier, le délai de prescription de quatre ans qui y est prévu est directement applicable par les autorités nationales, y compris les autorités douanières, dans tous les secteurs couverts par les politiques communautaires, sous réserve qu’une réglementation communautaire sectorielle prévoie un délai plus court (mais pas en deçà de trois ans) ou qu’une réglementation nationale fixe un délai plus long.

3. Sur la notion d’acte interruptif de la prescription

69.      Avec la seconde question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si la notification du contrôle dont il est question dans la présente affaire est un acte visant à l’instruction ou à la poursuite d’une irrégularité qui interrompt le délai de prescription visé à l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95.

70.      Il convient tout d’abord de rappeler brièvement à cet égard que le règlement n° 4045/89 oblige les États membres à établir et à mettre en œuvre annuellement des programmes de contrôle sur un échantillon d’entreprises qui effectuent des opérations relevant du système de financement du FEOGA, section «garantie». En vertu de l’article 2 du règlement, les États membres doivent déterminer les entreprises à contrôler en fonction de leur importance dans le cadre du système de financement du FEOGA et de critères de risque prédéterminés.

71.      Parmi les critères à utiliser pour organiser les plans de contrôle, les autorités douanières autrichiennes ont particulièrement tenu compte de la fréquence des irrégularités des opérateurs économiques. En application de ce critère, elles ont décidé d’insérer Handlbauer parmi les entreprises à soumettre à une vérification au titre des exportations de 1996, étant donné que plusieurs irrégularités étaient déjà apparues au sein de cette entreprise dans les opérations accomplies l’année précédente. Le 20 décembre 1999, lesdites autorités ont donc envoyé à Handlbauer une notification, en l’informant qu’il serait procédé à un contrôle des exportations de l’année 1996 dans le domaine des organisations des marchés de la viande bovine et de la viande porcine.

72.      Cela étant, nous rappelons que Handlbauer donne une réponse négative à la question discutée ici. En particulier, elle soutient que l’interruption de la prescription pourrait avoir lieu exclusivement à la suite d’actes des autorités compétentes concernant une irrégularité déterminée. En revanche, ni la notification ni l’exécution d’un contrôle, décidé en application du règlement n° 4045/89, qui porterait d’une façon générale sur les opérations d’exportation effectuées par un opérateur au cours de certaines périodes, n’auraient cet effet.

73.      De son côté, le gouvernement autrichien ne prend pas position sur l’effet interruptif de prescription qu’aurait la notification adressée à Handlbauer. Il souligne en revanche qu’en l’espèce, la prescription aurait été en tout cas interrompue par l’exécution du contrôle auprès de Handlbauer. Selon ce gouvernement, le fait que l’entreprise ait été choisie sur la base d’une analyse des risques effectuée en application du règlement n° 4045/89 n’aurait aucune incidence. Par contre, le fait que le contrôle ait été notifié à l’entreprise intéressée et accompli par l’autorité compétente serait déterminant.

74.      La Commission estime au contraire que déjà la notification du contrôle décidé au titre du règlement n° 4045/89 constitue un acte interruptif de la prescription. En particulier, elle observe que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95, tout acte d’instruction de l’autorité compétente notifié à la personne intéressée produirait cet effet. Cette disposition n’exigerait pas en revanche que l’acte d’instruction concerne une irrégularité spécifique. Du reste, ajoute la Commission, un lien avec une irrégularité déterminée ne pourrait jamais être défini a priori à la date de la notification du contrôle, mais ressortirait toujours a posteriori après l’accomplissement du contrôle lui‑même.

75.      L’interprétation proposée par la Commission ne nous convainc pas.

76.      En particulier, nous estimons ne pas pouvoir nous rallier à la thèse selon laquelle une notification, du type de celle transmise à Handlbauer, quoique ne constituant pas un acte destiné à poursuivre l’irrégularité, représenterait malgré tout un «acte d’instruction» apte à interrompre la prescription, au sens de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95.

77.      Il nous semble néanmoins douteux en effet qu’un acte qui se borne à annoncer d’une façon générale l’exécution d’un contrôle sur toutes les opérations effectuées au cours d’une année dans le cadre de plusieurs organisations de marché puisse être considéré en soi comme un acte d’instruction.

78.      Le doute nous semble tout d’abord permis par l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95 lui‑même, lequel exige que l’acte interruptif soit ponctuel et précis, au sens où il doit concerner une irrégularité spécifique. Malgré l’opinion différente de la Commission, en effet, il nous semble que Handlbauer a raison en soutenant que la formulation de cette disposition amène à retenir que la prescription peut être interrompue seulement si l’acte visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité, notifié à la personne intéressée, se réfère à une ou plusieurs irrégularités déterminées.

79.      C’est dans ce sens que plaident d’ailleurs presque toutes les versions linguistiques de la disposition en question, dont il ressort clairement que l’acte interruptif de prescription doit être destiné à constater ou à poursuivre «l’irrégularité». Même l’acte visant à l’instruction ne peut donc se référer à des irrégularités indéterminées, mais doit concerner une irrégularité spécifique  (25) .

80.      Cette interprétation de la disposition apparaît en outre confirmée également par la lecture combinée du premier et du troisième alinéa de l’article 3, paragraphe 1. Au premier alinéa, on prévoit en effet que le délai de prescription «est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité[ (26) ] visée à l’article 1er paragraphe 1». Au troisième alinéa, on établit ensuite que ce délai est interrompu par un acte visant à l’instruction ou à la poursuite de «l’irrégularité»  (27) .

81.      Or, selon nous, en utilisant l’expression «l’irrégularité» (au singulier et avec un article défini) tant pour déterminer le dies a quo de la prescription que pour définir la notion d’acte interruptif de celle‑ci, le législateur communautaire a entendu souligner que, s’il est destiné à constater ou à poursuivre des irrégularités indéterminées, l’acte entrepris par l’autorité compétente ne serait pas apte à interrompre la prescription entamée. Il s’ensuit que l’acte en question ne saurait être un préavis général de contrôle qui, en raison de sa nature, se réfère de manière indéterminée à un ensemble d’éventuelles infractions; il faut au contraire un acte qui revête la qualité d’acte visant à l’instruction ou à la poursuite de cette irrégularité spécifique. Qu’il s’identifie avec la notification du contrôle ou qu’il soit adopté au cours ou en conclusion de ce contrôle, ce qui compte c’est qu’il soit clair que ladite autorité s’interroge sur la légalité de cecomportement déterminé.

82.      Toute autre interprétation risquerait de plus, à notre avis, de contredire la «fonction d’assurer la sécurité juridique» propre à tout délai de prescription  (28) .

83.      Nous estimons en effet que ne remplirait pas cette fonction une prescription qui pourrait être interrompue par un acte de l’administration qui, à l’instar de la notification adressée à Handlbauer, porte indistinctement sur un ensemble d’opérations effectuées par un particulier au cours d’une période relativement longue. En effet, cet acte remettrait en discussion pendant encore quatre ans toutes les opérations effectuées pendant cette période, ce qui entraînerait évidemment de graves inconvénients pour les opérateurs, pour lesquels la programmation des activités qui bénéficient de concours communautaires, c’est‑à‑dire justement les activités qui devraient être facilitées par l’octroi de ces concours, serait rendue particulièrement complexe.

84.      Avec la thèse que nous proposons ici, au contraire, les particuliers seraient mis en état de prévoir lesquelles, parmi les opérations effectuées au cours d’une période déterminée, doivent être considérées comme définitives et lesquelles, en revanche, après avoir été spécifiquement déterminées en tant qu’éventuelles irrégularités, pourraient faire l’objet d’une demande de remboursement ou d’une sanction de la part de l’administration. L’incertitude liée à l’écoulement d’une nouvelle période de prescription serait ainsi limitée à des opérations déterminées.

85.      Par ailleurs, il ne nous semble pas que cette solution impose un sacrifice excessif à l’autorité compétente. On ne demande pas en effet à l’administration de constater l’irrégularité pour pouvoir bénéficier d’une nouvelle période de prescription. Il suffit que, dans l’acte communiqué à l’intéressé, elle désigne d’une façon spécifique l’irrégularité, c’est‑à‑dire qu’elle exprime à l’opérateur ses doutes quant à la légalité d’un comportement déterminé observé par celui‑ci.

86.      En l’espèce, la notification à Handlbauer du contrôle décidé au titre du règlement n° 4045/89 avait concerné indistinctement toutes les opérations d’exportation qu’elle avait effectuées en 1996 dans le cadre des organisations des marchés de la viande bovine et de la viande porcine. En tant que telle, elle n’est à notre avis pas apte, étant donné ce qui précède, à interrompre le délai de prescription pour le remboursement de la restitution accordée le 24 septembre de cette année.

87.      Cela dit, nous devons toutefois relever que, selon ce qui ressort de l’ordonnance de renvoi, le contrôle notifié le 20 décembre 1999 puis «effectué en l’an 2000 […] a permis de constater que, pour un grand nombre [ (29) ] d’exportations, l’origine communautaire de la marchandise n’était pas établie». Il semble donc que l’on puisse comprendre que le contrôle a fait suite à la notification et que, dans le cadre de ce contrôle, ont été néanmoins reprochées à Handlbauer de nombreuses irrégularités déterminées, parmi lesquelles celle faisant l’objet du présent litige.

88.      En conséquence, s’il est vrai que la notification en question ne pouvait interrompre le délai de prescription pour la récupération de la restitution accordée le 24 septembre 1996, cet effet peut s’être produit avec la critique de l’irrégularité opérée dans le cadre dudit contrôle. À cette date, en effet, l’autorité autrichienne a effectué un acte visant à l’instruction concernant également cette irrégularité déterminée qui a fait ensuite l’objet de la décision du 20 janvier 2001. Il incombe toutefois à la juridiction nationale d’apprécier, en vérifiant si effectivement, dans le cadre ou à la suite du contrôle, l’autorité compétente avait exprimé des doutes sur la légalité de l’octroi de la restitution à l’exportation précitée.

89.      Pour les raisons qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre à l’Unabhängiger Finanzsenat que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95, le délai de prescription pour poursuivre une irrégularité déterminée n’est pas interrompu par la notification d’un contrôle décidé, conformément au règlement n° 4045/89, sur la base de facteurs de risque d’irrégularité et, notamment, compte tenu de la fréquence des conduites portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, si cette notification concerne indistinctement toutes les opérations effectuées par un opérateur économique dans le cadre de plusieurs organisations des marchés au cours d’une période de temps relativement étendue. Pour qu’il y ait interruption de la prescription, il faut que l’acte porté à la connaissance de la personne intéressée désigne d’une façon spécifique une ou plusieurs irrégularités déterminées.

V –  Conclusions

90.     À la lumière des considérations exposées ci‑dessus, nous proposons à la Cour de répondre à l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Klagenfurt, que:

«1)
L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, s’applique à une décision, telle que celle adoptée en l’espèce, qui ordonne la restitution d’une somme jugée indue et inflige une sanction.

2)
L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est directement applicable dans les États membres. En particulier, le délai de prescription de quatre ans qu’il prévoit est directement applicable par les autorités nationales, y compris les autorités douanières, dans tous les secteurs couverts par les politiques communautaires, sous réserve qu’une réglementation communautaire sectorielle prévoie un délai plus court (mais non inférieur à trois ans) ou qu’une réglementation étatique fixe un délai plus long.

3)
Au sens de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95, le délai de prescription pour poursuivre une irrégularité déterminée n’est pas interrompu par la notification d’un contrôle décidé, conformément au règlement (CEE) n° 4045/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif aux contrôles, par les États membres, des opérations faisant partie du système de financement par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, section «garantie», et abrogeant la directive 77/485/CEE, sur la base de facteurs de risque d’irrégularité et, notamment, en considération de la fréquence d’actes portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, si cette notification concerne indistinctement toutes les opérations effectuées par un opérateur économique dans le cadre de plusieurs organisations des marchés au cours d’une période relativement étendue. Pour qu’il y ait interruption de la prescription, il faut que l’acte porté à la connaissance de la personne intéressée désigne d’une façon spécifique une ou plusieurs irrégularités déterminées.»


1
Langue originale: l'italien.


2
JO L 312, p. 1.


3
Règlement portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1).


4
Règlement de la Commission, du 2 décembre 1994, modifiant le règlement n° 3665/87 en ce qui concerne la récupération des montants indûment versés et les sanctions (JO L 310, p. 57).


5
Règlement du 15 avril 1999, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (JO L 102, p. 11), voir article 54.


6
Règlement relatif aux contrôles, par les États membres, des opérations faisant partie du système de financement par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, section «garantie», et abrogeant la directive 77/435/CEE (JO L 388, p. 18).


7
Note valable uniquement pour la version italienne des conclusions.


8
Note valable seulement pour la version italienne des conclusions.


9
BGBl. 1994 660.


10
BGBl. 1994 659, dans la version du BGBl. 1998 13.


11
En matière douanière, un délai de trois ans pour la perception des droits est prévu également à l’article 221, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L  302, p. 1).


12
BGBl. 2002 97.


13
Arrêt du 30 mai 2002 (C‑516/99, Rec. p. I‑4573).


14
Nous rappelons que, «pour apprécier si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une juridiction au sens de l’article 234 CE, question qui relève uniquement du droit communautaire, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance» (arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C‑54/96, Rec. p. I‑4961, point 23, et la jurisprudence citée, ainsi que du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C‑110/98 à C‑147/98, Rec. p. I‑1577, point 33).


15
Arrêt précité, point 38.


16
Ibidem, point 36. Dans le même sens, arrêt du 30 mars 1993, Corbiau (C‑24/92, Rec. p. I‑1277, point 15), rappelé dans l’arrêt Schmid.


17
Loi créant une chambre fiscale indépendante, figurant dans la loi de réforme.


18
Voir arrêt Schmid, précité, point 41. Voir, également, arrêt du 4 février 1999, Köllensperger et Atzwanger (C‑103/97, Rec. p. I‑551, point 21).


19
Nous rappelons que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95, est considéré comme une «mesure» «le retrait de l’avantage indûment obtenu […] par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus [ou] par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l’appui de la demande d’un avantage octroyé ou de la perception d’une avance». Nous rappelons en outre que l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement énumère les sanctions administratives qui peuvent être infligées en cas d’irrégularités intentionnelles ou causées par négligence.


20
C’est nous qui soulignons.


21
Arrêt du 13 mars 2003 (T‑125/01, Rec. p. II‑865, point 79).


22
Voir arrêts du 17 mai 1972, Leonesio (93/71, Rec. p. 287, point 5), et du 11 janvier 2001, Monte Arcosu (C‑403/98, Rec. p. I‑103, point 26).


23
Arrêt Monte Arcosu, précité, point 26.


24
C’est nous qui soulignons.


25
Cette interprétation, quoique ne résultant pas clairement des versions italienne et allemande de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2988/95, ressort de la majeure partie des versions linguistiques de la disposition. Sont particulièrement claires dans ce sens les versions française, anglaise et espagnole de la disposition qui parlent respectivement de: «acte […] visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité» (c’est nous qui soulignons); «act […] relating to investigation or legal proceedings concerning the irregularity» (c’est nous qui soulignons); «acto […] destinado a instruir la irregularidad o a ejecutar la acción contra la misma» (c’est nous qui soulignons). Voir dans ce sens également les versions finnoise, grecque, néerlandaise et suédoise.


26
C’est nous qui soulignons.


27
C’est nous qui soulignons.


28
Voir arrêt du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission (41/69, Rec. p. 661, point 19), ainsi que arrêts du Tribunal du 17 octobre 1991, De Compte/Parlement (T‑26/89, Rec. p. II‑781, point 68); du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission (T‑126/96 et T‑127/96, Rec. p. II‑3437, point 67); Peix/Commission, précité (point 74), et du 17 septembre 2003, Neuss/Commission (T‑137/01, non encore publié au Recueil, point 123).


29
C’est nous qui soulignons.