1. Depuis un certain nombre d’années, les recours des particuliers se sont multipliés contre les décisions de rejet de plaintes
déposées auprès de la Commission en matière de concurrence. Jusqu’ici, la Cour s’est montrée disposée à les accueillir. Ayant
commencé par admettre la recevabilité des recours formés par des plaignants à l’encontre des décisions adoptées dans le cadre
de l’application des articles 81 CE et 82 CE
(2)
, elle a ensuite élargi cette jurisprudence aux tiers intéressés dans le cadre du contrôle des aides d’État
(3)
et du contrôle des concentrations
(4)
. Il n’est qu’un domaine qui a paru échapper à cet élargissement: c’est celui du contrôle des entreprises publiques et des
entreprises bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs visé à l’article 86 CE. Dans ce domaine, la Cour s’est contentée de
déclarer, par un arrêt du 20 février 1997, Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission
(5)
, qu’«il ne saurait être exclu a priori qu’il puisse exister des situations exceptionnelles où un particulier ou, éventuellement,
une association constituée pour la défense des intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables a la qualité pour agir
en justice contre un refus de la Commission d’adopter une décision dans le cadre de sa mission de surveillance prévue à l’article
90, paragraphes 1 et 3»
(6)
.
2. Dans l’arrêt du 30 janvier 2002, max.mobil/Commission
(7)
(ci-après l’«arrêt attaqué»), le Tribunal a fait une tentative pour sortir des limites de cette formule, en posant le principe
de la recevabilité des recours des plaignants dirigés contre les décisions de la Commission de ne pas donner suite à leur
plainte fondée sur l’article 86 CE. Par le présent pourvoi, la Cour est appelée à se prononcer sur la conformité de cette
tentative au cadre fixé par le traité CE et par sa jurisprudence.
I –Cadre du pourvoi
3. Il ressort de l’arrêt attaqué que l’origine du litige se trouve dans une décision de la Commission, du 11 décembre 1998 (ci-après
l’«acte attaqué»), de ne pas donner suite à une plainte visant à faire constater que la république d’Autriche avait violé
les dispositions combinées des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE.
4. Au moment de l’introduction de cette plainte, trois opérateurs se partageaient le marché autrichien du GSM. Mobilkom Austria
AG (ci-après «Mobilkom») fut le premier opérateur actif sur ce marché. Cette entreprise disposait d’un monopole légal dans
le secteur de la téléphonie mobile jusqu’à l’arrivée de max.mobil Telekommunikation Service GmbH (ci-après «max.mobil») sur
ce marché. Elle est à présent constituée en société anonyme, mais une partie de ses actions est encore détenue par l’État
autrichien. La société max.mobil, ayant obtenu une concession GSM en janvier 1996, est apparue sur le marché en octobre de
la même année. Puis, à la suite d’une adjudication remportée en août 1997, un nouvel opérateur, Connect Austria GmbH, a fait
son entrée sur le marché. La plainte introduite par max.mobil en octobre 1997 visait essentiellement à contester, d’une part,
l’absence de différenciation entre les montants des redevances réclamées à max.mobil et à Mobilkom et, d’autre part, les avantages
et le soutien dont avait pu bénéficier cette dernière de la part des autorités autrichiennes.
5. La Commission fit part de ses intentions à la plaignante dans une lettre datant du 11 décembre 1998 (l’«acte attaqué»), laquelle
précisait notamment que, «en ce qui concerne [le fait que Mobilkom ne se soit pas vu imposer une redevance supérieure à celle
payée par max.mobil], la Commission estime par contre que vous n’avez pas apporté de preuve suffisante de l’existence d’une
mesure étatique qui aurait amené Mobilkom à abuser de sa position dominante. Selon sa pratique suivie jusqu’à présent, la
Commission n’a engagé de procédure en manquement, dans des affaires comparables, que lorsqu’un État membre imposait une redevance
plus importante à une entreprise nouvellement entrée sur le marché qu’à une entreprise y exerçant déjà une activité (voir
la décision de la Commission, du 4 octobre 1995, relative aux conditions imposées au second opérateur de radiotéléphonie GSM
en Italie, JO L 280, du 23 novembre 1995)».
6. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 1999, max.mobil a introduit un recours tendant à l’annulation de l’acte
attaqué dans la mesure où celui-ci porte refus de donner suite à sa plainte. À cette prétention, la Commission a opposé des
moyens relatifs à l’irrecevabilité et, à titre subsidiaire, au caractère non fondé du recours.
7. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal décide de rejeter le recours au fond. Mais cette solution n’est acquise qu’au terme d’un
raisonnement procédant par étapes. Le Tribunal estime d’abord nécessaire d’examiner le recours à la lumière d’observations
générales liminaires. À ce titre, il expose que l’obligation de traiter de manière diligente et impartiale une plainte trouve
son «reflet» dans le droit à une bonne administration, reconnu par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000
(8)
.
8. Aux termes de l’arrêt attaqué, cette obligation posséderait un double fondement. Elle résulterait, en premier lieu, de la
jurisprudence rendue par le Tribunal dans le cadre des articles 81CE et 82 CE et dans le cadre des articles 87 CE et 88 CE.
Il y aurait lieu, selon les juges de première instance, d’étendre cette jurisprudence au cadre de l’article 86, paragraphe
3, CE. Pareille extension serait fondée sur le fait que cette disposition du traité s’applique toujours, en vertu de son paragraphe
1, en combinaison avec d’autres dispositions du traité, parmi lesquelles figurent celles relatives à la concurrence qui reconnaissent
explicitement des droits procéduraux aux plaignants. En l’occurrence, la requérante se trouverait bien dans une situation
comparable à celle visée à l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des
articles 85 et 86 du traité
(9)
, l’autorisant à introduire une plainte auprès de la Commission. Cette obligation découlerait, en second lieu, de l’obligation
générale de surveillance qui incombe à la Commission. Celle-ci trouverait naturellement à s’appliquer dans tous les domaines
du droit communautaire visant l’établissement d’un régime de concurrence non faussée dans le marché commun, auquel participe
en particulier l’article 86 CE.
9.À cet égard, le Tribunal précise que la procédure de l’article 86 CE ne saurait être confondue avec celle prévue à l’article
226 CE. En effet, alors qu’en vertu de l’article 226 la Commission «peut» intenter une procédure en manquement à l’encontre
d’un État membre, il est constant que, selon l’article 86, paragraphe 3, CE, elle adopte les mesures appropriées «en tant
que de besoin». Il en découlerait que la Commission dispose en cette matière d’un pouvoir qui «n’est donc pas entièrement
discrétionnaire».
10. Selon le Tribunal, le fait que la Commission soit liée à une obligation d’examen diligent et impartial n’implique pas qu’elle
soit privée du large pouvoir d’appréciation que la jurisprudence lui reconnaît tant dans le choix de son action que dans celui
des moyens appropriés pour la mettre en œuvre. Pour autant, cette liberté n’est pas sans limites: la Commission est soumise,
d’une part, à l’obligation d’un examen diligent et impartial des plaintes individuelles et, d’autre part, à un contrôle juridictionnel
portant sur le respect de cette obligation. De cette analyse, le Tribunal prétend tirer deux conséquences. Il en conclut,
en premier lieu, que les plaignants doivent pouvoir disposer d’une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes.
Il s’ensuivrait, en second lieu, que le rôle du juge communautaire se limite à un contrôle restreint confiné à la vérification
d’une motivation prima facie consistante, de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur manifeste
d’appréciation de ces faits.
11. C’est à la lumière de ces considérations que le Tribunal entend examiner les moyens du recours. Quant à la recevabilité, il
développe son analyse sur deux plans parallèles. À titre principal, il estime que, à la différence de la solution retenue
en matière d’aides d’État, il y a lieu d’admettre l’existence de décisions de rejet de plaintes dans le cadre de l’article
86, paragraphe 3, CE. En l’espèce, il ne lui paraît pas douteux que l’acte attaqué mérite de recevoir pareille qualification.
C’est donc en qualité de destinataire de l’acte attaqué que la requérante aurait, à titre principal, qualité pour agir contre
la Commission. À supposer néanmoins que l’acte attaqué ne revête pas la nature d’une décision adressée au plaignant, le Tribunal
considère, à titre surabondant, que la requérante est directement et individuellement concernée par l’acte attaqué. Il expose
en ce sens six considérations relatives à l’élaboration de l’acte et à la situation factuelle de la requérante.
12. Quant au fond, le Tribunal rappelle que son contrôle doit se limiter au respect par la Commission de son devoir d’examen diligent
et impartial des plaintes. À cet égard, l’examen du contenu de l’acte attaqué témoignerait d’une prise en compte correcte
des éléments pertinents du dossier. La Commission n’aurait commis ni erreur matérielle dans l’établissement des faits ni erreur
manifeste dans l’appréciation juridique de ces faits. En outre, le fait que l’acte attaqué ait été adopté à la suite de réunions
entre la Commission et la requérante montrerait que celle-ci a été mise en mesure de comprendre les motifs de cet acte. On
ne saurait, partant, considérer que l’acte attaqué est insuffisamment motivé au regard des exigences de l’article 253 CE.
En conséquence, le recours est rejeté.
13. C’est contre une partie de cet arrêt que la Commission a introduit ce pourvoi. Elle ne conteste pas l’analyse du Tribunal
au fond. Elle ne demande l’annulation de l’arrêt attaqué qu’en tant qu’il déclare le recours recevable. Elle fait valoir,
à cet effet, trois moyens. Premièrement, elle conteste l’existence d’un droit à l’examen des plaintes auquel correspondrait
un droit au recours reconnu au plaignant en cas de rejet de sa plainte. Deuxièmement, la Commission refuse de reconnaître
à l’acte attaqué la nature de décision adressée à la requérante. Troisièmement, elle considère qu’il n’existe aucun élément
qui soit de nature à conférer à la requérante la qualité de personne individuellement concernée. Par l’ensemble de ces moyens,
la Commission soutient que l’arrêt attaqué aurait méconnu la portée de l’arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission,
précité, lequel fixe le cadre de l’accès des particuliers au juge communautaire en cette matière. Dans ses conclusions présentées
en réponse, max.mobil conclut au rejet du pourvoi et forme, en outre, un pourvoi incident, par lequel elle demande l’annulation
de l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté son recours au fond. Par ordonnance du 24 octobre 2002, la République française
a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
14. S’agissant d’une affaire soulevant des problèmes juridiques complexes, il nous paraît indiqué d’examiner, au préalable, les
questions générales qui se posent (III). Pareil examen permet d’éclairer le traitement des différents moyens invoqués par
le pourvoi et par le pourvoi incident à l’encontre de l’arrêt attaqué (IV). Mais, avant de procéder à cette analyse, une question
relative à la recevabilité du pourvoi se pose (II).
II –Recevabilité du pourvoi
15. La partie défenderesse soutient que ce pourvoi n’est pas recevable au motif que la Commission aurait entièrement obtenu gain
de cause en première instance. Elle invoque à cet effet l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice (ci-après
le «statut»), lequel dispose que le pourvoi peut être formé par toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en
ses conclusions. Il importe donc de se demander si le fait que le recours ait été rejeté au fond, conformément aux conclusions
présentées par la Commission en première instance, est de nature à empêcher celle-ci de former un pourvoi tendant à une annulation
partielle de l’arrêt attaqué.
16. Cette question ne paraît pas tout à fait nouvelle. Dans l’arrêt France/Comafrica e.a.
(10)
, la Cour a déjà admis un pourvoi dirigé contre un arrêt du Tribunal en tant que celui-ci avait rejeté une exception d’irrecevabilité
soulevée par une partie, bien qu’il ait fini par rejeter le recours comme non fondé conformément aux conclusions de cette
dernière. Selon la partie défenderesse, cependant, cet arrêt ne serait pas pertinent en l’espèce. Il concernerait un «cas
exceptionnel et rare», en ce sens que le règlement en cause dans cette affaire s’analysait en un faisceau de décisions individuelles.
La raison d’être de cette jurisprudence se trouverait dans la volonté de prévenir une multiplication probable des recours
contre la Commission. Selon la requérante, au contraire, la solution dégagée par la Cour dans cet arrêt s’applique a fortiori
au cas d’espèce, dans la mesure où la Commission n’est pas seulement une partie extérieure au litige, comme pouvait l’être
la République française dans l’affaire France/Comafrica e.a., mais une partie intervenante.
17. Avant de trancher cette question, rappelons que le statut distingue nettement deux catégories de personnes admises à former
un pourvoi. Aux termes de l’article 56, deuxième alinéa, de ce texte, le pourvoi peut être formé «par toute partie ayant partiellement
ou totalement succombé en ses conclusions. Les parties intervenantes autres que les États membres et les institutions des
Communautés ne peuvent toutefois former ce pourvoi que lorsque la décision du Tribunal les affecte directement». Tandis que
les requérants ordinaires doivent avoir un intérêt au pourvoi, il est constant que «les institutions de la Communauté ne doivent
donc faire preuve d’aucun intérêt pour pouvoir former un pourvoi contre un arrêt du Tribunal»
(11)
. Il s’ensuit que ces derniers ne sont pas soumis à l’obligation de démontrer que le pourvoi est susceptible, par son résultat,
de leur procurer un bénéfice
(12)
.
18. Max.mobil prétend, toutefois, que, le Tribunal étant libre de statuer sur la recevabilité, tout pourvoi dirigé contre les
seules conclusions du Tribunal relatives à la recevabilité du recours de première instance doit être jugé irrecevable devant
la Cour. Elle s’appuie à cet égard sur l’arrêt Conseil/Boehringer
(13)
.
19. Cet argument ne saurait être accueilli. Dans cet arrêt, en effet, la Cour n’a pas rejeté le pourvoi au motif qu’il était dirigé
contre une décision relative à la recevabilité. Mais elle l’a rejeté au motif qu’il n’y avait pas de décision attaquable.
Elle a considéré que le Tribunal avait pu, dans les circonstances de l’espèce, juger sans erreur de droit qu’il n’y avait
pas lieu de statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée lors de la première instance. En ce cas, il n’était donc pas
de décision faisant grief qui pût être attaquée au sens de l’article 56, premier alinéa, du statut. De ce que la condition
des institutions de la Communauté soit privilégiée dans le cadre du pourvoi, il ne résulte pas qu’elles soient dispensées
de toute obligation. Cet arrêt signifie que, avant de former un pourvoi, il leur revient d’identifier une décision attaquable
au sens de l’article 56, premier alinéa, du statut.
20. Cette même règle fonde la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Commission et France/TF1
(14)
, sur lequel max.mobil prétend également s’appuyer. Dans cette affaire, l’objet même du recours en carence avait disparu en
raison d’une prise de position de la Commission intervenue au cours de la procédure de première instance. Il s’ensuit que
l’examen de la recevabilité du recours à cet égard était à juste titre jugé inutile par le Tribunal et que tout moyen de pourvoi
dirigé contre une prétendue décision de recevabilité, à défaut pour celle-ci d’exister, était inopérant.
21. Faut-il pour autant en déduire que, dès lors qu’une décision est identifiée, le statut autorise le requérant privilégié à
former un pourvoi dans le seul intérêt du droit? Deux raisons, à mon avis, s’opposent à une telle conclusion, l’une d’ordre
pratique et l’autre d’ordre juridique. Pratiquement, il est certainement de l’intérêt d’une bonne administration de la justice
d’assigner des limites strictes à la faculté de former des pourvois. Cette exigence s’impose encore plus dans le contexte
actuel où la Cour est appelée, par l’effet de transferts de compétences prévues par le traité tel que modifié par le traité
de Nice, à voir sa fonction de juge de cassation considérablement étendue. Une autre considération, purement juridique, abonde
dans ce sens. L’objet de l’article 56, deuxième et troisième alinéas, du statut est de faciliter l’exercice du pourvoi à l’égard
de certains requérants. À leur égard, cette disposition aménage une exception aux conditions d’exercice du pourvoi. Mais,
en dehors de ce régime d’exception, lesdits requérants demeurent soumis au cadre naturel du pourvoi. Or, si un pourvoi est,
par nature, détaché du fait, il demeure lié à un jugement d’espèce. S’il est vrai que, par cette voie, la Cour n’apprécie
que les questions de droit, encore faut-il que ces questions aient été abordées par le juge du fond en vue du règlement d’un
litige particulier. Il n’appartient pas à la Cour de se saisir à cette occasion de questions générales et abstraites ou de
prononcer une «leçon de droit». Ainsi s’explique notamment la règle d’irrecevabilité d’un pourvoi dirigé contre un motif de
droit prétendument erroné, dès lors que le motif attaqué s’avère sans lien direct avec la solution rendue par le juge de première
instance
(15)
. Pareille règle découle de la nature même du contrôle de cassation, qui est de vérifier l’interprétation et l’application
correctes du droit communautaire dans un cas d’espèce déterminé . Aussi s’applique-t-elle sans distinction à tous les requérants. Il convient par conséquent de construire le régime d’exception
prévu par le statut en faveur de certains d’entre eux de telle sorte que la mise en œuvre du pourvoi leur soit facilitée,
sans pour autant que cet aménagement ait pour effet de dénaturer la finalité objective de ce recours.
22. Dans cet esprit, je propose de considérer que, à l’égard de la catégorie des requérants privilégiés par le statut, la recevabilité
du pourvoi s’apprécie non pas seulement par rapport au dispositif , mais également par rapport aux conclusions de droit tirées par le juge de première instance dans l’arrêt contesté. Alors même que le dispositif de l’arrêt est susceptible
de les satisfaire pleinement dans leurs conclusions, il doit être possible d’admettre qu’ils se pourvoient contre des conclusions
intermédiaires établies par le Tribunal. Dans ce cas, cependant, deux conditions devront encore être réunies. Il faudra vérifier,
d’une part, que les conclusions attaquées sont bien le produit d’une contestation qui s’est développée dans le cadre du litige
en cause et, d’autre part, qu’elles ont un lien avec la solution arrêtée par le Tribunal dans son dispositif
(16)
.
23. Si l’on suit cette analyse, il n’apparaît plus nécessaire, ainsi que le suggère max.mobil
(17)
, d’examiner les conséquences susceptibles d’être engendrées par la partie de l’arrêt attaquée sur d’éventuelles affaires
subséquentes. Il s’ensuit également que, conformément à une jurisprudence constante, ne sera pas recevable à former un pourvoi
un requérant, quel qu’il soit, qui attaquerait des motifs de droit détachés de toute contestation ou qui sont sans influence
sur le dispositif arrêté. Si elle élargit les causes de pourvoi au profit de certains requérants, cette solution exclut cependant
tout pourvoi qui serait formé dans le pur intérêt du droit.
24. En l’espèce, il apparaît que la conclusion du Tribunal déclarant le recours recevable s’oppose à une exception d’irrecevabilité
qui fut soulevée par la Commission au cours de la procédure de première instance. La première condition, relative à la contestation,
est donc satisfaite. En outre, la conclusion attaquée a manifestement été jugée par le Tribunal comme une étape nécessaire
dans l’établissement de la solution du litige en cause. Bien qu’elle n’apparaisse pas dans le dispositif de l’arrêt, la conclusion
relative à la recevabilité est partie intégrante de la solution de droit retenue par le Tribunal dans ce litige. La condition
du lien entre la partie de l’arrêt attaquée et la solution arrêtée est également remplie. J’estime en conséquence qu’il y
a lieu de déclarer ce pourvoi recevable.
III –Questions préalables
25. Deux questions ne cessent de se poser dans le cadre de cette affaire. Elles concernent, d’une part, la place de l’article
86 CE et des procédures de contrôle qu’il institue dans le système général du traité et, d’autre part, la nature juridique
de l’acte attaqué. Ces deux questions déterminent bien des aspects du problème de l’accès des plaignants au juge communautaire
en cas de refus de la Commission d’ouvrir une procédure au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE.
26. Indiquons tout de suite que le pouvoir reconnu à la Commission au titre de l’article 86 CE nous paraît de nature à affecter
directement les intérêts de particuliers. Il ne faudra pas en conclure, cependant, que chacun de ces intérêts puisse se voir
reconnaître la qualité pour agir à l’encontre de l’acte adopté par la Commission. Il conviendra encore de vérifier que les
conditions de recevabilité prévues par le traité sont remplies.
A –La place du contrôle prévu à l’article 86, paragraphe 3, CE dans le système général du traité
27.À la différence des autres branches du droit de la concurrence, la matière du contrôle des comportements des entreprises entretenant
des liens particuliers avec l’État n’a pas donné lieu à l’adoption d’une réglementation de mise en œuvre. Pareille lacune
réglementaire favorise les analogies. Il est ainsi deux manières générales d’envisager ce contrôle: soit comme une forme particulière
d’action en manquement, soit comme une procédure dérivée du contrôle des pratiques anticoncurrentielles.
28. Suivant la première thèse, régulièrement défendue par la Commission
(18)
, le contrôle en ce domaine repose essentiellement sur un dialogue entre la Commission et l’État membre concerné. Il en résulterait
que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d’exiger d’elle qu’elle prenne
position dans un sens déterminé. Il n’y a pas de droit individuel reconnu aux plaignants, car, dans un système ainsi compris,
l’objet de l’intervention de la Commission est l’affaire exclusive des autorités étatiques et communautaires. À cette conception
s’oppose la thèse, défendue en l’espèce par max.mobil, d’après laquelle le contrôle exercé au titre de l’article 86 CE doit
être rattaché au droit de la concurrence. Que cette disposition ait été placée dans le chapitre relatif aux règles de concurrence
applicables aux entreprises serait révélateur d’une volonté claire exprimée par les auteurs du traité. Il en résulterait que
ce contrôle a une composante subjective essentielle, en ce que, comme a pu le déclarer le Tribunal, il «tend […] à protéger
les opérateurs économiques contre les mesures par lesquelles un État membre mettrait en échec les libertés économiques fondamentales
consacrées par le traité»
(19)
. Dès lors, le pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission en ce domaine trouverait ses limites dans un ensemble de droits
subjectifs reconnus aux particuliers
(20)
.
29. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est expressément rangé à cette dernière thèse. Dans sa jurisprudence, la Cour adopte,
me semble-t-il, une position moins tranchée. Dans l’arrêt Pays-Bas e.a./Commission
(21)
, la Cour a eu l’occasion de déclarer qu’un tel pouvoir peut s’avérer indispensable pour permettre à la Commission d’accomplir
la mission que lui confèrent les articles 81CE à 88 CE de veiller à l’application des règles de concurrence. Ainsi opère-t-elle
un rapprochement entre les pouvoirs que la Commission exerce à l’égard des États membres par la voie de décisions au titre
de l’article 86 CE et ceux que lui confère l’article 88 CE
(22)
. Cependant, en d’autres cas, il est arrivé à la Cour de juger que le contrôle des aides d’État «n’est qu’une variante du
recours en manquement»
(23)
.
30.À mon avis, il y a bien lieu de distinguer, ainsi que le fait le Tribunal, entre l’article 86, paragraphe 3, CE et l’article
226 CE. Mais c’est à tort que, dans l’arrêt attaqué, cette distinction est rapportée par le Tribunal à l’intensité du pouvoir
discrétionnaire reconnu à la Commission. On ne saurait sérieusement opposer la liberté reconnue à la Commission selon qu’elle
«peut» agir ou qu’il lui est permis d’agir «en tant que de besoin». S’il convient de distinguer entre ces procédures, c’est
plutôt en raison d’une différence fondamentale dans la conception et la nature des contrôles prévus par le traité
(24)
.
31. Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le rappeler, la procédure administrative prévue à l’article 226 CE n’a pour but que de
«permettre à l’État membre de se conformer volontairement aux exigences du traité»
(25)
. La Commission n’intervient que pour éclairer une divergence d’interprétation au sujet des obligations qui incombent à un
État en vertu du traité. Cependant, elle «n’a pas le pouvoir de déterminer de manière définitive les droits et les obligations
d’un État membre, ou de lui donner des garanties concernant la compatibilité avec le droit communautaire d’un comportement
déterminé»
(26)
. Elle ne dispose pas de la faculté de constater la violation et d’enjoindre à l’État d’éliminer le manquement
(27)
. Il en résulte que les particuliers sont irrecevables à attaquer le refus ou le défaut de la Commission d’engager une procédure
de constatation de manquement à l’encontre d’un État membre
(28)
. D’une part, l’accès à cette procédure demeure «fermé aux particuliers»
(29)
. D’autre part, la finalité de cette procédure n’est pas de prendre des décisions conférant des droits aux particuliers
(30)
. Il est bien clair, dès lors, que les procédures de manquement ne créent aucun rapport juridique direct avec les particuliers
(31)
.
32. D’un tout autre genre sont les pouvoirs de la Commission dans le cadre de l’article 86, paragraphe 3, CE. Il ressort de la
jurisprudence que «le pouvoir de surveillance confié à la Commission comporte la possibilité, fondée sur l’article 90, paragraphe
3, de préciser les obligations découlant du traité»
(32)
. L’étendue de ce pouvoir de surveillance dépend de la portée des règles du traité dont il s’agit d’assurer le respect
(33)
. Lorsqu’il s’applique en combinaison avec les règles de concurrence applicables aux entreprises, il apparaît logique de reconnaître
à la Commission des pouvoirs comparables à ceux qu’elle détient dans le cadre du contrôle desdites règles. Or, celles-ci confèrent
à la Commission des pouvoirs directs de contrôle à l’égard des opérateurs économiques sur le marché commun, donnant lieu à
l’adoption de décisions obligatoires faisant grief.
33. Dans l’arrêt Pays-Bas e.a./Commission, la Cour a déclaré que, sous peine de priver d’effet utile la compétence conférée à
la Commission par l’article 86, paragraphe 3, CE, il convenait de «reconnaître à celle-ci le pouvoir de constater qu’une mesure
étatique déterminée est incompatible avec les règles du traité et d’indiquer les mesures que l’État destinataire doit adopter
pour se conformer aux obligations découlant du droit communautaire»
(34)
. Au point suivant, elle ajoutait que «la reconnaissance d’un tel pouvoir s’avère également indispensable pour lui permettre
de remplir la mission que lui confèrent les articles 85 à 93 du traité de veiller à l’application des règles de concurrence».
Appliqué en combinaison avec les règles de concurrence, l’article 86 CE a pour objet de s’assurer qu’il n’y a pas de distorsions
entre entreprises privées et entreprises contrôlées ou avantagées par l’État dans un secteur donné. Il s’agit ainsi de contrôler
certaines mesures étatiques, susceptibles de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun, au regard des règles
du traité
(35)
.
34. Si donc on cherche une analogie avec une autre procédure prévue par les traités, on la trouvera moins dans l’article 226 CE
que dans l’article 88 du traité CECA, lequel permettait à la Commission d’imposer directement des obligations et des sanctions
aux États membres
(36)
. Or, il est constant que, dans ce cadre, les individus concernés étaient habilités à saisir la Cour du refus de la Commission
d’enjoindre à l’État de se conformer à ses obligations
(37)
.
35. De ce qui précède, il résulte que les pouvoirs reconnus à la Commission dans le cadre de l’article 226 CE et dans celui de
l’article 86 CE poursuivent des objectifs distincts et sont soumis à des modalités différentes. Si la jurisprudence de la
Cour n’impose point, dans les deux cas, d’obligation d’agir à la Commission
(38)
, elle exige que, lorsque cette dernière dispose, comme en matière de concurrence, d’un pouvoir direct de décision ayant des
effets sur le marché, la protection juridique des intérêts individuels affectés soit reconnue. Pareille protection peut être
plus ou moins étendue selon les particularités propres des secteurs concernés et les réglementations adoptées. Il y a lieu
notamment de tenir compte de la qualité des intérêts affectés par les décisions de la Commission
(39)
. Cependant, dans tous les domaines où la Commission dispose d’un tel pouvoir, il faut reconnaître aux personnes titulaires
d’un droit ou dont les intérêts sont particulièrement affectés par la décision prise la possibilité d’agir en justice pour
faire valoir ce droit ou ces intérêts
(40)
.
B –La nature juridique de l’acte attaqué
36. Pour savoir si l’acte attaqué a la nature d’un acte attaquable au sens de la jurisprudence de la Cour, il importe d’en circonscrire
précisément le contenu et la portée.
37. Dans l’arrêt entrepris, le Tribunal analyse l’acte attaqué à titre principal comme une décision individuelle de rejet de plainte,
semblable aux décisions de classement de plainte existant dans le cadre des articles 81 CE et 82 CE. Selon la Commission,
au contraire, il faudrait regarder cette lettre comme un acte dépourvu de caractère décisionnel. Il s’agirait d’un acte purement
interne, traduisant sa volonté à un moment donné. De ce que l’acte aurait été communiqué, pour information, au plaignant,
il ne résulterait pas qu’il faille lui attribuer la qualité de décision produisant des effets juridiques contraignants. Quant
au gouvernement français, il rejoint l’analyse exposée à titre subsidiaire par le Tribunal et considère qu’un acte pris dans
ce cadre ne peut être qu’une décision adressée à l’État membre concerné et non à un particulier. Il se fonde à cet égard sur
une comparaison tirée du régime de l’article 88 CE et sur la lettre de l’article 86, paragraphe 3, CE, d’après laquelle les
décisions appropriées sont adressées «aux États membres».
38. Aucune de ces qualifications n’emporte tout à fait ma conviction. En premier lieu, la comparaison sur laquelle se fonde le
Tribunal apparaît critiquable. La décision de classement dont il s’agit au point 67 de l’arrêt attaqué est une réponse à une
demande formulée au titre des règlements d’application des articles 81 CE et 82 CE. Elle conclut une procédure conférant aux
personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime certaines garanties procédurales relatives au droit de
déposer une plainte et au droit de présenter leurs observations. Or, c’est précisément en vertu de ces garanties, prévues
aux articles 3 du règlement n° 17
(41)
et 6 du règlement (CE) n° 2842/98
(42)
, que la Cour reconnaît aux plaignants le droit d’obtenir une décision de rejet de plainte. C’est sur ce fondement que, dans
l’arrêt Guérin automobiles/Commission
(43)
, la Cour a jugé que, à l’issue de cette procédure, «la Commission est tenue soit d’engager une procédure contre la personne
faisant l’objet de la plainte […], soit de prendre une décision définitive rejetant la plainte, susceptible de faire l’objet
d’un recours en annulation devant le juge communautaire». Cette décision n’est certes pas expressément prévue par les textes.
Son existence est justifiée, néanmoins, par le statut juridique reconnu au plaignant dans le cadre du contrôle prévu à l’article
85 CE.
39. Pareil statut n’existe pas dans le cadre de l’article 86 CE. S’il est vrai, comme le déclare le Tribunal au point 51 de l’arrêt
attaqué, que la situation d’une plaignante dénonçant une violation de l’article 86 CE est «comparable» à celle visée par l’article
3 du règlement n° 17, elle n’est toutefois pas identique. Certes, en ce domaine, le dépôt de plainte n’est pas exclu. Cependant,
il n’est pas juridiquement protégé. Or, il est établi qu’un dépôt de plainte non juridiquement protégé, simplement admis en
fait, est incapable de conférer au plaignant des droits particuliers
(44)
. En l’espèce, la plaignante ne disposait d’aucun titre formel à déposer une demande et à participer à la procédure d’examen
conduite par la Commission. En conséquence, sa plainte n’a créé aucun rapport juridique particulier avec la Commission. L’acte
de la Commission n’est pas, en droit, lié à une demande à l’égard de laquelle il constituerait une réponse en bonne et due
forme. Même si, en fait, l’acte attaqué a son origine dans une plainte, juridiquement celle-ci ne constitue pas l’acte d’ouverture
d’une procédure d’examen engagée par la Commission et son auteur n’est pas le destinataire formel de l’acte adopté au terme
de l’examen entrepris. Pour établir la nature juridique de cet acte, il ne faut donc pas s’arrêter à sa forme littérale. Bien
qu’il s’adresse à la requérante, l’acte attaqué ne revêt pas le statut d’une décision individuelle de classement d’une plainte.
40. Faut-il accorder plus de crédit à la thèse défendue par le gouvernement français selon laquelle l’acte attaqué s’analyse en
une décision adressée à l’État concerné? Celui-ci peut se prévaloir de la position adoptée par la Cour dans le domaine des
aides d’État. Dans son arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France
(45)
, la Cour a considéré en effet que, dans la mesure où ni le traité ni la législation communautaire n’ont défini le régime
procédural des plaintes dénonçant l’existence d’aides d’État, les décisions adoptées par la Commission dans ce domaine ont
pour destinataires les États membres concernés. Il pourrait sembler que, les mêmes conditions s’appliquant au domaine de l’article
86 CE, semblable conclusion s’impose, mutatis mutandis. Ce serait, toutefois, méconnaître la spécificité de l’article 88 CE
et de ses modalités de mise en œuvre.
41. En effet, les actes adoptés au titre de l’article 88 CE par la Commission répondent à une obligation de notification ou d’examen
permanent des mesures adoptées par les États. À la différence de la compétence détenue au titre de l’article 86, paragraphe
3, CE, la Commission dispose dans le domaine des aides d’État d’une compétence exclusive, exercée en étroite collaboration
avec les États membres. Même lorsqu’elle statue sur une aide illégale, non notifiée, la Commission inscrit son examen de l’aide
dans le cadre d’un dialogue avec l’État membre concerné. Dans ce cas, en effet, ce n’est pas la manière dont la Commission
a eu connaissance de l’aide qui ouvre juridiquement la procédure aboutissant à une décision sur la récupération ou la compatibilité
de l’aide; cette décision est toujours conçue comme une réponse aux renseignements et aux observations fournis par l’État
membre concerné. Adoptant ce point de vue, le règlement portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE, adopté
par le Conseil le 22 mars 1999
(46)
, consacre le principe selon lequel toutes les décisions adoptées en matière d’aides d’État sont adressées à l’État membre
concerné.
42. Cependant, le régime de l’article 86, paragraphe 3, CE n’est pas soumis aux conditions particulières qui sont celles de l’article
88 CE. Dans le cadre de l’article 86 CE, les actes adoptés par la Commission ne s’inscrivent nullement dans le cadre d’un
dialogue exclusif avec les États membres concernés. Par conséquent, il n’y a pas lieu de supposer qu’un acte de la Commission
visant une mesure étatique est nécessairement adressé à l’État auteur de celle-ci.
43. De fait, l’acte en cause dans cette affaire n’a d’autre objet que d’établir les données d’une situation déterminée au regard
des règles de concurrence. La Commission constate que l’article 82 CE, lu en combinaison avec l’article 86 CE, n’a pas vocation
à s’appliquer à la situation en cause. Par cet acte, elle met objectivement en rapport une situation déterminée et certaines
règles du traité, et elle en tire les conséquences quant à son rôle en tant que gardienne des dispositions du traité. Un tel
acte n’a en soi aucun destinataire déterminé. Pas plus qu’il ne répond à une demande formulée par un plaignant ayant reçu
un titre à recevoir pareille réponse, l’acte attaqué ne prescrit à l’État membre concerné un comportement déterminé. Qu’il
soit adopté à la lumière d’éléments mentionnés dans la plainte et qu’il vise la mesure d’un État en particulier ne changent
en rien sa nature, qui est d’exposer une situation de droit objective relative à l’applicabilité de certaines dispositions du traité. Il n’en demeure pas moins que cet acte est susceptible de
produire des effets juridiques sur l’État et les particuliers concernés.
44. Pour déterminer le statut contentieux d’un acte communautaire, il convient de s’attacher à ses effets et non à son objet.
Il ressort en effet d’une jurisprudence constante que constituent des actes attaquables au sens de l’article 230 CE toutes
mesures prises par les institutions produisant des effets de droit
(47)
. Il en est ainsi, notamment, si l’acte en question a pour effet d’empêcher ou de provoquer l’adoption de normes ou de conduites
qui modifient de façon caractérisée la situation juridique de personnes déterminées. Le Tribunal a pu juger en ce sens qu’une
déclaration d’un membre de la Commission constatant qu’une opération de concentration donnée n’était pas de dimension communautaire,
bien qu’elle ne visait aucun destinataire nommément identifié, touchait à la fois les États membres, dont la compétence à
l’égard de l’opération en cause était dès lors établie, les entreprises parties à l’opération de concentration, ainsi dispensées
de notifier ladite opération, et la Commission elle-même, dont le comportement était désormais dicté par cette déclaration
(48)
.
45. En l’espèce, il me paraît incontestable que l’acte attaqué a des effets juridiques pour l’État concerné, lequel est assuré
de ne pas faire l’objet d’une procédure de contrôle engagée par la Commission sur l’un des points dénoncés dans la plainte.
En outre, l’entreprise visée par la mesure étatique ainsi que les tiers affectés par cette mesure sont privés d’une décision
de la Commission relative à la compatibilité de cette mesure avec les règles du traité. Or, dès lors qu’une telle décision
serait susceptible de produire des effets juridiques pour ces particuliers sur le marché concerné, il en est de même du refus
de prendre une telle décision. J’estime par conséquent que l’acte attaqué présente bien le caractère d’une décision susceptible
de faire l’objet d’un recours en annulation.
46. Au terme de cette analyse, deux points apparaissent clairement. D’une part, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la qualité
pour agir de la requérante ne saurait résulter du fait qu’elle est la destinataire de l’acte attaqué. Mais, d’autre part,
les intérêts individuels affectés par l’acte adopté peuvent prétendre à recevoir une protection
(49)
. Dès lors, il reste à vérifier si, en l’espèce, la requérante dispose, en sa qualité de tiers à la procédure et à l’acte
adopté, de la qualité pour agir conformément aux conditions posées par l’article 230, quatrième alinéa, CE.
IV –Appréciation des moyens du pourvoi
47. Les moyens du pourvoi concernent la conclusion du Tribunal admettant la recevabilité du recours. La difficulté principale
porte sur l’existence de la qualité pour agir de la requérante.
48. L’établissement de la qualité pour agir suppose l’existence d’un lien particulier entre le requérant et l’acte attaqué. Conformément
à l’article 230, quatrième alinéa, CE, le requérant doit démontrer qu’il est directement et individuellement concerné par
l’acte attaqué. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal semble déduire du fait que la situation du requérant est directement affectée
par l’acte attaqué un droit de contester celui-ci devant le juge communautaire. Or, il me semble qu’en jugeant de la sorte
le Tribunal introduit une approche étrangère au système contentieux du traité. Celui-ci ne reconnaît de qualité pour agir
qu’au requérant présentant des qualités particulières qui l’individualisent d’une manière analogue à celle d’un destinataire.
Bien que, dans le contentieux de la concurrence, le juge communautaire fasse preuve de souplesse dans l’appréciation de cette
condition de recevabilité, il n’admet pas qu’elle soit écartée
(50)
.
49. En l’espèce, il n’est pas douteux que la décision de ne pas engager de procédure de manquement à l’encontre de l’État concerné
affecte directement la situation des entreprises présentes sur le marché du GSM autrichien, parmi lesquelles figure la requérante. Il n’en résulte
pas cependant que celle-ci soit individuellement concernée par l’acte attaqué.
50. Ce que la jurisprudence de la Cour entend précisément par intérêt individuel pour agir, ce sont des qualités particulières
ou une situation de fait qui soient de nature à individualiser le requérant d’une manière analogue à celle du destinataire
de l’acte en cause
(51)
. Aux termes de l’arrêt attaqué, le Tribunal prétend trouver pareil intérêt, d’une part, dans une obligation mise à la charge
de la Commission d’examiner et de répondre formellement à la plainte déposée par la requérante et, d’autre part, dans une
série de considérations relatives à sa situation factuelle.
51. Deux objections ont été élevées par la Commission à l’encontre d’une telle analyse. Sur un plan général, elle soutient qu’il
n’existe pas, en cette matière, de droit à l’examen des plaintes qui puisse conférer au plaignant qualité pour agir. En particulier,
il ne serait pas démontré que le particulier se trouve dans une situation de fait qui l’individualise à suffisance de droit.
A –Du droit du plaignant à l’examen de sa plainte
52. Au point 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal suggère qu’un tel droit peut être déduit de l’obligation d’examen diligent et
impartial des plaintes à laquelle serait soumise la Commission. Or, ce droit de voir sa plainte examinée créerait dans le
chef de la plaignante des intérêts légitimes dignes de protection juridictionnelle. Il en résulterait un droit d’attaquer
la décision d’agir ou de ne pas agir de la Commission.
53. Il est vrai que la Cour a itérativement jugé qu’un droit reconnu dans la procédure d’adoption de l’acte confère au titulaire
de ce droit les qualités particulières susceptibles de lui donner un droit d’agir en justice contre cet acte
(52)
. Toute la question est donc de savoir si un tel droit existe dans le cadre de l’article 86 CE.
54. Ayant eu à se prononcer sur ce point, la Cour ne s’est pas contentée de l’existence de droits procéduraux vaguement définis
pour reconnaître un droit d’agir en justice. Elle exige en général que les droits invoqués à l’appui du recours soient des
droits suffisamment «précis»
(53)
. Il en est ainsi lorsque des droits individuels résultent d’un règlement
(54)
ou lorsqu’ils peuvent être dérivés directement de dispositions du traité
(55)
. Tel est en particulier le sens de l’arrêt Metro/Commission, cité par le Tribunal au point 56 de l’arrêt attaqué. Dans cet
arrêt, la Cour s’appuie sur le principe de bonne administration de la justice pour affirmer que des intérêts légitimes reconnus
au profit de personnes physiques ou morales par un règlement communautaire ne sauraient être effectifs s’ils ne sont judiciairement
protégés
(56)
. Mais les «intérêts légitimes» dont il est question dans ce cas sont les intérêts des personnes autorisées à présenter une
plainte en vertu de l’article 3 du règlement n° 17 et auxquelles est reconnu un ensemble de droits procéduraux. Or, il n’existe
pas, dans le cadre de l’article 86 CE, de texte protégeant de tels intérêts et reconnaissant à leurs titulaires des droits
équivalents à ceux octroyés dans le cadre des articles 81 CE et 82 CE
(57)
. Il est donc abusif d’affirmer, ainsi que le fait le Tribunal, que cette jurisprudence est applicable dans les mêmes conditions
au cadre de l’article 86, paragraphe 3, CE.
55. En l’absence d’une disposition textuelle conférant des droits procéduraux aux plaignants dans le cadre du contrôle des entreprises
publiques ou assimilées, le Tribunal prétend se fonder sur une obligation générale d’examen diligent et impartial consacrée
par la jurisprudence et justifiée par l’obligation générale de surveillance incombant à la Commission. Il ressort clairement
de l’ensemble de l’analyse du Tribunal que celui-ci entend faire de ces obligations des règles générales et supérieures de
droit communautaire susceptibles d’encadrer le pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission et de fonder le droit au recours
des plaignants.
56. Une telle entreprise me paraît vouée à l’échec. À mon avis, pareilles obligations ne sont pas de nature à fonder un droit
individuel au recours. Quant à l’obligation générale de surveillance, tirée de l’article 211 CE, celle-ci manque assurément
de consistance pour établir l’existence de droits au bénéfice de la requérante. De cette seule obligation générale, il est
impossible de déduire l’octroi d’un droit spécifique au profit des plaignants dans le cadre de l’article 86 CE. S’agissant
de l’obligation d’examen diligent et impartial, même si j’admets qu’une telle obligation s’impose à la Commission
(58)
, il ne me paraît pas, cependant, qu’elle soit pertinente dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours. Pareille
obligation a une portée objective. L’examen diligent et équitable qui est requis n’est pas exercé en considération de la personne
ayant déposé une plainte, mais d’abord en fonction de l’intérêt général d’une bonne administration et d’une bonne application
des règles du traité
(59)
. En ce sens, cette obligation n’est pas comparable aux droits qui peuvent être conférés aux intéressés d’intervenir directement
dans la procédure d’adoption des actes qui les concernent, tels que le droit d’être entendu ou le droit d’accès au dossier.
Il s’ensuit que, à la différence de ceux-ci, elle ne saurait engendrer un droit subjectif à l’obtention d’une décision de
rejet de plainte et, dès lors, un droit de recours contre pareille décision
(60)
.
57. J’estime donc que c’est à tort que le Tribunal a jugé que la seule obligation d’examen diligent et impartial était susceptible
d’ouvrir un droit au recours aux plaignants dans le cadre de l’article 86 CE. Dans le système du traité, il s’avère faux d’affirmer
que l’existence d’une obligation à la charge de la Commission engendre une voie de protection juridictionnelle à la disposition
des particuliers. Le droit d’agir en justice doit être établi à partir de l’analyse de la situation particulière de la personne
concernée
(61)
. Il est donc vain de chercher à contourner ce système en se fondant, comme tend à le faire le Tribunal aux points 56 et 57
de l’arrêt attaqué, sur le principe d’une bonne administration de la justice ou sur le droit fondamental à un recours effectif.
B –De la situation particulière de la requérante
58. La Commission conteste l’analyse à laquelle le Tribunal a procédé à titre surabondant, qui déclare qu’en tout état de cause
la requérante est directement et individuellement concernée par l’acte attaqué.
59. Remarquons d’abord que, dans son analyse, le Tribunal méconnaît la jurisprudence de la Cour rendue en la matière. Force est
de constater, en effet, que le Tribunal omet de se fonder sur la jurisprudence selon laquelle ce n’est que dans des «situations
exceptionnelles» qu’un particulier peut avoir qualité pour agir en justice contre un refus de la Commission d’adopter une
décision dans le cadre de sa mission de surveillance prévue à l’article 86, paragraphe 3, CE
(62)
. Dans l’arrêt attaqué, une analyse explicite de l’éventuelle «situation exceptionnelle» dans laquelle se trouverait la requérante
fait défaut.
60.À cet égard, la partie défenderesse se prévaut en vain de l’arrêt du Tribunal TF1/Commission
(63)
. Il n’est pas vrai que, dans cet arrêt, le Tribunal aurait tiré directement de l’article 86, paragraphe 3, CE un statut protecteur
pour les plaignants égal à celui reconnu dans le cadre des articles 81 CE et 82 CE. Si, dans cette espèce, le Tribunal a bien
admis que l’article 86, paragraphe 3, CE tend à protéger les opérateurs économiques, il a néanmoins pris soin de subordonner
l’examen de la recevabilité du recours de la requérante à celui de la situation exceptionnelle dans laquelle celle-ci pouvait
se trouver, conformément à l’arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, précité
(64)
.
61. Il reste, toutefois, à se demander si le cadre ainsi fixé par la jurisprudence de la Cour est bien adéquat pour traiter de
l’accès des plaignants au juge communautaire dans le contexte de l’article 86 CE.
62. Rappelons que, selon l’arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, précité, «il ne saurait être exclu a priori qu’il
puisse exister des situations exceptionnelles où un particulier ou, éventuellement, une association constituée pour la défense
des intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables a la qualité pour agir en justice contre un refus de la Commission
d’adopter une décision dans le cadre de sa mission de surveillance prévue à l’article 90, paragraphes 1 et 3»
(65)
. À quoi correspondent de telles situations? Dans son arrêt, la Cour n’a pas estimé utile de le préciser.
63.À mon avis, il n’y a pas lieu de penser que, par cette formule, la Cour a entendu soustraire le requérant à la nécessité de
démontrer l’existence d’un intérêt direct et individuel à l’annulation de l’acte contesté. L’intention de la Cour ressort
clairement de la séquence dans laquelle cette formule est située. La Cour rappelle d’abord qu’il ressort de l’arrêt Pays-Bas
e.a./Commission qu’un particulier peut, le cas échéant, disposer du droit d’introduire un recours en annulation, en vertu
de l’article 230, quatrième alinéa, CE
(66)
. Dans cette affaire, le particulier en question était l’entreprise publique bénéficiaire de la mesure étatique mise en cause
par la Commission. En ce cas, la recevabilité du recours n’était point douteuse, car le lien direct et individuel entre le
requérant et l’acte attaqué se passait de démonstration. Tout autre est la situation qui forme le contexte de l’arrêt Bundesverband
der Bilanzbuchhalter/Commission. Dans cette affaire, le recours était introduit par une association professionnelle de droit
allemand à l’encontre de la décision de la Commission de ne pas donner suite à sa plainte, laquelle mettait en cause la loi
allemande relative à la profession de conseiller fiscal. Il n’y avait pas de lien évident entre la requérante et l’acte attaqué.
En ce cas, seules des circonstances exceptionnelles pouvaient permettre d’admettre un recours contre le refus de la Commission
de donner suite à la plainte.
64. Il me semble, dès lors, que le caractère exceptionnel des situations visées par la Cour résulte simplement de la difficulté
d’établir, dans de tels cas, la qualité de particulier individuellement concerné. Comme nous l’avons vu, en cette matière,
les tiers intéressés par l’acte adopté n’ont pas de droits protégés à faire valoir à l’appui d’un recours. Or, en l’absence
de tels droits, il est difficile de faire découler d’une situation factuelle un intérêt individuel à ester en justice. Il
est constant notamment qu’une simple relation de concurrence entre l’auteur du recours et le bénéficiaire de la mesure étatique
contestée ne saurait conférer à elle seule une telle qualité
(67)
. C’est pourquoi il convient de faire état, en outre, de «circonstances spécifiques»
(68)
ou d’une «situation particulière»
(69)
caractérisant le requérant, au regard de la mesure en cause, par rapport à tout autre opérateur concerné.
65. Cette conclusion rejoint celle exposée par l’avocat général Mischo devant l’arrêt Commission et France/TF1
(70)
. Elle s’impose avec plus de force depuis que la Cour a jugé, dans l’arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil
(71)
, que la condition relative à la qualité individuelle pour agir ne saurait en tout état de cause être écartée, sous peine
pour le juge communautaire d’excéder les compétences qui lui ont été attribuées.
66. Il reste à présent à se prononcer sur le critère permettant d’établir un intérêt individuel pour agir dans de telles circonstances.
Il ressort de la jurisprudence qu’un requérant est individuellement concerné lorsque sa situation particulière a été prise
en considération lors de l’adoption de l’acte attaqué par l’auteur dudit acte
(72)
. Tel doit être, à mon sens, le critère décisif.
67.À cet égard, le Tribunal rapporte différents éléments dans l’arrêt attaqué qui ne sont pas tous également concluants
(73)
. Il rappelle, notamment, que l’acte attaqué constitue une réaction à une plainte de la requérante et que la Commission avait
tenu plusieurs réunions avec la requérante. Mais, dans la mesure où la requérante ne disposait pas de droits procéduraux formellement
protégés, ces éléments ne sauraient être considérés comme décisifs. Le Tribunal rappelle, en outre, qu’une partie substantielle
des activités de la requérante se trouve en concurrence avec une partie substantielle des activités du bénéficiaire de la
mesure étatique visée par l’acte adopté. Mais un rapport de concurrence n’est pas suffisant. Ce qui paraît déterminant, dans
cette affaire, aux fins d’établir la qualité individuelle pour agir de la requérante, c’est que la Commission a fondé sa décision
sur le fait que les montants de redevances imposés à Mobilkom et à max.mobil sont identiques. C’est donc sur le fondement
d’une comparaison entre le montant imposé à la requérante et celui imposé à l’opérateur public que cette décision a été prise.
Voilà une situation qui est, en effet, exceptionnelle, car, en ce cas, l’acte adopté par la Commission repose en grande partie
sur la prise en considération de la situation particulière de la requérante
(74)
. Dans ces conditions, il est clair que max.mobil n’est pas dans la situation d’un concurrent ordinaire. Elle est individuellement
concernée par l’acte attaqué.
68. Y a-t-il lieu de tenir compte de la réserve émise par la Cour dans l’arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission,
selon laquelle, en tout état de cause, un particulier ne saurait prétendre, par un tel recours, contraindre indirectement
cet État membre à adopter un acte législatif de portée générale? Ainsi que le rappelle à juste titre le Tribunal au point
70 de l’arrêt attaqué, la mesure en cause dans cette affaire diffère de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt
de la Cour. En effet, en l’espèce, la requérante cherche à mettre en cause des mesures étatiques établissant des redevances
à l’égard d’opérateurs particuliers. Cette réserve n’a donc pas lieu de s’appliquer.
69. En outre, je considère que, s’il peut être légitime de tenir compte de la nature des intérêts susceptibles d’être affectés
dans la mise en œuvre de la protection accordée aux particuliers
(75)
, rien ne saurait justifier une mise en cause de l’existence d’une telle protection. À cet égard, seule la nature de l’acte
communautaire attaqué importe. La nature de la mesure étatique qui fait l’objet de l’acte attaqué ne saurait entrer en ligne
de compte, sous peine de priver d’efficacité les contrôles prévus par le traité.
C –Conclusion partielle
70. Au terme de l’analyse menée jusqu’à présent, il apparaît que la conclusion du Tribunal selon laquelle «la qualité pour agir
de la requérante résulte du fait qu’elle est destinataire de l’acte attaqué, par lequel la Commission a décidé de ne pas prendre
de mesure à l’encontre de la république d’Autriche sur la base de l’article 90, paragraphe 3, du traité CE en ce qui concerne
le montant des redevances des concessions en matière de radiotéléphonie mobile» est erronée. Dans la mesure où le Tribunal
considère que cette conclusion suffit à établir que le recours est recevable, il commet une erreur de droit.
71. Toutefois, l’erreur ainsi commise ne saurait être de nature à entraîner l’annulation sur ce point de l’arrêt attaqué, dès
lors qu’il peut être démontré que la requérante est directement et individuellement concernée par l’acte attaqué au sens de
l’article 230, quatrième alinéa, CE. Tel est le cas, à mon avis, en ce domaine, lorsque la situation de la requérante est
fortement caractérisée par rapport à celle de tiers potentiels également intéressés par l’acte contesté. En l’espèce, l’analyse
effectuée par le Tribunal a montré que l’acte attaqué avait été adopté en considération directe de la situation faite à la
requérante. À ce titre, celle-ci était recevable à en demander l’annulation. Il y a lieu, par conséquent, de constater que
le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que le recours était recevable et de rejeter les conclusions du
pourvoi.
V –Appréciation des moyens du pourvoi incident
72. Par son pourvoi incident, la défenderesse conteste l’appréciation du recours au fond. Elle invoque trois moyens relatifs à
des erreurs de fait et de droit commises par le Tribunal.
73. Afin de bien apprécier les moyens de ce pourvoi, il convient au préalable de revenir sur la nature du contrôle exercé par
le juge communautaire en la matière. En effet, l’exposé du cadre du contrôle juridictionnel auquel se livre le Tribunal aux
points 58, 59 et 73 de l’arrêt attaqué trahit une certaine confusion, qui rejaillit sur la manière dont le contrôle a été
exercé en l’espèce.
A –La nature du contrôle juridictionnel
74. Afin d’éviter toute confusion, il me paraît qu’il y a lieu de bien distinguer deux questions: d’une part, la question de l’étendue
du contrôle juridictionnel et, d’autre part, celle des moyens et critères de ce contrôle.
1.Étendue du contrôle
75. Selon le Tribunal, dans le cadre d’un contrôle exercé sur un acte adopté au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE, «le rôle
du juge se limite à un contrôle restreint»
(76)
, qui est «limité dans son champ d’application et diversifié dans son intensité. En effet, l’exactitude matérielle des faits
retenus relève d’un contrôle juridictionnel entier, alors que l’appréciation prima facie de ces faits et, plus encore, l’appréciation
du besoin d’une intervention, relèvent d’un contrôle restreint du Tribunal»
(77)
.
76. Ces affirmations ne sont que partiellement exactes.
77. Il est constant en effet que l’exercice des pouvoirs reconnus à la Commission en application des règles de concurrence comporte
des appréciations complexes en matière économique
(78)
. Il en résulte que le juge doit respecter ce caractère en limitant le contrôle qu’il exerce sur de telles appréciations
(79)
. Il n’en demeure pas moins que le contrôle ainsi conçu est un contrôle de légalité complet, en ce sens qu’il s’attache à
l’ensemble des vices régulièrement contrôlés par le juge dans le cadre du recours en annulation. En ce cas, le contrôle juridictionnel
porte sur l’exactitude matérielle des faits, le respect des règles de forme et de procédure, l’absence d’erreur manifeste
d’appréciation et de détournement de pouvoir
(80)
.
78. En conséquence, il est inexact de déclarer que le contrôle juridictionnel est limité dans son champ d’application. D’une part,
la limitation porte non sur l’étendue, mais sur l’intensité du contrôle. Le juge se borne à apprécier l’absence de violations
évidentes du traité ou de toute règle de droit relative à son application. Il s’attache à déceler les erreurs manifestes commises
dans le respect du droit applicable et dans la qualification juridique des faits pertinents. D’autre part, compte tenu du
pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission dans ce cadre, il n’appartient pas au juge de contrôler le «besoin d’une intervention».
L’appréciation de l’opportunité d’une mesure qui relève du pouvoir discrétionnaire d’une institution sort des limites d’un
simple contrôle de légalité, quelle que soit son intensité. Elle relève de la seule appréciation des autorités politiques
ou administratives auxquelles le traité confie la charge d’adopter des actes communautaires
(81)
.
79. S’il y a bien une spécificité du contrôle juridictionnel des actes de la Commission adoptés en vertu d’un pouvoir discrétionnaire,
il faut plutôt la situer ailleurs. Elle réside dans la nature des normes servant de référence à l’exercice de ce contrôle,
c’est-à-dire les sources au regard desquelles est appréciée la légalité des actes adoptés
(82)
.
2. Critères du contrôle
80. Dans tous les cas où la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire, afin de remplir ses fonctions d’autorité administrative
de la Communauté, le juge communautaire a enrichi son contrôle de moyens nouveaux. Cet enrichissement a été consacré par la
Cour, pour la première fois, dans son arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München
(83)
. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, dans le cadre d’une procédure administrative qui porte sur des évaluations complexes,
«le respect des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance
d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner,
avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce […] ainsi que [le droit] de voir motiver la décision
de façon suffisante»
(84)
. Semblables garanties ont été étendues à l’ensemble des procédures d’application des règles de concurrence. Telle est, au
demeurant, l’origine de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne invoqué par le Tribunal dans
l’arrêt attaqué
(85)
.
81. Dans la jurisprudence, ces garanties sont conçues comme un moyen, d’une part, d’encadrer l’exercice du pouvoir discrétionnaire
reconnu à la Commission et, d’autre part, de protéger les tiers dont les intérêts sont affectés, mais qui sont dépourvus d’une
protection procédurale égale à celle qui est reconnue aux personnes destinataires des décisions adoptées. À cet égard, la
Commission soutient à tort que ces garanties ne sont que les corollaires des droits procéduraux reconnus en droit de la concurrence.
En effet, la Cour a pris l’habitude de dissocier l’application de ces garanties de celle des droits procéduraux conférés aux
particuliers
(86)
.
82. En conséquence, le Tribunal était tout à fait fondé à en contrôler l’application dans le cas où la Commission refuse de donner
suite à une plainte dans le cadre de l’article 86, paragraphe 3, CE. En revanche, il n’était pas autorisé à en déduire que
le contrôle devait notamment se limiter à «la vérification […] de l’existence d’une motivation prima facie consistante et
traduisant la prise en compte des éléments pertinents du dossier»
(87)
.
83. Pareille présentation n’est pas conforme aux critères de contrôle fixés par la jurisprudence de la Cour. Deux approximations
affectent l’analyse du Tribunal sur ce point. En premier lieu, l’arrêt attaqué méconnaît que, à chaque fois que la Commission
met en œuvre un pouvoir d’appréciation dans l’application des règles de concurrence, une motivation «prima facie consistante»
ne convient pas. En l’espèce, il y a lieu, sans doute, de tenir compte de la nature de l’acte adopté. Mais, en tout état de
cause, la motivation exigée par l’article 253 CE «doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de
l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise
et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle»
(88)
. Dès lors, un simple contrôle de la logique du raisonnement ne suffit pas; il faut encore vérifier que l’auteur de l’acte
a exposé à suffisance les circonstances et les raisons sur lesquelles repose son appréciation.
84. En second lieu, le Tribunal semble ranger la nécessité de prendre en considération les éléments pertinents du dossier, fondée
sur l’obligation d’examen diligent et impartial, dans le cadre du seul contrôle de l’obligation de motivation. Or, il est
constant que ces deux obligations appartiennent à deux classes distinctes de moyens juridiques. L’obligation de motivation
suffisante s’impose au titre de l’examen des règles de forme régissant l’acte attaqué. Il s’agit d’exposer, dans le corps
de l’acte, les raisons de l’adoption de l’acte adopté. Au contraire, l’obligation d’examen impartial de la plainte s’inscrit
dans le cadre de l’analyse de la légalité au fond de l’acte attaqué. Elle signifie que, pour que l’acte contrôlé soit valide,
une qualification juridique manifestement correcte ne suffit pas; celle-ci doit encore procéder d’un examen diligent de tous
les éléments de fait et de droit qui sont susceptibles de justifier cet acte.
85. Il en découle que l’on ne saurait «examiner ensemble», ainsi que le déclare le Tribunal au point 73 de l’arrêt attaqué, «le
moyen pris de la violation de l’obligation de motivation et celui pris d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence
ou non d’une violation des articles [82 CE et 86 CE]». Pareil rapprochement est de nature à favoriser une confusion entre
l’appréciation des motifs et celle de la motivation de l’acte attaqué. Dès lors, comme l’a déjà fait apparaître la Cour dans
le contexte de l’affaire Commission/Sytraval et Brink’s France, le Tribunal méconnaît le cadre de son contrôle en n’opérant
pas, ne serait-ce que sur le plan formel, «la distinction nécessaire entre l’exigence de motivation et la légalité au fond
de la décision»
(89)
.
86. Encore convient-il de vérifier que, en constatant que l’acte attaqué n’était entaché de la violation d’aucun de ces deux moyens
pris séparément, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.
B –L’exercice du contrôle juridictionnel
87. La défenderesse fait valoir trois griefs à l’encontre de l’analyse retenue par le Tribunal au fond.
1. L’erreur de fait
88. En premier lieu, elle prétend que le Tribunal aurait omis de considérer une série d’éléments factuels concourant à établir
que les montants des redevances versées par max.mobil et par Mobilkom ne sont, en réalité, pas identiques.
89. Rappelons qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un pourvoi, de se prononcer sur l’appréciation des éléments de
fait effectuée par le Tribunal, sous réserve du cas d’une dénaturation manifeste desdits éléments par cette juridiction
(90)
. En l’espèce, toutefois, l’existence d’une dénaturation n’est nullement établie. Il n’est pas contesté, en effet, que les
montants des redevances payées par les opérateurs en cause sont formellement identiques. En considérant que l’acte attaqué
est basé sur ces faits dont la matérialité n’est pas contestée, le Tribunal n’a donc commis aucune inexactitude. Il en découle
qu’il convient de rejeter ce moyen comme manifestement non fondé.
90. Par son raisonnement tendant à faire admettre l’existence d’une différence entre les redevances versées par les opérateurs
concernés, du fait d’une remise et d’un report d’un paiement accordés à Mobilkom, la défenderesse vise en réalité une erreur
prétendument commise par le Tribunal dans la qualification juridique des faits pertinents. Il convient dès lors de traiter
cette question dans le cadre du deuxième moyen allégué.
2. L’erreur de droit dans le contrôle de la qualification juridique des faits
91. En second lieu, la défenderesse soulève un moyen pris d’une appréciation juridique manifestement erronée. Le Tribunal aurait
dû reconnaître que le traitement identique appliqué à deux situations fondamentalement différentes, celle qui lui a été faite
et celle de Mobilkom, est constitutif d’une discrimination prohibée par le traité.
92. Au point 75 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a entièrement fondé son appréciation sur les éléments rapportés par la Commission
dans l’acte attaqué, à savoir, d’une part, le paiement d’une redevance identique par les deux opérateurs concernés et, d’autre
part, la compatibilité de la conclusion adoptée par la Commission avec la pratique antérieure de celle-ci. Cela lui suffit
pour établir que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.
93. Cependant, en jugeant ainsi, le Tribunal a méconnu le cadre du contrôle auquel il s’estimait à juste titre lié. En effet,
celui-ci était tenu de contrôler, au titre de l’erreur manifeste d’appréciation, le respect de l’obligation d’examen impartial
et diligent. Or, pareille obligation implique de procéder à un examen attentif de l’ensemble des circonstances de fait et
de droit soumises à son appréciation par le plaignant. En l’espèce, ces circonstances consistaient, ainsi qu’il ressort notamment
des points 30 à 34 de l’arrêt attaqué, en l’existence éventuelle d’avantages financiers accordés à Mobilkom, en une prétendue
valeur supérieure de la concession octroyée à cette dernière, et dans la nécessité de respecter l’égalité de traitement des
différents opérateurs économiques lors de l’octroi de concessions sur de tels marchés.
94. Sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la conclusion à laquelle une telle vérification aurait dû le conduire, et notamment
sur le point de savoir si la Commission avait omis de relever une discrimination manifeste dans la situation considérée
(91)
, il apparaît clairement que, en s’abstenant de contrôler la prise en considération par la Commission de tous les éléments
pertinents du dossier qui lui était soumis, le Tribunal a commis une erreur de droit.
3. L’erreur de droit dans le contrôle du défaut de motivation
95. En dernier lieu, la défenderesse reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en constatant que l’acte attaqué
était suffisamment motivé au regard des exigences découlant de l’article 253 CE.
96. Au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal juge que la motivation est suffisante à raison du fait que la requérante a été
mise en mesure de comprendre les raisons figurant dans les motifs de l’acte attaqué. Il en serait ainsi au motif que l’acte
attaqué a été adopté à la suite de plusieurs réunions entre la requérante et la Commission et dans un contexte connu de la
requérante.
97. Il est constant que la question de savoir si la motivation d’une décision est satisfaisante «doit être appréciée au regard
non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que des règles juridiques régissant la matière»
(92)
. Dans la jurisprudence, cette prise en compte du contexte est susceptible de justifier des tempéraments à la rigueur de l’exigence
de motivation, au titre notamment de la «connaissance acquise». En effet, dès lors qu’il y a de bonnes raisons de penser que
la requérante était en mesure de connaître les motifs de la décision finalement prise par la Commission, il est permis de
considérer que l’exigence de motivation est satisfaite à son égard
(93)
. Pareille analyse ne saurait, toutefois, être appliquée qu’avec précaution, sous peine de mettre en cause la protection due
aux personnes intéressées
(94)
. Il faut qu’il n’y ait point de doute sur la réalité de la connaissance acquise par la personne intéressée. En tout état
de cause, on ne saurait se contenter, au titre d’une motivation suffisante de la décision adoptée, d’une référence à des décisions
antérieures
(95)
ou d’un renvoi à l’argumentation des parties intervenantes
(96)
. Il en est d’autant plus ainsi dans le cas où la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des situations
économiques complexes. En ce cas, les personnes concernées ont un intérêt légitime à être informées en bonne et due forme
des raisons ayant amené la Commission à adopter un acte
(97)
. Pareil intérêt doit être reconnu non seulement aux destinataires de l’acte, mais également aux autres personnes concernées
directement et individuellement par l’acte, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE
(98)
.
98. En l’espèce, le Tribunal se fonde entièrement sur des mémoires complémentaires déposés par la requérante auprès de la Commission
au cours de la procédure d’examen de la plainte. Pareille analyse est manifestement erronée. L’obligation prévue à l’article
253 CE exige non seulement une connaissance du contexte dans lequel la décision est prise, mais également une connaissance
des raisons de cette décision. Si, en effet, un certain effort d’interprétation peut être demandé aux personnes associées
au processus de décision, celui-ci ne saurait aller jusqu’à leur demander d’induire de données constituant les antécédents
et le contexte de l’affaire en cause les raisons d’une décision. Il en résulte qu’il n’est pas suffisant, ainsi que le déclare
le Tribunal, de mettre la requérante en mesure de comprendre ces raisons. Il faut du moins s’assurer que ces raisons ont été
données à la requérante, à un moment ou à autre du processus de décision. En omettant de vérifier ce point, le Tribunal a
commis une erreur de droit.
VI –Résumé
99. Il ressort de l’ensemble de cette analyse que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit. Les erreurs relatives à la recevabilité
du recours introduit en première instance supportent assez facilement une substitution de motifs, au terme de laquelle la
conclusion du Tribunal relative à la recevabilité du recours apparaît fondée en droit. Il n’en va pas de même, toutefois,
pour les erreurs relatives à l’examen au fond du recours. Celles-ci, étant irréparables, justifient que le pourvoi soit accueilli.
Aux termes de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule
la décision du tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état
d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
100. Le Tribunal n’ayant pas apprécié dans quelle mesure la Commission avait pris en considération l’ensemble des éléments du dossier
ni vérifié que l’acte en cause était pourvu d’une motivation suffisante compte tenu des conditions de son adoption, le litige
n’est pas en état d’être jugé. Il y a lieu, par conséquent, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
VII –Conclusion
101.À la lumière des considérations exposées, je propose à la Cour de dire pour droit:
«1)
L’arrêt du Tribunal de première instance du 30 janvier 2002, max.mobil/Commission (T-54/99), est annulé.
2)
L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance.
Arrêt du 31 mars 1998, France e.a./Commission (C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375). Voir aussi, récemment, arrêt du 25 septembre
2003, Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission (C-170/02 P, Rec. p. I-9889).
T-54/99, Rec. p. II-313. Il convient de noter, toutefois, que le Tribunal est partiellement revenu sur cette solution dans
un arrêt récent du 17 juin 2003, Coe Clerici Logistics/Commission (T-52/00, Rec. p. II-2123).
Arrêt du 21 janvier 1999 (C-73/97 P, Rec. p. I-185). Voir également, dans le même sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur européen/Lamberts
(C-234/02 P, non encore publié au Recueil).
Voir Timmermans, C. W .A., «Judicial Protection against Member States: Articles 169 and 177 Revisited», Institutional Dynamics of European Integration. Essays in Honour of Henry G. Schermers , vol. II, Nijhoff, Dordrecht, 1994, p. 391.
Arrêt Commission/Allemagne, précité note 25, point 45. Dans ses conclusions présentées dans l’affaire Commission/Allemagne
(arrêt du 8 juin 1999, C-198/97, Rec. p. I-3257), l’avocat général Jacobs oppose opportunément les limites ainsi posées à
l’action de la Commission dans le cadre de l’article 226 CE aux décisions prises en vue du respect des règles de concurrence
(point 11).
Voir arrêt du 14 décembre 1971, Commission/France (7/71, Rec. p. 1003, points 49 et 50). Voir en général Gray, D. C., Judicial Remedies in International Law , Clarendon Press, Oxford, 1987, en particulier p. 120 et suiv.
Arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, précité note 5, point 19. Voir, déjà, arrêt du 1 er mars 1966, Lütticke/Commission (48/65, Rec. p. 27). Il ne s’ensuit pas cependant que les particuliers soient privés de toute
protection juridique. L’article 234 CE offre une autre voie pour faire constater par la Cour une violation par les États de
leurs obligations communautaires (arrêt du 5 février 1963, Van Gend et Loos, 26/62, Rec. p. 1, p. 24 et 25).
Arrêt précité note 21, point 28. La Cour a reconnu pour la première fois la valeur juridique contraignante des décisions adoptées
par la Commission au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE dans un arrêt du 30 juin 1988, Commission/Grèce (226/87, Rec.
p. 3611, points 11 et 12).
Ainsi que le rappelle la Cour, l’article 86, paragraphe 3, CE ne concerne que «les mesures adoptées par les États membres
vis-à-vis des entreprises avec lesquelles ils ont des liens particuliers visés par les dispositions de cet article. C’est
uniquement à l’égard de ces mesures qu’il impose à la Commission un devoir de surveillance qui, en tant que de besoin, peut
être exercé par l’adoption de directives et de décisions adressées aux États membres» (arrêt du 19 mars 1991, France/Commission,
précité note 32, point 24).
Rappelons les termes de cette disposition: «Si la Commission estime qu’un État a manqué à une des obligations qui lui incombent
en vertu du présent traité, elle constate ledit manquement par une décision motivée, après avoir mis cet État en mesure de
présenter ses observations. Elle impartit à l’État en cause un délai pour pourvoir à l’exécution de son obligation», ajoutant
que, si l’État n’a pas pourvu à l’exécution de son obligation dans le délai fixé par la Commission ou, en cas de recours,
si celui-ci a été rejeté, la Commission peut, sur avis conforme du Conseil, suspendre le versement de sommes qui sont dues
à l’État ou autoriser les autres États membres à prendre des mesures dérogatoires. Voir, également, arrêt du 15 juillet 1960,
Italie/Haute Autorité (20/59, Rec. p. 663), dans lequel la Cour qualifiait cet article d’« ultima ratio permettant de faire prévaloir les intérêts communautaires consacrés par le traité contre l’inertie et contre la résistance
des États membres; qu’il s’agit là d’une procédure dépassant de loin les règles jusqu’à présent admises en droit international
classique pour assurer l’exécution des obligations des États» (Rec. p. 692).
S’agissant de la procédure en manquement, voir arrêt du 14 février 1989, Star Fruit/Commission (247/87, Rec. p. 291, point
11); s’agissant du pouvoir détenu au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE, voir arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Ladbroke
Racing/Commission (T-32/93, Rec. p. II-1015, point 38).
C’est en ce sens, à mon avis, que la Cour a jugé, dans l’arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission (précité note
5), qu’«un particulier ne saurait prétendre, par un recours dirigé contre le refus de la Commission de prendre une décision
au titre de l’article 90, paragraphes 1 et 3, à l’encontre d’un État membre, contraindre indirectement cet État membre à adopter
un acte législatif de portée générale» (point 28). On peut admettre en effet que, dans ce domaine, le contrôle de l’État,
acteur économique, ne répond pas aux mêmes critères que le contrôle de son action en tant que législateur.
Sur le principe général de protection juridique, voir arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec.
p. 2859, point 19). Voir également conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Parlement/Conseil (arrêt du 22
mai 1990, C-70/88, Rec. p. I-2041), point 6.
Précisons que ce règlement a été remplacé, depuis le 1 er mai 2004, par le règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence
prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1). Le droit au dépôt d’une plainte, prévu à l’article 3 du règlement
nº 17, a été repris, dans les mêmes termes, à l’article 7 du nouveau règlement.
Règlement de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles 85
et 86 du traité CE (JO L 354, p. 18).
Voir, par analogie avec le domaine des aides d’État, arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission
(T-188/95, Rec. p. II‑3713, points 143 à 145).
Voir, en dernier lieu, arrêt du 13 juillet 2004, Commission/Conseil (C-27/04, non encore publié au Recueil, point 44). Voir,
pour une formulation différente, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, Rec. p. 2639, point 9).
Voir, à cet égard, à propos des entreprises bénéficiaires de la mesure étatique visée par une décision de la Commission prise
au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE, arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité note 21, ainsi que arrêt du Tribunal du
8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission (T-266/97, Rec. p. II‑2329).
Notons qu’en cas d’absence de qualité pour agir devant le juge communautaire, la protection effective des intérêts affectés
ne disparaît pas pour autant. En effet, les particuliers intéressés peuvent toujours disposer d’une voie de droit ouverte
devant le juge national de manière à faire valoir leurs droits tirés des règles de concurrence applicables aux entreprises,
que celles-ci soient publiques ou privées. C’est le résultat, d’une part, de l’effet direct reconnu aux articles 81 CE, 82
CE et 86, paragraphe 2, CE et, d’autre part, de l’obligation faite aux États membres de prévoir un système de voies de recours
et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (arrêt du 25 juillet
2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C-50/00 P, Rec. p. I-6677, point 41).
Très abondante est la jurisprudence à cet égard. Voir, notamment, arrêts Metro/Commission, précité note 2; du 17 janvier 1985,
Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, Rec. p. 207); du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264/82, Rec. p. 849),
et du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission , précité note 3.
Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Slynn dans l’affaire Lord Bethell/Commission (arrêt du 10 juin 1982, 246/81,
Rec. p. 2277), dans lesquelles on peut lire: «Même si […] la Commission a l’obligation d’instruire chaque cas porté à sa connaissance
dans lequel une infraction présumée est alléguée (et peut-être – sed quaere – l’obligation d’indiquer les raisons pour lesquelles
elle s’abstient d’instruire), il ne nous semble pas qu’il s’agisse d’une obligation à l’égard d’une personne qui attire l’attention
de la Commission sur le problème et qu’elle soit susceptible d’être mise en œuvre à l’initiative de cette personne» (Rec.
p. 2296).
Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Jégo-Quéré (arrêt du 1 er avril 2004, C-263/02 P, non encore publié au Recueil), point 45.
Arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, précité note 5, point 23. La Cour fait référence à l’arrêt Pays-Bas e.a./Commission,
précité note 21.
Ce point résulte clairement de l’arrêt du 10 décembre 1969, Eridiana e.a./Commission (10/68 et 18/68, Rec. p. 459, point 7).
Dans un contexte semblable à notre affaire, il a été repris par l’arrêt Coe Clerici Logistics/Commission, précité note 7,
point 90.
Voir, par exemple, arrêt du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C-358/89, Rec. p. I-2501, point 17); dans le même sens,
arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission (T-435/93, Rec. p. II-1281, points 64 à 70).
Cette formulation résulte clairement de l’arrêt du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission (C-321/95 P, Rec. p. I-1651,
point 28), dans lequel la Cour rappelle et synthétise sa jurisprudence constante. Voir, en général, Cassia, P., L’accès des personnes physiques ou morales au juge de la légalité des actes communautaires , Dalloz, Paris, 2002, en particulier p. 567 et suiv.
Voir à cet égard, arrêt Timex/Conseil et Commission, précité note 52, points 13 à 16, dans lequel la Cour fonde l’intérêt
individuel de la requérante sur le fait que le règlement antidumping attaqué a pris en considération ses observations et la
situation qui résulte pour elle du dumping constaté. Voir, également, arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsvaerftsforeningen
e.a./Commission (T-266/94, Rec. p. II-1399, points 46 à 48), dans lequel le Tribunal admet la recevabilité du recours au motif,
d’une part, que les requérantes se trouvent en concurrence directe avec l’entreprise bénéficiaire de l’aide visée dans la
décision attaquée et, d’autre part, que la Commission s’est fondée, au cours de la procédure administrative, sur des comparaisons
entre les installations des requérantes et celles de l’entreprise bénéficiaire.
Voir, par exemple, arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, Rec. p. 2545, point 34). Dans le cadre de l’article
86 CE, voir arrêt du Tribunal du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission (T-106/95, Rec. p. II-229, point 100).
Voir, notamment, en matière de traitement des plaintes dans le cadre du droit de la concurrence, arrêt de la Cour du 18 octobre
1979, GEMA/Commission (125/78, Rec. p. 3173, point 18), ainsi que arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission
(T-24/90, Rec. p. II-2223, points 73 à 77).
Voir Ritleng, D., «Le juge communautaire de la légalité et le pouvoir discrétionnaire des institutions communautaires», Actualité juridique. Droit administratif , 1999, p. 645.
L’explication fournie par le praesidium de la convention qui a élaboré la charte renvoie d’ailleurs à cet arrêt. Or, notons
que le projet de texte établissant une Constitution pour l’Europe précise que «la Charte sera interprétée par les juridictions
de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du Praesidium».
Il est légitime par conséquent d’évaluer d’ores et déjà la portée de cet article à la lumière de la jurisprudence de la Cour.
Voir, par exemple, arrêts Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission, précité note 4, point 29, et Commission/Sytraval et
Brink’s France, précité note 45, points 62 à 64.
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans un arrêt récent du 22 mai 2003, Connect Austria (C-462/99, Rec. p. I-5197),
relatif au marché du GSM autrichien, la Cour déclare que l’existence d’une discrimination en matière de redevances imposées
aux opérateurs s’apprécie en termes d’équivalence économique de leurs positions sur le marché considéré (point 116).
Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Roemer dans l’affaire Allemagne/Commission (arrêt du 4 juillet 1963, 24/62,
Rec. p. 131), dans lesquelles il précise: «nous voudrions rejeter l’idée que l’exposé des motifs d’une décision puisse être
déterminé en fonction des possibilités d’information des destinataires, car nous savons par d’autres procès qu’un débat est
ouvert dans des cas semblables au cas d’espèce sur le point de savoir qui, en dehors des personnes décrites dans la décision,
est en droit d’agir. En outre, et nous donnons raison sur ce point à la requérante, il ne faut pas oublier la fonction utile
que l’obligation de motivation assure, en vue d’un renforcement de la protection juridictionnelle dans la mesure où elle amène
les exécutifs, lorsqu’ils formulent les considérants de la décision, à se faire une idée exacte des conditions auxquelles
cette dernière est soumise» (Rec. p. 155).
Voir, en ce sens, arrêts du 7 avril 1992, Compagnia italiana alcool/Commission (C‑358/90, Rec. p. 2457, points 42 et 43),
ainsi que Technische Universität München, précité note 83, point 27.
Arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission (296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point
19), ainsi que Commission/Sytraval et Brink’s France, précité note 45, point 63, et arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British
Airways e.a. et British Midland Airways/Commission (T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, point 64).