I –Introduction
1. Le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa (Portugal) souhaite savoir si l’ordre juridique communautaire permet
de fixer un délai de quatre-vingt-dix jours pour contester la liquidation de taxes devant la juridiction administrative contentieuse
et, par conséquent, pour exercer l’action en remboursement des impositions payées en contradiction avec le droit communautaire.
2. Cette question incidente s’ajoute à la longue liste de renvois préjudiciels sur la conformité avec le droit communautaire
de plusieurs dispositions nationales, en l’occurrence celles régissant le délai et les modalités de l’exercice de recours
visant à obtenir le remboursement des impositions recouvrées par le Trésor public en infraction avec l’ordre juridique communautaire.
3. En réponse à ces demandes, la Cour a rendu de nombreux arrêts, créant un corps de doctrine bien établi, dont il appartient
aux États membres, en l’absence d’une disposition communautaire, d’aménager les procédures pour assurer la protection des
droits conférés par l’Union européenne. Cette compétence demeure toutefois soumise à une double limite:
–
les États membres ne sont pas autorisés à imposer, en ce qui concerne l’exercice des actions fondées sur le droit communautaire,
un délai différent et moins favorable que celui qui est prévu pour les autres actions fondées sur la violation du droit interne
(2)
. C’est le principe dit «de l’équivalence».
–
Il ne peuvent pas non plus réglementer les modalités de procédure de manière telle qu’elles rendent en pratique excessivement
difficile ou impossible l’exercice de telles actions. Cette règle est appelée le principe d’effectivité du droit communautaire
(3)
.
4. La jurisprudence antérieure a énoncé les règles permettant de fournir à la juridiction portugaise la réponse qu’elle sollicite.
II –Les faits, le litige principal et la question préjudicielle
5. Le 5 novembre 1997, Recheio - Cash & Carry SA (ci-après «Recheio») a fait établir devant notaire l’acte public d’augmentation
de son capital social de 100 millions à 1 milliard de PTE, inscrit au Registo Nacional de Pessoas Colectivas (registre national
des sociétés).
6. Le 4 mars 1998, cette administration de l’enregistrement lui a adressé un avis de liquidation de taxes pour un montant de
2 251 500 PTE, calculé conformément à la Tabela de emolumentos do Registo Nacional de Pessoas Colectivas (tarif des émoluments
du registre national des sociétés).
7. Le 11 juillet 2001, Recheio a intenté devant le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa une action en vue de se
voir reconnaître le droit au remboursement du montant de la dette fiscale indûment recouvrée, action qui a été requalifiée
d’office en recours administratif contentieux dirigé contre l’acte de liquidation, s’agissant de la voie de procédure adéquate
pour atteindre l’objectif poursuivi.
8. Considérant que, à la date indiquée, le délai imparti pour exercer le recours en question était déjà écoulé, la juridiction
portugaise saisie a sursis à statuer et a soumis à la Cour les questions suivantes:
«1)
Le droit communautaire fait-il obstacle à ce qu’un État membre fixe, aux fins des actions en restitution de taxes perçues
en violation du droit communautaire, un délai de prescription de 90 jours à compter de la fin du délai de paiement volontaire,
en ce que l’exercice du droit à restitution est ainsi rendu excessivement difficile?
2)
Dans l’affirmative, quel délai minimal doit être considéré comme compatible avec cette interdiction de toute difficulté excessive?
3)
Ou quels sont les critères à retenir pour la fixation de ce délai?»
III –La procédure devant la Cour
9. Recheio, la République portugaise et la Commission ont présenté des observations écrites dans le délai imparti par l’article
20 du statut CE de la Cour de justice.
10.À l’audience, qui a eu lieu le 13 novembre 2003, les représentants des parties à la procédure écrite ont été entendus en leurs
observations orales.
IV –Le cadre juridique portugais
11. En droit portugais, les actes administratifs, dont les liquidations de taxes constituent une modalité, peuvent être nuls ou
annulables. La nullité est prononcée à l’égard des actes dépourvus de l’un des éléments essentiels et de ceux pour lesquels
la loi prévoit expressément cette forme d’invalidité. Les autres sont annulables
(4)
.
12. Les uns et les autres sont abrogés par la voie des recours administratifs intentés par les titulaires des droits et intérêts
subjectifs légalement protégés auxquels il a été porté atteinte
(5)
. Il existe deux voies de recours: le recours gracieux
(6)
et le recours hiérarchique, l’introduction de ce dernier ayant un caractère facultatif si l’acte est susceptible d’un recours
administratif contentieux, et impératif dans le cas contraire
(7)
. Le délai imparti pour former le recours est de quinze jours dans le cas d’un recours gracieux, de trente jours pour un recours
hiérarchique facultatif, ou celui qui est prévu pour former le recours contentieux administratif s’il s’agit d’un recours
hiérarchique impératif
(8)
.
13. Dans le domaine fiscal, sauf disposition expresse contraire, le recours hiérarchique a un caractère potestatif, dans le même
délai de trente jours
(9)
. Il est également prévu un recours gracieux, qui doit être formé dans le délai de quatre-vingt-dix jours, pouvant toutefois
être porté à un an lorsqu’il se fonde sur la violation des formes substantielles de la procédure ou sur l’inexistence, totale
ou partielle, du fait imposable
(10)
. La décision prise sur le recours gracieux est susceptible d’un recours hiérarchique, et ce dernier d’un recours administratif
contentieux
(11)
.
14. Le recours fiscal contentieux vise à assurer la protection pleine, effective et en temps utile, des droits et intérêts légalement
protégés relevant de ce domaine du droit
(12)
. Il permet de réagir aux liquidations de taxes
(13)
en soulevant un moyen tendant à obtenir une déclaration de nullité ou l’annulation de l’acte attaqué
(14)
. Il constitue également la voie appropriée pour intenter des actions en constatation visant à la reconnaissance d’un droit
ou d’un intérêt légitime en matière fiscale
(15)
, lorsqu’il n’existe pas d’autre voie plus appropriée pour garantir sa protection juridictionnelle
(16)
.
15. Le recours en annulation doit être intenté dans un délai de quatre-vingt-dix jours, à compter de l’arrivée à expiration du
délai imparti pour le paiement volontaire de la dette fiscale, sauf si un recours gracieux a auparavant été formé, auquel
cas il est ramené à quinze jours. La demande fondée sur la nullité de la liquidation peut être formée à tout moment
(17)
.
16. L’action en constatation doit être introduite dans les quatre ans suivant la date à laquelle le droit est né ou à laquelle
l’atteinte au droit dont la protection est invoquée a été connue
(18)
.
V –L’analyse de la question préjudicielle
A –Délimitation de l’objet du litige
17. Il n’est pas contesté que la taxe acquittée par Recheio au Registo Nacional de Pessoas Colectivas a le statut d’imposition
contraire au droit communautaire, et que la société en question a le droit d’intenter les actions pertinentes sur le plan
national
(19)
.
18. Le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa s’interroge sur le point de savoir si le droit communautaire permet
d’assujettir à un délai de quatre-vingt-dix jours l’introduction du recours juridictionnel en restitution des montants indûment
versés au titre d’impositions qui, comme celle qui a été facturée à Recheio, sont incompatibles avec le droit de l’Union européenne.
19. Pour la juridiction portugaise saisie, il est acquis que le délai en cause est conforme au principe d’équivalence. C’est ce
qu’elle retient dans l’ordonnance de renvoi, en indiquant que «le recours en annulation s’applique à tous les actes de liquidation
de recettes fiscales, qu’ils soient fondés sur la législation communautaire ou sur la législation nationale»
(20)
, de sorte que les questions qu’elle soulève se réfèrent exclusivement au principe d’effectivité, qu’elle évoque dans la partie
finale de sa première question, où elle vise à déterminer si la fixation d’un délai de quatre-vingt-dix jours «rend extrêmement
difficile l’exercice du droit à restitution».
20. De ce fait, les louables efforts déployés par Recheio dans ses observations écrites pour démontrer que le délai accordé par
le droit procédural portugais est contraire au principe d’équivalence sont inutiles puisque, dès lors que la juridiction nationale
admet, après avoir interprété le droit interne, que ce délai est applicable à tous les types d’actions, la Cour n’a rien à
dire à ce sujet
(21)
.
21. L’analyse de la compatibilité du délai en cause avec le droit communautaire doit uniquement se fonder sur le principe d’effectivité
et, sur ce point également, il convient d’écarter toute considération sur l’existence d’une voie de recours subsidiaire –
l’action en reconnaissance d’un droit – disponible pendant un délai de quatre ans, ou sur le fait que, lorsque le recours
en annulation est fondé sur la nullité de plein droit, son exercice n’est pas soumis à un délai. C’est au juge national qu’il
appartient de déterminer s’il y a lieu d’emprunter cette voie de procédure dans l’hypothèse où la Cour jugerait que l’ordre
juridique communautaire s’oppose à une règle de procédure telle que celle qui figure à l’article 102, paragraphe 1, du Código
de Procedimento e de Processo Tributário
(22)
. De même, c’est aux organes juridictionnels portugais qu’il appartient de statuer sur la nature du vice qui affecte la liquidation
d’impôt qui fait l’objet du litige principal et, par conséquent, de dire si elle doit être contestée dans le délai de quatre-vingt-dix
jours ou à tout autre moment.
22. En résumé, la Cour doit résoudre la question précise posée par la juridiction portugaise indépendamment du fait que Recheio
pourrait faire valoir sa prétention par d’autres voies, assorties de délais de recours plus longs.
B –L’analyse du délai de quatre-vingt-dix jours du point de vue du principe d’effectivité
1. La tâche en incombe aux juridictions nationales
23. Du point de vue du principe d’effectivité, la Cour s’est prononcée directement, à plusieurs reprises, sur des délais concrets
de prescription ou de forclusion impartis dans le droit des États membres pour exercer les actions en vue de la restitution
de montants perçus par le Trésor public en infraction avec le droit communautaire. Ses allusions sont demeurées assez abstraites.
Ainsi, dans les arrêts Rewe et Comet, elle s’est bornée à indiquer que la fixation de délais de recours, si elle est incontestablement
une expression du principe de sécurité juridique, enfreindrait le droit communautaire si elle rendait en pratique impossible
l’exercice des droits, ce qui n’est pas le cas lorsque sont fixés des «délais raisonnables de recours à peine de forclusion»
(23)
. Dans les cas où elle a examiné des délais de recours spécifiques, elle a utilisé le principe d’équivalence comme critère
d’évaluation: les arrêts Edis, Spac, ainsi que Prisco et CASER, précités, reconnaissent que l’ordre juridique de l’Union européenne
ne fait pas opposition à un délai de forclusion de trois ans, dès lors qu’il s’applique indistinctement à toutes les demandes
de remboursement, qu’elles soient fondées sur le droit interne ou sur le droit communautaire
(24)
. Même lorsqu’elle a examiné la transition d’un délai déterminé à un autre plus bref, elle l’a fait en se référant uniquement
au principe en question: l’arrêt Aprile précise que le droit communautaire ne s’oppose pas à l’application d’une disposition
nationale tendant à substituer un délai spécial de forclusion, de cinq, puis de trois ans, au délai ordinaire de prescription
de dix ans
(25)
.
24. Il est certes admis, dans les considérants des arrêts Edis et Spac, qu’«un délai national de forclusion de trois ans qui court
à compter de la date du paiement contesté apparaît raisonnable», et que le droit communautaire ne s’oppose donc pas à ce qu’un
État membre l’invoque
(26)
. Mais, outre qu’il s’agit d’obiter dicta qui ne se reflètent pas sur le dispositif des arrêts, il s’agit d’assertions tautologiques,
dépourvues de toute motivation, qui n’explicitent pas pour quelles raisons de fond un délai de cette durée satisferait au
principe d’effectivité. Pour la Cour, le droit communautaire admet les délais raisonnables, et un délai de trois ans l’est,
sans autre explication.
25. C’est la même attitude qu’elle a suivie lorsqu’elle s’est prononcée expressément sur la conformité avec le principe d’effectivité
de certains délais, imposés par les législations des États membres, pour exercer des actions fondées sur le droit communautaire.
L’arrêt Bessin et Salson
(27)
a établi que le droit communautaire ne s’oppose pas aux dispositions d’un État membre qui prévoient un délai de prescription
impératif de trois ans pour toute demande de remboursement de droits indûment perçus
(28)
. Cette décision s’appuie sur l’idée que les procédures qui ne rendent pas pratiquement impossible l’exercice des droits conférés
par l’ordre juridique communautaire sont admissibles, de telle sorte qu’un délai de prescription de trois ans «correspond
à un choix législatif qui n’a pas pour effet de porter atteinte à l’exigence précitée»
(29)
.
26. De même, l’arrêt Haahr Petroleum
(30)
réaffirme que le droit communautaire ne fait pas obstacle à un délai de prescription de cinq ans car il s’agit d’un délai
qui «doit être qualifié de raisonnable»
(31)
.
27.À une seule occasion, la Cour a tenté de développer davantage la motivation de sa décision: l’arrêt rendu dans l’affaire Grundig
Italiana, dans laquelle j’ai présenté mes conclusions le 14 mars 2002, a jugé non conforme au droit communautaire la fixation
d’une période de transition de quatre-vingt-dix jours pour passer d’un délai de prescription décennal ou quinquennal à un
délai triennal, ajoutant que, pour être conforme au principe d’effectivité, ce délai doit permettre aux contribuables d’avoir
encore une chance raisonnable de faire valoir leurs droits au remboursement si leur action devient tardive avec l’instauration
du nouveau régime, afin qu’ils puissent préparer leur défense sans précipitation et sans se sentir liés par l’obligation d’agir
dans une urgence disproportionnée par rapport au délai qui leur était accordé à l’origine
(32)
. Sous le point suivant, elle ajoute qu’un délai de quatre-vingt-dix jours est insuffisant parce que, en prenant comme référence
un délai initial de cinq ans, les contribuables dont les droits sont nés il y a environ trois ans doivent agir en trois mois,
alors qu’ils pensaient disposer encore de près de deux années de plus
(33)
, et elle conclut que la période de transition minimale raisonnable peut être évaluée à six mois
(34)
.
28. La position de la Cour obéit à une explication simple: lorsque les délais impartis pour exercer les actions sont calculés
en années, il est évident qu’ils sont propres à permettre d’exercer effectivement les droits reconnus par l’ordre juridique
communautaire, de sorte qu’il n’est pas besoin d’autre justification. Au contraire, lorsqu’il est question de périodes plus
brèves, en mois ou en jours, l’appréciation de leur utilité est moins claire, et exige une motivation.
29. Or, comme je l’ai relevé dans mes conclusions dans l’affaire Grundig Italiana, cette appréciation n’incombe pas à la Cour
puisque, sauf dans les cas évidents
(35)
, c’est le juge national qui en est chargé
(36)
. Pour déterminer si un délai donné est conforme au principe d’effectivité, il convient d’apprécier «l’ensemble des conditions
de fait et de droit, formelles et matérielles, qui doivent être respectées dans l’ordre juridique national pour pouvoir exercer
les actions en répétition. Une réponse définitive ne peut être apportée que grâce à cette vision globale, dont seules les
juridictions nationales […] disposent»
(37)
.
30. La Cour en a jugé ainsi dans certaines affaires, puisque, selon l’arrêt Dilexport, c’est au juge national qu’il revient de
décider si les modalités applicables rendent en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés
par l’ordre juridique communautaire
(38)
, cette référence incluant le délai d’exercice de l’action, qui est la première de ces modalités.
31. Peut-être, dans l’affaire Grundig Italiana, des éléments suffisants étaient-ils réunis pour que la Cour se soit aventurée
à se prononcer elle-même, compte tenu de ce qu’il s’agissait de la transition d’un délai de prescription de cinq ans à un
autre de trois ans, si bien que les contribuables dont les droits étaient nés environ trois ans auparavant se trouvaient en
pratique contraints d’agir dans les trois mois, alors qu’ils pensaient disposer encore de quelque deux années
(39)
. Mais le traitement fait à cette affaire semble concerner, non pas tous les systèmes juridiques nationaux, mais seulement
le système italien, puisque seules les modalités de son régime de procédure ont été évaluées, de telle sorte que l’arrêt préjudiciel
était dépourvu de l’orientation générale et objective qu’elle doit suivre pour assumer sa fonction intrinsèque, celle de garantir
l’interprétation uniforme du droit communautaire, et s’est réduit à une exégèse uti singuli, se référant à un ordre juridique
en particulier.
32. Ce qui est certain, c’est que, comme la Cour l’a reconnu à de multiples occasions, le système des voies de recours contre
les impositions illégalement perçues et le régime de remboursement des montants indûment versés sont conçus de manière différente
dans les divers États membres. Par conséquent, il est difficile d’apprécier abstraitement si un délai de transition de quatre-vingt-dix
jours, comme celui visé dans l’affaire Grundig Italiana, est conforme au principe d’effectivité, car il faut, pour statuer,
apprécier, non seulement la durée, mais aussi de nombreuses autres circonstances, par exemple, et sans prétendre à l’exhaustivité:
si quiconque peut plaider, ou si le ministère d’avocat est nécessaire; si, pour agir devant les tribunaux, le demandeur peut
comparaître personnellement ou s’il est nécessaire de délivrer un mandat de représentation; dans cette dernière hypothèse,
s’il faut le faire devant un officier public; si, dans le cas de personnes morales, l’adoption d’un acte spécifique est exigée
pour exercer l’action, considérant, le cas échéant, les délais, les conditions et les formes imposés à cet effet; si, à titre
de condition préalable, il est obligatoire de former une réclamation devant l’administration; si cette réclamation a un caractère
suspensif; s’il est obligatoire d’informer préalablement les autorités publiques de l’intention d’intenter une action judiciaire.
On pourrait allonger la liste des conditions requises, déterminant la complexité et le coût du recours dans chaque État.
33. Face à cette diversité et à d’autres particularités aisément imaginables pour qui évolue dans les sphères du droit européen
comparé, l’ordre juridique communautaire doit assurer la sauvegarde des droits qu’il confère aux justiciables
(40)
, en exigeant que les modalités de la procédure nationale applicable pour leur protection ne soient pas moins favorables que
celles des recours similaires d’ordre interne, et qu’elle ne soit pas en pratique impossible ou extrêmement difficile
(41)
.
34. De ce fait, comme je l’ai déjà exposé dans mes conclusions dans l’affaire Grundig Italiana, la notion juridique indéterminée
de «délai raisonnable», à laquelle la jurisprudence communautaire se réfère pour apprécier la conformité avec le principe
d’effectivité, doit être précisée par les juridictions nationales, sauf dans les cas extrêmes dans lesquels, parce qu’il apparaît
à l’évidence suffisant ou parce qu’il paraît incontestablement trop bref, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les
conditions concrètes de chaque système national, de sorte qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que la Cour se prononce à cet
égard.
35. Il ne paraît donc pas cohérent que l’arrêt Grundig Italiana, après avoir déclaré qu’un délai donné était insuffisant, ait
décrété le délai minimal réputé suffisant pour garantir l’exercice effectif des actions fondées sur le droit communautaire,
s’arrogeant des fonctions de législateur, sans qu’on sache bien s’il est communautaire ou italien. En outre, l’arrêt en question
ne motive pas le choix d’un délai de six mois ni la raison pour laquelle il est approprié. Il mentionne seulement qu’il permet
«aux contribuables normalement diligents de prendre connaissance du nouveau régime et de préparer et d’engager leur action
dans des conditions qui ne compromettent pas leurs chances»
(42)
. Pourquoi un délai de trois mois n’est-il pas approprié, par opposition à un délai de six mois? L’arrêt Grundig Italiana
se révèle ainsi être le fruit du volontarisme et d’une conception erronée du mécanisme du renvoi préjudiciel. Selon l’article
234 CE, la Cour est chargée de l’interprétation ultime du droit communautaire, en fournissant aux juridictions nationales
les orientations précises pour son application, sans qu’elle soit le moins du monde habilitée à s’impliquer dans cette dernière
opération juridique, sous peine de méconnaître les fondements de cet instrument de collaboration entre organes juridictionnels,
qui impose un respect scrupuleux des domaines de compétence de chacun
(43)
. En réalité, avec des «pronunciamientos» de cette nature, la Cour se comporte de la même manière que dans un recours direct,
en s’attribuant, en marge des règles du traité, des compétences de pleine juridiction qui portent gravement atteinte au pouvoir
souverain du juge national de résoudre le litige principal
(44)
. Le système de l’article 234 CE repose sur la différence entre intégration et application des normes, en permettant de concilier
la légitime autorité du juge national avec la nécessaire uniformité du droit communautaire, comme Robert Lecourt l’a observé
il y a bien des années déjà
(45)
. L’accomplissement de cette tâche exige un respect rigoureux de la répartition des compétences
(46)
. Il est vrai que la distinction entre l’interprétation et l’application est d’une grande subtilité, tant il est difficile
d’interpréter une norme sans l’appliquer, ou de l’appliquer sans l’interpréter, mais la Cour doit éviter de prendre la place
du juge national, en se bornant, dans les limites tracées par l’ordonnance de renvoi, à fournir les réponses demandées
(47)
. Ami Barav
(48)
a reconnu que, malgré les déclarations solennelles de la Cour sur le respect qu’elle doit aux compétences du juge national,
la réalité est bien différente
(49)
.
36. Pour les raisons qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre au Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa dans
les termes déjà employés par la Commission dans ses observations écrites, en déclarant:
que le droit communautaire, et en particulier le principe qui exige son effectivité, s’oppose aux dispositions d’un État membre
qui, aux fins des actions en remboursement d’impositions perçues en violation de ce droit, fixent un délai qui rend en pratique
extrêmement difficile l’exercice du droit au remboursement, et
qu’il incombe au juge national de déterminer, en appréciant tous les éléments de fait et de droit, de forme et de fond, qui
conditionnent l’exercice de l’action, si le délai imparti par l’ordre juridique interne est raisonnable et garantit le principe
mentionné.
2.À titre subsidiaire
37. Si la Cour devait estimer nécessaire de se prononcer sur la demande qui fait l’objet du litige principal, en statuant sur
la pertinence d’un délai concret spécifique, tel celui de quatre-vingt-dix jours établi à l’article 102, paragraphe 1, du
Cᄈdigo de Procedimento e de Processo Tributário, on peut estimer, semble-t-il, à la lumière des circonstances de fait du litige,
et de la connaissance inévitablement fragmentaire du système juridique portugais, au vu des éléments fournis par l’ordonnance
de renvoi, que le délai en cause apparaîtrait raisonnable et aurait permis à Recheio d’exercer ses droits dans un total respect
de l’effectivité.
38. Le point a) de la disposition citée stipule que le délai commence à courir le lendemain de l’arrivée à expiration du délai
imparti pour le paiement volontaire des taxes, délai qui est généralement de trente jours à compter de la notification de
la liquidation
(50)
. Dans le litige principal, la liquidation attaquée date du 4 mars 1998, de sorte que le délai de paiement volontaire expirait
autour
(51)
du 15 avril suivant, si bien que l’entreprise concernée avait la possibilité d’introduire le recours administratif contentieux
jusqu’aux alentours du 19 août
(52)
.
39. Un délai qui, en réalité, dure quasiment cinq mois et demi (entre le jour de la notification de la liquidation attaquée et
le jour où expire le délai imparti pour introduire le recours contentieux) n’empêche ni n’entrave l’exercice effectif des
droits controversés dans le litige principal.
40. En premier lieu, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour
(53)
, le droit communautaire n’interdit pas à un État membre d’opposer aux actions en remboursement d’impositions perçues en violation
d’une directive un délai national de forclusion qui court dès le paiement de la taxe, même si, à cette date, cette directive
n’avait pas encore été correctement transposée dans l’ordre juridique national
(54)
. Cette solution, qui recherche l’équilibre entre l’effectivité du droit à la protection judiciaire et le principe de sécurité
juridique, n’apparaît pas, comme je l’ai déjà relevé dans mes conclusions dans l’affaire Edis
(55)
, pleinement satisfaisante pour les contribuables, qui se voient tenus de payer une taxe contraire au droit communautaire,
mais, aussi longtemps qu’il n’existe pas de règle uniforme en la matière, il appartient aux États membres de déterminer, aux
conditions maintes fois énumérées, les critères auxquels sont soumises les actions en répétition de l’indu
(56)
.
41. Et, dans cette recherche de l’équilibre entre les droits des contribuables et l’intérêt général, qui empêche que les décisions
administratives demeurent perpétuellement sous l’épée de Damoclès d’un éventuel recours juridictionnel, l’instauration d’un
délai pour l’introduction d’un recours administratif contentieux, tel qu’il est prévu par le droit processuel portugais, peut
être qualifié de raisonnable. Il représente une durée suffisante pour, une fois la liquidation de taxes connue, prendre la
décision de l’attaquer, réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires pour ce faire et préparer une défense appropriée
(57)
. Si l’on analyse les dispositions d’autres États membres en la matière, on constate que toutes prévoient des délais d’une
durée analogue
(58)
, qui fonctionnent dans les différents ordres juridiques sans susciter de doutes quant à leur aptitude à permettre la protection
juridictionnelle des droits.
42. En outre, il ne fait aucun doute que les actions fondées sur le droit interne méritent de pouvoir être exercées dans le même
délai que celles qui sont fondées sur l’ordre juridique communautaire dès lors que, sur le plan des principes, on ne saurait
soutenir le contraire.
43. Le fait que l’administration dispose de délais plus longs pour exercer ses compétences en matière fiscale
(59)
ne constitue pas un indice de ce que le délai de quatre-vingt-dix jours accordé aux contribuables pour introduire le recours
administratif contentieux méconnaît le principe d’effectivité du droit communautaire. En premier lieu, parce que les principes
et les objectifs qui régissent l’action de l’une et des autres sont totalement différents, l’appréciation de son caractère
suffisant ou non est indépendante du fait que l’administration dispose de délais plus longs pour agir. D’autre part, puisque
le principe d’égalité n’intervient pas dans ce domaine, il apparaît évident que les pouvoirs publics et les citoyens n’ont
pas à être soumis aux mêmes règles. La forclusion du droit de liquider les taxes et la prescription des dettes fiscales répondent
à des critères très différents de ceux qui soumettent l’exercice des actions judiciaires par les citoyens à des délais déterminés.
Recheio déploie de louables efforts d’argumentation dans ses observations écrites, mais elle mélange des notions juridiques
différentes, comme la forclusion et la prescription, son raisonnement semblant confus lorsqu’elle occulte que l’administration
portugaise ne peut révoquer les actes valides constitutifs de droits et d’intérêts légalement protégés que pour autant qu’ils
produisent des effets défavorables pour leurs destinataires
(60)
, ainsi que le fait que les actes invalides doivent être abrogés dans le délai imparti pour le recours contentieux correspondant
(61)
.
VI –Conclusion
44.À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions posées à la Cour par le Tribunal
Tributário de Primeira Instância de Lisboa dans les termes suivants:
«Le droit communautaire, et en particulier le principe de son effectivité, s’oppose aux dispositions d’un État membre qui
soumettent les actions en remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire à un délai qui rend en pratique
extrêmement difficile l’exercice du droit au remboursement.
Il incombe au juge national de déterminer, en appréciant tous les éléments de fait et de droit, tant formels que matériels,
qui conditionnent l’exercice de l’action, si le délai imparti par l’ordre juridique interne est raisonnable et garantit le
principe susmentionné.»
45.À titre subsidiaire, s’il est jugé indispensable d’envisager l’application du droit communautaire, en dépit des dispositions
de l’article 234 CE, aux circonstances du litige principal, je proposerais d’indiquer que:
«Le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un délai tel que celui qui fait l’objet du litige principal soit imparti pour
l’exercice d’actions en remboursement d’impositions perçues en violation du droit communautaire, dès lors qu’il s’impose également
aux demandes de remboursement fondées sur le droit interne.»
Voir arrêts du 16 décembre 1976, Rewe (33/76, Rec. p. 1989, point 1 du dispositif), et Comet (45/76, Rec. p. 2043, dispositif),
ainsi que arrêts du 15 septembre 1998, Edis (C‑231/96, Rec. p. I-4951, point 2 du dispositif), et Spac (C‑260/96, Rec. p.
I-4997, point 1 du dispositif). De même, arrêts du 27 février 1980, Just (68/79, Rec. p. 501, point 3 du dispositif); du 27
mars 1980, Denkavit Italiana [61/79, Rec. p. 1205, point 1, sous a), du dispositif]; du 10 juillet 1980, Ariete (811/79, Rec.
p. 2545, dispositif), et Mireco (826/79, Rec. p. 2559, dispositif); du 10 juillet 1997, Palmisani (C‑261/95, Rec. p. I-4025,
dispositif); du 17 novembre 1998, Aprile (C-228/96, Rec. p. I-7141, point 1 du dispositif), et du 9 février 1999, Dilexport
(C-343/96, Rec. p. I-579, point 1 du dispositif). Parmi la jurisprudence plus récente, on pourra consulter les arrêts du 10
septembre 2002, Prisco et CASER (C‑216/99 et C‑222/99, Rec. p. I-6761, point 2 du dispositif), et du 2 octobre 2003, Weber's
Wine e.a. (C-147/01, non encore publié au Recueil, point 3 du dispositif).
Voir arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 12 et dispositif); du 8 février 1996, FMC e.a. (C‑212/94,
Rec. p. I-389, point 64 et point 4 du dispositif); Edis, précité (note 2), point 34; Spac, précité (note 2), point 18, et
du 15 septembre 1998, Ansaldo Energia e.a. (C-279/96 à C-281/96, Rec. p. I-5025, point 16); Aprile, précité (note 2), point
18; Dilexport, précité (note 2), point 25; du 24 septembre 2002, Grundig Italiana (C-255/00, Rec. p. I‑8003, point 33), et
Weber's Wine e.a., précité (note 2), point 103.
Voir articles 133 et 135 du Código do Procedimento Administrativo (code de procédure administrative), approuvé par le décret-loi
n° 442/91, du 15 novembre 1991. Selon son article 133, paragraphe 2, sont nuls les actes administratifs: a) affectés de détournement
de pouvoir; b) pris par des organes non compétents; c) dont l'objet est impossible, inintelligible ou constitutif d'un délit;
d) portant atteinte à la substance d'un droit fondamental; e) pris sous la coercition; f) pris en l'absence de toute formalité
légale; g) pris par des organes collégiaux à l'issue de délibérations tumultueuses ou en méconnaissance du quorum ou de la
majorité requis par la loi; h) contraires à la chose jugée; ou i) qui découleraient d'actes administratifs précédemment annulés
ou abrogés.
En droit portugais, le recours formé contre l'organe auteur de l'acte attaqué est dénommé «reclamação» [voir article 158,
paragraphe 2, sous a), du Código do Procedimento Administrativo].
Voir les articles 66, paragraphes 1 et 2, et 67, paragraphe 1, du Código de Procedimento e de Processo Tributário (code de
procédure et de contentieux fiscal), approuvé par le décret-loi no 433/99 du 26 octobre 1999.
Voir les dispositions combinées des articles 68, paragraphe 1, et 70, paragraphes 1 et 2, avec l'article 102, paragraphe 1,
du Código de Procedimento e de Processo Tributário.
Articles 76 et 67 du Código de Procedimento e de Processo Tributário, ce dernier conjugué avec l'article 167, paragraphe 1,
du Código do Procedimento Administrativo: si le recours hiérarchique a toujours, en matière fiscale, un caractère facultatif,
c'est qu'il est prévu que l'acte administratif est susceptible de recours contentieux administratif.
Voir article 96 du Código de Procedimento e de Processo Tributário et articles 9 et 95, paragraphe 1, de la Lei Geral Tributária
(code fiscal), approuvée par le décret-loi n°398/98, du 17 décembre 1998. Ces dispositions portent application en matière
fiscale de la clause générale de l'article 268, paragraphe 4, de la Constitution portugaise, qui «garantit aux administrés
la protection de leurs droits et intérêts légalement protégés, y compris, notamment, le droit de recours contre tout acte
administratif leur portant atteinte, indépendamment de sa forme».
Voir arrêt du 26 septembre 2000, IGI (C-134/99, Rec. p. I-7717), dont le dispositif est le suivant:
«1) La directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de
capitaux, dans sa version résultant de la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, doit être interprétée en ce sens
que la perception de droits, tels que ceux en cause au principal, pour l'inscription d'une augmentation du capital social
d'une société de capitaux à un registre national des personnes morales constitue une imposition au sens de cette directive.
2) Des droits dus pour l'inscription d'une augmentation du capital social d'une société de capitaux à un registre national
des personnes morales sont, lorsqu'ils constituent une imposition au sens de la directive 69/335, dans sa version résultant
de la directive 85/303, en principe, prohibés en vertu de l'article 10, sous c), de la même directive.
3) N'ont pas un caractère rémunératoire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, dans sa
version résultant de la directive 85/303, des droits perçus pour l'inscription d'une augmentation du capital social d'une
société de capitaux à un registre national des personnes morales, tels que les droits en cause au principal, dont le montant
augmente directement et sans limites en proportion du capital social souscrit.
4) L'article 10 de la directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, engendre des droits dont les particuliers
peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales.»
Les considérations de Recheio sur le recours en inconstitutionnalité (points 92 et suiv. de ses observations écrites) sont
superfétatoires puisque, si l'éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité de la disposition instaurant une imposition telle
que celle qui fait l'objet du litige principal, dans la mesure où elle est susceptible de produire des effets ex tunc, peut
entraîner la nullité des actes pris en application de la disposition annulée, sous réserve des limitations que la cour constitutionnelle
établit à ce sujet quant aux effets rétroactifs de son arrêt d'annulation (voir l'article 282 de la Constitution portugaise),
cette conséquence n'a rien à voir avec la possibilité d'intenter, sans limitation dans le temps, une action contre une liquidation
d'impôt. La déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi stipule que les actes pris pour son application sont affectés de
nullité, de manière que les intéressés puissent les attaquer sans limitation dans le temps si la cour constitutionnelle ne
limite pas la portée de l'arrêt d'annulation, conformément à l'article 102, paragraphe 3, du Código de Procedimento e de Processo
Tributário, mais il en va de même pour les actes qui enfreignent le droit communautaire, si cette infraction entraîne la nullité.
En d'autres termes, le fait que l'introduction du recours contre un acte administratif soit soumise à un délai de quatre-vingt-dix
jours, ou ne soit soumise à aucun délai, ne dépend pas du domaine du droit où l'infraction est commise, mais de la nature
du vice qui affecte l'acte.
Quoi qu'il en soit, la jurisprudence portugaise soutient que la voie appropriée pour faire valoir des prétentions telles que
celle qu'invoque Recheio est celle du recours en annulation, comme l'atteste le fait que cette société a introduit une action
en reconnaissance d'un droit, que la juridiction de renvoi a requalifié en recours en annulation.
Rappelons que, selon la jurisprudence de la Cour, le droit d'obtenir le remboursement des sommes perçues en violation du droit
de l'Union européenne est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires
telles qu'elles ont été interprétées par la Cour elle-même, de sorte que les États membres sont tenus de rembourser les taxes
perçues en violation de ce droit (voir, notamment, arrêts du 2 décembre 1997, Fantask e.a., C‑188/95, Rec. p. I-6783, point
38, et Dilexport, précité, point 23; on peut également se reporter à l’arrêt du 22 octobre 1998, IN.CO.GE'90 e.a., C-10/97
à C-22/97, Rec. p. I-6307, point 24).
Arrêt du 22 novembre 1978, Mattheus (93/78, Rec. p. 2203, point 5). Dans ses conclusions, l’avocat général Mayras a souligné
que la Cour ne peut fonder sa compétence préjudicielle que sur les termes précis dans lesquels l’article 177 du traité la
lui attribue (Rec. p. 2212).
Dans l'arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C-224/01, non encore publié au Recueil), la Cour a persisté dans cette erreur.
À propos de la responsabilité patrimoniale des États membres pour les dommages subis par les particuliers du fait des violations
du droit communautaire imputables à un organe juridictionnel national, elle a énuméré les conditions et les critères qui doivent
être réunis pour que cette responsabilité soit engagée (point 59), mais, après avoir reconnu que son application incombe au
juge national (point 100), elle a investi un terrain qui lui est interdit, en se lançant dans une opération qui lui est étrangère
(points 101 et suiv.). Dans le cadre d’un pourvoi, la Cour a commis une erreur analogue dans l’arrêt du 20 septembre 2001,
Procter & Gamble/OHMI, dit «Baby-dry» (C-383/99, Rec. p. I-6251), où elle a également excédé ses attributions, comme j’ai
eu l’occasion de l’indiquer pour la première fois dans les conclusions que j’ai présentées le 31 janvier 2002, dans l’affaire
KPN (C-363/99) (voir, en particulier, point 68), dans laquelle l’arrêt n’a pas encore été rendu.
Lagrange, M., «L'action préjudicielle dans le droit interne des États membres et en droit communautaire», Revue trimestrielle de droit européen, 1974, p. 268.
De Richemont, J., L'intégration du droit communautaire dans l'ordre juridique intern e, éd. Librairie du Journal des notaires et des avocats, Paris, 1975, p. 41 et suiv.
Récemment, A. Barav a répété, dans «Transmutations Préjudicielles», sa contribution aux Mélanges Gil Carlos Rodríguez Iglesias,
Une communauté de droit, BWV-Berliner Wissenschaftsverlag, Berlin 2003, p. 622, que «la coopération entre les juridictions nationales et la Cour de
justice dans le cadre de la procédure préjudicielle est articulée autour d'une répartition ‘impérative’ de fonctions dont
le respect mutuel constitue la sève».
Sur le calcul des délais, voir articles 72 du Código do Procedimento Administrativo, 20 du Código de Procedimento e de Processo
Tributário, et 279 du Código Civil portugais.
Seul l’arrêt du 25 juillet 1991, Emmott (C-208/90, Rec. p. I‑4269), a soutenu la thèse contraire, alors que d’autres arrêts
ultérieurs (les arrêts cités sous la note précédente, ainsi que ceux du 27 octobre 1993, Steenhorst-Neerings, C‑338/91, Rec.
p. I-5475, et du 6 décembre 1994, Johnson, C-410/92, Rec. p. I‑5483), l’ont abandonnée, ce qui se justifiait par les particularités
des circonstances de l’espèce.
En tout état de cause, le droit portugais de la procédure offre une autre voie de recours, l’action en reconnaissance d’un
droit, soumise à un délai de recours de quatre ans, qui peut être empruntée lorsqu’elle se révèle le moyen le plus approprié
pour assurer une protection étendue et efficace (voir article 145 du Código de Procedimento e de Processo Tributário). Cependant,
le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa a estimé que cette voie de procédure n’était pas pertinente pour faire
valoir la demande de Recheio [voir point i) de l’ordonnance de renvoi].
L’article 108, paragraphe 1, du Código de Procedimento e de Processo Tributário dispose: «Le recours est formulé dans une
requête adressée au juge ou au tribunal compétent, identifiant l'acte attaqué et l'organisme qui l'a pris, et exposant les
faits et les moyens de droit qui fondent la demande».
En droit espagnol le délai est, en principe, de deux mois (article 46, paragraphe 1, de la loi n° 29/1998, du 13 juillet 1998,
portant organisation de la juridiction administrative contentieuse), comme dans le système français (article 1er du décret 65-29, du 11 janvier 1965, relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative). Le droit belge
établit un délai de soixante jours (article 30, paragraphe 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'État), de même que le
droit italien, pour l'introduction du recours en matière fiscale (article 21, paragraphe 1, du decreto legislativo nº 546,
du 31 décembre 1992, portant «Disposizioni sul processo tributario in attuazione della delega al Governo contenutta nell'art.
30 della lege 30 dicembre 1991, n. 413»). En droit allemand, le délai est d'un mois [article 74 de la Verwaltungsgerichtsordnung
(VwGO) du 21 janvier 1960 – loi relative au contentieux administratif]. Le délai imparti pour l'introduction de ces délais
court à compter du lendemain de la publication ou de la notification de l'acte attaqué ou, le cas échéant, de la décision
de rejet du recours gracieux préalable.
Le droit de liquider les taxes se prescrit par quatre années, et les dettes d'impôt se prescrivent dans un délai de huit années;
par ailleurs, l'administration dispose de quatre années pour rectifier d'office les actes pris en la matière (articles 45,
48 et 78 de la Lei Geral Tributária, respectivement).
Voir article 140 du Código do Procedimento Administrativo qui, en vertu de l'article 2, sous d), du Código de Procedimento
e de Processo tributário, s'applique subsidiairement.
Voir article 141 du Código do Procedimento Administrativo. L’article 78 de la Lei Geral Tributária, auquel Recheio se réfère
dans ses observations écrites, qui soumet l'abrogation des actes fiscaux à l'initiative de l'intéressé au délai imparti pour
introduire le recours gracieux, alors que l'administration dispose de quatre ans, ne s'applique qu'aux rectifications en faveur
de l'administré (Lima Guerreiro, A., Lei Geral Tributária anotada, Editora Rei dos Libros, Lisbonne, 2001, p. 343).