62001J0425

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 juin 2003. - Commission des Communautés européennes contre République portugaise. - Manquement d'État - Transposition incomplète de la directive 89/391/CEE - Sécurité et santé des travailleurs. - Affaire C-425/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-06025


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Directive 89/391 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail - Représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé - Réglementation nationale concernant les procédures d'élection ou de désignation - Portée

irective du Conseil 89/391, art. 3, c))

Sommaire


$$Il ressort de l'article 3, sous c), de la directive 89/391, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, que ladite directive ne contient pas d'obligation pour les États membres de prévoir une procédure d'élection des représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, mais envisage également d'autres possibilités de choisir ou de désigner lesdits représentants.

Dans le cas où le choix de la procédure d'élection a été fait par un État membre, la directive 89/391 n'impose pas expressément que la législation nationale précise dans le détail toutes les modalités applicables à cette procédure. Toutefois, lorsqu'un État membre prévoit que les représentants des travailleurs ayant une telle fonction doivent être élus, il incombe à cet État membre d'assurer que les travailleurs puissent procéder à l'élection de leurs représentants conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

( voir points 20-22 )

Parties


Dans l'affaire C-425/01,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. H. Kreppel et M. França, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par MM. L. Fernandes et F. Ribeiro Lopes, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 10 à 12 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO L 183, p. 1),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, P. Jann, S. von Bahr (rapporteur) et A. Rosas, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 décembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 10 à 12 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO L 183, p. 1).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2 Aux termes de l'article 3, sous c), de la directive 89/391, on entend par «représentant des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs», toute personne élue, choisie ou désignée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, pour être le délégué des travailleurs en ce qui concerne les problèmes de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

3 L'article 4 de la directive 89/391 dispose que les États membres prennent les dispositions nécessaires pour assurer que les employeurs, les travailleurs et les représentants des travailleurs sont soumis aux dispositions juridiques requises pour la mise en oeuvre de la directive.

4 En vertu de l'article 10 de la même directive, intitulé «Information des travailleurs», les travailleurs et/ou leurs représentants dans l'entreprise et/ou l'établissement doivent recevoir des informations sur les risques pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail ainsi que sur les mesures et les activités de protection et de prévention.

5 L'article 11 de la directive 89/391, intitulé «Consultation et participation des travailleurs», dispose:

«1. Les employeurs consultent les travailleurs et/ou leurs représentants et permettent leur participation dans le cadre de toutes les questions touchant à la sécurité et à la santé au travail.

Cela implique:

- la consultation des travailleurs,

- le droit des travailleurs et/ou de leurs représentants de faire des propositions,

- la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

2. Les travailleurs ou les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, participent de façon équilibrée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ou sont consultés au préalable et en temps utile par l'employeur sur:

a) toute action qui peut avoir des effets substantiels sur la sécurité et la santé;

b) la désignation des travailleurs prévue à l'article 7 paragraphe 1 et à l'article 8 paragraphe 2 ainsi que sur les activités prévues à l'article 7 paragraphe 1;

c) les informations prévues à l'article 9 paragraphe 1 et à l'article 10;

d) l'appel, prévu à l'article 7 paragraphe 3, le cas échéant, à des compétences (personnes ou services) extérieures à l'entreprise et/ou à l'établissement;

e) la conception et l'organisation de la formation prévue à l'article 12.

3. Les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ont le droit de demander à l'employeur qu'il prenne des mesures appropriées et de lui soumettre des propositions en ce sens, de façon à pallier tout risque pour les travailleurs et/ou à éliminer les sources de danger.

4. Les travailleurs visés au paragraphe 2 et les représentants des travailleurs visés aux paragraphes 2 et 3 ne peuvent subir de préjudice en raison de leurs activités respectives visées aux paragraphes 2 et 3.

5. L'employeur est tenu d'accorder aux représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, une dispense de travail suffisante sans perte de salaire et de mettre à leur disposition les moyens nécessaires pour permettre à ces représentants d'exercer les droits et fonctions découlant de la présente directive.

6. Les travailleurs et/ou leurs représentants ont le droit de faire appel, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, à l'autorité compétente en matière de sécurité et de santé au travail, s'ils estiment que les mesures prises et les moyens engagés par l'employeur ne sont pas suffisants pour garantir la sécurité et la santé au travail.

Les représentants des travailleurs doivent pouvoir présenter leurs observations lors de visites et vérifications effectuées par l'autorité compétente.»

6 L'article 12, paragraphe 3, de la directive 89/391 dispose que les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique dans la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ont droit à une formation appropriée.

La réglementation nationale

7 La directive 89/391 a été transposée dans l'ordre juridique portugais par le Decreto-lei n° 441/91 que estabelece o regime jurídico de enquadramento da segurança, higiene e saúde no trabalho (décret-loi nº 441/91 établissant le régime juridique d'encadrement de la sécurité, de l'hygiène et de la santé au travail), du 14 novembre 1991 (Diário da República I, n° 262, du 14 novembre 1991), modifié par le décret-loi n° 133/99, du 21 avril 1999 (Diário da República I, n° 93, du 21 avril 1999), et par l'article 24 de la loi nº 118/99, du 11 août 1999 (Diário da República I, n° 186, du 11 août 1999, ci-après le «décret-loi nº 441/91»).

8 L'article 3, sous d), du décret-loi nº 441/91 définit le représentant des travailleurs comme étant «la personne élue dans les conditions définies par la loi pour exercer des fonctions de représentation des travailleurs dans les domaines de la sécurité, de l'hygiène et de la santé au travail».

9 L'article 10 du décret-loi nº 441/91 définit les grandes lignes du processus d'élection des représentants des travailleurs:

«1. Les représentants des travailleurs pour la sécurité, l'hygiène et la santé au travail sont élus par les travailleurs par vote direct et secret, selon le principe de représentation fondé sur la méthode d'Hondt.

2. Ne peuvent se présenter à l'élection que les listes déposées par les organisations syndicales qui ont des travailleurs représentés dans l'entreprise ou les listes signées, au minimum, par 20 % des travailleurs de l'entreprise, aucun travailleur ne pouvant apposer sa signature ou figurer sur plus d'une liste.

3. Chaque liste devra indiquer un nombre de candidats effectifs égal à celui des sièges à pourvoir et un nombre égal de candidats suppléants.

4. Les représentants des travailleurs ne pourront pas excéder:

a) Entreprises de moins de 61 travailleurs - un représentant;

b) Entreprises de 61 à 150 travailleurs - deux représentants;

c) Entreprises de 151 à 300 travailleurs - trois représentants;

d) Entreprises de 301 à 500 travailleurs - quatre représentants;

e) Entreprises de 501 à 1 000 travailleurs - cinq représentants;

f) Entreprises de 1 001 à 1 500 travailleurs - six représentants;

g) Entreprises de plus de 1 500 travailleurs - sept représentants.

5. Le mandat des représentants des travailleurs est de trois ans.

6. Le remplacement des représentants n'est admis qu'en cas de démission ou d'empêchement définitif; il est assuré par les candidats effectifs et les suppléants dans l'ordre indiqué sur la liste concernée.

7. Les représentants des travailleurs auxquels se réfèrent les paragraphes précédents disposent, pour l'exercice de leurs fonctions, d'un crédit de cinq heures par mois.

8. Le crédit d'heures visé au paragraphe précédent n'est pas cumulable avec les crédits d'heures dont le travailleur bénéficie pour sa participation à d'autres structures de représentation des travailleurs.»

10 L'article 23, paragraphe 2, sous b), du décret-loi nº 441/91 prévoit l'adoption d'une législation complémentaire, notamment en ce qui concerne le «processus d'élection des représentants des travailleurs prévu à l'article 10 et leur régime de protection».

11 En ce qui concerne les administrations publiques centrale, régionales et locales, l'élection des représentants des travailleurs a été prévue par le décret-loi n° 191/95, du 28 juillet 1995 (Diário da República I, n° 173, du 28 juillet 1995), et est actuellement régie par les articles 4 et 5 du décret-loi n° 488/99, du 17 novembre 1999 (Diário da República I, n° 268, du 17 novembre 1999).

Procédure précontentieuse

12 Par lettre de mise en demeure du 26 janvier 2000, la Commission a attiré l'attention des autorités portugaises sur la non-conformité des mesures nationales de transposition de la directive 89/391 avec les obligations découlant de celle-ci. La Commission a critiqué l'absence d'une réglementation relative au processus d'élection des travailleurs en matière de sécurité et de santé au travail et à leur régime de protection.

13 Le 4 avril 2000, les autorités portugaises ont déclaré, en réponse à la lettre de mise en demeure, que la circonstance qu'il n'existe pas de réglementation ne signifie pas qu'il est impossible de procéder à des élections ni que celles qui ont lieu ne se déroulent pas démocratiquement. En outre, les autorités portugaises ont fait valoir que, dans certaines entreprises, les travailleurs ont élu leurs représentants pour la sécurité, l'hygiène et la santé au travail. Elles ont par ailleurs soutenu que la préparation de la réglementation nationale relative à l'élection des représentants des travailleurs en matière de sécurité, d'hygiène et de santé au travail avait été entamée, mais n'était pas encore terminée.

14 Par lettre du 2 février 2001, la Commission a adressé à la République portugaise un avis motivé l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer, dans un délai de deux mois, à la directive 89/391.

15 En réponse à cet avis motivé, les autorités portugaises ont informé la Commission que la réglementation nationale relative à l'élection des représentants des travailleurs pour la sécurité, l'hygiène et la santé au travail était en état d'être adoptée.

16 N'ayant reçu ultérieurement aucune information au sujet de l'adoption des mesures nationales annoncées, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le fond

17 La Commission fait valoir que, dans la mesure où il n'existe pas au Portugal de réglementation claire et précise relative au processus d'élection et au régime de protection des représentants des travailleurs en matière de sécurité et de santé au travail, les travailleurs ne peuvent connaître la plénitude de leurs droits protégés par la directive 89/391 et s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales. La Commission soutient que, si ladite réglementation n'était pas nécessaire, l'article 23, paragraphe 2, sous b), du décret-loi n° 441/91, qui prévoit l'adoption d'une législation complémentaire en ce qui concerne le processus d'élection des représentants des travailleurs, serait superflu.

18 La Commission fait en outre valoir que, si l'article 10 du décret-loi nº 441/91 règle certains aspects essentiels de l'élection des représentants des travailleurs, cet article ne s'étend pas aux aspects pratiques du processus d'élection. Des aspects fondamentaux tels que, notamment, la capacité électorale, la publicité de l'élection, le fonctionnement des bureaux de vote, le processus de dépouillement des votes, la proclamation des résultats et la possibilité de contester les résultats ne seraient pas réglementés. Il en découlerait que les conditions juridiques requises pour que les travailleurs puissent élire leurs représentants en matière de sécurité et de santé au travail et, partant, exercer les droits qui leur sont reconnus par le décret-loi n° 441/91 ne sont pas réunies actuellement. Étant donné que c'est par le biais de ces représentants que les travailleurs ont accès aux droits qui leur sont reconnus par le décret-loi n° 441/91, et par la directive 89/391, l'absence de ces représentants les empêcherait de jouir de tels droits.

19 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 3, sous c), de ladite directive, on entend par «représentant des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs», toute personne élue, choisie ou désignée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, pour être le délégué des travailleurs en ce qui concerne les problèmes de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

20 Il ressort de cette disposition que la directive 89/391 ne contient pas d'obligation pour les États membres de prévoir une procédure d'élection des représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, mais envisage également d'autres possibilités de choisir ou de désigner lesdits représentants.

21 De plus, dans le cas où le choix de la procédure d'élection a été fait par un État membre, la directive 89/391 n'impose pas expressément que la législation nationale précise dans le détail toutes les modalités applicables à cette procédure.

22 Toutefois, lorsqu'un État membre prévoit que les représentants des travailleurs ayant une telle fonction doivent être élus, il incombe à cet État membre d'assurer que les travailleurs puissent procéder à l'élection de leurs représentants conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

23 Ainsi que l'a soutenu le gouvernement portugais, l'article 10 du décret-loi nº 441/91 prévoit des règles concernant l'élection des représentants des travailleurs pour la sécurité, l'hygiène et la santé au travail. Cet article contient notamment des dispositions relatives au droit de vote, aux conditions d'éligibilité, au mode et au type de scrutin, ainsi qu'à la détermination de la majorité nécessaire. Le gouvernement portugais a également affirmé que l'article 2, paragraphe 2, du code de procédure civile portugais prévoit la possibilité de contester les résultats des élections devant les tribunaux.

24 En ce qui concerne le régime de protection des représentants des travailleurs, le gouvernement portugais précise que la réglementation nationale portugaise interdit aux employeurs de s'opposer, sous quelque forme que ce soit, à l'exercice par le travailleur de ses droits, de le licencier ou de lui infliger des sanctions en raison de cet exercice. L'article 10 du décret-loi nº 441/91 prévoit par ailleurs que les représentants des travailleurs disposent d'un certain crédit d'heures par mois pour l'exercice de leurs fonctions.

25 Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que la législation portugaise satisfait aux obligations découlant de la directive 89/391 en ce qu'elle réglemente les questions essentielles relatives aux élections des représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé, permettant ainsi aux travailleurs d'élire leurs représentants, et qu'elle prévoit des dispositions qui visent à protéger ceux-ci dans l'exercice de leurs fonctions.

26 L'article 23, paragraphe 2, sous b), du décret-loi nº 441/91, prévoyant l'adoption d'une réglementation complémentaire relative au processus d'élection et de protection des travailleurs, est une disposition à l'usage exclusif de l'ordre juridique interne ne relevant pas des obligations incombant à la République portugaise en vertu de la directive 89/391.

27 En outre, même si le nombre des entreprises ayant procédé à des élections semble effectivement assez réduit, cette circonstance ne suffit pas pour démontrer que les travailleurs n'ont pas effectivement la possibilité d'élire leurs représentants ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

28 Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n'a pas établi que la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/391.

29 Dès lors, il y a lieu de rejeter le recours.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

30 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République portugaise ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.