Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 15 janvier 2004. - Intervention Board for Agricultural Produce contre Penycoed Farming Partnership. - Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni. - Règlement (CEE) nº 3950/92 - Prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers - Livraisons effectuées par un producteur à un acheteur - Paiement du prélèvement - Recouvrement auprès du producteur. - Affaire C-230/01.
Recueil de jurisprudence 2004 page 00000
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dans l'affaire C-230/01,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Intervention Board for Agricultural Produce
et
Penycoed Farming Partnership,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des règlements (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1), et n° 536/93 de la Commission, du 9 mars 1993, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 57, p.12),
LA COUR (sixième chambre)
composée de M. V. Skouris, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. J.-P. Puissochet et R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric (rapporteur), juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. R. Thompson, barrister,
- pour le gouvernement hellénique, par M. I. Chalkias et Mme C. Tsiavou, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. Niejahr et K. Fitch, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de l'Intervention Board for Agricultural Produce et du gouvernement du Royaume-Uni, représentés par M. R. Thompson, de Penycoed Farming Partnership, représenté par M. P. Stanley, barrister, du gouvernement hellénique, représenté par M. I. Chalkias, ainsi que de la Commission, représentée par MM. M. Niejahr et K. Fitch, à l'audience du 28 novembre 2002,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 février 2003,
rend le présent
Arrêt
1. Par ordonnance du 31 mai 2001, parvenue à la Cour le 12 juin suivant, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a posé, en application de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation des règlements (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1), et n° 536/93 de la Commission, du 9 mars 1993, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 57, p. 12).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre Penycoed Farming Partnership (ci-après «Penycoed») et l'Intervention Board for Agricultural Produce (ci-après le «Board»), organisme chargé d'administrer le système des quotas laitiers au Royaume-Uni, au sujet d'un recouvrement direct, auprès de Penycoed en sa qualité de producteur de lait, du montant du prélèvement supplémentaire sur le lait dû pour les 2,11 millions de litres de lait que ledit producteur avait livrés hors quota au cours de la campagne de commercialisation 1997/1998.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. Le règlement n° 3950/92 a prolongé de sept nouvelles périodes consécutives de douze mois débutant le 1er avril 1993 le régime de prélèvement supplémentaire sur le lait institué par le règlement (CEE) n° 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) n° 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10).
4. Selon le sixième considérant du règlement n° 3950/92, le dépassement des quantités globales garanties pour l'État membre «entraîne le paiement du prélèvement par les producteurs qui ont contribué au dépassement».
5. Le huitième considérant dudit règlement énonce que, «afin d'éviter, comme par le passé, de longs retards dans la perception et le paiement du prélèvement, incompatibles avec l'objectif du régime, il convient d'établir que l'acheteur, qui apparaît le mieux à même d'effectuer les opérations nécessaires, est le redevable du prélèvement et de lui donner les moyens d'en assurer la perception auprès des producteurs qui en sont les débiteurs».
6. L'article 1er du règlement n° 3950/92 dispose:
«Pendant sept nouvelles périodes consécutives de douze mois débutant le 1er avril 1993, il est institué un prélèvement supplémentaire à la charge des producteurs de lait de vache sur les quantités de lait ou d'équivalent-lait livrées à un acheteur ou vendues directement à la consommation pendant la période de douze mois en question et qui dépassent une quantité à déterminer.
Le prélèvement est fixé à 115 % du prix indicatif du lait.»
7. L'article 2, paragraphes 1 à 3, du règlement n° 3950/92 prévoit:
«1. Le prélèvement est dû sur toutes les quantités de lait ou d'équivalent-lait commercialisées pendant la période de douze mois en question et qui dépassent l'une ou l'autre des quantités visées à l'article 3. Il est réparti entre les producteurs qui ont contribué au dépassement.
Selon la décision de l'État membre, la contribution des producteurs au paiement du prélèvement dû est établie, après réallocation ou non des quantités de référence inutilisées, soit au niveau de l'acheteur en fonction du dépassement subsistant après avoir réparti, proportionnellement aux quantités de référence dont chacun de ces producteurs dispose, les quantités de référence inutilisées, soit au niveau national en fonction du dépassement de la quantité de référence dont chacun de ces producteurs dispose.
2. En ce qui concerne les livraisons, l'acheteur redevable du prélèvement paie à l'organisme compétent de l'État membre, avant une date et selon des modalités à déterminer, le montant dû qu'il retient sur le prix du lait payé aux producteurs débiteurs du prélèvement et, à défaut, qu'il perçoit par tout moyen approprié.
[...]
Lorsque les quantités livrées par un producteur dépassent la quantité de référence dont il dispose, l'acheteur est autorisé à retenir à titre d'avance sur le prélèvement dû, selon des modalités déterminées par l'État membre, un montant du prix du lait sur toute livraison de ce producteur qui excède la quantité de référence dont il dispose.
3. En ce qui concerne les ventes directes, le producteur paie le prélèvement dû à l'organisme compétent de l'État membre avant une date et selon des modalités à déterminer.»
8. L'article 9, sous e), du règlement n° 3950/92 dispose:
«Aux fins du présent règlement, on entend par:
[...]
e) acheteur': une entreprise ou un groupement qui achète du lait ou d'autres produits laitiers auprès du producteur:
- pour les traiter ou les transformer,
- pour les céder à une ou plusieurs entreprises traitant ou transformant du lait ou d'autres produits laitiers.
Toutefois, est considéré comme acheteur un groupement d'acheteurs, situés dans une même zone géographique, qui effectue pour le compte de ses adhérents les opérations de gestion administrative et comptable nécessaires au versement du prélèvement. [...]»
9. Les modalités d'application du prélèvement ont été établies par le règlement n° 536/93.
10. Selon le cinquième considérant dudit règlement, «l'expérience acquise a montré que des retards importants et dans la transmission des chiffres de collecte ou de ventes directes, et dans le paiement du prélèvement, empêchaient le régime d'être pleinement efficace; [...] il convient, dès lors, de tirer des leçons du passé les conclusions nécessaires en posant des exigences strictes en matière de délais de communication et de paiement, lesquelles doivent être assorties de sanctions».
11. Le septième considérant du règlement n° 536/93 énonce que le règlement n° 3950/92 «fait de l'acheteur le principal agent de la mise en oeuvre correcte du régime; qu'il est donc essentiel que les États membres agréent les acheteurs opérant sur leur territoire».
12. L'article 3, paragraphes 1, 2 et 4, du règlement n° 536/93 prévoit:
«1. À la fin de chacune des périodes visées à l'article 1er du règlement (CEE) n° 3950/92, l'acheteur arrête pour chaque producteur un décompte indiquant, en regard de la quantité de référence et de la teneur représentative en matière grasse dont ce dernier dispose, le volume et la teneur en matière grasse du lait et/ou de l'équivalent-lait qu'il a livré au cours de la période.
[...]
2. Avant le 15 mai de chaque année, l'acheteur communique à l'autorité compétente de l'État membre le relevé des décomptes établis pour chaque producteur ou, le cas échéant, selon la décision de l'État membre, le volume total, le volume corrigé conformément à l'article 2 paragraphe 2 et la teneur moyenne en matière grasse du lait et/ou de l'équivalent-lait qui lui a été livré par des producteurs, ainsi que la somme des quantités de référence individuelles et la teneur représentative moyenne en matière grasse dont disposent ces producteurs.
[...]
4. Avant le 1er septembre de chaque année, l'acheteur redevable du prélèvement paie à l'organisme compétent le montant dû selon les modalités déterminées par l'État membre.
[...]»
13. Quant aux ventes directes, l'article 4, paragraphes 2 et 4, du règlement n° 536/93 dispose:
«2. Avant le 15 mai de chaque année, le producteur adresse sa déclaration à l'autorité compétente de l'État membre.
[...]
4. Avant le 1er septembre de chaque année, le producteur paie le montant dû à l'organisme compétent selon des modalités déterminées par l'État membre.»
14. L'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 536/93 prévoit:
«Les États membres prennent les mesures complémentaires pour assurer le paiement du prélèvement dû à la Communauté dans le délai imparti.
Dans le cas où le dossier visé à l'article 3 paragraphe 5 du règlement (CEE) n° 2776/88 de la Commission [...], que les États membres transmettent mensuellement à la Commission, fait apparaître que ce délai n'est pas respecté, la Commission procède à une réduction des avances sur la prise en compte des dépenses agricoles au prorata du montant dû ou d'une estimation du montant dû.
Les intérêts payés en vertu de l'article 3 paragraphe 4 et de l'article 4 paragraphe 4 sont déduits par les États membres des dépenses du secteur laitier.»
15. L'article 7, paragraphes 1 et 2, dudit règlement est libellé comme suit:
«1. Les États membres prennent toutes les mesures de contrôle nécessaires pour assurer la perception du prélèvement sur les quantités de lait et d'équivalent-lait commercialisées en dépassement de l'une ou l'autre des quantités visées à l'article 3 du règlement (CEE) n° 3950/92. À cette fin:
a) tout acheteur opérant sur le territoire d'un État membre est agréé par cet État membre.
[...]
b) le producteur est tenu de s'assurer que l'acheteur à qui il livre est agréé;
c) les acheteurs tiennent à la disposition de l'autorité compétente de l'État membre, pendant au moins trois ans, d'une part, une comptabilité matière' par période de douze mois indiquant pour chaque producteur le nom et l'adresse, la quantité de référence disponible au début et à la fin de chaque période, les quantités de lait ou d'équivalent-lait qu'il a livrées par mois ou par période de quatre semaines, la teneur représentative et la teneur moyenne en matière grasse de ses livraisons, et, d'autre part, les documents commerciaux, la correspondance et autres renseignements complémentaires visés par le règlement (CEE) n° 4045/89 du Conseil [...] permettant de contrôler cette comptabilité matière';
d) l'acheteur est responsable de la comptabilisation au titre du régime du prélèvement supplémentaire de la totalité des quantités de lait et/ou d'autres produits laitiers qui lui ont été livrées; à cet égard, il tient à la disposition de l'autorité compétente, pendant au moins trois ans, la liste des acheteurs et des entreprises traitant ou transformant du lait ou d'autres produits laitiers qui l'ont approvisionné en lait ou autres produits laitiers, et par mois, le volume livré par chaque fournisseur;
e) lors du ramassage dans les exploitations, le lait et/ou les autres produits laitiers sont accompagnés d'un document qui en individualise la livraison. En outre, l'acheteur garde, pendant au moins trois ans, trace de chaque livraison individuelle;
[...]
2. Les États membres prennent les mesures complémentaires pour:
[...]
- garantir l'information des intéressés en ce qui concerne les sanctions pénales ou administratives auxquelles ils s'exposent en cas de non-respect des dispositions du règlement (CEE) n° 3950/92 et du présent règlement.»
La réglementation nationale
16. Les dispositions de droit interne applicables sont les Dairy Produce Quota Regulations 1997 (règlements de 1997 sur les quotas de produits laitiers, Statutory Instruments 1997, SI 1997 No. 733).
17. Aux termes du Regulation 2, paragraphe 1:
«Dans ces règlements et sauf si le contexte ne s'y prête pas, [...] le terme acheteur' désigne un acheteur tel que défini à l'article 9, sous e), du règlement [n° 3950/92] du Conseil et agréé par l'Intervention Board en vertu de l'article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement [n° 536/93] de la Commission.»
18. Le Regulation 20, paragraphes 2 et 3, dispose:
«(2) Toute somme due au titre du prélèvement et demeurant impayée au 1er septembre de chaque année peut être recouvrée par l'Intervention Board auprès du vendeur direct ou (le cas échéant) de l'acheteur, le montant étant majoré au jour le jour d'un intérêt fixé à un point au-dessus du taux interbancaire à trois mois offert à Londres [LIBOR] pour la livre sterling jusqu'à parfait paiement.
(3) Pour l'application de l'article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement [n° 3950/92] du Conseil (relatif aux retenues sur le prélèvement dû), lorsque les quantités livrées à un acheteur par un producteur livrant en gros dépassent la quantité de référence dont il dispose, éventuellement ajustée conformément à l'article 2, paragraphe 2, du règlement [n° 536/93] de la Commission, l'acheteur est autorisé à retenir immédiatement, sur les sommes dues au producteur pour ses livraisons, un montant correspondant du prélèvement qu'il devra en raison des excédents.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19. Penycoed est un groupement agricole d'exploitation qui a notamment pour objet l'élevage de vaches laitières, mais ne détient aucun quota laitier. Il a conclu des accords avec M. Hugh Phillips qui, par l'intermédiaire tout d'abord d'Elm Farms Ltd (ci-après «Elm Farms»), société de droit anglais, et ensuite, à partir du 1er janvier 1998, de TDM Dairy Management Inc. (ci-après «TDM»), une société immatriculée dans l'État du Delaware (États-Unis) ayant pris le contrôle des activités d'Elm Farms après la mise en liquidation de cette dernière en raison de prélèvements impayés, a mis en oeuvre le mécanisme suivant. Penycoed donnait en location une partie de ses terres et son troupeau initialement à Elm Farms, puis à TDM, lesquelles sociétés concluaient une série de contrats stipulant que Penycoed assurerait pour le compte de celles-ci et moyennant rémunération l'entretien et la traite du troupeau.
20. Cet accord avait pour objectif de permettre à Penycoed d'exercer des activités de production laitière sans avoir besoin de quotas laitiers. Au sens des règlements nos 3950/92 et 536/93, Penycoed ne serait pas un producteur et Elm Farms et TDM ne seraient pas des acheteurs, mais des producteurs, et devraient obtenir un quota ou prendre à leur charge tout prélèvement.
21. Le Board a condamné un tel mécanisme en estimant que Penycoed était producteur, qu'Elm Farms ainsi que TDM étaient des acheteurs et qu'il y avait eu des livraisons de lait par Penycoed à ces deux sociétés. Ainsi, Penycoed aurait produit du lait sans détenir le quota requis.
22. En janvier 1999, le Board a engagé une procédure en vue de contraindre Penycoed à lui verser 561 872,44 GBP, montant représentant le prélèvement dû pour les 2,11 millions de litres de lait qu'il avait livrés au cours de la campagne de commercialisation 1997/1998.
23. Penycoed a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre de la demande du Board au motif que, à supposer même que les faits allégués soient vrais, le Board n'était pas autorisé à agir directement contre lui. Selon Penycoed, cet organisme ne pourrait agir que contre les acheteurs de lait, qui se retourneraient ensuite contre Penycoed.
24. Pour les besoins de son exception d'irrecevabilité, Penycoed demande de tenir pour vraie l'analyse du Board. Les parties dans l'affaire au principal s'accordent qu'il s'en suivrait que Penycoed était un producteur au sens des règlements nos 3950/92 et 536/93, qu'Elm Farms et TDM étaient des acheteurs à qui Penycoed a livré du lait aux fins du règlement n° 3950/92 et, à tout le moins, aux fins de l'article 7 du règlement n° 536/93 et que le Board n'avait pas agréé Elm Farms et TDM en tant qu'acheteurs en vertu de cette dernière disposition.
25. C'est dans ces conditions que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Les articles 1er et/ou 2 du règlement n° 3950/92 du Conseil autorisent-ils l'organisme compétent d'un État membre à agir directement contre un producteur pour recouvrer le prélèvement dû par ce producteur (dans un cas autre que celui visé par l'article 2, paragraphe 3, concernant les ventes directes)?
2) Dans l'affirmative, dans quelles circonstances une telle action peut-elle être engagée?
3) Plus particulièrement, une telle action peut-elle être engagée dans le cas où l'acheteur à qui du lait a été livré a) n'est pas agréé au sens de l'article 7 du règlement n° 536/93 de la Commission et/ou b) n'a satisfait à aucune des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 7 de ce règlement et/ou c) n'a pas recouvré ou cherché à recouvrer le prélèvement dû auprès des producteurs en question?»
Sur les questions préjudicielles
26. Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si et, le cas échéant, dans quelles conditions les articles 1er et/ou 2 du règlement n° 3950/92 autorisent l'organisme compétent d'un État membre à agir directement contre un producteur de lait pour recouvrer le prélèvement supplémentaire sur le lait dû par celui-ci.
27. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler le mécanisme de la perception du prélèvement supplémentaire sur le lait instauré par le règlement n° 3950/92.
28. Le régime du prélèvement supplémentaire sur le lait repose sur la distinction entre des quantités de référence pour le lait vendu directement à la consommation et celles pour le lait livré à un acheteur (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 1999, Consorzio Caseifici dell'Altopiano di Asiago, C-288/97, Rec. p. I-2575, point 18).
29. Dans l'hypothèse de ventes directes, le producteur paie le prélèvement dû à l'organisme compétent de l'État membre, conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 3950/92. En ce qui concerne les livraisons, l'acheteur redevable du prélèvement paie audit organisme le montant dû qu'il retient sur le prix du lait payé aux producteurs débiteurs du prélèvement et, à défaut, qu'il perçoit par tout moyen approprié, ainsi qu'il découle du paragraphe 2 du même article. Dans les deux cas de figure, le prélèvement est donc à la charge des producteurs.
30. Dans l'hypothèse des livraisons, le régime de prélèvement supplémentaire, tel qu'institué par les règlements nos 3950/92 et 536/93, ne vise toutefois qu'à régler la relation existant entre le redevable et le débiteur ainsi que celle entre le redevable et l'organisme compétent destinataire desdites sommes.
31. L'article 2 du règlement n° 3950/92 ne saurait par conséquent constituer une base légale permettant à l'organisme compétent d'un État membre d'agir directement, hormis les cas de ventes directes, contre un producteur pour recouvrer le prélèvement dû par celui-ci.
32. Le fait que l'acheteur ne remplit pas ou plus sa fonction de redevable, ne permet pas davantage une substitution du producteur à l'acheteur au bénéfice de l'organisme compétent. Une telle sanction supposerait une base légale préalable qui en définisse les conditions et la portée (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1994, Milchwerke Köln/Wuppertal, C352/92, Rec. p. I-3385, point 22, et du 13 novembre 2001, France/Commission, C-277/98, Rec. p. I-8453, point 37). Or, une telle base légale manque en l'espèce.
33. Il résulte des considérations qui précèdent que le règlement n° 3950/92 n'offre à l'autorité compétente aucune base juridique lui permettant de percevoir le prélèvement supplémentaire sur le lait directement auprès du producteur.
34. Cependant, ce régime ne peut être considéré comme exhaustif en ce sens qu'il s'oppose à toute autre forme de recouvrement dans l'hypothèse où l'acheteur a violé ses obligations. À cet égard, il convient de rappeler le huitième considérant du règlement n° 3950/92 selon lequel l'acheteur est le redevable du prélèvement parce qu'il apparaît le mieux à même d'effectuer les opérations nécessaires. Dans la mesure où cette appréciation se révèle incorrecte, notamment en cas de violation par l'acheteur de ses obligations de perception, un recouvrement direct par l'autorité compétente auprès du producteur ne saurait être écartée.
35. Ainsi qu'il découle du sixième considérant du règlement n° 3950/92, il incombe au seul producteur qui a contribué au dépassement de payer le prélèvement.
36. Il ressort d'une jurisprudence bien établie que, lorsqu'une réglementation communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie, sur ce point, aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l'article 10 CE impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire (arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, 68/88, Rec. p. 2965, point 23; du 10 juillet 1990, Hansen, C-326/88, Rec. p. I-2911, point 17; Milchwerke Köln/Wuppertal, précité, point 23; du 26 octobre 1995, Siesse, C36/94, Rec. p. I-3573, point 20; du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation, C177/95, Rec. p. I-1111, point 35, et du 30 septembre 2003, Inspire Art, C167/01, non encore publié au Recueil, point 62).
37. L'obligation fondée sur l'article 10 CE comprend également l'engagement de toutes les actions de droit administratif, de droit fiscal ou de droit civil visant à la perception ou au recouvrement des droits ou taxes frauduleusement éludés ou à l'obtention de dommages et intérêts (arrêt Milchwerke Köln/Wuppertal, précité, point 23).
38. Dès lors, les États membres sont tenus de prendre des mesures qui assurent le recouvrement du prélèvement dans l'hypothèse où le mécanisme prévu à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 3950/92 est voué à l'échec.
39. Cette obligation comporte la faculté d'agir directement contre le producteur en vue de recouvrer le montant dû par ce dernier au titre du prélèvement supplémentaire sur le lait lorsqu'il est établi que le producteur ne l'a pas versé à l'acheteur et que ce dernier ne s'applique pas à le percevoir auprès du producteur.
40. En revanche, le non-respect des conditions énoncées à l'article 7 du règlement n° 536/93, et notamment l'absence d'agrément en qualité d'acheteur, n'est pas pertinent en soi parce que le paiement, à l'organisme compétent, du montant dû au titre du prélèvement supplémentaire n'est pas nécessairement remis en cause par un tel non-respect. En dépit de telles défaillances, l'objectif principal du régime de prélèvement, à savoir la pénalisation de la surproduction, peut être atteint.
41. Il résulte de toutes les considérations qui précèdent qu'il convient de répondre aux questions posées que les articles 1er et 2 du règlement n° 3950/92 n'autorisent pas l'organisme compétent à agir directement, dans un cas autre que celui des ventes directes, contre un producteur pour recouvrer le montant dû par lui au titre du prélèvement supplémentaire sur le lait. Toutefois, l'obligation des États membres, découlant de l'article 10 CE, de prendre des mesures qui assurent le recouvrement du prélèvement dans l'hypothèse où le mécanisme prévu à l'article 2, paragraphe 2, dudit règlement est voué à l'échec, comporte la faculté d'agir directement contre le producteur en vue de recouvrer le montant dû lorsqu'il est établi que celui-ci ne l'a pas versé à l'acheteur et que ce dernier ne s'applique pas à le percevoir auprès du producteur. En revanche, le non-respect des conditions énoncées à l'article 7 du règlement n° 536/93, et notamment l'absence d'agrément en qualité d'acheteur, n'est pas pertinent en soi.
Sur les dépens
42. Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, hellénique et italien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), par ordonnance du 31 mai 2001, dit pour droit:
1) Les articles 1 er et 2 du règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers n'autorisent pas l'organisme compétent à agir directement, dans un cas autre que celui des ventes directes, contre un producteur pour recouvrer le montant dû par lui au titre du prélèvement supplémentaire sur le lait. Toutefois, l'obligation des États membres, découlant de l'article 10 CE, de prendre des mesures qui assurent le recouvrement du prélèvement dans l'hypothèse où le mécanisme prévu à l'article 2, paragraphe 2, dudit règlement est voué à l'échec, comporte la faculté d'agir directement contre le producteur en vue de recouvrer le montant dû lorsqu'il est établi que celui-ci ne l'a pas versé à l'acheteur et que ce dernier ne s'applique pas à le percevoir auprès du producteur. En revanche, le non-respect des conditions énoncées à l'article 7 du règlement (CEE) n° 536/93 de la Commission, du 9 mars 1993, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers, et notamment l'absence d'agrément en qualité d'acheteur, n'est pas pertinent en soi.