Affaire C-222/01


British American Tobacco Manufacturing BV
contre
Hauptzollamt Krefeld



(demande de décision préjudicielle, formée par le Bundesfinanzhof)

«Libre circulation des marchandises – Transit communautaire externe – Éloignement temporaire des documents de transit et de transport – Bris des scellés et déchargement partiel de la marchandise – Soustraction d'une marchandise à la surveillance douanière – Naissance d'une dette douanière à l'importation – Présence non soupçonnée d'agents infiltrés appartenant aux services douaniers – Circonstances particulières justifiant la remise ou le remboursement des droits à l'importation – Responsabilité du principal obligé en cas de manœuvres ou de négligence manifeste des personnes auxquelles il a fait appel»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 26 juin 2003
    
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Questions préjudicielles – Compétence de la Cour – Limites – Interprétation sollicitée en raison de l'applicabilité à une situation interne de dispositions de droit communautaire résultant d'un renvoi opéré par le droit national – Recevabilité

(Art. 234 CE)

2.
Union douanière – Naissance d'une dette douanière à l'importation à la suite de la soustraction d'une marchandise passible de droits à l'importation à la surveillance douanière – Notion de soustraction – Éloignement momentané du document de transit T 1 empêchant la présentation de celui-ci à toute réquisition éventuelle, même en l'absence d'un contrôle effectif – Inclusion

(Règlements du Conseil nº 222/77, art. 12, 13, 19, § 1, et 20, et nº 2144/87, art. 2, § 1, c))

3.
Ressources propres des Communautés européennes – Remboursement ou remise des droits à l'importation ou à l'exportation – «Situation particulière» – Notion – Infraction au régime de transit communautaire trouvant sa source dans le comportement d'un agent infiltré appartenant aux services des douanes – Inclusion – Conditions – Manoeuvre ou négligence manifeste des personnes sollicitées par le principal obligé – Circonstance n'excluant pas en soi le remboursement

(Règlements du Conseil nº 222/77, art. 13, a), et nº 1430/79, art. 13, § 1)

1.
Ne sont pas irrecevables des questions préjudicielles posées dans un contexte où les règles communautaires dont l’interprétation est sollicitée ne sont applicables qu’en vertu d’un renvoi opéré par le droit interne dans la mesure où, lorsque la législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à une situation interne à celles retenues en droit communautaire, afin, notamment, d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer.

(cf. point 40)

2.
Constitue une soustraction de la marchandise à la surveillance douanière au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 2144/87, prévoyant, en pareille hypothèse, la naissance d’une dette douanière, l’éloignement momentané du document de transit T 1 de la marchandise à laquelle il se rapporte, dans la mesure où un tel éloignement empêche la présentation dudit document à toute réquisition éventuelle du service des douanes, et ceci quand bien même les autorités douanières n’auraient pas réclamé la présentation de ce document ou établi qu’il n’aurait pas pu leur être présenté sans un retard considérable.

(cf. point 56, disp. 1)

3.
Constitue une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1430/79, justifiant, le cas échéant, la remise ou le remboursement des droits à l’importation acquittés par le principal obligé, la circonstance que les infractions au régime de transit communautaire trouvent leur source dans le comportement d’un agent infiltré appartenant aux services des douanes, et ceci à condition qu’aucune manoeuvre ou négligence manifeste ne puisse être imputée au principal obligé.
Une manoeuvre ou une négligence manifeste des personnes auxquelles le principal obligé a fait appel pour s’acquitter d’obligations contractées dans le cadre dudit régime n’exclut pas, en soi, le remboursement à ce dernier des droits nés de la soustraction des marchandises placées sous ce régime à la surveillance douanière, pourvu qu’aucune manoeuvre ou négligence manifeste ne lui soit imputable.

(cf. points 66, 73, disp. 2-3)




ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004(1)


«Libre circulation des marchandises – Transit communautaire externe – Éloignement temporaire des documents de transit et de transport – Bris des scellés et déchargement partiel de la marchandise – Soustraction d'une marchandise à la surveillance douanière – Naissance d'une dette douanière à l'importation – Présence non soupçonnée d'agents infiltrés appartenant aux services douaniers – Circonstances particulières justifiant la remise ou le remboursement des droits à l'importation – Responsabilité du principal obligé en cas de manœuvres ou de négligence manifeste des personnes auxquelles il a fait appel»

Dans l'affaire C-222/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

British American Tobacco Manufacturing BV

et

Hauptzollamt Krefeld,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des règles communautaires relatives à la naissance, à la remise et au remboursement d'une dette douanière,

LA COUR (cinquième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. La Pergola et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

pour British American Tobacco Manufacturing BV, par M. H. Glashoff, Steuerberater,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. J.-C. Schieferer, en qualité d'agent,

ayant entendu les observations orales de British American Tobacco Manufacturing BV et de la Commission à l'audience du 6 février 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 juin 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par ordonnance du 24 avril 2001, parvenue à la Cour le 5 juin suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en vertu de l’article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l’interprétation des règles communautaires relatives à la naissance, à la remise et au remboursement d’une dette douanière.

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant la société British American Tobacco Manufacturing BV (ci-après «BAT») au Hauptzollamt Krefeld (bureau principal des douanes de Krefeld, ci-après le «Hauptzollamt») au sujet du refus opposé par ce dernier à sa demande tendant au remboursement des accises perçues en raison d’infractions présumées au régime de transit communautaire.


Le cadre juridique communautaire

Les règles relatives au transit communautaire

3
Le règlement (CEE) n° 222/77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire (JO 1977, L 38, p. 1), modifié, en dernier lieu, par le règlement (CEE) n° 474/90 du Conseil, du 22 février 1990 (JO L 51, p. 1, ci-après le «règlement n° 222/77»), dispose, à son article 11:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)
‘principal obligé’:

la personne qui, le cas échéant par l’intermédiaire d’un représentant habilité, demande, par une déclaration ayant fait l’objet des formalités douanières requises, à effectuer une opération de transit communautaire et répond ainsi vis-à-vis des autorités compétentes de l’exécution régulière de cette opération;

[…]

c)
‘bureau de départ’:

le bureau de douane où débute l’opération de transit communautaire;

[…]

e)
‘bureau de destination’:

le bureau de douane où les marchandises doivent être représentées pour mettre fin à l’opération de transit communautaire;

[…]»

4
Aux termes de l’article 12, paragraphes 1, 4 et 6, du règlement n° 222/77:

«1.     Toute marchandise doit, pour circuler sous la procédure du transit communautaire externe, faire l’objet, dans les conditions fixées par le présent règlement, d’une déclaration T.1. […]

[…]

4.       La déclaration T.1 est signée par la personne qui demande à effectuer une opération de transit communautaire externe ou par son représentant habilité et elle est produite au bureau de départ en trois exemplaires au moins.

[…]

6.       La déclaration T.1 est accompagnée du document de transport.

Le bureau de départ peut dispenser de la présentation de ce document lors de l’accomplissement des formalités douanières. Toutefois, le document de transport doit être présenté à toute réquisition du service des douanes au cours du transport.»

5
En vertu de l’article 13 du règlement n° 222/77, «[l]e principal obligé est tenu:

a)
de représenter les marchandises intactes au bureau de destination dans le délai prescrit et en ayant respecté les mesures d’identification prises par les autorités compétentes;

b)
de respecter les dispositions relatives au régime du transit communautaire et au transit dans chacun des États membres dont le territoire est emprunté lors du transport.»

6
L’article 17, paragraphe 1, dudit règlement dispose:

«Le bureau de départ enregistre la déclaration T 1, prescrit le délai dans lequel les marchandises doivent être représentées au bureau de destination et prend les mesures d’identification qu’il estime nécessaires.»

7
L’article 18, paragraphes 1 et 4, de ce même règlement prévoit:

«1.     En règle générale, l’identification des marchandises est assurée par scellement.

[…]

4.       Le bureau de départ peut dispenser du scellement lorsque, compte tenu d’autres mesures éventuelles d’identification, la description des marchandises dans la déclaration T 1 ou dans les documents complémentaires permet leur identification.»

8
Selon l’article 19, paragraphe 1:

«Le transport des marchandises s’effectue sous le couvert des exemplaires du document T 1 remis au principal obligé ou à son représentant par le bureau de départ.»

9
L’article 20 énonce:

«Les exemplaires du document T 1 sont présentés dans chaque État membre à toute réquisition du service des douanes qui peut s’assurer de l’intégrité des scellements. Il n’est pas procédé à la visite des marchandises sauf en cas de soupçon d’irrégularités pouvant donner lieu à des abus.»

10
L’article 25, paragraphe 1, prévoit:

«En cas de rupture du scellement au cours du transport par une cause indépendante de la volonté du transporteur, celui-ci doit, dans les plus brefs délais, demander l’établissement d’un procès-verbal de constat dans l’État membre où se trouve le moyen de transport, au service des douanes si celui-ci se trouve à proximité ou, à défaut, à toute autre autorité habilitée. L’autorité intervenante appose, si possible, de nouveaux scellés.»

11
Enfin, aux termes de l’article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222/77:

«Quand il est constaté qu’au cours ou à l’occasion d’une opération de transit communautaire une infraction ou une irrégularité a été commise dans un État membre déterminé, le recouvrement des droits et autres impositions éventuellement exigibles est poursuivi par cet État membre, conformément à ses dispositions législatives, réglementaires et administratives, sans préjudice de l’exercice des actions pénales.»

12
Entré en vigueur le 1er juillet 1977, le règlement n° 222/77 a, en application des articles 46 et 47 du règlement (CEE) n° 2726/90 du Conseil, du 17 septembre 1990, relatif au transit communautaire (JO L 262, p. 1), été abrogé à compter du 1er janvier 1993. Toutefois, il résulte de l’article 129, premier alinéa, du règlement (CEE) n° 1214/92 de la Commission, du 21 avril 1992, portant dispositions d’application ainsi que mesures d’allègement du régime du transit communautaire (JO L 132, p. 1), que les opérations de transport engagées avant le 1er janvier 1993 doivent être poursuivies, après cette date, dans les conditions prévues par le règlement n° 222/77 et par les règles prises pour son application.

Les règles relatives à la naissance et à l’extinction de la dette douanière

13
L’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 2144/87 du Conseil, du 13 juillet 1987, relatif à la dette douanière (JO L 201, p. 15), définit celle-ci comme «l’obligation d’une personne de payer le montant des droits à l’importation (dette douanière à l’importation) ou des droits à l’exportation (dette douanière à l’exportation) applicables, en vertu des dispositions en vigueur, aux marchandises passibles de tels droits».

14
Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement n° 2144/87, «[f]ont naître une dette douanière à l’importation:

[…]

c)
la soustraction d’une marchandise passible de droits à l’importation à la surveillance douanière qu’implique la mise en dépôt provisoire de cette marchandise ou son placement sous un régime douanier comportant une surveillance douanière;

d)
l’inexécution d’une des obligations qu’entraîne pour une marchandise passible de droits à l’importation son séjour en dépôt provisoire ou l’utilisation du régime douanier sous lequel elle a été placée, ou l’inobservation d’une des conditions fixées pour le placement d’une marchandise sous ce régime, à moins qu’il ne soit établi que ces manquements sont restés sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du dépôt provisoire ou du régime douanier considéré».

15
L’article 3, sous c) et d), du règlement n° 2144/87, énonce:

«Le moment où prend naissance la dette douanière à l’importation est réputé être:

[…]

c)
dans les cas visés à l’article 2 paragraphe 1 point c), le moment où se produit la soustraction de la marchandise à la surveillance douanière;

d)
dans les cas visés à l’article 2 paragraphe 1 point d), soit le moment où cesse d’être remplie l’obligation dont l’inexécution fait naître la dette douanière, soit le moment où la marchandise a été placée sous le régime douanier considéré lorsqu’il apparaît a posteriori que l’une des conditions fixées pour le placement de ladite marchandise sous ce régime n’était pas réellement satisfaite;

[…]»

16
Enfin, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2144/87:

«Sans préjudice des dispositions en vigueur relatives, d’une part, à l’extinction de l’action en recouvrement du montant de la dette douanière en cas de prescription de cette dette et, d’autre part, au non-recouvrement dudit montant dans les cas d’insolvabilité du débiteur constatée par voie judiciaire, la dette douanière s’éteint:

a)
par le paiement du montant des droits à l’importation ou des droits à l’exportation afférents à la marchandise en question ou, le cas échéant, par la remise de ce montant en application des dispositions communautaires en vigueur;

b)        par confiscation de la marchandise. […]»

Les règles relatives à la détermination des personnes tenues au paiement d’une dette douanière

17
L’article 4 du règlement (CEE) n° 1031/88 du Conseil, du 18 avril 1988, concernant la détermination des personnes tenues au paiement d’une dette douanière (JO L 102, p. 5), prévoit:

«1.     Lorsqu’une dette douanière est née en vertu de l’article 2 paragraphe 1 point c) du règlement (CEE) n° 2144/87, la personne tenue au paiement de cette dette est celle qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière.

Sont également tenues au paiement de cette dette, à titre solidaire, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres:

a)
les personnes qui ont participé à la soustraction de la marchandise à la surveillance douanière ainsi que celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause;

b)
toutes autres personnes dont la responsabilité est engagée du fait de cette soustraction.

2.       En outre, est tenue au paiement de la dette douanière, à titre solidaire, la personne qui doit exécuter les obligations qu’entraînent le séjour en dépôt provisoire d’une marchandise passible de droits à l’importation ou l’utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée.»

18
L’article 5 du règlement n° 1031/88 énonce:

«Lorsqu’une dette douanière est née en vertu de l’article 2 paragraphe 1 point d) du règlement (CEE) n° 2144/87, la personne tenue au paiement de cette dette est celle qui doit, selon le cas, soit exécuter les obligations qu’entraînent le séjour en dépôt provisoire d’une marchandise passible de droits à l’importation ou l’utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée, soit respecter les conditions fixées pour le placement de la marchandise sous ce régime.»

Les règles relatives au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation

19
L’article 1er, paragraphe 2, sous c) et d), du règlement (CEE) n° 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation (JO L 175, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986 (JO L 286, p. 1, ci-après le «règlement n° 1430/79»), dispose:

«Au sens du présent règlement, on entend par:

[…]

c)
‘remboursement’: la restitution, en totalité ou en partie, des droits à l’importation ou des droits à l’exportation qui ont été acquittés;

d)
‘remise’: la non-perception, en totalité ou en partie, des droits à l’importation ou des droits à l’exportation qui ont été pris en compte par l’autorité chargée de leur recouvrement mais qui n’ont pas encore été acquittés».

20
L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 prévoit:

«Il est procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation dans la mesure où il est établi, à la satisfaction des autorités compétentes, que le montant pris en compte de ces droits:

est relatif à des marchandises pour lesquelles aucune dette douanière n’a pris naissance ou pour lesquelles la dette douanière s’est éteinte autrement que par le paiement de son montant ou par prescription,

est supérieur, pour un motif quelconque, à celui qui était légalement à percevoir.»

21
Enfin, aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du même règlement:

«Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation dans des situations particulières, autres que celles visées aux sections A à D, qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé.

Les situations dans lesquelles il peut être fait application du premier alinéa, ainsi que les modalités de procédure à suivre à cette fin, sont définies selon la procédure prévue à l’article 25. Le remboursement ou la remise peuvent être subordonnés à des conditions particulières.»


Le cadre juridique national

22
L’article 10, paragraphe 1, du Tabaksteuergesetz 1980 (loi relative aux accises sur le tabac, du 13 décembre 1979, BGBl. 1979 I, 2118, dans sa version applicable à l’époque des faits du litige au principal, ci-après le «TabStG») énonçait:

«Lorsque des tabacs manufacturés ou des papiers à cigarettes sont importés sur le territoire de perception [de l’accise], les dispositions relatives aux droits de douane sont applicables mutatis mutandis au fait générateur de l’impôt et au moment à prendre en compte pour son calcul ainsi qu’à la détermination du redevable, la responsabilité personnelle, la majoration d’impôt en cas de non-respect des dispositions fiscales, la procédure d’imposition et, si l’impôt n’est pas payé par le biais de marques fiscales, l’exigibilité, le report du délai de paiement, la remise et le remboursement de l’accise. Il en va de même lorsqu’il n’y a pas lieu de percevoir de droits de douane.»


Le litige au principal et les questions préjudicielles

23
Le 9 juillet 1992, la société Rothmans Manufacturing BV (ci-après «Rothmans»), établie à Zevenaar (Pays-Bas), a fait placer, à la suite d’instructions reçues d’une société suisse d’un groupe auquel elle appartient, un lot de onze millions de cigarettes de la marque «Golden American» sous le régime du transit communautaire externe. La date limite de représentation des marchandises a été fixée par le bureau de départ – le bureau des douanes de Zevenaar – au 16 juillet 1992. Le document de transit délivré à cette occasion ne contenait aucune indication sur la nationalité et l’identité du moyen de transport utilisé. La société de Saint-Pétersbourg (Russie) mentionnée dans ce document comme destinataire des marchandises ne correspondait par ailleurs ni aux indications figurant sur le bon de livraison desdites marchandises, ni à celles contenues dans la facture.

24
Selon les indications fournies par le chauffeur du camion à bord duquel les cigarettes ont été transportées, les documents douaniers et de transport lui ont été retirés – puis restitués – à trois reprises au cours du transport. Toutefois, il n’a pas été en mesure d’indiquer si lesdits documents avaient été échangés ou modifiés lors de ces retraits temporaires effectués, selon ses dires, par des Européens de l’Est.

25
Le 16 juillet 1992, le camion a été conduit avec sa semi-remorque dans la cour de l’entreprise de transports, où il a été ouvert par le chauffeur à l’aide d’un coupe-boulons emprunté à un employé de ladite entreprise, puis partiellement déchargé. Le contenu du chargement a alors été vérifié par sondage. Le contrôle a révélé que tous les cartons contenaient des cigarettes dépourvues de marque fiscale, ce qui a conduit à l’arrestation du chauffeur et de son aide-conducteur. Présents dans l’entreprise de transports lors du déchargement du camion qu’ils avaient observé, dans un premier temps, sans révéler leur véritable identité, des fonctionnaires des douanes ont en effet procédé à une fouille corporelle du chauffeur au cours de laquelle ils ont découvert un plomb des douanes néerlandaises qui avait été arraché. Ils ont alors saisi le camion et son chargement en vue de leur confiscation ultérieure et ont procédé, par la suite, à la destruction des cigarettes.

26
Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’arrestation des contrebandiers a été rendue possible par l’infiltration de ces derniers par un agent appartenant au service d’enquêtes douanières. Ce dernier avait lui-même été contacté en juin 1992 par un intermédiaire d’un vendeur d’Europe de l’Est – dont le nom est inconnu – afin d’acheter un conteneur rempli de cigarettes de la marque «Golden American», destinées à être exportées en Pologne, et qui devaient être dépourvues de marque fiscale. Les modalités de paiement et de livraison de la marchandise avaient été précisées lors d’une entrevue ultérieure entre l’agent infiltré et le vendeur, au cours de laquelle il avait été convenu que les cigarettes devaient être livrées le 16 juillet 1992 sur le terrain d’une entreprise de transports déterminée sise à Nettetal-Kaldenkirchen (Allemagne). Lors de cette entrevue, sur demande de l’agent, le vendeur lui avait montré à distance une semi-remorque immatriculée en Pologne à bord de laquelle les cigarettes devaient se trouver. Toutefois, n’ayant pas été autorisé à s’approcher de la semi-remorque, l’agent n’avait pu voir les scellements douaniers.

27
Estimant, dans de telles circonstances, que le bris des scellés et le déchargement consécutif des cigarettes du camion constituaient une soustraction des marchandises à la surveillance douanière, le Hauptzollamt a, le 7 août 1992, en application de l’article 10, paragraphe 1, du TabStG, émis un avis d’imposition par lequel il a invité Rothmans, en sa qualité de «principal obligé», à s’acquitter des accises sur le tabac pour un montant de 1 436 776 DEM.

28
Le 24 novembre 1992, cette société a demandé au Hauptzollamt de lui accorder une remise de ces droits en invoquant, notamment, l’existence d’une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79. Cette demande a été rejetée par décision du Hauptzollamt du 14 janvier 1993, modifiée par décision du 4 mai suivant, rendue sur réclamation de Rothmans. Cette dernière a alors formé, devant le Finanzgericht Düsseldorf (Allemagne), un recours tendant au remboursement des accises perçues entre-temps par le Hauptzollamt, mais ledit recours a également été rejeté au motif que le règlement n° 1430/79, auquel renvoyait l’article 10, paragraphe 1, du TabStG, ne conférait à Rothmans aucun droit au remboursement.

29
À cet égard, le Finanzgericht a jugé, d’une part, que l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 ne pouvait pas être invoqué par Rothmans, dans la mesure où une dette fiscale était bien née du fait de la soustraction des marchandises en transit à la surveillance douanière résultant, en l’occurrence, du simple éloignement provisoire des documents de transit et de transport. Le Finanzgericht a précisé, dans ce contexte, que la dette fiscale ne s’était pas éteinte à la suite de la confiscation des cigarettes par les services douaniers, puisque l’article 10, paragraphe 1, du TabStG ne renverrait pas, sur ce point, aux dispositions communautaires correspondantes relatives à l’extinction de la dette douanière.

30
D’autre part, cette même juridiction a considéré que Rothmans ne pouvait pas davantage se prévaloir de l’article 13 du règlement n° 1430/79, dans la mesure où le comportement des personnes chargées par elle de réaliser le transit communautaire témoignerait, à tout le moins, de l’existence de manœuvres excluant une remise ou un remboursement des droits acquittés. Dans ce contexte, le Finanzgericht a toutefois ajouté que, dans l’hypothèse où il faudrait conclure à l’absence de telles manœuvres, les conditions requises pour bénéficier d’une remise ou d’un remboursement des droits à l’importation ne seraient, en tout état de cause, pas réunies en l’espèce. En effet, ni les faiblesses du régime de transit communautaire ni l’intervention de l’agent infiltré ne constitueraient une circonstance particulière au sens dudit article 13. Selon cette juridiction, il n’y aurait aucune relation entre la naissance de la dette fiscale consécutive à l’éloignement des documents de transit et l’activité de l’agent infiltré.

31
Estimant, dans ces conditions, que le Finanzgericht Düsseldorf avait méconnu la portée du règlement n° 1430/79, Rothmans – à laquelle BAT a succédé, en cours d’instance, le 1er janvier 2000 – a introduit, devant le Bundesfinanzhof, un recours en «Revision» dans le cadre duquel elle fait valoir, essentiellement, deux arguments.

32
En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 2 du règlement n° 1430/79, BAT allègue, d’une part, que l’éloignement momentané des documents de transit ainsi que le bris des scellés et le déchargement consécutif de la marchandise ne constituent pas une soustraction de celle-ci à la surveillance douanière, puisque, dans ces deux dernières hypothèses, des fonctionnaires des douanes auraient observé sans interruption le déroulement de l’opération. BAT relève, d’autre part, que, même si une dette douanière était née en raison de la survenance d’un des événements précités, il y aurait lieu, en toute hypothèse, de procéder au remboursement des droits acquittés, puisque l’article 10, paragraphe 1, du TabStG renverrait explicitement aux dispositions communautaires relatives à la remise et au remboursement des droits de douane et que ces dernières dispositions – plus particulièrement l’article 2, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 1430/79 – prévoiraient le remboursement ou la remise des droits à l’importation lorsque la dette douanière s’est éteinte autrement que par paiement ou prescription. Or, selon BAT, tel serait précisément le cas en l’espèce puisque les cigarettes ont été confisquées et que la confiscation est un des modes d’extinction de la dette douanière.

33
En ce qui concerne, en second lieu, l’article 13 du règlement n° 1430/79, BAT soutient que la présence et le comportement des fonctionnaires des douanes en l’espèce ainsi que la confiscation des cigarettes et l’impossibilité de répercuter la taxe due sur des tiers constituent indéniablement des circonstances particulières au sens de cette disposition, justifiant le remboursement des droits acquittés. Un tel remboursement ne serait exclu que si l’intéressé lui-même avait fait usage de manœuvres. Or, en l’espèce, aucune manœuvre ne lui serait directement imputable. Pour ce motif, et en l’absence d’un principe communautaire ou national consacrant la responsabilité du fait d’autrui, le Hauptzollamt devrait donc lui rembourser les droits acquittés.

34
S’il réfute l’affirmation de BAT selon laquelle un renvoi préjudiciel serait inutile du simple fait de l’extinction de la dette fiscale résultant de la confiscation des cigarettes par les services douaniers, l’article 10, paragraphe 1, du TabStG ne renvoyant pas, selon lui, aux dispositions communautaires relatives à l’extinction de la dette douanière, le Bundesfinanzhof, dans son ordonnance de renvoi, partage toutefois les interrogations de cette société en ce qui concerne tant la réunion des conditions de naissance de la dette fiscale que l’absence de circonstances particulières justifiant, en l’occurrence, un remboursement des droits acquittés.

35
S’agissant d’abord de la thèse du Finanzgericht selon laquelle l’éloignement temporaire des documents de transport et de transit constituerait «une soustraction des marchandises à la surveillance douanière», le Bundesfinanzhof relève que cette dernière notion a été définie par la Cour, au point 47 de l’arrêt du 1er février 2001, D. Wandel (C-66/99, Rec. p. I-873), comme correspondant à «tout acte ou omission qui a pour résultat d’empêcher, ne serait-ce que momentanément, l’autorité douanière compétente d’accéder à une marchandise sous surveillance douanière et d’effectuer les contrôles prévus [à cet effet]». Or, en l’espèce, l’éloignement temporaire du document de transit n’aurait eu aucune conséquence sur la marchandise elle-même et n’aurait pas entraîné d’atteinte à la capacité des autorités douanières d’identifier celle-ci, puisque lesdites autorités n’auraient, à aucun moment, réclamé la présentation du document de transit et n’auraient pas davantage établi que ce document n’aurait pas pu leur être présenté, à leur demande, sans un retard considérable.

36
S’agissant, ensuite, du bris des scellés apposés par les douanes néerlandaises et du déchargement consécutif des marchandises dans la cour de l’entreprise de transports, le Bundesfinanzhof partage l’avis du Finanzgericht selon lequel de tels faits constituent bien, en principe, une soustraction des marchandises à la surveillance douanière. Néanmoins, il doute que cette qualification puisse être retenue dans des circonstances telles que celles de l’espèce au principal. En effet, d’une part, l’opération aurait eu lieu à la suite d’un rendez-vous convenu par les contrebandiers avec un agent infiltré du service des douanes et, d’autre part, cette opération aurait été observée en permanence par des fonctionnaires dudit service. Les autorités douanières auraient donc eu, à tout moment, la possibilité de mettre la main sur la marchandise, ce qui, au demeurant, se serait produit dans les faits, avec la saisie des cigarettes, suivie de leur destruction.

37
Enfin, dans l’hypothèse où il faudrait admettre qu’une dette douanière a effectivement pris naissance à la suite de la survenance d’un des événements précités, le Bundesfinanzhof considère, à la différence du Finanzgericht, qu’existent, en l’espèce, des circonstances particulières justifiant le remboursement des droits acquittés par BAT. D’une part, en effet, l’infraction au régime de transit communautaire aurait bien été provoquée par l’activité de l’agent infiltré, de sorte que le principal obligé se trouverait, en vertu de la jurisprudence de la Cour – et, notamment, des arrêts du 25 février 1999, Trans-Ex-Import (C-86/97, Rec. p. I-1041), et du 7 septembre 1999, De Haan (C-61/98, Rec. p. I‑5003) – dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité. D’autre part, il résulterait également des constatations opérées par le Finanzgericht que BAT elle-même n’aurait commis aucune faute, et n’aurait pas non plus fait preuve de négligence manifeste, seules les personnes ayant réalisé le transport pour son compte pouvant, le cas échéant, se voir reprocher un comportement fautif.

38
Estimant, dans ces circonstances, que la solution du litige pendant devant lui dépendait d’une interprétation du droit communautaire, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
Une marchandise placée sous le régime du transit communautaire est-elle soustraite à la surveillance douanière du fait que le document de transit T 1 est momentanément éloigné de l’envoi?

2)
Si la Cour répond par la négative à la première question:

Une marchandise placée sous le régime du transit communautaire a-t-elle été soustraite à la surveillance douanière lors de l’ouverture du scellement douanier placé en vue de son identification et du déchargement partiel de la marchandise, sans que l’envoi ait été dûment représenté à qui de droit au préalable, bien que des fonctionnaires du service d’enquêtes douanières agissant sans se dévoiler aient convenu de l’opération avec les personnes impliquées et qu’ils aient observé cette opération dans ses moindres détails?

3)
Si la Cour répond par l’affirmative à l’une des deux premières questions:

Est-on en présence de circonstances particulières au sens de l’article 13 du règlement n° 1430/79 lorsqu’un agent infiltré appartenant au service d’enquêtes douanières a provoqué la commission d’infractions au régime du transit communautaire? Une manœuvre ou une négligence manifeste des personnes auxquelles le principal obligé a fait appel pour s’acquitter de ses obligations contractées dans le cadre du régime du transit communautaire exclut-elle le remboursement au principal obligé des droits nés de la soustraction des marchandises placées sous le régime du transit communautaire à la surveillance douanière?»


Sur la recevabilité des questions préjudicielles

39
Le litige au principal ayant trait au remboursement de droits d’accises dus en vertu de la seule législation nationale, il convient, à titre liminaire, de s’interroger sur la recevabilité des questions posées par la juridiction de renvoi qui portent, pour leur part, sur l’interprétation des règles communautaires en matière douanière.

40
À cet égard, il suffit de rappeler que, saisie d’autres affaires dans lesquelles les règles communautaires dont l’interprétation était sollicitée n’étaient applicables qu’en vertu d’un renvoi opéré par le droit interne, la Cour a jugé, de manière constante, que, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à une situation interne à celles retenues en droit communautaire, afin, notamment, d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (voir notamment, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 37; du 17 juillet 1997, Giloy, C-130/95, Rec. p. I-4291, point 28, et du 15 mai 2003, Salzmann, C-300/01, Rec. p. I-4899, point 34).

41
Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que la législation nationale se soit conformée pour les solutions qu’elle apporte à une situation interne, à celles retenues en droit communautaire, puisque le TabStG a opéré un renvoi complet au droit communautaire en ce qui concerne tant les conditions de naissance de la dette douanière que les dispositions relatives à la remise et au remboursement de celle-ci. Ce constat n’est pas affecté par la circonstance que ladite législation n’opérerait pas un tel renvoi au droit communautaire en ce qui concerne les conditions d’extinction de la dette douanière.

42
Dans ces conditions, les questions posées sont recevables.


Sur la première question

43
Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si une marchandise placée sous le régime du transit communautaire externe est soustraite à la surveillance douanière au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2144/87 en cas d’éloignement temporaire du document de transit T 1 de cette marchandise, notamment lorsque ledit éloignement n’a pas eu de conséquences sur la marchandise elle-même et qu’il n’a pas porté atteinte à la capacité des autorités douanières d’identifier celle-ci, lesdites autorités n’ayant ni réclamé le document de transit en cause ni établi que celui-ci n’aurait pas pu leur être présenté, à leur demande, sans un retard considérable.

44
Pour BAT, il y a lieu d’apporter une réponse négative à cette question, dans la mesure où l’éloignement temporaire du document de transit n’occasionnerait pas un traitement illicite de la marchandise transportée, et ne ferait pas non plus obstacle à la représentation de celle-ci au bureau de destination et à son examen par ce dernier.

45
Pour la Commission, en revanche, cet éloignement temporaire des documents de transit et de transport constitue bien une soustraction des marchandises concernées à la surveillance douanière, dans la mesure où, contrairement à ce que prescrivent, notamment, les articles 12, paragraphe 6, 19, paragraphe 1, et 20 du règlement n° 222/77, lesdits documents ne pourraient pas être présentés à la première demande des autorités douanières compétentes. En dehors de l’hypothèse particulière prévue à l’article 18, paragraphe 4, de ce règlement, le contrôle douanier ne pourrait donc être efficace que si les agents des douanes peuvent à tout moment, durant la procédure de transit, vérifier simultanément le scellement douanier et les documents de transit et de transport.

46
Il convient de relever, à titre liminaire, que, si le législateur communautaire a prévu, parmi les hypothèses susceptibles de faire naître une dette douanière à l’importation, la soustraction d’une marchandise à la surveillance douanière qu’implique la mise en dépôt provisoire de cette marchandise ou son placement sous un régime douanier comportant une telle surveillance [voir article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2144/87], il n’a pas pour autant défini cette notion de soustraction, ni énuméré les conditions dont l’inobservation ferait naître, en tout état de cause, une telle dette douanière.

47
Saisie d’affaires qui concernaient des marchandises placées, les unes, sous le régime du transit communautaire externe, les autres, sous le régime de l’entrepôt douanier, la Cour a jugé qu’il fallait comprendre ladite notion de soustraction à la surveillance douanière comme comprenant tout acte ou omission qui a pour résultat d’empêcher, ne serait-ce que momentanément, l’autorité douanière compétente d’accéder à une marchandise sous surveillance douanière et d’effectuer les contrôles prévus par la réglementation douanière communautaire (voir arrêts D. Wandel, précité, point 47; du 11 juillet 2002, Liberexim, C-371/99, Rec. p. I-6227, point 55, et du 12 février 2004, Hamann International, C-337/01, non encore publié au Recueil, point 31).

48
Eu égard à cette jurisprudence, il convient d’examiner les finalités poursuivies par le régime du transit communautaire externe et le rôle que joue plus particulièrement, dans ce contexte, le document de transit T 1, afin d’évaluer si l’éloignement de celui-ci de la marchandise à laquelle il se rapporte porte ou non atteinte aux capacités de contrôle des autorités douanières.

49
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort, notamment, des cinquième et sixième considérants du règlement n° 222/77, le régime du transit communautaire externe est un régime qui vise à accroître la fluidité des mouvements de marchandises au sein de la Communauté en permettant le transport desdites marchandises du lieu d’introduction dans la Communauté jusqu’au lieu de destination ou, en cas de traversée de la Communauté, jusqu’au bureau de sortie, sans qu’il y ait lieu de renouveler les formalités douanières lors du passage d’un État membre à l’autre.

50
À cette fin, le règlement n° 222/77 prévoit, notamment, le dépôt, auprès du bureau de départ, d’une déclaration signée par la personne qui demande à effectuer l’opération de transit en cause ou par son représentant habilité. Cette déclaration fait l’objet d’un enregistrement formel par le bureau précité qui prescrit le délai de représentation des marchandises et prend les mesures d’identification qu’il estime nécessaires (voir, respectivement, articles 12, paragraphes 1 et 4, et 17, paragraphe 1, dudit règlement).

51
Les articles 19, paragraphe 1, et 20 du règlement n° 222/77 précisent, par ailleurs, que le transport des marchandises placées sous le régime du transit communautaire externe s’effectue sous le couvert des exemplaires du document T  1 remis par le bureau de départ au principal obligé ou à son représentant, lesquels sont tenus, dans chaque État membre, de présenter lesdits exemplaires à toute réquisition éventuelle du service des douanes.

52
Au vu de ces dispositions, ainsi que du libellé de l’article 13, sous a), du règlement n° 222/77, aux termes duquel le principal obligé est tenu, notamment, de représenter les marchandises intactes au bureau de destination, le document de transit T 1 sous le couvert duquel s’effectue le transport de marchandises placées sous le régime du transit communautaire externe joue incontestablement un rôle essentiel dans le bon fonctionnement dudit régime. Ainsi, un éloignement, fût-il temporaire, de ce document est de nature à porter atteinte aux objectifs mêmes de ce régime lorsqu’il empêche, contrairement à ce que prescrit l’article 20 du règlement n° 222/77, la présentation de ce document à toute réquisition éventuelle du service des douanes. Un tel éloignement temporaire complique en outre également l’identification tant des marchandises faisant l’objet de la procédure de transit que du régime douanier applicable à celles-ci.

53
Dans pareilles conditions, l’éloignement temporaire du document de transit T 1 des marchandises auxquelles il se rapporte doit être qualifié de «soustraction» desdites marchandises à la surveillance douanière. Conformément à l’interprétation retenue par la Cour dans les arrêts D. Wandel, Liberexim et Hamann International, précités, cet éloignement constitue bien, en effet, un acte ayant pour résultat d’empêcher, ne serait-ce que momentanément, l’autorité douanière compétente d’accéder à une marchandise sous surveillance douanière et d’effectuer les contrôles prévus par la réglementation douanière communautaire.

54
En ce qui concerne, par ailleurs, l’observation de la juridiction de renvoi selon laquelle l’éloignement du document de transit n’a entraîné, en l’espèce, aucune conséquence concrète sur la capacité des autorités douanières d’identifier la marchandise, puisque celles-ci n’auraient à aucun moment réclamé la présentation effective dudit document ou établi que celui-ci n’aurait pas pu leur être présenté sans un retard considérable, il suffit de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, la soustraction d’une marchandise à la surveillance douanière présuppose uniquement la réunion de conditions de nature objective telles que, par exemple, l’absence physique de la marchandise dans le lieu de dépôt agréé au moment où l’autorité douanière entend procéder à l’examen de ladite marchandise (voir arrêts précités D. Wandel, point 48, et Liberexim, point 60).

55
Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, il suffit donc, pour qu’il y ait «soustraction à la surveillance douanière», que la marchandise ait été objectivement soustraite à des contrôles éventuels, indépendamment du fait que ceux-ci aient été effectivement réalisés par l’autorité compétente.

56
Au regard des considérations qui précèdent, il convient donc de répondre à la première question que, dans la mesure où l’éloignement momentané du document de transit T 1 de la marchandise à laquelle il se rapporte empêche la présentation dudit document à toute réquisition éventuelle du service des douanes, un tel éloignement constitue une soustraction de cette marchandise à la surveillance douanière au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2144/87, quand bien même les autorités douanières n’auraient pas réclamé la présentation de ce document ou établi qu’il n’aurait pas pu leur être présenté sans un retard considérable.


Sur la deuxième question

57
La deuxième question n’ayant été posée qu’en cas de réponse négative à la première question, il n’y a pas lieu d’y répondre.


Sur la première partie de la troisième question

58
Par la première partie de sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si la circonstance que les infractions au régime de transit communautaire trouvent leur source dans le comportement d’un agent infiltré appartenant aux services des douanes constitue une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79, justifiant, le cas échéant, la remise ou le remboursement des droits acquittés par le principal obligé.

59
Pour BAT, une réponse affirmative devrait être apportée à cette question dans la mesure où le comportement des agents du service d’enquêtes douanières aurait, en l’espèce, largement dépassé les limites du risque commercial normal devant être supporté par un opérateur économique. Elle fait valoir, à cet égard, que, si le bris des scellés et le déchargement consécutif de la marchandise étaient sans doute inévitables pour des raisons liées à l’efficacité de l’enquête, l’administration douanière était cependant tenue de prendre les mesures nécessaires pour prévenir tout dommage éventuel qui pouvait lui être causé. Dès lors que pareilles mesures n’auraient pas été prises en l’occurrence et qu’elle n’aurait pas, elle-même, pris part à l’infraction, BAT se trouverait, en sa qualité de principal obligé, dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité, de sorte qu’il y aurait lieu, en application de la jurisprudence de la Cour, de procéder au remboursement des droits qu’elle aurait acquittés.

60
Pour la Commission, en revanche, un tel remboursement ne serait justifié que si la soustraction des marchandises à la surveillance douanière et la naissance corrélative de la dette douanière résultaient de la simple rupture des scellés et du déchargement consécutif des marchandises sous le regard des fonctionnaires du service d’enquêtes douanières. En l’espèce, toutefois, plusieurs éléments du dossier tendraient à conforter l’idée selon laquelle l’infraction au régime de transit communautaire serait antérieure au bris des scellés, dès lors que le principal obligé produirait lui-même des cigarettes et qu’il les aurait placées sous le régime du transit communautaire externe dans des circonstances particulières, à la suite d’instructions reçues d’une société suisse appartenant au même groupe que lui. Selon la Commission, il appartiendrait donc à la juridiction de renvoi appelée à se prononcer sur l’existence éventuelle d’une situation particulière justifiant le remboursement des droits acquittés par BAT, d’évaluer préalablement si la procédure de transit en cause au principal trouve son origine uniquement dans l’action de l’agent infiltré des services douaniers ou dans l’intention préexistante de BAT de vendre des cigarettes sans nullement se préoccuper de la légalité de l’opération de transit considérée.

61
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1430/79, «[i]l peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation dans des situations particulières […] qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé».

62
Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 constitue une clause générale d’équité destinée à couvrir les situations autres que celles qui étaient le plus couramment constatées dans la pratique et qui pouvaient, au moment de l’adoption du règlement, faire l’objet d’une réglementation particulière (voir, notamment, arrêts du 12 mars 1987, Cerealmangimi et Italgrani/Commission, 244/85 et 245/85, Rec. p. 1303, point 10, et du 18 janvier 1996, SEIM, C-446/93, Rec. p. I-73, point 41).

63
Dans cette optique, la Cour a notamment précisé, d’une part, que cet article est destiné à être appliqué lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique et l’administration sont telles qu’il n’est pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice que, normalement, il n’aurait pas subi (voir arrêt du 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, 58/86, Rec. p. 1525, point 22).

64
Dans une affaire dans laquelle était en cause l’omission des autorités douanières d’informer le principal obligé de l’existence d’un risque de fraude dans laquelle ce dernier n’était pas impliqué, mais dont la réalisation était susceptible de faire naître une dette douanière dans son chef, la Cour a jugé, d’autre part, que, si le droit communautaire n’impose, certes, aux autorités douanières aucune obligation d’avertir le principal obligé qu’il pourrait devenir redevable de droits de douane du fait de cette fraude, les besoins d’une enquête diligentée par les autorités douanières ou policières peuvent néanmoins, en l’absence de toute manœuvre ou négligence imputable au redevable et alors que ce dernier n’a pas été informé du déroulement de l’enquête, être constitutifs d’une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79. En effet, s’il peut être légitime que les autorités nationales laissent délibérément se commettre des infractions ou irrégularités pour mieux démanteler un réseau, identifier des fraudeurs et établir ou conforter les éléments de preuve, le fait de faire supporter par le redevable la dette douanière découlant de ces choix liés à la poursuite des infractions est de nature à heurter la finalité d’équité qui sous-tend les règles communautaires pertinentes en mettant le redevable dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité (voir, en ce sens, arrêt De Haan, précité, points 36 et 53).

65
Une telle conclusion vaut, a fortiori, lorsque les infractions au régime de transit communautaire ont été commises ou provoquées par les autorités douanières elles-mêmes. Lorsque la soustraction des marchandises à la surveillance douanière qu’implique le placement de celles-ci sous le régime du transit communautaire externe résulte du comportement d’un agent infiltré appartenant aux services d’enquêtes douanières et qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne peut être imputée au principal obligé, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, ce dernier se trouve également, en effet, dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité, justifiant, le cas échéant, la remise ou le remboursement des droits acquittés.

66
Au regard des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de répondre à la première partie de la troisième question que la circonstance que les infractions au régime de transit communautaire trouvent leur source dans le comportement d’un agent infiltré appartenant aux services des douanes constitue une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79, justifiant, le cas échéant, la remise ou le remboursement des droits acquittés par le principal obligé, à condition qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne puisse lui être imputée.


Sur la seconde partie de la troisième question

67
Par la seconde partie de sa troisième question, posée dans l’hypothèse où l’intervention d’un agent infiltré des services douaniers pourrait être considérée comme constitutive d’une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79, la juridiction de renvoi cherche, enfin, à savoir s’il est exclu de procéder au remboursement des droits prévu par cette disposition en présence de manœuvres ou de négligences manifestes qui sont le fait non pas du principal obligé lui-même, mais des personnes auxquelles il a fait appel pour s’acquitter de ses obligations contractées dans le cadre du régime de transit communautaire externe.

68
À cet égard, il convient de constater qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour et, notamment, de l’arrêt De Haan, précité, que la circonstance qu’une manœuvre ou une négligence manifeste ait été commise par des personnes auxquelles le principal obligé a fait appel pour s’acquitter de ses obligations dans le cadre du régime de transit communautaire externe n’exclut pas, en soi, le remboursement des droits acquittés par celui-ci. Dans l’affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, en effet, la Cour a jugé, en substance, qu’étaient réunies les conditions justifiant le remboursement des droits acquittés par le principal obligé, auquel aucune négligence ou manœuvre n’était imputable, nonobstant la circonstance qu’un membre de son personnel semblait impliqué dans les irrégularités commises lors de la procédure de transit.

69
Une conclusion similaire doit être tirée, a fortiori, s’agissant des irrégularités commises par des personnes étrangères à l’entreprise du principal obligé, auxquelles ce dernier a fait appel pour s’acquitter de ses obligations résultant du placement de marchandises sous le régime du transit communautaire externe. Pareilles irrégularités n’excluent donc pas, en principe, le remboursement de droits acquittés par le principal obligé si aucune manœuvre ou négligence manifeste ne lui est imputable.

70
En l’espèce, toutefois, les éléments fournis par la juridiction de renvoi ne permettent pas de conclure avec certitude que cette dernière condition soit remplie, puisque, ainsi qu’il a été relevé, notamment, au point 23 du présent arrêt, le document de transit délivré par le bureau de départ ne contenait aucune indication sur la nationalité et l’identité du moyen de transport utilisé, tandis que la société mentionnée dans ce document comme destinataire des marchandises ne correspondait ni aux indications figurant sur le bon de livraison desdites marchandises ni à celles contenues dans la facture.

71
Au regard de tels éléments, il appartient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier si une manœuvre ou une négligence manifeste peut être imputée au principal obligé en tenant compte des obligations qui lui incombent en vertu des règles communautaires pertinentes, et, notamment, de l’article 13, sous a), du règlement n° 222/77, aux termes duquel le principal obligé est tenu de représenter les marchandises intactes au bureau de destination dans le délai prescrit et en ayant respecté les mesures d’identification prises par les autorités compétentes, ainsi que de l’expérience professionnelle du principal obligé, du degré de soin avec lequel il a choisi les personnes auxquelles il a confié le transport des marchandises et, le cas échéant, de la diligence dont il a fait preuve lorsque ont été constatées d’éventuelles irrégularités.

72
Dans ce contexte, une attention particulière doit également être accordée à la nature des marchandises transportées, le marché des cigarettes étant, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, particulièrement propice au développement d’un commerce illégal [voir arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C-491/01, Rec. p. I-11453, point 87].

73
Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la troisième question qu’une manœuvre ou une négligence manifeste des personnes auxquelles le principal obligé a fait appel pour s’acquitter d’obligations contractées dans le cadre du régime de transit communautaire externe n’exclut pas, en soi, le remboursement à ce dernier des droits nés de la soustraction des marchandises placées sous ce régime à la surveillance douanière, pourvu qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne lui soit imputable.


Sur les dépens

74
Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 24 avril 2001, dit pour droit:

1)
Dans la mesure où l’éloignement momentané du document de transit T  1 de la marchandise à laquelle il se rapporte empêche la présentation dudit document à toute réquisition éventuelle du service des douanes, un tel éloignement constitue une soustraction de cette marchandise à la surveillance douanière au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement (CEE) n° 2144/87 du Conseil, du 13 juillet 1987, relatif à la dette douanière, quand bien même les autorités douanières n’auraient pas réclamé la présentation de ce document ou établi qu’il n’aurait pas pu leur être présenté sans un retard considérable.

2)
La circonstance que les infractions au régime de transit communautaire trouvent leur source dans le comportement d’un agent infiltré appartenant aux services des douanes constitue une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986, justifiant, le cas échéant, la remise ou le remboursement des droits acquittés par le principal obligé, à condition qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne puisse lui être imputée.

Une manœuvre ou une négligence manifeste des personnes auxquelles le principal obligé a fait appel pour s’acquitter d’obligations contractées dans le cadre du régime de transit communautaire externe n’exclut pas, en soi, le remboursement à ce dernier des droits nés de la soustraction des marchandises placées sous ce régime à la surveillance douanière, pourvu qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne lui soit imputable.

Timmermans

La Pergola

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: l'allemand.