CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 21 novembre 2002 ( 1 )

1. 

Dans cette affaire, le Tribunale civile e penale di Trento (Italie) demande à la Cour si la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants ( 2 ) (ci-après la «directive»), s'oppose à ce qu'une législation nationale subordonne à l'inscription de l'agent commercial dans un registre prévu à cet effet son inscription au registre des entreprises.

Cadre juridique

2.

La directive harmonise le droit des États membres en ce qui concerne les rapports juridiques entre les agents commerciaux ( 3 ) et leurs commettants ( 4 ). Ainsi qu'il résulte de ses considérants, elle vise à protéger les agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants, à promouvoir la sécurité des opérations commerciales, et à faciliter les échanges de marchandises entre États membres en rapprochant les systèmes juridiques des États membres dans le domaine de la représentation commerciale ( 5 ). À cette fin, la directive établit des règles régissant les droits et obligations des agents commerciaux et des commettants (articles 3 à 5), la rémunération des agents commerciaux (articles 6 à 12), ainsi que la conclusion et la fin du contrat d'agence (articles 13 à 20).

3.

La loi italienne n° 204, du 3 mai 1985, prévoit la création d'un registre des agents et représentants de commerce dans chaque chambre de commerce. L'article 2 de la loi n° 204 exige l'inscription au registre «pour toute personne qui exerce ou entend exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce». L'article 9 de cette loi interdit «à toute personne non inscrite au registre visé à la présente loi d'exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce», sous peine d'une sanction administrative.

4.

L'article 2188 du code civil italien prévoit la création d'un registre des entreprises qui doit être tenu au bureau du registre des entreprises. Certains types d'entreprises doivent être inscrits sur ce registre en vertu de l'article 2195 du code. Pour d'autres types d'entreprises, dont font parties les agents commerciaux, l'inscription est facultative aux termes de l'article 2083 du code. L'article 2084 de ce code stipule que les conditions d'exercice de l'activité de différentes catégories d'entreprises doivent être prévues par la loi. Selon l'article 2189, le bureau du registre doit vérifier que «les conditions légales d'inscription au registre sont remplies».

5.

Dans l'affaire Bellone ( 6 ), il était demandé à la Cour de dire s'il est compatible avec la directive que la législation italienne subordonne la validité des contrats d'agence à l'inscription des agents de commerce sur un registre prévu à cet effet. La Cour a déclaré que, s'il est vrai que la directive n'interdit pas aux États membres de tenir un registre des agents commerciaux ( 7 ), elle s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet.

6.

L'arrêt Bellone a remis en question la validité de la jurisprudence antérieure de la Corte suprema di cassazione, qui depuis 1989 avait déclaré que l'article 1418 du code civil italien devait être interprété en ce sens qu'il exige que les contrats conclus par des agents non inscrits au registre conformément à la loi n° 204 soient considérés comme nuls. À la suite de l'arrêt Bellone, la Corte suprema di cassazione a modifié sa jurisprudence en ce sens que l'inobservation de l'obligation d'inscription au registre prescrite par la loi n° 204 n'entraîne plus en droit italien la nullité du contrat d'agence ( 8 ).

Les faits et la question préjudicielle

7.

Les faits, tels qu'ils résultent de l'ordonnance de renvoi, sont les suivants. La demanderesse, Mme Caprini, est une ressortissante italienne. Le défendeur est le conservateur du registre des entreprises de Trente. Le 10 avril 2001, Mme Caprini a demandé son inscription à ce registre en qualité d'agent commercial pour la vente d'espaces publicitaires. Le défendeur a rejeté la demande de Mme Caprini au motif qu'elle n'était pas inscrite au registre des agents et représentants de commerce, créé par la loi n° 204, du 3 mai 1985. Comme, selon le défendeur, l'inscription dans ce dernier registre constituait une condition d'exercice de l'activité de l'entreprise au sens de l'article 2084 du code civil, requise par les articles 2 et 9 de la loi n° 204, elle devait aussi être considérée comme une condition légale aux fins de l'article 2189, dont le conservateur doit vérifier l'existence avant de pouvoir procéder à une inscription au registre des entreprises.

8.

Mme Caprini a fait appel de la décision du défendeur, d'abord devant le Giudice del registro, la juridiction chargée du contrôle du défendeur, qui a rejeté son recours le 2 novembre 2001, puis devant le Tribunale civile e penale di Trento, pour obtenir l'inscription refusée par le conservateur ou, à titre subsidiaire, pour obtenir qu'il soit déclaré qu'elle n'a pas l'obligation de s'inscrire au registre en question.

9.

Le Tribunale civile e penale di Trento, soulignant la différence entre le cas d'espèce et les faits qui avaient donné lieu à la demande de renvoi préjudiciel dans l'affaire Bellone, a décidé de surseoir à statuer dans l'affaire au principal et a demandé à la Cour si la directive s'oppose à ce qu'une législation nationale subordonne à l'inscription de l'agent commercial dans un registre prévu à cet effet son inscription au registre des entreprises.

Appréciation

10.

Pour traiter la question posée par le Tribunale civile e penale di Trento, il est utile de revenir sur le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Bellone. À notre avis, on peut tirer de cet arrêt deux principes pertinents en l'espèce.

11.

Le premier est que rien dans la directive n'interdit à un État membre d'imposer, s'il l'estime opportun, l'inscription des agents commerciaux sur un registre prévu à cet effet pour répondre à certains besoins administratifs ( 9 ).

12.

Toutefois, ce premier principe est limité par un second, qui explique la décision de la Cour dans l'affaire Bellone, à savoir qu'un État membre ne peut pas subordonner la protection juridique accordée par la directive aux agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants à l'inscription dans tout registre qu'il choisit de créer ou à toute condition qui n'est pas explicitement prévue par la directive ( 10 ).

13.

La condition légale nationale litigieuse dans l'affaire Bellone, qui subordonnait la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent dans le registre des agents commerciaux, restreignait clairement la protection juridique accordée par la directive. La conséquence pour l'agent commercial de l'invalidité de son contrat d'agence en droit national était qu'il ne pouvait pas obtenir du commettant la rémunération que lui garantissait le chapitre III de la directive ou les indemnités prévues par le chapitre IV de celle-ci.

14.

Pour en revenir à la présente affaire, la question préjudicielle décrit une mesure nationale prévoyant qu'un agent qui n'est pas inscrit dans un registre des agents commerciaux ne peut pas obtenir son inscription au registre des entreprises.

15.

La Commission affirme dans ses observations devant la Cour qu'une telle mesure n'est pas incompatible avec la directive étant donné qu'elle ne restreint pas la protection juridique que la directive accorde aux agents commerciaux vis-à-vis de leurs commettants. Une telle règle n'empêcherait pas des agents commerciaux inscrits sur aucun des registres en question de conclure des contrats d'agence valides et pouvant être invoqués devant les juridictions nationales, la demande étant régie par les termes de la directive.

16.

Nous souscrivons à cette analyse.

17.

Mme Caprini fait cependant valoir que la règle légale italienne exigeant l'inscription des agents commerciaux au registre des agents commerciaux avant qu'ils puissent s'inscrire au registre des entreprises affecte la protection juridique accordée aux agents par la directive. En l'absence d'une telle inscription, les chambres de commerce italiennes n'accorderont pas aux agents l'attestation dont ils ont besoin pour pouvoir se conformer aux dispositions fiscales et sociales qui leur sont applicables. Elle allègue que la possibilité pour les agents de conclure des contrats d'agence valides ne leur est d'aucune aide s'ils ne peuvent pas exécuter les contrats qu'ils ont conclus.

18.

Nous ne sommes pas convaincu par cet argument.

19.

Il semble résulter clairement de l'arrêt de la Cour dans l'affaire Bellone que les États membres sont autorisés, conformément aux termes de la directive, à assortir de conséquences administratives l'inscription dans un registre des agents commerciaux, à condition toujours que la protection garantie par la directive ne soit pas limitée.

20.

Il n'est pas clair à nos yeux que les conséquences que Mme Caprini décrit comme résultant de la non-inscription au registre des agents commerciaux, à savoir que les agents commerciaux ne pourront pas obtenir leur inscription au registre des entreprises, avec des répercussions sur leur régime fiscal et social, pourraient être considérées comme restreignant la protection que la directive accorde aux agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants.

21.

Nous sommes donc d'avis qu'une loi nationale exigeant des agents commerciaux qu'ils s'inscrivent dans un registre de ces agents avant de pouvoir être inscrits dans un registre des entreprises est compatible avec la directive, à condition toujours qu'il n'en résulte en aucune façon une restriction de la protection juridique accordée par la directive aux agents commerciaux. Tel serait le cas, par exemple, si la validité des contrats d'agence était subordonnée à l'inscription d'un agent commercial sur l'un des deux registres en cause ou sur les deux.

Conclusion

22.

Nous sommes par conséquent d'avis que la Cour devrait déclarer que:

«La directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, ne s'oppose pas à ce qu'une législation nationale subordonne à l'inscription de l'agent commercial dans un registre prévu à cet effet son inscription au registre des entreprises, à condition que l'inclusion ou autre d'un agent commercial dans l'un ou l'autre de ces registres n'affecte pas la validité des contrats d'agence conclus par cet agent ou ne réduise sous d'autres rapports la protection juridique accordée à cet agent par la directive précitée.»


( 1 ) Langue originale: l'anglais.

( 2 ) JO L 382, p. 17.

( 3 ) En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive, l'agent commercial est défini comme celui qui, en tant qu'«intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, [...] soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant».

( 4 ) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive prévoit que «[l]es mesures d'harmonisation prescrites par la présente directive s'appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui régissent les relations entre les agents commerciaux et leurs commettants».

( 5 ) Deuxième et troisième considérants de la directive.

( 6 ) Arrêt du 30 avril 1998 (C-215/97, Rec. p. I-2191).

( 7 ) Point 11 de l'arrêt. Plusieurs États membres ont créé des registres de cette nature. Pour une analyse comparative des pratiques nationales, voir note 17 des conclusions de avocat général Cosmas dans cette affaire.

( 8 ) Voir point 17 de l'arrêt du 13 juillet 2000, Centrosteel (C-456/98, Rec. p. I-6007).

( 9 ) Point 11 de l'arrêt.

( 10 ) Points 13 et 14 de l'arrêt Bellone, précité. Un exemple d'une restriction à laquelle les États membres peuvent soumettre la protection offerte par la directive est la fixation d'une condition selon laquelle, pour être valide, un contrat d'agence doit être prouvé par écrit. Cette condition est expressément autorisée par l'article 13, paragraphe 2, de la directive.