CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME STIX-HACKL
présentées le 20 mars 2003(1)



Affaire C-313/01



Christine Valia Morgenbesser
contre
Consiglio dell'Ordine degli Avvocati di Genova



[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]

«Liberté d'établissement – Avocat – Conditions auxquelles sont subordonnés l'accès à la profession et son exercice – Ressortissante française titulaire d'une maîtrise en droit et résidant en Italie – Conditions de l'inscription dans un registre professionnel des avocats stagiaires»






I –    Remarques préliminaires

1.        La présente procédure concerne la question de la reconnaissance d’une maîtrise en droit obtenue en France aux fins de l’inscription dans le registre professionnel des avocats stagiaires en Italie. Elle porte à cet égard sur l’interprétation de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (2) , ainsi que de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise  (3) .

II –   Cadre juridique

A –    Droit communautaire

2.        Parmi les dispositions pertinentes en l’espèce, on compte, outre les règles relatives au droit d’établissement et à la libre prestation de services, la directive 89/48 et la directive 98/5.

1.        La directive 89/48

3.        La directive 89/48 établit un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans. Aux termes de son article 2, elle s’applique à tout ressortissant d’un État membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un État membre d’accueil.

4.        L’article 1 er de la directive 89/48 prévoit notamment ce qui suit:

«Aux fins de la présente directive, on entend:

a) par diplôme, tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres:

qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État,

dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et

dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à une profession réglementée dans cet État membre ou l’exercer,

dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme, certificat ou autre titre a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l’État membre qui a reconnu un diplôme, certificat ou autre titre délivré dans un pays tiers.

Est assimilé à un diplôme au sens du premier alinéa tout diplôme, certificat ou autre titre, ou tout ensemble de tels diplômes, certificats et autres titres, qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre dès lors qu’il sanctionne une formation acquise dans la Communauté et reconnue par une autorité compétente dans cet État membre comme étant de niveau équivalent, et qu’il y confère les mêmes droits d’accès à une profession réglementée ou d’exercice de celle-ci;

[...]

c)
par profession réglementée, l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre;

d)
par activité professionnelle réglementée, une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou une des modalités d’exercice dans un État membre est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un diplôme. Constituent notamment des modalités d’exercice d’une activité professionnelle réglementée:

l’exercice d’une activité sous un titre professionnel dans la mesure où le port de ce titre est autorisé aux seuls possesseurs d’un diplôme déterminé par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives,

[…]»

5.        L’article 3 de la directive 89/48, qui précise les principes concernant l’accès à une profession réglementée et son exercice, dispose:

«Lorsque, dans l’État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d’un diplôme, l’autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d’un État membre, pour défaut de qualification, d’accéder à cette profession ou de l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:

a)
si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer et qui a été obtenu dans un État membre, ou bien

b)
si le demandeur a exercé à plein temps cette profession pendant deux ans au cours des dix années précédentes dans un autre État membre qui ne réglemente pas cette profession au sens de l’article 1 er point c) et de l’article 1 er point d) premier alinéa en ayant un ou plusieurs titres de formation:

qui ont été délivrés par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État,

dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation d’un État membre et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et

qui l’ont préparé à l’exercice de cette profession.

Est assimilé au titre de formation visé au premier alinéa tout titre ou ensemble de titres qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre, dès lors qu’il sanctionne une formation acquise dans la Communauté et qu’il est reconnu comme équivalent par cet État membre, à condition que cette reconnaissance ait été notifiée aux autres États membres et à la Commission.»

6.        L’article 4 de la directive 89/48 permet à l’État d’accueil de subordonner l’accès à une profession réglementée à certaines conditions. Aux termes de cette disposition, l’État membre d’accueil peut exiger «du demandeur:

a)
qu’il prouve qu’il possède une expérience professionnelle, lorsque la durée de la formation dont il fait état en vertu de l’article 3 points a) et b) est inférieure d’au moins un an à celle requise dans l’État membre d’accueil. […]»

2.        La directive 98/5

7.        La directive 98/5 s’applique tant aux indépendants qu’aux travailleurs salariés. Le deuxième considérant a le contenu suivant:

«un avocat pleinement qualifié dans un État membre peut d’ores et déjà demander la reconnaissance de son diplôme pour s’établir dans un autre État membre afin d’y exercer la profession d’avocat sous le titre professionnel de cet État membre, conformément à la directive 89/48 [...] [et] [...] ladite directive a pour objectif l’intégration de l’avocat dans la profession de l’État membre d’accueil et ne vise ni à modifier les règles professionnelles applicables dans celui-ci ni à soustraire cet avocat à l’application de ces règles».

8.        L’article 1 er de la directive 98/5 dispose:

« 1.
La présente directive a pour objet de faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat à titre indépendant ou salarié dans un État membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle.

2.        Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)
«avocat»: toute personne, ressortissant d’un État membre, habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés ci-après […]»

9.        En vertu de l’article 2, tout avocat a «le droit d’exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d’origine, les activités d’avocat telles que précisées à l’article 5».

10.      L’article 5 définit le domaine d’activité de l’avocat. Aux termes de cette disposition, «l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine pratique les mêmes activités professionnelles que l’avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil et peut notamment donner des consultations juridiques dans le droit de son État membre d’origine, en droit communautaire, en droit international et dans le droit de l’État membre d’accueil. Il respecte, en tout cas, les règles de procédure applicables devant les juridictions nationales».

B –    Droit national

11.      Pour être inscrit au tableau des avocats stagiaires en Italie, il est nécessaire que l’intéressé soit titulaire d’un diplôme en droit obtenu en Italie ou d’un diplôme confirmé par une université italienne.

12.      Les dispositions essentielles concernant l’accès à la profession d’avocat et l’exercice de celle-ci en Italie se trouvent dans le Regio Decreto Legge n° 1578, Ordinamento delle professioni di avvocato e procuratore (décret-loi royal n° 1578 portant organisation des professions d’avocat et d’avoué), du 27 novembre 1933  (4) (ci-après le «décret-loi n° 1578»), devenu la loi n° 36 du 22 janvier 1934  (5) , avec ses modifications ultérieures.

13.      L’article 8 du décret-loi n° 1578 dispose:

«Les diplômés en droit qui effectuent le stage prévu à l’article 17 sont inscrits, à leur demande et moyennant un certificat délivré par l’avocat dont ils fréquentent le cabinet, sur un tableau spécial tenu par le Conseil de l’ordre des avocats auprès du tribunal de leur circonscription de résidence, et sont soumis au pouvoir disciplinaire dudit Conseil.

Après un an d’inscription au tableau susmentionné au premier alinéa, et pendant une période ne pouvant dépasser six ans, les «procuratori» stagiaires sont admis à plaider auprès des tribunaux du district dont relève l’ordre de la circonscription chargé de tenir le tableau susmentionné, dans la limite des procédures qui, conformément aux dispositions applicables avant la date d’entrée en vigueur du décret législatif de mise en oeuvre de la loi n° 254 du 16 juillet 1997, relevaient de la compétence du «pretore».

En matière pénale, ils peuvent être nommés avocats d’office auprès des mêmes tribunaux et dans les mêmes limites, ainsi qu’exercer les fonctions de ministère public et interjeter appel en tant que défenseurs ou représentants du ministère public.

Tout avocat stagiaire candidat aux fonctions visées au deuxième alinéa, doit prêter serment devant le président du Tribunal de la circonscription où il est inscrit selon la formule suivante: [...]».

14.      L’article 17, paragraphe 1, du décret-loi n° 1578 dispose:

«Pour l’inscription au tableau des avocats, il est nécessaire:

1° d’être citoyen italien ou Italien appartenant à des régions non unies politiquement à l’Italie;

[...]

4° d’être porteur d’un diplôme en droit ( «laurea in giurisprudenza») délivré ou confirmé par une université de la République italienne;

5° d’avoir accompli, en donnant satisfaction et avec profit, un stage dans un cabinet d’avocat et en assistant aux audiences civiles et pénales de la Cour d’appel ou du tribunal pendant au moins deux années consécutives, après l’obtention du diplôme, selon des modalités qui seront déterminées par les dispositions à promulguer conformément à l’article 101; ou bien d’avoir plaidé, durant la même période, auprès des tribunaux de première instance au sens de l’article 8.

[...]

7° d'avoir sa résidence dans l'arrondissement du Tribunal dont dépend le barreau auquel la demande d'inscription est adressée.»

15.      La legge n° 146, Disposizioni per l’adempimento di obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia alla Comunità europea, legge comunitaria 1993 (loi n° 146 portant dispositions pour l’accomplissement des obligations découlant de l’appartenance de la République italienne à la Communauté européenne, loi communautaire 1993) a abrogé la condition de nationalité; elle prévoit à son article 10:

«Les ressortissants des États membres de la Communauté européenne sont assimilés aux citoyens italiens aux fins de l'inscription à l'ordre des avocats visé à l'article 17 du décret-loi royal n° 1578, du 27 novembre 1933, [...] établissant les modalités d'organisation de la profession d'avocat.»

16.      Le decreto legislativo n° 115, du 27 janvier 1992, relatif à la reconnaissance des diplômes de formations professionnelles délivrés dans la Communauté européenne (6) (ci-après le «décret législatif n° 115»), vise à transposer la directive 89/48. Son article 1 er prévoit:

« 1.        Sous les conditions fixées par les dispositions du présent décret, sont reconnus en Italie les diplômes délivrés dans un État membre de la Communauté européenne attestant une formation professionnelle et à la possession desquels la législation de cet État subordonne l’exercice d’une profession [...].

2.        La reconnaissance est accordée en faveur du ressortissant communautaire aux fins de l’exercice en Italie, à titre indépendant ou salarié, de la profession correspondant à celle à laquelle il est habilité dans le pays qui a délivré le diplôme prévu à l’alinéa précédent.

3.        Les titres sont admis à la reconnaissance s’ils incluent l’attestation que le demandeur a suivi avec succès un cycle d’études post secondaires d’une durée minimale de trois ans ou d’une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou dans un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation.»

17.      L’article 2 du décret n° 115 dispose:

«Aux fins du présent décret, on entend par professions:

a)
les activités pour l’exercice desquelles est exigée l’inscription sur un tableau, un registre ou une liste tenue par une administration ou une entité publique, lorsque l’inscription est subordonnée à la possession d’une formation professionnelle conforme aux exigences visées au paragraphe 3 de l’article 1 er du présent décret;

b)
les emplois publics ou privés, lorsque l’accès à ceux-ci est subordonné, par des dispositions législatives ou réglementaires, à la possession d’une formation professionnelle conforme aux exigences visées au paragraphe 3 de l’article 1 er du présent décret;

c)
les activités exercées en faisant état d’un titre professionnel dont l’usage est réservé à celui qui possède une formation professionnelle conforme aux exigences visées au paragraphe 3 de l’article 1 er du présent décret;

[...]»

18.      L’article 6 régit les conditions de la reconnaissance et prévoit une épreuve d’aptitude pour certaines professions juridiques.

19.      L’article 11 désigne l’autorité compétente selon les professions dont l’accès est envisagé par la demande de reconnaissance. S’agissant des professions juridiques, seule l’activité d’avocat est concernée. L’article 12 prévoit la manière dont la demande de reconnaissance doit être adressée au ministre compétent.

20.      Ainsi qu’il ressort également de l’arrêt de la Cour Commission/Italie  (7) , les obligations fixées à l’article 17, paragraphe 1, points 1, 4 et 5, du décret-loi n° 1578 ont été abrogées; la condition de nationalité l’a été par l’article 10 de la loi n° 146/94, tandis que celles relatives à la possession d’un diplôme de droit italien et à l’accomplissement d’un stage l’ont été par le décret n° 115. Comme l’a précisé le gouvernement italien à l’audience, l’article 17, paragraphe 1, point 4, s’applique non plus aux avocats, mais aux avocats stagiaires.

21.      En vertu du droit italien, il convient en principe de distinguer deux types d’avocats stagiaires: les simples stagiaires et les «patrocinatori», qui disposent de compétences élargies. On peut devenir «patrocinatore» à l’issue d’une année de stage et le rester au total six ans.

III –   Faits, procédure au principal et question préjudicielle

22.      M me Christine Valia Morgenbesser, ressortissante française résidant en Italie, a introduit, le 27 octobre 1999, auprès du Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Genova (conseil de l’ordre des avocats de Gènes) une demande d’inscription au tableau des avocats stagiaires. Elle a fait valoir à cet effet un diplôme de maîtrise en droit obtenu en France en 1996. Elle a ensuite travaillé huit mois comme juriste dans un cabinet parisien, avant de rejoindre, en avril 1998, un cabinet de Gênes.

23.      Sa demande a été rejetée par décision du 4 novembre 1999. Le Consiglio l’a estimée contraire à l’article 17, paragraphe 1, point 4, du décret-loi royal n° 1578, lequel subordonne notamment l’inscription à la possession d’un diplôme en droit délivré ou confirmé par une université italienne.

24.      Le 2 décembre 1999, M me Morgenbesser a formé un recours contre cette décision sur le fondement des dispositions légales et en invoquant une violation du décret n° 115, transposant en Italie la directive 89/48, ainsi qu’une violation des règles du traité CE concernant les libertés fondamentales. Elle a soutenu que l’article 17, paragraphe 1, point 4, du décret-loi n° 1578 devait être considéré comme ayant été tacitement abrogé par les dispositions postérieures.

25.      Par décision du 12 mai 2000, le Consiglio Nazionale Forense (conseil national de l’ordre des avocats) a rejeté le recours au motif que M me Morgenbesser n’était pas habilitée à exercer en France la profession d’avocat et qu’elle ne possédait pas le titre professionnel nécessaire pour s’inscrire comme avocat stagiaire.

26.      La demande de reconnaissance de diplôme en Italie, formée par M me Morgenbesser, a été rejetée par le ministère de la Justice, qui s’est déclaré incompétent au motif qu’il s’agissait d’un titre académique et non de la reconnaissance de l’exercice de la profession d’avocat. Pour sa part, l’université de Gênes ne s’est montrée disposée à reconnaître l’équivalence du diplôme français qu’à la condition que M me  Morgenbesser suive un cours, réussisse treize examens et soutienne un mémoire; M me Morgenbesser a simplement été dispensée de six matières principales et de sept cours optionnels. Cette décision de l’université a été attaquée par M me Morgenbesser devant le Tribunale amministrativo regionale de Ligurie. Cette affaire est actuellement pendante devant le Consiglio di Stato.

27.      Elle a ensuite prié la Corte suprema di cassazione d’adresser une demande préjudicielle à la Cour, afin d’obtenir une décision sur l’interprétation des articles 10 CE, 12 CE, 14 CE, 39 CE et 43 CE.

28.      Nonobstant la non-confirmation de son diplôme en Italie, M me  Morgenbesser demande à être inscrite au registre des avocats stagiaires au motif que le diplôme qui lui a été délivré en France doit automatiquement être reconnu en Italie.

29.      Par ordonnance du 19 avril 2001, parvenue au greffe de la Cour le 8 août 2001, la Corte suprema di cassazione demande à la Cour de justice des Communautés européennes de statuer sur la question suivante:

«Indépendamment de toute reconnaissance et confirmation d’équivalence, peut-on automatiquement, aux fins mentionnées ci-dessus  8  –C’est-à-dire aux fins d’inscription dans un registre professionnel., faire valoir un diplôme délivré à un ressortissant communautaire dans un État membre (en l’espèce la République française) dans un autre État (en l’espèce la République italienne), et ce, en vertu des règles du traité CE invoquées par la partie requérante en matière de liberté d’établissement et de libre prestation de services (articles 10 CE, 12 CE, 14 CE, 39 CE et 43 CE, respectivement ex-articles 5, 6, 7 A, 48 et 52 du traité CE) ainsi que de l’article 149 CE (ex-article 126 du traité CE)?»

IV –   La question préjudicielle

A –    Argumentation des parties

30.      M me Morgenbesser soutient que ─ même s’il s’agit d’une formation professionnelle visant à la profession future d’avocat ─ l’activité d’un avocat stagiaire relève de la notion de profession inscrite à la directive 89/48. Elle parvient à cette conclusion en s’appuyant sur l’article 8 du décret-loi n° 1578 et affirme que le domaine d’activité de l’avocat stagiaire comprend la gestion autonome des affaires en cours, le conseil aux clients, ainsi que, dans certains cas, leur représentation et leur défense, et que les règles professionnelles de l’avocat sont applicables. M me Morgenbesser établit par ailleurs à cet égard un parallèle avec la jurisprudence de la Cour selon laquelle un stagiaire doit être qualifié de travailleur  (9) .

31.      M me Morgenbesser estime que l’exigence ─- prévue à l’article 17, paragraphe 1, point 4, du décret-loi n° 1578 ─ d’une reconnaissance préalable du diplôme par une université italienne enfreint la directive 89/48. En effet, affirme-t-elle, cette directive permet de faire valoir un diplôme obtenu dans un État membre pour exercer une profession dans un autre État membre.

32.      S’appuyant sur l’arrêt Fernández de Bobabilla  (10) , M me  Morgenbesser expose qu’il est illogique qu’un avocat stagiaire, dont le domaine d’activité est limité par comparaison à celui d’un avocat, soit contraint de demander la reconnaissance de son diplôme par une université italienne et de poursuivre en principe un nouveau cycle d’études conformément à des dispositions italiennes.

33.      Pour le cas où la directive 89/48 ne serait pas applicable, M me  Morgenbesser invoque à titre subsidiaire une violation de l’article 43 CE. Si la directive 89/48 est applicable, elle soutient que l’autorité compétente ne saurait exiger à titre supplémentaire la reconnaissance, par des autorités nationales, de diplômes d’autres États membres, mais que ces diplômes sont automatiquement équivalents s’ils remplissent les conditions posées par la directive elle-même. L’autorité compétente, ajoute-t-elle, doit vérifier dans quelle mesure un diplôme délivré par un autre État membre correspond aux dispositions de l’État d’accueil en ce qui concerne les connaissances et qualifications. S’il y a conformité, une reconnaissance et l’enregistrement dans le registre professionnel doivent s’ensuivre.

34.      Le Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Genova a, de son analyse du droit national, tiré la conclusion que les avocats stagiaires n’exercent pas de profession au sens de la directive 89/48.

35.      Le Consiglio dell’Ordine degli Avvocati a par ailleurs estimé qu’en application des règles de déontologie les avocats stagiaires n’exerçaient même pas une activité économique au sens de la jurisprudence de la Cour, mais qu’ils se trouvaient dans une simple relation de formation. Les activités n’étaient effectuées que pour un certain temps et sous surveillance. Enfin le produit final exigé pour l’application de la directive 89/48 ferait défaut, à savoir une formation achevée.

36.      Le gouvernement danois soutient qu’un avocat stagiaire ne saurait invoquer automatiquement un diplôme acquis dans un autre État membre pour obtenir son inscription dans le registre professionnel.

37.      Il expose que l’université de Copenhague doit confirmer l’équivalence du diplôme acquis dans un autre État membre lorsqu’une personne entend obtenir son inscription comme avocat stagiaire. Si les connaissances et qualifications attestées par le diplôme étranger ne sont pas de même niveau, le ministère de la Justice danois peut imposer, sur la base de critères individuels, l’accomplissement d’une période probatoire supplémentaire, d’une durée maximale de deux ans, chez un avocat danois. Les principes de la jurisprudence Vlassopoulou  (11) , ajoute-t-il, obligent à procéder à un examen comparatif. Cela n’impliquerait toutefois en rien une reconnaissance automatique du diplôme étranger, objectif auquel tend la demande de M me  Morgenbesser.

38.      Selon le gouvernement danois, la directive 89/48 n’est pas applicable à la présente affaire, car elle ne vise que les avocats déjà formés et non les avocats stagiaires. Un stage accompli dans un autre État membre pourrait toutefois être reconnu en vertu de l’article 5 de la directive 89/48.

39.      Le gouvernement italien affirme que les exigences auxquelles est subordonné l’accès à la profession d’avocat en Italie ─ formation complète en droit, accomplissement d’un stage de deux ans et réussite à un examen ─ sont une garantie de la qualité professionnelle des avocats. Les dispositions mêmes du traité CE en matière de liberté d’établissement et de libre prestation de services n’impliquent pas la reconnaissance automatique d’un diplôme dans un autre État membre. Le gouvernement italien estime que l’activité d’un avocat stagiaire ne doit pas être considérée comme une profession réglementée au sens de la directive 89/48. De surcroît, ajoute-t-il, la présente espèce porte sur la reconnaissance de titres académiques, qui doivent être distingués de la reconnaissance de titres professionnels.

40.      La Commission constate que, quand bien même les directives 89/45 et 98/5 ne seraient pas applicables, il conviendrait de tenir compte des principes généraux d’interprétation concernant l’article 43 CE, élaborés dans les arrêts Vlassopoulou et Gebhard  (12) . La question préjudicielle vise à savoir si, en cas de non-applicabilité de la directive 89/48, l’article 43 CE fait lui-même obstacle à certaines dispositions nationales, qui, dans la procédure au principal, sont en particulier l’exigence d’un examen effectué par l’université nationale en vue de vérifier l’équivalence de diplômes d’autres États membres, l’exigence de la fréquentation d’un cours, ainsi que l’obligation de réussir treize examens et de rédiger un mémoire.

41.      Selon la Commission, la pratique administrative des universités italiennes au sujet de l’examen comparatif de diplômes d’autres États membres ne permet d’opérer aucune distinction en fonction de l’ordre juridique que concerne le diplôme étranger. Elle juge cette pratique contraire à la jurisprudence Vlassopoulou, en vertu de laquelle les autorités compétentes des États membres doivent procéder à un examen comparatif individuel, en confrontant le diplôme obtenu avec les exigences fixées par la législation nationale.

42.     À titre subsidiaire, la Commission soutient que la directive 89/48 est applicable si l’activité de l’avocat stagiaire doit être qualifiée de «profession réglementée». À l’audience, la Commission a toutefois clairement indiqué que, selon elle, seules les activités qui sont habituellement exercées de manière durable et définitive pouvaient être considérées comme une profession au sens de la directive 89/48.

B –    Appréciation

43.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi entend savoir si un ressortissant communautaire peut faire automatiquement valoir un diplôme obtenu dans un autre État membre.

44.      Il s’agit en substance de savoir si une disposition nationale qui subordonne l’inscription dans un registre national à la reconnaissance par une université nationale est compatible avec la directive 89/48 ou, à supposer que celle-ci ne soit pas applicable, avec l’article 43 CE. Dans l’affaire au principal, la fréquentation d’un cours, la réussite à treize examens et la rédaction d’un mémoire ont été exigées.

45.      La Corte suprema di cassazione mentionne entre autres dans sa question préjudicielle une série de dispositions du droit primaire, à savoir les articles 10 CE, 12 CE, 14 CE, 39 CE et 43 CE, ainsi que l’article 149 CE. Mais, avant d’apprécier les dispositions du droit primaire, il convient d’examiner si les faits au principal ne relèvent pas d’une réglementation du droit dérivé constituant une harmonisation exhaustive. Entrent en ligne de compte la directive 89/48 et la directive 98/5. Celles-ci obligent les États membres à effectuer un examen des mesures nationales de transposition en matière d’équivalence des diplômes étrangers  (13) .

1. La directive 98/5

46.      En ce qui concerne la directive 98/5, il convient d’apprécier si celle-ci s’applique bien aux avocats stagiaires tels que ceux dont il est question dans l’affaire au principal.

47.      Ainsi qu’il ressort du deuxième considérant de la directive 98/5, seul un avocat pleinement qualifié peut s’installer dans un autre État membre.

48.      Il résulte de l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 98/5 que celle-ci vise à faciliter «l’exercice permanent de la profession d’avocat». Elle vient donc compléter la directive 89/48.

49.      Aux termes de son article 1 er , paragraphe 2, la directive 98/5 n’englobe toutefois dans son champ d’application que les personnes habilitées à exercer leurs activités professionnelles sous certains titres professionnels. Parmi les personnes exerçant en France, n’entrent en ligne de compte que celles pouvant exercer leur activité sous le titre d’«avocat».

50.      La directive 98/5 ne s’applique donc pas aux personnes qui ne sont qu’en formation, c’est-à-dire qui doivent encore remplir les conditions de l’accès à la profession d’avocat.

51.      Or, puisque les avocats stagiaires en Italie ne sont pas ─ encore ─ avocats, comme leur qualification de «praticanti» suffit à en témoigner, ils ne relèvent pas du champ d’application de la directive. Il en va a fortiori de même pour les personnes qui, loin d’avoir obtenu la qualification pour la profession d’avocat, en passant par exemple les examens prévus dans leur État d’accueil pour les avocats stagiaires, ne disposent au contraire que d’un diplôme de fin d’études et d’une certaine expérience professionnelle.

52.      Aussi la directive 98/5 ne s’applique-t-elle pas dans un cas tel que celui de l’affaire au principal.

2. La directive 89/48

53.      Il convient ensuite d’examiner si la directive 89/48 s’applique. Dans la présente procédure, la question de savoir si le champ d’activité de l’avocat stagiaire en Italie relève de la notion de «profession réglementée» est à cet égard décisive.

54.      En vertu de la définition légale qui en est donnée à l’article 1 er , sous c), de la directive 89/48, on entend par «profession réglementée» «l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre».

55.      L’article 1 er , sous d), de la directive définit l’«activité professionnelle réglementée» comme «une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou une des modalités d’exercice dans un État membre est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un diplôme».

56.      La profession d’avocat stagiaire n’existe pas en tant que telle dans toute la Communauté, mais recouvre des activités différentes selon les États membres: ainsi une profession peut-elle être soumise à certaines règles dans un seul État membre, dans plusieurs ou même dans tous. La notion de profession réglementée  (14) ne se rapporte pas uniquement à la possession d’un diplôme ou d’un titre académique  (15) , mais se caractérise par le fait qu’elle peut aussi s’attacher à d’autres titres professionnels.

57.      C’est l’État membre concerné qui décide si une activité est réglementée, c’est-à-dire si elle est soumise à certaines dispositions nationales  (16) .

58.      Cela ne change toutefois rien au fait que la notion de «profession réglementée» appelle une interprétation autonome en droit communautaire. Aussi la question de savoir si certaines activités constituent une profession au sens de la directive 89/48 doit-elle également s’apprécier en droit communautaire.

59.      En vertu de la jurisprudence de la Cour  (17) , il y a réglementation lorsque l’accès à l’activité ou l’exercice de celle-ci, et donc la profession, sont régis par des dispositions juridiques. Une telle réglementation peut être directe ou indirecte. Une réglementation est directe lorsque les dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l’État membre concerné établissent un régime qui a pour effet de réserver expressément cette activité professionnelle aux personnes qui remplissent certaines conditions et d’en interdire l’accès à celles qui ne les remplissent pas  (18) .

60.      Avant qu’il ne faille apprécier si les activités d’un avocat stagiaire en Italie constituent une profession réglementée au sens de la directive 89/48, il est utile d’examiner d’abord de manière plus circonstanciée la profession d’avocat. Sur cette base et dans ces limites, nous analyserons ensuite les activités de l’avocat stagiaire en Italie.

61.      La directive 89/48 vise la profession d’avocat en tant que «produit final». Si, dans un État membre, l’accès à la profession d’avocat est subordonné en outre à l’accomplissement d’un stage pratique introductif, faisant suite à l’examen et effectué sous l’autorité d’une personne pleinement qualifiée, «la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires» n’est suivie avec succès qu’une fois délivré le certificat sanctionnant l’achèvement de cette activité au sens de la directive 89/48. Cela seul constitue le «produit final».

62.      Dans les États membres ici concernés, la République française et la République italienne, la profession d’avocat est une profession réglementée, pour laquelle il existe un monopole du titre  (19) .

63.      Même dans les États membres qui le prévoient, le stage pratique est réglementé de manière différente. Ainsi, alors que, dans certains États membres, ce stage est mis en oeuvre par l’ordre professionnel considéré, il résulte, dans d’autres, d’une formation pratique imposée et contrôlée par les autorités étatiques. Si l’exercice d’une certaine profession est subordonné à une formation pratique, un diplôme universitaire ne peut à lui seul, en l’absence de la formation exigée, être qualifié de produit final. Il n’entre donc pas dans le domaine d’application de la directive  (20) .

64.      Dès lors que, pour être en droit d’exercer la profession d’avocat en Italie, il faut, outre accomplir un stage pratique, réussir à un «esame di abilitazione», la simple possession d’un diplôme n’est pas suffisante à cet effet  (21) .

65.      En Italie, la formation pratique peut être accomplie de différentes manières. L’une consiste à exercer des activités de conseil dans des affaires civiles et pénales de façon quasi autonome. Cette activité est soumise à une durée maximale de six ans.

66.      Si l’on applique aux activités des avocats stagiaires en Italie les critères qu’a fixés la jurisprudence de la Cour sur la notion des activités réglementées  (22) ─ lesquels critères, reconnaissons-le, sont larges ─, il en ressort que les activités des stagiaires doivent être considérées comme réglementées, puisque tant l’accès à celles-ci que leur exercice sont soumis à certaines dispositions juridiques. Cela vaut non seulement pour l’activité des personnes disposant d’un «patrocinio», mais aussi pour les simples stagiaires.

67.      Cependant, s’il en résulte que les avocats stagiaires exercent des activités réglementées, il ne s’ensuit pas encore qu’il s’agit d’une profession réglementée au sens de la directive 89/48.

68.      Le fait que les activités en cause sont limitées dans le temps plaide contre la qualification des activités de l’avocat stagiaire en Italie de profession réglementée au sens de la directive 89/48. Un avocat stagiaire n’accomplit ses activités que durant sa formation. Ces activités sont la simple expression de ce que la formation à la profession d’avocat comprend également des activités pratiques  (23) . Mais détacher abstraitement ces activités et les qualifier de profession à part entière reviendrait à ignorer que l’activité d’un avocat stagiaire ─ tout au moins d’un «patrocinatore» ─ ne constitue qu’un stade intermédiaire vers la profession d’avocat.

69.      Le caractère limité de leurs attributions par rapport à la profession d’avocat, attributions auxquelles M me Morgenbesser fait elle-même référence dans ses observations, constitue un argument supplémentaire pour ne pas compter l’activité d’avocat stagiaire parmi les professions réglementées au sens de la directive 89/48.

70.      Enfin, l’article 6 du décret n° 115 milite également contre la thèse consistant à qualifier les activités d’un avocat stagiaire de profession réglementée au sens de l’article 1 er de la directive 89/48. L’article 6 du décret n° 115 comporte une liste de professions juridiques, laquelle ne reprend toutefois pas celle d’avocat stagiaire. On peut en tirer la conclusion que le législateur italien n’a pas entendu qualifier de profession les activités qu’exercent les avocats stagiaires. Ainsi, quand bien même laisserait-on à l’État membre la qualification de profession ─ thèse qui n’est ici toutefois pas soutenue ─, on serait plutôt amené à conclure du droit national pertinent que les activités des avocats stagiaires ne constituent pas une profession au sens de la directive 89/48.

71.      Le fait que la liste dans laquelle sont inscrits les avocats stagiaires en Italie soit un «registro» et non un «albo», comme l’est celle des avocats, ne saurait être déterminant. En effet, s’il s’agit là, de la part de l’État membre concerné, d’un choix légitime de désignation, celui-ci n’est toutefois pas déterminant.

3. Obligations de droit primaire

72.      Comme ni la directive 89/48 ni la directive 98/5 ne sont applicables à l’activité de l’avocat stagiaire dans la situation dans laquelle la Cour est appelée à statuer, il convient de revenir aux règles du droit primaire.

73.      La question préjudicielle mentionne les règles de droit primaire suivantes: les articles 10 CE, 12 CE, 14 CE, 39 CE et 43 CE, ainsi que l’article 149 CE. Avant de pouvoir nous pencher sur les dispositions générales, il convient d’examiner les dispositions spéciales.

74.      Si, de manière générale, il existe une riche jurisprudence sur la profession d’avocat, notamment en Italie, la présente procédure est la première qui concerne la position de l’avocat stagiaire, c’est-à-dire d’un stagiaire. Il convient par conséquent de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour au sujet des stagiaires.

75.      Selon celle-ci, les activités des stagiaires peuvent également relever de la libre circulation des travailleurs. La condition en est toutefois que «les activités exercées soient réelles et effectives et non pas de nature telle qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires»  (24) . Ce peut être le cas même si la productivité  (25) , la durée hebdomadaire de travail ou le salaire sont faibles  (26) . De même, l’origine des ressources pour la rémunération ou le fait que la relation d’emploi ait une nature juridique sui generis au regard du droit national sont sans importance  (27) .

76.      La situation en l’espèce est tout à fait spéciale, puisqu’il s’agit non pas de l’accès d’un avocat stagiaire pleinement qualifié d’un État membre à l’examen d’avocat d’un autre État membre, mais de l’achèvement d’une formation professionnelle d’avocat commencée dans un autre État membre.

77.      Il s’agit de l’admission au stage dans l’État d’accueil et de la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelles conditions l’État d’accueil est obligé d’admettre au stage les personnes disposant d’un diplôme universitaire d’un autre État membre.

78.      Dès lors que, comme on l’a vu, le stage relève également de la libre circulation des travailleurs, il en va de même d’un stage tel que celui effectué par l’avocat stagiaire italien ─ pourvu qu’il s’agisse d’une activité subordonnée. Il s’ensuit cependant que l’accès à un tel stage relève lui-même de cette liberté fondamentale.

79.     Étant entendu qu’il résulte des faits de l’affaire au principal que les activités ne sont pas exercées d’une manière qui les fait relever de la libre prestation de services, il reste à savoir si la libre circulation des travailleurs ou la liberté d’établissement sont applicables. Comme, lors de la procédure devant la Cour, il a été plusieurs fois souligné qu’il s’agissait, dans le cas de M me Morgenbesser, de la liberté d’établissement, il convient ci-après de se fonder sur cette liberté fondamentale. Le parallèle établi à cet égard avec les faits de la procédure au principal dans l’affaire Gebhard  (28) plaide également en faveur de cette thèse.

80.      Il convient donc ci-après d’interpréter l’article 43 CE concernant la liberté d’établissement.

81.      Ainsi que la Commission l’a exposé à bon droit, les principes jurisprudentiels établis tant en matière de libre circulation des travailleurs que de libre prestation de services au sujet de la reconnaissance des diplômes ou d’autres compétences professionnelles peuvent être transposés à la liberté d’établissement  (29) . Il s’agit en particulier des obligations de droit primaire relatives à la reconnaissance des diplômes et à l’examen d’équivalence.

82.      Sur le plan des principes, il convient de distinguer deux systèmes de reconnaissance de diplômes ou autres titres.

83.      Le premier, qui est défini dans les directives spéciales ou verticales, prévoit une reconnaissance automatique, limitée à un examen formel visant à vérifier que le diplôme à reconnaître est mentionné dans la liste des diplômes devant être reconnus.

84.      Le second système ─ et c’est le seul qui puisse être retenu dans la présente procédure ─ prévoit un examen matériel des titres présentés. Cet examen consiste en substance dans une comparaison entre la compétence acquise dans l’État d’origine et celle requise dans l’État d’accueil. Un tel examen a donc pour objet de vérifier que les compétences (connaissances et qualifications) sont de même valeur, notamment en ce qui concerne la durée et le contenu de la formation.

85.      On admet généralement que la jurisprudence citée a pour origine  (30) l’arrêt Vlassopoulou  (31) , mais, s’agissant précisément des professions juridiques, le principe est plus ancien  (32) . Dans l’affaire Vlassopoulou, la Cour était appelée à se prononcer sur le cas d’une avocate grecque qui, faisant valoir ses connaissances en droit allemand acquises dans le cadre de cours et de son expérience professionnelle, avait demandé à être admise au barreau allemand, mais s’était vu refuser cette admission au motif qu’elle n’était pas titulaire de l’examen d’État.

86.      La présente procédure porte sur la reconnaissance d’un diplôme universitaire obtenu dans l’État d’origine et d’une période de formation qui y a été accomplie.

87.      Dans ce contexte, il convient également de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’exercice du droit d’établissement, garanti par l’article 43 CE, est entravé «si les règles nationales en question [font] abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par l’intéressé dans un autre État membre»  (33) .

88.      Aussi incombe-t-il aux autorités nationales compétentes «d’apprécier si les connaissances acquises par le candidat, dans le cadre soit d’un cycle d’études, soit d’une expérience pratique, peuvent valoir aux fins d’établir la possession des connaissances manquantes»  (34) . Il appartient donc à l’État d’accueil de prévoir et de mettre en oeuvre une procédure permettant une telle appréciation.

a) Reconnaissance d'un diplôme

89.      Il convient donc en l’espèce d’examiner d’abord la question de savoir si une «maîtrise en droit» obtenue en France relève de cette obligation de prise en compte qui pèse sur l’État d’accueil. Notons à cet égard qu’il ne s’agit pas, dans l’affaire en cause, de la reconnaissance de titres universitaires en tant que tels, mais de la reconnaissance de diplômes universitaires à des fins professionnelles.

90.      Si la «maîtrise en droit» obtenue en France n’est pas un diplôme garantissant l’accès direct à la profession d’avocat, elle n’en constitue pas moins un diplôme attestant certaines connaissances et qualifications.

91.      La jurisprudence de la Cour fait également clairement ressortir qu’il convient de tenir compte de la «nature et de la durée des études»  (35) , ou de l’ensemble des «diplômes, certificats et autres titres»  (36) . Comme la Cour ne fait pas de différence selon la nature du titre ou qu’elle ne limite pas la reconnaissance à certains diplômes uniquement, il convient d’entendre largement les titres à reconnaître.

92.      De l’arrêt Kraus  (37) , qui concernait des études de troisième cycle, on peut conclure que les États d’accueil sont même obligés de tenir compte de titres universitaires.

93.      Il appartient à la juridiction de renvoi, le cas échéant aux autorités nationales compétentes, d’apprécier, au vu de tous les éléments du dossier et des considérations qui précèdent, si l’équivalence du diplôme de M me Morgenbesser avec un diplôme correspondant italien doit être admise  (38) .

b) Reconnaissance de la formation pratique

94.     À ce stade, il convient en outre d’examiner si la formation pratique suivie dans l’État d’origine doit être prise en compte.

95.      Il ressort clairement de la jurisprudence constante de la Cour qu’il convient de tenir compte de l’expérience professionnelle  (39) acquise dans l’État d’origine et même des «formations pratiques»  (40) qui ont été suivies. Il en va également ainsi dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, où l’intéressée n’a pas suivi l’ensemble de la formation prévue dans son État d’origine pour accéder à la profession d’avocat.

c) Examen de l'équivalence ─ Comparaison

96.      Dans le cadre de l’examen de l’équivalence, c’est-à-dire en comparant les titres et formations pratiques, un État membre peut toutefois prendre en considération les différences objectives relatives tant au cadre juridique de la profession en question dans l’État membre d’origine qu’à son champ d’activité.

97.      Si cet examen comparatif aboutit à la constatation que les connaissances et qualifications attestées par le diplôme étranger correspondent à celles exigées par les dispositions nationales, l’État membre est tenu d’admettre que ce diplôme remplit les conditions posées par celles-ci. Si, par contre, la comparaison ne révèle qu’une correspondance partielle entre ces connaissances et qualifications, l’État membre d’accueil est en droit d’exiger que l’intéressé démontre qu’il a acquis les connaissances et qualifications manquantes  (41) .

98.      Il appartient donc en tout état de cause aux États membres de tenir compte de manière appropriée, sur le plan matériel, des qualifications étrangères qui correspondent au moins partiellement aux conditions nationales ─ conformes au droit communautaire.

99.      Un refus complet et non motivé d’un examen matériel de l’équivalence ─ qui serait fondé sur des critères formels tels que l’exigence d’un diplôme italien, comme en l’espèce ─ est illicite.

100.    Aussi appartient-il à l’État d’accueil de mettre en place et d’appliquer une procédure conforme à ces principes. Si la procédure applicable dans l’État d’accueil ne répond pas aux exigences du droit communautaire, il incombe à toute autorité compétente ─ il pourrait en l’espèce également s’agir, par exemple, de l’autorité compétente pour l’inscription au registre des avocats stagiaires ─ d’examiner elle-même si le diplôme obtenu par le candidat dans un autre État membre, assorti, le cas échéant, d’une expérience pratique, doit être considéré comme équivalant au titre requis (42) .

101.    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, s’il n’existe pas d’obligation de reconnaître automatiquement un diplôme obtenu dans un autre État membre, le citoyen communautaire n’en peut pas moins faire valoir celui-ci dans le cadre d’une procédure de reconnaissance.

102.    Compte tenu de ce résultat, il n’est plus utile d’examiner l’interprétation des articles 10 CE, 12 CE, 14 CE, 39 CE et 149 CE.

V ─ Conclusion

103.    Nous proposons donc à la Cour d’apporter la réponse suivante à la question préjudicielle:

«L’article 1 er de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, doit être interprété en ce sens que les activités d’un avocat stagiaire italien ne doivent pas être considérées comme une ’profession réglementée‘.

L’article 43 CE doit être interprété en ce sens que, dans un cas tel que celui de la procédure au principal, les autorités compétentes de l’État d’accueil sont tenues de prendre en considération l’ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l’expérience pertinente de l’intéressé dans l’État d’origine, en procédant à une comparaison entre, d’une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d’autre part, les connaissances et qualifications exigées dans l’État d’accueil.»


1
Langue originale: l'allemand.


2
JO L 19, p. 16.


3
JO L 77, p. 36.


4
GURI n° 281, du 5 décembre 1933.


5
GURI n° 24, du 30 janvier 1934.


6
GURI n° 40, du 18 février 1992, p. 6.


7
Arrêt du 7 mars 2002 (C-145/99, Rec. p. I-2235, points 33 et 36 et suiv.).


8
C’est-à-dire aux fins d’inscription dans un registre professionnel.


9
Arrêts du 26 février 1992, Bernini (C-3/90, Rec. p. I-1071), et du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (66/85, Rec. p. 2121).


10
Arrêt du 8 juillet 1999 (C-234/97, Rec. p. I-4773).


11
Arrêt du 7 mai 1991 (C-340/89, Rec. p. I-2357).


12
Arrêt du 30 novembre 1995 (C-55/94, Rec. p. I-4165).


13
Pertek, J., La reconnaissance des diplômes , p. 68.


14
Sur cette notion, voir Pertek, J., Les avocats en Europe , 2000, p. 95.


15
Pertek, J., General recognition of diplomas and free movement of professionals , 1992, p. 19.


16
Scordamaglia, «La direttiva Cee sul riconoscimento dei diplomi», dans: Problematica del diritto delle Comunità europee , 1992, p. 267 (275).


17
Arrêts du 1 er février 1996, Aranitis (C-164/94, Rec. p. I-135, points 18 et 33), et Fernández de Bobadilla (précité note 10, point 16).


18
Arrêts Aranitis (prᄅcité note 17, point 19) et Fernández de Bobadilla (précité note 10, point 17).


19
Pertek, J., «Les professions juridiques et judiciaires dans l’Union européenne», Droit administratif et droit communautaire .


20
Schneider, H., Die Anerkennung von Diplomen in der Europäischen Gemeinschaft , p. 172.


21
Voir Pertek, J., General recognition of diplomas and free movement of professionals , 1992, p. 7.


22
Voir, à ce sujet, la jurisprudence citée aux notes 17 et 18.


23
Voir, en sens contraire, Görlitz, «Gemeinschaftsrechtliche Diplomanerkennungspflichten und Zugang zum deutschen Vorbereitungsdienst», Europarecht, 2000, p. 836 (843 et suiv.), selon lequel le Vorbereitungsdienst [stage préparatoire] allemand constitue à tout le moins une activité professionnelle.


24
Arrêts du 31 mai 1989, Bettray (344/87, Rec. p. 1621, point 13), et Benini (précité note 9, point 14).

Voir, à ce sujet, de manière générale: arrêts du 20 novembre 2001, Jany e.a., (C-268/99, Rec. p. I-8615, point 33), et du 11 avril 2000, Deliège (C-51/96 et C-191/97, Rec. p. I-2549, points 53 et 54)


25
Arrêt Bettray (précité note 24, point 15).


26
Arrêts Lawrie-Blum (précité note 9, point 21) et Bernini (précité note 9, point 16).


27
Arrêt Bettray (précité note 24, points 15 et 16).


28
Arrêt précité note 12.


29
La Commission se fonde à cet égard sur l’arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 97), qui concerne toutefois la situation inverse, à savoir la possibilité de transposer les principes de la liberté d’établissement à la libre circulation des travailleurs.


30
Voir cependant déjà l’arrêt du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097), sur la question d’une obligation de droit primaire, découlant des libertés fondamentales, de procéder, dans le cadre d’un examen de l’équivalence, susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, à une appréciation objective des connaissances et qualifications acquises dans un autre État membre.


31
Arrêt précité note 11 (point 16).


32
Arrêts du 28 avril 1977, Thieffry (71/76, Rec. p. 765, points 19 et suiv.), et Gebhard (précité note 12, point 38).


33
Voir arrêts Vlassopoulou (précité note 11, point 15) et du 9 février 1994, Haim (C-319/92, Rec. p. I-425, point 26).


34
Arrêt Fernández de Bobadilla (précité note 10, point 33).


35
Arrêts Vlassopoulou (précité note 11, point 17) et du 7 mai 1992, Aguirre Borrell e.a. (C-104/91, Rec. p. I-3003, point 12); voir l’arrêt Heylens e.a. (précité note 30, point 13).


36
Arrêts Aguirre Borrell e.a. (précité note 35, point 11); du 14 septembre 2000, Hocsman (C-238/98, Rec. p. I-6623, point 23), et du 22 janvier 2002, Dreessen (C-31/00, Rec. p. I-663, point 24).


37
Arrêt du 31 mars 1993 (C-19/92, Rec. p. I-1663, points 20 et suiv.).


38
Voir arrêt Hocsman (précité note 36, point 39).


39
Arrêts Vlassopoulou (précité note 11, point 21), Haim (précité note 33, point 28) et Hocsman (précité note 36, point 23).


40
Arrêts Vlassopoulou (précité note 11, point 17), Aguirre Borrell e.a. (précité note 35, point 12); et Heylens e.a. (précité note 30, point 13).


41
Arrêts Vlassopoulou (précité note 11, point 19), Aguirre Borrell e.a. (précité note 35, point 14), Fernández de Bobadilla (précité note 10, point 32) et Hocsman (précité note 36, point 36).


42
Voir arrêt Fernández de Bobadilla (précité note 10, point 34).